Rapport final suivant une plainte déposée par le président et une enquête d'intérêt public concernant la mort par balle de John Simon impliquant un membre de la GRC

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada Paragraphe 45.46(3)

Le 16 mars 2011

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No de dossier : PC-2010-0861

La plainte

Dans la soirée du 2 décembre 2008, la famille de M. John Simon, de Wagmatcook, en Nouvelle-Écosse, se souciait du bien-être de ce dernier et a légitimement communiqué avec la police pour obtenir de l'aide. La GRC est intervenue en réponse à cette demande urgente. M. Simon avait bu, avait menacé de se suicider et avait accès à des armes à feu. L'un des membres en cause est entré dans la résidence de M. Simon, même s'il n'en avait pas reçu l'autorisation de son supérieur. M. Simon, après avoir pointé une carabine sur le membre, a été touché trois fois par balle et a subi des blessures mortelles.

L'Integrated Critical Incident Team (ICIT), menée par la police régionale de Halifax, mais comptant aussi des membres de la GRC, a enquêté sur les circonstances de la fusillade. Le rapport de l'ICIT, produit le 9 décembre 2009, soit un an et une semaine après l'incident, a révélé qu'aucune accusation criminelle ne devait être portée contre les personnes en cause. La GRC n'a pas pris de mesures disciplinaires à l'égard des membres impliqués.

Le 16 mars 2010, en tant que président intérimaire de la Commission des plaintes du public contre la GRC (la Commission), j'ai exercé au nom du public mon pouvoir d'examiner les faits à l'origine des préoccupations du public, et j'ai déposé une plainte et ouvert une enquête d'intérêt public sur l'incident.

L'enquête d'intérêt public et le rapport intérimaire de la Commission

Les critères officiels de l'enquête d'intérêt public de la Commission, menée par un enquêteur expérimenté et indépendant, étaient les suivants :

  1. si les membres de la GRC ou les autres personnes nommées ou employées sous le régime de la Loi sur la GRC impliqués dans les événements du 2 décembre 2008, depuis l'appel à l'aide fait à la GRC jusqu'à la mort de M. John Andrew Simon, ont agi conformément aux cours de formation, aux politiques, aux procédures, aux lignes directrices et aux exigences obligatoires appropriés en ce qui concerne l'intervention auprès de personnes que l'on croit suicidaires ou à risque potentiellement élevé ou qui se barricadent dans un lieu;
  2. si les politiques, les procédures et les lignes directrices de la GRC établies à l'échelle du pays, de la division et du détachement, concernant la façon dont la GRC intervient auprès de personnes que l'on croit suicidaires ou à risque potentiellement élevé ou qui se barricadent dans un lieu sont adéquates;
  3. si les membres de la GRC qui ont participé à l'enquête sur l'incident ont fait un travail adéquat et sans qu'il y ait de conflit d'intérêts réel ou perçu, s'ils ont réagi de façon appropriée et en fonction de la gravité de l'incident, s'ils sont intervenus rapidement et si leur conduite est conforme aux normes établies à l'article 37 de la Loi sur la GRC.

La Commission a présenté son rapport provisoire sur l'enquête d'intérêt public au commissaire de la GRC et au ministre de la Sécurité publique le 15 décembre 2010; dans ce rapport, la Commission a formulé 12 conclusions et 11 recommandations concernant les changements à apporter.

Dans l'ensemble, la Commission a recensé un certain nombre de lacunes dans la conduite des membres en cause et en ce qui a trait aux mesures subséquentes qui ont été prises par les membres supérieurs ou à l'absence de telles mesures. La Commission a conclu que, en se positionnant aussi près qu'ils l'ont fait de la résidence de M. Simon avant l'arrivée des renforts — alors que M. Simon avait répété plusieurs fois qu'il ne voulait pas que la police s'approche de chez lui —, les membres se sont inutilement exposés à un risque. La Commission a déterminé que cette erreur tenait au fait que le membre supérieur présent sur les lieux n'avait pas veillé à mettre en place un plan opérationnel adéquat. En outre, le membre supérieur n'a pas ordonné aux deux autres membres de se positionner à un endroit convenable et, par la suite, de s'éloigner de la résidence.

Par ailleurs, la Commission a constaté que le membre qui était entré dans la résidence de M. Simon l'avait fait sans en avoir reçu l'ordre exprès, sans avoir eu une idée du plan à suivre et sans en informer les autres membres. Néanmoins, la Commission a conclu que, une fois qu'il s'est retrouvé à l'intérieur de la résidence et devant une situation qui mettait sa vie en danger, le membre a eu recours de façon appropriée à la force mortelle dans les circonstances.

La Commission a également déterminé que l'enquête criminelle menée à la suite de la mort par balle de M. Simon était exempte de partialité ou de subjectivité, bien qu'il eût fallu que la GRC organise une réunion après l'incident critique pour cerner les lacunes de l'intervention. La Commission a souscrit à toutes les recommandations formulées par l'Integrated Critical Incident Team (ICIT) après son enquête, qui comprenait un examen de la politique de la GRC à l'égard des personnes qui se barricadent dans un lieu et de la procédure d'intervention à suivre en cas d'incident critique. L'ICIT a aussi recommandé que les normes de formation de la GRC concernant certains aspects de l'intervention en cas d'incident grave soient revues et qu'une formation précise soit offerte aux experts du recours à la force. La Commission adhère à ces recommandations et a également formulé la recommandation selon laquelle les membres en cause suivent une formation de rattrapage.

Pour ce qui est des mesures disciplinaires prises après l'incident ou de l'absence de celles-ci, la Commission a recommandé qu'un processus officiel soit mis en place pour veiller à ce que les mesures appropriées soient prises et à ce que les décisions à cet égard soient consignées. En outre, la Commission a commenté la stratégie médiatique de la GRC dans cette affaire, et elle a conclu que les réponses fournies aux médias n'étaient pas suffisamment complètes et étaient susceptibles d'induire le public en erreur.

Enfin, étant donné que la gestion lacunaire de cet incident par la GRC a eu des conséquences négatives sur la famille de M. Simon, sur ses amis et sur sa collectivité, la Commission a recommandé que la GRC présente ses excuses relativement à l'incident.

L'avis du commissaire de la GRC

Conformément au paragraphe 45.46(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (la Loi sur la GRC), le commissaire de la GRC doit présenter un avis écrit faisant état de toute nouvelle mesure prise ou prévue à la lumière des conclusions et des recommandations contenues dans le rapport intérimaire.

Le 14 mars 2011, la Commission a reçu l'avis du commissaire de la GRC, daté du 10 mars 2011. Le commissaire de la GRC était entièrement d'accord avec toutes les conclusions de la Commission, sauf deux.

Tel qu'il est énoncé ci-dessus, la Commission a formulé 12 conclusions concernant la conduite des membres de la GRC en cause dans cet incident et ses conséquences. Le commissaire a réfuté la conclusion selon laquelle le gendarme Bernard aurait dû attendre les renforts avant de s'approcher de la résidence de M. Simon. Il a indiqué qu'il n'était pas déraisonnable que le membre s'approche de la résidence pour évaluer la situation et déterminer si un danger était imminent.

Quoique je comprenne l'importance d'une intervention en temps opportun dans les situations où il y imminence d'un danger, le gendarme Bernard ne s'est pas simplement présenté à la résidence, il s'en est approché et a parlé à M. Simon à travers une fenêtre, une position qui l'a placé dans une situation de risque inacceptable étant donné qu'on savait que M. Simon était en possession d'armes à feu et que son état émotionnel était incertain. Le gendarme Bernard a indiqué qu'il craignait la possibilité d'une altercation s'il transigeait seul avec M. Simon. Il avait déjà parlé au téléphone à M. Simon, et celui-ci lui avait dit qu'il se sentait « bien ». Il avait aussi parlé à la tante et à l'épouse de M. Simon. Ces mesures lui auraient permis d'évaluer la situation. Je réitère que, selon moi, si l'on tient compte des circonstances existantes, notamment le fait que le gendarme Bernard craignait une altercation possible, qu'il a demandé des renforts auprès des membres locaux et qu'il a eu des conversations téléphoniques préalables avec plusieurs personnes, y compris M. Simon, son approche immédiate de la résidence était déraisonnable compte tenu de la politique de la GRC sur les renforts, tel qu'elle est énoncée dans le bulletin MO‑479.

Le commissaire est aussi en désaccord sur le fait que le sergent d'état‑major Thompson savait ou aurait dû savoir que le gendarme Frenette allait entrer dans la résidence. Le commissaire fait référence à une section du rapport intérimaire qui, selon moi, a été sortie de son contexte. Je suis d'accord que le sergent d'état‑major Thompson ne savait pas avec certitude que le gendarme Frenette envisageait d'entrer dans la résidence et qu'il n'a pas été avisé immédiatement au moment où cela s'est produit. Cependant, le rapport fait ressortir un certain nombre de facteurs qui, précisément, tiennent compte du fait que le gendarme Frenette avait l'intention de prendre cette mesure.

Je note en particulier les faits suivants, énoncés dans le rapport intérimaire. Le gendarme Frenette a demandé s'il devait entrer dans la résidence, et plus tard il a proposé, [traduction] « C'est maintenant ou jamais ». Après quelque temps, le sergent d'état-major Thompson a demandé au gendarme Frenette, [traduction] « Il est grand comment ce gars? ». Je suis satisfait de l'élément de preuve énoncé dans le rapport, selon lequel le sergent d'état-major Thompson savait ou aurait dû savoir que le gendarme Frenette avait l'intention d'entrer dans la résidence.

Le commissaire n'a pas contesté le second et principal élément de ma conclusion et, en fait, il a reconnu que le sergent d'état-major Thompson aurait dû indiquer clairement au membre subalterne qu'il ne devait pas entrer dans la résidence, sans en avoir reçu l'ordre explicite.

Par conséquent, je réitère toutes mes conclusions.

Le commissaire s'est également penché sur les 12 recommandations de la Commission et les a toutes reconnues en principe. Il a souligné les différentes mesures prises par la GRC en réponse à ces recommandations. Il a d'abord fait remarquer qu'à l'échelle nationale, la GRC a adopté des mesures pour traiter les incidents critiques, y compris ceux touchant les personnes barricadées ou souffrant de troubles affectifs. De plus, la division H de la GRC a déjà pris certaines mesures, notamment la mise en œuvre d'une politique et la révision des normes de formation, pour améliorer la réponse de la GRC dans ce genre d'incidents.

Le commissaire a souligné plusieurs examens qui sont en cours ou déjà terminés de la politique nationale entourant ce genre d'incidents, y compris les examens liés à l'exigence d'un compte rendu après incident. Ces comptes rendus sont établis après les incidents critiques et une orientation est donnée aux groupes tactiques d'intervention et aux autres membres en cause. Dans la pratique, la division H de la GRC établit déjà ce genre de comptes rendus. Dans le même ordre d'idée, la division H a déjà mis en œuvre une politique à l'égard du traitement des personnes barricadées, et elle a mis en place une feuille de contrôle de l'évaluation du risque, accessible à partir des postes de travail mobiles.

Le commissaire a déclaré qu'un examen de la politique entourant le processus de notification et de prise de décision à l'égard des enquêtes selon le code de déontologie aura lieu. Cet examen reposera sur une directive récente qui exige qu'on informe l'agent de l'intégrité professionnelle et qu'on présente, dans ce genre d'enquêtes, des documents pertinents sur les raisons des décisions prises. De plus, le commissaire s'est engagé à l'élaboration d'une directive concernant le besoin des commandants opérationnels d'examiner le contenu des communiqués de presse afin d'en assurer l'exactitude avant leur publication.

Enfin, le commissaire de la GRC a abordé la recommandation de la Commission selon laquelle la GRC devrait s'excuser à la famille de M. Simon et à la Première Nation de Wagmatcook à l'égard de cet incident. Le commissaire a fait remarquer que la GRC a reconnu ses erreurs et qu'elle a affirmé son intention de faire des efforts continus pour coopérer avec la famille de M. Simon et la collectivité. Selon moi, ce genre d'efforts de la part de la GRC est indispensable pour restaurer la confiance du public dans la police. C'est seulement grâce à la prise de mesures positives que la GRC pourra guérir les blessures causées par cet incident. En dernier ressort, la collectivité et la famille de M. Simon tireront leur propre conclusion, à savoir s'ils seront satisfaits de ces efforts à venir.

Les conclusions et recommandations de la Commission

À la suite de l'enquête menée par la Commission, j'ai formulé un certain nombre de conclusions et de recommandations qui, je crois, pourraient aider la GRC à examiner et à modifier ses politiques et à améliorer la formation qu'elle offre à ses membres pour faire en sorte qu'un événement tragique semblable ne se reproduise pas. Ainsi qu'il est mentionné ci-dessus, la GRC a répondu à ces conclusions et recommandations. Je répète ci-dessous les conclusions et les recommandations de la Commission.

Conclusions

Conclusion : Le gendarme Bernard s'est placé inutilement dans une situation à risque en n'attendant pas les renforts qui avaient été appelés avant de s'approcher de la résidence de M. Simon.

Conclusion : Le sergent d'état-major Thompson n'a pas défini un plan opérationnel adéquat et ne s'est pas assuré qu'il était bien compris par les membres impliqués avant leur déploiement.

Conclusion : Le sergent d'état-major Thompson a permis aux membres de la GRC de mettre M. Simon et de se mettre eux-mêmes inutilement dans une situation à risque en les autorisant à se positionner et à rester trop près de la résidence de M. Simon.

Conclusion : Le sergent d'état-major Thompson a omis d'ordonner au gendarme Frenette de s'éloigner de la résidence quand il a su ou aurait dû savoir que le gendarme Frenette envisageait d'entrer dans la maison pour appréhender M. Simon.

Conclusion : Le gendarme Frenette a agi de façon inappropriée en décidant d'entrer dans la maison de M. Simon sans ordre explicite à cet effet, sans en informer les autres membres, sans renfort et sans possibilité de fuite ni plan opérationnel.

Conclusion : Le gendarme Frenette avait des motifs suffisants de croire que sa vie était en danger, et sa décision de recourir à la force meurtrière en utilisant son arme de service et en faisant feu sur M. Simon était appropriée vu la situation.

Conclusion : Rien n'indique que l'enquête du GCG de la GRC a été menée de façon partiale ou subjective.

Conclusion : Dans les circonstances, il était raisonnable pour la GRC de limiter l'accès au corps de M. Simon.

Conclusion : Les membres de la GRC qui ont participé à l'enquête liée à l'incident en question ont agi de façon appropriée, professionnelle et impartiale, conformément à l'article 37 de la Loi sur la GRC.

Conclusion : Conformément aux bonnes pratiques de gestion policière, la GRC aurait dû organiser une réunion après l'incident critique pour tirer des leçons de l'événement.

Conclusion : On n'a cerné aucune déficience en matière de formation qui aurait pu contribuer à l'incident.

Conclusion : Le contenu des réponses aux médias préparées au sujet de l'incident n'était pas suffisamment complet et aurait pu donner à croire au public que l'enquête avait uniquement été réalisée par la PRH.

Recommandations

Recommandation : Que, à la suite de tout incident critique où un autre organisme enquête sur les actes d'un membre de la GRC, on organise une séance d'information après l'incident à laquelle participeront l'organisme externe et la GRC pour cerner les leçons apprises et les lacunes.

Recommandation : Que la GRC entreprenne un examen de sa politique liée aux personnes barricadées.

Recommandation : Qu'un guide/une liste de vérification soit élaboré et installé dans tous les postes de travail mobiles des véhicules de police pour qu'on suive et respecte l'ensemble des procédures opérationnelles en cas d'incident critique.

Recommandation : Que la GRC examine le programme de formation qu'elle offre au sujet du processus d'intervention en cas d'incident critique comme lorsque des personnes sont barricadées pour s'assurer que les enjeux liés au contrôle du périmètre et à la gestion des personnes perturbées sur le plan émotionnel sont abordés de façon appropriée.

Recommandation : Que les experts en recours à la force suivent une formation sur la biomécanique des situations où on a recours à la force meurtrière.

Recommandation : Que la GRC envisage l'ajout à sa politique d'un processus officiel faisant intervenir les Services internes des divisions pour favoriser une communication en temps opportun et s'assurer qu'on documente de façon appropriée les décisions durant le processus de consultation lié à la partie IV de la Loi afin de préserver la justification des décisions connexes.

Recommandation : Que le gendarme Frenette suive une formation de rattrapage complète sur le MIGI et sur le modèle CAPRA. 

Recommandation : Que le sergent d'état-major Thompson bénéficie d'un cours de formation sur la supervision opérationnelle des membres subalternes et sur la planification et la gestion dans le cadre d'incidents critiques.

Recommandation : Que la GRC envisage de conclure une entente bilatérale avec des GTI non membres de la GRC afin de garantir une intervention adéquate et rapide dans le cadre d'incidents où la participation d'une telle équipe est nécessaire.

Recommandation : Que le commandant examine les communiqués avant qu'ils soient publiés pour s'assurer qu'ils sont exacts et éviter toute interprétation erronée possible.

Recommandation : Que la GRC offre ses excuses à la famille de M. Simon et à la bande de Wagmatcook par rapport à l'incident.

Aux termes du paragraphe 45.46(3) de la Loi sur la GRC, le mandat de la Commission dans cette affaire a été rempli.

Le président intérimaire,
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Ian McPhail, c.r.

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