Sommaire : Rapport de la CCETP sur les interventions de la GRC lors des manifestations contre le gaz de schiste dans le comté de Kent, au Nouveau-Brunswick

Contexte

Le droit de manifester légalement est une caractéristique de la démocratie.

La Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC (la « Commission ») a reçu 21 plaintes du public concernant les interventions de la GRC dans la gestion des manifestations contre l'exploration du gaz de schiste par SWN Resources Canada, près de la ville de Rexton, dans la réserve de la Première Nation d'Elsipogtog dans le comté de Kent, et dans diverses autres régions du Nouveau-Brunswick en 2013.

Après avoir examiné ces plaintes et les documents divulgués par la GRC, le président de la Commission de l'époque a pris l'initiative d'une plainte et d'une enquête en décembre 2014, notamment pour examiner les allégations du point de vue plus large des politiques et des pratiques.

À la suite de son enquête, la Commission a publié un rapport intérimaire de 116 pages contenant 38 conclusions et 12 recommandations à l'intention de la GRC. La Commission a reçu et examiné la réponse de la GRC à son rapport intérimaire et publie maintenant son rapport final sur l'affaire.

Quelques constatations et recommandations

Rôle de la GRC

Le rôle principal de la GRC dans toute manifestation ou contestation est de maintenir la paix, de protéger la vie et les biens et de faire appliquer la loi.

La GRC n'a pas pour rôle d'établir la validité juridique d'une licence ou d'une injonction.

La Commission a conclu que les interactions entre la GRC et SWN Resources étaient raisonnables dans les circonstances et que l'application de la loi et d'injonctions juridiques n'équivalait pas pour la GRC à agir en tant qu'agence de sécurité privée pour SWN Resources, comme certains l'ont prétendu.

Approche modérée

L'« approche modérée » est une philosophie de gestion de crise qui se donne pour but d'amener les parties prenantes à travailler ensemble à la résolution pacifique d'un conflit.

La Commission a trouvé de nombreux exemples démontrant que les membres de la GRC avaient compris et appliqué une approche modérée dans la planification des opérations et de leurs interactions avec les manifestants.

Surveillance et fouilles

La Commission a constaté que certaines pratiques de surveillance et de fouille physique de la GRC étaient incompatibles avec les droits des manifestants garantis par la Charte de ne pas faire l'objet de fouilles ou de saisies abusives.

Par exemple, au moment d'effectuer des « contrôles routiers », les membres de la GRC ont procédé à l'interception au hasard de véhicules à des fins autres que celles énoncées dans la législation provinciale sur la circulation routière. Les membres de la GRC ne répondaient pas à une situation d'urgence et n'avaient pas d'autorisation judiciaire pour ces interventions.

Ainsi, même si des informations, quoique non confirmées, sur la présence d'armes soulevaient une question légitime de sécurité publique, la fouille des personnes entrant dans le campement des manifestants était incompatible avec les droits garantis par la Charte à ces personnes.

Collecte de renseignements de sources ouvertes

Même si une grande partie de la conduite de la GRC en ce qui a trait aux dossiers à source ouverte et à certaines opérations d'infiltration n'était pas déraisonnable dans les circonstances, la Commission a émis de nombreuses réserves au sujet des pratiques et politiques de la GRC et a formulé plusieurs conclusions et recommandations.

Par exemple, la Commission a conclu que la politique de la GRC n'incluait pas de directives claires quant à la collecte, à l'utilisation et à la conservation de renseignements personnels recueillis dans les médias sociaux ou d'autres sources ouvertes, en particulier dans les situations où aucun lien avec des activités criminelles n'avait été établi. La Commission a recommandé que la politique de la GRC définisse quels renseignements personnels peuvent être recueillis dans les médias sociaux, quelle utilisation en est permise, quelles mesures doivent être prises pour vérifier leur fiabilité et quelles limites doivent exister pour leur conservation.

Liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique

Plusieurs incidents ou pratiques ont restreint à divers degrés les droits des manifestants à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique.

Le rapport de la Commission souligne que la police ne peut établir des « zones tampons » que conformément aux paramètres établis par les tribunaux, et que les membres de la GRC doivent être conscients des limites des pouvoirs de la police.

À ce titre, les décisions de restreindre l'accès aux voies publiques ou à d'autres sites ne doivent être prises que dans certaines circonstances précises, raisonnables et limitées de manière à minimiser les répercussions négatives sur les droits de la personne.

La Commission recommande que la GRC fournisse à ses membres qui interviennent dans le maintien de l'ordre lors de manifestations des interprétations détaillées et exactes des conditions de toute injonction qu'ils doivent appliquer, et d'obtenir des conseils juridiques, au besoin.

Sensibilité à la culture, aux cérémonies et aux objets sacrés des Autochtones

La preuve vidéo montre que les membres de la GRC qui travaillaient sur les lieux des manifestations semblaient généralement conscients de la nécessité de respecter les cérémonies et les objets sacrés. Malgré cela, des conflits ont éclaté. La Commission a conclu que les membres de la GRC affectés à l'opération n'avaient pas reçu une formation suffisante en matière de culture autochtone.

La Commission recommande que la GRC exige de tous ses membres qu'ils prennent connaissance du Guide sur la spiritualité chez les Amérindiens et que tous ceux qui participent aux services de police autochtones, y compris ceux qui interviennent dans le maintien de l'ordre lors de manifestations, reçoivent une formation sur les questions culturelles autochtones.

Selon la Commission, la GRC doit élaborer une politique et une procédure souple sur la manipulation des objets sacrés confisqués lors d'arrestations à des manifestations.

Allégation de partialité contre les manifestants autochtones

Un certain nombre de manifestants ont affirmé que la GRC avait traité les manifestants autochtones plus durement que les manifestants non autochtones.

D'après les éléments de preuve disponibles, la Commission est convaincue que les membres de la GRC n'ont pas fait de distinction entre les manifestants autochtones et non autochtones lorsqu'ils ont procédé à des arrestations, et n'ont pas fait preuve de parti pris contre les manifestants autochtones en général.

Opération tactique du 17 octobre 2013

Dans un contexte de tension croissante, de menaces, de blocus, de rumeurs répandues concernant la présence d'armes à feu et d'explosifs ainsi que de motards hors-la-loi, les officiers supérieurs de la GRC ont décidé de mettre en œuvre un plan opérationnel tactique qui comprenait, entre autres choses, le démantèlement du campement des manifestants.

La Commission a déterminé que la GRC avait le pouvoir légal de mener l'opération tactique du 17 octobre 2013 et que, selon la prépondérance des probabilités, cela constituait un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire de le faire dans toutes les circonstances.

En même temps, la Commission croit qu'il aurait été prudent de prévoir plus de temps pour les négociations et la révision de l'injonction devant les tribunaux avant de procéder à l'opération tactique. La décision d'aller de l'avant avec le plan opérationnel tactique a eu des conséquences importantes. Dans les circonstances, il aurait été raisonnable et souhaitable d'accorder plus de temps aux négociations, en particulier après que les négociations de l'Équipe de négociation en situation de crise (ENSC) eurent déjà porté leurs fruits.

Équipe de négociation dans les situations de crise

Tout au long du blocus, l'ENSC de la GRC a négocié avec les manifestants.

La Commission a conclu que l'équipe a déployé des efforts raisonnables, voire remarquables, pour mettre en œuvre une approche modérée dans la communication et la négociation avec les manifestants susceptible d'assurer des manifestations pacifiques et légales et de régler tout conflit jusqu'aux événements du 17 octobre 2013.

La décision de tenir à l'écart les membres de l'ENSC au sujet de la planification opérationnelle, quoique bien intentionnée, a indirectement mené à la situation fâcheuse et regrettable d'une opération tactique survenue peu de temps après que les négociateurs de la GRC ont offert du tabac aux meneurs des manifestations sur le campement.

La Commission est d'avis que la GRC aurait dû mieux informer les membres de l'ENSC de la stratégie globale. Cela aurait pu éviter des malentendus regrettables qui, dans le cas présent, ont donné à certains manifestants le sentiment d'avoir été trahis par les négociateurs.

Arrestations

Les renseignements disponibles portent à croire qu'au printemps et à l'été 2013, les membres de la GRC ont souvent fait preuve d'une tolérance considérable en permettant que les manifestations se poursuivent pendant une longue période, malgré le fait que les manifestants enfreignaient parfois la loi.

Les événements du 17 octobre 2013 étaient de nature beaucoup plus dynamique et conflictuelle, et ont donc entraîné des arrestations plus « musclées ».

Mis à part quelques exceptions, ces interventions étaient justifiées. Les membres de la GRC avaient des motifs raisonnables de croire que des personnes avaient commis ou commettaient diverses infractions et que certains manifestants avaient une conduite violente, résistante et provocante.

Recours à la force

Plusieurs manifestants ont déposé des plaintes publiques contestant leur arrestation et alléguant que des membres de la GRC avaient eu recours à une force inutile et excessive contre eux.

Des résumés des différents rapports de plainte peuvent être consultés ici.

La Commission a également reçu de nombreuses plaintes de nature générale concernant le recours à la force par la GRC pendant toute la période des manifestations contre le gaz de schiste, et ce, particulièrement pendant l'opération tactique.

Dans le cadre de leurs fonctions, les agents de police peuvent devoir recourir à une force raisonnable, comme le prévoient le Code criminel et les politiques de la GRC.

La Commission conclut que, de façon générale, et compte tenu des risques posés par la conduite des manifestants et des préoccupations raisonnables pour la sécurité des membres de la GRC et du public, le recours à la force physique était nécessaire dans les circonstances et était proportionnel aux comportements auxquels les membres faisaient face.

Cependant, la Commission a relevé des cas où les menottes en plastique passées à certains manifestants étaient probablement plus serrées que nécessaire.

Planification en cas d'urgence

Aucun plan ne peut prévoir toutes les éventualités, et la discrétion et la souplesse des prises de décision sont essentielles dans toute opération dynamique.

Cependant, il aurait été raisonnable que le plan opérationnel tactique de la GRC mentionne la possibilité de la présence d'armes à feu et d'explosifs sur le campement.

La Commission a conclu qu'il était raisonnable que la GRC utilise des véhicules de police comme barricade et donne la priorité à la sécurité plutôt qu'à la préservation des véhicules lorsque la situation s'est détériorée. La GRC n'est pas tenue responsable des incendies de véhicules qui ont suivi. Cependant, la Commission a également conclu qu'il aurait été raisonnable que la GRC ait un plan en cas d'urgence prévoyant la possibilité qu'un grand nombre de manifestants agressifs se retrouvent sur la route 134.

La Commission a conclu qu'il était raisonnable pour la GRC de ne pas informer les écoles de l'opération tactique imminente, mais qu'il aurait été prudent de modifier le plan de manière à ce que les enfants puissent se rendre à l'école avant le début de l'opération plutôt que d'avoir à attendre dans les autobus scolaires et d'être témoins d'une situation effrayante.

Réponse de la GRC au rapport

Comme l'exigent les lois applicables, la commissaire de la GRC a examiné le rapport d'enquête provisoire de la Commission et a produit une réponse écrite indiquant les conclusions et les recommandations auxquelles la GRC donnerait suite et, dans le cas contraire, les raisons pour lesquelles elle ne le ferait pas.

Dans sa réponse, la GRC a accepté un certain nombre des conclusions de la Commission, dont plusieurs essentielles pour ses interventions.

De plus, la GRC a accepté de mettre en œuvre plusieurs des recommandations de la Commission, notamment une formation de sensibilisation à la culture et aux objets sacrés des Autochtones; une meilleure communication avec les négociateurs en situation d'urgence; et le recyclage des membres de la GRC en ce qui a trait aux lois et aux politiques sur les fouilles et les saisies.

Cependant, la Commission est grandement préoccupée par la réponse de la GRC à certaines de ses conclusions et recommandations. Ces préoccupations sont discutées dans la préface du rapport.

En particulier, la GRC a indiqué qu'elle appuyait huit des douze recommandations de la Commission, mais qu'elle estimait que trois d'entre elles ne nécessitaient aucune nouvelle mesure.

Ce qui inquiète la Commission est que ces recommandations concernent entre autres les barrages, les zones d'exclusion et les limites des pouvoirs de la police. La Commission a fait ces recommandations parce qu'elle mettait en cause les mesures prises par la GRC sur ces questions.

En se disant d'avis que les pratiques de la GRC étaient déjà conformes aux recommandations, la commissaire de la GRC n'a fourni aucune information indiquant que les pratiques avaient été modifiées depuis les événements survenus dans le comté de Kent, ou que les préoccupations de la Commission avaient été reconnues.

De plus, la GRC a vigoureusement rejeté les recommandations visant à limiter la collecte et la conservation des renseignements de sources ouvertes. La Commission a exprimé d'importantes préoccupations au sujet de l'approche de la GRC dans de tels cas. La Commission fait remarquer que la réponse de la GRC a pour effet d'aggraver plusieurs de ces préoccupations.

Dans d'autres cas où elle a rejeté les conclusions de la Commission, la GRC a dûment porté à son attention des éléments de preuve et des documents précis à l'appui de son point de vue différent sur les faits. Il fallait s'y attendre étant donné le volume exceptionnellement élevé des éléments de preuve. Dans certains cas, la Commission a révisé son point de vue initial en fonction de ces éléments de preuve. C'est le cas, en particulier, pour la question des motifs d'arrestation suffisants relativement à une injonction. Cet exemple montre que le régime de surveillance fonctionne comme prévu.

Cependant, bon nombre des autres réponses rejetant les conclusions de la Commission étaient de nature différente. Dans ces cas, la GRC n'a pas apporté d'éléments de preuve ou de faits supplémentaires, mais a plutôt mené sa propre évaluation de la preuve à l'appui de sa conclusion selon laquelle la conduite de ses membres ne posait pas de problème.

Ces réponses soulèvent des préoccupations. De l'avis de la Commission, le droit de la GRC de refuser de mettre en œuvre des conclusions ou des recommandations, et son obligation légale de s'expliquer lorsqu'elle le fait, ne visent pas à donner à la GRC une occasion d'agir à titre d'organisme d'appel relativement aux conclusions de la Commission.

Les opinions de la GRC sur la pertinence des actes de ses membres ne devraient pas prévaloir dans un cas où l'organe de surveillance indépendant en arrive à une conclusion différente et que la GRC n'apporte aucune autre information ni explication factuelle. Une telle approche équivaudrait à donner carte blanche à la GRC pour tirer ses propres conclusions sur les actions de ses membres.

Conclusion

Malgré les préoccupations que suscitent plusieurs éléments de la réponse de la GRC, la Commission est convaincue que, si elles sont mises en œuvre, ses recommandations aideront la GRC à améliorer le maintien de l'ordre lors des manifestations, en particulier celles des Autochtones, et aideront le service de police national à faire appliquer la loi tout en veillant à respecter les droits de tous les citoyens.

Pour consulter le rapport complet, cliquez ici.

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