Rapport final de la Commission sur les interventions de la GRC lors des manifestations contre le gaz de schiste dans le comté de Kent (N.-B.)

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Loi sur la Gendarmerie royale du Canada
Paragraphe 45.76(3)

Liens connexes

Table des matières

Préface

Conclusions et recommandations de la Commission

Réponse de la GRC au rapport de la Commission

Introduction

Contexte

Analyse, conclusions et recommandations

Rôle de la GRC
Approche modérée
Surveillance et fouilles
Collecte de renseignements de sources ouvertes
Liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique
Sensibilité à la culture, aux cérémonies et aux objets sacrés autochtones
Allégation de partialité contre les manifestants autochtones
Opération tactique du 17 octobre 2013
Équipe de négociation en situation de crise
Arrestations
Recours à la force
Planification d'urgence

Conclusions et recommandations finales de la Commission

Conclusion

Préface

[1] La Commission a terminé son enquête d'intérêt public sur les interventions de la GRC lors des manifestations contre le gaz de schiste qui ont eu lieu dans le comté de Kent (Nouveau-Brunswick) et a reçu la réponse de la commissaire de la GRC à son rapport intérimaire à la suite d'une enquête d'intérêt public. L'examen indépendant des mesures prises par la GRC vise à s'assurer que celle-ci rend des comptes au public qu'elle sert et à recommander des mesures concrètes pour améliorer les services de police.

[2] Au cours de son enquête, la Commission a examiné un nombre exceptionnellement élevé d'éléments de preuve vidéo et documentaire, de déclarations de témoins, de dossiers de police et d'autres renseignements pertinents. La Commission a évalué diverses mesures prises par la GRC sur une période de six mois, soit de juin à décembre 2013. En plus de son rapport intérimaire sur l'enquête d'intérêt public de 132 pages et du présent rapport final de 60 pages, la Commission a également produit des rapports détaillés sur 21 plaintes individuelles liées aux manifestations contre le gaz de schiste.

[3] Compte tenu de l'ampleur des questions complexes et des éléments de preuve examinés, il est important de ne pas perdre de vue l'essence de l'affaire. Pour cette raison, la Commission offre un aperçu de l'importance continue, dans le contexte actuel, des conclusions et des recommandations de fond de la Commission. La Commission commente également la réponse de la commissaire de la GRC à ces conclusions et recommandations et ce qu'il en ressort relativement au fonctionnement du régime de surveillance indépendant dans cette affaire.

Conclusions et recommandations de la Commission

[4] Les questions examinées par la Commission concernant les manifestations ayant eu lieu dans le comté de Kent demeurent pertinentes dans le contexte actuel, non seulement pour les parties intéressées et la société canadienne en général, mais aussi pour l'amélioration continue des opérations de maintien de l'ordre public de la GRC et de ses interventions dans le cadre de manifestations. Ces questions comprennent notamment les suivantes :

  • arrestations;
  • recours à la force;
  • planification de l'opération tactique;
  • exécution d'injonctions par la police;
  • établissement de contrôles routiers, de barrages routiers et de zones d'exclusion par la police;
  • négociation et approche modérée;
  • collecte de renseignements de sources ouvertes sur les personnes qui ont participé aux manifestations;
  • interactions de la police relativement aux pratiques spirituelles des Autochtones ayant participé aux manifestations.

[5] Les manifestations contre le gaz de schiste dans le comté de Kent ont découlé de préoccupations importantes au sujet de la protection de l'environnement et des droits des Autochtones. Les manifestations et les enjeux sous-jacents revêtaient une grande importance pour de nombreuses personnes, y compris les Autochtones de la région et d'ailleurs. Les interventions de la GRC lors des manifestations ont également eu une grande portée et des répercussions importantes.

[6] Les manifestations légales sont caractéristiques des sociétés démocratiques et constituent un droit protégé par la Charte au Canada. De même, la police a un rôle crucial à jouer dans le maintien de la paix, la protection de la société et la prévention de la criminalité. Il y a souvent des tensions et des conflits entre les manifestants et la police. C'est dans un tel cas, lorsque l'on détermine les faits et présente des conclusions et des recommandations significatives, que la surveillance civile indépendante de la police peut jouer un rôle important. Dans la présente affaire, la Commission s'est acquittée de ce rôle en évaluant la preuve de façon neutre, en déterminant les situations où les membres de la GRC ont agi de manière raisonnable et dans les limites établies par la loi applicable et en abordant d'autres situations où il y a eu des préoccupations au sujet des actes des policiers. Par conséquent, des points à améliorer ont été cernés.

[7] Dans son rapport, la Commission a reconnu les difficultés auxquelles ont fait face les membres de la GRC dont le travail consistait à maintenir l'ordre lors de ces manifestations, parfois au péril de leur propre sécurité. Par conséquent, même si un grand nombre de manifestants et certains membres du public ont eu l'impression que la force utilisée pour maintenir l'ordre pendant les manifestations dans le comté de Kent était excessive, la Commission a conclu que la plupart des arrestations et des incidents de recours à la force étaient en fait raisonnables et justifiés dans les circonstances. Les membres de la collectivité ont également exprimé d'importantes préoccupations au sujet du rôle global joué par la GRC dans le contexte des manifestations, mais la Commission a conclu que les membres de la GRC en cause avaient exercé leur rôle d'application de la loi de façon appropriée.

[8] Dans d'autres domaines, par exemple en ce qui a trait aux barrages et aux contrôles routiers et à la collecte de renseignements de sources ouvertes, la Commission a exprimé des préoccupations au sujet du caractère raisonnable et, parfois, de la légalité des pratiques de la GRC.

[9] Par conséquent, la Commission a tiré des conclusions et formulé des recommandations en vue d'améliorer la façon dont la GRC maintient l'ordre pendant des manifestations, particulièrement des manifestations dirigées par des Autochtones. Des conclusions et des recommandations clés ont également été présentées en ce qui concerne les connaissances et la sensibilisation des membres de la GRC à l'égard des pratiques culturelles autochtones et de la manipulation des objets sacrés autochtones.

Réponse de la GRC au rapport de la Commission

[10] La réponse de la GRC au rapport de la Commission contient des indications selon lesquelles bon nombre des préoccupations soulevées par la Commission dans son rapport seront effectivement prises en compte.

[11] Par exemple, la GRC a pris un engagement sans équivoque en vue d'appuyer et de mettre en œuvre les recommandations de la Commission liées à la sensibilisation aux pratiques culturelles autochtones et à la manipulation des objets sacrés et a fourni des renseignements détaillés sur les mesures qu'elle a prises et qu'elle a l'intention de prendre à cet égard. De même, la GRC a fourni des renseignements concrets sur les mesures qu'elle a l'intention de prendre pour s'assurer que le rôle de l'Équipe de négociation en situation de crise qui maintient l'ordre dans ces types de manifestations est mieux défini et que l'Équipe est mieux informée des plans opérationnels globaux.

[12] Dans un autre cas, la GRC s'est engagée à mettre en œuvre une des recommandations auxquelles elle n'a pas souscrit. La commissaire de la GRC a mentionné que l'on pourrait établir comme pratique exemplaire que l'on donne aux membres de la GRC participant aux opérations de maintien de l'ordre dans le cadre de manifestations un aperçu des lois et des politiques relatives aux fouilles, perquisitions et saisies, comme l'a recommandé la Commission, bien qu'elle n'ait pas officiellement appuyé la recommandation puisqu'elle n'a pas souscrit aux conclusions de la Commission au sujet des fouilles et des contrôles routiers effectués pendant les manifestations dans le comté de Kent.

[13] Malgré ces nouvelles encourageantes, d'autres réponses aux recommandations de la Commission ont soulevé des préoccupations.

[14] La GRC a fortement rejeté les recommandations de la Commission visant à limiter la collecte et la conservation de renseignements de sources ouvertes sur les manifestants, comme les comptes de médias sociaux. La Commission a exprimé de grandes préoccupations au sujet de l'approche de la GRC dans de tels cas. La réponse de la GRC n'a pas permis d'atténuer les préoccupations exprimées par la Commission dans son rapport intérimaire; elle a plutôt renforcé un grand nombre de ces préoccupations. La Commission a donc réitéré et précisé davantage ses recommandations afin de répondre à ces préoccupations.

[15] De plus, parmi les huit recommandations que la GRC a officiellement appuyées dans sa réponse, il y en a trois pour lesquelles la commissaire de la GRC a déclaré qu'aucune autre mesure ne sera prise, car la GRC estime que ses pratiques actuelles sont déjà conformes aux recommandations. Bien que la Commission sache que la loi permet à la GRC de refuser de mettre en œuvre certaines de ses recommandations, elle est préoccupée par la justification fournie à l'égard des recommandations auxquelles la GRC a souscrit, mais qu'elle a refusé de mettre en œuvre. Ces recommandations portaient notamment sur des questions importantes, comme les barrages routiers et les zones d'exclusion, et la nécessité pour les membres de la GRC de connaître les limites de leurs pouvoirs, surtout à la lumière des droits constitutionnels fondamentaux exercés par les manifestants.

[16] La Commission a formulé ces recommandations d'amélioration parce que les faits dans l'affaire du comté de Kent ont soulevé des préoccupations au sujet des mesures prises par la GRC dans ces domaines. Toutefois, lorsqu'elle a dit être d'avis que les pratiques de la GRC étaient déjà conformes aux recommandations, la commissaire de la GRC n'a fourni aucune information indiquant que les pratiques avaient été modifiées depuis les événements survenus dans le comté de Kent ou que les préoccupations de la Commission avaient été reconnues et que des efforts avaient été déployés pour y répondre. Par conséquent, il est difficile de considérer ces réponses comme un véritable appui aux recommandations de la Commission. Elles n'expliquent pas non plus de manière satisfaisante pourquoi la GRC a décidé de ne pas prendre d'autres mesures.

[17] En ce qui concerne la réponse de la GRC aux conclusions de la Commission au sujet des événements survenus dans le comté de Kent, la commissaire de la GRC a souscrit aux conclusions selon lesquelles les actes des membres de la GRC n'étaient pas déraisonnables et a également souscrit à certaines conclusions qui critiquaient les mesures de la GRCNote de bas de page 1.

[18] Par conséquent, dans un certain nombre de cas, la GRC a reconnu les problèmes relevés par la Commission. Par exemple, elle a souscrit aux conclusions de la Commission concernant :

  • la formation insuffisante des membres de la GRC sur les questions culturelles autochtones;
  • les conséquences malheureuses qui ont découlé du fait de ne pas fournir de renseignements à l'Équipe de négociation en situation de crise au sujet de la planification opérationnelle;
  • le fait que les menottes qui ont été appliquées au départ à certains manifestants étaient trop serrées.

[19] Dans d'autres cas, la GRC n'a pas souscrit aux conclusions de la Commission et a, à juste titre, porté à son attention certains éléments de preuve et documents qui justifiaient le refus de certaines conclusions. Il fallait s'y attendre étant donné le volume exceptionnellement élevé d'éléments de preuve dans l'affaire. Par exemple, en ce qui a trait à une conclusion concernant les arrestations effectuées au titre d'une injonction accordée le 22 novembre 2013, la commissaire de la GRC a fourni des renvois précis aux notes des policiers et à certaines vidéos qui expliquaient davantage les arrestations. Bien que certaines préoccupations aient été soulevées relativement à la tenue des dossiers des membres de la GRC et à l'information fournie au procureur de la Couronne, la Commission a reconsidéré son point de vue initial au sujet des motifs de ces arrestations. La réponse à cette conclusion constitue un exemple du bon fonctionnement du régime de surveillance qui permet à la GRC d'expliquer les mesures qu'elle prend.

[20] Cependant, bon nombre des autres réponses rejetant les conclusions de la Commission étaient d'une nature différente. Dans ces cas, la GRC n'a pas fourni d'éléments de preuve ou de faits supplémentaires, mais a plutôt mené sa propre évaluation de la preuve à l'appui de sa conclusion selon laquelle la conduite de ses membres n'était pas problématique. Dans un cas, la GRC a même rejeté la conclusion de la Commission selon laquelle la preuve était insuffisante pour conclure que la conduite des membres de la GRC était déraisonnable, soulignant plutôt que la preuve démontrait que la conduite des membres de la GRC était raisonnable et appropriée.

[21] Ces réponses, qui comprenaient souvent une longue réfutation détaillée des conclusions de la Commission, sans que des renseignements factuels supplémentaires soient fournis, soulèvent des préoccupations au sujet du fonctionnement du régime de surveillance indépendant.

[22] Le régime adopté par le Parlement pour assurer la surveillance de la GRC prévoit que la GRC aura la possibilité d'enquêter sur des incidents précis en premier et de tirer des conclusions sur les actes de ses membres. Lorsque le plaignant n'est pas satisfait des conclusions ou que, comme dans la présente affaire, la question est d'intérêt public, la loi confie à la Commission, qui est indépendante de la GRC, le mandat d'évaluer la preuve et de tirer des conclusions sur les actes des membres concernés de la GRC.

[23] Bien que, selon la loi, la GRC puisse choisir de ne pas donner suite à certaines des conclusions et recommandations de la Commission, la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada prévoit un mécanisme de reddition de comptes reposant sur la transparence, en imposant à la GRC l'obligation de fournir une réponse aux rapports de la Commission qui fait état de toute mesure qui sera prise relativement à la plainte et, si elle choisit de s'écarter des conclusions ou des recommandations, de motiver sa décision dans sa réponseNote de bas de page 2.

[24] L'obligation pour la GRC de s'expliquer lorsqu'elle choisit de ne pas mettre en œuvre les conclusions ou les recommandations de la Commission constitue pour elle une occasion de soulever des questions importantes qui n'ont peut-être pas été prises en compte lorsque la Commission a rédigé son rapport intérimaire. Par exemple, il pourrait y avoir des questions dont la Commission n'est pas au courant et qui ont une incidence sur la faisabilité de la mise en œuvre de certaines recommandations. Il pourrait y avoir des répercussions sur les ressources ou sur d'autres activités de la GRC. Ce sont tous des facteurs importants dont il faut tenir compte. Ils pourraient mener la Commission à réexaminer ou à reformuler certaines recommandations et ils seront pertinents pour aider le public à mieux évaluer les interventions de la GRC dans le cadre des événements. La Commission encourage un dialogue de cette nature avec la GRC, dans l'esprit de travailler à l'atteinte de l'objectif commun consistant à améliorer les services de police.

[25] Il est malheureux que, dans ses réponses à de nombreuses conclusions de la Commission sur des sujets importants comme l'interception au hasard de véhicules et l'« enquête généraleNote de bas de page 3 » sur les occupants des véhicules, la GRC n'ait pas profité de l'occasion pour fournir des faits ou des renseignements supplémentaires justifiant ou expliquant son rejet des conclusions de la Commission. La GRC a plutôt cherché à substituer ses propres points de vue sur la preuve à ceux de la Commission et à tirer ses propres conclusions sur le caractère raisonnable des actes de ses membres.

[26] De l'avis de la Commission, le droit de la GRC de refuser de mettre en œuvre des conclusions ou des recommandations et son obligation légale de s'expliquer lorsqu'elle le fait ne visent pas à donner à la GRC l'occasion d'agir à titre d'organe d'appel relativement aux conclusions de la Commission. Les opinions de la GRC sur la pertinence des actes de ses membres ne devraient pas prévaloir lorsque l'organe de surveillance indépendant, après avoir examiné tous les éléments de preuve comme son mandat le requiert, en arrive à une conclusion différente et que la GRC n'offre aucune autre explication ni information factuelle. Un tel processus reviendrait à donner carte blanche à la GRC pour tirer ses propres conclusions sur les actes de ses membres.

[27] Pour ces raisons, la Commission a conclu que ces types de réponses n'étaient pas utiles pour atteindre le type de responsabilisation et de transparence envisagé par le régime de surveillance. La Commission a donc réitéré bon nombre de ses conclusions initiales à cet égard.

[28] Malgré ces préoccupations, la Commission est convaincue que l'analyse détaillée et les leçons apprises présentées dans ces rapports peuvent aider la GRC à améliorer ses interventions pour maintenir l'ordre pendant des manifestations, particulièrement des manifestations dirigées par des Autochtones, en atteignant un équilibre délicat entre l'application de la loi et le respect des droits des citoyens.

Introduction

[29] La Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada (la « Commission ») est un organisme du gouvernement fédéral, distinct et indépendant de la GRCNote de bas de page 4. La Commission a reçu plusieurs plaintes du public au sujet des interventions de la GRC lors des manifestations contre les essais de gaz de schiste et la fracturation hydraulique dans le comté de Kent, au Nouveau-Brunswick, en 2013. Compte tenu du nombre important de plaintes et des questions qui y sont soulevées, la Commission a décidé, le 30 juillet 2013, qu'il était dans l'intérêt du public qu'elle mène sa propre enquête sur ces plaintes. La Commission a reçu au total 21 plaintes.

[30] Au cours de l'enquête de la Commission sur les plaintes individuelles, d'autres questions ont été soulevées en ce qui a trait aux interventions de la GRC lors des manifestations. En décembre 2014, le président de la Commission à l'époque a déposé sa propre plainte et mené sa propre enquête relativement aux questions suivantes :

  1. le recours à des arrestations;
  2. l'exercice des pouvoirs de détention et de fouille;
  3. le recours à la force;
  4. le caractère adéquat des communications avec des membres du public;
  5. la planification, la gestion et l'exécution des arrestations dans le campement des manifestants le 17 octobre 2013;
  6. la manipulation des objets spirituels et/ou l'ingérence dans les pratiques spirituelles des Autochtones ayant participé aux manifestations;
  7. le rôle de la GRC dans le maintien de l'ordre lors des manifestations des Autochtones concernant les droits fonciers des Autochtones;
  8. l'existence ou non d'un traitement différent réservé aux Autochtones comparativement aux autres manifestants.

[31] Les documents présentés par la GRC et ceux produits par les enquêteurs de la Commission étaient volumineux, et il a fallu beaucoup de temps pour les organiser et les examiner. Plus de 130 témoins civils et membres de la GRC ont été interrogés par les enquêteurs de la Commission. L'enquête a permis de rassembler plus de deux téraoctets de documents (dont une grande quantité de manuscrits – environ 50 000 dossiers, parmi lesquels des copies doubles – et des milliers de fichiers vidéo obtenus auprès de la GRC et de témoins civils). La Commission a connu des retards relativement à l'obtention de documents pertinents auprès de la GRC, et une bonne partie des documents fournis étaient désorganisés. Les rapports de la Commission sur cette question se fondent sur un examen aussi approfondi que possible des renseignements disponibles. La Commission remercie les plaignants et les membres de la GRC en cause de leur patience.

[32] Après avoir examiné les nombreux éléments de preuve recueillis au cours de son enquête, la Commission a tiré des conclusions sur les questions soulevées. En raison du grand nombre de perspectives différentes, il n'a pas toujours été possible d'obtenir des certitudes sur le déroulement des événements. Face à des versions ou à des éléments de preuve contradictoires, la Commission a cherché à déterminer la situation la plus probable. Cette norme juridique bien connue s'appelle la norme de la « prépondérance des probabilités ». Il s'agit du critère que la Commission a appliqué pour tirer toutes ses conclusions dans le cadre de l'affaire.

[33] La Commission a produit un rapport intérimaire de 132 pages à la suite d'une enquête d'intérêt public (le « rapport intérimaire sur l'EIP »), daté du 13 mars 2019, dans lequel elle a présenté 38 conclusions et 12 recommandations. La Commission a également rédigé des rapports sur chacune des 21 plaintes du public.

[34] Conformément à la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (la « Loi sur la GRC »), la Commission a envoyé le rapport intérimaire sur l'EIP à la commissaire de la GRC. Le 17 juin 2020, la Commission a reçu une réponse de la commissaire Brenda Lucki, conformément au paragraphe 45.76(2) de la Loi sur la GRC.

[35] Après avoir examiné la réponse de la commissaire de la GRC, la Commission a établi le présent rapport final, conformément au paragraphe 45.76(3) de la Loi sur la GRC. Dans le rapport, la Commission donne un aperçu de l'analyse réalisée dans son rapport intérimaire sur l'EIP au sujet des questions soulevées et présente les conclusions et les recommandations provisoires qu'elle a formulées. La Commission donne ensuite un aperçu de la réponse fournie par la commissaire de la GRC à chacune de ses conclusions et recommandations provisoires, ainsi que sa propre analyse de la réponse de la commissaire de la GRC.

[36] Lorsque la Commission a réexaminé ou reformulé ses conclusions ou recommandations à la lumière de la réponse de la commissaire de la GRC, elle l'a indiqué dans le texte. Dans tous les autres cas, la Commission réitère les conclusions et les recommandations formulées dans son rapport intérimaire sur l'EIP. Pour faciliter la consultation, un tableau des conclusions et recommandations finales de la Commission figure à la fin du présent rapport.

[37] La Commission souligne que, compte tenu de l'ampleur des questions à aborder dans le présent rapport, elle fournit seulement une vue d'ensemble de l'analyse et des conclusions énoncées dans le rapport intérimaire de 132 pages. Pour bien comprendre les conclusions et les recommandations provisoires, ainsi que les éléments de preuve sur lesquels elles sont fondées, il faut examiner l'ensemble du rapport intérimaire sur l'EIP. De même, bien que la Commission ait cherché à donner un aperçu de la réponse de la commissaire de la GRC à son rapport, il n'était pas possible de reproduire toute l'information fournie. Pour un examen complet de la réponse de la commissaire de la GRC et des détails sur les mesures qui seront prises, il faudrait examiner la réponse elle-même dans son intégralité.

Contexte

[38] En 2012, le gouvernement du Nouveau‑Brunswick a accordé à SWN Resources Canada (« SWN ») une licence pour explorer l'accessibilité au gaz de schiste dans les environs de la ville de Rexton et de la réserve de la Première Nation d'Elsipogtog, dans le comté de Kent, et dans diverses autres régions de la province. L'exploration a commencé en juin 2013, tout comme les manifestations. En tant que service de police contractuel provincial au Nouveau-Brunswick, la Division « J » de la GRC était chargée du maintien de l'ordre pendant les manifestations.

[39] Les manifestants se sont opposés avec véhémence au projet de gaz de schiste et ont exprimé leurs points de vue de diverses façons pendant six mois. Bon nombre des manifestants étaient des Autochtones de la Première Nation d'Elsipogtog et d'ailleurs. Une bonne partie des activités des manifestants ont pris la forme d'une désobéissance civile; par exemple, des manifestants se sont positionnés au milieu de la route pour empêcher les camions de passer et ont refusé de se déplacer à la demande de la GRC. Les Autochtones ont tenu à l'occasion des cérémonies sacrées sur la chaussée, et les participants ont insisté pour les mener à bien avant de se déplacer. Il y a eu de nombreuses arrestations. Au fil du temps, la dynamique des manifestations a changé avec l'arrivée de manifestants plus agressifs, les Warriors.

[40] Les manifestants ont fini par établir un campement, qui a bloqué l'enceinte de la société d'exploration. Le blocus des manifestants a empêché les gardiens de sécurité privés (Industrial Security Limited ou « ISL ») embauchés par l'entreprise de quitter le bâtiment. Un tribunal a accordé une injonction limitant les activités des manifestants. Des négociations ont eu lieu entre les membres de la GRC et les manifestants pour résoudre de nombreux problèmes. Certains progrès ont été réalisés, mais la GRC a mené une opération tactique le 17 octobre 2013, au cours de laquelle le campement a été évacué. Une émeute s'en est bel et bien suivie et de nombreuses personnes ont été arrêtées. Les relations entre la GRC et la population locale, en particulier les Autochtones, se sont envenimées. Les manifestations se sont poursuivies, tout comme les arrestations, jusqu'à ce que l'entreprise quitte la région en décembre 2013.

[41] Pour les manifestants autochtones, la principale motivation pour s'opposer aux activités de SWN était similaire à celle qui a donné lieu à de nombreuses manifestations des peuples autochtones d'un bout à l'autre du pays, par le passé et aujourd'hui, soit leur volonté de protéger la terre et l'eau. Leur justification était fondée sur le point de vue selon lequel les terres appartenaient aux Premières Nations, car elles n'avaient jamais été cédées à la Couronne par le moindre traité ou accord. Des manifestants non autochtones se sont joints à eux, y compris des environnementalistes, dont l'intérêt pour la protection des terres rejoignait les intérêts des manifestants autochtones.

Analyse, conclusions et recommandations

Rôle de la GRC

[42] Le rôle principal de la GRC dans toute manifestation ou protestation est de maintenir la paix, de protéger la vie et les biens et de faire appliquer la loi, tout en respectant les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte ») et les droits des peuples autochtones du Canada, conformément à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. La GRC n'a pas pour rôle d'établir la validité juridique d'une licence ou d'une injonction.

[43] Malgré les tentatives de la GRC de trouver un juste équilibre entre les droits de toutes les personnes et de tous les groupes concernés, de nombreux manifestants ont accusé la GRC de s'occuper de la sécurité privée de SWN. La Commission a conclu que les interactions de la GRC avec SWN étaient raisonnables dans les circonstances. Il était nécessaire de dialoguer avec les responsables de SWN pour savoir quels étaient leurs plans, par exemple, où et quand l'entreprise prévoyait exercer ses activités, afin que la GRC puisse planifier ses propres opérations. La perception selon laquelle la GRC s'efforçait de faciliter le travail de SWN est peut-être attribuable au fait que les mesures prises pour faire respecter la loi, y compris les injonctions ordonnées par les tribunaux, ont pu avoir pour effet de permettre à SWN de continuer ses travaux.

Conclusion provisoire de la Commission no 17

La GRC ne s'est pas occupée de la sécurité privée de SWN. Son rôle était de maintenir la paix et d'assurer la sécurité publique tout en respectant le droit des manifestants de manifester. D'après les renseignements disponibles, les interactions de la GRC avec SWN Resources Canada étaient raisonnables dans les circonstances.

Réponse de la commissaire de la GRC

[44] La commissaire de la GRC a souscrit à la conclusion provisoire no 17.

Approche modérée

[45] Le plan opérationnel de la GRC concernant l'exploration du gaz de schiste, élaboré en avril 2012 et révisé en avril 2013, traitait des conditions opérationnelles probables et comprenait des renvois à l'« approche modérée », à l'instar d'autres politiques pertinentes. Certains plaignants ont allégué que, de diverses façons, la GRC n'avait pas suivi cette approche. La Commission a examiné de près la conformité de la GRC avec la politique à cet égard.

[46] L'« approche modérée » est une philosophie de gestion de crise qui repose sur la communication, l'établissement de relations, la résolution de problèmes et l'élaboration de mesures créatives et particulières, progressivement durant la crise. Dans le cadre de cette approche, le rôle de la police est de réunir les intervenants pour travailler à la résolution du conflit.

[47] Tout au long des manifestations, il y a eu de nombreux exemples de recours à l'approche modérée par la GRC. De façon générale, la Commission a conclu que les membres de la GRC avaient compris et appliqué une approche modérée dans leurs relations avec les manifestants.

Conclusion provisoire de la Commission no 2

De façon générale, les membres de la GRC ont compris et appliqué une approche modérée dans leurs relations avec les manifestants.

Réponse de la commissaire de la GRC

[48] La commissaire de la GRC a souscrit à la conclusion provisoire no 2.

Surveillance et fouilles

[49] La GRC a eu recours à des pratiques de surveillance et à des fouilles physiques, dont certaines n'étaient peut-être pas conformes aux droits qui sont garantis par la Charte, notamment la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Par exemple, au moment d'effectuer des « contrôles routiers », les membres de la GRC ont procédé à l'interception au hasard de véhicules à des fins autres que celles énoncées dans la législation provinciale sur la circulation routière. Ils ont agi ainsi sans autorisation judiciaire et en l'absence d'enquête urgente sur un crime grave. La Commission a conclu que ces actes n'étaient pas conformes aux droits garantis par la Charte aux occupants du véhicule.

[50] De même, malgré une préoccupation légitime concernant la sécurité publique, compte tenu des renseignements non confirmés qui circulaient au sujet des armes, la Commission a conclu que la pratique de fouiller les personnes entrant dans le campement des manifestants était, dans les circonstances, incompatible avec le droit des personnes à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Conclusion provisoire de la Commission no 8

Il semble que les membres de la GRC ne disposaient pas d'une autorisation judiciaire ou d'une autre autorisation légale pour effectuer des contrôles routiers aux fins de collecte de renseignements d'une manière qui constituait une « enquête générale » sur les occupants du véhicule. Cette pratique n'était pas conforme aux droits garantis par la Charte aux occupants du véhicule.

Conclusion provisoire de la Commission no 9

L'interception au hasard de véhicules à des fins autres que celles énoncées dans la législation provinciale sur la circulation routière, sans autorisation judiciaire et en l'absence d'enquête urgente sur un crime grave, n'était pas conforme, selon la prépondérance des probabilités, aux droits garantis par la Charte aux occupants du véhicule.

Conclusion provisoire de la Commission no 10

Selon la prépondérance des probabilités, il semble que la pratique de fouiller les personnes entrant dans le campement était, dans les circonstances, incompatible avec le droit des personnes à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Recommandation provisoire de la Commission no 4

Qu'on donne aux membres participant aux opérations de maintien de l'ordre public un aperçu des lois et des politiques relatives aux fouilles, perquisitions et saisies, y compris l'obligation d'obtenir un mandat et les motifs juridiques établissant des exceptions pour les fouilles sans mandat.

Réponse de la commissaire de la GRC

[51] La commissaire de la GRC n'a pas souscrit à la conclusion provisoire no 8. Elle a déclaré que la question de savoir si le fait de demander une pièce d'identité à une personne faisait intervenir la Charte dépendait des faits et, surtout, du fait que la personne était détenue ou non à ce moment-là. Après son examen des éléments de preuve, elle a estimé qu'elle n'était pas en mesure de conclure que le seul but des contrôles routiers était la collecte de renseignements ou que les membres de la GRC avaient agi de manière inappropriée ou d'une manière incompatible avec la Charte. Elle a affirmé que la preuve vidéo était incomplète et qu'il n'y avait tout simplement pas assez de faits ou de contexte permettant de tirer des conclusions.

[52] La commissaire de la GRC a également déclaré qu'elle ne pouvait pas conclure que les passagers des véhicules étaient détenus au moment où l'information a été sollicitée. Elle a présenté l'affaire R c Harris, dans laquelle la Cour d'appel de l'Ontario a conclu qu'un passager dans un véhicule à qui on avait demandé une pièce d'identité avait été légalement détenu en vertu du Code de la route (le conducteur n'a pas signalé son virage); par conséquent, la détention n'était pas arbitraire.

[53] La commissaire de la GRC n'a pas non plus souscrit à la conclusion provisoire no 9. Elle a affirmé que le rapport intérimaire sur l'EIP de la Commission ne contenait pas suffisamment d'éléments de preuve exposant en détail les cas précis où un barrage avait été érigé illégalement et a remis en question l'applicabilité de certains cas de jurisprudence sur lesquels s'était fondée la Commission. Plus particulièrement, la commissaire de la GRC a déclaré que les documents pertinents dans le cadre de l'affaire ne révélaient pas que des zones d'exclusion ou des barrages avaient été établis arbitrairement ou que des personnes avaient été détenues. Elle a également relevé des situations précises où la fermeture de routes était légalement justifiée.

[54] De même, la commissaire de la GRC n'a pas souscrit à la conclusion provisoire no 10. Elle a déclaré qu'elle estimait que le libellé de la conclusion et de l'analyse connexe était quelque peu vague quant à savoir si la Commission faisait allusion uniquement aux fouilles de personnes ou aux fouilles de personnes et de véhicules.

[55] La commissaire de la GRC a également expliqué qu'un accord avait été conclu avec les manifestants pour permettre la fouille d'une remorque qui avait été apportée dans le campement pour le confort des Aînés. En outre, la commissaire a déclaré qu'un petit nombre d'autres véhicules, notamment une camionnette qui apportait de la nourriture de temps en temps et un véhicule qui livrait et rapportait des toilettes chimiques, avaient été fouillés. Elle a ajouté que ces fouilles étaient justifiées compte tenu du fait que les manifestations avaient parfois créé un « environnement extrêmement hostile ». La commissaire a présenté en détail de nombreuses raisons pour lesquelles la sécurité constituait une préoccupation, tout comme la possible importation d'armes dans le campement. Elle a mentionné que, dans les circonstances, la GRC aurait pu être considérée comme faisant preuve de négligence si la décision de ne pas fouiller les très rares véhicules autorisés dans le campement avait entraîné l'importation d'armes utilisées au bout du compte pour blesser des policiers ou des manifestants.

[56] La commissaire de la GRC a également estimé que les éléments de preuve disponibles ne permettaient pas de conclure à l'existence d'une pratique consistant à procéder à une fouille courante ou « par palpation » des personnes entrant dans le campement à pied.

[57] La commissaire de la GRC a indiqué ne pas appuyer la recommandation provisoire no 4 eu égard aux trois conclusions ci-dessus. Elle a néanmoins convenu que l'on pourrait « établir comme pratique exemplaire » que l'on donne aux membres de la GRC participant aux opérations de maintien de l'ordre public un aperçu des lois et des politiques relatives aux fouilles, perquisitions et saisies, y compris l'obligation d'obtenir un mandat et les motifs juridiques établissant des exceptions pour les fouilles sans mandat. La commissaire de la GRC a mentionné qu'elle demanderait que cette recommandation soit communiquée par voie d'ordre public émanant de la structure de commandement.

Analyse de la Commission concernant la réponse de la GRC

[58] En ce qui a trait à la conclusion provisoire no 8, la Commission souligne qu'il s'agit d'un exemple de situation où la commissaire de la GRC propose une interprétation et une évaluation différentes de la preuve, sans mentionner de faits ou d'éléments de preuve nouveaux ou différents. Dans l'ensemble, la Commission réitère son évaluation initiale de la question. Après avoir examiné la preuve et la jurisprudence dont il est précisément question dans la réponse de la commissaire de la GRC, la Commission n'a trouvé aucun fait nouveau ni aucune disposition législative qui l'amèneraient à modifier sa conclusion initiale.

[59] La Commission reconnaît que la vidéo en question abordée dans la section pertinente de son rapport intérimaire sur l'EIP ne montrait pas le début de l'interaction. Même si le fait de voir l'intégralité d'une interaction peut fournir plus de contexte et modifier les impressions sur ce qui s'est passé, il n'en demeure pas moins que ce que l'on voit dans la partie visible de la vidéo est un mineur, passager dans le véhicule, à qui l'on demande son nom et sa date de naissance, renseignements qui sont ensuite consignés par écrit par un membre de la GRC.

[60] Même si la qualité de plusieurs vidéos était médiocre, la Commission a observé des contrôles routiers où la première chose que les membres de la GRC demandaient était la présentation d'une pièce d'identité, et non la présentation du permis de conduire, du certificat d'immatriculation du véhicule et de l'assurance. Bien que la commissaire de la GRC ait soutenu que la preuve ne démontrait pas que le seul but des contrôles routiers était la collecte de renseignements, elle n'a pas fourni d'information sur les autres objectifs poursuivis par les membres de la GRC.

[61] Le contenu des feuilles de contrôle examinées par la Commission appuie la conclusion selon laquelle il était plus probable que le contraire que les contrôles constituaient une « enquête générale » sur les occupants du véhicule. Les documents comprenaient des renseignements concernant le conducteur, notamment le nom, la date de naissance, l'adresse, le numéro du permis de conduire, la taille, le poids, le port de lunettes, les poils du visage, la race, la couleur des cheveux, d'autres caractéristiques distinctives et des renseignements sur le véhicule. Il y avait une section pour décrire où la personne avait été « vue ». Il y avait aussi une section pour indiquer si une vérification du casier judiciaire et/ou une vérification de la base de données de la police avaient été effectuées concernant le conducteur. De plus, il y avait une section pour des renseignements sur les passagers dans le véhicule.

[62] En ce qui concerne l'argument de la commissaire de la GRC selon lequel les passagers n'étaient pas détenus lorsqu'ils ont été interrogés par les membres de la GRC, la Commission fait remarquer que, dans l'affaire sur laquelle la commissaire de la GRC s'est fondée pour appuyer cette position, soit l'arrêt R c Harris, la majorité des juges de la Cour ont également conclu que la demande faite par le policier au passager concernant la présentation d'une pièce d'identité portait atteinte aux droits de ce dernier reconnus par l'article 8 de la CharteNote de bas de page 5. Les juges ont conclu que la présentation d'une pièce d'identité par l'accusé en réponse aux questions de l'agent constituait une saisie et était visée par une protection garantie au titre de l'article 8. Cette saisie était déraisonnable. L'agent n'avait aucune raison de soupçonner l'accusé de quoi que ce soit lorsqu'il l'a interrogé et a demandé une pièce d'identité. Le but du contrôle ne justifiait pas la tenue d'une enquête générale sur les antécédents de l'accusé ou son statut dans le système de justice pénaleNote de bas de page 6. [Non souligné dans l'original.]

[63] Dans l'arrêt Harris, la Cour a réitéré les principes bien établis selon lesquels la contrainte physique et psychologique par la police constitue une détention et [traduction] « [u]ne personne qui se conforme à une directive ou à un ordre de la police et qui croit raisonnablement qu'elle n'a pas d'autre choix est considérée comme détenue pour l'application des articles 9 et 10 de la CharteNote de bas de page 7 ». Dans l'arrêt Harris, la Cour a également examiné deux des autres affaires (R c GrafeNote de bas de page 8 et R c HallNote de bas de page 9) présentées par la commissaire de la GRC pour appuyer le principe selon lequel les policiers peuvent, dans l'exercice de leurs fonctions, demander de façon appropriée une pièce d'identité à une personne dans des situations où ils n'ont aucune raison de soupçonner cette personne de quelque inconduite que ce soit. La Cour a déclaré que ces affaires [traduction] « reposent en grande partie sur la conclusion selon laquelle la personne à qui l'on a demandé des pièces d'identité n'était pas détenue par la police ou n'était pas assujettie à toute autre forme de contrainte pour répondre à la demandeNote de bas de page 10 ».

[64] Dans une autre affaire mentionnée par la commissaire de la GRC, R c Frank, on a conclu que les contrôles routiers où l'on pose une question à un passager ne constituaient pas tous une détention du passager et qu'une enquête sur les faits devait être menée dans chaque casNote de bas de page 11. Dans cette affaire, l'accusé n'était [traduction] « pas inquiet » de donner son nom au policier qui le lui a demandéNote de bas de page 12.

[65] Dans l'affaire du comté de Kent, des passagers qui se trouvaient dans des véhicules interceptés ont été questionnés par des membres de la GRC. Dans l'arrêt Mellenthin, la Cour suprême a déclaré ce qui suit au sujet des contrôles routiers : « Le contrôle routier n'en demeure pas moins une manifestation de l'autorité policière. Même les conducteurs les plus expérimentés et avertis auront un sentiment d'oppressionNote de bas de page 13. » Comme l'indique le rapport de la Commission, il est loin d'être évident que les occupants du véhicule étaient pleinement conscients de leur droit de ne pas répondre aux questions posées par les policiers dans les circonstances; cela est particulièrement vrai lorsque des renseignements sont obtenus auprès de mineurs. Il est probable que les occupants du véhicule aient estimé qu'ils n'avaient d'autre choix que de répondre aux questions des membres de la GRC s'ils souhaitaient poursuivre leur route. La commissaire de la GRC n'a pas fourni de faits supplémentaires ni d'éléments de preuve qui pourraient mener la Commission à réexaminer sa conclusion à cet égard.

[66] Pour ces raisons, la Commission réitère la conclusion no 8.

[67] En ce qui concerne la conclusion provisoire no 9, il est établi que, pendant l'affaire du comté de Kent, des contrôles routiers ont eu lieu et des feuilles de contrôle ont été remplies. La commissaire de la GRC souligne certains cas précis qui ont justifié la fermeture de routes, y compris lorsque des routes et des chemins ont été rendus impraticables ou dangereux en raison d'arbres abattus, que de graves dommages matériels et des incendies criminels se sont produits et que « certaines circonstances », parfois, ont créé un danger pour la sécurité publique. La Commission convient que de tels cas se sont produits et que, dans certains de ces cas, la fermeture de routes peut avoir été nécessaire, raisonnable et légalement justifiable. Toutefois, cela n'explique pas ni ne justifie bon nombre des barrages et des contrôles routiers effectués. Par conséquent, même si la Commission modifiera sa conclusion pour tenir compte de l'existence de certaines circonstances qui ont justifié certains barrages routiers, l'essence de la conclusion demeure inchangée.

[68] Les justifications invoquées dans la réponse de la commissaire de la GRC n'expliquent pas ni ne justifient le genre d'« enquête générale » qui semble avoir eu lieu, comme il est décrit ci-dessus. Si une route était fermée en raison d'arbres abattus ou d'une enquête sur un crime grave comme un incendie criminel, on peut supposer que le membre de la GRC dirait simplement au conducteur du véhicule de faire demi-tour et ne lui demanderait pas, ni à ses passagers, de s'identifier ou de fournir d'autres renseignements personnels.

[69] La commissaire de la GRC a déclaré que la jurisprudence mentionnée par la Commission concernait des affaires où des barrages routiers avaient été érigés et où des véhicules et leurs occupants avaient été fouillés. Toutefois, comme il est mentionné dans l'arrêt Harris, l'obtention de renseignements auprès d'une personne détenue peut équivaloir à une saisie au sens de l'article 8 de la CharteNote de bas de page 14.

[70] Tout en contestant l'évaluation de la preuve faite par la Commission, la commissaire de la GRC n'a présenté aucune justification concernant la collecte de renseignements qui a été effectuée au cours de certains contrôles routiers. Le contenu des feuilles de contrôle donne à penser que la GRC avait l'intention de recueillir des renseignements. La Commission souligne encore une fois qu'il ne semble pas y avoir de préoccupation particulière au sujet des occupants des véhicules interceptés, et aucune autre justification n'a été présentée.

[71] Pour ces raisons, la Commission réitère la conclusion no 9, en ajoutant que certains des barrages routiers étaient probablement justifiés dans les circonstances particulières.

Conclusion finale de la Commission no 9

Même si certains des barrages routiers étaient probablement justifiés dans les circonstances particulières, l'interception au hasard de véhicules à des fins autres que celles énoncées dans la législation provinciale sur la circulation routière, sans autorisation judiciaire et en l'absence d'enquête urgente sur un crime grave, n'était pas conforme, selon la prépondérance des probabilités, aux droits garantis par la Charte aux occupants du véhicule.

[72] En ce qui concerne la conclusion provisoire no 10, la Commission reconnaît que son rapport intérimaire sur l'EIP faisait allusion aux fouilles de véhicules et de personnes qui entraient dans le campement des manifestants, alors que sa conclusion ne faisait référence qu'aux « personnes » qui étaient fouillées. La Commission reconnaît que son libellé aurait pu être plus clair à cet égard. Elle reconnaît également que certaines fouilles fondées sur le consentement, comme la fouille de la remorque servant aux Aînés, auraient été légales et raisonnables dans les circonstances.

[73] Pour les autres fouilles, toutefois, la Commission ne peut que réitérer sa conclusion selon laquelle les circonstances étaient insuffisantes pour justifier une fouille courante des véhicules et des personnes pénétrant dans le campement, d'autant plus qu'il ne semblait pas exister ni situation d'urgence ni violation appréhendée de la paix. Allan Marsh en a donné un exemple en expliquant à l'enquêteur de la Commission que la GRC lui avait donné à l'avance la permission d'apporter de l'eau au campement, mais il a contesté ce qu'il a décrit comme de multiples fouilles de son véhicule. Des objets comme un marteau et un couteau ont été temporairement confisqués, et il a dû laisser son canot sur le bord de la route.

[74] Dans son rapport, la Commission a décrit en détail bon nombre des mêmes circonstances que celles sur lesquelles la GRC s'est fondée pour intervenir et qui auraient justifié les fouilles. La Commission a tenu compte de ces circonstances pour en arriver à sa conclusion initiale. Comme il est souligné dans le rapport de la Commission, le chapitre 21.4. du Manuel des opérations national de la GRC, qui traite des perquisitions sans mandat, explique correctement la notion de situation d'urgence, c'est-à-dire lorsque le délai nécessaire à l'obtention d'un mandat de perquisition risque de mettre en danger la vie ou la sécurité d'une personne ou d'entraîner la perte ou la destruction de l'objet en question.

[75] La Commission a reconnu les préoccupations légitimes au sujet de la possible importation d'armes dans le campement; cependant, s'il y avait des motifs suffisants, la GRC aurait pu demander et obtenir un mandat général pour fouiller les véhicules et les personnes entrant sur le site. Elle ne l'a pas fait, et aucune justification n'a été fournie pour en expliquer la raison.

[76] Toutefois, la Commission reconnaît que les renseignements qui lui ont été présentés concernant les fouilles portaient principalement sur les fouilles de véhicules et leur contenu. Pour cette raison, la Commission a décidé de modifier sa conclusion no 10 pour mettre l'accent sur les fouilles de véhicules.

Conclusion finale de la Commission no 10

Selon la prépondérance des probabilités, il semble que la pratique de fouiller les véhicules entrant dans le campement était, dans les circonstances, incompatible avec le droit des personnes à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Il aurait été préférable que la GRC obtienne un mandat général, s'il existait des motifs suffisants.

[77] En ce qui a trait à la recommandation provisoire no 4, la Commission fait remarquer que la GRC a bel et bien accepté de la mettre en œuvre, même si elle ne l'a pas appuyée puisqu'elle n'a pas souscrit aux conclusions connexes.

Collecte de renseignements de sources ouvertes

[78] Pour ce qui est des dossiers de sources ouvertes et de certaines opérations d'infiltration, la Commission a conclu que la conduite des membres de la GRC était généralement raisonnable. La Commission a néanmoins procédé à une analyse détaillée et a formulé plusieurs conclusions et recommandations à l'égard des paramètres de ces pratiques. Par exemple, la Commission a conclu que toute collecte par la GRC de communications électroniques potentiellement privées ne doit se faire que dans les limites de la loi. La Commission a également recommandé que la politique de la GRC décrive quels renseignements personnels peuvent être recueillis à partir des sites de médias sociaux; les utilisations qui peuvent en être faites; et quelles mesures devraient être prises pour garantir leur fiabilité. En outre, la Commission a recommandé que la politique de la GRC exige la destruction des renseignements personnels, y compris les dossiers obtenus à partir de sources de médias sociaux, une fois qu'il est établi qu'il n'y a pas de lien avec des activités criminelles concernant les renseignements.

Conclusion provisoire de la Commission no 4

Les renseignements dont dispose la Commission n'établissent pas, selon la prépondérance des probabilités, que les personnes avaient une attente objectivement raisonnable en matière de respect de la vie privée en ce qui concerne leurs communications par l'intermédiaire des groupes Facebook, ni que l'agent d'infiltration de la GRC a « intercepté » ces communications, comme il est exposé dans la jurisprudence pertinente.

Conclusion provisoire de la Commission no 5

Toute collecte de communications électroniques potentiellement « privées » par la GRC ne doit se faire que dans les limites du Code criminel, de la Charte et de la jurisprudence connexe.

Conclusion provisoire de la Commission no 6

Selon la prépondérance des probabilités, la Commission conclut que la collecte de renseignements de sources ouvertes dans les cas du manifestant B, du manifestant D et de la manifestante E n'était pas déraisonnable dans les circonstances.

Conclusion provisoire de la Commission no 7

La politique de la GRC sur l'utilisation de sources ouvertes ne fournissait pas de directives claires quant à la collecte, à l'utilisation et à la conservation de renseignements personnels obtenus à partir des médias sociaux ou d'autres sources ouvertes, en particulier dans les situations où aucun lien avec des activités criminelles n'a été établi.

Recommandation provisoire de la Commission no 1

Que la GRC fournisse des lignes directrices claires décrivant quels renseignements personnels peuvent être recueillis à partir des sites de médias sociaux; les utilisations qui peuvent en être faites; et quelles mesures devraient être prises pour garantir leur fiabilité.

Recommandation provisoire de la Commission no 2

Que la politique de la GRC exige la destruction des dossiers obtenus à partir de sources de médias sociaux contenant des renseignements personnels (comme des saisies d'écran de sites de médias sociaux) une fois qu'il est établi qu'il n'y a pas de lien avec des activités criminelles concernant les renseignements.

Recommandation provisoire de la Commission no 3

Que la GRC élabore une politique prévoyant que, lorsque la GRC obtient des renseignements personnels jugés sans lien avec des activités criminelles, ces renseignements ne doivent pas être conservés.

Réponse de la commissaire de la GRC

[79] La commissaire de la GRC a souscrit aux conclusions provisoires nos 4, 5 et 6.

[80] La commissaire de la GRC a déclaré qu'elle souscrivait pour l'essentiel à la conclusion provisoire no 7 selon laquelle, au moment des manifestations, la GRC ne disposait pas d'une politique fournissant des directives claires quant à la collecte, à l'utilisation et à la conservation de renseignements personnels obtenus à partir des médias sociaux ou d'autres sources ouvertes. Elle a ajouté que, depuis, la GRC avait adopté le chapitre 26.5. de son Manuel des opérations national, intitulé (en date de 2019) « Utilisation d'Internet pour l'acquisition de renseignements de sources ouvertes (RSO) et la conduite d'enquêtes criminelles ». La politique met l'accent sur le fait que l'attente raisonnable du public en matière de vie privée est primordiale. De plus, toutes les activités de collecte de renseignements de sources ouvertes doivent être directement liées au mandat du programme opérationnel et aux activités officielles d'application de la loi.

[81] La commissaire de la GRC a écrit qu'elle était convaincue que la Loi sur la protection des renseignements personnels, le chapitre 26.5. du Manuel des opérations et les politiques de la GRC sur la gestion de l'information fournissaient une orientation suffisante sur la collecte, l'utilisation et la conservation des renseignements personnels obtenus sur les médias sociaux. La commissaire de la GRC a également écrit qu'elle était convaincue que la collecte, l'utilisation et la conservation des renseignements de sources ouvertes par la GRC se faisaient en conformité avec l'état actuel du droit en ce qui concerne la protection des renseignements personnels.

[82] À la lumière de cette conclusion, la commissaire de la GRC n'a pas appuyé la recommandation provisoire no 1. Elle a mentionné que, quand on ne sait pas si les activités liées aux renseignements de sources ouvertes pourraient être contraires à la politique ou enfreindre la loi, la politique ordonne aux spécialistes de consulter le chef de service ou certaines autres autorités et/ou les Services juridiques de la GRC afin d'obtenir des conseils. Tous les membres qui effectuent des activités de collecte de renseignements sont aussi tenus de suivre une formation qui varie selon le niveau de spécialisation. De plus, la commissaire a écrit que la GRC était en train de créer un environnement SharepointNote de bas de page 15 réservé aux spécialistes de niveau 2 et de niveau 3 afin de s'assurer qu'ils sont tenus au courant des derniers changements dans les lois et les techniques relatives à la collecte, à l'utilisation et à la conservation des renseignements de sources ouvertes. En outre, la GRC élabore actuellement un cours abordant l'utilisation acceptable des renseignements de sources ouvertes qui sera accessible à tous les employés par l'entremise de l'intranet de la GRC. L'objectif de ce cours est de fournir aux employés une compréhension des lois, des politiques et des facteurs relatifs à la vie privée en matière d'utilisation de renseignements de sources ouvertes.

[83] La commissaire de la GRC n'a pas non plus appuyé les recommandations provisoires nos 2 et 3. La commissaire de la GRC a déclaré que la police a le devoir de prévenir la criminalité et de maintenir la paix, mais qu'elle a également un devoir général de protéger la vie et les biens. Pendant les manifestations publiques, la GRC utilisera le renseignement tactique pour obtenir de l'information sur les groupes en cause et établir s'il y aura un risque pour les participants, les passants et la police. Selon la commissaire de la GRC, la police doit avoir accès aux renseignements sur les participants même dans des situations où il n'y a aucune raison de croire que les participants ont déjà été impliqués dans des activités criminelles. Même si les renseignements recueillis ne semblent pas être liés à des activités criminelles, il peut être nécessaire de « créer une base de référence » pour les activités d'un groupe de manifestants.

[84] La commissaire de la GRC a déclaré que les commandants s'appuyaient sur les résultats de la collecte de renseignements pour prendre des décisions éclairées sur le risque global posé par un groupe particulier afin d'élaborer un plan et une intervention appropriés lors des manifestations. Selon la commissaire de la GRC, « [i]l est donc justifié que les renseignements au sujet des manifestants figurent dans le dossier opérationnel, même si certaines de ces personnes ne sont pas associées à des activités criminelles ». La commissaire a mentionné que cette situation n'était en rien différente de celle des renseignements obtenus au cours d'une enquête et conservés dans le dossier d'enquête, malgré l'absence de lien criminel. Les renseignements « font partie des résultats de l'enquête » et soutiennent les mesures et les décisions prises.

[85] La commissaire de la GRC a en outre déclaré que, une fois qu'un rapport de renseignement contenant des renseignements personnels et/ou des renseignements de sources ouvertes a été créé, il devient une ressource documentaire à valeur opérationnelle et, selon les politiques de la GRC, ce rapport doit être intégré ou lié au dossier opérationnel. La commissaire a ajouté que les employés de la GRC étaient tenus de s'assurer que tous les renseignements à valeur opérationnelle étaient intégrés au programme de gestion des dossiers de la GRC. Tous les rapports contenant des renseignements de sources ouvertes sont inclus en tant que documents à l'appui. Ils ont la même période de conservation que le dossier d'événement.

[86] De plus, la commissaire de la GRC a écrit que, conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels, la collecte de renseignements personnels doit être directement liée à un dossier ou programme opérationnel particulier. Par conséquent, tous les renseignements personnels recueillis à partir des publications sur les médias sociaux sont conservés dans le dossier opérationnel connexe, « comme tout autre élément d'information recueilli lors d'une enquête ». La période de conservation de ces renseignements personnels est déterminée en fonction de la période de conservation du dossier connexe, conformément aux politiques de la GRC sur la gestion de l'information.

Analyse de la Commission concernant la réponse de la GRC

[87] L'analyse et les recommandations de la Commission à ce sujet ont d'abord été présentées dans le contexte du rapport à la suite d'une enquête d'intérêt public concernant des allégations selon lesquelles la GRC aurait surveillé de manière abusive des personnes et des groupes cherchant à participer aux audiences de l'Office national de l'énergie et divulgué des renseignements à leur sujet (Report Following a Public Interest Investigation Regarding Allegations that the RCMP Improperly Monitored and Disclosed Information of Persons and Groups Seeking to Participate in National Energy Board HearingsNote de bas de page 16). Ce rapport traitait de la surveillance par la GRC de personnes participant généralement à des activités licites de défense d'une cause, de protestation ou de manifestation d'un désaccord au sujet de questions liées aux infrastructures essentielles (touchant le mandat de la GRC en matière de sécurité nationale) qui n'avaient finalement aucun lien avec la criminalité ou la sécurité nationale. Il convient de souligner que le mandat de la GRC en matière de sécurité nationale exclut expressément les activités licites de défense d'une cause, de protestation ou de manifestation d'un désaccord, sauf lorsque ces activités sont associées à un acte défini comme une menace à la sécurité du Canada aux termes de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Les renseignements personnels des Canadiens qui se livrent à de telles activités licites sont donc exclus des opérations de sécurité nationale de la GRC.

[88] Comme l'indique le rapport sur l'EIP concernant l'Office national de l'énergie, la Commission a des préoccupations constantes relativement à la collecte, à l'utilisation et à la conservation de ces renseignements au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Certaines de ces préoccupations ont été réitérées dans le rapport intérimaire sur l'EIP concernant le comté de Kent, à la lumière des pratiques de collecte de renseignements observées dans ce cas. La réponse de la commissaire de la GRC ne réussit pas à atténuer les préoccupations de la Commission.

[89] L'analyse et les recommandations de la Commission tirées du rapport sur l'EIP concernant l'Office national de l'énergie ont été adoptées dans le cadre de la présente plainte, qui portait sur une situation plus conflictuelle et tendue impliquant des injonctions, une désobéissance civile et certains actes de violence. L'objectif de la recommandation provisoire no 1 dans la présente affaire était de répondre aux préoccupations de la Commission au sujet de la collecte, par la GRC, de renseignements sur les personnes qui ont cherché à participer à des manifestations liées à des causes environnementales ou qui l'ont fait par le passé. Bon nombre de ces personnes ne menaient pas d'activités criminelles ou n'avaient pas d'intention criminelle. La Commission s'inquiétait de la conservation à long terme de ces renseignements et croyait qu'il fallait des lignes directrices claires sur la collecte, l'utilisation et la conservation des renseignements personnels obtenus de sources ouvertes.

[90] La Commission reconnaît que la GRC a depuis adopté le chapitre 26.5. du Manuel des opérations. La Commission reconnaît également que la Loi sur la protection des renseignements personnelsNote de bas de page 17 et les politiques de gestion de l'information de la GRC fournissent des lignes directrices de base. De plus, la Commission tient compte des documents et des ressources de formation que la GRC est en train d'élaborer. Enfin, la Commission tient compte de la vérification de l'information de sources ouvertes de la GRC, qui, selon la commissaire, sera présentée « dans un proche avenir » devant le Comité ministériel de vérification. La Commission a hâte d'examiner les résultats de cette vérification.

[91] Les mesures décrites par la commissaire de la GRC répondent à bon nombre des objectifs que visait la Commission en formulant la recommandation provisoire no 1. Toutefois, la Commission demeure préoccupée par le fait que la politique de la GRC est vague. Une politique efficace devrait fournir des lignes directrices claires au personnel et mettre l'accent sur les éléments importants des sujets abordés. Bien entendu, aucune politique ne peut traiter de toutes les situations, et les politiques ne fonctionnent pas en vase clos, mais d'autres politiques de la GRC font des renvois aux lois pertinentes et aux normes ou procédures attendues. La Commission ne voit aucune raison pour laquelle cette politique n'inclurait pas des renvois semblables. La protection des renseignements personnels et la liberté d'expression sont essentielles pour les Canadiens, et les politiques vagues donnent une mauvaise orientation.

[92] À titre d'exemple de situation où une orientation stratégique serait appropriée, les mouvements de protestation actuels très médiatisés, qui vont de la lutte contre l'exploitation pétrolière à la réforme de la police, en passant par la lutte contre le racisme, méritent d'être examinés. Ces mouvements, liés à de nombreuses manifestations, font intervenir les obligations de la GRC en vertu de la loi et de la common law, qui consistent à maintenir la paix, à prévenir la criminalité, à protéger la vie et les biens et à appliquer la loi. Par conséquent, la Loi sur la protection des renseignements personnels permettrait sans doute à la GRC de surveiller les publications sur les médias sociaux de toutes les personnes qui sont préoccupées par ces causes et qui indiquent sur les médias sociaux qu'elles appuient une manifestation donnée ou prévoient y participer, peu importe l'ampleur de l'événement. La GRC serait également sans doute autorisée à créer des dossiers sur toutes ces personnes même si un événement réunissait des centaines ou des milliers de partisans et de participants. Bien que cette information touche l'« ensemble de renseignements biographiques » d'une personne, en vertu des politiques actuelles de la GRC, les décisions et les ressources de la GRC constitueraient les seules limites claires à la collecte de renseignements « de sources ouvertes » dans ce contexte. La politique de la GRC devrait établir des paramètres liés au renseignement et à l'application de la loi clairement définis et raisonnablement limités en ce qui concerne la collecte de tels renseignements.

[93] À la lumière des renseignements fournis au sujet de la politique actuelle de la GRC, la Commission réitère sa recommandation no 1 et a décidé de la modifier pour en préciser davantage l'intention.

Recommandation finale de la Commission no 1

Que, outre la Loi sur la protection des renseignements personnels, la politique en vigueur et la formation offerte, la GRC fournisse des lignes directrices claires établissant des paramètres liés au renseignement et à l'application de la loi clairement définis et raisonnablement limités en ce qui concerne la collecte de renseignements personnels de sources ouvertes, comme les sites de médias sociaux; les utilisations qui peuvent être faites de ces renseignements; et les mesures qui devraient être prises pour garantir leur fiabilité.

[94] En ce qui concerne les recommandations provisoires nos 2 et 3, la Commission reconnaît que la police a un besoin légitime de recueillir des renseignements utiles sur les événements publics comme les manifestations. La Commission a déjà conclu qu'il était raisonnable d'utiliser des « sources ouvertes » comme les médias sociaux pour recueillir des renseignements et planifier des interventions appropriées. Néanmoins, la position de la GRC sur la conservation systématique à long terme de renseignements personnels sur les activités licites de manifestation d'un désaccord, recueillis auprès de sources comme les médias sociaux, est préoccupante. Cela soulève au moins la possibilité d'un effet dissuasif sur la participation du public aux activités licites de manifestation d'un désaccord et aux discussions en ligne, particulièrement par l'entremise des médias sociaux.

[95] Dans le rapport sur l'EIP concernant l'Office national de l'énergie, la Commission a fait part de ses préoccupations à l'égard de la conservation de renseignements sur des gens qui n'étaient soupçonnés d'aucune activité criminelle, mais qui avaient été identifiés comme des organisateurs d'une manifestation à venir ou d'un autre événement public ou des participants à une telle activité. Bien que la Commission n'ait pas été prête à conclure, dans le rapport sur l'EIP concernant l'Office national de l'énergie, que les contrôles effectués étaient déraisonnables, ces contrôles semblent avoir eu une valeur limitée, et l'utilisation et la conservation des renseignements personnels obtenus au sujet de ces personnes sont problématiques et potentiellement déraisonnables en l'absence d'un lien avec des activités criminelles.

[96] D'après la réponse fournie, la commissaire de la GRC semble avoir compris que, selon la recommandation de la Commission, la GRC devait détruire tous les renseignements personnels dès qu'il est établi qu'il n'y a pas de lien avec des activités criminelles. Comme le montre clairement l'analyse tirée du rapport sur l'EIP concernant l'Office national de l'énergie, ce n'est pas ce que la Commission recommande. La Commission a reconnu dans le rapport sur l'EIP concernant l'Office national de l'énergie qu'il pourrait être utile et approprié d'obtenir des renseignements personnels pendant les événements publics et de s'y reporter. La Commission a également déclaré, dans la recommandation qu'elle a formulée dans son rapport sur l'EIP concernant l'Office national de l'énergie, que la politique de la GRC devrait exiger que les renseignements personnels [traduction] « soient détruits dès que possible et conformément à la loi applicable une fois qu'il est établi qu'il n'y a pas de lien avec des activités criminelles ou que les renseignements ne sont plus nécessaires aux fins pour lesquelles ils ont été recueillis ». Par souci de clarté, la Commission ajoutera ce point à la recommandation no 3 dans la présente affaire.

[97] La Commission rejette l'argument de la commissaire de la GRC selon lequel il [traduction] « pourrait être illégal » d'exiger la suppression des renseignements personnels obtenus à partir des médias sociaux. La commissaire a invoqué la Loi sur la protection des renseignements personnels pour appuyer cet argument. Le paragraphe 6(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit que les renseignements personnels doivent être conservés pendant au moins deux ansNote de bas de page 18 lorsqu'ils ont été utilisés à des « fins administratives ». La Loi sur la protection des renseignements personnels définit l'expression « fins administratives » comme la « destination de l'usage de renseignements personnels concernant un individu dans le cadre d'une décision le touchant directement ». Cela donne à la personne concernée un délai raisonnable pour avoir accès à ces renseignements.

[98] La Commission doute que l'utilisation de renseignements personnels en vue de générer des produits du renseignement puisse être considérée comme une fin administrative au sens du paragraphe 6(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. En réalité, la personne visée par l'évaluation du renseignement ne saura presque jamais que des évaluations ont été faites relativement à ses renseignements personnels et ne sera donc pas en mesure de présenter une demande à cet égard au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels. De plus, il faut tenir compte de l'objet général de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans cette analyse. Cette loi a été adoptée pour protéger le droit à la vie privée des personnes et leur permettre d'avoir accès aux renseignements personnels que les organismes gouvernementaux recueillent à leur sujet et de contester leur exactitude. Bien entendu, la Loi sur la protection des renseignements personnels n'exige pas nécessairement la connaissance ou le consentement de la personne dont les renseignements personnels sont recueillisNote de bas de page 19, et une personne n'a pas toujours un droit d'accès dans le cadre d'enquêtes menées par des organismes d'application de la loiNote de bas de page 20. Néanmoins, il semble contraire à l'objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels d'invoquer cette même loi pour justifier la conservation dissimulée de renseignements recueillis, alors que les personnes que la loi est censée protéger ne sont même pas au courant.

[99] La pratique des organismes de renseignement consistant à recueillir des renseignements personnels à partir des publications sur les médias sociaux n'est pas analogue à l'obtention d'information au moyen d'enquêtes. Il est vrai que, par exemple, dans une situation où une personne est témoin d'un incident, ses renseignements personnels comme son nom, sa date de naissance et son adresse peuvent être inclus dans un dossier opérationnel. Dans bien des cas, cependant, la personne collabore volontairement avec la police et comprend probablement que ses renseignements sont enregistrés à une fin particulière. Même lorsque la police obtient des renseignements personnels avant qu'un témoin ne décide de coopérer, ou lorsque le témoin refuse de coopérer, les renseignements ont un lien direct avec le dossier d'événement et il est raisonnable qu'ils soient conservés pendant la période pertinente, notamment pour remplir les obligations liées à leur communication dans le cadre d'un processus judiciaire. Les renseignements personnels d'une personne peuvent également être fournis à la police par un tiers au cours d'une enquête et, le cas échéant, consignés dans un dossier opérationnel. Dans tous ces cas, même si les personnes en question ne sont peut-être pas soupçonnées d'avoir commis des actes répréhensibles, il existe un lien clair et direct avec un objectif identifiable de collecte et de conservation de renseignements.

[100] Dans le cas de la collecte de renseignements de sources ouvertes, toutefois, la police peut établir le profil des personnes aux fins du renseignement sans même soupçonner que les personnes ciblées ont l'intention de se livrer à des activités criminelles ou qu'elles possèdent des renseignements pertinents sur une infraction potentielle. Ces personnes ne sont visées par la police que parce qu'elles ont volontairement annoncé leur intention de participer à des activités licites de manifestation d'un désaccord, c'est-à-dire que, en exerçant leurs droits à la liberté d'expression et à la liberté d'association, ces personnes peuvent se faire prendre dans un filet très large. La collecte de ce type d'information comporte le risque évident que des personnes soient ciblées en fonction de leurs convictions politiques ou de leurs croyances à l'égard de certaines causes, sans avoir de lien clair avec un objectif immédiat identifiable (contrairement à une enquête).

[101] Bien que les Canadiens aient des attentes considérablement réduites en matière de protection des renseignements personnels sur les médias sociaux, ils n'ont pas abandonné complètement leurs intérêts à cet égard. Ainsi, lorsque la GRC obtient des renseignements personnels sur des événements publics, comme des manifestations, qui n'ont aucun lien avec des activités criminelles ou des menaces à la sécurité nationale, ces renseignements ne doivent pas être conservés plus longtemps qu'il n'est strictement nécessaire aux fins du renseignement pour lesquelles ils ont été recueillis. La Commission reconnaît qu'une telle fin peut comprendre une indication de la possibilité qu'un événement donné soit perturbateur ou présente un risque de dommages matériels ou de préjudice personnel.

[102] Selon la réponse fournie relativement à la recommandation de la Commission, il est clair que la GRC a fait le choix stratégique d'inclure et d'archiver sans discernement des renseignements personnels sur des personnes participant à des activités licites de manifestation d'un désaccord, y compris en conservant des copies des publications sur les médias sociaux comme documents à l'appui. La GRC décide de son propre chef que tous ces renseignements constituent des dossiers « à valeur opérationnelle ». La Commission estime que la GRC a ratissé trop large et que des limites plus claires doivent être établies quant aux renseignements conservés.

[103] Pour ces raisons, la Commission a décidé de réitérer la recommandation no 2 et d'y ajouter une recommandation selon laquelle la GRC devrait traiter les renseignements personnels obtenus à partir de sources ouvertes comme une catégorie distincte d'information. Une telle catégorie comprendrait les « documents à l'appui », comme les saisies d'écran des sites de médias sociaux. Lorsque les renseignements personnels en question n'ont aucun lien avec des activités criminelles ou la sécurité nationale, ils ne doivent pas être conservés plus longtemps qu'il n'est nécessaire aux fins du renseignement ou de l'événement pour lesquelles ils ont été recueillis. La Commission suggère une période générale de conservation de six mois pour ces renseignements personnels. Cette période pourrait être prolongée si l'objet initial du renseignement se poursuivait, mais la GRC ne devrait pas traiter ces renseignements comme un autre dossier « à valeur opérationnelle ». Bien entendu, lorsque les renseignements personnels ont un lien avec des activités criminelles ou la sécurité nationale, il pourrait être approprié de les traiter comme un dossier « à valeur opérationnelle » à inclure dans le dossier opérationnel.

[104] La Commission ajoute la recommandation selon laquelle, dans la mesure du possible, la GRC devrait anonymiser toute information comprise dans une évaluation du renseignement ou tout autre produit généré à partir de renseignements personnels de sources ouvertes qu'elle croit raisonnablement nécessaire pour comprendre un groupe ou un mouvement, mais qui n'a aucun lien avec des activités criminelles (ou le mandat de la GRC en matière de sécurité nationale). Des renseignements anonymisés pourraient être inclus dans un dossier opérationnel, au besoin, pour fournir un contexte ou appuyer une évaluation.

[105] De plus, la Commission enverra au commissaire à la protection de la vie privée une copie de son rapport intérimaire sur l'EIP, de la réponse de la commissaire et du présent rapport final afin qu'il puisse prendre les mesures qu'il juge appropriées.

Recommandation finale de la Commission no 2

Que la politique de la GRC traite les renseignements personnels et les documents à l'appui obtenus à partir de sources de médias sociaux contenant des renseignements personnels (p. ex. saisies d'écran des sites de médias sociaux) comme une catégorie distincte de dossier. Ces dossiers ne doivent pas être conservés plus longtemps qu'il n'est nécessaire aux fins du renseignement ou de l'événement pour lesquelles ils ont été recueillis une fois qu'il est établi qu'il n'y a pas de lien avec des activités criminelles ou la sécurité nationale.

De plus, en ce qui concerne la conservation d'une évaluation du renseignement ou de tout autre produit généré à partir de sources ouvertes, la politique de la GRC devrait exiger l'anonymisation ou la destruction de tous les renseignements personnels contenus dans l'évaluation lorsqu'il n'y a pas de lien avec des activités criminelles ou le mandat de la GRC en matière de sécurité nationale (comme des renseignements personnels liés à des activités licites de manifestation d'un désaccord).

Recommandation finale de la Commission no 3

Que la GRC élabore des politiques prévoyant que les renseignements personnels obtenus relativement à des événements publics comme des manifestations soient détruits dès que possible et conformément aux lois applicables une fois qu'il est établi qu'il n'y a pas de lien avec des activités criminelles ou que les renseignements ne sont plus nécessaires aux fins pour lesquelles ils ont été recueillis.

Liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique

[106] Plusieurs incidents ou pratiques ont restreint à divers degrés les droits des manifestants à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique. En raison d'une mauvaise interprétation apparente d'une injonction, datée du 22 novembre 2013, des membres de la GRC ont procédé à plusieurs arrestations de manifestants sans avoir de motifs raisonnables, d'un point de vue objectif, de croire qu'ils avaient commis une infraction. La Commission a recommandé que la GRC fournisse aux membres intervenant dans le maintien de l'ordre lors de manifestations des interprétations détaillées et exactes des conditions de toute injonction qu'ils doivent appliquer, en obtenant des conseils juridiques, au besoin.

[107] La Commission a souligné que la police ne pouvait établir des « zones tampons » que conformément aux paramètres exposés en détail par les tribunaux. Tout ce qui est en dehors de ces limites est interdit. La Commission a également souligné que, en particulier dans le cadre du maintien de l'ordre lors d'une manifestation publique, les membres de la GRC devaient être conscients des limites de leurs pouvoirs, surtout pour ce qui est de limiter la capacité des manifestants de se réunir et de s'exprimer de manière légale.

[108] Par conséquent, les décisions de restreindre l'accès aux voies publiques ou à d'autres sites publics ne doivent être prises qu'avec des justifications particulières et objectivement raisonnables en ce sens et elles doivent être prises de façon à porter atteinte le moins possible aux droits des personnes; par exemple, il convient d'imposer une zone tampon aussi restreinte que possible et une exclusion aussi courte que possible.

Conclusion provisoire de la Commission no 11

Selon la prépondérance des probabilités, la Commission conclut que des membres de la GRC ont procédé à plusieurs arrestations de manifestants sans avoir de motifs raisonnables, d'un point de vue objectif, de croire qu'ils avaient commis une infraction. Ces arrestations étaient apparemment fondées sur une mauvaise interprétation des conditions de l'injonction.

Conclusion provisoire de la Commission no 12

Étant donné le manque d'information détaillée dans les allégations, la Commission ne disposait pas de renseignements suffisants pour conclure, de manière générale, que les fermetures de routes et le détournement de la circulation pendant les manifestations contre le gaz de schiste étaient déraisonnables. De même, les renseignements étaient insuffisants pour étayer l'allégation selon laquelle les médias s'étaient vu déraisonnablement refuser l'accès aux sites des manifestations.

Conclusion provisoire de la Commission no 13

Dans son rapport sur la plainte de la manifestante F, la Commission a estimé, selon la prépondérance des probabilités, que la décision de restreindre l'accès de la plaignante au site des manifestations afin d'empêcher la criminalité et d'assurer la sécurité publique n'était pas déraisonnable dans ces circonstances.

Recommandation provisoire de la Commission no 5

Que la GRC fournisse aux membres intervenant dans le maintien de l'ordre lors de manifestations publiques ou le maintien de l'ordre public des interprétations détaillées et exactes des conditions de toute injonction ou des dispositions juridiques particulières qu'ils doivent appliquer, en obtenant des conseils juridiques, au besoin.

Recommandation provisoire de la Commission no 6

Que les décisions de restreindre l'accès aux voies publiques ou à d'autres sites publics ne doivent être prises qu'avec des justifications particulières et objectivement raisonnables en ce sens, et, si elles sont permises par la loi, elles doivent être prises de façon à porter atteinte le moins possible aux droits des personnes; par exemple, il convient d'imposer une zone tampon aussi restreinte que possible et une exclusion aussi courte que possible.

Recommandation provisoire de la Commission no 7

Que, en particulier dans le cadre du maintien de l'ordre lors d'une manifestation publique, les membres doivent être conscients des limites de leurs pouvoirs, surtout pour ce qui est de limiter la capacité des manifestants de se réunir et de s'exprimer de manière légale.

Réponse de la commissaire de la GRC

[109] La commissaire de la GRC n'a pas souscrit à la conclusion provisoire no 11. Elle a déclaré qu'il n'y avait aucune preuve à l'appui de la conclusion selon laquelle des arrestations avaient été faites en raison d'une mauvaise interprétation de l'injonction du 22 novembre 2013. Plus précisément, elle a affirmé que les vidéos mentionnées dans le rapport intérimaire sur l'EIP de la Commission ne montraient aucune personne arrêtée illégalement et ne démontraient pas clairement un manque de compréhension des dispositions de l'injonction. La commissaire de la GRC a ajouté que les notes des membres de la GRC énonçaient les motifs des deux arrestations décrites dans le rapport intérimaire sur l'EIP de la Commission, mais elle a souligné qu'il y avait un « décalage » entre ces notes et ce qui a été présenté au procureur de la Couronne. La commissaire de la GRC a de plus déclaré que le fait que la Couronne ait refusé d'approuver les accusations n'était pas important en ce qui concerne les motifs des arrestations.

[110] Bien qu'elle n'ait pas appuyé la conclusion provisoire no 11, la commissaire de la GRC a néanmoins souscrit à la recommandation connexe, soit la recommandation provisoire no 5. La commissaire a mentionné que le commandant des interventions ou le commandant des interventions critiques devrait être chargé de diffuser auprès des membres de la GRC participant au maintien de l'ordre lors des manifestations publiques les renseignements exacts concernant l'exécution de toute injonction. À cette fin, elle a déclaré qu'elle demandera que le chapitre 55.2. du Manuel des opérations national, « Manifestations ou protestations autochtones », ainsi que toute autre politique de la GRC exigeant que les membres exécutent des injonctions, comme le chapitre 37.7., « Conflits de travail », soient modifiés de manière à prévoir que le commandant des interventions et/ou le commandant des interventions critiques s'assurent que les membres sous leur commandement sont informés des conditions et des interprétations de toute injonction qu'ils devraient exécuter et qu'on leur communique toutes les subtilités et les renseignements généraux uniques concernant la manifestation ou l'événement public particulier.

[111] La commissaire de la GRC a également informé la Commission que la GRC cherche actuellement à assurer une surveillance nationale des employés de la GRC intervenant dans des activités de manifestation ou d'ordre public en général en élaborant une politique sur les rassemblements publics qui s'appliquera à toutes les manifestations et non seulement celles concernant expressément les questions autochtones. Par conséquent, elle ordonnera en outre qu'une section semblable à celle mentionnée ci-dessus soit incluse dans la nouvelle politique sur les rassemblements publics.

[112] La commissaire de la GRC a souscrit partiellement à la conclusion provisoire no 12. Elle a déclaré que, à son avis, on trouvait suffisamment d'information dans les documents pertinents pour étayer, selon la prépondérance des probabilités, une conclusion selon laquelle les cas de détournement de la circulation ou de fermeture de routes étaient brefs, nécessaires et adaptés aux circonstances et donc raisonnables. Elle a ajouté que les éléments de preuve laissaient entendre que les médias avaient un « accès sans entrave aux sites des manifestations ».

[113] La commissaire de la GRC a souscrit à la conclusion provisoire no 13.

[114] En ce qui concerne les recommandations provisoires nos 6 et 7, la commissaire de la GRC a affirmé qu'elle les appuyait, mais qu'elle ne demanderait pas que des mesures soient prises pour les mettre en œuvre, car elle est convaincue que les activités de la GRC à cet égard sont déjà conformes à la teneur de la recommandation.

Analyse de la Commission concernant la réponse de la GRC

[115] À la suite des déclarations faites dans la réponse de la commissaire de la GRC, la Commission a entrepris un autre examen des vidéos mentionnées dans la présente section du rapport (concernant les arrestations effectuées en vertu de l'injonction du 22 novembre 2013).

[116] La vidéo 6315 montre un cordon de membres de la GRC qui demandent aux manifestants se tenant sur le bord de la route de reculer. C'était apparemment peu de temps après l'arrestation d'autres manifestants; ces arrestations n'ont pas été enregistrées. Les manifestants demandent à plusieurs reprises au membre de la GRC responsable pourquoi ils doivent se déplacer, étant donné qu'ils sont à plus de 20 mètres des véhicules. Aucun véhicule ni équipement n'est vu sur la vidéo. Le membre de la GRC ne répond pas directement à ces questions, mais il répète souvent que les manifestations doivent respecter la loi et être pacifiques. À un moment donné, le membre dit qu'il n'est pas avocat et qu'il ne va pas débattre de la question. Il dit aussi aux manifestants que, à mesure que les véhicules se rapprocheront, ils devront se déplacer plus loin sur la route. Le membre de la GRC est calme et tente de désamorcer la situation; les manifestants se conforment aux directives à mesure qu'avance le cordon de policiers.

[117] Dans la vidéo 7451, un manifestant demande à un membre de la GRC : [traduction] « Comment puis-je me rendre à 20 mètres à côté d'eux [les camions vibrosismiques] si vous ne nous laissez pas passer? Nous devons voler ou quoi? » La conversation se poursuit et le membre de la GRC affirme que, si les manifestants étaient restés là où ils se trouvaient, ils se seraient trouvés à moins de 20 mètres des véhicules lorsque ceux-ci ont commencé à se déplacer, alors la police a empêché les manifestants de violer l'injonction.

[118] Bien que ces vidéos (6315 et 7451) tendent à indiquer que les manifestants ont été déplacés alors qu'ils ne se trouvaient pas à une distance interdite par rapport aux véhicules, elles peuvent aussi laisser entendre que la police a demandé aux manifestants de se déplacer vu qu'ils allaient enfreindre l'injonction à mesure que les véhicules avanceraient.

[119] Dans la vidéo 7364, un membre de la GRC dit à un autre agent qu'un manifestant veut être arrêté. Le membre de la GRC dit calmement au manifestant qu'il doit se déplacer parce qu'il se trouve à moins de 250 mètres des véhicules et qu'il contrevient à l'injonction. Le manifestant répond qu'il ne va pas bouger et il est arrêté. Dans son rapport intérimaire sur l'EIP, la Commission a déclaré que ce manifestant avait été arrêté parce qu'il se trouvait à moins de 20 mètres des véhicules. À la suite de l'examen de la vidéo, il est clair que ce n'était pas exact et que le manifestant a été arrêté parce qu'il se trouvait à moins de 250 mètres des véhicules.

[120] Dans la vidéo 6397, des manifestants questionnent un membre de la GRC au sujet des conditions de l'injonction. Le membre déclare : [traduction] « Pour autant que je sache, c'est 20 mètres sur le côté des véhicules, 250 [mètres] devant. » Il ajoute qu'il ne va pas se prononcer sur les questions sous-jacentes de la manifestation et qu'il sait que les manifestants avec lesquels il parle sont de bonnes personnes; le membre de la GRC répète que tout ce qu'il peut dire, ce sont les détails de l'injonction.

[121] Dans son rapport intérimaire sur l'EIP, la Commission a décrit deux arrestations effectuées en vertu de l'injonction du 22 novembre 2013, qui ont été considérées comme représentatives des autres arrestations ayant eu lieu. Dans ces cas, le procureur de la Couronne avait indiqué que les arrestations n'étaient pas légales. Il a dit que l'arrestation du manifestant Z était [traduction] « illégale » et que cette arrestation présentait les [traduction] « mêmes problèmes » que l'arrestation du manifestant Y. Le manifestant Z a été arrêté parce qu'il se trouvait à moins de 20 mètres de l'équipement, mais cet acte n'était pas contraire aux conditions de l'injonction. La fiche de renseignements à l'usage du procureur, préparée par un membre de la GRC et présentée à la Couronne, indiquait à tort que les gens ne pouvaient pas se trouver à moins de 250 mètres à l'avant ou à l'arrière de l'équipement (l'injonction faisait en fait allusion aux véhicules).

[122] De même, en ce qui concerne l'arrestation du manifestant Y, la fiche de renseignements à l'usage du procureur indiquait que le manifestant Y se trouvait à moins de 20 mètres [traduction] « des employés ou de l'équipement », ce qui ne constitue pas nécessairement une violation de l'injonction. Le document indiquait également que le manifestant avait été [traduction] « vu par ????????? [sic] ». Le procureur de la Couronne a analysé la situation et a conclu qu'aucune des conditions de l'injonction n'avait été violée. Il a également souligné que, pour obtenir une condamnation, il devrait prouver que les manifestants avaient connaissance de l'ordre, ce qui signifie qu'ils en connaissaient le contenu précis. Il n'y avait pas non plus suffisamment d'éléments de preuve selon lesquels les manifestants causaient une nuisance, car ils se trouvaient seulement [traduction] « à la limite des arbres sur le côté de la route et faisaient des gestes à l'intention des policiers ». Le procureur de la Couronne a déclaré que le motif de l'arrestation du manifestant Y ne tenait pas. Les renseignements au dossier montrent que cinq personnes au total ont été arrêtées à ce moment-là.

[123] Dans son rapport intérimaire sur l'EIP, la Commission a souligné que les normes pour engager une poursuite et obtenir une condamnation étaient différentes de celles qui s'appliquaient à une arrestation légale. Néanmoins, les opinions de la Couronne au sujet des arrestations et les fiches de renseignements à l'usage du procureur étaient convaincantes et donnaient à penser que plusieurs arrestations « illégales » avaient été effectuées, apparemment en raison d'une mauvaise interprétation de l'injonction.

[124] Toutefois, dans sa réponse, la commissaire de la GRC a attiré l'attention de la Commission sur les notes des gendarmes Marco Johnson et Frédéric Langlois. Les notes du gendarme Langlois indiquent effectivement que les quatre ou cinq personnes ont été observées « à moins de 250 mètres des camions ». Les notes du gendarme Johnson semblent indiquer ce qui suit au sujet du manifestant Y : [traduction] « Informé de l'infraction, [le manifestant Y] ne pensait pas qu'il se trouvait à moins de 20 mètres ou de 250 mètres des camions. Informé qu'il se trouvait à moins de 250 [mots illisibles]. »

[125] Il semble que le membre de la GRC qui a rempli les fiches de renseignements à l'usage du procureur (mais qui n'a pas effectué les arrestations lui-même) a peut-être commis une erreur en décrivant les conditions de l'injonction et les motifs des arrestations. Il n'est pas clair si le procureur de la Couronne était en possession des notes des membres qui ont procédé aux arrestations ou si les notes ont été prises en compte dans son analyse, mais le fait qu'il a conclu que les arrestations étaient illégales sur la base des fiches de renseignements à l'usage du procureur soulève des doutes quant à savoir si les notes lui ont été remises. On ne sait pas non plus si la GRC a tenté de clarifier cette question auprès du procureur de la Couronne après qu'il a pris sa décision.

[126] En raison du volumineux dossier documentaire lié à l'affaire, la Commission n'avait pas initialement tenu compte des notes des membres de la GRC qui avaient procédé à l'arrestation. Dans les circonstances, la Commission avait présumé que les procédures appropriées avaient été suivies et que tous les documents et renseignements pertinents avaient été fournis au procureur de la Couronne, de sorte que son opinion selon laquelle les arrestations étaient illégales tenait compte de tous les renseignements pertinents. À la lumière des renseignements dont dispose maintenant la Commission à propos des notes, la Commission conclut qu'il est possible que les arrestations aient été raisonnables, mais les erreurs commises par le membre de la GRC dans les documents présentés à la Couronne ont contribué au fait que les accusations n'ont pas été approuvées et que les arrestations ont été jugées illégales.

[127] Ce qui ressort clairement de l'examen des vidéos et de la preuve documentaire, c'est qu'il y a eu confusion entre certains manifestants et certains membres de la GRC quant aux conditions de l'injonction datée du 22 novembre 2013, plus précisément en ce qui concerne la distance à laquelle les gens étaient autorisés à se tenir par rapport aux véhicules et à l'équipement. Bien que les manifestants, à l'instar de tous les citoyens, doivent s'informer des lois qui régissent leurs actes, les policiers qui appliquent les lois doivent également en être pleinement informés et les communiquer au public de la façon la plus claire possible. Cela est particulièrement pertinent en ce qui concerne les injonctions et l'infraction relative au non-respect d'une ordonnance du tribunal, qui exige une preuve d'intention de contrevenir à l'ordonnance.

[128] Par conséquent, la Commission a décidé de modifier sa conclusion no 11 pour tenir compte du fait que les arrestations n'étaient peut-être pas illégales, mais ses préoccupations demeurent quant à la confusion entourant les conditions de l'injonction et à la possibilité d'une mauvaise compréhension de celles-ci.

Conclusion finale de la Commission no 11

Il y a eu confusion entre certains manifestants et certains membres de la GRC quant aux conditions de l'injonction datée du 22 novembre 2013. Il n'y a pas suffisamment de renseignements pour conclure que, selon la prépondérance des probabilités, les arrestations effectuées en vertu de cette injonction étaient illégales ou déraisonnables. Bien que les manifestants, à l'instar de tous les citoyens, doivent s'informer des lois qui régissent leurs actes, les policiers qui appliquent les lois doivent également en être pleinement informés et les communiquer au public de la façon la plus claire possible.

[129] Pour ce qui est de la conclusion provisoire no 12, la Commission soutient qu'elle ne peut pas conclure que les fermetures de routes et le détournement de la circulation étaient déraisonnables. Les allégations étaient trop générales pour que la Commission puisse tirer des conclusions précises à cette fin, à l'exception de la conclusion et de l'analyse juridique approfondie concernant la situation particulière de la manifestante F (conclusion provisoire no 13).

[130] Par conséquent, la Commission réitère la conclusion provisoire no 12. La Commission souligne que, bien que la commissaire de la GRC ait présenté sa propre interprétation de la preuve à l'appui de sa conclusion selon laquelle les fermetures de routes et le détournement de la circulation étaient raisonnables, elle n'a pas présenté de faits ou d'éléments de preuve supplémentaires à l'appui de cette conclusion. La Commission, dont le mandat en tant qu'organe de surveillance indépendant de la GRC était d'analyser la preuve et de tirer des conclusions, n'a pas estimé que la preuve justifiait une conclusion selon laquelle les fermetures de routes et le détournement de la circulation étaient raisonnables. Au contraire, la Commission s'inquiétait du recours potentiellement excessif aux barrages routiers et au détournement de la circulation et de leurs répercussions éventuelles sur les droits des manifestants. Pour ces raisons, bien qu'elle n'ait pas été en mesure de conclure, à la lumière des éléments de preuve présentés, que les actes de la GRC étaient déraisonnables dans l'affaire en question, la Commission a formulé les recommandations provisoires nos 6 et 7 pour veiller à ce que les risques d'atteinte aux droits des manifestants soient réduits au minimum à l'avenir.

[131] À cet égard, la Commission est préoccupée par la réponse de la GRC aux recommandations provisoires nos 6 et 7. Bien que la réponse appuie officiellement les recommandations, la commissaire de la GRC mentionne également qu'aucune mesure ne sera prise pour les mettre en œuvre, car, selon elle, les pratiques actuelles de la GRC sont déjà conformes aux recommandations. Toutefois, la commissaire de la GRC n'a présenté aucun renseignement indiquant que les pratiques ou les procédures de la GRC ont changé depuis les événements survenus dans le comté de Kent. Par conséquent, la Commission demeure préoccupée par ces événements et ne peut que réitérer les recommandations.

Sensibilité à la culture, aux cérémonies et aux objets sacrés autochtones

[132] La Commission a conclu que, sauf quelques exceptions importantes, les membres de la GRC affectés à l'opération de maintien de l'ordre lors des manifestations n'avaient pas reçu une formation suffisante en matière de culture autochtone. La Commission a recommandé que la GRC exige que tous les membres examinent le Guide sur la spiritualité chez les Amérindiens de la GRC et que tous les membres participant aux services de police autochtones, y compris les membres des groupes du maintien de l'ordre public chargés du maintien de l'ordre lors des manifestations des Autochtones, soient tenus de suivre un programme de formation qui vise expressément la compréhension des questions culturelles autochtones.

[133] La preuve vidéo a montré que les membres de la GRC travaillant sur les lieux des manifestations semblaient généralement conscients de la nécessité de respecter les cérémonies et les objets sacrés. Malgré tout, des conflits ont éclaté. Des manifestants autochtones ont parfois tenu leurs cérémonies au milieu des routes, bloquant effectivement les camions de SWN, et ont insisté pour ne pas être interrompus jusqu'à la fin des cérémonies. Parfois, ils ont continué pendant des heures, puis les participants ont finalement été expulsés de force. D'après les renseignements disponibles, les membres de la GRC n'auraient pas, délibérément ou involontairement, entravé inutilement les cérémonies autochtones ou touché inutilement les objets sacrés.

[134] Cependant, il ne semblait pas y avoir de procédure officielle précisant comment et quand les objets sacrés devaient être saisis et comment ils devaient être manipulés. Il ne fait aucun doute que la manipulation des objets sacrés est une question complexe étant donné les droits et intérêts concurrents en jeu. De l'avis de la Commission, la GRC doit mener une réflexion en vue d'adopter une politique fournissant des conseils pratiques aux membres de la GRC concernant la saisie et la manipulation des objets sacrés. La Commission a souligné que cette politique devrait permettre aux membres de la GRC de prendre des décisions rapides concernant la saisie et la manipulation des objets sacrés, tout en s'abstenant de restreindre inutilement les droits de la personne arrêtée qui sont garantis par la Charte. La Commission a conclu que la GRC devrait élaborer une procédure relative à la manipulation des objets sacrés à la suite d'une arrestation, surtout dans le cadre de manifestations. Il se peut que, dans certains cas, les préoccupations relatives à la sécurité soient telles que l'article sera enlevé de force au manifestant. Dans d'autres cas, des approches plus souples peuvent être acceptables.

Conclusion provisoire de la Commission no 14

Au début de l'opération de maintien de l'ordre lors des manifestations contre le gaz de schiste, sauf quelques exceptions importantes, les membres affectés à l'opération n'avaient pas reçu une formation suffisante en matière de culture autochtone.

Conclusion provisoire de la Commission no 15

D'après les renseignements disponibles, les membres de la GRC n'auraient pas, délibérément ou involontairement, entravé inutilement les cérémonies autochtones ou touché inutilement les objets sacrés.

Recommandation provisoire de la Commission no 8

Que la GRC exige que tous les membres examinent le Guide sur la spiritualité chez les Amérindiens de la GRC, et que tous les membres participant aux services de police autochtones, y compris les membres des équipes anti-émeute/groupes du maintien de l'ordre public chargés du maintien de l'ordre lors des manifestations des Autochtones, soient tenus de suivre un programme de formation qui vise expressément la compréhension des questions culturelles autochtones.

Recommandation provisoire de la Commission no 9

Que la GRC entame une collaboration avec divers intervenants autochtones en vue d'élaborer une procédure pratique, axée sur le contexte, qui fournit des conseils aux membres concernant la manipulation des objets sacrés dans divers contextes.

Réponse de la commissaire de la GRC

[135] La commissaire de la GRC a souscrit aux conclusions provisoires nos 14 et 15 et a appuyé les recommandations provisoires nos 8 et 9.

[136] En ce qui concerne la recommandation no 8, la commissaire de la GRC a informé la Commission du fait que la GRC avait déployé des efforts continus pour former les membres actuels et nouveaux afin qu'ils se tiennent à jour concernant la diversité, la compréhension et la compassion nécessaires à l'exécution des fonctions relatives au maintien de l'ordre sans préjugés et pour leur fournir une solide connaissance des éléments culturels et de l'histoire des collectivités autochtones. La commissaire de la GRC a expliqué que la GRC offrait pas moins de 29 programmes d'apprentissage qui abordent la culture autochtone; 24 de ces programmes ou cours ont été créés à l'intention des membres de la GRC et leur sont présentés directement dans le but d'accroître les connaissances culturelles autochtones; et 26 de ces cours contiennent des documents sur la culture autochtone ayant pour thème les traditions régionales ou les différences géographiques.

[137] La commissaire de la GRC a également informé la Commission du fait que la GRC élaborait actuellement un nouveau guide de sensibilisation aux cultures autochtones qui mettra en évidence les cultures, les langues et les traditions politiques et spirituelles distinctes et uniques des Premières Nations, des Métis et des Inuits du Canada. Ce guide vise à informer les employés de la GRC et à accroître leur sensibilisation culturelle ainsi que leur compréhension des questions liées à la prestation des services de police autochtones et aux interactions avec les peuples autochtones.

[138] La commissaire de la GRC a mentionné être convaincue que ce nouveau guide étoffera les informations fournies aux membres en ce qui concerne les questions culturelles autochtones. Par conséquent, afin de mettre en œuvre la première partie de la recommandation de la Commission, elle demandera que, une fois le nouveau guide de sensibilisation aux cultures autochtones terminé, un communiqué national soit envoyé à tous les employés leur demandant de consulter le Guide sur la spiritualité chez les Amérindiens actuel et le nouveau guide de sensibilisation aux cultures autochtones.

[139] En ce qui concerne la recommandation selon laquelle tous les membres de la GRC participant aux services de police autochtones, y compris les membres des équipes anti-émeute/groupes du maintien de l'ordre public chargés du maintien de l'ordre lors des manifestations des Autochtones, doivent être tenus de suivre un programme de formation qui vise expressément la compréhension des questions culturelles autochtones, la commissaire de la GRC a déclaré qu'elle demandera que le commandant de chaque division désigne une formation visant spécifiquement à comprendre les problèmes culturels des collectivités autochtones situées sur le territoire de la division en question et veille à ce que les membres suivent cette formation. Les résultats seront consignés dans le dossier de formation des membres.

[140] Pour ce qui est de la recommandation no 9, la commissaire de la GRC a déclaré qu'elle comprenait et reconnaissait la préoccupation selon laquelle, parfois, en raison de ce qui semblait être un manque de communication ou d'orientation appropriée, la manipulation des objets sacrés au cours de certaines arrestations particulières aurait pu raisonnablement mener à une perception d'ingérence à cet égard. Elle a également convenu qu'aucune procédure officielle de la GRC n'était en place à ce moment-là pour préciser comment et quand, en pratique, les objets sacrés devraient être saisis et comment ils devraient être manipulés.

[141] La commissaire de la GRC a déclaré que, compte tenu des données démographiques du pays ainsi que des traditions, croyances et pratiques diversifiées de ses collectivités autochtones, elle estimait que la recommandation de la Commission devrait être mise en œuvre dans les divisions. Elle a accepté de demander aux commandants de chaque division de veiller à amorcer une collaboration avec leurs intervenants autochtones locaux en vue d'élaborer des procédures appropriées et adaptées à la culture, comme il est mentionné dans la recommandation de la Commission.

Allégation de partialité contre les manifestants autochtones

[142] Un certain nombre de manifestants ont affirmé que la GRC avait traité les manifestants autochtones plus durement que les manifestants non autochtones. En particulier, ils ont eu l'impression que plus de manifestants autochtones que non autochtones avaient été arrêtés et inculpés.

[143] Plusieurs facteurs peuvent avoir contribué aux allégations de partialité. D'après les éléments de preuve disponibles, la Commission a conclu qu'elle était convaincue que les membres de la GRC n'avaient pas fait de distinction entre les manifestants autochtones et non autochtones lorsqu'ils ont procédé à des arrestations et n'avaient pas fait preuve de parti pris contre les manifestants autochtones en général.

Conclusion provisoire de la Commission no 16

D'après les éléments de preuve disponibles, la Commission est convaincue que les membres de la GRC n'ont pas fait de distinction entre les manifestants autochtones et non autochtones lorsqu'ils ont procédé à des arrestations et n'ont pas fait preuve de parti pris contre les manifestants autochtones en général.

Réponse de la commissaire de la GRC

[144] La commissaire de la GRC a souscrit à la conclusion provisoire no 16.

Opération tactique du 17 octobre 2013

[145] La Commission a déterminé que la GRC avait le pouvoir légal de mener l'opération tactique du 17 octobre 2013 et que cela constituait un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire de le faire dans toutes les circonstances. Cependant, la Commission a conclu qu'il aurait été prudent de prévoir plus de temps pour les négociations et la révision de l'injonction devant les tribunaux avant de procéder à l'opération.

[146] En ce qui a trait à la période précédant l'opération, un chef de l'équipe anti-émeute de la Division « H » a dit que lui et les autres chefs d'équipe anti-émeute avaient travaillé aux plans définitifs à compter du 15 octobre 2013. Il a expliqué que les facteurs appuyant la nécessité d'agir étaient les suivants :

  • intimidation, menaces et violence à l'endroit du personnel de l'entreprise de sécurité à l'intérieur de l'enceinte;
  • menace de présence d'armes à feu;
  • fait que l'équipement de SWN avait été endommagé par des cocktails Molotov sur un chantier précédent;
  • fait que l'équipement de SWN était bloqué dans l'enceinte depuis près de trois semaines; rien n'indiquait que cela prendrait fin, et des indices laissaient croire que ce blocus n'allait pas se régler.

[147] Les renseignements dont disposaient le commandant des interventions et l'officier responsable des opérations criminelles présentaient clairement des préoccupations qui ont motivé un examen sérieux de la mise en œuvre du plan opérationnel tactique. Les facteurs suivants étaient importants :

  • la prise de contrôle apparente du site des manifestations par le groupe des Warriors;
  • la présence de membres de bandes de motards criminalisées;
  • les menaces à l'endroit des employés d'ISL et l'utilisation d'un couteau;
  • le comportement menaçant des « jeunes Warriors »;
  • l'information selon laquelle les Warriors ne partiraient pas avant que SWN ne quitte la province;
  • les nombreux signalements non confirmés selon lesquels les manifestants avaient accès à des armes à feu.

[148] On disposait de suffisamment de renseignements fiables pour justifier la décision de mettre en œuvre le plan opérationnel tactique dans un proche avenir.

[149] Les officiers supérieurs de la GRC ont dû faire face à une décision difficile. La tension s'était exacerbée. De nombreuses menaces avaient été proférées à la fois contre des employés d'ISL et des membres de la GRC. Un blocus avait été imposé. Des rumeurs circulaient concernant la présence d'armes à feu et d'explosifs. L'objectif principal de la GRC devait être la sécurité de toutes les parties. Malgré l'absence de preuve confirmée de la présence d'armes à feu au campement, il y aurait eu une quantité importante de renseignements à ce sujet.

[150] Des renseignements avaient indiqué que les tensions montaient au sein du campement. Les Warriors agressifs avaient manifestement pris le contrôle du campement. La présence de membres de bandes de motards criminalisées a naturellement exacerbé les inquiétudes de la GRC, de même que la rumeur selon laquelle les manifestants demandaient de l'aide auprès de toutes les sources possibles. La situation a considérablement empiré lorsque le personnel d'ISL a été empêché de quitter son installation. Cela représentait sans aucun doute une intensification des tactiques des manifestants. Il n'était pas souhaitable de laisser la situation se détériorer davantage.

[151] Il est vrai que la crise immédiate a été atténuée, dans une certaine mesure, grâce aux négociations entre la GRC et des manifestants, ce qui a mené à la libération des employés d'ISL, qui ont été remplacés par des membres de la GRC dans l'enceinte. Cependant, la situation était toujours instable, et les problèmes suscitant des préoccupations légitimes importantes persistaient. Compte tenu des tensions croissantes, ne pas procéder à l'opération aurait pu entraîner un affrontement plus explosif et dangereux à une date ultérieure. Compte tenu des dispositions de l'injonction, la GRC avait le pouvoir légal de mener l'opération, et cela constituait un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire de le faire dans toutes les circonstances.

[152] Selon la Commission, toutefois, il est également vrai qu'il aurait été prudent de prévoir plus de temps pour les négociations et la révision de l'injonction devant les tribunaux avant de procéder à l'opération. La décision d'aller de l'avant avec le plan opérationnel tactique a eu des conséquences importantes, y compris un grand nombre d'arrestations et d'incidents de recours à la force et la perte de la confiance à l'endroit de la GRC de la part des collectivités locales. Il est évident que la mobilisation des équipes de la Division « C » (Québec) et de la Division « H » (Nouvelle-Écosse) (qui ont exigé – et avaient déjà reçu – un préavis de 48 heures pour se mobiliser) a été un élément clé dans le moment choisi pour l'opération, mais cela n'aurait pas dû être un facteur décisif. La Commission a conclu que, dans les circonstances, il aurait été raisonnable et souhaitable d'accorder plus de temps aux négociations, en particulier après que les négociations de l'Équipe de négociation en situation de crise (l'« ENSC ») avaient déjà porté leurs fruits.

Conclusion provisoire de la Commission no 19

Compte tenu des dispositions de l'injonction, la GRC avait le pouvoir légal de mener l'opération, et, selon la prépondérance des probabilités, cela constituait un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire de le faire dans toutes les circonstances.

Conclusion provisoire de la Commission no 20

Il aurait été prudent de prévoir plus de temps pour les négociations et la révision de l'injonction devant les tribunaux avant de procéder à l'opération. Dans les circonstances, il aurait été raisonnable et souhaitable d'accorder plus de temps aux négociations, en particulier après que les négociations de l'Équipe de négociation en situation de crise avaient déjà porté leurs fruits.

Conclusion provisoire de la Commission no 31

Les éléments de preuve présentés à la Commission n'étayent pas l'allégation selon laquelle, le 17 octobre 2013, les membres de la GRC étaient [traduction] « mal équipés, de sorte que certains pourraient subir des dommages physiques qui entraîneraient le dénigrement des manifestants ».

Conclusion provisoire de la Commission no 33

Dans les circonstances et conformément à l'approche modérée, il n'était pas déraisonnable de demander initialement aux équipes anti-émeute de porter l'équipement de niveau 2.

Conclusion provisoire de la Commission no 36

La décision de ne pas informer les écoles au sujet de l'opération imminente était raisonnable, même s'il avait été prudent que le plan opérationnel tactique ait été modifié pour garantir que les enfants puissent se rendre à l'école avant le début de l'opération.

Conclusion provisoire de la Commission no 37

Il n'y a aucune preuve à l'appui de l'affirmation selon laquelle la GRC a eu recours à des agents provocateurs le 17 octobre 2013.

Conclusion provisoire de la Commission no 38

La Commission n'a trouvé aucune preuve établissant qu'on avait fait appel à des personnes qui ne sont pas membres de la GRC pendant l'opération le 17 octobre 2013.

Réponse de la commissaire de la GRC

[153] La commissaire de la GRC a souscrit à la conclusion provisoire no 19.

[154] La commissaire de la GRC n'a pas souscrit à la conclusion provisoire no 20. Elle a déclaré que le commandant des interventions avait fourni plusieurs raisons pour refuser de retarder l'opération tactique en faveur de nouvelles négociations, comme l'avaient demandé les négociateurs de la GRC. Elle a en outre expliqué qu'il n'y avait aucune indication dans les documents pertinents quant au temps supplémentaire dont avaient besoin les négociateurs de la GRC, ce qui, selon elle, aurait été un élément clé à prendre en considération au moment de prendre la décision. La commissaire de la GRC a souligné que les enquêteurs de la Commission n'avaient pas abordé cette question pendant leurs entrevues avec les membres de la GRC.

[155] De manière générale, la commissaire de la GRC a conclu que la décision de poursuivre l'opération tactique comme prévu le 17 octobre 2013 était prudente et une conséquence raisonnable de l'analyse des risques menée par le commandant des interventions et fondée sur les renseignements à sa disposition au moment pertinent.

[156] La commissaire de la GRC a souscrit aux conclusions provisoires nos 31 et 33.

[157] La commissaire de la GRC a souscrit partiellement à la conclusion provisoire no 36. Elle a mentionné qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve permettant de conclure que le plan opérationnel aurait pu être modifié de manière à permettre aux enfants d'aller à l'école et en même temps d'empêcher la nouvelle de l'opération imminente de parvenir aux manifestants et elle a souligné que les enquêteurs de la Commission n'avaient pas expressément abordé la question de la modification du plan opérationnel avec le membre de la GRC concerné. La commissaire de la GRC a déclaré que la sécurité du public et de la police (qui exigeait le secret quant au moment de l'opération) l'emportait sur tout inconvénient pour les écoliers, les enseignants et le personnel.

[158] La commissaire de la GRC a souscrit aux conclusions provisoires nos 37 et 38.

Analyse de la Commission concernant la réponse de la GRC

[159] En ce qui concerne la conclusion provisoire no 20, la Commission souligne que, dans son rapport intérimaire sur l'EIP, elle a reconnu en détail les facteurs qui appuient la mise en œuvre imminente de l'opération tactique. La Commission a conclu clairement que l'opération était légalement justifiable et qu'il était raisonnable dans les circonstances que la GRC la mène.

[160] Néanmoins, la Commission est toujours d'avis qu'il aurait été prudent de prévoir plus de temps pour les négociations et la révision à venir de l'injonction devant les tribunaux avant de procéder à l'opération.

[161] Les considérations soulevées par la commissaire de la GRC en ce qui concerne le fait qu'on ne savait pas combien de temps supplémentaire les négociateurs de la GRC avaient demandé n'ont aucune incidence sur la conclusion de la Commission. Celle-ci a conclu qu'il aurait été souhaitable de prévoir plus de temps. Le commandant des interventions aurait dû discuter avec les négociateurs du temps dont ils avaient besoin, s'il avait décidé de leur accorder plus de temps. Dans les faits, les négociateurs de la GRC ont demandé plus de temps pour négocier, mais leur demande a été rejetée.

[162] La Commission continue de reconnaître que les officiers supérieurs de la GRC ont dû faire face à une décision difficile. La tension s'était exacerbée et, même après la percée des négociations, des questions importantes restaient en suspens. Des progrès importants avaient toutefois été réalisés, et des efforts supplémentaires auraient pu être déployés à cette fin, comme l'ont demandé les négociateurs de la GRC. La décision d'aller de l'avant avec le plan opérationnel tactique a eu des conséquences importantes. Dans les circonstances, il aurait été raisonnable et souhaitable d'accorder plus de temps aux négociations, en particulier après que les négociations de l'ENSC avaient déjà porté leurs fruits.

[163] Par conséquent, la Commission réitère la conclusion provisoire no 20.

[164] En ce qui concerne la conclusion provisoire no 36, liée aux répercussions sur les enfants qui n'ont pas pu aller à l'école avant le début de l'opération, la Commission fait remarquer que la GRC avait d'abord demandé que la surintendante des écoles soit avisée avant 6 h le jour de l'opération tactique; cela aurait touché l'école secondaire et peut-être l'école intermédiaire et l'école primaire, « s'il y a lieu ». Une personne‑ressource avait été nommée. Une annonce officielle de fermeture d'école aurait été faite peu de temps après, puis un avis téléphonique aurait été envoyé aux résidents dans le secteur immédiat.

[165] Ce plan n'a pas été mis en œuvre et les écoles n'ont reçu aucun préavis de l'opération. Dans son rapport intérimaire sur l'EIP, la Commission a conclu que la décision de ne pas informer les écoles était raisonnable. Il était logique de conclure que le fait de donner un préavis aux écoles pourrait avoir pour effet de divulguer les plans de la GRC et de [traduction] « prévenir » les manifestants qu'une opération était imminente. La préoccupation que des enfants soient exposés à l'opération tactique était également valable.

[166] Toutefois, la Commission demeure d'avis qu'il aurait été prudent que le plan opérationnel tactique soit modifié pour garantir que les enfants puissent se rendre à l'école avant le début de l'opération.

[167] La décision de fermer certaines parties des routes environnantes a mené à la situation malheureuse où certains enfants se sont retrouvés coincés dans des autobus pendant des périodes relativement longues. La commissaire de la GRC a fait part des « inconvénients pour les enfants et le personnel de l'école » dans cette situation, mais la surintendante des écoles a déclaré ce qui suit à l'enquêteur de la Commission : [traduction] « On nous a dit que les enfants étaient traumatisés, que c'était une situation très effrayante. » Elle a ajouté : [traduction] « J'ai appelé un chauffeur d'autobus pour voir comment tout le monde allait. À ce moment-là, il me parlait [et] un jeune enfant vomissait parce qu'il avait peur. » Il y avait des élèves de maternelle dans les autobus : [traduction] « Ils ont cinq ans et ils voient des gens courir, des hélicoptères qui volent partout, des voitures de police avec les gyrophares allumés et des ambulances qui passent. » La surintendante a expliqué que l'école secondaire avait lancé la procédure de confinement complet et que les autres écoles avaient effectué un confinement modifié (les portes étaient verrouillées, mais les enfants n'étaient pas cachés).

[168] Pour ces raisons, la Commission continue d'être d'avis qu'il aurait fallu en faire davantage pour éviter les conséquences subies par les élèves. Au départ, la GRC avait un plan précis pour aviser et fermer les écoles, qui reconnaissait comme il se doit l'importance de le faire. Lorsque ce plan a été abandonné, l'absence d'un plan modifié visant à assurer le mieux-être des élèves a été mise en évidence.

[169] Par conséquent, la Commission réitère la conclusion no 36.

Équipe de négociation en situation de crise

[170] Tout au long du blocus, l'ENSC de la GRC a négocié avec les manifestants. Elle a déployé des efforts raisonnables, voire remarquables, pour mettre en œuvre une approche modérée dans la communication et la négociation avec les manifestants afin de garantir des manifestations pacifiques et légales et de régler tout conflit jusqu'aux événements du 17 octobre 2013.

[171] L'ENSC avait réussi à résoudre une question clé et, la veille de l'opération tactique, les négociateurs ont offert du tabac à l'un des principaux porte-parole autochtones, ce qui a été considéré à divers égards comme une preuve de respect ou une offrande de paix. Lorsque les manifestants autochtones du campement se sont réveillés le lendemain matin pour constater que des équipes anti-émeute étaient sur le point « d'envahir » leur campement, ils ont considéré qu'il s'agissait là d'un acte de trahison grave.

[172] Pour diverses raisons, l'ENSC n'avait pas reçu de renseignements sur la planification opérationnelle. Même si la Commission a conclu qu'il y avait des motifs raisonnables de maintenir une séparation entre les négociateurs et les planificateurs opérationnels, elle a recommandé que la GRC envisage d'informer davantage les membres de l'ENSC de la stratégie globale mise en œuvre afin d'éviter des malentendus regrettables, qui peuvent nuire aux relations entre la GRC et les membres du public. La Commission a également recommandé que la GRC envisage d'élaborer une politique spécialement adaptée au rôle de l'ENSC dans les situations de maintien de l'ordre public.

Conclusion provisoire de la Commission no 3

Tout au long des manifestations jusqu'au 17 octobre 2013, l'équipe de commandement de la GRC et l'Équipe de négociation en situation de crise ont tout mis en œuvre pour réunir les intervenants afin de trouver une solution au conflit. Leurs efforts ont été contrecarrés, en partie, par la nature insoluble du différend et par l'absence de leadership clair de la part des manifestants.

Conclusion provisoire de la Commission no 18

La décision de tenir à l'écart les membres de l'Équipe de négociation en situation de crise au sujet de la planification opérationnelle, si bien intentionnée soit-elle, a indirectement mené à la situation fâcheuse et regrettable de l'opération tactique survenue peu de temps après que les négociateurs de la GRC ont offert du tabac aux meneurs des manifestations sur les lieux du campement.

Recommandation provisoire de la Commission no 10

Malgré des motifs raisonnables de maintenir une séparation entre les négociateurs et les planificateurs opérationnels, la GRC devrait envisager d'informer davantage les membres de l'Équipe de négociation en situation de crise de la stratégie globale mise en œuvre afin d'éviter des malentendus regrettables, qui peuvent nuire aux relations entre la GRC et les membres du public.

Recommandation provisoire de la Commission no 11

La GRC devrait envisager d'élaborer une politique spécialement adaptée au rôle de l'Équipe de négociation en situation de crise dans les situations de maintien de l'ordre public.

Réponse de la commissaire de la GRC

[173] La commissaire de la GRC a souscrit aux conclusions provisoires nos 3 et 18. La commissaire de la GRC a également appuyé les recommandations provisoires nos 10 et 11.

[174] Plus précisément, en ce qui concerne l'appui à la recommandation no 10, la commissaire de la GRC a reconnu les conséquences qui ont découlé de la décision de tenir les membres de l'ENSC à l'écart de l'information sur le plan opérationnel. Elle a informé la Commission du fait que cette recommandation avait été examinée et qu'il avait été constaté que la partie 3 du Manuel des opérations tactiques, « Équipe de négociation en cas de situation de crise », devrait être modifiée de manière à ce que le chef d'équipe de l'ENSC soit mis au courant de l'ensemble de la stratégie opérationnelle adoptée par l'équipe de commandement. Cette modification devrait également préciser qu'il incomberait au chef d'équipe de l'ENSC de communiquer aux autres membres de l'équipe uniquement les renseignements nécessaires qui permettent à l'ENSC de remplir son rôle. Elle a indiqué qu'elle demandera que cela se fasse.

[175] Pour ce qui est de la recommandation no 11, la commissaire de la GRC a déclaré que cette recommandation avait été prise en considération et qu'il avait été déterminé que le chapitre 3.1 du Manuel des opérations tactiques, « Responsabilités en matière de négociation en cas de situation de crise », pourrait mieux refléter les différents rôles joués par l'ENSC. Elle a indiqué qu'elle demandera que cela se fasse.

Arrestations

[176] En ce qui concerne les arrestations ayant eu lieu au printemps et à l'été 2013, les renseignements disponibles portaient à croire que les membres de la GRC avaient généralement tenté de mettre en œuvre une approche modérée pour le maintien de l'ordre lors des manifestations et avaient souvent fait preuve d'une grande tolérance en permettant aux manifestations de se poursuivre pendant une longue période, malgré le fait que les manifestants enfreignaient parfois la loi. Les événements du 17 octobre 2013 étaient de nature beaucoup plus dynamique et conflictuelle et ont donc entraîné des arrestations plus « musclées ». Après avoir examiné les éléments de preuve, la Commission a conclu que cela était généralement justifié compte tenu de la conduite violente, résistante et provocante de certains manifestants.

[177] La Commission a examiné un grand nombre de dossiers de la GRC, d'enregistrements vidéo et de déclarations de témoins documentant de nombreuses arrestations ayant eu lieu au cours des manifestations qui ont duré plusieurs mois. De façon générale et à quelques exceptions près, la Commission a conclu que les membres de la GRC avaient des motifs raisonnables de croire que des personnes avaient commis ou commettaient diverses infractions, notamment méfait et/ou entrave; qu'il était donc raisonnable d'arrêter ces personnes; et que la force employée pour procéder aux arrestations était nécessaire et proportionnelle dans les circonstances. La Commission a également conclu que les pratiques de détention avaient généralement été établies et mises en œuvre de façon raisonnable.

[178] En ce qui a trait aux arrestations au campement, la Commission a constaté qu'il était raisonnable de conclure que les personnes qui maintenaient le blocus commettaient un méfait, en ce sens qu'elles gênaient la capacité de SWN d'utiliser son équipement. D'autres personnes au campement, qui n'étaient pas nécessairement des participants actifs du blocus, étaient parties à l'infraction de méfait. Surtout, l'ordonnance d'injonction interdisait expressément aux personnes, entre autres choses, d'empêcher, d'entraver ou de tenter d'empêcher le travail de SWN à l'enceinte, ou de bloquer l'accès à l'équipement, et autorisait les policiers à arrêter des personnes dont ils avaient des motifs raisonnables de croire qu'elles violaient les dispositions de l'injonction. Ainsi, les arrestations de personnes au campement étaient raisonnables dans les circonstances.

[179] La Commission a examiné l'arrestation du chef et des membres du conseil de la Première Nation d'Elsipogtog; ils ont été placés dans des véhicules de police, puis libérés. La Commission a conclu que les membres de la GRC avaient fourni un accommodement au chef et aux membres du conseil en leur permettant d'entrer sur les lieux du campement une fois que celui-ci avait été évacué. Il était raisonnable que les membres de la GRC arrêtent le chef et les membres du conseil pour l'infraction de méfait lorsqu'ils se sont assis par la suite devant l'enceinte de SWN et ont refusé de partir.

[180] La Commission a également conclu que les menottes en plastique appliquées à certains manifestants étaient probablement plus serrées qu'il n'était nécessaire pour maîtriser ces personnes. La Commission a recommandé que, dans des situations comme le maintien de l'ordre public, lorsque les membres de la GRC peuvent être tenus d'arrêter des personnes en utilisant des menottes en plastique, celles-ci ne soient appliquées qu'avec la force nécessaire pour maîtriser en toute sécurité la personne arrêtée.

Conclusion provisoire de la Commission no 1

Dans l'ensemble, les membres de la GRC ont géré les procédures postérieures à l'arrestation et relatives à la détention de manière raisonnable et conformément à la politique.

Conclusion provisoire de la Commission no 21

De façon générale et à quelques exceptions près (arrestations effectuées en vertu de l'injonction du 22 novembre 2013), la Commission conclut que, pendant les manifestations contre le gaz de schiste, les membres de la GRC avaient des motifs raisonnables d'arrêter des personnes pour diverses infractions, notamment méfait et/ou entrave, et que, de façon générale, la force employée pour procéder aux arrestations était nécessaire et proportionnelle dans les circonstances.

Conclusion provisoire de la Commission no 22

Les menottes initialement appliquées à la manifestante C et au manifestant D étaient probablement plus serrées qu'il n'était nécessaire pour maîtriser ces personnes.

Conclusion provisoire de la Commission no 23

Il est raisonnable de conclure que les personnes qui maintenaient le blocus commettaient un méfait, en ce sens qu'elles gênaient la capacité de SWN d'utiliser son équipement, et d'autres personnes au campement, qui n'étaient pas nécessairement des participants actifs du blocus, étaient parties à l'infraction de méfait. En outre, l'ordonnance d'injonction interdisait expressément aux personnes d'empêcher le travail de SWN à l'enceinte et autorisait les policiers à arrêter les personnes qui violaient les dispositions de l'injonction. Ainsi, les arrestations de personnes au campement étaient raisonnables dans les circonstances.

Conclusion provisoire de la Commission no 24

Il était raisonnable que les membres de la GRC arrêtent le chef Sock et les membres du conseil pour l'infraction de méfait lorsqu'ils se sont assis par la suite devant l'enceinte de SWN et ont refusé de partir.

Recommandation provisoire de la Commission no 12

Que, dans des situations comme le maintien de l'ordre public, lorsque les membres de la GRC peuvent être tenus d'arrêter des personnes en utilisant des menottes en plastique, celles-ci ne doivent être appliquées qu'avec la force nécessaire pour maîtriser en toute sécurité la personne arrêtée.

Réponse de la commissaire de la GRC

[181] La commissaire de la GRC a souscrit à la conclusion provisoire no 1.

[182] La commissaire de la GRC a souscrit partiellement à la conclusion provisoire no 21. Elle a réaffirmé être convaincue que les membres de la GRC avaient des motifs raisonnables lorsqu'ils ont arrêté plusieurs manifestants conformément à l'injonction du 22 novembre 2013.

[183] La commissaire de la GRC a souscrit aux conclusions provisoires nos 22, 23 et 24.

[184] La commissaire de la GRC a déclaré qu'elle appuyait la recommandation provisoire no 12, mais qu'elle ne demanderait pas la prise de mesures pour la mettre en œuvre, car elle est convaincue que les pratiques opérationnelles de la GRC sont déjà conformes à la recommandation.

Analyse de la Commission concernant la réponse de la GRC

[185] Compte tenu de la modification de la conclusion provisoire no 11, tel qu'il est décrit ci-dessus, la Commission a également décidé de modifier légèrement la conclusion provisoire no 21.

Conclusion finale de la Commission no 21

De façon générale, la Commission conclut que, pendant les manifestations contre le gaz de schiste, les membres de la GRC avaient des motifs raisonnables d'arrêter des personnes pour diverses infractions, notamment méfait et/ou entrave, et que, de façon générale, la force employée pour procéder aux arrestations était nécessaire et proportionnelle dans les circonstances.

[186] En ce qui concerne la recommandation provisoire no 12, la Commission réitère ses préoccupations à l'égard d'une réponse qui appuie la recommandation, mais elle affirme qu'aucune mesure ne sera prise pour la mettre en œuvre. Plus particulièrement, la commissaire de la GRC n'a pas expliqué comment il se pouvait, si les pratiques de la GRC étaient déjà conformes à la recommandation, que les menottes appliquées à certains manifestants aient probablement été plus serrées qu'il n'était nécessaire, comme l'indique la conclusion provisoire no 22. La commissaire de la GRC n'a pas non plus fourni de renseignements établissant que les pratiques avaient été modifiées depuis ces événements. Par conséquent, la Commission ne peut que réitérer sa recommandation.

Recours à la force

[187] Plusieurs manifestants ont déposé des plaintes du public contestant leur arrestation et la force utilisée contre eux. La Commission a rédigé des rapports individuels et décrit certains exemples d'arrestations et de cas de recours à la force dans son rapport intérimaire sur l'EIP visant l'affaire en question. La Commission a également reçu de nombreuses plaintes de nature générale concernant le recours à la force par la GRC lors des manifestations contre le gaz de schiste, tout particulièrement pendant l'opération tactique. Les plaignants ont notamment affirmé que des membres de la GRC avaient eu recours à une force inutile et excessive contre des manifestants lors de manifestations pacifiques; utilisé de façon abusive des armes à feu pour traiter avec des manifestants; et tiré inutilement des balles-chaussettes sur les manifestants.

[188] Dans le cadre de leurs fonctions, les agents de police peuvent devoir recourir à une force raisonnable, comme le prévoient le Code criminel et la politique de la GRC. Compte tenu de la résistance importante à laquelle les membres de la GRC se sont heurtés le matin du 17 octobre 2013, notamment le lancement de cocktails Molotov et une rencontre avec un manifestant armé d'un fusil, la Commission a conclu que le fait de dégainer et/ou de pointer des armes à feu, ainsi que le tir de balles-chaussettes, ne constituait pas une force excessive dans les circonstances. Le recours à la force était nécessaire et proportionnel au comportement auquel les membres de la GRC ont dû faire face.

[189] De même, les éléments de preuve vidéo ont confirmé que la foule tentait de franchir physiquement le cordon de policiers. Certains manifestants donnaient des coups de pied et des coups de poing aux membres formant le cordon. D'autres lançaient des projectiles. Les policiers ont réagi face à la foule en émeute en la repoussant et en donnant des coups, ainsi qu'en utilisant du gaz poivré et des balles-chaussettes. La Commission a conclu que, de manière générale et compte tenu des risques posés par la conduite des manifestants et des préoccupations raisonnables pour la sécurité des membres de la GRC et du public, le recours à la force physique était nécessaire dans les circonstances et était proportionnel au comportement auquel faisaient face les membres.

Conclusion provisoire de la Commission no 25

La force physique, comme pousser, frapper ou utiliser du gaz poivré pour contrôler les manifestants, a été employée après que les manifestants ont physiquement tenté de traverser le cordon de policiers et ont effectivement participé à une émeute. Compte tenu des risques posés par les manifestants et des préoccupations raisonnables pour la sécurité des membres de la GRC et du public, le recours à la force physique, notamment pousser, frapper ou utiliser du gaz poivré, était nécessaire dans les circonstances et était proportionnel au comportement auquel faisaient face les membres.

Conclusion provisoire de la Commission no 26

Dans le contexte de la confrontation, il était nécessaire que les membres aient recours à la force (notamment les balles-chaussettes et le fait de dégainer et/ou de pointer des armes à feu), et le type et le degré de force utilisés étaient proportionnels au comportement auquel les membres ont dû faire face.

Conclusion provisoire de la Commission no 27

Les membres du Groupe tactique d'intervention avaient des motifs raisonnables de soupçonner que des manifestants dans les bois pourraient transporter des armes à feu ou des engins explosifs en raison de la confrontation avec un manifestant armé qui s'était produite plus tôt dans la journée et parce que des manifestants non identifiés avaient lancé des cocktails Molotov depuis les bois, plus tôt ce jour-là.

Conclusion provisoire de la Commission no 28

Étant donné que les membres du Groupe tactique d'intervention avaient des motifs raisonnables de soupçonner que des manifestants dans les bois pourraient transporter des armes à feu ou des engins explosifs, d'après les éléments de preuve dont elle disposait, la Commission conclut que le fait de pointer une arme à feu ne constituait pas un recours déraisonnable à la force dans les circonstances.

Conclusion provisoire de la Commission no 29

Pointer/décharger des armes à feu chargées de balles-chaussettes équivalait à une réaction mesurée au comportement de personnes dont les actes présentaient un danger pour elles-mêmes, les policiers ou le grand public, dans un contexte où d'autres méthodes d'intervention auraient été inopportunes.

Conclusion provisoire de la Commission no 30

La Commission n'a trouvé aucune preuve de contact physique direct entre les chiens de police et les manifestants. Les éléments de preuve montrent que les chiens de police ont été utilisés uniquement comme moyen de dissuasion psychologique. Par conséquent, l'utilisation des chiens de police était conforme à la politique de la GRC et au MIGI. La Commission fait cependant remarquer qu'elle n'a pas été en mesure de trouver les documents pertinents du rapport de cas C‑227B qui doivent être remplis conformément à la politique de la GRC.

Réponse de la commissaire de la GRC

[190] La commissaire de la GRC a souscrit aux conclusions provisoires nos 25, 26, 27, 28, 29 et 30.

Planification d'urgence

[191] La Commission a souligné qu'aucun plan ne peut prévoir toutes les éventualités et que le fait de permettre la discrétion et la souplesse dans la prise de décisions était essentiel dans toute opération dynamique. Cela dit, bien qu'il n'y ait pas eu de renseignements fiables sur la présence d'armes à feu au campement, plusieurs rumeurs ont circulé à cet effet. Par conséquent, la Commission a conclu qu'il aurait été raisonnable que le plan opérationnel tactique prévoie un plan d'urgence concernant la présence possible d'armes à feu et d'explosifs au campement. De plus, pour plusieurs raisons, la situation pendant l'opération tactique s'est détériorée au point où six véhicules de police ont été laissés sans surveillance et incendiés par des manifestants. La Commission a conclu que, dans l'ensemble des circonstances, il aurait été raisonnable pour la GRC d'avoir un plan d'urgence prévoyant la possibilité d'un grand nombre de manifestants agressifs sur la route 134.

Conclusion provisoire de la Commission no 32

Bien qu'il n'y ait pas eu de renseignements fiables sur la présence d'armes à feu au campement, plusieurs rumeurs ont circulé à cet effet. Il aurait donc été raisonnable que le plan opérationnel tactique prévoie un plan d'urgence concernant la présence possible d'armes à feu et d'explosifs au campement.

Conclusion provisoire de la Commission no 34

Il était raisonnable que la GRC ait décidé d'utiliser des véhicules de police comme barrage « mobile ». Une fois que la situation s'était détériorée, il était raisonnable pour les membres de la GRC d'accorder la priorité à la sécurité de toutes les parties et au maintien de l'ordre plutôt que de tenter de préserver les véhicules de police. Finalement, l'incendie des véhicules incombait à la ou aux personnes qui les avaient illégalement incendiés.

Conclusion provisoire de la Commission no 35

Dans l'ensemble des circonstances, il aurait été raisonnable pour la GRC d'avoir un plan d'urgence prévoyant la possibilité d'un grand nombre de manifestants agressifs sur la route 134.

Réponse de la commissaire de la GRC

[192] La commissaire de la GRC n'a pas souscrit à la conclusion provisoire no 32. Elle a déclaré que, bien que le plan opérationnel n'ait peut-être pas contenu de processus officiel pour faire face à la possibilité de la présence d'armes à feu ou d'explosifs au campement, il était clair dans les documents pertinents que cette possibilité avait été abordée dans le plan opérationnel. Elle a ajouté que les documents pertinents étaient remplis de mentions faites par les membres de la GRC concernant la possibilité d'armes à feu dans le campement. La commissaire de la GRC a mentionné qu'« il était préférable de permettre aux membres de réagir à la découverte d'armes à feu ou d'explosifs en misant sur leur formation et leur expérience plutôt que de les obliger à suivre un processus pouvant ou non être réalisable compte tenu de la nature très instable et stressante des manifestations ».

[193] La commissaire de la GRC a souscrit à la conclusion provisoire no 34.

[194] La commissaire de la GRC a souscrit partiellement à la conclusion provisoire no 35, déclarant que le commandant des interventions était très conscient de la possibilité qu'un grand nombre de manifestants agressifs soient présents sur la route 134, et que, compte tenu des ressources à sa disposition, il n'avait pas ressenti le besoin de prévoir des dispositions particulières pour cette éventualité dans le plan opérationnel. La commissaire de la GRC a mentionné que le commandant des interventions « n'avait pas besoin de plus de ressources », puisqu'il avait 200 membres à sa disposition pour l'opération, y compris un certain nombre d'équipes d'intervention rapide.

[195] La commissaire de la GRC a ajouté que le commandant des interventions et « vraisemblablement la plupart des autres membres » étaient très conscients de la possibilité d'une augmentation du nombre de manifestants agressifs sur la route 134 une fois l'opération commencée, mais que l'absence d'une telle disposition dans le plan opérationnel n'était pas déraisonnable et n'aurait vraisemblablement pas changé la façon dont la GRC a pris en charge la situation.

Analyse de la Commission concernant la réponse de la GRC

[196] En ce qui concerne la conclusion provisoire no 32 portant sur la possibilité de la présence d'armes à feu, la Commission fait remarquer que son rapport intérimaire sur l'EIP a déjà abordé bon nombre des points soulevés dans la réponse de la commissaire de la GRC. Par exemple, dans le rapport intérimaire sur l'EIP, on a précisément reconnu que la possibilité de la présence d'armes à feu était mentionnée dans le plan opérationnel. Une partie du plan avait été citée à cet effet. Dans le rapport intérimaire sur l'EIP, on a également conclu que « [p]ermettre la discrétion et la souplesse dans la prise de décisions était essentiel dans toute opération dynamique ».

[197] Par conséquent, comme l'indique son rapport intérimaire sur l'EIP, la Commission convient qu'il était préférable de gérer ce risque par l'entremise de la formation et de l'expérience plutôt que par un processus prédéterminé. En effet, c'est exactement ce qui a été fait lorsqu'une personne a pointé un fusil vers les policiers et que des membres de la GRC ont désamorcé une situation tendue et dangereuse sans qu'il y ait de blessures ni de pertes de vie.

[198] Néanmoins, la Commission continue d'être d'avis que le plan opérationnel aurait pu faire explicitement allusion à la possibilité de la présence d'armes à feu et mettre davantage l'accent sur ce point, sans nécessairement prévoir un plan d'urgence précis. Cela est particulièrement pertinent compte tenu du danger considérable que représente cette menace, ainsi que des conséquences importantes sur l'ensemble de l'opération lorsqu'une arme à feu est brandie (longs retards dans l'opération, réaffectation des ressources, etc.).

[199] Pour ces raisons, la Commission réitère la conclusion no 32.

[200] En ce qui a trait à la conclusion provisoire no 35, la Commission réitère que le point de contrôle du « flanc » ouest était doté initialement d'un nombre jugé suffisant de membres de la GRC compte tenu des ressources disponibles, mais les événements se sont précipités et la situation a empiré. Les ressources ont été redirigées et les opérations au blocus et au campement ont pris beaucoup plus de temps que prévu. Au fil du temps, le « flanc » ouest a été confronté à un nombre croissant de manifestants agressifs. Les membres de la GRC ont fait de leur mieux pour réagir à une situation en constante évolution, mais la zone du point de contrôle ouest s'est essentiellement transformée en scène d'émeute et de nombreux véhicules de police ont été incendiés.

[201] La Commission souligne en outre que, si la possibilité d'une augmentation du nombre de manifestants agressifs dans le secteur en question était largement prévue, comme l'indique la réponse de la commissaire de la GRC, il aurait fallu établir des dispositions plus exhaustives dans le plan opérationnel afin d'en tenir compte. Bien que les membres de la GRC aient cherché à faire de leur mieux dans une situation instable, les émeutes et les dommages criminels qui en ont découlé ont constitué un point faible de l'opération de la GRC dans le comté de Kent.

[202] En ce qui concerne le commentaire dans la réponse de la commissaire de la GRC selon lequel le commandant des interventions n'avait pas besoin de plus de ressources, la Commission note qu'elle n'a pas tiré de conclusion dans son rapport intérimaire sur l'EIP quant au nombre suffisant de ressources de la GRC déployées pour intervenir lors des manifestations. Par conséquent, la Commission ne commentera pas la déclaration de la commissaire de la GRC dans le présent rapport.

[203] La Commission réitère la conclusion no 35.

Conclusions et recommandations finales de la commission

Conclusions finales

  1. Dans l'ensemble, les membres de la GRC ont géré les procédures postérieures à l'arrestation et relatives à la détention de manière raisonnable et conformément à la politique.
  2. De façon générale, les membres de la GRC ont compris et appliqué une approche modérée dans leurs relations avec les manifestants.
  3. Tout au long des manifestations jusqu'au 17 octobre 2013, l'équipe de commandement de la GRC et l'Équipe de négociation en situation de crise ont tout mis en œuvre pour réunir les intervenants afin de trouver une solution au conflit. Leurs efforts ont été contrecarrés, en partie, par la nature insoluble du différend et par l'absence de leadership clair de la part des manifestants.
  4. Les renseignements dont dispose la Commission n'établissent pas, selon la prépondérance des probabilités, que les personnes avaient une attente objectivement raisonnable en matière de respect de la vie privée en ce qui concerne leurs communications par l'intermédiaire des groupes Facebook, ni que l'agent d'infiltration de la GRC a « intercepté » ces communications, comme il est exposé dans la jurisprudence pertinente.
  5. Toute collecte de communications électroniques potentiellement « privées » par la GRC ne doit se faire que dans les limites du Code criminel, de la Charte et de la jurisprudence connexe.
  6. Selon la prépondérance des probabilités, la Commission conclut que la collecte de renseignements de sources ouvertes dans les cas du manifestant B, du manifestant D et de la manifestante E n'était pas déraisonnable dans les circonstances. 
  7. La politique de la GRC sur l'utilisation de sources ouvertes ne fournissait pas de directives claires quant à la collecte, à l'utilisation et à la conservation de renseignements personnels obtenus à partir des médias sociaux ou d'autres sources ouvertes, en particulier dans les situations où aucun lien avec des activités criminelles n'a été établi.
  8. Il semble que les membres de la GRC ne disposaient pas d'une autorisation judiciaire ou d'une autre autorisation légale pour effectuer des contrôles routiers aux fins de collecte de renseignements d'une manière qui constituait une « enquête générale » sur les occupants du véhicule. Cette pratique n'était pas conforme aux droits garantis par la Charte aux occupants du véhicule.
  9. Même si certains des barrages routiers étaient probablement justifiés dans les circonstances particulières, l'interception au hasard de véhicules à des fins autres que celles énoncées dans la législation provinciale sur la circulation routière, sans autorisation judiciaire et en l'absence d'enquête urgente sur un crime grave, n'était pas conforme, selon la prépondérance des probabilités, aux droits garantis par la Charte aux occupants du véhicule. 
  10. Selon la prépondérance des probabilités, il semble que la pratique de fouiller les véhicules entrant dans le campement était, dans les circonstances, incompatible avec le droit des personnes à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Il aurait été préférable que la GRC obtienne un mandat général, s'il existait des motifs suffisants.
  11. Il y a eu confusion entre certains manifestants et certains membres de la GRC quant aux conditions de l'injonction datée du 22 novembre 2013. Il n'y a pas suffisamment de renseignements pour conclure que, selon la prépondérance des probabilités, les arrestations effectuées en vertu de cette injonction étaient illégales ou déraisonnables. Bien que les manifestants, à l'instar de tous les citoyens, doivent s'informer des lois qui régissent leurs actes, les policiers qui appliquent les lois doivent également en être pleinement informés et les communiquer au public de la façon la plus claire possible.
  12. Étant donné le manque d'information détaillée dans les allégations, la Commission ne disposait pas de renseignements suffisants pour conclure, de manière générale, que les fermetures de routes et le détournement de la circulation pendant les manifestations contre le gaz de schiste étaient déraisonnables. De même, les renseignements étaient insuffisants pour étayer l'allégation selon laquelle les médias s'étaient vu déraisonnablement refuser l'accès aux sites des manifestations.
  13. Dans son rapport sur la plainte de la manifestante F, la Commission a estimé, selon la prépondérance des probabilités, que la décision de restreindre l'accès de la plaignante au site des manifestations afin d'empêcher la criminalité et d'assurer la sécurité publique n'était pas déraisonnable dans ces circonstances.
  14. Au début de l'opération de maintien de l'ordre lors des manifestations contre le gaz de schiste, sauf quelques exceptions importantes, les membres affectés à l'opération n'avaient pas reçu une formation suffisante en matière de culture autochtone.
  15. D'après les renseignements disponibles, les membres de la GRC n'auraient pas, délibérément ou involontairement, entravé inutilement les cérémonies autochtones ou touché inutilement les objets sacrés.
  16. D'après les éléments de preuve disponibles, la Commission est convaincue que les membres de la GRC n'ont pas fait de distinction entre les manifestants autochtones et non autochtones lorsqu'ils ont procédé à des arrestations et n'ont pas fait preuve de parti pris contre les manifestants autochtones en général.
  17. La GRC ne s'est pas occupée de la sécurité privée de SWN. Son rôle était de maintenir la paix et d'assurer la sécurité publique tout en respectant le droit des manifestants de manifester. D'après les renseignements disponibles, les interactions de la GRC avec SWN Resources Canada étaient raisonnables dans les circonstances.
  18. La décision de tenir à l'écart les membres de l'Équipe de négociation en situation de crise au sujet de la planification opérationnelle, si bien intentionnée soit-elle, a indirectement mené à la situation fâcheuse et regrettable de l'opération tactique survenue peu de temps après que les négociateurs de la GRC ont offert du tabac aux meneurs des manifestations sur les lieux du campement.
  19. Compte tenu des dispositions de l'injonction, la GRC avait le pouvoir légal de mener l'opération, et, selon la prépondérance des probabilités, cela constituait un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire de le faire dans toutes les circonstances.
  20. Il aurait été prudent de prévoir plus de temps pour les négociations et la révision de l'injonction devant les tribunaux avant de procéder à l'opération. Dans les circonstances, il aurait été raisonnable et souhaitable d'accorder plus de temps aux négociations, en particulier après que les négociations de l'Équipe de négociation en situation de crise avaient déjà porté leurs fruits.
  21. De façon générale, la Commission conclut que, pendant les manifestations contre le gaz de schiste, les membres de la GRC avaient des motifs raisonnables d'arrêter des personnes pour diverses infractions, notamment méfait et/ou entrave, et que, de façon générale, la force employée pour procéder aux arrestations était nécessaire et proportionnelle dans les circonstances.
  22. Les menottes initialement appliquées à la manifestante C et au manifestant D étaient probablement plus serrées qu'il n'était nécessaire pour maîtriser ces personnes.
  23. Il est raisonnable de conclure que les personnes qui maintenaient le blocus commettaient un méfait, en ce sens qu'elles gênaient la capacité de SWN d'utiliser son équipement, et d'autres personnes au campement, qui n'étaient pas nécessairement des participants actifs du blocus, étaient parties à l'infraction de méfait. En outre, l'ordonnance d'injonction interdisait expressément aux personnes d'empêcher le travail de SWN à l'enceinte et autorisait les policiers à arrêter les personnes qui violaient les dispositions de l'injonction. Ainsi, les arrestations de personnes au campement étaient raisonnables dans les circonstances.
  24. Il était raisonnable que les membres de la GRC arrêtent le chef Sock et les membres du conseil pour l'infraction de méfait lorsqu'ils se sont assis par la suite devant l'enceinte de SWN et ont refusé de partir.
  25. La force physique, comme pousser, frapper ou utiliser du gaz poivré pour contrôler les manifestants, a été employée après que les manifestants ont physiquement tenté de traverser le cordon de policiers et ont effectivement participé à une émeute. Compte tenu des risques posés par les manifestants et des préoccupations raisonnables pour la sécurité des membres de la GRC et du public, le recours à la force physique, notamment pousser, frapper ou utiliser du gaz poivré, était nécessaire dans les circonstances et était proportionnel au comportement auquel faisaient face les membres.
  26. Dans le contexte de la confrontation, il était nécessaire que les membres aient recours à la force (notamment les balles-chaussettes et le fait de dégainer et/ou de pointer des armes à feu), et le type et le degré de force utilisés étaient proportionnels au comportement auquel les membres ont dû faire face.
  27. Les membres du Groupe tactique d'intervention avaient des motifs raisonnables de soupçonner que des manifestants dans les bois pourraient transporter des armes à feu ou des engins explosifs en raison de la confrontation avec un manifestant armé qui s'était produite plus tôt dans la journée et parce que des manifestants non identifiés avaient lancé des cocktails Molotov depuis les bois, plus tôt ce jour-là.
  28. Étant donné que les membres du Groupe tactique d'intervention avaient des motifs raisonnables de soupçonner que des manifestants dans les bois pourraient transporter des armes à feu ou des engins explosifs, d'après les éléments de preuve dont elle disposait, la Commission conclut que le fait de pointer une arme à feu ne constituait pas un recours déraisonnable à la force dans les circonstances.
  29. Pointer/décharger des armes à feu chargées de balles-chaussettes équivalait à une réaction mesurée au comportement de personnes dont les actes présentaient un danger pour elles-mêmes, les policiers ou le grand public, dans un contexte où d'autres méthodes d'intervention auraient été inopportunes.
  30. La Commission n'a trouvé aucune preuve de contact physique direct entre les chiens de police et les manifestants. Les éléments de preuve montrent que les chiens de police ont été utilisés uniquement comme moyen de dissuasion psychologique. Par conséquent, l'utilisation des chiens de police était conforme à la politique de la GRC et au MIGI. La Commission fait cependant remarquer qu'elle n'a pas été en mesure de trouver les documents pertinents du rapport de cas C-227B qui doivent être remplis conformément à la politique de la GRC.
  31. Les éléments de preuve présentés à la Commission n'étayent pas l'allégation selon laquelle, le 17 octobre 2013, les membres de la GRC étaient [traduction] « mal équipés, de sorte que certains pourraient subir des dommages physiques qui entraîneraient le dénigrement des manifestants ».
  32. Bien qu'il n'y ait pas eu de renseignements fiables sur la présence d'armes à feu au campement, plusieurs rumeurs ont circulé à cet effet. Il aurait donc été raisonnable que le plan opérationnel tactique prévoie un plan d'urgence concernant la présence possible d'armes à feu et d'explosifs au campement.
  33. Dans les circonstances et conformément à l'approche modérée, il n'était pas déraisonnable de demander initialement aux équipes anti-émeute de porter l'équipement de niveau 2.
  34. Il était raisonnable que la GRC ait décidé d'utiliser des véhicules de police comme barrage « mobile ». Une fois que la situation s'était détériorée, il était raisonnable pour les membres de la GRC d'accorder la priorité à la sécurité de toutes les parties et au maintien de l'ordre plutôt que de tenter de préserver les véhicules de police. Finalement, l'incendie des véhicules incombait à la ou aux personnes qui les avaient illégalement incendiés.
  35. Dans l'ensemble des circonstances, il aurait été raisonnable pour la GRC d'avoir un plan d'urgence prévoyant la possibilité d'un grand nombre de manifestants agressifs sur la route 134.
  36. La décision de ne pas informer les écoles au sujet de l'opération imminente était raisonnable, même s'il avait été prudent que le plan opérationnel tactique ait été modifié pour garantir que les enfants puissent se rendre à l'école avant le début de l'opération.
  37. Il n'y a aucune preuve à l'appui de l'affirmation selon laquelle la GRC a eu recours à des agents provocateurs le 17 octobre 2013.
  38. La Commission n'a trouvé aucune preuve établissant qu'on avait fait appel à des personnes qui ne sont pas membres de la GRC pendant l'opération le 17 octobre 2013.

Recommandations finales

  1. Que, outre la Loi sur la protection des renseignements personnels, la politique en vigueur et la formation offerte, la GRC fournisse des lignes directrices claires établissant des paramètres liés au renseignement et à l'application de la loi clairement définis et raisonnablement limités en ce qui concerne la collecte de renseignements personnels de sources ouvertes, comme les sites de médias sociaux; les utilisations qui peuvent être faites de ces renseignements; et les mesures qui devraient être prises pour garantir leur fiabilité.
  2. Que la politique de la GRC traite les renseignements personnels et les documents à l'appui obtenus à partir de sources de médias sociaux contenant des renseignements personnels (p. ex. saisies d'écran des sites de médias sociaux) comme une catégorie distincte de dossier. Ces dossiers ne doivent pas être conservés plus longtemps qu'il n'est nécessaire aux fins du renseignement ou de l'événement pour lesquelles ils ont été recueillis une fois qu'il est établi qu'il n'y a pas de lien avec des activités criminelles ou la sécurité nationale. De plus, en ce qui concerne la conservation d'une évaluation du renseignement ou de tout autre produit généré à partir de sources ouvertes, la politique de la GRC devrait exiger l'anonymisation ou la destruction de tous les renseignements personnels contenus dans l'évaluation lorsqu'il n'y a pas de lien avec des activités criminelles ou le mandat de la GRC en matière de sécurité nationale (comme des renseignements personnels liés à des activités licites de manifestation d'un désaccord).
  3. Que la GRC élabore des politiques prévoyant que les renseignements personnels obtenus relativement à des événements publics comme des manifestations soient détruits dès que possible et conformément aux lois applicables une fois qu'il est établi qu'il n'y a pas de lien avec des activités criminelles ou que les renseignements ne sont plus nécessaires aux fins pour lesquelles ils ont été recueillis.
  4. Qu'on donne aux membres participant aux opérations de maintien de l'ordre public un aperçu des lois et des politiques relatives aux fouilles, perquisitions et saisies, y compris l'obligation d'obtenir un mandat et les motifs juridiques établissant des exceptions pour les fouilles sans mandat.
  5. Que la GRC fournisse aux membres intervenant dans le maintien de l'ordre lors de manifestations publiques ou le maintien de l'ordre public des interprétations détaillées et exactes des conditions de toute injonction ou des dispositions juridiques particulières qu'ils doivent appliquer, en obtenant des conseils juridiques, au besoin.
  6. Que les décisions de restreindre l'accès aux voies publiques ou à d'autres sites publics ne doivent être prises qu'avec des justifications particulières et objectivement raisonnables en ce sens, et, si elles sont permises par la loi, elles doivent être prises de façon à porter atteinte le moins possible aux droits des personnes; par exemple, il convient d'imposer une zone tampon aussi restreinte que possible et une exclusion aussi courte que possible.
  7. Que, en particulier dans le cadre du maintien de l'ordre lors d'une manifestation publique, les membres doivent être conscients des limites de leurs pouvoirs, surtout pour ce qui est de limiter la capacité des manifestants de se réunir et de s'exprimer de manière légale.
  8. Que la GRC exige que tous les membres examinent le Guide sur la spiritualité chez les Amérindiens de la GRC, et que tous les membres participant aux services de police autochtones, y compris les membres des équipes anti-émeute/groupes du maintien de l'ordre public chargés du maintien de l'ordre lors des manifestations des Autochtones, soient tenus de suivre un programme de formation qui vise expressément la compréhension des questions culturelles autochtones.
  9. Que la GRC entame une collaboration avec divers intervenants autochtones en vue d'élaborer une procédure pratique, axée sur le contexte, qui fournit des conseils aux membres concernant la manipulation des objets sacrés dans divers contextes.
  10. Malgré des motifs raisonnables de maintenir une séparation entre les négociateurs et les planificateurs opérationnels, la GRC devrait envisager d'informer davantage les membres de l'Équipe de négociation en situation de crise de la stratégie globale mise en œuvre afin d'éviter des malentendus regrettables, qui peuvent nuire aux relations entre la GRC et les membres du public.
  11. La GRC devrait envisager d'élaborer une politique spécialement adaptée au rôle de l'Équipe de négociation en situation de crise dans les situations de maintien de l'ordre public.
  12. Que, dans des situations comme le maintien de l'ordre public, lorsque les membres de la GRC peuvent être tenus d'arrêter des personnes en utilisant des menottes en plastique, celles-ci ne doivent être appliquées qu'avec la force nécessaire pour maîtriser en toute sécurité la personne arrêtée.

Conclusion

[204]  La Commission dépose son rapport final conformément au paragraphe 45.76(3) de la Loi sur la GRC. Par conséquent, la Commission a rempli son mandat dans le cadre de la présente affaire.

La présidente,
Michelaine Lahaie

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