Rapport final de la Commission après la réponse du commissaire concernant le décès de M. Victor Duarte dans un accident d’automobile à Langley (Colombie-Britannique)

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Liens connexes

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada
Paragraphe 45.72(2)

Plaignant

Président de la Commission civile d'examen
et de traitement des plaintes

No de dossier : PC-2013-0073

Introduction

[1] Le 29 octobre 2012, des membres de la Section de la sécurité routière de la GRC de Langley, en Colombie-Britannique, menaient une opération ciblée de sécurité routière le long de l'avenue 0 à Langley en réponse aux plaintes du public concernant la vitesse et la conduite agressive dans le secteur. Les membres de la GRC concernés utilisaient également un système de reconnaissance automatisée des plaques d'immatriculation (SRAPI) pour surveiller les véhicules. Les membres ont tenté d'arrêter un camion repéré par le SRAPI, car il était associé à un conducteur faisant l'objet d'une interdiction de conduire. Le camion ne s'est pas arrêté, et le conducteur a pris la fuite sur la 240e Rue.

[2] Deux véhicules banalisés de la GRC ont tenté de rattraper le camion en fuite, mais ont abandonné peu après. Dans les instants qui ont suivi, le camion en fuite ne s'est pas arrêté à un panneau d'arrêt à l'intersection de la 240e Rue et de la 16e Avenue et est entré en collision avec un camion semi-remorque. Cet accident a provoqué la collision de la remorque avec un troisième véhicule conduit par M. Victor Duarte. M. Duarte a subi des blessures mortelles à la suite de la collision et est décédé sur les lieux.

[3] Le conducteur du camion en fuite, M. Devon Laslop, a subi de graves blessures lors de la collision, mais a survécu. M. Laslop a été accusé et reconnu coupable de fuite de la police causant la mort et a été condamné à trois ans de prison.

[4] Le 9 janvier 2013, le président intérimaire de la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada (maintenant la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada, ci-après « la Commission »)Note de bas de page 1 a déposé une plainte relativement à cet incident, pour déterminer notamment :

  1. si les membres de la GRC ou d'autres personnes nommées ou employées sous le régime de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (Loi sur la GRC), en cause dans les événements du 29 octobre 2012, à compter de l'identification initiale du véhicule suspect jusqu'au moment de la collision, ont agi conformément à la formation, aux politiques, aux procédures, aux lignes directrices et aux exigences législatives appropriées relatives à l'application des limites de vitesse et aux poursuites dans un véhicule de police;
  2. si les politiques, les procédures et les lignes directrices de la GRC à l'échelle nationale, des divisions et des détachements qui traitent de l'application des limites de vitesse et des poursuites dans un véhicule de police sont adéquates.

[5] Comme le prévoit la Loi sur la GRC, la GRC a enquêté sur la plainte et a transmis à la Commission un rapport rédigé par le surintendant D. R. Cooke en date du 30 juin 2014. En résumé, la GRC a décelé des lacunes mineures dans la façon dont les membres de la GRC en cause ont mené l'opération au point de contrôle et a également constaté des lacunes dans la politique de la GRC sur les poursuites. Le rapport recommandait des changements mineurs au libellé de la politique nationale de la GRC sur les poursuites.

[6] Le rôle de la Commission dans des situations comme celle-ci est de nature réparatrice. Cela signifie que l'objectif de la Commission n'est pas de prendre des mesures disciplinaires, mais plutôt de s'efforcer de formuler des recommandations judicieuses pour améliorer la qualité des services de police et la reddition de compte au sein de la GRC. Pour atteindre cet objectif, la Commission doit réviser le traitement de la plainte du public par la GRC et rédiger un rapport présentant ses conclusions et ses recommandations. Ce rapport comprend trois parties. Tout d'abord, la Commission présente un rapport intérimaire produit à la suite de son examen initial du rapport de la GRC. Ensuite, le commissaire de la GRC répond au rapport intérimaire de la Commission. Finalement, la Commission examine la réponse du commissaire de la GRC et présente un rapport final.

[7] Le 14 avril 2016, la Commission a publié son rapport intérimaire. Le 7 décembre 2017, la Commission a reçu une réponse du délégué du commissaire de la GRC, le commissaire adjoint Stephen White. Le présent rapport est le rapport final de la Commission sur la question, qui conclut le processus d'examen.

Examen de la Commission

[8] La Commission est un organisme fédéral distinct et indépendant de la GRC. Quand elle examine une plainte, la Commission agit de façon indépendante et tire ses conclusions à l'issue d'un examen objectif de l'ensemble de la preuve.

[9] Les circonstances de l'incident ont également été examinées par les responsables du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) de la Colombie-Britannique. Le mandat du BEI est d'examiner la conduite des membres de la GRC en cause et de déterminer si une infraction a pu être commise. Le 20 décembre 2012, les responsables du BEI ont présenté leur rapport et conclu que les membres de la GRC en cause n'avaient commis aucune infraction criminelle.

[10] Les conclusions et les recommandations de la Commission sont distinctes de celles du BEI en ce sens que les conclusions et les recommandations de la Commission ne sont pas de nature criminelle et ne visent aucunement à établir la culpabilité criminelle. Bien que certains termes employés dans le présent rapport puissent en même temps être employés dans le contexte criminel, un tel langage ne vise pas à inclure les exigences du droit pénal en ce qui a trait à la culpabilité, à l'innocence ou à la norme de preuve.

[11] Les conclusions de la Commission reposent sur un examen approfondi du dossier opérationnel de la GRC, notamment des déclarations, des notes, des rapports d'experts, des photographies, des enregistrements audio et des preuves vidéo; l'enquête de la GRC relativement à la plainte de la Commission; le rapport de la GRC à la Commission; et le rapport du BEI. La Commission a également examiné en profondeur les politiques de la GRC à l'échelle nationale, des divisions et des détachements, ainsi que les recherches juridiques et universitaires courantes sur les poursuites policières.

Contexte factuel

[12] Le compte rendu suivant des événements est fondé sur les déclarations de témoins recueillies pendant l'enquête policière, les enregistrements audio des conversations entre les membres de la GRC et le répartiteur de la GRC, ainsi que les séquences de caméra vidéo à bord des véhicules et les données de repérage par GPS. La Commission présente ces faits soit parce qu'ils sont incontestés, soit parce que, selon la prépondérance de la preuve, la Commission les admet comme étant une version fiable de ce qui s'est produit.

[13] La Commission note que les séquences vidéo captées à bord de plusieurs véhicules de police en cause ont fourni de multiples points de vue sur l'ensemble de l'incident et se sont révélées inestimables pour arriver à une conclusion objective quant à la chaîne des événements. Dans le cadre d'une enquête indépendante, on n'insistera jamais assez sur l'avantage des enregistrements vidéo à bord des véhicules et on en recommande l'utilisation en tant que pratique exemplaire.

[14] La GRC de Langley avait reçu des plaintes concernant des excès de vitesse et une conduite agressive dans le secteur de l'avenue 0 à Langley. En réponse à ces plaintes, en fin d'après-midi le 29 octobre 2012, le caporal Patrick Davies, superviseur de la Sécurité routière de la GRC de Langley, ainsi que les gendarmes Derek Cheng, Gaenor Cox, Robert Johnston et Hayden Willems ont mené une opération ciblée de sécurité routière à l'intersection de l'avenue 0 et de la 240e Rue.

[15] Les membres de la GRC ciblaient des véhicules circulant sur l'avenue 0. Quand un contrevenant était repéré, le caporal Davies et le gendarme Cheng, qui étaient à pied, ordonnaient au contrevenant de se diriger vers la 240e Rue, où les autres membres prenaient les mesures d'application de la loi pertinentes.

[16] En plus de cibler les excès de vitesse, le gendarme Cox utilisait un SRAPI. Le SRAPI reconnaît automatiquement les plaques d'immatriculation sur les véhicules qui passent et effectue rapidement des vérifications par ordinateur pour détecter des infractions comme des véhicules ou des plaques d'immatriculation volés et des conducteurs sous le coup d'une suspension du permis ou d'une interdiction de conduire. Les membres sont avertis seulement si l'ordinateur détecte une « correspondance » pour un véhicule qui s'approche.

[17] À 17 h 26, le SRAPI a averti le gendarme Cox qu'une camionnette s'approchant était associée à un conducteur sous le coup d'une suspension du permis de conduire. Le gendarme Cox a transmis cette information aux autres membres par radio.

[18] En faisant des signes de la main, le caporal Davies et le gendarme Cheng ont ordonné à la camionnette de prendre la 240e Rue. Le conducteur de la camionnette a obéi en s'engageant sur la 240e Rue, mais ne s'est pas arrêté. Il a plutôt continué à conduire sur la 240e Rue et a accéléré.

[19] Le gendarme Johnston était à côté de son véhicule de police sur la 240e Rue. Son véhicule, un VUS banalisé, était orienté vers l'avenue 0. Voyant que la camionnette ne s'était pas arrêtée, il est immédiatement monté dans son véhicule dans le but d'intercepter la camionnette.

[20] Il a fallu 18 secondes au gendarme Johnston pour monter dans son véhicule et effectuer un virage en trois temps afin de s'orienter dans la bonne direction. Pendant cette manœuvre, il a activé les gyrophares et la sirène de son véhicule de police.

[21] Le gendarme Johnston a alors commencé à accélérer pour rattraper la camionnette.

[22] Les enregistrements vidéo dans la voiture révèlent que la camionnette était en vue du véhicule du gendarme Johnston pendant seulement les huit premières secondes de fuite. Il est évident que la camionnette roulait à grande vitesse et, de toute façon, plus vite que le véhicule du gendarme Johnston.

[23] Quarante-neuf secondes plus tard, le gendarme Johnston a désactivé l'équipement d'urgence de son véhicule et s'est immobilisé au bord de la route. Il a indiqué par radio que la camionnette tentait de prendre la fuite et qu'il mettait fin à sa poursuite.

[24] Entre-temps, le gendarme Cheng avait commencé à suivre le gendarme Johnston. Le gendarme Cheng conduisait également un véhicule de police banalisé et se trouvait à environ 14 secondes du gendarme Johnston. Le gendarme Cheng avait également activé les gyrophares et la sirène dans son véhicule de police.

[25] Dès que le gendarme Johnston a dit au répartiteur qu'il avait interrompu sa poursuite de la camionnette, le gendarme Cheng a désactivé son équipement d'urgence et a ralenti à une vitesse normale. Il est passé devant le véhicule de police stationné du gendarme Johnston et a continué à descendre la 240e Rue.

[26] Une minute et quinze secondes plus tard, le gendarme Cheng a atteint l'intersection de la 240e Rue et de la 16e Avenue et a remarqué qu'une collision s'était produite. Il s'était écoulé suffisamment de temps entre la collision et l'arrivée du gendarme Cheng pour que plusieurs autres automobilistes soient sortis de leur véhicule et aient commencé à administrer les premiers soins aux blessés.

[27] M. Laslop, le conducteur de la camionnette en fuite, peut être vu sur les enregistrements vidéo captés dans la voiture, étendu au milieu de la route, apparemment éjecté de son camion. M. Duarte, quant à lui, était prisonnier de son véhicule. Aucune autre personne n'a été blessée dans la collision.

[28] Le gendarme Cheng a immédiatement demandé de l'aide supplémentaire par radio. D'autres membres de la GRC ainsi que des pompiers et du personnel médical d'urgence ont été dépêchés sur les lieux. Le gendarme Cheng a commencé à prodiguer les premiers soins et a transmis de l'information au répartiteur concernant la gravité des blessures.

[29] Le décès de M. Duarte a été constaté sur les lieux. M. Laslop a été transporté à l'hôpital par ambulance aérienne, sous escorte d'un membre de la GRC.

[30] Les Services intégrés d'analyse et de reconstitution des collisions (SIARC) de la GRC ont effectué une enquête exhaustive de la collision. Ils ont préparé le diagramme ci-dessous qui représente la scène telle qu'elle se présentait après la collision. Dans le diagramme, le véhicule 1 est la camionnette conduite par M. Laslop; le véhicule 2 est la voiture conduite par M. Duarte, et le véhicule 3 est le camion semi-remorque en cause.

diagramme  qui représente la scène telle qu'elle se présentait après la  collision.

[31] Selon la conclusion du rapport des SIARC, la camionnette de M. Laslop se dirigeait vers le nord sur la 240e Rue et est entrée en collision avec le côté droit de la remorque du camion semi-remorque qui se dirigeait vers l'est sur la 16e Avenue. Après cet impact, la camionnette de M. Laslop a effectué une rotation de 135 degrés dans le sens horaire et a quitté la route juste au nord-est de l'intersection.

[32] Pendant ce temps, la remorque du camion semi-remorque a été poussée dans la voie en direction ouest de la 16e Avenue. Le véhicule de M. Duarte circulait vers l'ouest sur la 16e Avenue et est entré en collision avec le côté gauche de la remorque.

[33] La GRC a également retenu les services d'une société d'experts-conseils en criminalistique extérieure chargée d'enquêter sur la collision. Cette société a préparé un rapport certifié par un ingénieur professionnel dans lequel il a été déterminé que la camionnette de M. Laslop roulait à une vitesse de 150 km/h environ cinq secondes avant la collision. La limite de vitesse affichée sur la 240e Rue est de 60 km/h.

[34] L'enquête criminelle de la GRC sur M. Laslop a confirmé qu'au moment de l'incident, M. Laslop faisait l'objet d'une interdiction de conduire en Colombie-Britannique. Cette interdiction découlait des dispositions de la Motor Vehicle Act de la Colombie-Britannique et résultait d'un long dossier de conduite automobile qui comprenait 31 délits de la route dans la province entre 2004 et 2012. Ces infractions comprenaient deux condamnations antérieures pour conduite pendant une interdiction de conduire.

[35] La GRC a recommandé que des accusations soient portées, et la Couronne a finalement accusé M. Laslop de trois infractions : fuite de la police causant la mort (article 249.1 du Code criminel), conduite dangereuse causant la mort (paragraphe 249.4(4) du Code criminel) et conduite pendant une interdiction de conduire (article 95 de la Motor Vehicle Act de la Colombie-Britannique).

[36] M. Laslop a plaidé coupable et a été reconnu coupable de fuite de la police causant la mort et de conduite pendant une interdiction de conduire, ce qui a entraîné une peine d'emprisonnement de trois ans ainsi que des amendes et des interdictions de conduire supplémentaires.

Conclusions et recommandations de la Commission

[37] Le rapport intérimaire de la Commission faisait état de six conclusions provisoires et de onze recommandations provisoires découlant de l'incident. Le commissaire adjoint White a approuvé quatre des conclusions provisoires et appuyé six des recommandations provisoires de la Commission.

[38] La Commission a étudié l'information contenue dans la réponse du commissaire adjoint White et a formulé les conclusions et les recommandations finales ci-dessous. Le présent rapport comprend une analyse supplémentaire des conclusions et des recommandations provisoires de la Commission qui n'ont pas été acceptées par le commissaire adjoint White, pour ainsi étayer les conclusions de la Commission.

Conclusion provisoire no 1 : Les membres de la GRC en cause dans l'incident du 29 octobre 2012 ne se sont pas conformés à la politique énoncée dans le Manuel des opérations de la Division « E », qui exige des membres qu'ils s'assurent que des mesures de sécurité sont prises.

Conclusion provisoire no 2 : Le caporal Davies n'a pas supervisé adéquatement les opérations au point de contrôle.

[39] À l'échelle nationale, la politique de la GRC fournit des directives limitées sur les activités à des points de contrôle routier. La politique pertinente se trouve dans la partie 5 du Manuel des opérations national de la GRC et comprend les éléments suivants :

1.2. Les programmes de sécurité routière devraient être préparés soigneusement par une étude des statistiques sur les accidents, du respect et de l'application des lois et des règlements sur le port de la ceinture de sécurité et la conduite en état d'ébriété, de la densité de la circulation et des conditions météorologiques.

1.3. Les membres affectés à la sécurité routière doivent cerner les problèmes de sécurité routière dans leur région. Ils devraient ensuite prendre des mesures coercitives énergiques afin de résoudre ces problèmes.
[...]
2.1. Le membre affecté à la sécurité routière doit porter un gilet ou une veste de sécurité à haute visibilité homologué. Pendant qu'il est à l'extérieur de son véhicule de police.
[...]
3.1. Les tribunaux ont statué que la détention d'automobilistes lors d'un contrôle routier constitue une détention arbitraire, donc une infraction à l'article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. Les tribunaux ont toutefois décidé que les contrôles routiers sont justifiés conformément à l'article 1 de la Charte, afin de lutter contre les problèmes urgents et graves découlant des décès et des blessures causés par la conduite dangereuse de véhicules. On ne doit avoir recours aux contrôles routiers que pour appliquer le code de la route.

3.2. Les tribunaux ont statué qu'il convient que la police qui effectue un contrôle routier, pose des questions concernant l'état mécanique du véhicule et demande au conducteur son permis de conduire, l'immatriculation du véhicule et la couverture d'assuranceNote de bas de page 2.

[40] Le Manuel des opérations de la division de la GRC fournit un degré similaire de directives pour les opérations en Colombie-Britannique. Les passages pertinents sont notamment les suivants :

[Traduction]

1.1 L'application des lois et des règlements sur la circulation et la mise en œuvre des programmes de sécurité routière doivent être une activité planifiée, fondée sur une analyse des collisions et d'autres problèmes liés à la circulation.
[...]

3.2.1. Lorsqu'ils effectuent des tâches liées à l'application des lois et des règlements sur la circulation ou à des contrôles de sécurité routière, les membres doivent s'assurer que des mesures de sécurité sont prises pour la protection du public et du personnel de la policeNote de bas de page 3. [Soulignement ajouté]

[41] Dans le cas présent, au moins un membre de la GRC sur les lieux était au courant que l'établissement du point de contrôle était potentiellement déroutant pour les automobilistes. Dans sa déclaration au BEI, le gendarme Johnston a souligné :

[Traduction]
À de nombreuses occasions, des membres de la GRC ont ordonné à des véhicules de se ranger sur ces rues à partir de l'avenue 0; parfois, les véhicules continuent vers le nord dans les rues. Les membres rattrapent alors les véhicules, les arrêtant de quatre à six pâtés de maisons au nord de l'avenue 0. La raison la plus courante invoquée par les conducteurs est qu'ils croyaient que le membre les dirigeait vers le nord en raison de la fermeture de la route à cause d'un détour ou d'une fermeture.

[42] M. Laslop a fait une déclaration au BEI. Dans cette déclaration, M. Laslop a dit que, lorsqu'on lui avait initialement ordonné de quitter l'avenue 0 et de tourner sur la 240e Rue, il croyait que c'était en raison d'un détour, ajoutant ainsi de la crédibilité aux commentaires du gendarme Johnston.

[43] Malgré ces connaissances, l'opération de sécurité routière n'a pas été mise en place de manière à atténuer la confusion. Trois des quatre véhicules de police utilisés étaient banalisés, et les quatre véhicules étaient garés sur le même côté de la 240e Rue, face à l'avenue 0. Les gyrophares des véhicules n'étaient pas activés, ils n'étaient donc pas visibles pour les conducteurs à qui l'on ordonnait de tourner sur la 240e Rue à partir de l'avenue 0; par ailleurs, aucun membre n'était présent pour donner des directives claires aux conducteurs.

[44] D'après la déclaration faite par le gendarme Johnston, les membres auraient prévu faire demi-tour et s'approcher du véhicule au lieu de prendre des mesures proactives pour s'assurer que les conducteurs reçoivent des instructions claires.

[45] L'action de « s'approcher » est décrite dans la politique de la GRC qui se lit en partie comme suit :

8.1. Lorsqu'un véhicule de police tente de s'approcher d'un autre véhicule de le rattraper [sic], il ne s'agit pas d'une poursuite.

8.2. Avant de tenter de s'approcher d'un autre véhicule, on doit évaluer les risques et tenir compte de la sécurité du public et des policiers. Il faut continuellement évaluer les risques.

8.3. Lorsqu'on s'approche d'un véhicule, on doit utiliser le gyrophare et, si l'évaluation des risques indique un risque pour la sécurité du public et des policiers, la sirène. On peut discontinuer l'usage de la sirène lorsque le véhicule du contrevenant se range et s'arrêteNote de bas de page 4.

[46] Le fait que la politique de la GRC souligne la nécessité d'une évaluation continue des risques suppose que la manœuvre d'approche est dangereuse en soi. S'approcher signifie nécessairement que le véhicule de police se déplace plus vite que le véhicule visé. Si un véhicule visé roule à la vitesse maximale autorisée ou près de celle-ci, cela signifie que le véhicule de police doit dépasser grandement la limite de vitesse pour rattraper son retard.

[47] Ce sous-entendu est renforcé par l'Emergency Vehicle Driving RegulationsNote de bas de page 5 de la Colombie-Britannique, promulgué conformément à la Motor Vehicle Act,qui définit le fait de s'approcher comme augmentant le risque de préjudice. Les règlements comprennent les suivants :

[Traduction]
4 (6) Pour l'application des paragraphes (1), (2) et (5), les facteurs suivants augmenteront le risque de préjudice pour les membres du public :

(a) les tentatives visant à réduire la distance entre le véhicule d'un agent de la paix et un autre véhicule [...]

[48] Compte tenu de ces facteurs, la Commission conclut que le processus d'« approche d'un véhicule » est dangereux en soi.

[49] Dans l'affaire qui nous occupe, les données de repérage par GPS semblent indiquer que, en s'approchant, les véhicules de police en cause ont atteint une vitesse d'environ 120 km/h dans une zone de 60 km/h.

[50] Sachant que les conducteurs étaient désorientés par l'opération de circulation, il incombait aux membres de la GRC présents de prendre les mesures de sécurité appropriées afin de réduire les risques pour le public. Dans le cas présent, cela aurait consisté à éliminer la confusion et à s'assurer que les conducteurs reçoivent des instructions claires. En omettant de le faire, les membres présents ont enfreint la politique divisionnaire de la GRC.

[51] En tant que membre gradé présent, il incombait particulièrement au caporal Davies de veiller à ce que l'opération au point de contrôle soit établie de façon sécuritaire.

[52] Le commissaire adjoint White était d'accord avec ces deux conclusions provisoires. Par conséquent, elles ont été intégrées dans le rapport final de la Commission sans autre changement.

Conclusion provisoire no 3 : Le gendarme Johnston et le gendarme Cheng ont entrepris une poursuite qui n'était pas conforme à la politique.

Conclusion provisoire no 4 : Le caporal Davies n'a pas donné la directive au gendarme Johnston et au gendarme Cheng de mettre fin à leur poursuite.

[53] Le commissaire adjoint White était en désaccord avec ces deux conclusions, puisqu'il ne croyait pas que la définition de « poursuite » dans la politique correspondait aux faits de la présente affaire.

[54] Le commissaire adjoint White a fourni diverses raisons pour étayer son opinion. Selon la Commission, il n'est pas nécessaire de traiter chacun de ces points séparément pour les raisons ci-dessous.

[55] La politique de la GRC sur les poursuites en véhicule exige une analyse en deux volets. Pour satisfaire à la définition de poursuite, un conducteur doit :

  1. refuser de s'arrêter sur l'ordre d'un agent de la paix;
  2. tenter d'éviter l'arrestationNote de bas de page 6.

[56] Le commissaire adjoint White a donné une interprétation stricte de cette politique pour estimer que les membres en cause n'avaient pas amorcé une poursuite. Plus précisément, il s'est appuyé sur le fait que M. Laslop n'avait pas reçu la directive claire de s'arrêter après avoir fait un virage sur la 240e Rue pour maintenir son point de vue selon lequel le gendarme Johnston et le gendarme Cheng ne s'étaient pas lancés dans une poursuite lorsqu'ils ont tenté de réduire la distance entre les véhicules. En somme, la définition d'une poursuite n'était pas satisfaite, puisqu'aucune directive claire et sans équivoque de s'arrêter n'avait été donnée.

[57] En revanche, la Commission aborde la question en adoptant une approche fondée sur l'objet. La Commission est d'avis que bien qu'il se peut qu'aucune directive claire et sans équivoque de s'arrêter n'ait été donnée à M. Laslop, les circonstances générales inciteraient un policier raisonnable à conclure que M. Laslop prenait la fuite et que, par conséquent, la politique sur les poursuites devait s'appliquer.

[58] Contrairement au droit législatif, les politiques sont conçues pour servir de lignes directrices. En d'autres mots, elles servent à orienter les employés quant à la façon d'aborder une situation donnée. De façon générale, les politiques ne couvrent pas toutes les possibilités et, pour cette raison, certaines dérogations aux politiques sont souvent appropriées, sous réserve d'une justification adéquate. Cela dit, il est évident que la compréhension de l'objectif d'une politique est souvent tout aussi importante que la compréhension du libellé précis de celle-ci.

[59] La GRC n'a pas fourni à la Commission des renseignements généraux sur l'objectif sous-jacent de la politique de la GRC sur les poursuites. Cependant, si l'on se fonde sur l'important corpus de recherches examinées par la Commission sur cette question et en tenant compte de l'intérêt régulier et répété démontré par le public et les médias envers les dossiers tragiques portant sur des poursuites policières, il est raisonnable de conclure qu'au moins un des objectifs sous-jacents de la politique de la GRC sur les poursuites est de réduire les risques de blessures et de décès en limitant, dans la mesure du possible, les poursuites en véhicule.

[60] Autrement dit, les risques reliés aux tentatives d'arrêter un conducteur sont parfois trop élevés et la sécurité du public doit prévaloir.

[61] Dans cette optique, la Commission établit que les membres au point de contrôle savaient que M. Laslop essayait de prendre la fuite. Peu importe si la situation correspondait ou non à la définition d'une poursuite selon la GRC, M. Laslop agissait comme un conducteur qui tente d'échapper aux policiers. La conclusion de la Commission est fondée sur les faits suivants :

  1. Le gendarme Johnston a déclaré qu'il a [traduction] « vu le gendarme CHENG et le caporal DAVIES commencer à courir vers la voiture de police du gendarme JOHNSTON au moment où ils se sont rendu compte que le véhicule n'allait pas s'arrêter… ».
  2.  Dans son rapport, le gendarme Cheng a déclaré qu'il a crié au gendarme JOHNSTON : [traduction] « Bobby! Arrête ce camion qui se sauve! C'est un conducteur à qui il est interdit de conduire! »
  3. Deux véhicules de police ont immédiatement entrepris d'intercepter le véhicule de M. Laslop. S'il s'était agi d'un cas où les membres avaient simplement besoin de signaler à un conducteur désorienté de se ranger (comme l'ont laissé entendre certains des membres en cause), il est peu probable que deux véhicules aient été nécessaires. Il est plus probable que les membres ont reconnu que M. Laslop tentait de s'enfuir.
  4. M. Laslop s'est éloigné du point de contrôle en accélérant rapidement. Le gendarme Johnston a estimé que le véhicule de M. Laslop dépassait du double la limite affichée en prenant la fuite. Cela n'est pas caractéristique d'un conducteur qui était désorienté et qui venait à peine de passer à côté de plusieurs policiers.
  5.  Le caporal Davies a mentionné que [traduction] « la camionnette a effectué son virage, puis, au lieu de se ranger, a accéléré vers le nord sur la 240e Rue. Le caporal DAVIES a informé le répartiteur sur la fréquence principale de la radio qu'un véhicule ne s'était pas arrêté pour les agents au poste de contrôle routier fixe… Le caporal DAVIES a demandé que l'on informe la GRC de Chilliwack afin qu'un agent puisse se présenter à l'adresse de [M. Laslop]. Le caporal DAVIES a demandé si Air One (hélicoptère de la police) était disponible, mais il ne l'était pas. La description du véhicule a été diffusée à d'autres agents de la GRC dans le secteur d'Aldergrove. »

[62] Compte tenu de ces facteurs, la Commission conclut qu'il aurait dû être évident pour un policier raisonnable que la conduite de M. Laslop était conforme à celle d'un conducteur qui essaie de prendre la fuite. Dans une pareille situation, il aurait été raisonnable d'appliquer la politique de la GRC sur les poursuites pour décider s'il fallait poursuivre M. Laslop ou non.

[63] Cela dit, la Commission reconnait que les deux organismes, c'est-à-dire elle-même et la GRC, sont arrivés à des résultats différents dans le cadre de l'analyse. Par ailleurs, il est également important de rappeler que les membres en cause n'ont disposé que de quelques secondes pour prendre une décision. Des années plus tard, le débat se poursuit à savoir si la politique de la GRC sur les poursuites devait s'appliquer. Enfin, les deux membres impliqués dans la poursuite se sont rendu compte quelques instants après le début de leur poursuite que M. Laslop prenait la fuite et ils ont ensuite appliqué correctement la politique existante pour mettre fin à la poursuite.

[64] Pour ces raisons, le rapport intérimaire de la Commission ne comprenait pas de recommandations correctives à l'intention des membres en cause. Selon la Commission, le principal problème découle d'une faille dans la politique de la GRC, et non pas d'une erreur commise par ses membres. La politique de la GRC sur les poursuites en véhicule n'est pas suffisamment claire et ne fournit pas aux membres une orientation suffisante lorsqu'ils font face à des situations comme celle-ci.

[65] En conséquence, même si la Commission maintient sa position à savoir que le gendarme Johnston et le gendarme Cheng se sont lancés dans une poursuite contraire à la politique, les conclusions ont été reformulées comme suit pour exprimer clairement la source du problème :

Conclusion no 3 : Le gendarme Johnston et le gendarme Cheng ont entrepris une poursuite qui n'était pas conforme à la politique en raison d'une ambiguïté dans la politique de la GRC sur les poursuites.

Conclusion no 4 : Le caporal Davies n'a pas donné la directive au gendarme Johnston et au gendarme Cheng de mettre fin à leur poursuite en raison d'une ambiguïté dans la politique de la GRC sur les poursuites.

Conclusion provisoire no 5 : Les politiques nationales de la GRC sur les points de contrôle sont inadéquates.

[66] Ni les politiques nationales ni les politiques des divisions de la GRC n'offrent de directives claires sur les opérations aux points de contrôle de la sécurité routière. La Commission est consciente du fait que l'étendue des fonctions et des responsabilités de la GRC en ce qui concerne les services de police dans les régions urbaines et rurales signifie nécessairement que les politiques doivent laisser une certaine marge de manœuvre. Toutefois, la Commission estime qu'un énoncé de politique indiquant que les membres doivent [traduction] « s'assurer que des mesures de sécurité sont prises, pour la protection du public et du personnel de policeNote de bas de page 7 » sans donner de description des mesures de sécurité appropriées ou de formation à cet égard, est, au mieux, inutile. Au pire, cette politique transfère aux membres la responsabilité d'assurer la sécurité sans leur fournir de conseils ou une formation sur la façon d'atteindre cet objectif.

[67] Le commissaire adjoint White était d'accord avec cette conclusion. Par conséquent, elle est incluse dans le rapport final de la Commission sans autre changement.

Conclusion provisoire no 6 : Les politiques nationales de la GRC sur les poursuites dans un véhicule de police sont inadéquates.

[68] Les poursuites dans un véhicule de police sont reconnues depuis longtemps pour être une activité à risque élevé. Par exemple, dans le cadre d'audiences parlementaires portant sur des modifications qui ont finalement fait de l'acte de fuir la police une infraction au Code criminel, un témoin devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a déclaré que, dans la province de l'Ontario seulement, « de 1991 à 1997, plus de 10 000 poursuites à grande vitesse ont eu lieu et causé des blessures à 2 415 personnes et la mort de 33 autresNote de bas de page 8 ».

[69] Un rapport de 2003 de la Crime and Misconduct Commission du Queensland, en Australie, au sujet des poursuites policières a relevé que, au Queensland, 29 % des poursuites étudiées impliquaient une collision, et 11 %, des blessures. Le rapport soulignait que les conducteurs ont été accusés d'une infraction plus grave que celle pour laquelle la police les poursuivait dans moins de 10 % des casNote de bas de page 9.

[70] Par ailleurs, le Justice Institute of British Columbia a estimé que jusqu'à 38 % des poursuites policières en Colombie-Britannique se terminent par des collisions, et causent des blessures dans 15 % des casNote de bas de page 10.

[71] De plus, des études récentes menées aux États-Unis indiquent qu'environ 30 % des poursuites policières se terminent par des collisions de véhiculesNote de bas de page 11. Les chercheurs sont arrivés à la conclusion suivante :

[Traduction]
Quand un suspect refuse de s'arrêter, une rencontre normale peut rapidement se transformer en une poursuite à haut risque et dangereuse, où la « manifestation d'autorité » de l'agent peut influer sur la conduite du suspect. Comme l'application proactive de la loi peut avoir une incidence sur le nombre de suspects qui prennent la fuite (c.-à-d. l'augmenter), il est nécessaire d'améliorer la formation des agents afin qu'ils comprennent comment leur comportement affecte le comportement du suspect en fuite.
[...]
La poursuite d'un suspect augmente les risques pour toutes les parties en cause et tous les passants innocents qui se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment. Une façon d'aider les agents à comprendre comment soupeser les risques et les avantages de la poursuite est de leur faire appliquer les mêmes normes que celles utilisées pour évaluer le tir d'une arme dans une situation où ils pourraient mettre en danger des passants innocents en tirant. […] En comparaison, dans la poursuite, l'agent n'a pas seulement à se soucier de son véhicule; il doit aussi tenir compte du chemin emprunté par le véhicule poursuivi et de la capacité et de l'habileté du conducteur à le contrôler. En effet, le risque est amplifié dans des situations dangereuses créées par des conducteurs innocents qui essaient de se tirer d'affaireNote de bas de page 12.

[72] Dans l'ensemble, les données portent à croire qu'il existe un risque important de collision, de blessure et de décès associé aux poursuites policières et que la découverte d'une infraction sous-jacente plus grave est relativement rare.

[73] En outre, des chercheurs et des services de police ont réitéré la nécessité de modifier en profondeur la façon dont les poursuites policières sont menées. Voici quelques extraits de rapports pertinents :

[Traduction]

a) Les poursuites et les interventions d'urgence qui génèrent le plus de risques pour les agents devraient être éliminées, sauf dans les situations les plus extrêmes. À titre d'exemple, le nombre de poursuites, d'accidents et de décès pourrait être réduit si les policiers ne poursuivaient que les criminels violents. […] De même, dans le cas des interventions d'urgence, les agents doivent reconnaître que peu sont nécessaires pour protéger la vie et que celles qui s'imposent doivent être entreprises à des vitesses moins élevées et sans mettre en danger leur propre vie ou celle d'autrui aux intersections et dans d'autres zones à risque élevéNote de bas de page 13.

b) Au sein de la police, tous les conducteurs, les gestionnaires et les enquêteurs à la suite d'incident doivent reconnaître que les poursuites sont dangereuses en soi et que, lorsqu'une poursuite est entreprise, il existe une possibilité inconnue et imprévisible qu'une collision se produise. Une fois lancés, les agents ont relativement peu de contrôle sur ce risque dans la majorité des casNote de bas de page 14.

c) [...] Une approche axée sur des catégories fournirait le mécanisme indispensable pour améliorer ce domaine de la loi. En reconnaissant la poursuite à grande vitesse comme un exercice valide de l'autorité policière seulement pour certaines catégories de suspects, cette approche soustrairait les policiers à l'obligation de faire un choix complexe dans les secondes précédant la décision d'entreprendre une poursuite et réduirait l'exposition de tiers innocents au risque de blessures causées par des poursuites à grande vitesse [...]

Si un mécanisme axé sur des catégories était en place, il fournirait une forte présomption contre une poursuite à entreprendre à grande vitesse et reposerait plutôt sur la possibilité d'une arrestation ultérieureNote de bas de page 15.

[74] Le commissaire adjoint White était généralement d'accord avec cette conclusion, mais était en désaccord en partie avec les recommandations connexes. Cette question sera examinée plus en détail dans la partie du présent rapport sur les recommandations.

Recommandation provisoire no 1 : Que l'on modifie la politique nationale de la GRC pour donner des directives précises sur la disposition d'un point de contrôle afin de minimiser le risque de poursuites, notamment en utilisant un véhicule empêchant la fuite et des véhicules de police clairement identifiés, lorsqu'ils sont disponibles.

[75] En se penchant sur cette question, la Commission a examiné la recherche universitaire et les politiques de la police de divers services de police en Amérique du Nord.

[76] La Commission a également tenu compte des commentaires du surintendant Cooke dans son rapport sur cette question, où il souligne ce qui suit à la page 24 :

[Traduction]
Je crois que le caporal Davies et le gendarme Cheng auraient dû indiquer très clairement au conducteur de la camionnette qu'il devait se ranger sur le côté de la 240e Rue et s'arrêter. Ils auraient pu le faire grâce à des signaux de la main plus précis, en postant un membre sur la 240e Rue pour diriger la camionnette sur le côté de la route ou en arrêtant la camionnette sur l'avenue 0 et en parlant avec le conducteur afin de lui donner un ordre précis.

[77] Le surintendant Cooke a formulé cette opinion après avoir conclu, à la page 23 :

[Traduction]
[…] Il est possible que le conducteur de la camionnette (ou tout autre conducteur à qui l'on aurait donné un ordre semblable) ait pu croire qu'il y avait eu une collision ou tout autre incident sur l'avenue 0 et qu'il devait simplement effectuer un détour. Une telle croyance aurait été soutenue par le fait que personne ne lui a expressément demandé de s'arrêter.

[78] L'opinion du surintendant Cooke est corroborée par l'entrevue avec le gendarme Johnston, qui a dit à l'enquêteur du BEI qu'il n'était pas rare que les conducteurs à cet endroit particulier ne s'arrêtent pas immédiatement jusqu'à ce que des membres à bord d'un véhicule de police les fassent se ranger, ainsi que par la déclaration de M. Laslop au BEI, lorsqu'il dit qu'il a d'abord été désorienté par l'ordre que les membres lui ont donné.

[79] Les recherches examinées par la Commission portent à croire qu'un aspect de la décision d'une personne de fuir la police repose sur son évaluation de la probabilité d'une fuite réussie. Autrement dit, plus il est probable qu'une personne estime qu'elle réussira à échapper à la police, plus il est probable qu'elle tentera de prendre la fuiteNote de bas de page 16.

[80] En l'espèce, la disposition de l'opération de contrôle de la circulation a donné lieu aux facteurs suivants lorsqu'on a tenté d'arrêter M. Laslop :

  1. Des signaux de la main ambigus à M. Laslop qui ne lui ont pas clairement ordonné de s'arrêter.
  2. Aucune barrière ni aucun obstacle sur la 240e Rue nuisant à la capacité de M. Laslop de prendre la fuite.
  3. Tous les véhicules de police stationnés étaient orientés dans la mauvaise direction (c.-à-d. vers l'avenue 0) pour se lancer à la poursuite de M. Laslop.
  4. Un long tronçon de route, vide et droit, permettant à M. Laslop d'accélérer rapidement.

[81] Une opération plus structurée aurait pu réduire la probabilité que M. Laslop tente de prendre la fuite. Après avoir examiné la documentation provenant de recherches et étant donné les circonstances particulières du présent examen, la Commission a rédigé les mesures générales suivantes à prendre en compte au moment de mettre en œuvre des points de contrôle de la police, à l'attention de la GRC lorsqu'elle élabore une politique ou une formation sur les points de contrôle :

  1. Choisir une route où la limite de vitesse affichée, la visibilité et le volume de circulation permettent aux conducteurs de ralentir et de s'arrêter sur ordre de la police.
  2. Placer des véhicules de police et des cônes de signalisation d'une manière qui exige que les véhicules ralentissent et manœuvrent, permettant ainsi aux membres de donner l'ordre de s'arrêter en plus de leur laisser le temps de voir et d'identifier le conducteur.
  3. Placer les véhicules de police de manière à ce qu'ils soient prêts à arrêter immédiatement un véhicule, au besoin.
  4. Utiliser un panneau « ARRÊT » portable ou portatif pour s'assurer que l'exigence de s'arrêter est claire.
  5. Placer un « véhicule empêchant la fuite » muni d'un dispositif de dégonflage des pneus, stationné suffisamment près afin de rester visible pour les conducteurs au point de contrôle, mais suffisamment éloigné pour permettre le déploiement d'un dispositif de dégonflage des pneus, au besoin.

[82] Le « véhicule empêchant la fuite » muni d'un dispositif de dégonflage des pneus remplit trois fonctions. Premièrement, il sert de dissuasion visible aux conducteurs qui pourraient être tentés de prendre la fuite; le fait de savoir qu'un véhicule est positionné devant et prêt à intercepter réduit la perspective d'une évasion réussie. Deuxièmement, il permet le déploiement d'un dispositif de dégonflage des pneus si un véhicule ne s'arrête pas. Un tel déploiement ne suppose pas forcément que l'on fasse appel à la politique sur les poursuites ou que l'on entreprenne une poursuite. Troisièmement, le véhicule prévient les conducteurs qui roulent dans la direction opposée (c.-à-d. vers le point de contrôle de la 240e Rue) et réduit ainsi le risque de blessures en raison de collisions au point de contrôle.

[83] L'utilisation de véhicules banalisés devrait être découragée à un point de contrôle de la circulation. La politique divisionnaire de la GRC prévoit ce qui suit :

[Traduction]
4.1.1.2 Le pourcentage de véhicules « à toit libre » et entièrement banalisés ne doit pas dépasser 40 % (20 % pour chaque type) du nombre total de véhicules en service de l'unité des services de la circulationNote de bas de page 17.

[84] Dans le présent incident, sur l'ensemble des véhicules en cause dans l'opération de circulation, un seul (20 %) était un véhicule identifié. Bien que cela ne soit pas nécessairement révélateur du nombre total de véhicules en service au Groupe de la sécurité routièreNote de bas de page 18, et donc pas nécessairement en violation de la politique, l'absence de véhicules identifiés peut avoir contribué à la confusion relevée par le gendarme Johnston.

[85] La politique nationale de la GRC appuie en partie cette opinion. La politique du Modèle d'intervention pour la gestion d'incidents (MIGI) de la GRC mentionne ce qui suit relativement à la présence d'agents :

Bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler d'une option d'intervention, la simple présence d'un agent peut avoir des répercussions sur le sujet et sur la situation. Tout signe visible d'autorité comme un uniforme ou une voiture de police identifiée est susceptible de modifier le comportement d'un sujetNote de bas de page 19. [Soulignement ajouté]

[86] Dans le cadre de la politique nationale, la Commission recommande l'utilisation de véhicules clairement identifiés, lorsqu'ils sont disponibles, à des points de contrôle de la circulation.

[87] Le commissaire adjoint White a appuyé cette recommandation. Par conséquent elle a été ajoutée au rapport final de la Commission sans autre commentaire.

Recommandation provisoire no 2 : Que la GRC offre à tous les membres réguliers qui participent aux activités à des points de contrôle de la formation additionnelle sur la façon de planifier un point de contrôle afin de minimiser le risque de poursuite et de collision. Cette formation devrait aussi mettre l'accent sur d'autres méthodes d'application de la loi.

[88] En plus des politiques à modifier, les opérations de sécurité routière devraient faire l'objet d'une formation opérationnelle, car elles constituent un domaine à risque élevé. Dans son rapport à la Commission, le surintendant Cooke décrit la formation offerte aux membres en cause. La formation sur les points de contrôle des véhicules semble se limiter à un enseignement sur l'utilisation des signaux de la main lors de la formation de base de la GRC. Il semble n'y avoir eu aucun cours de recyclage ni aucune formation relativement à la planification des points de contrôle.

[89] Il est essentiel que tout membre participant à la planification d'un point de contrôle reçoive une formation sur la façon de réduire au minimum les risques inhérents à une telle opération. En plus des risques de poursuite, les points de contrôle de la circulation présentent un risque élevé pour les membres à pied de se faire frapper par un véhicule et pour le public, dont la réaction à un point de contrôle routier peut augmenter le risque de collisions entre véhicules.

[90] En outre, cette formation devrait présenter d'autres méthodes d'application de la loi, comme l'émission de constats d'infraction ou une assignation à une date ultérieure si un véhicule se soustrait au point de contrôle. L'utilisation d'une caméra vidéo pour enregistrer l'identité des conducteurs et les infractions pourrait être profitable à un tel plan d'action.

[91] Le commissaire adjoint White a appuyé cette recommandation. Par conséquent elle a été ajoutée au rapport final de la Commission sans autre commentaire.

Recommandation provisoire no 3 : Que la politique nationale de la GRC soit modifiée pour supprimer la notion d'« approche d'un véhicule ».

[92] L'incident en cause est un exemple particulièrement tragique de la perception de M. Laslop qu'il était toujours poursuivi par la police, ce qui l'a conduit à franchir une intersection de quatre voies à près de 150 km/h afin d'échapper à une arrestation pour une infraction au code de la route provincial. Cette perception était sans doute liée à l'utilisation de la politique d'« approche d'un véhicule » par les membres de la GRC.

[93] La Commission est d'accord avec la conclusion formulée par le surintendant Cooke dans son rapport que les définitions dans les politiques de la GRC sur les poursuites, soit « approche » et « poursuite », ne sont pas claires. Ce constat a également été fait dans la recherche universitaire qui soulignait que l'« approche » est « équivalente aux poursuites sur le plan fonctionnelNote de bas de page 20 ».

[94] Au lieu d'une politique permissive d'« approche d'un véhicule » qui peut être interprétée de manière générale, la Commission recommande d'éliminer le concept d'« approche d'un véhicule » en faveur d'une définition plus claire de la poursuite avec un seuil clair et précis établissant à quel moment commence une poursuite.

[95] Selon la recherche prédominante dont il a été question précédemment, une telle politique devrait être fondée sur les actions du conducteur du véhicule poursuivi (ou visé) et non du véhicule de police puisque l'objectif de la politique est de réduire le risque. Si un véhicule poursuivi est conduit de manière à échapper à la police, le niveau de risque augmente nécessairement et, par conséquent, la politique sur les poursuites devrait s'appliquer.

[96] Le commissaire adjoint White n'était pas d'accord avec cette recommandation. Il soutient que cette notion est nécessaire pour maintenir le contrôle établi par la politique sur la conduite de véhicules de police visant à « rattraper » les contrevenants lors d'un contrôle routier de routine.

[97] La Commission convient que la GRC doit s'assurer qu'une politique est en place pour régir la conduite « habituelle » de véhicules d'urgence. La préoccupation de la Commission à l'égard de la notion d'« approche d'un véhicule » est qu'elle est propice à être confondue avec une poursuite réelle. Le surintendant Cooke, qui a rédigé le rapport sur cet incident, a, par inadvertance, donné un exemple de la façon dont la notion d'« approche d'un véhicule » peut être appliquée par erreur à une situation qui devrait être considérée comme étant une poursuite policière :

[Traduction]

Il était également raisonnable pour les agents de croire que si le conducteur essayait en premier lieu de profiter de la façon dont on lui avait ordonné de tourner sur la 240e Rue, il aurait pu s'arrêter une fois qu'une voiture de police se « serait approchée » et lui aurait fait signe de se ranger. Comptant plus de 32 ans d'expérience policière, je peux affirmer sans équivoque que j'ai rencontré de nombreux cas où le conducteur s'efforçait d'éviter d'être intercepté par la police (en empruntant une route secondaire ou autrement), mais ne s'engageait pas dans une poursuite après qu'un véhicule de police se rangeait derrière et lui faisait signe de s'arrêter.

[98] Dans cet extrait ci-dessus, le surintendant Cooke laisse entendre qu'il est acceptable de « s'approcher » et de se placer derrière un véhicule visé malgré les efforts déployés par le conducteur pour échapper à la police. En toute déférence, la position du surintendant Cooke ne reflète pas ce qui est énoncé dans la politique nationale de la GRC. Selon la politique actuelle, une fois qu'un conducteur a refusé d'obéir à un policier qui lui fait signe de s'arrêter et tente d'éviter l'arrestation, la politique sur les poursuites, et non pas celle relative à l'« approche d'un véhicule », doit immédiatement s'appliquer.

[99] Selon la Commission, la notion d'« approche d'un véhicule » dans le cadre d'un contrôle routier de routine doit être clairement différenciée de la notion d'une poursuite policière pour éviter toute confusion. Pour répondre aux préoccupations exprimées par le commissaire adjoint White, la Commission a modifié la formulation de la recommandation comme suit :

Recommandation no 3 : Que la politique nationale de la GRC soit modifiée pour supprimer la notion d'« approche d'un véhicule » dans le contexte de poursuites policières. La notion d'« approche d'un véhicule » devrait faire référence uniquement à la conduite lors d'une situation d'urgence impliquant l'arrestation d'un contrevenant qui a omis de s'arrêter à un contrôle routier de routine alors qu'aucun indice ne permet de croire qu'il tente de fuir.

Recommandation provisoire no 4 : Que la définition de « poursuite » dans la politique nationale de la GRC comprenne le concept qu'une poursuite commence quand le conducteur d'un véhicule visé prend une mesure d'évitement pour établir une distance entre lui-même et les policiers, que les dispositifs d'urgence soient activés ou non sur le véhicule ou les véhicules de police impliqués dans une tentative d'interception.

[100] Le commissaire adjoint White n'était pas d'accord avec cette recommandation, faisant valoir qu'il s'agissait d'une redondance par rapport à la politique existante.

[101] La Commission désapprouve cette évaluation. Dans la recommandation de la Commission, l'exigence problématique aux termes de la politique existante selon laquelle un conducteur doit refuser de s'arrêter comme l'ordonne un agent de la paix est remplacée par une évaluation du comportement du conducteur. Bref, si un conducteur donne, par son comportement, l'impression qu'il cherche à fuir la police, on devrait considérer la situation, aux termes de la politique, comme étant une poursuite, au lieu de s'attarder à établir si une tentative claire a été faite pour demander au conducteur de s'arrêter.

[102] Par conséquent, la Commission réitère cette recommandation.

Recommandation provisoire no 5 : Que la politique nationale de la GRC exige des membres qu'ils cessent immédiatement toute tentative d'intercepter un véhicule une fois que la situation correspond à la définition d'une poursuite, à moins que celle-ci puisse se poursuivre conformément aux critères énoncés dans la politique (critères proposés à la recommandation no 8).

[103] Le commissaire adjoint White a appuyé cette recommandation. Par conséquent, elle a été incluse dans le rapport final de la Commission sans autre commentaire.

Recommandation provisoire no 6 : Que le Modèle d'intervention pour la gestion d'incidents soit modifié pour inclure les poursuites en véhicule dans la catégorie « force meurtrière ».

[104] La politique nationale de la GRC semble laisser supposer l'existence d'un lien entre les poursuites et le recours à la force. La politique Conduite de véhicules prioritaires (poursuites) se lit comme suit :

1.2 Le Modèle d'intervention pour la gestion d'incidents (MIGI) doit guider toute décision d'entreprendre, de continuer ou d'abandonner la conduite d'un véhicule prioritaire. Voir le chap. 17.1.Note de bas de page 21

[105] Le MIGI, utilisé pour former et orienter les membres à l'égard du recours à la force, préconise l'évaluation du risque et décrit les différents niveaux de comportements et les options d'intervention raisonnables. Le MIGI repose sur le principe selon lequel la meilleure stratégie fait appel au plus bas niveau d'intervention nécessaire pour gérer le risque. Par conséquent, la meilleure intervention est celle qui cause le moins de blessures ou de dommages. Le guide recommande le recours aux interventions verbales dans la mesure du possible, à la fois pour désamorcer des situations potentiellement explosives et pour encourager le recours à une attitude professionnelle, polie et respectueuse dans toute interaction. Selon ces lignes directrices, le membre doit tenir compte de tous les facteurs d'une situation pour déterminer s'il doit recourir à la force et le degré de force à utiliser, le cas échéant.

[106] Bien que la politique de la GRC sur les poursuites oriente le lecteur vers la politique du MIGI, celle-ci n'inclut pas l'information relative à la conduite ou aux poursuites policières. Le MIGI est résumé dans une « roue » qui décrit le comportement du sujet et l'intervention appropriée des agents en fonction de ce comportement :

Incident Management/Intervention Model
Version textuelle

[107] La politique du MIGI comprend des outils d'évaluation des risques fondés sur des facteurs situationnels, les comportements des sujets, la perception et les considérations tactiques, ainsi que des options d'intervention. Même si la politique de la GRC sur les poursuites en véhicule mentionne le MIGI, la politique du MIGI ne traite pas des poursuites en véhicule de quelque façon que ce soit.

[108] Les niveaux de force qui peuvent être employés par les membres sont décrits dans le MIGI comme suitNote de bas de page 22 :

Présence de l'agent

Bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler d'une option d'intervention, la simple présence d'un agent peut avoir des répercussions sur le sujet et sur la situation. Tout signe visible d'autorité comme un uniforme ou une voiture de police identifiée est susceptible de modifier le comportement d'un sujet.

Communication

Un agent peut utiliser la communication verbale et non verbale pour maîtriser et résoudre la situation.

Contrôle physique

Le modèle présente deux niveaux de contrôle physique : modéré et intense. En général, il s'agit de toute méthode physique employée pour maîtriser le sujet sans avoir recours à une arme.

Les techniques modérées peuvent être employées pour distraire le sujet et faciliter l'emploi d'une tactique de maîtrise. Les techniques de distraction comprennent entre autres les gifles et la soumission par points de compression. Les tactiques de maîtrise comprennent l'escorte, la contention, le blocage des articulations et le menottage sans résistance, méthodes qui sont moins susceptibles de causer des blessures.

Les techniques intenses visent à mettre fin à un comportement indésirable ou à permettre l'emploi d'une tactique de maîtrise; elles présentent un plus grand risque de blessure. Elles comprennent les méthodes de contrôle à mains fermées, comme les coups de poing et les coups de pied. L'étranglement carotidien figure aussi parmi les techniques intenses.

Armes intermédiaires

Cette option d'intervention consiste à utiliser une arme non meurtrière, c'est-à-dire une arme qui ne vise pas à causer des blessures graves ou la mort. Les armes à impact, les armes en aérosol et les armes à impulsions en sont des exemples.

Force mortelle

Cette option d'intervention implique principalement le recours à des armes à feu classiques (pistolet réglementaire, fusil, carabine, carabine de patrouille, etc.). Ces armes causent ou peuvent vraisemblablement causer des lésions corporelles graves ou la mort à cause de leur force balistique (projectile de plomb) et sont utilisées contre des personnes susceptibles de causer des blessures corporelles graves ou la mort.

[109] D'après les données empiriques déjà mentionnées, les poursuites en véhicule créeraient un risque important de lésions corporelles graves ou de décès.

[110] De l'avis de la Commission, les poursuites en véhicule devraient être incluses dans la définition de la « force mortelle » du MIGI.

[111] Le commissaire adjoint White n'a pas appuyé cette recommandation. Il a expliqué le but de l'utilisation des véhicules de police et exprimé son point de vue au sujet de leur utilisation en tant qu'arme.

[112] Il semble y avoir une certaine confusion au sujet de cette recommandation. La recommandation de la Commission n'était pas d'inclure dans le MIGI les véhicules de police en tant qu'option en matière de force mortelle. Ce sont plutôt les poursuites en véhicule qui étaient l'objet de la recommandation. La Commission ne donnait pas à entendre que les policiers devraient considérer leur véhicule de police comme une arme mortelle ou l'utiliser à cet effet.

[113] L'objet de cette recommandation était d'inclure les poursuites en véhicule dans le même outil pédagogique utilisé par les policiers pour gérer le comportement du sujet et le risque et pour mieux expliquer le lien existant en matière de politique entre les poursuites en véhicule et le MIGI.

[114] Dans ce contexte, les poursuites en véhicule devraient être incluses dans la catégorie « force mortelle » afin de refléter le risque extrême inhérent au geste de poursuivre un conducteur en fuite.

[115] La Commission reconnaît que les poursuites en véhicule diffèrent des autres méthodes figurant dans le MIGI. Les policiers n'effectuent pas une poursuite en véhicule comme ils manient une arme et ne s'engagent pas dans une poursuite avec l'intention de causer des préjudices à quiconque. Cependant, comme il en est question dans le rapport intérimaire de la Commission, les poursuites en véhicule causent souvent des préjudices graves ou la mort. La Commission espérait qu'en les incluant dans le MIGI, les policiers n'oublieraient pas le poids et la responsabilité énormes associés à la décision de s'engager dans une poursuite, lesquels sont semblables au poids et à la responsabilité associés à l'utilisation d'une autre forme de force mortelle. La Commission note également que les critères de la politique recommandés pour s'engager dans une poursuite en véhicule sont semblables à ceux requis pour le recours à la force mortelle, permettant ainsi de regrouper de façon pratique deux domaines distincts en matière de politique et de formation.

[116] Pour ces raisons, la Commission réitère sa recommandation.

Recommandation provisoire no 7 : Que la formation de recyclage sur le Modèle d'intervention pour la gestion d'incidents comprenne une formation sur les poursuites en véhicule.

[117] Actuellement, les membres de la GRC reçoivent régulièrement une formation de recyclage sur le MIGI. Compte tenu de la recommandation de la Commission d'inclure dans le MIGI les poursuites en véhicule, la Commission recommande également que la formation régulière de recyclage sur le MIGI des membres comprenne une formation relative à la politique de la GRC sur les poursuites.

[118] Cette formation devrait veiller à ce que les membres appliquent le même modèle d'évaluation des risques à la décision d'entreprendre une poursuite policière qu'au recours à la force mortelle.

[119] Le commissaire adjoint White n'a pas appuyé cette recommandation en raison de ses points de vue exprimés relativement à la recommandation provisoire no 6. Il a cependant indiqué qu'il acceptait d'étudier la possibilité d'établir un processus récurrent de certification sur la conduite des véhicules d'urgence qui ne fait pas partie de la formation sur le MIGI.

[120] La Commission accepte cette position et modifie sa recommandation comme suit :

Recommandation no 7 : Que la GRC élabore un processus récurrent de certification sur la conduite des véhicules d'urgence, y compris les poursuites en véhicule.

Recommandation provisoire no 8 : Que la politique nationale de la GRC soit modifiée pour interdire clairement les poursuites en véhicule à moins que le membre ait des motifs raisonnables de croire que l'occupant du véhicule a commis ou s'apprête à commettre un acte criminel violent grave contre une autre personne, ou que le risque auquel fait face le public si l'individu n'est pas immédiatement intercepté est plus important que le risque que courent le public, les policiers et le suspect s'il y a poursuite en véhicule.

[121] La politique actuelle de la GRC sur les poursuites comprend une liste d'infractions pour lesquelles un véhicule ne doit pas faire l'objet d'une poursuite. La liste comprend ce qui suit :

4.1. On ne doit pas entreprendre une poursuite pour les types d'infractions suivants :
4.1.1. la prise d'un véhicule à moteur sans le consentement du propriétaire aux termes de l'art. 335 du C. cr.;
4.1.2. le vol d'un véhicule aux termes de l'art. 334 du C. cr.;
4.1.3. la possession d'un véhicule volé aux termes de l'art. 354 du C. cr.;
4.1.4. la fuite d'une personne afin d'éviter l'arrestation aux termes de l'art. 249.1 du C. cr. ou la conduite dangereuse aux termes de l'art. 249 du C. cr., lorsque les preuves établissant la perpétration de l'une ou l'autre des infractions sont recueillies au moment d'arrêter un véhicule ou de s'y approcher;
4.1.5. la violation d'un règlement fédéral de la circulation;
4.1.6. la violation d'une loi ou d'un règlement provincial;
4.1.7. la violation d'un règlement municipal;
4.1.8. une atteinte à la propriété en généralNote de bas de page 23.

[122] La Commission convient que la liste d'infractions ci-dessus ne justifie pas le risque d'une poursuite. Cependant, cette liste omet de nombreuses autres infractions qui ne justifieraient pas non plus le risque d'une poursuite. Étant donné que la Commission a recommandé que les poursuites visant des véhicules soient classées comme un recours à la force « mortelle », il s'ensuit qu'une telle force ne doit être utilisée que dans des circonstances exceptionnelles où la vie est en danger. Par conséquent, compte tenu de la grande diversité d'infractions criminelles, il est plus facile de préciser les cas où une poursuite peut être justifiée que d'énumérer ceux où elles ne le seraient pas.

[123] Compte tenu de cette orientation et de la vaste base de recherches universitaires mentionnée précédemment, qui appuie une réduction radicale des poursuites en véhicule, la Commission recommande que la politique nationale de la GRC soit modifiée pour inclure une interdiction générale des poursuites, sauf dans les cas de risque imminent pour le public. La conclusion de la Commission fournit un exemple de libellé pour une telle politique.

[124] Le commissaire adjoint White a approuvé cette recommandation. De toutes les recommandations formulées par la Commission sur la question, celle-ci est la plus importante ainsi que celle qui recèle les meilleurs espoirs d'établir un guide clair et pratique à l'intention des policiers de première ligne sur la norme prévue à appliquer lors de poursuites en véhicule.

Recommandation no 9 : Que la GRC mène des recherches sur les nouvelles technologies telles que les dispositifs de repérage par GPS, les véhicules aériens sans pilote et les antidémarreurs électroniques pour élaborer des solutions de rechange efficaces et sûres aux poursuites en véhicule.

[125] Compte tenu des dangers inhérents aux poursuites policières, la GRC doit accorder la priorité à des méthodes de rechange pour arrêter même ceux qui satisferaient autrement aux critères énoncés dans les modifications qu'il est recommandé d'apporter à la politique.

[126] Bien que la recherche ait démontré que les hélicoptères présentent un dossier impeccable en matière d'arrestation sécuritaire des suspects en fuiteNote de bas de page 24, la Commission reconnaît que, en raison du contexte rural dans lequel la GRC assure des services de police, les services de soutien par hélicoptère ne sont pas une option économique dans la plupart des régions.

[127] Les nouvelles technologies telles que les dispositifs de repérage par GPS pouvant être déployés rapidement, les véhicules aériens sans pilote pouvant offrir une surveillance aérienne rapide et abordable et les antidémarreurs électroniques de véhicules semblent justifier une étudeNote de bas de page 25.

[128] Le commissaire adjoint White a approuvé cette recommandation. Par conséquent, elle est incluse dans le rapport final de la Commission sans autre commentaire.

Recommandation provisoire no 10 : Que la GRC modifie la politique nationale afin qu'il soit obligatoire de remplir le formulaire Comportement du sujet et intervention de l'agent après chaque poursuite en véhicule, même si celle-ci a été abandonnée. Pour suivre cette recommandation, la GRC doit modifier le formulaire afin d'y inclure les facteurs situationnels pertinents à une poursuite en véhicule.

[129] Bien que la Commission ait été en mesure d'examiner des statistiques et des recherches provenant des États-Unis sur les poursuites policières, on a noté un manque de renseignements sur l'expérience canadienne. Par exemple, il n'y a pas de données ni de rapport concernant les blessures ou les décès liés à une poursuite à l'échelle nationale au Canada.

[130] Faute de données fiables, il est difficile de suivre les effets des changements apportés aux politiques. Les services de police axés sur des données probantes exigent que des statistiques précises soient recueillies et mises à la disposition des chercheurs et des organismes de surveillance.

[131] À l'heure actuelle, la politique nationale de la GRC exige que des rapports sur le comportement du sujet et l'intervention de l'agent (CSIA) soient remplis lors de certains cas de recours à la force, notamment quand une arme à impulsions (p. ex. un pistolet Taser) est utilisée de quelque manière que ce soit dans un incident, que l'arme ait été réellement déployée ou non. Le formulaire requiert des renseignements détaillés sur les facteurs qui ont conduit au recours à la force. Ainsi, la GRC peut enquêter sur les tendances à l'échelle nationale et mieux mettre en œuvre des politiques fondées sur des données probantes.

[132] Étant donné que la Commission a recommandé d'ajouter dans le MIGI les poursuites en véhicule, elle recommande également que le rapport CSIA soit mis à jour pour permettre de le remplir en cas de poursuite en véhicule. Cela remplacerait les formulaires actuellement utilisés à l'échelle des divisions et permettrait la collecte et l'agrégation des données à l'échelle nationale.

[133] Le commissaire adjoint White n'a pas appuyé cette recommandation, mais a appuyé l'ajout des facteurs situationnels contenus dans le rapport CSIA de la GRC au rapport existant sur la poursuite en véhicule.

[134] La Commission estime que cette approche permet d'atteindre le même objectif et appuie la solution de la GRC. Par conséquent, la recommandation est modifiée comme suit :

Recommandation no 10 : Que la GRC modifie son formulaire sur les poursuites en véhicule pour y inclure les facteurs situationnels pertinents compris dans le formulaire Comportement du sujet et intervention de l'agent.

Recommandation provisoire no 11 : Que la GRC publie un rapport annuel contenant des statistiques détaillées tirées des données recensées sur les poursuites, dont le nombre de poursuites effectuées, le résultat de ces poursuites, le nombre de collisions, de blessures et de décès attribuables aux poursuites et les décisions judiciaires définitives.

[135] En conséquence de la recommandation no 10, la Commission recommande que la GRC publie les données agrégées sur les poursuites dans l'intérêt de la Commission et d'autres chercheurs.

[136] Le commissaire adjoint White a appuyé cette recommandation. Par conséquent, elle a été incluse dans le rapport final de la Commission sans autre commentaire.

Conclusion

[137] Les circonstances du présent rapport et le décès de M. Duarte sont sans conteste très tragiques. Le présent rapport ne peut pas réparer les pertes résultant des actions criminelles d'une personne. Cependant, la Commission a bon espoir que la modernisation des politiques et des procédures de la GRC relatives aux points de contrôle et aux poursuites en véhicule ainsi qu'une formation additionnelle peuvent entraîner des pratiques plus sécuritaires qui réduiront les risques pour la police, le public et les suspects dans le cadre des opérations de sécurité routière.

[138] Voici les conclusions et les recommandations définitives de la Commission :

Conclusion no 1 : Les membres de la GRC en cause dans l'incident du 29 octobre 2012 ne se sont pas conformés à la politique énoncée dans le Manuel des opérations de la Division « E », qui exige des membres qu'ils s'assurent que des mesures de sécurité sont prises.

Conclusion no 2 : Le caporal Davies n'a pas supervisé adéquatement les opérations au point de contrôle.

Conclusion no 3 : Le gendarme Johnston et le gendarme Cheng ont entrepris une poursuite qui n'était pas conforme à la politique en raison d'une ambiguïté dans la politique de la GRC sur les poursuites.

Conclusion no 4 : Le caporal Davies n'a pas donné la directive au gendarme Johnston et au gendarme Cheng de mettre fin à leur poursuite en raison d'une ambiguïté dans la politique de la GRC sur les poursuites.

Conclusion no 5 : Les politiques nationales de la GRC sur les points de contrôle sont inadéquates.

Conclusion no 6 : Les politiques nationales de la GRC sur les poursuites dans un véhicule de police sont inadéquates.

Recommandation no 1 : Que l'on modifie la politique nationale de la GRC pour donner des directives précises sur la disposition d'un point de contrôle afin de minimiser le risque de poursuites, notamment en utilisant un véhicule empêchant la fuite et des véhicules de police clairement identifiés, lorsqu'ils sont disponibles.

Recommandation no 2 : Que la GRC offre à tous les membres réguliers qui participent aux activités à des points de contrôle de la formation additionnelle sur la façon de planifier un point de contrôle afin de minimiser le risque de poursuite et de collision. Cette formation devrait aussi mettre l'accent sur d'autres méthodes permettant d'appliquer la loi.

Recommandation no 3 : Que la politique nationale de la GRC soit modifiée pour supprimer la notion d'« approche d'un véhicule » dans le contexte des poursuites policières. La notion d'« approche d'un véhicule » devrait faire référence uniquement à la conduite lors d'une situation d'urgence impliquant l'arrestation d'un contrevenant qui a omis de s'arrêter à un contrôle routier de routine alors qu'aucun indice ne permet de croire qu'il tente de fuir.

Recommandation no 4 : Que la définition de « poursuite » dans la politique nationale de la GRC comprenne le concept qu'une poursuite commence quand le conducteur d'un véhicule visé prend une mesure d'évitement pour établir une distance entre lui-même et les policiers, que les dispositifs d'urgence soient activés ou non sur le véhicule ou les véhicules de police impliqués dans une tentative d'interception.

Recommandation no 5 : Que la politique nationale de la GRC exige des membres qu'ils cessent immédiatement toute tentative d'intercepter un véhicule une fois que la situation correspond à la définition d'une poursuite, à moins que celle-ci puisse se poursuivre conformément aux critères énoncés dans la politique (critères proposés à la recommandation no 8).

Recommandation no 6 : Que le Modèle d'intervention pour la gestion d'incidents soit modifié pour inclure les poursuites en véhicule dans la catégorie « force meurtrière ».

Recommandation no 7 : Que la GRC élabore un processus récurrent de certification sur la conduite des véhicules d'urgence, y compris les poursuites en véhicule.

Recommandation no 8 : Que la politique nationale de la GRC soit modifiée pour interdire clairement les poursuites en véhicule à moins que le membre ait des motifs raisonnables de croire que l'occupant du véhicule a commis ou s'apprête à commettre un acte criminel violent grave contre une autre personne, ou que le risque auquel fait face le public si l'individu n'est pas immédiatement intercepté est plus important que le risque que courent le public, les policiers et le suspect s'il y a poursuite en véhicule.

Recommandation no 9 : Que la GRC mène des recherches sur les nouvelles technologies telles que les dispositifs de repérage par GPS, les véhicules aériens sans pilote et les antidémarreurs électroniques pour élaborer des solutions de rechange efficaces et sûres aux poursuites en véhicule.

Recommandation no 10 : Que la GRC modifie son formulaire sur les poursuites en véhicule pour y inclure les facteurs situationnels pertinents compris dans le formulaire Comportement du sujet et intervention de l'agent.

Recommandation no 11 : Que la GRC publie un rapport annuel contenant des statistiques détaillées tirées des données recensées sur les poursuites, dont le nombre de poursuites effectuées, le résultat de ces poursuites, le nombre de collisions, de blessures et de décès attribuables aux poursuites et les décisions judiciaires définitives.

[139] La Commission dépose respectueusement son rapport final conformément au paragraphe 45.72(2) de la Loi sur la GRC. Par conséquent, la Commission a rempli son mandat dans le cadre de la présente affaire.

Le vice-président intérimaire
et président par intérim,
Guy Bujold

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