Rapport intérimaire de la Commission suivant une plainte déposée par le président et une enquête d'intérêt public au sujet de l'enquête menée par la GRC sur le décès de Colten Boushie et les événements qui ont suivi
Liens connexes
- Rapport final de la CCETP
7 janvier 2021 - Communiqué de presse
22 mars 2021 - Résumé de la plainte du public
22 mars 2021 - Réponse de la commissaire de la GRC
4 décembre 2020 - Plainte déposée par le président
6 mars 2018
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada
Paragraphes 45.59(1) et 45.66(1)
Plaignant
Président de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada
Tables des matières
- La plainte de la famille
- Plainte du président de la Commission
3) Analyse de l'enquête de la GRC
- Première intervention
- Arrestation d'E. M., de B. J. et de K. W.
- Entrevues
- Dépôt d'accusations et détention en cellule
- Nouvelles entrevues
- S. S. et L. S.
- A. D.
- M. F. et G. F.
- M. Stanley
- Gestion du temps d'enquête
- Gestion de la scène de crime
- Collecte et expertise des éléments de preuve matériels
- Gestion des cas graves et groupe des crimes graves
- Communications
- Analyse de la formation sur la discrimination et la sensibilisation à la culture
1) Introduction
[1] Le 9 août 2016, Colten Boushie (M. Boushie), un résident de la réserve de la Première Nation de Red Pheasant, a été abattu sur une propriété agricole rurale près de Biggar (Saskatchewan) par Gerald Stanley (M. Stanley), le propriétaire des lieux. À la suite d'une enquête criminelle menée par la GRC, M. Stanley a été accusé du meurtre de M. Boushie. Le 9 février 2018, M. Stanley a été acquitté de l'accusation de meurtre après un procès devant jury. L'événement a suscité beaucoup d'attention et d'intérêt public, y compris diverses préoccupations liées à l'enquête menée par la GRC.
[2] Deux plaintes du public distinctes ont été déposées auprès de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC (la Commission) relativement à l'incident en question :
- le 16 décembre 2016, Alvin Baptiste, l'oncle de M. Boushie et le frère de Debbie Baptiste (Mme Baptiste), la mère de M. Boushie, ont déposé une plainte concernant la conduite des membres de la GRC qui se sont présentés chez Mme Baptiste le soir du 9 août 2016 et formulé une allégation relative à une poursuite impliquant un véhicule de police (ci‑après la « plainte de la famille »);
- le 6 mars 2018, le président par intérim de la Commission a déposé une plainte distincte et lancé une enquête d'intérêt public plus vaste au sujet de l'enquête de la GRC sur le décès de M. Boushie et les événements qui ont suivi (ci‑après la « plainte du président de la Commission »).
La plainte de la famille
[3] La plainte de la famille a d'abord fait l'objet d'une enquête de la GRC en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (la Loi sur la GRC). Le 19 octobre 2017, la GRC a publié un rapport à l'intention des membres de la famille en réponse à leur plainte. La famille n'était pas satisfaite du rapport de la GRC et a demandé à la Commission de procéder à un examen.
[4] La Commission a mené une enquête plus poussée sur la plainte de la famille parallèlement à l'enquête sur sa propre plainte. Le 4 novembre 2019, elle a publié un rapport intérimaire qui exposait ses conclusions et recommandations relativement à la plainte de la famille. Une copie du rapport en question est jointe au présent rapport.
Plainte du président de la Commission
[5] Dans une lettre datée du 16 février 2018 adressée au président par intérim de la Commission, le commissaire par intérim de la GRC a souligné les préoccupations soulevées par la famille de M. Boushie et d'autres personnes au sujet de leurs interactions avec les membres de la GRC et de divers aspects de l'enquête criminelle menée par la GRC relativement au décès de M. Boushie. Le commissaire par intérim a demandé au président par intérim d'envisager de déposer une plainte et de mener une enquête sur l'affaire.
[6] Peu de temps après, le président de la Commission a déposé une plainte et lancé une enquête d'intérêt public de portée plus générale que la plainte de la famille afin de se pencher sur les questions suivantes :
- si les membres de la GRC ou les autres personnes nommées ou employées sous le régime de la Loi sur la GRC intervenus dans cette affaire ont procédé à une enquête raisonnable sur le décès de M. Boushie;
- si les mesures prises par la GRC en réaction à cette affaire l'ont été conformément à la formation, aux politiques, aux procédures et aux lignes directrices de la GRC ainsi qu'aux exigences législatives;
- si la formation, les politiques, les procédures et les lignes directrices de la GRC liées à cette affaire (à l'échelle nationale, à l'échelle de la division et à l'échelle du détachement) sont raisonnables;
- si le comportement des membres de la GRC ou des autres personnes nommées ou employées sous le régime de la partie I de la Loi sur la GRC intervenus dans cette affaire constitue de la discrimination fondée sur la race ou la perception d'appartenance à une race.
[7] Le rôle de la Commission est d'examiner la conduite des membres de la GRC dans l'exercice de leurs fonctions comparativement à la formation, aux politiques, aux procédures, aux lignes directrices et aux exigences législatives applicables et, s'il y a lieu, de formuler des recommandations en ce qui a trait aux mesures correctives à prendre.
[8] Le présent rapport constitue l'enquête de la Commission et ses conclusions et recommandations connexes.
2) Faits généraux
[9] La Commission est un organisme fédéral distinct et indépendant de la GRC. Quand elle mène une enquête d'intérêt public, elle ne prend la défense ni du plaignant ni des membres de la GRC. Le rôle de la Commission consiste à tirer des conclusions après un examen objectif des données probantes et, s'il y a lieu, à formuler des recommandations relativement aux mesures que la GRC peut prendre pour améliorer ou corriger la conduite de ses membres.
[10] Les conclusions de la Commission, telles qu'elles sont décrites ci‑dessous, sont fondées sur un examen attentif du dossier opérationnel de la GRC, d'autres documents pertinents fournis par la GRCNote de bas de page 1, des renseignements obtenus dans le cadre de l'enquête de la Commission ainsi que des politiques et lois pertinentes. Au cours de son enquête, la Commission a mené des entrevues auprès de membres de la famille de M. Boushie et de témoins civils en juillet et septembre 2018 et des entrevues auprès de membres pertinents de la GRC de mars à juillet 2019.
[11] Les conclusions et recommandations formulées par la Commission ne sont pas de nature criminelle et elles ne visent pas non plus à évoquer une quelconque culpabilité criminelle. L'examen du présent dossier par la Commission repose sur un processus quasi judiciaire qui exige l'évaluation des éléments de preuve selon la prépondérance des probabilités. Le rôle de la Commission n'est pas de relancer l'affaire criminelle contre M. Stanley, mais plutôt de déterminer si, dans les circonstances, la conduite des membres de la GRC était raisonnable. Certains des termes utilisés dans le présent rapport peuvent aussi être utilisés dans un contexte pénal, mais un tel libellé ne vise pas à faire intervenir les exigences du droit pénal en ce qui concerne la culpabilité, l'innocence ou la norme de preuve.
[12] Le compte rendu des événements qui suit a été établi à la lumière des notes et des rapports des membres de la GRC qui ont participé à l'enquête criminelle, ainsi que des déclarations des membres de la GRC et des témoins pendant l'enquête criminelle et/ou les enquêtes de la Commission. La Commission présente de tels faits soit parce qu'ils sont incontestés, soit parce que, selon la prépondérance de la preuve, elle les admet comme étant une version fiable des événements.
[13] Vers 13 h, le 9 août 2016, M. Boushie s'est arrêté chez lui, dans la réserve de la Première Nation de Red Pheasant en compagnie de K. W.Note de bas de page 2. Il a dit à sa mère, Mme Baptiste, qu'il allait nager avec certains de ses amis et qu'il prévoyait de rentrer à la maison vers 17 h ou 18 h pour souper. C'est la dernière fois que Mme Baptiste a vu son fils vivant.
[14] M. Boushie et quatre de ses amis ont passé l'après‑midi à se baigner et à boire. Ses amis étaient deux jeunes hommes, E. M. et C. C., et deux jeunes femmes, K. W. et B. J. Alors qu'ils retournaient dans la réserve de la Première Nation de Red Pheasant, le Ford Escape dans lequel ils se trouvaient a eu une crevaison. À un moment donné après 17 h, ils ont emprunté une entrée qui menait à la ferme où M. Stanley vivait avec son épouse, L. S. Le fils adulte des Stanley, S. S., était également présent à ce moment‑là.
[15] Il n'est pas clair si les cinq occupants du Ford Escape avaient une intention commune lorsqu'ils ont tourné dans l'entrée des Stanley. Tous avaient consommé de l'alcool, et certains d'entre eux étaient endormis. Selon toute vraisemblance, M. Boushie n'a quitté le véhicule à aucun moment et n'a pas interagi avec les biens des Stanley.
[16] Le Ford Escape s'est arrêté dans la cour des Stanley. E. M. et C. C. sont sortis du véhicule et ont semblé interagir avec un camion stationné sur la propriété. L'un des deux a ensuite sauté sur un véhicule tout‑terrain qui se trouvait également dans la cour. Après avoir été témoins des événements, M. Stanley et S. S. sont accourus dans la cour et ont crié aux étrangers d'arrêter ce qu'ils faisaient, car ils croyaient que le groupe tentait de voler leurs biens.
Photo 1 : Vue aérienne de la propriété des Stanley qui montre le Ford Escape (le plus près de la maison) et des véhicules de la GRC sur la chaussée à l'entrée de la propriété.
[17] Ford Escape a percuté un autre véhicule stationné dans la cour avant de se retrouver coincé, lorsque la jante exposée de la roue dont le pneu était crevé s'est enlisée dans le gravier. Au même moment, S. S., qui poursuivait le Ford Escape, a frappé le pare‑brise du véhicule avec un marteau. Pour sa part, M. Stanley est allé dans un hangar, dont il est ressorti muni d'une arme de poing. Une fois le véhicule immobilisé, E. M. et C. C. (qui était le conducteur) sont sortis du véhicule et se sont enfuis à pied dans l'allée.
[18] M. Boushie est ensuite passé du siège arrière au siège du conducteur, apparemment pour s'enfuir au volant du véhicule. M. Stanley s'est approché de la porte du conducteur avec l'arme à feu à la main. Même s'il existe des faits contestés quant à savoir ce qui s'est ensuite produit et pourquoi, il ne fait aucun doute que l'arme que M. Stanley avait en main a fait feu, atteignant mortellement M. Boushie à l'arrière de la têteNote de bas de page 3. K. W. est sortie du Ford Escape, a ouvert la porte du côté du conducteur et a placé M. Boushie sur le sol, près du véhicule, où ce dernier a été retrouvé par les intervenants d'urgence.
Photo 2 : Le Ford Escape, là où il s'est immobilisé sur la propriété des Stanley
[19] K. W. et B. J. étaient toutes deux très bouleversées. K. W. s'est agenouillée pour prendre M. Boushie dans ses bras. L. S. s'est approchée de B. J. et de K. W. et a tenté de les calmer. Elle a déclaré plus tard que K. W. et B. J. l'ont frappée (les deux ont été accusées de voies de fait contre L. S.). K. W. et B. J. sont ensuite parties à pied vers la route à l'extérieur de la ferme des Stanley.
[20] Le fusil d'E. M. se trouvait dans le Ford Escape. E. M. l'avait apporté, car il avait l'intention d'aller chasser. La crosse en bois du fusil a été retrouvée plus tard à côté d'un véhicule sur la propriété de M. F. et de G. F., à environ 15 kilomètres de la ferme des Stanley. Le canon de la même arme à feu a été retrouvé à côté du corps de M. Boushie. Il n'y a toujours pas d'explication claire quant à la façon dont le canon s'est retrouvé là.
[21] À 17 h 27, S. S. a composé le 911. Après avoir entendu une brève description de la nature de l'urgence, le préposé du 911 a transféré l'appel à la Station de transmissions opérationnelles (STO) de la GRC.
[22] S. S. a fourni les renseignements suivants au préposé aux appels de la STO :
- trois hommes et deux femmes étaient venus sur leur propriété, avaient tenté de voler des véhicules dans la cour et avaient presque renversé quelqu'un, et un des trois hommes avait été abattu;
- les deux autres hommes avaient fui les lieux à pied vers l'ouest et étaient armés d'un fusil;
- les deux femmes sont restées sur les lieux, et sa mère, L. S., leur parlait;
- son père était le tireur;
- l'homme qui avait été abattu était peut‑être mort.
[23] Le préposé aux appels a obtenu une description des personnes en cause et a demandé des indications précises pour se rendre à la ferme des Stanley.
[24] La ferme des Stanley est située dans la municipalité rurale de Glenside, entre deux détachements de la GRC, soit celui de Battleford (situé à North Battleford), à environ 68 kilomètres au nord, et celui de Biggar, à 44 kilomètres au sud. Pendant l'appel de S. S., le préposé aux appels a déterminé que l'incident relevait du détachement de Biggar. En raison de la nature de l'incident, dans un premier temps, des policiers des détachements de Biggar et de Battleford ont été dépêchés sur les lieux.
Figure1 : Distances approximatives en voiture
FERME DES STANLEY | à |
GRC de BIGGAR |
44 KM |
GRC de BIGGAR |
à |
GRC de BATTLEFORD |
94 km |
|
FERME DES STANLEY |
à |
GRC de BATTLEFORD |
68 KM |
GRC de BIGGAR |
à |
GRC DE SASKATOON |
98 km |
|
FERME DES STANLEY |
à |
GRC DE SASKATOON |
142 KM |
GRC de BIGGAR |
à |
GRC DE YORKTON |
465 km |
|
GRC de BATTLEFORD |
à |
GRC DE SASKATOON |
144 KM |
[25] Le 9 août 2016, vers 17 h 25Note de bas de page 4, le gendarme Arvind ParmarNote de bas de page 5 du détachement de Biggar a reçu un appel de la STO l'informant de l'incident à la ferme des Stanley.
[26] Le gendarme Parmar a immédiatement communiqué avec le gendarme Andrew Park, qui était en disponibilité, pour obtenir de l'aide. Vers 17 h 30, le personnel des services médicaux d'urgence (SMU) a été dépêché sur les lieux, et le service d'ambulance aérienne a également été appelé sur place. À 17 h 45, le sergent Colin Sawrenko, commandant du détachement de la GRC de Biggar, a reçu un appel du gendarme Parmar concernant la fusillade. Le sergent Sawrenko, qui n'était pas en service à ce moment‑là, a ordonné au gendarme Parmar de communiquer avec toutes les ressources du détachement de Biggar et des administrations avoisinantes.
[27] Les membres de la GRC qui ont répondu à l'appel comprenaient le gendarme Mark Wright, du détachement de Biggar, le caporal Jason Olney, les gendarmes Chad Doucette, Adam Olson et Vanessa French, du détachement de Battleford, et le caporal Melvin Sansome, des Services cynophiles du détachement de Battleford.
[28] Le sergent Sawrenko a d'abord désigné le caporal Olney à titre de superviseur de la GRC, jusqu'à ce qu'il puisse se rendre sur les lieux. Il a demandé au caporal Olney d'établir la zone d'étapeNote de bas de page 6 à son arrivée. Il a explicitement ordonné au caporal Olney de rester à l'extérieur de la propriété jusqu'à ce que des ressources suffisantes soient en place. Plus précisément, le sergent Sawrenko était préoccupé par le fait que les personnes impliquées dans l'incident n'avaient pas encore toutes été retrouvées et il ne voulait pas compromettre la sécurité des agents ou du personnel des SMU avant d'assurer la sécurité des lieuxNote de bas de page 7.
[29] Entre‑temps, alors qu'ils étaient en route vers les lieux, le caporal Sansome et d'autres membres de la GRC du détachement de Battleford ont croisé E. M., B. J. et K. W, qui ont tous les trois été arrêtés pour méfait.
[30] Alors qu'il se dirigeait vers les lieux, le gendarme Park a communiqué avec le Groupe des crimes graves (GCG) de Saskatoon, conformément aux directives du sergent Sawrenko, et lui a transmis l'information dont il disposait à ce moment‑là.
[31] On a tenté de rétablir la communication avec S. S. pour obtenir de plus amples renseignements. On a vite découvert que S. S. était en ligne avec le préposé aux appels de la STO, qui a transféré l'appel au téléphone cellulaire du gendarme Park vers 17 h 52. S. S. a dit au gendarme Park qu'il n'y avait pas eu d'échange de tirs d'armes à feu et que seul M. Stanley avait fait feu. Le gendarme Park a transmis par radio aux autres membres de la GRC présents l'information que S. S lui avait fournie.
[32] Vers 18 h 10, le sergent Sawrenko est arrivé au détachement de Biggar et a commencé à surveiller les communications radio et les appels du GCG, de l'équipe de gestion du district et des membres de la GRC qui s'approchaient des lieux.
[33] Les membres de la GRC sont arrivés sur les lieux entre 18 h 10 et 18 h 35Note de bas de page 8. En vue d'inspecter les lieux et d'y interdire l'accès, ils ont stationné leurs véhicules de police l'un derrière l'autre le long de la route devant la propriété des Stanley. Le sergent Sawrenko a ordonné au caporal Olney de se rendre sur la propriété avec une équipe d'arrestation composée d'au moins trois personnes et de demander à d'autres membres de la GRC de prendre position à courte distance pour observer les arrestations et les environs et être prêts à intervenir ou à fournir des renforts, au besoin. À la suite d'une séance d'information tenue par le caporal Olney avec les membres de la GRC sur place, M. Stanley, son épouse, L. S., et leur fils, S. S., ont reçu l'ordre de quitter leur résidence à tour de rôle en mettant les mains au‑dessus de la tête. Ils ont tous les trois été arrêtés sans incident.
[34] Vers 18 h 52, les membres de la GRC ont terminé l'inspection de la résidence et des dépendances de la propriété. Le personnel des SMU est entré sur les lieux, a examiné M. Boushie et a constaté son décès.
[35] Vers 19 h 15, le gendarme Lindsay Wudrick du GCG de Saskatoon a communiqué avec le membre en disponibilité du Service de l'identité judiciaire (SIJ), le caporal Mark Ryttersgaard, pour obtenir de l'aide.
[36] Entre‑temps, les policiers qui étaient sur place ont vu deux camionnettes s'approcher de leur zone d'étape sur la route, à l'ouest de la ferme des Stanley. À plusieurs reprises, les camionnettes ont changé de direction pour ensuite s'approcher de nouveau. Les membres de la GRC ont présumé qu'un tel comportement suspect était lié d'une façon ou d'une autre à l'incident survenu à la ferme des Stanley. Deux véhicules de la GRC, l'un conduit par le caporal Sansome, et l'autre, par le gendarme Park avec le gendarme Wright comme passager, ont été envoyés pour enquêter sur les camionnettes. Initialement, les gendarmes Park et Wright ne savaient pas que B. J. était détenue dans leur véhicule. Cette dernière était menottée et assise sur le siège arrière, mais elle ne portait pas de ceinture de sécurité. Après avoir poursuivi brièvement les deux camionnettes sur la route, les policiers ont mis fin à la poursuiteNote de bas de page 9. L'interaction en question a constitué le fondement d'une partie de la plainte de la famille.
[37] Un voisin des Stanley, A. D., s'est approché du barrage routier de la GRC à l'extérieur de la ferme des Stanley et a informé la police qu'il venait d'aller reconduire quelqu'un dans la réserve de la Première Nation de Red Pheasant. Les membres de la GRC ont déterminé que la description de la personne fournie par le voisin correspondait à celle de C. C.
[38] Des membres de la GRC du détachement de Battleford qui se trouvaient à la ferme des Stanley ont été envoyés à la réserve de la Première Nation de Red Pheasant pour chercher C. C. Ils se sont rendus à la maison de Mme Baptiste pour chercher C. C. et informer Mme Baptiste du décès de son fils. Les gestes posés par les membres de la GRC au domicile de Mme Baptiste sont visés par la plainte de la famille.
3) Analyse de l'enquête de la GRC
Première intervention
[39] La politique nationale de la GRC sur les enquêtes de première interventionNote de bas de page 10 prévoit ce qui suit :
2. Membre
2.1. Le membre qui intervient à la suite d'une plainte ou qui se rend sur les lieux d'un incident doit faire une évaluation constante des risques selon les principes du Modèle d'intervention pour la gestion d'incidents (MIGI).
2.2. Lorsqu'on a signalé un décès, un incident ou des blessures graves indiquant des activités criminelles qui posent un risque pour la sécurité du public, l'enquêteur doit :
2.2.1. selon le type d'enquête, prendre contact avec le plaignant, soit par téléphone, soit en personne;
2.2.2. déterminer la nature de l'incident signalé ainsi que le lieu et tout témoin éventuel;
2.2.3. mener des enquêtes de voisinage sur les lieux de l'infraction afin de recueillir des éléments de preuve auprès des témoins oculaires et de s'assurer qu'il n'y a pas d'autres victimes;
2.2.4. obtenir suffisamment de renseignements des sujets sur les lieux afin de déterminer les besoins en matière d'enquête;
2.2.5. songer à faire appel aux groupes de soutien pertinents;
2.2.6. communiquer avec le plaignant avant de clore le dossier ou consigner au dossier les raisons pour lesquelles la notification de la plainte n'a pas été possible.[…]
3. Superviseur
3.1. S'assurer que l'on intervient selon l'urgence et la priorité de l'appel.
3.2. Offrir les conseils et le soutien nécessaires aux intervenants.
3.2.1. Consigner au dossier les mesures et les directives données aux membres.
3.2.2. Dans le cas d'un incident grave, diriger, superviser, et s'assurer que les groupes de soutien nécessaires ont été mobilisés.
[40] Après avoir examiné les éléments de preuve, la Commission est convaincue que les membres de la GRC en cause ont agi conformément à la politique susmentionnée.
[41] On a communiqué par téléphone avec le plaignant, S. S., et on a obtenu de lui des renseignements sur l'incident, le lieu et les témoins. Des unités de soutien, y compris les SMU, une ambulance aérienne, les Services cynophiles, le GCG de Saskatoon et le SIJ, ont été appelées afin de fournir une assistance. Des enquêtes de voisinage ont été menées le soir de l'incidentNote de bas de page 11 et par la suite.
[42] Il n'est pas rare qu'on demande à des ressources d'autres détachements d'intervenir pour répondre à des besoins opérationnels. La Commission reconnaît que, dans de nombreux cas, il peut s'agir de la seule option viable afin de veiller à ce qu'il y ait suffisamment de ressources. Vu la gravité et l'urgence de l'incident décrit par S. S., la Commission conclut que le sergent Sawrenko a pris les mesures appropriées pour veiller à ce que toutes les ressources disponibles — y compris celles venant d'autres détachements de la GRC — soient déployées en réaction à l'incident.
[43] Les interventions en cas d'urgence en régions rurales posent des défis particuliers. Dans un premier temps, le besoin de cerner le lieu de l'incident, puis de s'y rendre crée des difficultés particulières que négligent souvent ceux qui ne connaissent pas la vie en milieu ruralNote de bas de page 12. De plus, compte tenu du lieu de l'incident, il peut être difficile de déterminer le détachement approprié qui doit intervenir en cas d'urgence. Enfin, les distances entre les emplacements des services d'urgence, y compris les détachements de la GRC, peuvent être beaucoup plus grandes.
[44] Vu la distance entre les détachements de Biggar et de Battleford et la propriété des Stanley, la Commission conclut que les membres de la GRC dépêchés à la propriété des Stanley sont intervenus en temps opportun.
[45] Un examen des éléments de preuve, y compris les entrées dans le carnet de notes du sergent Sawrenko, montre que ce dernier a fourni un soutien, des directives et des instructions aux membres de la GRC qui sont intervenus. De toute évidence, les directives qu'il a fournies étaient fondées sur sa propre évaluation des risques. À ce moment‑là, le sergent Sawrenko avait dit que sa priorité était d'assurer la sécurité des personnes en cause. Il était raisonnable qu'il ordonne aux membres de la GRC d'attendre des renforts suffisants avant d'entrer sur la propriété. Une telle décision a nécessairement retardé le moment où les membres de la GRC ont pu limiter l'accès aux lieux et permettre au personnel des SMU d'entrer sur la propriété.
Conclusions
- 1) Les membres de la GRC dépêchés à la propriété des Stanley, y compris le sergent Sawrenko, ont agi conformément à la politique sur les enquêtes de première intervention.
- 2) Les mesures initiales prises par les membres de la GRC en cause en réaction à la plainte étaient raisonnables.
- 3) Le sergent Sawrenko a agi de façon raisonnable en supervisant l'intervention initiale sur la scène de crime.
- 4) Les membres de la GRC dépêchés à la propriété des Stanley sont intervenus en temps opportun.
Arrestation d'E. M., de B. J. et de K. W.
[46] Les arrestations d'E. M., de B. J. et de K. W. se sont déroulées de la façon suivante.
[47] En route vers la scène, le caporal Sansome a croisé un homme à pied à environ deux milles à l'ouest des lieux. En raison des vêtements que l'homme portait, le caporal Sansome a déterminé qu'il s'agissait d'une des personnes impliquées dans l'incident. Il a ralenti, et l'homme a levé les mains et a commencé à se mettre à genoux. Le caporal Sansome est sorti de son véhicule, s'est approché de l'homme et l'a fait s'asseoir par terre. L'homme s'est identifié comme étant E. M. Le caporal Sansome l'a menotté et l'a informé qu'il était en état d'arrestation. À ce moment‑là, il ne lui a pas précisé les motifs de l'arrestation, mais il l'a informé qu'il aurait la possibilité de parler à un avocat.
[48] Peu après, les gendarmes Justin Blacklock et Laura Cockrum sont venus prêter main‑forte. À 18 h 30, la gendarme Cockrum a informé E. M. qu'il était arrêté pour méfait, lui a lu ses droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés Note de bas de page 13 (la Charte) et a formulé la mise en garde policière. Le gendarme Blacklock a fouillé E. M., puis ce dernier a été transporté au détachement de Battleford. Suivant les directives d'un autre membre de la GRC, la gendarme Cockrum a arrêté E. M. pour vol de plus de 5 000 $ peu de temps après son arrivée au détachement.
[49] Après son interaction avec E. M., le caporal Sansome a poursuivi sa route vers la scène de crime, suivi de près par les gendarmes Olson et French. Sur le chemin Ranger Lake, le caporal Sansome a croisé deux femmes, qui ont plus tard été identifiées comme étant B. J. et K. W. Le caporal Sansome est sorti de son véhicule et a ordonné aux deux femmes de se coucher par terre face au sol. Les gendarmes Olson et French se sont approchés en renfort. Ils ont menotté les deux femmes et les ont confiées au gendarme Park, qui a procédé à leur arrestation pour méfait. Le gendarme Park a lu aux deux femmes leurs droits en vertu de la Charte et a formulé la mise en garde policière. B. J. et K. W. ont par la suite été transportées séparément au détachement de Battleford et ont parlé à un avocat avant de fournir leurs déclarationsNote de bas de page 14.
Principes juridiques applicables
[50] E. M., B. J. et K. W. ont d'abord été arrêtés pour méfait.
[51] Le Code criminel définit ainsi l'infraction de méfaitNote de bas de page 15 :
430 (1) Commet un méfait quiconque volontairement, selon le cas :
...
c) empêche, interrompt ou gêne l'emploi, la jouissance ou l'exploitation légitime d'un bien;
d) empêche, interrompt ou gêne une personne dans l'emploi, la jouissance ou l'exploitation légitime d'un bien.
[52] Le paragraphe 495(1) du Code criminel prévoit qu'un agent de police peut arrêter sans mandat une personne qui, d'après ce qu'il croit pour des motifs raisonnables, a commis un acte criminel. Dans la présente affaire, le pouvoir d'arrestation est limité aux situations où l'agent de police croit pour des motifs raisonnables que l'arrestation est nécessaire pour identifier la personne, conserver une preuve de l'infraction, empêcher que l'infraction se poursuive ou se répète, ou assurer la présence de l'accusé devant le tribunalNote de bas de page 16.
[53] Avant de procéder à une arrestation, les policiers doivent établir qu'ils ont des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis une infraction criminelle. En outre, ces motifs doivent être objectivement justifiables, c'est‑à‑dire qu'une personne raisonnable se trouvant à la place de l'agent de police doit pouvoir conclure qu'il y avait effectivement des motifs raisonnables de procéder à l'arrestationNote de bas de page 16. Pour déterminer si les motifs en question sont objectivement raisonnables, il faut tenir compte de l'ensemble des circonstances connues du policier à ce moment‑làNote de bas de page 18.
[54] Dans la présente affaire, les arrestations ont été effectuées par des membres de la GRC qui donnaient suite aux directives du sergent SawrenkoNote de bas de page 19.
[55] Dans l'arrêt R c Debot, la Cour suprême du Canada a exprimé l'avis selon lequel une décision d'arrestation peut être prise par un agent, mais exécutée par un autre. Dans la mesure où le décideur a le fondement juridique nécessaire pour prendre la décision en question, il peut déléguer la tâche de l'appliquer à un autre agent de policeNote de bas de page 20.
[56] Un examen des entrées dans le carnet de notes du sergent Sawrenko révèle que le gendarme Parmar l'a informé vers 17 h 45 qu'il y avait eu une fusillade dans la municipalité rurale de Glenside. Des inconnus sont entrés sur la propriété d'un agriculteur, où une personne a été tuée par balle, tandis que d'autres ont fui les lieux à pied. Il a également été informé que les allées et venues du tireur étaient inconnues. À 18 h 10, il a noté que les événements se déroulaient rapidement et qu'il recevait sans arrêt des appels de divers membres de la GRC.
[57] La Commission reconnaît que, au début de l'enquête, la nature précise de la participation des personnes soupçonnées dans le cadre de l'incident à la ferme des Stanley n'était pas claire. Cependant, les renseignements fournis au sergent Sawrenko à ce moment‑là étaient suffisants pour justifier sa croyance subjective selon laquelle les occupants du véhicule sont entrés sur le terrain de la ferme des Stanley et ont, d'une manière ou d'une autre, interrompu ou gêné la jouissance légitime du bien du propriétaire. La Commission reconnaît la gravité de la situation — qui a donné lieu à une fusillade mortelle — et la grande urgence d'identifier les personnes impliquées. Par conséquent, la Commission conclut que l'ordre du sergent Sawrenko de procéder aux arrestations pour méfait était raisonnable.
Conclusion
- 5) Il était raisonnable d'arrêter sans mandat E. M., B. J. et K. W. pour l'infraction criminelle de méfait.
Droits constitutionnels au moment de l'arrestation
[58] L'article 10 de la Charte prévoit ce qui suit :
10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention :
a) d'être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention;
b) d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit […].
[59] Dans l'arrêt R c BordenNote de bas de page 21, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au sujet des dispositions susmentionnées :
Comme notre Cour l'a déjà dit, les droits garantis par les al. 10a) et 10b) de la Charte sont liés. L'une des principales raisons d'obliger les policiers à informer une personne des motifs de sa détention est d'assurer que celle‑ci puisse faire un choix éclairé d'exercer ou non son droit à l'assistance d'un avocat et, dans l'affirmative, qu'elle obtienne des conseils judicieux en fonction de sa compréhension de l'ampleur du risque qu'elle court […].
[60] La personne qui procède à l'arrestation n'a pas à informer la personne détenue de la loi et de l'article précis sur lesquels elle se fonde; il suffit d'énoncer la nature de l'infractionNote de bas de page 22.
Arrestation d'E. M.
[61] Selon la déclaration d'E. M. à l'enquêteur de la Fédération des nations autochtones souveraines (FNAS), le 15 septembre 2016, le caporal Sansome ne l'a pas informé du motif de son arrestation.
[62] Le caporal Sansome a fourni les renseignements suivants lorsqu'il a été interrogé par les enquêteurs de la Commission le 26 mars 2019 au sujet de l'arrestation d'E. M. :
[Traduction]
CCETP : Lui avez‑vous dit la raison pour laquelle il était en état d'arrestation?CAP. M. SANSOME : Je ne sais pas si je l'ai mis en état d'arrestation. Je lui ai probablement dit que j'étais seulement un membre de l'équipe canine sur les lieux ou je lui ai probablement demandé de s'asseoir sur le sol jusqu'à ce que la voiture de police arrive. Je n'arrête pas beaucoup de gens. Je ne m'en mêle tout simplement pas en raison de mes rôles et responsabilités. Je le fais quand c'est nécessaire, mais, sachant que des agents allaient arriver — et je n'ai nulle part où mettre la personne —, je ne lui ai jamais mis les menottes ou ce genre de choses.
[63] Le rapport de cas des Services cynophiles du caporal Sansome mentionne clairement que ce dernier a informé E. M. qu'il était en état d'arrestation. Cependant, rien dans ses notes ni dans son rapport de cas n'indique qu'il l'a informé de la raison de son arrestation. Selon la prépondérance des probabilités, la Commission conclut que le caporal Sansome n'a pas informé E. M. du motif de son arrestation.
[64] Il existe une distinction importante entre l'acte juridique d'une arrestation et les exigences de l'alinéa 10a) de la Charte. Le défaut de se conformer à l'exigence prévue à l'alinéa 10a) n'invalide pas en soi la nature juridique de l'arrestation, mais ouvre plutôt la voie à un recours en vertu de l'article 24 de la CharteNote de bas de page 23. De plus, l'avis prévu à l'alinéa 10a) de la Charte doit être donné « dans les plus brefs délais », mais pas nécessairement avant l'arrestation en tant que telle.
[65] D'un point de vue purement juridique, la police n'est pas tenue d'informer une personne du motif de son arrestation avant de procéder à l'arrestation. Ce raisonnement s'applique tout particulièrement aux situations dynamiques où il y a un besoin urgent de maîtriser une personne.
[66] Cependant, même dans des situations dynamiques, la Commission s'attend à ce que les agents de police expliquent rapidement les raisons de l'arrestation. De telles explications peuvent désamorcer la situation et favoriser ainsi l'observation volontaire et la soumission à l'arrestation. Une telle pratique est conforme au Modèle d'intervention pour la gestion d'incidents (MIGI) de la GRC, sur lequel reposent la formation et l'orientation des membres en ce qui concerne le recours à la force. Le MIGI favorise l'évaluation des risques, décrit divers niveaux de comportement et offre des options d'intervention raisonnables. Il recommande le recours aux interventions verbales dans la mesure du possible, et ce, à la fois pour désamorcer des situations potentiellement explosives et pour favoriser une attitude professionnelle, polie et respectueuse.
[67] Dans la présente affaire, la gendarme Cockrum a mentionné dans ses notes que, le 9 août, à 18 h 30, E. M. a été arrêté pour méfait. Elle a ajouté qu'elle avait lu à ce dernier ses droits garantis par la Charte et avait formulé la mise en garde policière. Elle a également consigné les réponses d'E. M. mot à mot.
[68] La preuve montre également que, une fois au détachement de Battleford, E. M. a été arrêté de nouveau par la gendarme Cockrum pour vol de plus de 5 000 $ sur ordre d'un autre membre de la GRC. La gendarme Cockrum a indiqué dans ses notes qu'elle a informé E. M. de la raison de l'arrestation et qu'elle l'a aussi informé sans délai de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. Selon les notes du gendarme Blacklock, E. M. a été mis en contact avec un avocat de l'aide juridique à 19 h 32, et la conversation en question a pris fin à 19 h 41.
[69] Selon les renseignements accessibles, le temps qui s'est écoulé entre l'arrestation initiale d'E. M. par le caporal Sansome et son arrestation officielle par la gendarme Cockrum a été relativement court. Vu la nature dynamique de la situation, il était raisonnable que le caporal Sansome délègue la tâche de procéder à l'arrestation officielle et à la lecture des droits aux membres de la GRC venus en renfort. Lorsque les gendarmes Blacklock et Cockrum ont pris la relève, le caporal Sansome a repris la route pour retrouver les autres personnes en cause. La preuve montre qu'E. M. a parlé à un avocat avant de faire une déclaration à la police. Par conséquent, la Commission conclut qu'E. M. n'a pas été lésé par le bref retard avant d'être informé de la raison de son arrestation.
[70] À la lumière de tous les facteurs, la Commission conclut qu'E. M. a été arrêté d'une manière conforme aux alinéas 10a) et 10b) de la Charte.
Conclusion
- 6) E. M. a été arrêté conformément aux alinéas 10a) et 10b) de la Charte.
Arrestation de B. J. et de K. W.
[71] B. J. et K. W. ont fourni très peu de détails à l'enquêteur chargé de la plainte du public au sujet de leur rencontre avec la GRC le 9 août 2016. B. J. a indiqué que le membre de la GRC qui l'a arrêtée ne l'a pas informée de ses droits, mais lui a dit qu'elle était arrêtée pour vol. K. W. n'a fourni aucun renseignement, à part dire qu'elle et B. J. ont été arrêtées par la police alors qu'elles marchaient et essayaient de trouver de l'aide.
[72] Il ressort d'un examen des documents que le caporal Sansome a été le premier membre de la GRC à rencontrer B. J. et K. W. Les gendarmes Olson et French sont arrivés peu après, suivis presque immédiatement du gendarme Park.
[73] Dans son rapport de police, le gendarme Park mentionne avoir observé le caporal Sansome et deux membres de North Battleford sur le chemin Ranger Lake en compagnie de deux femmes menottées sur le sol. Il a précisé avoir amené les deux femmes dans son véhicule de police et ajouté avoir arrêté K. W. pour méfait à 18 h 27 et l'avoir informée de son droit à un avocat à 18 h 28. Lorsqu'on lui a demandé si elle comprenait, K. W. a répondu : [traduction] « Oui ». À 18 h 30, le gendarme Park a fourni à K. W. la mise en garde policière et, lorsqu'il lui a demandé si elle avait compris, elle a répondu : [traduction] « Je sais, je sais. Mon petit ami est mort. » La preuve montre que K. W. a communiqué avec un avocat avant de fournir sa déclaration à la policeNote de bas de page 24.
[74] Le gendarme Park a ensuite procédé à l'arrestation de B. J. pour méfait et l'a informée de son droit à un avocat. Il lui a demandé si elle avait compris, et elle a répondu : [traduction] « Ouais ». Il a aussi mentionné lui avoir fourni la mise en garde policière à 18 h 31, ce à quoi B. J. a à nouveau répondu : [traduction] « Ouais ». Après son arrivée au détachement de Battleford, B. J. a également été arrêtée pour vol de plus de 5 000 $ et violation de la paix. On lui a lu ses droits garantis par la Charte, et elle a parlé à un avocat de l'aide juridique vers 21 h 13.
[75] À la lumière de ce qui précède, la Commission conclut, selon la prépondérance des probabilités, que B. J. et K. W. ont été arrêtées d'une manière conforme aux alinéas 10a) et 10b) de la Charte.
Conclusion
- 7) B. J. et K. W. ont été arrêtées conformément aux alinéas 10a) et 10b) de la Charte.
Entrevues
[76] Trois des quatre personnes qui étaient avec M. Boushie dans le Ford Escape — E. M., B. J. et K. W. — ont passé la nuit en cellule au détachement de la GRC de Battleford. Le soir du 9 août 2016, la GRC a été incapable de trouver la quatrième personne, C. C., dans la réserve de la Première Nation de Red Pheasant. Le lendemain, les allées et venues de ce dernier étaient encore inconnues de la police jusqu'à ce qu'il se présente volontairement au détachement, tout juste après 17 h.
[77] Le caporal Dallas Fee et le gendarme Cory Teniuk du GCG de Saskatoon ont été chargés d'interroger E. M., B. J. et K. W., au sujet de l'homicide de M. Boushie. Ils sont arrivés au détachement de Battleford dans la soirée du 9 août. En raison du niveau d'intoxication des trois témoins et conformément à la politique de la GRC, ils ont retardé l'entrevue des témoins jusqu'à ce que ceux‑ci soient suffisamment sobresNote de bas de page 25. Le sergent Brent Olberg a dit aux enquêteurs de la Commission que, si la police avait uniquement enquêté sur des allégations de vol et si les trois témoins n'avaient pas été en état d'ébriété, ceux‑ci auraient été interrogés immédiatement, avant d'être libérés. En outre, les enquêteurs voulaient obtenir les déclarations de S. S. et de L. S. avant d'interroger les trois témoins du Ford Escape.
[78] Le lendemain matin, le caporal Fee et le gendarme Teniuk ont dit aux trois témoins que l'entrevue portait sur l'homicide de M. Boushie, et non sur les allégations de crimes contre les biens et de voies de fait. Le caporal Fee et le gendarme Teniuk ont formulé un long préambule au début des trois entrevues pour informer et rassurer les témoins quant au fait qu'ils voulaient obtenir une version intégrale [traduction] « pure » des événements. Les deux membres de la GRC ont également précisé qu'ils ne voulaient pas approfondir des renseignements susceptibles d'appuyer des accusations contre les trois témoins. À cet égard, ils ont établi une distinction entre leur rôle — en tant qu'enquêteurs sur l'homicide — et celui des membres des services généraux de la GRC en uniforme du détachement de Biggar qui allaient peut‑être vouloir leur parler plus tardNote de bas de page 26.
[79] Les entrevues avec les témoins ont duré entre 45 minutes et deux heures. L'entrevue du caporal Fee avec K. W. a commencé tout juste après 10 h et s'est terminée à 10 h 49. Il a confirmé auprès de K. W. qu'elle avait parlé à un avocat et lui a dit que son père était passé au détachement la veille. Elle a demandé à quel moment elle pourrait rentrer chez elle. Le caporal Fee a répondu avoir dit à son avocat qu'il ne le savait pas et qu'il n'enquêtait pas sur les affaires pour lesquelles elle avait été accusée.
[80] K. W. a dit au caporal Fee qu'elle, M. Boushie et B. J. dormaient sur le siège arrière. Lorsqu'ils se sont réveillés, ils se trouvaient à un endroit qu'elle ne reconnaissait pas. Elle a vu E. M. et C. C. s'enfuir. M. Boushie a sauté par‑dessus les sièges pour essayer de s'enfuir, et elle a entendu un coup de feu. Au début, elle ne s'est pas rendu compte que M. Boushie avait été atteint par balle, même si elle a aussi dit : [traduction] « ils lui ont pointé un fusil à la tête et ils l'ont tiré ». Elle a décrit le tireur comme étant un grand homme qui portait des lunettes de soleil et a précisé qu'il y avait quatre personnes sur la propriété, dont un autre homme et une femme. L'arme utilisée par l'homme était une arme d'épaule, probablement une arme de calibre .22. K. W. a essayé de réveiller M. Boushie. Elle l'a ensuite descendu du siège du conducteur pour l'étendre sur le sol. Elle et B. J. ont commencé à s'éloigner de la propriété à pied pour essayer de trouver une autre maison. Elles ont par la suite été arrêtées par la police.
[81] L'entrevue du gendarme Teniuk avec B. J. a commencé à 9 h 40 et s'est terminée à 11 h 40. B. J. vivait en Alberta et se trouvait dans la région depuis seulement deux ou trois semaines pour rendre visite à son petit ami, E. M. Elle ne connaissait pas bon nombre des endroits que le groupe avait visités la veille et ne connaissait même pas le nom de M. Boushie. Elle savait seulement qu'il était le petit ami de K. W. Elle n'était pas certaine du nom de C. C., mais elle savait qu'il était le cousin de K. W. Elle avait rencontré M. Boushie et C. C. pour la première fois la veille. Selon elle, le groupe avait bu beaucoup tout au long de la journée.
[82] B. J. a dit au gendarme Teniuk ne pas se souvenir en détail de ce qui s'était produit et être surprise de l'allégation de tentative de vol. Elle se rappelait que M. Boushie était sur le siège arrière du Ford Escape et qu'il faisait nuit au moment de la fusillade. Elle ne se souvenait pas de la fusillade en tant que telle ni de l'identité du tireur et se rappelait seulement que, à un moment donné, elle s'était retrouvée à l'extérieur du véhicule, du côté passager, sur le sol avec K. W., qui criait [traduction] « ils ont tiré sur mon petit ami! », tandis qu'elles étaient agenouillées à côté du corps. Il y avait beaucoup de sang sur elles et sur le sol. Une dame se tenait au‑dessus d'eux avec un gros fusil, et B. J. voulait partir, par crainte que la dame fasse aussi feu sur elles. Elle n'a vu personne d'autre sur la propriété. Elle a monté sur le siège du conducteur du Ford Escape et a tenté en vain de redémarrer le moteur. Le gendarme Teniuk a posé une question à B. J. au sujet de l'arme à feu trouvée près du corps de M. Boushie, et elle a répondu ne pas se souvenir d'avoir vu une arme à feu à cet endroit ni dans le véhicule.
[83] Pendant que le gendarme Teniuk était sorti de la pièce, B. J. s'est effondrée et a dit tout haut qu'elle souhaitait que tout disparaisse et qu'elle voulait être chez elle avec sa fille. À son retour, le gendarme Teniuk a reconnu le désir de B. J. d'être ailleurs, mais il a dit qu'ils devaient poursuivre l'entrevue. B. J. lui a dit qu'elle ne savait pas quoi dire d'autre.
[84] Le gendarme Teniuk a tenté d'obtenir plus de renseignements de B. J. en lui demandant de s'imaginer sur les lieux et de retourner mentalement à un moment plus tôt dans la journée, puis de se remémorer le fil des événements. B. J. a dit : [traduction] « C'est nul d'essayer de se rappeler quelque chose dont on ne se souvient pas ».
[85] Le gendarme Teniuk a remarqué des éraflures et des ecchymoses sur le corps de B. J. et lui a demandé si elle avait mal, et elle a répondu que sa bouche et ses genoux lui faisaient mal. Durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission, le gendarme Teniuk a dit que B. J. semblait avoir été victime d'une agression, même s'il ne lui a pas posé d'autres questions au sujet de ses blessures pendant l'entrevue parce que, selon lui, elle ne voulait pas en parler.
[86] E. M. a été interviewé par le caporal Fee à partir de 11 h 15, et ce, pendant un peu moins d'une heure. Il a déclaré qu'il dormait lorsque C. C. a conduit le Ford Escape sur la propriété des Stanley. Il a dit qu'il était assis sur le siège arrière et que M. Boushie était assis sur le siège du passager avant. Il a vu une femme qui conduisait une tondeuse à gazon. C. C. a heurté un autre véhicule sur la propriété. Deux hommes sont sortis de nulle part et ont fracassé le pare‑brise du Ford Escape à l'aide d'un marteau. Les deux hommes portaient une arme, alors lui et C. C. se sont enfuis.
[87] E. M. a déclaré avoir entendu de deux à quatre coups de feu et précisé qu'il était sûr que lui et C. C. étaient la cible des coups de feu. Il a continué à marcher jusqu'à ce qu'une unité canine de la police le retrouve et lui demande où était l'arme, ce qui, croyait‑il maintenant, signifiait que la police pensait qu'il avait tué M. Boushie. Il a nié avoir appelé qui que ce soit ou envoyé des messages textes après avoir quitté la propriété des Stanley ou encore avoir bu beaucoup plus tôt durant la journée. Il a mentionné vouloir communiquer avec les Services aux victimes, et le caporal Fee lui a dit qu'ils s'occuperaient de cela plus tard.
[88] C. C. s'est présenté au détachement de Battleford de son propre chef, tout juste après 17 h, le jour même de l'entrevue des trois autres occupants du Ford Escape. Son entrevue a été réalisée par le gendarme Teniuk et a commencé à 17 h 45. Le gendarme Teniuk a remercié C. C. de s'être présenté et de contribuer à l'enquête, parce que la police ne s'attendait pas à ce qu'il le fasse. C. C. a dit qu'il voulait expliquer ce qui s'était passé parce que son avocat lui avait conseillé de le faire et parce que son ami avait été tué.
[89] Comme cela avait été fait pour les autres témoins qui étaient avec M. Boushie dans le Ford Escape, le gendarme Teniuk a dit à C. C. que son principal intérêt dans le cadre de l'entrevue était d'obtenir des renseignements sur les circonstances du décès de M. Boushie, et non sur de possibles activités criminelles auxquelles ils s'étaient peut‑être adonnés. Il a dit à C. C. que l'entrevue n'était pas une [traduction] « déclaration après mise en garde », comme ce serait le cas si la police était en mesure de l'accuser d'un crime. Il n'a pas informé C. C. de ses droits garantis par la Charte et ne lui a pas non plus offert la possibilité de consulter un avocat. Il a cependant dit à C. C. que le détachement de la GRC de Biggar allait peut‑être vouloir lui parler plus tard relativement à de possibles accusations.
[90] C. C. a mentionné qu'il était au volant du Ford Escape lorsqu'ils sont entrés sur la propriété des Stanley et qu'ils avaient l'intention de demander de l'aide en raison d'un problème de pneu. Il ne connaissait pas les lieux ni les propriétaires. Selon lui, E. M. a quitté le véhicule et a essayé de faire démarrer un quad stationné dans la cour. Témoins de la scène, deux hommes qui se trouvaient sur la propriété ont crié et ont commencé à les pourchasser. C. C. et E. M. sont retournés au Ford Escape et ont essayé de s'enfuir, mais, en raison du pneu abîmé, le véhicule est parti dans une direction inattendue, et ils ont heurté un autre véhicule.
[91] Un des hommes a fracassé le pare‑brise du Ford Escape avec une hache. C. C. dit qu'il a vu un homme s'approcher du véhicule en chargeant une vieille arme. Craintifs, lui et E. M. ont fui vers la route. Il a entendu deux coups de feu, qu'il croyait être des coups de semonce tirés en l'air, car il n'avait pas l'impression d'avoir été pris pour cible. Il a dit qu'il était préoccupé par le sort des compagnons qu'il laissait derrière et qu'il pensait que, le pire qui les attendait, c'était de passer une nuit en prison.
[92] C. C. s'est rendu dans une ferme avoisinante et a demandé à A. D., le propriétaire de la ferme, de le reconduire. A. D. l'a ramené dans la réserve de la Première Nation de Red Pheasant. Une fois sur place, C. C. est allé chez son grand‑père et a raconté à sa mère ce qui s'était passé. Il n'était pas encore au courant du décès de M. Boushie. Il a dit à la police avoir essayé en vain de retourner à la ferme des Stanley, mais avoir plutôt décidé de [traduction] « dormir le temps que ça passe ». À son réveil, on lui a dit que M. Boushie était mort et que, au début, les gens avaient pensé qu'il était responsable du décès, jusqu'à ce qu'ils apprennent que M. Boushie avait été abattu par un agriculteur.
[93] Tout comme E. M., C. C. a fui les lieux avant que M. Boushie soit atteint par balle. Il a dit ne pas se souvenir des visages des deux hommes qu'il a vus sur la propriété des Stanley. Cependant, le gendarme Teniuk a pu se faire une idée générale de l'âge des deux hommes et obtenir une description approximative de ces derniers grâce aux renseignements fournis par C. C.
[94] Le gendarme Teniuk a longuement interrogé C. C. au sujet de l'arme à feu trouvée près du corps de M. Boushie. Il a dit à C. C. qu'il devait être très clair, parce que cette question pouvait être [traduction] « déterminante dans le dossier ». Au début, C. C. a refusé de répondre, invoquant les conseils de son avocat, mais, il a ensuite dit qu'E. M. transportait un fusil de calibre .22 qui ressemblait à un morceau de ferraille et qu'il avait l'intention d'aller chasser, même s'ils n'avaient pas chassé ce jour‑là parce qu'ils buvaient.
[95] Le fusil d'E. M. est resté dans le coffre jusqu'à ce que, plus tôt ce jour‑là, E. M. l'emporte avec lui sur la route lorsqu'ils se sont arrêtés près d'une ferme (la ferme de M. F. et de G. F.). C. C. a eu l'impression que, à cet endroit, E. M. avait jeté un morceau de bois qui aurait pu être la crosse d'une arme à feu. Il a dit que, avant qu'il ne sorte du véhicule sur la propriété des Stanley, la partie métallique de l'arme se trouvait aux pieds d'E. M. et que ce dernier ne portait pas l'arme lorsqu'il a fui du véhicule. C. C. a déclaré que l'arme n'a jamais été utilisée ni pointée sur qui que ce soit sur la propriété des Stanley. Il ne connaissait pas la raison pour laquelle l'arme s'était retrouvée sur le sol près du corps de M. Boushie.
[96] C. C. a dit au gendarme Teniuk qu'il craignait que le fait qu'un des occupants du véhicule était en possession d'une arme à feu pousse les personnes sur la propriété à accuser à tort l'un d'eux d'être responsable du décès de M. Boushie.
[97] Le gendarme Teniuk a remercié C. C. des renseignements qu'il lui a fournis et lui a dit que l'information serait très utile à la police. C. C. a dit que K. W. était probablement encore en état de choc et que la police devrait lui donner quelques jours avant qu'elle puisse fournir une meilleure déclaration.
[98] De façon générale, les enquêteurs avaient l'impression que L. S. et S. S. leur avaient fourni beaucoup plus de renseignements à l'appui du dossier contre M. Stanley que les trois témoins détenus. Ils croyaient que les trois témoins en détention cachaient des renseignements. Par exemple, selon le gendarme Ryan Boogaard, E. M. ne divulguait pas 90 % de ce qu'il savait. Le gendarme Teniuk a déclaré que cette impression selon laquelle on leur cachait des renseignements les a poussés à exercer plus de pressions sur les témoins qu'à l'habitude.
[99] De plus, ce sentiment que les trois n'avaient pas été francs avec la police était accentué par le contraste avec la coopération de C. C. et la grande quantité de renseignements qu'il avait fournis. De plus, les enquêteurs ont déclaré que les versions des événements fournies par L. S. et S. S. semblaient plus correspondre l'une avec l'autre et avec les faits observables. Les incohérences dans les déclarations des trois témoins détenus incluaient l'endroit où M. Boushie était assis dans la voiture au moment où les coups de feu ont été tirés, le côté du véhicule où le corps de ce dernier a été placé après la fusillade, les conditions météorologiques à ce moment‑là, l'identité du tireur présumé (un homme avec des lunettes de soleil ou une femme avec une arme d'épaule), le nombre de personnes présentes sur la propriété des Stanley et la sobriété des personnes dans le Ford Escape.
[100] Contrairement aux trois autres témoins qui avaient été des occupants du Ford Escape, C. C. n'avait pas été détenu et avait eu l'occasion de dégriser, de se reposer et de manger. Vu la grande quantité d'alcool que certains des témoins ont plus tard avoué avoir consommé sur une longue période, il est probable que, le matin du 10 août, les personnes interrogées souffraient, au minimum, des répercussions de leur consommation de la veille. K. W. a dit au caporal Fee qu'elle buvait de l'alcool fort depuis plusieurs jours et qu'elle se sentait malade pendant l'entrevue.
[101] Le caporal Fee et le gendarme Teniuk n'ont pas, de façon significative, posé aux personnes interrogées des questions sur leur traitement depuis leur arrestation, y compris s'ils avaient mangé et s'ils s'étaient vraiment reposés. Il était important de sonder l'état d'esprit des témoins à cet égard et de le préciser dans le dossier, car cela était susceptible de faciliter une contestation de leurs perceptions des événements dans le cadre de procédures ultérieuresNote de bas de page 27.
[102] Les longues explications fournies aux trois témoins au sujet du risque qu'ils couraient et du type de renseignements que la police voulait obtenir de leur part étaient à la fois déroutantes et contradictoires. On leur a demandé de fournir un compte rendu complet de ce qui s'est passé, à l'exclusion des actes qui pourraient mener à des accusations contre eux et dont les enquêteurs ne pourraient pas faire fi si elles étaient mentionnées. Cependant, le caporal Fee et le gendarme Teniuk ont établi une différence entre leur rôle et celui des membres de la GRC qui enquêteraient sur les allégations d'infractions contre les biens et de voies de fait.
[103] On n'a pas demandé aux trois témoins de confirmer à l'enquêteur leur compréhension de leurs droits ou des modalités de l'entrevue. Dans de nombreux cas, lorsqu'on demandait à la personne interrogée de confirmer sa compréhension, elle le faisait par un simple hochement de tête, puis l'entrevue se poursuivait. Par exemple, B. J. et E. M. ont tous deux semblé confus durant leur entrevue respective lorsqu'ils ont demandé à plusieurs reprises quand ils devaient comparaître devant la cour. Ils ont tous deux été surpris d'apprendre qu'ils n'auraient pas à se présenter en cour ce jour‑là.
[104] Les enquêteurs étaient frustrés par ce qu'ils estimaient être un manque de coopération de la part des trois témoins. Cependant, ils ont fait peu d'efforts pour établir un lien de confiance. Vu la méfiance historique des collectivités autochtones à l'égard de la police, le traumatisme, l'état de choc et le chaos liés aux événements de la veille, le manque de sommeil, le séjour en cellule et le fait que les personnes interrogées avaient possiblement une importante gueule de bois, les enquêteurs n'ont pas favorisé de façon raisonnable un état d'esprit propice à la collaboration des témoins. B. J. a déclaré ce qui suit au gendarme Boogaard durant une deuxième entrevue subséquente avec la GRC :
[Traduction]
Quand j'ai été arrêtée… Ils m'ont dit que j'étais accusée de vol… Ils m'ont passé les menottes et m'ont jetée dans le véhicule, et nous avons ensuite pris part à une poursuite à grande vitesse.[J'avais été] détenue pendant 19 heures, et ils s'attendaient à ce que je… dorme, mais je n'allais pas… dormir alors que j'étais encore couverte de sang et que… Vous savez, je… j'essaie encore de comprendre pourquoi je suis ici. Vous comprenez? Pourquoi me traite‑t‑on comme une criminelle? Et pour cette raison… Le gardien là‑bas aussi… J'ai été mal traitée tout le temps… tout au long de l'affaire. Vous savez, je… je suis désolée… Je suis repartie avec tellement… de colère et de douleur… en Saskatchewan.
[105] Selon la politique de la GRC, les intervieweurs doivent veiller à ce que la personne interrogée comprenne parfaitement le risque qu'elle coure, et ce, peu importe qu'elle soit détenue ou nonNote de bas de page 28. La politique prévoit également qu'une personne peut avoir besoin d'une explication plus complète de ses droits lorsqu'elle est victime d'un traumatisme ou est sous l'effet de l'alcoolNote de bas de page 29. Ces aspects des entrevues allaient à l'encontre de la politique de la GRC, dans la mesure où K. W., B. J. et E. M. n'ont pas reçu d'explications claires sur le risque qu'ils couraient dans les circonstances. En outre, les enquêteurs n'en ont pas fait assez pour s'assurer que les témoins comprenaient ce qu'on leur disait. Il n'est pas évident que les trois témoins affichaient un état d'esprit « conscient et libre » comme le prévoit la politique de la GRC. Ils ne savaient pas que ce qu'ils disaient pouvait être utilisé contre euxNote de bas de page 30.
[106] Pour les motifs qui précèdent, la Commission conclut que, dans les circonstances, la façon dont le caporal Fee et le gendarme Teniuk ont mené les entrevues de K. W., de B. J. et d'E. M. était déraisonnable. La Commission recommande que le caporal Fee et le gendarme Teniuk reçoivent des directives opérationnelles concernant la politique de la GRC sur les entrevues des témoins.
[107] En revanche, pour ce qui est de l'entrevue du gendarme Teniuk avec C. C., il est évident que C. C. était un témoin motivé et lucide. Il avait parlé à un avocat, qui lui avait conseillé de coopérer avec la police. Plus important encore, il n'était pas détenu à l'époque. Par conséquent, la Commission estime que l'entrevue du gendarme Teniuk était à la fois raisonnable et conforme à la politique de la GRC.
Conclusions
- 8) Dans les circonstances, la façon dont le caporal Fee et le gendarme Teniuk ont mené les entrevues de K. W., de B. J. et d'E. M. était déraisonnable.
- 9) Dans les circonstances, la façon dont le gendarme Teniuk a mené l'entrevue de C. C. était raisonnable.
Recommandation
- 1) Que le caporal Fee et le gendarme Teniuk reçoivent des directives opérationnelles concernant la politique de la GRC sur les entrevues des témoins.
Dépôt d'accusations et détention en cellule
[108] Après leurs entrevues, K. W., B. J. et E. M. sont retournés dans leurs cellules. Les notes et les rapports des enquêteurs montrent que l'équipe d'enquête a discuté de la possibilité de les traiter comme des témoins. Cependant, l'approche adoptée en ce qui concerne les accusations et les risques n'est pas aussi claire, comme on le voit clairement dans les préambules formulés aux témoins avant d'obtenir leurs déclarations. Le gendarme Boogaard a seulement consulté l'avocat de la Couronne au sujet des accusations le 10 août, à 13 h 39, soit après les déclarations.
[109] À 15 h 2, le gendarme Boogaard a dit au gendarme Teniuk qu'ils ne pouvaient plus détenir les trois témoins et qu'il fallait les libérer. Il a ensuite consigné ce qui suit dans ses notes concernant la libération d'E. M., de B. J. et de K. W. :
[Traduction]
J'ai parlé au [sergent Olberg], et il a été question du fait que l'enquête sur les infractions commises à la propriété des Stanley se poursuivait, c'est‑à‑dire l'entrevue en cours de Gerald avec un suspect, alors la décision sur la libération est renversée, et [B. J.], [E. M.] et [K. W.] seront détenus aussi longtemps que l'enquête l'exige, mais pas plus de 24 heures — Réévaluer les éléments de preuveNote de bas de page 31.
[110] Selon les notes du gendarme Boogaard, lui et le sergent Olberg ont également discuté du fait que L. S. et S. S. avaient accusé B. J. et K. W. de voies de fait contre L. S. Le gendarme Boogaard et le sergent Olberg estimaient que B. J. et K. W. pouvaient être accusées relativement à cette affaire.
[111] Questionné au sujet des accusations de voies de fait portées contre B. J. à la suite de sa déclaration, le gendarme Teniuk a déclaré ce qui suit : [traduction] « Il y avait de la confusion quant à l'orientation qu'il fallait prendre. Vous savez, ils courent tous un risque, non? » La réponse du gendarme Teniuk aux questions des enquêteurs de la Commission au sujet de la déclaration qu'il a prise de B. J. le 10 août 2016 illustre bien la confusion qui régnait au sein de l'équipe d'enquête :
[Traduction]
GEND. C. TENIUK : Je comprends les inquiétudes quant au fait que [B. J.] soit accusée en raison de certaines des choses dont ils venaient d'être témoins et qu'ils venaient de vivre. Par ailleurs, je ne voulais pas non plus une déclaration de témoin sur ce qui s'est passé sur la propriété. Pour moi, à l'époque, c'était plus important —CCETP : Mmh.
GEND. C. TENIUK : — que d'éclaircir la question des accusations et de déterminer ce qu'il en ressortait exactement. Franchement, à ce moment‑là, je ne savais pas vraiment ce qu'ils prévoyaient faire avec elle.
[112] L'entrevue du sergent Olberg avec les enquêteurs de la Commission permet de mieux comprendre les enjeux liés à la détention et à la mise en liberté :
[Traduction]
CCETP : D'accord. Donc, pour ce qui est de la détention de [E. M., B. J. et K. W.] dans des cellules, est‑ce une pratique habituelle en cas d'arrestation pour vol? Pourquoi a‑t‑on décidé de les maintenir en détention?SERG. B. OLBERG : Eh bien, ils étaient en état d'ébriété avancé. D'abord et avant tout, c'est la raison de leur détention. Vous savez, s'ils avaient été sobres, ils… Les choses se seraient probablement passées un peu différemment. Il est probable que, s'il y avait des motifs d'arrestation pour vol — comme dans ce cas‑ci —, ils auraient été arrêtés de toute façon, mais nous aurions pu procéder directement à l'entrevue et déterminer, une fois l'enquête terminée, si nous voulions ou non déposer des accusations de vol.
[…]
CCETP : D'accord. Donc, les entrevues des Stanley [L. S. et S. S.] ont eu lieu le soir précédent, et, lorsqu'on a établi que les témoins étaient en mesure d'être interrogés, les entrevues ont eu lieu en conséquence. Cependant, il semble qu'on ait décidé de ne pas les libérer avant un certain temps. Pouvez‑vous nous en parler et nous parler des discussions et de ce qui a été décidé relativement à leur libération?
SERG. B. OLBERG : Eh bien, il y a beaucoup de questions en jeu. Tout d'abord, nous avons 24 heures pour porter des accusations ou procéder à leur libération. Vu le manque de clarté de leurs propos, et, si je puis dire… Je ne veux pas parler d'un manque de coopération, parce que, quand on examine la déclaration, on… Je pense surtout à [B. J.]. Vous savez, elle semble très sincère lorsqu'elle affirme ne se souvenir de rien, non? Alors on prend tout ça au pied de la lettre, mais quand on réunit tout ça et qu'on y réfléchit, il fallait tout de même déterminer s'ils risquaient de faire l'objet d'une accusation de vol et établir qui devrait être accusé. Par conséquent, selon moi, leur détention pendant 24 heures constituait une approche prudente.
CCETP : Mmh.
SERG. B. OLBERG : Et aussi une approche légitime. Vous savez, j'ai entendu [B. J.]… J'ai entendu dire : « Je n'ai pas parlé… Je n'ai pas dit à la police ce que je savais parce que je ne me sentais pas à l'aise de leur parler ou parce qu'ils m'ont détenue pendant 36 heures ». Elle n'a pas été détenue pendant 36 heures. Encore une fois, il faut s'en tenir aux faits. Le fait est qu'ils ont été détenus conformément au délai prescrit par la loi. Ils pouvaient être arrêtés. Ils étaient assurément… S'ils n'étaient pas complices du crime contre les biens, ils étaient très probablement impliqués d'une façon ou d'une autre. Ou encore, ils avaient peut‑être des renseignements à ce sujet. Il fallait les interroger de façon minutieuse avant de les libérer.
[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise.]
[113] E. M. a été libéré sans condition à 16 h 55, tandis que B. J. et K. W. ont été libérées à 17 h 4 et 17 h 20 respectivement, sur promesse de comparaîtreNote de bas de page 32 pour des accusations de voies de fait sur L. S.
[114] Le Code criminel contient des dispositions précises concernant la libération d'une personne après son arrestationNote de bas de page 33 :
497 (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), lorsqu'un agent de la paix arrête une personne […], il doit dès que cela est matériellement possible :
- a) soit la mettre en liberté dans l'intention de l'obliger à comparaître par voie de sommation;
- b) soit lui délivrer une citation à comparaître et la mettre aussitôt en liberté.
Exception
(1.1) L'agent de la paix ne doit pas mettre la personne en liberté en application du paragraphe (1) s'il a des motifs raisonnables de croire :
a) qu'il est nécessaire, dans l'intérêt public, de détenir la personne sous garde ou de régler la question de sa mise en liberté en vertu d'une autre disposition de la présente partie, eu égard aux circonstances, y compris la nécessité :
- (i) d'identifier la personne,
- (ii) de recueillir ou conserver une preuve de l'infraction ou une preuve y est relative,
- (iii) d'empêcher que l'infraction se poursuive ou se répète, ou qu'une autre infraction soit commise;
- (iv) d'assurer la sécurité des victimes ou des témoins de l'infraction;
b) Que, s'il met la personne en liberté, celle‑ci omettra d'être présente au tribunal pour être traitée selon la loi.
[Non souligné dans l'original.]
[115] La décision de détenir E. M., B. J. et K. W. en cellule pendant la nuit peut être raisonnablement justifiée pour des raisons d'intérêt public et de sécurité en vertu de l'alinéa 497(1.1)a) du Code criminelNote de bas de page 34. La police enquêtait sur un homicide, dont les détails n'ont commencé à émerger que pendant les entrevues de L. S. et de S. S., qui ont été menées tard dans la nuit du 9 août et jusqu'au petit matin, le 10 août. Des allégations de voies de fait contre B. J. et K. W. et des allégations de vol contre les trois avaient été formulées. Enfin, il y avait la présence encore inconnue d'une arme à feu introduite sur la propriété des Stanley.
[116] Cependant, de toute évidence, les motifs invoqués pour justifier la poursuite de leur détention après leurs entrevues le lendemain matin sont fondés sur leur implication relativement aux allégations de crime contre les biens et de voies de fait. Même si E. M., B. J. et K. W. ont été détenus pendant moins de 24 heuresNote de bas de page 35, le sergent Olberg n'a rien dit à l'appui des motifs légitimes de détention énumérés au paragraphe 497(1.1) du Code criminel. Par conséquent, il avait l'obligation légale de libérer E. M., B. J. et K. W. dès que cela était matériellement possible.
[117] Les avocats de la Couronne et les organismes d'enquête comme la GRC jouent des rôles complémentaires dans le processus pénal. Ils ont tous un rôle à jouer avant et après le dépôt d'accusations. Les agents de police ont la responsabilité et le pouvoir discrétionnaire d'enquêter en cas d'infraction criminelle et de porter des accusations criminelles, sauf lorsque la loi exige le consentement du procureur général. Même si la police et le procureur général — par l'intermédiaire des avocats de la Couronne — exercent leur pouvoir discrétionnaire de façon indépendante et objective, leur relation est fondée sur la coopération et la confiance mutuelle. La coopération et la consultation efficace entre la police et les avocats de la Couronne sont essentielles à la bonne administration de la justice, car les enquêteurs doivent recueillir des éléments de preuve admissibles qui se rapportent à l'accusation.
[118] Dans la présente affaire, la participation de la Couronne n'était pas requise en droit avant le dépôt des accusations. Toutefois, vu les répercussions juridiques, le lien avec l'homicide et la confusion entre les enquêteurs, il aurait peut‑être été souhaitable de demander conseil à l'avocat de la Couronne avant d'obtenir les déclarations d'E. M., de B. J. et de K. W. Il aurait alors été possible de s'assurer qu'il y avait une compréhension claire et un consensus au sujet des intentions à l'égard de ces témoins.
[119] La Commission est d'avis que, même si E. M., B. J. et K. W. étaient considérés comme des témoins, ils n'ont pas été traités comme tels. Ils ont été renvoyés en cellule après leur entrevue, et B. J. et K. W. ont été accusées de voies de fait le même jour, et ce, même si les enquêteurs leur avaient dit quelques heures auparavant qu'ils ne s'intéressaient pas aux allégations de crime contre les biens ou de voies de fait et que des membres du détachement de la GRC de Biggar se pencheraient sur cette question à une date ultérieure.
[120] Un examen de la politique pertinente de la GRC révèle qu'elle ne donne pas de directives aux membres de la GRC sur la façon dont ils doivent gérer des situations comme celle qui s'est produite dans le présent dossier. Lorsque, dans le cadre d'une affaire criminelle, on interroge un témoin qui est lui‑même détenu relativement à une affaire criminelle distincte, le risque qu'il court n'est pas clair. La Commission recommande une révision de la politique de la GRC afin de tenir compte du traitement des témoins en détention interrogés dans le cadre d'enquêtes criminelles où ils ne sont pas suspects.
[121] La Commission soutient que, dans la présente affaire, il aurait été préférable de libérer E. M., B. J. et K. W. le matin, une fois que la GRC avait obtenu des déclarations de L. S. et S. S. et qu'elle avait une meilleure idée de ce qui s'est passé sur la propriété des Stanley. À ce moment‑là, la police aurait pu porter des accusations contre les trois personnes ou attendre la tenue d'une enquête distincte avant de le faire. Quoi qu'il en soit, le statut des trois personnes aurait été précisé, et la police aurait pu leur demander de fournir des déclarations de témoins dans le cadre de l'enquête sur l'homicide. De telles déclarations n'auraient pas été utilisées contre eux en cas d'accusations, et, en tant que témoins, ils auraient été moins enclins à modifier les renseignements qu'ils ont fournis à la police. De plus, même s'ils souffraient toujours des séquelles de leur consommation excessive d'alcool, ils auraient été en meilleur état que la veille. Comme solution de rechange, la police aurait pu attendre un délai raisonnable avant d'obtenir des déclarations officielles de témoins.
[122] La Commission conclut que le maintien en détention d'E. M., de B. J. et de K. W. à la suite de leurs déclarations à la GRC le 10 août 2016 était déraisonnable et non justifié selon le paragraphe 497(1.1) du Code criminel.
Conclusion
- 10) Le maintien en détention d'E. M., de B. J. et de K. W. à la suite de leurs déclarations à la GRC le 10 août 2016 était déraisonnable et non justifié selon le paragraphe 497(1.1) du Code criminel.
Recommandations
- 2) Qu'on demande au sergent Olberg de passer en revue les motifs de détention énumérés au paragraphe 497(1.1) du Code criminel.
- 3) Que la GRC révise sa politique MO 24.1. (Interrogatoires et déclarations : Suspects, accusés et témoins) pour tenir compte du traitement des témoins en détention interrogés dans le cadre d'enquêtes criminelles où ils ne sont pas suspects.
Nouvelles entrevues
[123] Dans son rapport d'incident supplémentaire du 13 août, le sergent Olberg a mentionné que [traduction] « les quatre personnes doivent faire l'objet d'une nouvelle entrevue, et il faut commencer par les femmes, car elles n'ont pas été impliquées dans l'infraction contre les biens, si ce n'est qu'elles étaient présentes. On pourrait procéder sans préavis, mais, pour ce qui est de [E. M.] et de [C. C.], il faut les prévenir ».
[124] Le 16 août, le sergent d'état‑major Dale Rockel et le gendarme Boogaard ont assisté à une réunion au bureau du procureur régional de la Couronne à North Battleford. Durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission, le sergent d'état‑major Rockel a expliqué que la réunion visait à discuter des circonstances de la procédure intentée contre M. Stanley et des accusations portées contre certains occupants du véhicule. Au bout du compte, aucune accusation d'infraction contre les biens n'a été portée contre les occupants du véhicule, et les accusations de voies de fait portées contre B. J. et K. W. ont été retiréesNote de bas de page 36.
[125] En ce qui concerne le rôle des quatre occupants du véhicule en tant que témoins dans la procédure intentée contre M. Stanley, l'avocat de la Couronne a laissé entendre qu'il n'était pas nécessaire d'interroger à nouveau les témoins parce qu'ils auraient l'occasion de fournir leur version des faits et des renseignements supplémentaires durant l'enquête préliminaire.
[126] La seule exception était E. M. Il n'était pas clair pour l'avocat de la Couronne que, durant l'entrevue du 10 août, E. M. avait compris qu'il était interrogé comme témoin, et non comme suspect. Peu de temps après, les enquêteurs ont appris qu'E. M. avait parlé de l'incident dans les médias et que son récit public des événements était très différent de ce qu'il avait dit à la police. Comme E. M. serait sous serment au moment de témoigner à l'enquête préliminaire, il a été décidé que, dans le cadre de l'enquête, une déclaration non solennelle formulée durant une nouvelle entrevue ne serait pas bénéfique.
[127] Alors qu'il prenait des arrangements pour assurer la présence de B. J. dans le cadre de l'audience préliminaire prévue le 2 avril 2017, le gendarme Boogaard a communiqué avec cette dernière pour lui demander si elle voulait ajouter, modifier ou supprimer quoi que ce soit dans sa déclaration initiale à la police. B. J. a répondu que sa deuxième déclaration était différente de sa première. Perplexe, le gendarme Boogaard lui a demandé ce qu'elle entendait par sa [traduction] « deuxième déclaration », et B. J. l'a informé qu'elle et E. M. avaient fourni des déclarations enregistrées à la FNAS des semaines après l'incident. Elle a affirmé être étonnée que les déclarations en question n'aient pas été communiquées à la GRC.
[128] Le gendarme Boogaard s'est entretenu avec le sergent Olberg et a décidé qu'il fallait mener une entrevue auprès de B. J. pour obtenir des précisions sur les différences entre sa première entrevue avec la GRC et sa deuxième entrevue avec la FNAS. En guise de préparation, le gendarme Boogaard a envoyé par courriel à B. J. une transcription de son entrevue avec la GRC.
[129] Le 27 février 2017, les gendarmes Boogaard et Bill Groenen ont rencontré B. J. à St. Paul (Alberta), au détachement de la GRC près de l'endroit où B. J. habitait. Ils ont confirmé qu'elle n'était pas une suspecte active dans une enquête de la GRC et qu'elle n'avait pas besoin d'être accompagnée d'un avocat. Les membres de la GRC n'avaient pas encore vu les enregistrements ou lu les transcriptions de la FNAS. Le gendarme Boogaard a compris que B. J. n'avait pas vu non plus la transcription de son entrevue avec la FNAS. B. J. a dit au gendarme Boogaard qu'elle n'avait lu que la page 8 de la transcription de la GRC. Durant l'entrevue en question, B. J. s'est appuyée exclusivement sur son souvenir des différences entre les deux entrevues, qui remontaient toutes les deux à plus de cinq mois auparavant.
[130] Très peu de renseignements supplémentaires ont été obtenus auprès de B. J. Cette dernière s'est souvenue de plus de choses qui s'étaient passées précédemment le jour en question, le 9 août 2016, et s'est rappelé qu'elle avait vu une femme sur un tracteur à son arrivée sur la ferme des Stanley et que M. Stanley avait une arme de poing. Elle a aussi dit que M. Stanley avait dit à son fils d'aller chercher une arme à feu.
[131] B. J. a expliqué que les différences entre ses souvenirs des événements découlaient du fait que, au moment de la première entrevue de la GRC, elle était en état de choc et avait la gueule de bois. Elle a également dit qu'elle avait de la difficulté à faire confiance à la police en raison de son expérience en Saskatchewan, ce qui est expliqué dans la description de la première entrevue de la GRC de B. J., ci‑dessus.
[132] La Commission conclut que le gendarme Boogaard a procédé à une nouvelle entrevue raisonnable auprès de B. J., et ce, conformément à la politique de la GRC, dans la mesure où il a veillé à ce que B. J., en tant que témoin, comprenne le risque qu'elle courait.
[133] Le caporal Doug Nordick a préparé une demande d'ordonnance de la cour afin d'obtenir les transcriptions des entrevues de la FNAS, en invoquant la deuxième entrevue de B. J. avec la GRC en guise de matériel à l'appui. L'ordonnance a été accordée le 22 mars 2017. Le lendemain, la FNAS a fourni à la GRC la transcription en question et d'autres documents.
[134] Même si, en raison de ses autres interactions avec E. M., le caporal Fee avait l'impression que ce dernier voulait parler de nouveau avec la police, E. M. a insisté pour que son avocat soit présent, ce qui n'était pas acceptable pour le caporal Fee et l'avocat de la Couronne, raison pour laquelle ils ont décidé de ne pas procéder à une nouvelle entrevue avec lui au sujet de sa déclaration à la FNAS. Une nouvelle entrevue prévue auprès de K. W. n'a pas eu lieu pour la même raison.
Conclusions
- 11) Dans les circonstances, la décision de procéder à une nouvelle entrevue auprès de B. J. était raisonnable.
- 12) Dans les circonstances, la façon dont le gendarme Boogaard a procédé à une nouvelle entrevue auprès de B. J. était raisonnable.
S. S. et L. S.
[135] Vers 18 h 40, le 9 août, la police a ordonné aux membres de la famille Stanley de sortir de leur résidence un par un, les mains en l'air. La première personne à quitter la résidence était une femme, suivie de deux hommes, plus tard identifiés comme étant L. S., S. S. et M. Stanley. L. S. et S. S. ont été arrêtés et détenus pour des raisons de sécurité. Ils ont été menottés et placés dans des véhicules de police distincts. M. Stanley a également été arrêté. L. S. et S. S. ont été remis en liberté vers 19 h 25.
[136] En examinant la documentation, la Commission a constaté que L. S. et S. S. ont été autorisés à se rendre de leur propre chef au détachement de Biggar pour fournir volontairement des déclarations en tant que témoins. Ils s'y sont rendus ensemble dans leur véhicule personnel. À leur arrivée au détachement, ils ont attendu ensemble dans le hall jusqu'à l'arrivée des enquêteurs du GCG.
[137] Selon les entrées dans son carnet de notes, à 19 h 25 le 9 août, le sergent Sawrenko a demandé des directives au GCG au sujet du transport de L. S. et de S. S. Il a indiqué avoir informé le gendarme Boogaard que L. S. et S. S. coopéraient et qu'ils avaient le droit de se rendre de leur propre chef au détachement de Biggar.
[138] Les enquêteurs de la Commission ont demandé au sergent Sawrenko si la question de l'isolement avait été soulevée pendant sa conversation avec le gendarme Boogaard, et il a répondu qu'il ne se souvenait pas d'en avoir parlé, ajoutant que, puisqu'on lui avait dit que L. S. et S. S. pouvaient se rendre de leur plein gré au détachement de la GRC de Biggar, il n'y aurait eu aucune raison de soulever une telle question.
[139] La Commission a examiné les notes du gendarme Boogaard, et rien n'indique que ce dernier a discuté avec le sergent Sawrenko du transport de S. S. et de L. S. au détachement de Biggar. Lorsque les enquêteurs de la Commission ont demandé au gendarme Boogaard s'il avait donné des directives sur la façon dont S. S. et L. S. devaient se rendre au détachement, il a répondu : [traduction] « Non. Je croyais que cela avait été fait avant que je sois nommé enquêteur principal ». Il a ajouté que l'information concernant l'arrestation et la mise en liberté de L. S. et de S. S. et leur transport à Biggar avait été obtenue au cours d'une séance d'information d'équipe qui avait eu lieu vers 20 h le soir du 9 aoûtNote de bas de page 37.
[140] L'extrait suivant de l'entrevue du sergent Olberg avec les enquêteurs de la Commission montre la nécessité pour le triangle de commandementNote de bas de page 38 de fournir des directives appropriées aux autres membres de la GRC chargés de mener des activités importantes.
[Traduction]
CCETP : D'accord. Donc, lorsque vous avez des témoins comme ceux‑ci, dans une certaine mesure, vous n'êtes pas nécessairement au courant de leur pleine participation…
SERG. B. OLBERG : Mmh.
CCETP : …mais ils ne sont pas en état d'arrestation. Donneriez‑vous des instructions, par exemple, quant au fait qu'ils ne doivent pas parler de l'incident ou quelque chose du genre? Comme ce qui…
SERG. B. OLBERG : Eh bien, je l'espère, non? Vous savez, je ne peux qu'espérer que cela a été fait sur place. C'est plutôt logique qu'ils ne doivent pas… Ce sont des témoins, nous allons nous fier à chacun de leurs témoignages séparément. Nous ne devrions pas leur permettre de voyager ensemble ni de discuter de l'incident avant leur entrevue.
[141] L'observation suivante figure dans le rapport du sergent Olberg :
[Traduction]
21 h 50. J'arrive au détachement de Biggar avec le gendarme GULLACHER et j'observe un homme et une femme adultes dans le hall d'entrée (qui ont plus tard été identifiés comme étant [S. S.] et [L. S.]).
[142] La Commission n'a vu aucun autre renseignement dans les documents concernant ce qui s'est passé avec les deux témoins en question entre 21 h 50 et 22 h 45, heure du début de l'entrevue de S. S.
[143] L'isolement des témoins les uns des autres est essentiel, surtout dans le cas des témoins clés d'un crime grave. Il faut prendre des précautions pour éviter de donner l'occasion à un témoin de contaminer — par inadvertance ou intentionnellement — les souvenirs de l'autre ou, dans certains cas, de permettre aux témoins de concocter une fausseté pour dissimuler une part de culpabilité. Les policiers doivent toujours être conscients de cette possibilité. Les témoins sont séparés afin de maintenir autant que possible la pureté de leurs déclarations. Les témoins doivent se fier à leur propre souvenir des événements sans l'aide ou l'influence des autres.
[144] Dans des cas comme celui‑ci, où des témoins ont pu interagir avant leur entrevue, on devrait leur demander s'ils ont discuté de l'événement avec quelqu'un d'autre ou s'ils ont eu connaissance de la version des événements de quelqu'un d'autre. Il faut à la fois mettre en garde les témoins et les encourager à ne pas tenir compte de la version des événements des autres et à limiter leur déclaration à ce qu'ils ont vu et entendu personnellement.
[145] Dans la présente affaire, puisque L. S. et S. S. avaient été libérés, les policiers ne pouvaient pas les obliger à se présenter dans les bureaux du détachement de police pour fournir des déclarations de témoins. La police aurait pu offrir de les transporter séparément au détachement, mais la Commission reconnaît qu'il n'y avait peut‑être pas suffisamment de ressources pour le faire. Quoi qu'il en soit, il est très clair que la séparation de L. S. et de S. S. n'a pas du tout été envisagée. On n'a pas dit à L. S. et à S. S. de ne pas parler ensemble de l'incident avant l'entrevue, et une telle question n'a pas été soulevée pendant l'entrevue avec l'enquêteur de la GRC.
[146] Les membres du triangle de commandement (le sergent Olberg et les gendarmes Boogaard et Wudrick) auraient dû envisager de donner des directives au sergent Sawrenko au sujet de la communication entre les témoins. Plus précisément, le triangle de commandement aurait dû veiller à ce qu'on dise aux témoins de ne pas parler de l'incident avant de fournir leurs déclarations à la police.
[147] De plus, il était déraisonnable pour le sergent Sawrenko d'omettre de donner des instructions à L. S. et à S. S. concernant le fait de parler de l'incident. On aurait dû dire à L. S. et à S. S. de ne pas en parler avant de donner leurs déclarations à titre de témoins.
[148] Par conséquent, il est recommandé que la GRC donne des conseils et fournisse du mentorat et/ou de la formation aux membres du triangle de commandement (le sergent Olberg et les gendarmes Boogaard et Wudrick) ainsi qu'au sergent Sawrenko au sujet de la gestion des témoins.
Conclusions
- 13) Il était déraisonnable que les membres du triangle de commandement (le sergent Olberg et les gendarmes Boogaard et Wudrick) n'envisagent pas de donner des directives selon lesquelles L. S. et S. S. ne devaient pas discuter de l'incident avant de donner leurs déclarations de témoins à la police.
- 14) Il était déraisonnable que le sergent Sawrenko omette de dire à L. S. et à S. S. de ne pas discuter de l'incident avant de présenter leurs déclarations de témoins.
Recommandation
- 4) Que la GRC donne des conseils et fournisse du mentorat et/ou de la formation aux membres du triangle de commandement (le sergent Olberg et les gendarmes Boogaard et Wudrick) ainsi qu'au sergent Sawrenko au sujet de la gestion des témoins.
A. D.
[149] Peu de temps après la prise de contrôle de la scène de crime par les membres de la GRC, un voisin des Stanley — que nous appelons à partir de maintenant A. D. — est venu leur dire qu'un jeune homme s'était présenté sur sa propriété et lui avait demandé d'aller le reconduire dans la réserve de la Première Nation de Red Pheasant. Il a expliqué qu'il l'avait reconduit là‑bas avant de revenir chez lui. Même si A. D. ne connaissait pas C. C., la description qu'il a fournie à la police correspondait à celle que lui avait donnée S. S.
[150] Les renseignements dont la Commission a été saisie révèlent que, après avoir reconduit C. C. dans la réserve, A. D. s'est rendu sur la scène de crime. Il a d'abord parlé avec le sergent Sawrenko, qui l'a aiguillé vers le caporal Olney. À la lumière de sa conversation avec A. D., le caporal Olney a pris des notes dans son carnet, y compris une description de l'homme, mais aucune déclaration n'a été prise à ce moment‑là. Le 9 août, le caporal Fee du GCG a été chargé d'obtenir une déclaration d'A. D., ce qu'il a fait le 11 août.
[151] Le caporal Olney a été chargé de la notification du plus proche parent et a dirigé les recherches pour retrouver C. C. Il a déterminé que la probabilité que C. C. se trouve à la résidence Boushie/Baptiste et soit armé et possiblement dangereux constituait une situation à risque élevé. Selon ses notes, il n'a pas posé de question à A. D. sur ce que C. C. avait peut‑être dit ou sur son comportement. En outre, il ne lui a pas demandé s'il portait quoi que ce soit, s'il semblait cacher quelque chose ou encore si C. C. était entré dans une résidence ou s'il l'avait simplement déposé à proximité. De tels renseignements auraient pu être pertinents dans le cadre de l'enquête et aussi au moment d'évaluer les risques. Idéalement, le caporal Olney aurait dû poser de telles questions et documenter les réponses, mais la Commission reconnaît que, dans le contexte d'un incident critique, d'importantes préoccupations liées à la sécurité publique guidaient les mesures de la police.
[152] Compte tenu de ce qui précède, la Commission conclut que, dans les circonstances, les gestes posés par le caporal Olney étaient raisonnables.
Conclusion
- 15) Dans les circonstances, les gestes posés par le caporal Olney à l'égard d'A. D. étaient raisonnables.
M. F. et G. F.
[153] M. F. et G. F. occupaient une propriété dans les environs de la propriété des Stanley. L'enquête sur le décès de M. Boushie a révélé que M. Boushie et ses quatre compagnons, E. M., C. C., B. J. et K. W., avaient apparemment tenté de voler et endommagé des véhicules sur la propriété de M. F. et de G. F. avant d'entrer sur la propriété des Stanley.
[154] Le gendarme Wright a été chargé d'interroger M. F. et G. F. le soir de l'incident et d'obtenir des déclarations. Ce soir‑là, il a enregistré sur piste audio une courte déclaration simultanée de M. F. et de G. F.
[155] M. F. et G. F. ont été interrogés de nouveau deux jours plus tard par les membres du GCG, le caporal Fee et le gendarme Teniuk. Ce dernier a mené l'entrevue sous la surveillance du caporal Fee. L'entrevue a été enregistrée et a de nouveau été menée simultanément. Le gendarme Teniuk a été questionné à ce sujet durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission :
[Traduction]
CCETP : Mmh. Est‑il courant d'interroger plusieurs témoins ensemble?GEND. C. TENIUK : Ça arrive. Ce n'est pas idéal, mais ça arrive. Nous essayons de séparer les gens autant que possible, mais, comme il s'agissait d'un couple âgé, que nous étions chez eux et qu'ils acceptaient, vous comprenez, de nous parler sur‑le‑champ, il était un peu difficile d'amener un des deux dans la voiture et de laisser l'autre là‑bas.
Ils voulaient le faire à la table de la cuisine, devant un café et tout ça. En outre, à ce moment‑là, il était assez difficile de les séparer, mais nous avons évidemment essayé de leur faire comprendre que nous parlions uniquement à madame, que nous voulions savoir ce qu'elle avait vu. Évidemment, comme c'est toujours le cas, les deux témoins voyaient les choses différemment. Nous voulions obtenir leur compte rendu exact sans qu'ils parlent tous les deux en même temps. Vous savez, ce n'était pas une situation idéale, mais c'est ainsi que nous avons procédé à ce moment‑là.
[156] La politique nationale de la GRC MO 24.1 (Interrogatoires et déclarations : Suspects, accusés et témoinsNote de bas de page 39) prévoit que les déclarations « doivent être mises par écrit verbatim dans le cadre d'un entretien individuel mené en personne » [non souligné dans l'original].
[157] Rien dans les documents présentés à la Commission n'indique que M. F. et G. F. ont insisté pour être interrogés ensemble ou que les membres de la GRC ont tenté à l'une ou l'autre occasion de les convaincre d'être interrogés séparément.
[158] Même si un enquêteur peut être d'avis qu'un témoin a peu de valeur probante, une telle opinion n'élimine pas l'obligation de mener l'entrevue de façon appropriée (c.‑à‑d. en l'absence de tout autre témoin). Même si, dans la présente affaire, il n'y a peut‑être pas eu d'incidence négative, une telle approche pourrait à un moment donné avoir des répercussions négatives sur un dossier. Il est assez courant que deux personnes soient témoins d'un même événement et aient des souvenirs différents. Une personne peut alors changer d'avis au sujet d'une observation ou d'un fait précis pour se conformer à ce que l'autre a dit, alors que, en fait, c'était peut‑être elle qui avait raison.
[159] À la lumière de ce qui précède, la Commission conclut que le caporal Fee et les gendarmes Wright et Teniuk auraient dû tenter de convaincre M. F. et G. F. d'être interrogés séparément. Par conséquent, la Commission recommande qu'on demande à ces membres de la GRC de passer en revue la politique nationale MO 24.1 de la GRC.
Conclusion
- 16) Le caporal Fee et les gendarmes Wright et Teniuk auraient dû tenter de convaincre M. F. et G. F. d'être interrogés séparément.
Recommandation
- 5) Qu'on demande au caporal Fee et aux gendarmes Wright et Teniuk de passer en revue la politique nationale MO 24.1. (Interrogatoires et déclarations : Suspects, accusés et témoins) de la GRC.
M. Stanley
Arrestation, transport et détention en cellule
[160] La preuve révèle que, le 9 août 2016, à 18 h 4, le sergent Olberg a reçu un appel téléphonique du gendarme Wudrick, qui l'a informé d'un possible homicide près de Biggar, en Saskatchewan. Selon le fils du suspect, plusieurs personnes étaient entrées sur une propriété, et une personne avait été tuée par balle par le propriétaire. La police a été avisée et était en route. Le fils du suspect était présent, mais il ne savait pas exactement où se trouvait le suspect.
[161] À 18 h 39, le sergent Olberg a reçu un autre appel du gendarme Wudrick, qui l'a informé de ce qui suit :
- cinq personnes sont entrées sur la propriété et ont tenté de voler un véhicule qui se trouvait dans la cour;
- le propriétaire de la maison a fait feu et a atteint un des hommes, possiblement à la tête;
- le tireur s'est montré coopératif et a demandé que la police soit appelée;
- on croit que deux hommes ont pris la fuite dans un véhicule ou à pied et qu'ils sont peut‑être armés;
- un homme et deux femmes (des occupants du véhicule) ont été retrouvés sur place;
- le commandant local, le sergent Sawrenko, est sur les lieux et tente de convaincre le tireur de se rendre.
[162] Dans ses notes, à 18 h 39, le sergent Olberg a écrit que M. Stanley [traduction] « devait être arrêté pour la plus grave infraction afin de favoriser la collecte d'éléments de preuve ».
[163] À 18 h 53, conformément aux directives du sergent Olberg, le gendarme Parmar a arrêté M. Stanley pour meurtre.
[164] L'article 229 du Code criminel est ainsi libellé :
L'homicide coupable est un meurtre dans l'un ou l'autre des cas suivants :
a) la personne qui cause la mort d'un être humain :
- (i) ou bien a l'intention de causer sa mort,
- (ii) ou bien a l'intention de lui causer des lésions corporelles qu'elle sait être de nature à causer sa mort, et qu'il lui est indifférent que la mort s'ensuive ou non;
b) une personne, ayant l'intention de causer la mort d'un être humain ou ayant l'intention de lui causer des lésions corporelles qu'elle sait de nature à causer sa mort, et ne se souciant pas que la mort en résulte ou non, par accident ou erreur cause la mort d'un autre être humain, même si elle n'a pas l'intention de causer la mort ou des lésions corporelles à cet être humain;
c) une personne, pour une fin illégale, fait quelque chose qu'elle sait de nature à causer la mort et, conséquemment, cause la mort d'un être humain, même si elle désire atteindre son but sans causer la mort ou une lésion corporelle à qui que ce soit.
[165] Vu ce qui précède, la Commission conclut que le sergent Olberg avait des motifs raisonnables de croire que M. Stanley avait commis l'infraction de meurtre et qu'il pouvait être arrêté sans mandat en vertu de l'article 495 du Code criminel. Par conséquent, dans les circonstances, son ordre d'arrêter M. Stanley pour meurtre était raisonnable.
[166] Les renseignements consignés dans le carnet de notes et le rapport de police du gendarme Parmar révèlent que ce dernier a informé M. Stanley de son droit à un avocat et qu'il lui a fourni la mise en garde policière immédiatement après son arrestation. Les réponses de M. Stanley confirmant sa compréhension ont également été consignées.
[167] Le gendarme Parmar a transporté M. Stanley au détachement de Biggar. Ils sont arrivés à 20 h 8. M. Stanley a eu l'occasion de communiquer avec un conseiller juridique. Il a parlé à un représentant de l'aide juridique à 20 h 15. L'appel a duré environ neuf minutes. Un deuxième avocat a appelé M. Stanley à 22 h 40 et a parlé à ce dernier jusqu'à 22 h 58.
[168] À la lumière de ce qui précède, la Commission est convaincue que M. Stanley a été arrêté d'une manière conforme aux alinéas 10a) et 10b) de la Charte.
[169] M. Stanley a été placé dans une cellule nue et, à 2 h 9, avec l'aide du gendarme Parmar, le caporal Ryttersgaard du SIJ de Yorkton a pris des échantillons de résidus de poudre sur les mains et le visage de M. Stanley en plus de saisir ses vêtementsNote de bas de page 40. M. Stanley a été détenu en attendant son enquête sur le cautionnement.
Conclusions
- 17) Le sergent Olberg avait des motifs raisonnables de croire que M. Stanley avait commis l'infraction de meurtre et qu'il pouvait être arrêté sans mandat en vertu de l'article 495 du Code criminel.
- 18) La directive du sergent Olberg de procéder à l'arrestation de M. Stanley pour meurtre était raisonnable.
- 19) M. Stanley a été arrêté d'une manière conforme aux alinéas 10a) et 10b) de la Charte.
Interrogatoire
[170] Parmi les membres du GCG, c'est le gendarme Aaron Gullacher qui a été choisi pour interroger M. Stanley en raison de son expérience et de ses antécédents dans les régions rurales de la Saskatchewan. L'équipe d'enquête a cherché à atténuer la peur et l'anxiété de M. Stanley et à accroître son affinité avec l'enquêteur afin de l'encourager à s'ouvrir à la police.
[171] Le gendarme Gullacher a adopté une approche non conflictuelle à l'égard de M. Stanley, conformément à la politique de la GRC et à sa formation précise sur la conduite d'interrogatoires auprès de suspectsNote de bas de page 41. Il a utilisé le « modèle progressif d'interrogation », qui met l'accent sur l'obtention de renseignements auprès du suspect sur le ton de la conversation plutôt que de s'efforcer d'obtenir une confession. On ne présente pas la culpabilité alléguée du suspect dans le but d'obtenir un aveu, et l'enquêteur utilise plutôt les propos du suspect et ce qu'il a appris d'autres sources pour brosser graduellement un portrait des faits et éliminer les possibilités qui s'offrent au suspect de nier ou d'expliquer ce qui s'est passé. Dans le cadre de ce modèle d'interrogatoire, il est essentiel de s'assurer que le suspect continue de parlerNote de bas de page 42.
[172] Comme nous l'avons déjà mentionné, M. Stanley a été arrêté à 18 h 53. Par conséquent, les enquêteurs avaient jusqu'à 18 h 53, le 10 août, avant d'être obligés de le traduire devant un jugeNote de bas de page 43. Ils voulaient que l'interrogatoire soit terminé avant ce moment‑là. Idéalement, l'interrogatoire d'un suspect n'aurait pas lieu si peu de temps après l'incident en raison du manque d'éléments de preuve obtenus pour confirmer, corroborer ou réfuter les faits, ce qui permet habituellement d'obtenir une version plus véridique des événements.
[173] En général, une meilleure préparation donne lieu à un meilleur interrogatoire. Le gendarme Gullacher n'avait que le matin du 10 août pour se préparer en vue de l'interrogatoire de M. Stanley. L'interrogatoire a commencé à 13 h 30. Le gendarme Gullacher avait déjà interrogé L. S. et S. S. tard la nuit précédente.
[174] Au moment de l'interrogatoire, la plupart des renseignements dont la police disposait provenaient des déclarations de S. S. et de L. S., qui se corroboraient mutuellement et qui, selon la police, donnaient une bonne idée de ce qui s'était passé à la ferme des Stanley. Les enquêteurs de la GRC ont mentionné qu'ils n'avaient pas obtenu beaucoup de renseignements utiles dans le cadre des entrevues menées auprès d'E. M., de B. J. et de K. W. tout juste avant l'interrogatoire de M. Stanley, et que les renseignements obtenus étaient contradictoires.
[175] Avant que M. Stanley n'entre dans la salle d'interrogatoire, le gendarme Gullacher a déclaré, aux fins du compte renduNote de bas de page 44, que M. Stanley avait été informé de ses droits au moment de son arrestation, qu'il avait parlé à un avocat à deux reprises, qu'on lui avait fourni des vêtements de rechange et qu'il avait mangé. Par la suite, il a confirmé le tout auprès de M. Stanley et confirmé aussi que ce dernier avait été bien traité durant sa détention.
[176] Au début, le gendarme Gullacher a passé beaucoup de temps à tisser des liens avec M. Stanley en discutant de sujets d'intérêt commun et de leurs antécédents similaires. Lorsque le gendarme Gullacher a commencé à axer la conversation sur les événements de la veille, M. Stanley a immédiatement souligné que, selon lui, son avocate devait communiquer avec lui ce matin‑là, mais qu'il n'avait pas eu de nouvelles d'elle. Le gendarme Gullacher a ensuite confirmé auprès de M. Stanley que ce dernier était satisfait des conseils qu'il avait reçus les deux fois qu'il avait consulté des avocats la veille et qu'il comprenait la nature et la gravité du risque qu'il courait et que ce qu'il dirait pourrait être utilisé contre lui dans le cadre de poursuites judiciaires. Le gendarme Gullacher a brièvement quitté la pièce et, à son retour, il a dit à M. Stanley que son avocate avait laissé un message ce matin‑là pour dire qu'elle ne passerait pas le voir.
[177] M. Stanley a résisté à maintes reprises aux tentatives du gendarme Gullacher de l'amener à [traduction] « donner sa version des faits » jusqu'à ce qu'il confirme avec son avocate ce qu'il devait faire. En raison de la confusion apparente de M. Stanley, le gendarme Gullacher a craint que — surtout dans le contexte d'une enquête sur un meurtre — M. Stanley puisse plus tard faire valoir avec succès que ses droits ont été violés, ce qui aurait pour effet d'exclure la déclaration au procès.
[178] Le gendarme Gullacher a de nouveau quitté la salle d'interrogatoire pour consulter un autre membre de la GRC qui surveillait l'interrogatoire. À son retour, il a mentionné ce qui suit à M. Stanley :
[Traduction]
Je pense qu'il sera dans votre intérêt de parler de nouveau à [votre avocate], tout simplement parce que je comprends votre point de vue. Vous avez dit que vous auriez aimé lui parler, et je vois bien que c'est ce que vous voulez. Je pense qu'il sera dans l'intérêt supérieur de vous laisser lui parler parce que, comme vous l'avez dit, tout ça ne paraît probablement pas très bienNote de bas de page 45.
[179] Au même moment, un avocat dont la famille avait retenu les services a communiqué avec le détachement, et M. Stanley a eu l'occasion de lui parler plutôt que de parler avec un représentant de l'aide juridique. À la reprise de l'interrogatoire, M. Stanley a dit ce qui suit au gendarme Gullacher : [traduction] « J'aimerais autant que vous qu'on en finisse avec tout ça, mais je dois faire ce qu'il dit ».
[180] Malgré ce qui précède, le gendarme Gullacher a poursuivi l'interrogatoire pendant plus de trois heures, au cours desquelles il a eu l'impression de tisser des liens avec M. Stanley et [traduction] « d'obtenir, petit à petit », des renseignements sur ce qui pourrait être considéré comme des enjeux périphériques. Cependant, dès que M. Stanley se surprenait à trop parler, il redevenait silencieux.
[181] Même si, au cours de l'interrogatoire, il n'a pas fait autant de progrès qu'il l'avait espéré, le gendarme Gullacher affirme que les [traduction] « bribes » d'information qu'il a réussi à obtenir ont été utiles à l'enquête. M. Stanley a expliqué la façon dont il avait acquis l'arme avec laquelle il avait fait feu sur M. Boushie et décrit sa familiarité avec les armes à feu en général. Les renseignements obtenus ont aidé la police à trouver une douille provenant des coups de feu tirés sur la propriété des Stanley. Le gendarme Gullacher a également obtenu de M. Stanley l'aveu selon lequel ce dernier n'avait pas vu l'arme à feu dans le Ford Escape, ce qui, à son avis, a contribué à prévenir une allégation de légitime défense durant le procès de M. Stanley.
[182] À un moment donné, le gendarme Gullacher a expliqué à M. Stanley que certains recours à la force peuvent être justifiés, selon les circonstances, et que le fait de fournir à la police sa version des faits maintenant aiderait à orienter l'enquête. Comme l'a indiqué le juge du procès : [traduction] « Le fait de parler des différences entre un meurtre et un homicide involontaire coupable et de mentionner les notions de légitime défense et d'accident visait manifestement à encourager M. Stanley à parlerNote de bas de page 46 ».
[183] Le gendarme Gullacher a mis fin à l'interrogatoire lorsqu'il a constaté que l'irritation et la frustration de M. Stanley face à ses tentatives répétées de l'amener à fournir plus de renseignements étaient contre‑productives. M. Stanley a déclaré ou souligné à plus de cinquante reprises au cours de l'entrevue que, à ce moment‑là, il ne souhaitait pas discuter de la situation avec la police. En outre, la fréquence des refus a augmenté au fil de l'interrogatoire.
[184] Durant un voir‑direNote de bas de page 47 devant le juge de première instance avant le procès de M. Stanley, la Couronne a demandé à la Cour de trancher que la déclaration de M. Stanley à la police avait été faite volontairement et qu'elle était donc admissible au procès. L'avocat de la défense de M. Stanley a soutenu que toute la déclaration n'était pas volontaire parce que le gendarme Gullacher avait continué de poser des questions longtemps après que M. Stanley eut explicitement déclaré son désir de garder le silence ou de parler de nouveau à son avocat, ajoutant que les tactiques trompeuses utilisées par le gendarme Gullacher avaient eu pour effet d'annuler l'intention de M. Stanley de ne pas faire de déclarationNote de bas de page 48.
[185] Dans sa décision, le juge de première instance fournit une analyse détaillée des circonstances de l'interrogatoire en ce qui concerne la conduite du gendarme Gullacher et les perceptions de M. Stanley. Il a conclu hors de tout doute raisonnable que toutes les déclarations formulées par M. Stanley durant l'interrogatoire avaient été faites volontairement et étaient donc admissibles dans le cadre de procédures judiciaires et que le gendarme Gullacher n'avait pas à donner à M. Stanley un autre accès à son avocat en plus des trois occasions déjà fournies, parce que :
[Traduction]
Premièrement, les circonstances objectives n'avaient pas changé suffisamment pour donner à nouveau droit à un avocat. M. Stanley a été arrêté pour meurtre et avait consulté un avocat à deux reprises avant l'interrogatoire et une autre fois au début de l'interrogatoire. Il avait été autorisé à consulter un conseiller juridique sur la question même qui faisait l'objet de l'interrogatoire. Il n'y a pas eu de nouveaux faits objectivement observables qui auraient justifié d'accorder une autre occasion de consulter un avocat. Par conséquent, à ce moment‑là, M. Stanley n'avait pas légalement le droit à une autre consultation juridique. Ainsi, on ne peut pas reprocher au gendarme Gullacher de ne pas lui avoir accordé une telle occasion.Deuxièmement — et c'est peut‑être tout aussi important —, il est évident que, à ce moment‑là, M. Stanley n'a pas laissé entendre qu'il voulait parler de nouveau à son avocat. Une interprétation juste de ce qu'il disait consisterait plutôt à dire qu'il était conscient de son droit de garder le silence, qu'il choisissait d'exercer ce droit à l'égard de la plupart des détails de l'incident et qu'il pourrait, à une date ultérieure, choisir de fournir une déclaration plus complète, mais qu'il ne le ferait qu'après avoir eu l'occasion de rencontrer son avocat et une fois que ce dernier lui aurait conseillé de le faireNote de bas de page 49.
[186] Il ressort clairement de la décision du juge de première instance que le gendarme Gullacher a pris suffisamment de précautions pour éviter une violation des droits garantis par la Charte de M. Stanley. Au cours de son entrevue avec la Commission, le gendarme Gullacher a cité l'arrêt R c SinclairNote de bas de page 50 de la Cour suprême du Canada pour justifier sa décision de donner à M. Stanley une troisième occasion de parler à son avocat. Cet arrêt a établi certains des facteurs qui déclencheront le droit à un accès supplémentaire à un avocat, y compris un changement de circonstances objectivement observable lié au risque que courait le suspect, comme l'a souligné le juge de première instance, ci‑dessus. La Cour suprême a également énoncé la raison pour laquelle la police devrait offrir la première possibilité ou des possibilités supplémentaires de consulter un avocat :
Le droit à l'assistance d'un avocat a pour objet de « permettre à la personne détenue non seulement d'être informée de ses droits et de ses obligations en vertu de la loi, mais également, voire qui plus est, d'obtenir des conseils sur la façon d'exercer ces droits » : R c Manninen, 1987 CanLII 67 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1233, p. 1242‑1243. Il s'agit donc fondamentalement de faire en sorte que la décision du détenu de coopérer ou non à l'enquête soit à la fois libre et éclairée. L'alinéa 10b) ne garantit pas que le détenu prendra une sage décision ni ne le met à l'abri de facteurs subjectifs susceptibles d'influer sur sa décision. Il vise simplement à fournir aux détenus la possibilité d'avoir accès à des conseils juridiques dans l'exercice de ce choixNote de bas de page 51.
[187] La Cour d'appel de la Saskatchewan a appliqué le raisonnement de la Cour suprême au moment de tirer la conclusion suivante :
[Traduction]
La police n'a pas l'obligation de réagir aux malentendus d'un détenu au sujet de ses droits ou de la façon de les appliquer si ce malentendu n'est pas communiqué à la police ou s'il n'y a pas d'autres indicateurs d'une compréhension déficiente (R c Sinclair […]). Examinés de façon objective, ces indicateurs doivent signaler la confusion ou l'incompréhension […]Note de bas de page 52.
[188] Au début de son interrogatoire, M. Stanley a fait part de sa confusion quant à savoir s'il devait donner à la police sa version des événements et à quel moment il devait le faire, et il s'attendait à ce que son avocat lui donne des conseils supplémentaires ce matin‑là. À la lumière de la compréhension de la loi de M. Stanley et des renseignements limités obtenus dans le cadre de l'enquête à ce moment‑là, il était raisonnable que le gendarme Gullacher interprète ces déclarations explicites de M. Stanley comme des signes qu'il pourrait être périlleux de procéder sans donner à ce dernier un autre accès à un avocat et que cela pourrait compromettre l'admissibilité de tout renseignement qu'il aurait obtenu de M. Stanley durant son procès.
[189] Après la troisième conversation de M. Stanley avec son avocat, le gendarme Gullacher a conclu que ce dernier ne pouvait plus formuler d'objections raisonnables liées au fait qu'il ne savait pas ce qu'il devait faire et a poursuivi son interrogatoire avec acharnement, même si M. Stanley a exprimé le souhait d'avoir encore accès à un avocat avant de parler à la police. Le juge de première instance a conclu que, dans les circonstances, la persistance du gendarme Gullacher n'était pas inappropriée, dans la mesure où [traduction] « la police n'est pas tenue de s'abstenir d'interroger un accusé qui affirme ne pas vouloir parler à la police. Il y a une distinction à faire entre le droit de garder le silence et le droit qu'on ne nous parle pasNote de bas de page 53 ».
[190] Dans l'ensemble, vu les circonstances, le gendarme Gullacher a interrogé M. Stanley de façon raisonnable. Il a habilement fait en sorte que M. Stanley parle et a abordé les sujets d'intérêt sous un angle différent lorsque M. Stanley s'opposait à une série de questions. Son approche et ses tactiques étaient conformes à son expérience et à sa formation, ainsi qu'aux politiques de la GRC.
Conclusion
- 20) Vu les circonstances, la façon dont le gendarme Gullacher a interrogé M. Stanley était raisonnable.
Gestion du temps d'enquête
[191] Il est essentiel d'obtenir et de réunir tous les éléments de preuve accessibles au cours des premières étapes d'une affaire majeure, et la clé à cet égard est une gestion efficace du temps. Dans le présent dossier, plusieurs circonstances ont accentué le besoin de faire avancer le dossier le plus rapidement possible.
[192] D'entrée de jeu, les enquêteurs savaient que M. Stanley avait été arrêté pour meurtre, qu'il était détenu et qu'ils avaient 24 heures pour porter des accusations et le traduire devant un jugeNote de bas de page 54. Ils savaient aussi que la scène de crime était périssable, puisque, de façon générale, elle était située à l'extérieur et on s'attendait à des intempéries. De plus, la scène de crime se trouvait sur la propriété privée de M. Stanley, et un mandat de perquisition en vertu du Code criminel serait nécessaire pour réaliser l'expertise de la scène et recueillir des éléments de preuve. Il y avait des défis sur le plan géographique, étant donné que le bureau principal du GCG était situé à Saskatoon, que le détachement compétent se trouvait à Biggar (où les Stanley attendaient d'être interrogés), que trois autres témoins clés étaient détenus au détachement de Battleford, et que la scène de crime était située environ au centre de ces trois endroits. En général, il fallait une heure de route ou plus pour se rendre d'un endroit à l'autre.
[193] L'enquêteur principal, le gendarme Boogaard, aurait dû tenir compte des facteurs susmentionnés en ce qui concerne la gestion, la rapidité et le déroulement de l'enquête. L'examen des premières étapes de l'enquête réalisé par la Commission a relevé un certain nombre de problèmes qui semblent avoir entraîné une certaine inefficacité dans la gestion du temps d'enquête.
Mandat de perquisition
[194] Dès qu'il a été informé de l'homicide, le sergent Olberg a commencé à appeler les membres du GCG pour former l'équipe d'enquête. Il a appelé le caporal Nordick, qui a dit ne pas être immédiatement disponible. Les deux ont convenu que le caporal Nordick commencerait la rédaction de la dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition (la dénonciation) le lendemain matin. Le caporal Nordick s'est rendu au bureau du GCG vers 6 h, le 10 août. Le mandat a été signé et rempli vers 20 h ce soir‑là, et la perquisition a commencé le lendemain matin.
[195] Durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission, le sergent Olberg a été questionné sur l'affectation des membres du GCG à des tâches précises. Il a souligné que le caporal Nordick était l'un de ses chefs d'équipe en plus d'être un déposant expérimentéNote de bas de page 55. En réponse à la question des enquêteurs de la Commission sur la disponibilité, à ce moment‑là, d'autres déposants, le sergent Olberg a répondu que, selon lui, n'importe quel membre de l'équipe aurait pu assumer ce rôle‑là.
[196] À la question de savoir si, dans cette affaire, le moment choisi pour commencer le processus de rédaction de la dénonciation était typique, le sergent Olberg a répondu ce qui suit :
[Traduction]
SERG. B. OLBERG : Ce peut l'être. À l'occasion, le déposant est avec nous et il peut rédiger le document au fur et à mesure, mais, dans ce cas précis… Vous devez vous rappeler que nous n'avions obtenu aucun renseignement [des trois occupants du véhicule qui étaient détenus] pour remplir les blancs. Vous comprenez? Nous nous en remettions exclusivement à Gerald — ou, pardonnez‑moi, à [S. S.] et [L. S.] pour nous raconter l'essentiel de ce qui s'était passé. Nous avions des notes et des observations d'agents de police, mais, à ce moment‑là, nous n'avions pas grand‑chose à inclure dans une dénonciation, vous comprenez? Par conséquent, je pense que, dans une telle situation, il n'a pas, même s'il avait pu… Il aurait été possible de travailler toute la nuit, mais, franchement, il n'y avait rien à rédiger.CCETP : Donc, si je comprends bien, vous étiez d'avis que le fait de commencer à rédiger une dénonciation avec seulement une quantité limitée de renseignements n'aurait pas été conforme au rôle complet, franc et équitable d'un déposant?
SERG. B. OLBERG : Il aurait été très difficile de raconter une histoire complète ou une histoire assez complète pour qu'un juge délivre le mandat.
[...]
CCETP : Il y a eu un retard de 12 heures avant le début de la rédaction de la dénonciation. Comme vous l'avez dit, cela n'en valait pas la peine…
SERG. B. OLBERG : Pardon? Excusez‑moi de vous interrompre. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un retard. Vous savez, il n'y a encore rien à écrire, non? Nous sommes toujours… Vous devez penser… Il faut soustraire le temps de déplacement. Nous devons nous rendre sur les lieux et comprendre l'information initiale. Nous devons déterminer ce qui a changé par rapport à ce qu'on nous avait dit au départ. Donc j'irais beaucoup moins loin et je dirais qu'il n'y a pas eu un retard de 12 heures… Au mieux, il aurait pu allumer son ordinateur, mais, de toute façon, il n'aurait pas commencé la rédaction avant bien après minuit, ou probablement vers 2 heures du matin. Et puis, il y a aussi la fatigue qui entre en ligne de compte, n'est‑ce pas?
[197] Durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission, le caporal Nordick a précisé que, dans un cas comme celui‑ci, il commençait normalement à rédiger une dénonciation immédiatement.
[198] Selon la Commission, la principale préoccupation qui exigeait la présence rapide d'un déposant était la scène de crime périssable et la détérioration prévue des conditions météorologiques.
[199] Même si la Commission comprend que les membres du GCG ne peuvent pas tous être disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, la situation susmentionnée exigeait qu'un déposant commence à rédiger la dénonciation plus rapidement.
[200] La Commission rejette respectueusement l'opinion du sergent Olberg selon laquelle il n'y aurait rien eu à écrire. On avait un récit complet des événements qui s'étaient déjà déroulés et qui avaient été établis d'entrée de jeu, y compris l'intervention policière initiale, l'emplacement et l'état de la scène de crime et l'arrestation de M. Stanley et de trois autres personnes. En fait, les motifs nécessaires justifiant une perquisition dans la propriété des Stanley avaient été bien établis après les entrevues de L. S. et de S. S. Le fait que les autres témoins n'avaient pas encore été interrogés en raison de leur état d'ébriété n'avait aucune incidence sur le fait qu'une autorisation judiciaire était nécessaire pour réaliser l'expertise de la scène de crime, vu l'attente de M. Stanley en matière de vie privée. Si un déposant avait travaillé parallèlement à l'équipe d'enquête dès le début, un mandat aurait pu être demandé à un juge (et probablement obtenu) le 10 août au matin.
[201] La Commission sait que les membres du triangle de commandement et d'autres membres de la GRC devaient se rendre à Biggar à partir de Saskatoon pour s'installer au détachement. Cependant, il convient de souligner que, lorsque le caporal Nordick a commencé à rédiger la dénonciation, il l'a fait à partir de son bureau de Saskatoon. Par conséquent, lui ou un autre membre aurait pu commencer à rédiger les renseignements de base qui étaient accessibles en tout premier lieu dès son arrivée au bureau de Saskatoon lorsqu'il a été appelé pour la première fois.
[202] Le sergent Olberg a dit durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission que n'importe lequel des membres de son équipe aurait pu rédiger la dénonciation en raison de leur formation et de leur expérience. Cependant, rien dans l'information présentée à la Commission n'indique qu'il a envisagé d'autres options pour accélérer le processus. La Commission souligne que le caporal Fee et le gendarme Teniuk ont été appelés au détachement de Battleford pour interroger E. M., B. J. et K. W. avant de les juger inaptes à participer à une entrevue. Selon leurs notes, le caporal Fee et le gendarme Teniuk n'ont pas été chargés d'autres mesures d'enquête jusqu'à ce qu'ils cessent de travailler pour la nuit et assistent à la réunion de l'équipe le lendemain matin. Par conséquent, rien ne semblait empêcher l'un ou l'autre de commencer à rédiger la dénonciation.
[203] Au bout du compte, le retard dans la rédaction de la dénonciation a repoussé l'arrivée du SIJ au matin du 11 août. Le gendarme Terry Heroux du SIJ de Saskatoon a cité la fatigue (il n'avait pas dormi de la nuit du 9 août et avait attendu toute la journée du 10 août pour obtenir le mandat de perquisition), ce qui a éliminé la possibilité de demander une autorisation, dans le cadre du mandat, pour réaliser une perquisition de nuit le 10 août.
[204] À la lumière de ce qui précède, la Commission conclut que le sergent Olberg n'a pas veillé à ce que la dénonciation soit rédigée en temps opportun. Elle recommande que le sergent Olberg reçoive des directives, un mentorat et/ou une formation sur la rédaction en temps opportun d'une dénonciation.
Conclusion
- 21) Le sergent Olberg n'a pas veillé à ce que la dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition soit rédigée en temps opportun.
Recommandation
- 6) Que la GRC fournisse au sergent Olberg des directives, du mentorat et/ou de la formation sur la rédaction en temps opportun d'une dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition.
[205] Dans le cadre du modèle de gestion des cas graves, l'une des responsabilités du chef d'équipe est de veiller à ce que des ressources adéquates soient déployées pour répondre aux besoins de l'enquêteNote de bas de page 56.
[206] Outre les questions directes concernant l'appel du caporal Nordick, la Commission fait remarquer que, à plusieurs reprises au cours de son entrevue avec ses enquêteurs, le sergent Olberg a fait allusion à la question de la rémunération — ou de l'absence de rémunération — des membres de la GRC.
[207] Le sergent Olberg a déclaré que ses options étaient limitées et que son premier choix pour assumer le rôle de déposant n'était pas immédiatement disponible. Il a décidé d'attendre que le caporal Nordick soit disponible le lendemain.
[208] Le sergent Olberg a déclaré ce qui suit durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission :
[Traduction]
Nous avons pris de l'expansion, ce qui nous a rendus plus efficaces, plus nombreux. Ce n'est pas précisément à cause de ce dossier, mais en raison de notre charge de travail en général.Je pense que nous pourrions probablement… Il reste des points à améliorer en ce qui concerne la reconnaissance des engagements de nos enquêteurs en dehors des heures de travail et l'offre d'un niveau de rémunération proportionnel aux attentes que nous avons à leur égard.
[209] L'entrevue du caporal Nordick avec les enquêteurs de la Commission fournit aussi certains renseignements à ce sujet. En réponse à la question des enquêteurs concernant les ressources, le caporal Nordick a mentionné l'enjeu de la rémunération :
[Traduction]
CAP. D. NORDICK : Cependant, le gros problème, c'est que nous ne sommes pas… Nous n'étions pas rémunérés pour être en disponibilité, ce qui aurait pu faire en sorte… Évidemment, dans mon cas, si j'avais été rémunéré pour être en disponibilité, j'aurais pu réagir immédiatement. Et je sais que la situation s'est améliorée et que nous avons apporté beaucoup de changements à certains égards, mais il était évidemment question de la disponibilité des membres du service pour répondre à cela.CCETP : Qu'est‑ce qui a changé?
CAP. D. NORDICK : Il y a… Nous avons cerné de nouveaux rôles au sein de notre triangle. Nous avons maintenant un gestionnaire de scène de crime dont le seul rôle est, essentiellement, de prendre le contrôle de n'importe quelle scène et de diriger les membres du service de l'identité judiciaire, de diriger les agents qui examinent les lieux. Il devrait évidemment tenir compte des prévisions météorologiques et de tout ce qui peut être détruit, assurer la sécurité de la scène de crime et gérer la façon dont les lieux sont examinés en collaboration avec les membres du service de l'identité judiciaire. C'est donc une mesure que nous avons intégrée au cours des dernières années. Nous avons plus de membres en disponibilité la fin de semaine, et il y a donc eu une augmentation de ce côté‑là. Cependant, pendant la semaine, nous avons deux membres en disponibilité qui répondent au téléphone et qui sont essentiellement rémunérés pour être disponibles afin de répondre aux appels.
Encore une fois, pour ce qui est du reste d'entre nous, en raison de notre dévouement à l'égard de notre travail, de la collectivité et de notre profession, nous répondons au téléphone volontairement […].
[210] Le gendarme Boogaard a également abordé la question de la rémunération durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission lorsqu'il a décrit la façon dont il a reçu un appel pour participer à l'enquête. Il a dit que, le 9 août, il avait effectué son quart de travail normal de 7 h à 16 h et que, même s'il n'était pas en disponibilité, il avait quand même répondu à son téléphone. Il a dit ce qui suit :
[Traduction]
Vous savez, la survie du service tient en quelque sorte au fait que l'on compte sur les gens pour continuer de répondre à leur téléphone malgré tout, et d'une certaine façon… Quand on rejoint l'équipe des Crimes graves, on sait dans quoi on s'embarque. On sait qu'on sera occupé, qu'on peut être déployé à tout moment et qu'on ne sera pas nécessairement rémunéré pour être en disponibilité.
[211] À la lumière des renseignements susmentionnés, il est évident que la rémunération était et demeure un problème qui a une incidence sur la réaction des membres en dehors des heures de travail et/ou sur la rapidité des interventions lorsqu'on leur demande de prêter assistance.
Conclusion
- 22) Dans le présent dossier, un nombre insuffisant de membres de la GRC étaient rémunérés pour être en disponibilité afin d'intervenir en temps opportun en cas d'enquêtes sur des crimes graves.
Recommandation
- 7) Que la GRC veille à ce que des ressources adéquates soient disponibles en temps opportun pour mener des enquêtes en cas de crimes graves.
Efficacité géographique
[212] Comme le montre la figure 1, dans le présent dossier, l'équipe d'enquête était confrontée à de multiples défis liés aux distances à parcourir :
- le bureau principal du GCG Nord était situé à Saskatoon;
- M. Stanley ainsi que son épouse et son fils ont été transportés au détachement de Biggar, qui était responsable de l'homicide;
- E. M., B. J. et K. W. ont été transportés au détachement de Battleford;
- la scène de crime, la ferme des Stanley, se trouvait à peu près au milieu des trois endroits susmentionnés;
- la réserve de la Première Nation de Red Pheasant a également participé au dossier dès le début.
[213] Il fallait de 30 à 90 minutes pour se rendre en voiture d'un de ces endroits à un autre. La Commission reconnaît que ces facteurs étaient indépendants de la volonté de l'équipe d'enquête et que des délais causés par les déplacements étaient inévitables.
[214] Quoi qu'il en soit, il s'agissait d'un cas urgent, et il semble qu'il y ait eu une situation où des gains d'efficience auraient pu réduire l'incidence du temps et de la distance. Par exemple, après s'être rendus à Biggar pour réaliser les entrevues de témoins auprès de S. S. et L. S., les membres de l'équipe d'enquête coordonnéeNote de bas de page 57 sont retournés à North Battleford pour la nuit, sachant qu'ils devaient revenir à Biggar le lendemain.
[215] Le sergent d'état‑major Rockel a abordé la question des défis géographiques durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission lorsqu'il a dit : [traduction] « Malheureusement, c'est la réalité à laquelle nous sommes confrontés en Saskatchewan, en raison de la géographie et des distances que nous devons parcourir ». Il a ajouté que la GRC n'a ni la capacité ni la possibilité de réunir tout le monde au même endroit.
[216] Le sergent Olberg a également formulé un commentaire auprès des enquêteurs de la Commission à ce sujet :
[Traduction]
Je pense qu'il est important de comprendre que certains des défis auxquels nous sommes confrontés sont possiblement propres aux activités de la GRC en milieu rural. Les réalités géographiques peuvent très facilement nous diviser. Nous n'avons pas le même niveau d'infrastructure ni d'accès aux services et à des mesures de soutien supplémentaires. Ou, ce qui est sûr, c'est que nous n'y avons pas accès aussi rapidement.
[217] Le sergent Olberg a donné un aperçu des capacités des détachements de Biggar et de Battleford durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission :
[Traduction]
SERG. B. OLBERG : […] Dans ce cas précis, la scène de crime elle‑même faisait partie du secteur du détachement de Biggar, qui est un détachement assez petit comptant très peu d'infrastructures. Par conséquent, il a été décidé que Gerald Stanley irait à cet endroit et que les trois autres personnes qui ont été arrêtées […] seraient transportées au détachement de North Battleford, où il est possible de les garder séparés, ce qui était préférable et souhaitable.CCETP : Aurait‑il été possible de tous les envoyer au détachement de North Battleford?
SERG. B. OLBERG : Possiblement, mais ils auraient alors peut‑être été enregistrés en même temps. Vous savez, il y a des avantages et des inconvénients dans les deux cas. Notre choix nous a permis de travailler de façon indépendante, mais cela a aussi séparé notre équipe et créé des problèmes de communication.
[218] Les enquêteurs de la Commission ont questionné le sergent d'état‑major Rockel au sujet de la taille du détachement de la GRC de Battleford et lui ont demandé s'il aurait été assez grand pour accueillir les Stanley et E. M., B. J. et K. W. Il a répondu ce qui suit : [traduction] « En ce qui concerne les salles d'entrevue, non, probablement pas ». Plus tard au cours de son entrevue, il a souligné qu'il y avait probablement deux ou trois salles d'entrevue au détachement de Battleford.
[219] Il n'est pas rare d'amener diverses personnes concernées (des témoins, des victimes et des suspects) dans le même établissement policier. Il est possible de gérer et de coordonner la logistique et l'horaire de façon appropriée au moyen de la communication interne et de la consultation avec l'équipe d'enquête. Le fait de réunir les personnes concernées et l'équipe d'enquête au même endroit peut faciliter la communication et permettre une utilisation plus efficace du temps. Cela dit, dans le présent dossier, à la lumière des contraintes d'espace dans les deux détachements, la Commission conclut que, vu les circonstances, la décision du GCG de séparer les personnes concernées dans les deux détachements de la GRC les plus proches était raisonnable.
Conclusion
- 23) Vu les défis inhérents aux services de police en milieu rural, la décision du Groupe des crimes graves de séparer les personnes concernées dans deux détachements de la GRC était raisonnable.
Centre de commandement mobile
[220] Après l'examen de la documentation, l'un des premiers problèmes relevés par la Commission était les défis géographiques et environnementaux auxquels le GCG avait été confronté. Selon la Commission, dans le présent dossier, l'utilisation d'un centre de commandement mobile aurait pu s'avérer utile et aurait peut‑être permis d'éviter certains problèmes ou certaines omissions.
[221] Un centre de commandement mobile est essentiellement un bureau local autonome et une zone d'étape. De nombreux grands services de police municipaux et provinciaux disposent de telles installations, qui sont utilisées pour gérer des scènes de crime tant en zones urbaines qu'en régions rurales. Elles sont équipées de tous les appareils de communication nécessaires, de liens informatiques et d'écrans de télévision, sont climatisées et contiennent des salles de repas ainsi que des toilettes. En général, les centres de commandement mobiles ont la taille et la configuration d'un gros véhicule récréatif. Ils facilitent la collaboration et le travail de planification des activités d'enquête entre les enquêteurs et les policiers de première intervention tout en étant protégés des intempéries et à l'abri des regards et des oreilles de tous les membres du public ou des médias qui pourraient être présents sur les lieux.
[222] Les entrevues menées par les enquêteurs de la Commission auprès des membres du GCG ont révélé que le GCG Nord n'a pas accès à un centre de commandement mobile, ou, à tout le moins, à un centre de commandement mobile spécialement conçu pour ce type d'incident. Le chef de service, le sergent d'état‑major Rockel, et le chef d'équipe, le sergent Olberg, ont tous deux mentionné qu'ils ne croyaient pas qu'un centre de commandement mobile aurait répondu à leurs besoins, car ils préfèrent mener leurs enquêtes à partir d'un détachement. Ils ne semblaient pas être au courant des gains d'efficience et des ressources qu'un centre de commandement mobile peut fournir, y compris l'amélioration de la gestion de la scène de crime, de la collaboration et, surtout, de la communication entre le GCG, les membres de la GRC chargés de la première intervention et les unités spécialisées, comme le SIJ.
[223] Le coordonnateur des dossiers, le gendarme Wudrick, semblait connaître les avantages qu'un centre de commandement mobile aurait pu offrir dans la présente affaire, surtout en ce qui concerne l'amélioration de la gestion de la scène de crime. Il a dit ce qui suit durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission :
[Traduction]
CCETP : Si vous réfléchissez à ces trois premiers jours importants et à ce qui est arrivé ensuite, y a‑t‑il, selon vous, des ressources qui n'étaient pas à votre disposition ou à la disposition de votre équipe et qui auraient pu vous être utiles?GEND. L. WUDRICK : Oui. Une question qui a été soulevée ou dont nous avons certainement discuté depuis, c'est le moment où le SIJ est arrivé sur les lieux et a travaillé très tard dans la nuit. Si le SIJ avait eu accès à une sorte de centre de commandement mobile pour pouvoir se rendre sur les lieux, eh bien peut‑être… C'est qu'il y avait les pièces à conviction à l'endroit où M. Boushie a été tué, et il y a eu de la pluie le lendemain soir, la nuit ou le matin avant qu'on puisse tout traiter. Peut‑être que les pièces à conviction auraient pu être mieux protégées.
[224] La Commission reconnaît que, depuis cet incident, la Division « F » a créé un poste de gestionnaire de scène de crime au sein de son équipe d'enquête coordonnée. Le membre de la GRC qui remplit ce rôle est principalement responsable de la surveillance et de la gestion de la collecte d'éléments de preuve. Il pourrait aussi être avantageux d'avoir accès à un centre de commandement mobile pour répondre aux exigences non seulement du poste de gestionnaire de scène de crime, mais aussi pour faciliter de nombreux autres aspects des enquêtes. Par conséquent, la Commission recommande que la haute direction de la Division « F » envisage d'acquérir un centre de commandement mobile.
Conclusion
- 24) Dans la présente affaire, l'utilisation d'un centre de commandement mobile aurait pu s'avérer utile et aurait peut‑être permis d'éviter certains problèmes ou certaines omissions qui ont été constatés.
Recommandation
- 8) Que la haute direction de la Division « F » de la GRC envisage d'acquérir un centre de commandement mobile.
Gestion de la scène de crime
Protection des éléments de preuve
[225] Le traitement et la collecte appropriés des éléments de preuve matériels sur une scène de crime constituent un aspect essentiel de toute enquête. Les agents de police doivent connaître leurs fonctions relativement aux éléments de preuve, y compris les moyens de protéger le plus rapidement possible les éléments de preuve susceptibles de disparaître afin d'empêcher leur perte ou leur destruction.
[226] La politique nationale de la GRC concernant la sécurité sur les lieux d'un crime fournit certaines directives relativement à la responsabilité des membres à l'égard de la protection des éléments de preuveNote de bas de page 58 :
Protéger ou saisir les éléments de preuve périssables qui peuvent être perdus avant l'arrivée de membres du personnel du Service de l'identité judiciaire.
[227] La politique nationale de la GRC concernant les décèsNote de bas de page 59 aborde également la question de la préservation et de la protection des éléments de preuve :
2.2. Enquêteur
2.2.3. Les éléments de preuve retrouvés sur les lieux de crime qui comprennent des éléments d'origine humaine (ADN, cheveux et fibres, taches de sang) peuvent révéler l'identité de la victime ou du suspect, la cause du décès ou le type d'arme utilisé. La collecte et la préservation des éléments de preuve doi[ven]t être confiée[s] au responsable des pièces à conviction ou à la SIJ.
EXCEPTION : Tout élément de preuve susceptible d'être contaminé par les éléments ou une situation d'urgence doit être préservé et protégé immédiatement et les mesures prises doivent être consignées en conséquence.
[Non souligné dans l'original.]
Ford Escape
[228] L'omission de protéger le Ford Escape sur la scène de crime a constitué une erreur importante dans le cadre de l'enquête sur le décès de M. Boushie. Ce véhicule était un élément de preuve matériel clé. Un examen des documents soumis à la Commission révèle que, apparemment, on n'a pas reconnu l'importance d'assurer l'intégrité du véhicule en tant qu'élément de preuve ou qu'on ne s'en est pas assez préoccupé.
[229] Bon nombre des agents de police qui ont participé à l'affaire (les premiers intervenants et les membres du SIJ et du GCG) savaient qu'une détérioration à court terme des conditions météorologiques était à prévoir et que la politique exige la prise de mesures pour s'assurer que les éléments de preuve sont à la fois protégés et préservés. Durant leurs entrevues avec les enquêteurs de la Commission, les membres de la GRC ont reconnu une telle exigence, mais il n'y a pas d'explication claire quant à la raison pour laquelle cela n'a pas été fait.
[230] Il ressort d'un examen des documents présentés à la Commission que l'enquêteur principal, le gendarme Boogaard, a communiqué directement avec le sergent Sawrenko au sujet des conditions météorologiques à venir et de la possible perte d'éléments de preuve. Le gendarme Boogaard a écrit ce qui suit dans son carnet de notes, à 23 h, le 9 août 2016 :
[Traduction]
Colin Sawrenko appelé : il y a une possibilité de pluie en raison des conditions météorologiques et il est préoccupé parce que la scène est à l'extérieur — J'ai dit à Colin que Terry serait ici bientôt et qu'on surveillera les conditions météorologiques pour éviter de perdre des éléments de preuve.
[231] Durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission, le gendarme Boogaard a souligné ne pas se souvenir d'avoir transmis l'information fournie par le sergent Sawrenko au sujet des conditions météorologiques au gendarme Heroux du SIJ parce qu'il supposait que ce dernier était en route vers les lieux et qu'il évaluerait les conditions météorologiques à son arrivée. D'après les entrées dans son carnet de notes, le gendarme Heroux était au courant des conditions météorologiques. Un peu après 23 h 25, le 9 août, il a consigné avoir parlé avec le GCG et avoir l'intention de [traduction] « tenter de traiter la scène au cas où surviendraient des conditions météorologiques défavorablesNote de bas de page 60 ».
[232] Le gendarme Heroux a dit aux enquêteurs de la Commission qu'il n'avait pas plu pendant sa première présence sur les lieux, mais qu'il avait plu avant son arrivée.
[233] Au cours de son interrogatoire au procès de M. Stanley, le gendarme Heroux a dit ce qui suit au moment de décrire une photo du Ford Escape prise à son retour sur la scène de crime après l'obtention du mandat de perquisition :
[Traduction]
Q. — Donc, la photo 33 a été prise durant la nuit?
R. — Oui.
Q. — D'accord.
R. — C'est la nuit où nous sommes arrivés. Je vais revenir à la photo 33. La photo 34 est… Comme je l'ai dit, il s'agit d'une vue d'ensemble du véhicule tel que je l'ai… tel que nous l'avons trouvé après qu'il est resté là pendant une journée tandis que nous rédigions le mandat.
Q. — D'accord. Et que s'est‑il alors passé?
R. — Il y a un changement évident. J'avais consulté le bulletin météorologique d'Environnement Canada pour la période en question. Du 8 au 11 août, lorsque nous sommes arrivés, environ 44 millimètres de pluie étaient tombés, et il était très évident que la pluie avait emporté une bonne partie de la substance rouge qui correspondait à du sang sur le panneau de porte et sur le sol.[Non souligné dans l'original.]
[234] À la question de savoir si des mesures avaient été prises pour protéger les lieux en attendant de revenir avec un mandat de perquisition, le gendarme Heroux a répondu ce qui suit :
[Traduction]
Non. Et, malheureusement, cela n'a pas été fait. J'avais l'impression que le mandat allait arriver bientôt, qu'il était en route, et j'étais sûr d'être de retour sur place dans les heures qui suivaient. Au bout du compte, ce n'est pas ce qui s'est produit. Le mandat a été obtenu beaucoup plus tard ce soir‑là, et il a été décidé que nous allions procéder à l'expertise de la scène le 11, à la première heureNote de bas de page 61.
[235] Durant leurs entrevues avec les enquêteurs de la Commission, le gendarme Heroux et le caporal Ryttersgaard ont mentionné qu'ils n'avaient pas envisagé de recouvrir le véhicule. Le ciel était dégagé au moment de leur départ, et ils s'attendaient à revenir sur les lieux sous peu avec un mandat de perquisition. Le gendarme Heroux a souligné qu'il y avait des bâches sur les lieux, mais pas de tentes ni d'abris, ajoutant que l'utilisation d'une bâche risquait d'altérer les éléments de preuve sur le véhicule. Ce commentaire a été formulé en rétrospective, car les deux membres ont dit ne même pas avoir envisagé de couvrir le véhicule à ce moment‑là. Selon la Commission, la justification fondée sur le risque d'altération des éléments de preuve est faible vu l'état de l'extérieur du véhicule et le risque plus important de perdre des éléments de preuve si le véhicule n'est pas protégé.
[236] En ce qui concerne les commentaires des membres de la GRC selon lesquels ils s'attendaient à retourner sur les lieux sous peu, il s'agissait simplement d'une supposition, car rien n'indique qu'il y avait une communication continue entre le gendarme Heroux et l'équipe du GCG quant au moment où le mandat serait obtenu.
[237] Même s'il semble que le gendarme Heroux était au courant des possibles mauvaises conditions météorologiques, ni lui ni le caporal Ryttersgaard n'ont parlé aux agents de police sur place pour discuter des conditions météorologiques ou de la protection des éléments de preuve susceptibles de disparaître. Ils n'ont pris aucune mesure pour protéger le Ford Escape avant de quitter les lieux ou par la suiteNote de bas de page 62.
[238] Malgré ce qui précède, il est ressorti des entrevues menées par les enquêteurs de la Commission que les membres de la GRC savaient que l'omission de protéger le véhicule était une erreur et que cela n'aurait pas dû se produire.
[239] Le chef d'équipe, le sergent Olberg, a souligné durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission que [traduction] « des erreurs sont commises dans tous les dossiers » et que, au bout du compte, les erreurs n'ont pas eu d'incidence sur l'issue du procès. Il a également déclaré ce qui suit : [traduction] « J'ai moi‑même dit que nous n'avons pas suivi les politiques en place de la GRC. Ce n'était absolument pas conforme à nos pratiques habituelles ni aux pratiques exemplaires. Ça, je le regrette. J'aurais aimé qu'on puisse éviter une telle situation ».
[240] Selon l'entrevue du sergent d'état‑major Rockel, le GCG a assumé la responsabilité de cette erreur :
[Traduction]
S.É.‑M. D. ROCKEL : Ce que je dis, c'est qu'il serait injuste de faire porter le blâme à un membre du détachement.CCETP : D'accord.
S.É.‑M. D. ROCKEL : Vous savez, les membres du détachement, comme tout le monde… Nous avons tous des choses à faire, et il y a beaucoup de rouages, notamment les membres du détachement à qui on peut faire porter le blâme ou à qui on peut attribuer la responsabilité, mais non, je pense que c'est nous qui sommes responsables.
[Non souligné dans l'original.]
[241] Même si une unité de la GRC a assumé la responsabilité, la préservation des éléments de preuve dans une telle situation est une obligation que chaque membre de la GRC doit reconnaître et à laquelle il doit donner suite, peu importe qu'on lui ait expressément demandé de le faire ou non. Des membres de la GRC se sont dits préoccupés de l'absence d'un mandat pour entrer dans la propriété des Stanley. Dans le cas présent, le fait d'agir de bonne foi pour couvrir le véhicule et protéger les éléments de preuve de la pluie n'aurait probablement pas été considéré par le tribunal comme une violation délibérée et volontaire des droits garantis par la Charte à même de justifier l'exclusion d'éléments de preuveNote de bas de page 63. Il faut évaluer la perte certaine d'éléments de preuve sur la scène d'un crime par rapport à son exclusion potentielle dans des circonstances qui ont peu d'incidence sur le droit à la vie privée des résidents de la propriété, voire aucune.
[242] Dans la présente affaire, il n'y avait aucun doute quant à la pertinence du Ford Escape. La Commission considère que le défaut de la GRC de protéger le véhicule constitue une omission grave. Les politiques et procédures de la GRC concernant la protection et la préservation des éléments de preuve n'ont pas été suivies, et un élément de preuve clé est resté exposé à la contamination. Cette omission a entraîné l'altération et la perte d'éléments de preuve sous forme de traces et de taches de sang, car des éléments de preuve fragiles sont restés exposés aux éléments extérieurs et à de mauvaises conditions météorologiques, y compris de fortes pluies.
[243] Il est impossible de déterminer quels éléments de preuve ont été compromis, minés ou perdus, mis à part les taches de sang. Dire que, dans la présente affaire, le défaut de la GRC de protéger les éléments de preuve sur la scène de crime n'a pas eu de conséquences est, essentiellement, une justification après coup. La pertinence ou l'importance potentielle de tout élément de preuve matériel peut être inconnue au début d'une enquête, raison pour laquelle il faut traiter et préserver tous les éléments de preuve le plus rapidement possible. L'incidence ou la valeur des éléments de preuve contenus dans le Ford Escape — et en particulier les éclaboussures de sang — relativement au résultat de l'enquête, demeurera inconnue, car ces éléments de preuve n'ont pas été correctement préservés.
[244] En ce qui concerne les mesures correctives, la Commission reconnaît que l'équipe du GCG a discuté de cette lacune et a établi de nouvelles procédures pour éviter qu'une telle situation se reproduise. Plus précisément, la procédure normalisée exige maintenant qu'un membre du GCG (le gestionnaire de scène de crime) se rende sur les lieux de tous les homicides pour superviser et gérer la collecte des éléments de preuve. Cette nouvelle procédure est décrite plus en détail ci‑dessous. Il convient de souligner que le SIJ de Saskatoon a acheté des couvertures ajustées pour voiture, ce qui se révélera probablement utile dans des situations comme celle‑ci.
[245] Dans cette optique, la Commission recommande qu'on demande aux membres concernés du GCG et du SIJ de passer en revue les conclusions du présent rapport en compagnie d'un cadre de la GRC. La Commission recommande également que les membres concernés du GCG et du SIJ reçoivent une orientation opérationnelle sur les politiques et procédures de la GRC en matière de préservation et de protection des éléments de preuve.
Conclusions
- 25) Les politiques et procédures de la GRC en matière de préservation et de protection des éléments de preuve n'ont pas été raisonnablement respectées, et un élément de preuve clé, le Ford Escape, est resté exposé à la contamination.
- 26) L'incapacité de la GRC de protéger le Ford Escape a entraîné l'altération et la perte d'éléments de preuve sous forme de traces et de taches de sang.
Recommandations
- 9) Qu'on demande aux membres concernés du Groupe des crimes graves et du Service de l'identité judiciaire de passer en revue les conclusions du présent rapport en compagnie d'un cadre de la GRC.
- 10) Que les membres concernés du Groupe des crimes graves et du Service de l'identité judiciaire reçoivent une orientation opérationnelle sur les politiques et procédures de la GRC en matière de préservation et de protection des éléments de preuve.
Permission accordée à S. S. et L. S. de retirer un véhicule de la scène de crime
[246] La préservation de la scène de crime, dans la mesure du possible, dans l'état où elle se trouvait au moment de l'infraction est un principe fondamental de toute enquête criminelle.
[247] Dans le présent dossier, L. S. et S. S. ont été autorisés à se rendre au détachement de Biggar de leur propre chef pour fournir des déclarations de témoins. Pour ce faire, ils ont pris le véhicule de S. S., qui était stationné sur la propriété et qui se trouvait de toute évidence sur la scène de crime. Lorsqu'une telle décision a été prise, les enquêteurs ne pouvaient pas savoir quel rôle, le cas échéant, le véhicule de S. S. avait joué dans la perpétration du crime. Selon l'endroit où il était stationné, il contenait peut‑être des éléments de preuve ou avait peut‑être joué un rôle dans la séquence des événements qui ont mené à la fusillade. S'il avait été nécessaire de reconstituer l'incident pour prouver ou réfuter un aspect précis du témoignage d'une personne, le retrait ou l'absence du véhicule aurait pu être un facteur important.
[248] Une fois qu'un article est retiré d'une scène de crime, la scène est modifiée de façon permanente comparativement à son état initial. Il est pratiquement impossible de remettre un article — particulièrement un véhicule — dans sa position exacte, et on peut douter de l'origine et/ou de la qualité de tout élément de preuve qu'il peut contenir.
[249] Les enquêteurs de la Commission ont questionné le sergent Sawrenko à ce sujet, et ce dernier a expliqué que, lorsqu'il est arrivé à la ferme des Stanley, L. S. et S. S. étaient dans des véhicules de police distincts. La directive que lui a fournie le gendarme Boogaard du GCG était que L. S. et S. S. devaient se rendre par eux‑mêmes au détachement de BiggarNote de bas de page 64. Le sergent Sawrenko a informé L. S. et S. S. qu'ils pouvaient se rendre au détachement volontairement. Il s'est rappelé que L. S. et S. S. se sont rendus au détachement dans un seul véhicule, mais ne se rappelait pas exactement quel véhicule ils avaient pris. Il a également mentionné ne pas avoir soulevé de préoccupations au sujet de l'utilisation d'un véhicule qui se trouvait sur la scène de crime et ne pas se souvenir que le sujet ait été abordé avec le GCG.
[250] Selon les notes que le gendarme Boogaard a consignées le 9 août, une séance d'information a eu lieu à 20 h 2 au bureau du GCG Nord. Les notes qu'il a prises au cours de la séance d'information comprennent l'entrée suivante : [traduction] « Sawrenko a été informé d'une plainte, possiblement liée, concernant des “pièces d'arme à feu” laissées derrière. — Des membres sont affectés et feront un suivi. — Le fils et l'épouse ont été initialement arrêtés, puis libérés, et ils iront au détachement de la GRC à BiggarNote de bas de page 65 ». Il n'y a aucune indication dans ses notes d'une discussion avec le sergent Sawrenko concernant le transport de S. S. et de L. S. au détachement de Biggar.
[251] Les enquêteurs de la Commission ont demandé au gendarme Boogaard s'il était courant de retirer un véhicule d'une scène de crime. Voici sa réponse :
[Traduction]
GEND. R. BOOGAARD : Tout dépend des circonstances. Oui, je ne sais pas quelle était la justification du membre, ce qui… Je ne vais pas formuler de commentaires sur les raisons.[…]
GEND. R. BOOGAARD : C'est un peu une question partiale.
CCETP : Je suis d'accord. […] Mais nous tentons d'établir qu'ils étaient là avant votre arrivée, et ce, sans que vous ayez donné de directives à ce sujet.
GEND. R. BOOGAARD : C'est exact. C'est pendant la séance d'information que Lindsay a dit que c'était… Ils avaient été arrêtés, puis libérés et ils se dirigeaient vers Biggar.
CCETP : Ouais. Je voulais simplement établir que vous n'aviez pas donné de directives à ce sujet.
GEND. R. BOOGAARD : Non, non.
[252] Durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission, le sergent Olberg a reconnu qu'il n'était pas au courant de la décision à ce moment‑là. Il a ajouté qu'il se serait attendu à ce que les membres transportent L. S. et S. S. séparément et que tout ce qui se trouvait sur la scène y reste.
[253] À la lumière de ce qui précède, la Commission conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le sergent Sawrenko est responsable d'avoir permis à L. S. et à S. S. de retirer un véhicule de la scène de crime. Pour les motifs susmentionnés, la Commission conclut que, dans les circonstances, une telle décision était déraisonnable. Par conséquent, la Commission recommande qu'un cadre de la GRC fournisse une orientation opérationnelle au sergent Sawrenko sur l'importance de protéger et de préserver les éléments de preuve sur la scène d'un crime.
Conclusion
- 27) La décision du sergent Sawrenko de permettre à L. S. et à S. S. de retirer un véhicule de la scène de crime pour se rendre au détachement de la GRC de Biggar était déraisonnable.
Recommandation
- 11) Qu'un cadre de la GRC fournisse une orientation opérationnelle au sergent Sawrenko sur l'importance de protéger et de préserver les éléments de preuve sur la scène d'un crime.
Restitution du Ford Escape
[254] M. Boushie a été abattu par M. Stanley alors qu'il était assis dans le Ford Escape de K. W. À la suite d'une consultation auprès de l'analyste de la morphologie des taches de sang et de l'examen judiciaire effectué par le SIJ, le véhicule a été restitué le 13 août 2016. Astro Towing a remorqué le véhicule jusqu'à ses installations, et le véhicule a ensuite été transporté vers le complexe de Saskatchewan Government Insurance après que K. W. eut présenté une réclamation d'assurance.
[255] En réponse à une lettre datée du 13 septembre 2016 envoyée par un avocat représentant la famille Boushie/Baptiste et concernant la préservation du véhicule, le sergent Olberg a consulté le procureur régional de la Couronne. Les deux ont convenu que la GRC déploierait des efforts afin de récupérer le véhicule (avec le consentement du propriétaire) et de le conserver jusqu'à la fin des procédures judiciairesNote de bas de page 66. Cependant, ces efforts sont restés vains en raison de la réclamation d'assurance non réglée et de problèmes liés au consentement de K. W. Le 19 septembre, le caporal Fee et le gendarme Teniuk se sont rendus au complexe de Saskatchewan Government Insurance pour couvrir le véhicule avec une bâche.
[256] Avant son procès pour meurtre au deuxième degré, M. Stanley a présenté une demande à la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan en vertu de l'article 7 et du paragraphe 24(1) de la Charte concernant l'omission alléguée de la Couronne d'assurer la préservation, entre autres, du Ford Escape. L'avocat de la défense a soutenu que le défaut de la Couronne de préserver cet élément de preuve équivalait à un défaut de divulguer des éléments de preuve importants et pertinents et constituait donc une violation de l'article 7 de la Charte. À titre de redressement, une suspension des procédures a été demandée ou, subsidiairement, une directive au jury selon laquelle la Couronne avait l'obligation de préserver la preuve et ne l'avait pas fait et qu'il ne fallait pas blâmer la défense de ne pas avoir eu accès à la preuve avant qu'elle ne soit rendue publique ou pour les lacunes dans les éléments de preuve.
[257] Étant donné que la demande en question a été présentée avant le début du procès et qu'elle ne serait pas débattue avant la présentation de l'ensemble de la preuve, la Cour a demandé à la défense de fournir un aperçu de son argument et des faits sur lesquels elle prévoyait s'appuyer afin qu'elle puisse déterminer si la demande était fondée.
[258] Le 13 décembre 2017, la Cour a statué que M. Stanley avait le droit de poursuivre sa demande concernant la violation alléguée de la Charte relativement à un Ford Escape et a formulé les commentaires suivantsNote de bas de page 67 :
[Traduction]
La défense a le droit, indépendamment de la Charte, de souligner l'omission de la police de préserver des éléments de preuve pertinents ou de prendre des mesures d'enquête pertinentes. La défense peut tenter de se concentrer sur ces lacunes et sur l'effet de l'absence d'éléments de preuve sur le juge des faits. Comme l'a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans R c Lifchus, [1997] 3 RCS 320, au paragraphe 39, un doute raisonnable peut « découler de la preuve ou de l'absence de preuve ».
[259] La défense et la Couronne ont débattu de la question pendant le procès de M. Stanley. Essentiellement, l'avocat de la défense a soutenu que la GRC aurait dû conserver le véhicule jusqu'à ce que la défense ait eu l'occasion de l'examiner. Pour sa part, l'avocat de la Couronne a fait valoir que le gendarme Heroux avait procédé à un examen très approfondi du véhicule, après quoi la GRC s'était départie du véhicule, qui a été transféré dans une enceinte sécurisée. Il a ajouté que la défense avait eu l'occasion de demander à la Cour l'autorisation d'avoir accès au véhicule pour effectuer son propre examen, mais qu'elle ne l'avait pas fait.
[260] Au bout du compte, les directives de la Cour au jury précisaient que [traduction] « la défense affirme que la GRC aurait dû conserver le Ford Escape gris jusqu'à ce qu'elle ait eu l'occasion de l'examiner, ce qui ne s'est pas produit, et le véhicule a été restitué avant que la défense n'en ait eu l'occasion ».
[261] La politique de la Division « F » de la GRC concernant les pièces à conviction sur les scènes de crimeNote de bas de page 68 traite de la préservation des grandes pièces à conviction :
[Traduction]
1.1. Pièce à conviction biologique — Comprend les cheveux, le sang, l'humeur vitrée, l'urine, le sperme, la salive, l'ADN, les tissus/os humains et toute autre substance provenant de la matière vivante. Cela comprend les pièces à conviction qui sont de nature non biologique et qui contiennent des traces de matières vivantes.REMARQUE : La pratique normale consisterait à ne conserver que la partie de l'article non biologique qui contient la matière vivante (c.‑à‑d. conserver la partie du tissu du siège d'auto qui contient du sang et non tout le véhicule).
1.1.2. Les pièces à conviction biologiques comprennent également les pièces à conviction de nature non biologique qui contiennent des traces de matières vivantes, c'est‑à‑dire un pantalon taché de sang ou un drap sur lequel il y a du sperme. Remarque : Dans le cas des pièces à conviction non biologiques de plus grande taille, il est pratique courante de ne conserver que la partie de l'article qui contient la matière vivante, c'est‑à‑dire conserver la partie du tissu du siège d'auto qui contient du sang et non tout le véhicule.
[262] Durant son contre‑interrogatoire par l'avocat de la défense à l'enquête préliminaire du 3 avril 2017, le gendarme Heroux a dit ce qui suit au sujet de la restitution du véhicule :
[Traduction]
Q. — D'accord. Quand le Ford Escape gris a‑t‑il été restitué?
R. — Il a été restitué le 14…
Q. — De?
R. — Du mois d'août.
Q. — Et l'incident s'est produit le 9?
R. — Tout a commencé le 9, ouais.
Q. — Donc, en moins d'une semaine, vous vous étiez essentiellement départi de la scène principale de la tragédie?
R. — Oui.
Q. — Quelle était l'urgence?
R. — Eh bien, je ne m'en suis pas nécessairement départi, mais j'étais… Mon expertise était terminée, et le véhicule a été restitué… Les responsables des Crimes graves ont été avisés que j'avais terminé. Par la suite, la décision leur revenait.
Q. — D'accord. Est‑ce une pratique courante de se départir, en moins d'une semaine, de l'élément de preuve matériel le plus important dont vous disposez relativement à une situation aussi grave?
R. — Ouais. Autrement, nous conserverions toutes les maisons qui sont en cause dans un crime, tous les locaux d'entreprises visées par une enquête sur un homicide, tous les véhicules impliqués dans un homicide pour… Nous aurions… Des maisons seraient saisies pendant des périodes interminables… Je me suis rendu dans nombreuses scènes d'homicides. Ces endroits seraient encore tous sous scellé, alors il est pratique courante que, une fois nos politiques et procédures suivies et les éléments de preuve recueillis, le véhicule… Lorsque moi, le SIJ ou les responsables de l'identité judiciaire avons terminé notre travail, eh bien, le véhicule est alors remis aux responsables des Crimes graves, qui s'en départissent à leur tour lorsqu'ils ont terminé leur travail.
[263] Au cours de son entrevue avec les enquêteurs de la Commission, le sergent d'état‑major Rockel a confirmé qu'il était pratique courante de se départir d'un véhicule une fois qu'il avait fait l'objet d'une expertise et que l'examen judiciaire avait été effectué.
[264] À la question des enquêteurs de la Commission quant à savoir qui avait décidé de se départir du Ford Escape, le gendarme Boogaard a répondu qu'il avait pris la décision le 13 août après avoir discuté avec le gendarme Heroux de l'examen du véhicule. Le gendarme Boogaard a expliqué que, après sa discussion avec le gendarme Heroux et à la lumière de son expertise en tant qu'enquêteur du SIJ, il était convaincu qu'il avait effectué un examen approfondi et complet du véhicule. Par conséquent, le véhicule n'était plus nécessaire à des fins d'enquête.
[265] Le gendarme Boogaard a aussi fourni l'explication suivante : [traduction] « En tant que policiers, nous n'examinons pas les choses d'un point de vue partiel. Nous ne cherchons pas d'entrée de jeu des éléments de preuve défavorables pour Gerald. Nous sommes un organisme d'enquête impartial, même si ce n'est pas toujours ce que le public semble croire. Cependant, lorsque nous réalisons notre expertise, nous cherchons tous les éléments de preuve, qu'ils aillent à l'encontre de la théorie de la police ou non ».
[266] Un examen des notes du carnet du gendarme Boogaard en date du 13 août 2016 révèle que ce dernier a reçu une mise à jour du gendarme Heroux au sujet de l'expertise du véhicule à 17 h 9. Le gendarme Boogaard a inscrit [traduction] « prélèvements sur les sièges à l'aide d'un adhésif, écouvillons, empreintes, photographies […] ». Il a aussi enregistré les pièces à conviction saisies par le gendarme Heroux pendant l'expertise du véhicule.
[267] La Commission a également examiné les notes du carnet du gendarme Heroux dans lesquelles il a mentionné que l'expertise du véhicule a commencé le 13 août et s'est terminé le lendemain. Même si le gendarme Heroux a consigné des notes détaillées de son examen du véhicule, il n'y a aucune mention de la mise à jour fournie au gendarme Boogaard avant de communiquer avec Astro Towing.
[268] La police a le devoir de mener une enquête raisonnablement approfondie sur les allégations de conduite criminelle. Le principal objectif d'une enquête criminelle est de recueillir suffisamment de renseignements pour constituer des motifs raisonnables d'arrestation ou de dépôt d'accusations. La détermination de la portée d'une enquête et le dépôt d'accusations sont des utilisations légitimes du pouvoir discrétionnaire de la police. Toutefois, l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire n'est pas absolu : il doit être raisonnable. L'exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire tient compte du contexte global de l'affaire, fait preuve de bon sens et est conforme aux valeurs et aux normes professionnelles de la GRC. L'essence même du pouvoir discrétionnaire repose sur le fait que des personnes raisonnables peuvent faire des choix différents dans des circonstances similaires. Au moment d'évaluer l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la police, le critère n'est pas de savoir si la Commission aurait agi de la même façon, mais plutôt si la décision prise par le membre s'inscrit dans la gamme des options raisonnables qui s'offraient à lui.
[269] Il faut saisir, traiter et conserver les éléments de preuve pertinents conformément aux règles applicables et en tenant compte de la nature de la pièce à conviction. La Commission reconnaît qu'il y a des répercussions logistiques et financières liées à l'entreposage de grandes pièces à conviction comme les véhicules. De plus, d'après les renseignements dont dispose la Commission, la GRC n'a pas de politique exigeant la conservation des véhicules. Néanmoins, dans la présente affaire, vu l'importance du Ford Escape, qui était un élément de preuve clé, il aurait été prudent de consulter l'avocat de la Couronne avant de s'en départir. Malgré cela, la Commission est convaincue, d'après les éléments de preuve disponibles, que la décision prise par le gendarme Boogaard de se départir du véhicule s'inscrivait dans la gamme des options raisonnables qui s'offraient à lui et constituait un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire.
Conclusions
- 28) Vu l'importance du Ford Escape, qui était un élément de preuve clé de l'enquête, il aurait été prudent de consulter l'avocat de la Couronne avant de s'en départir.
- 29) La décision du gendarme Boogaard de se départir du Ford Escape à la suite de l'examen effectué par le Service de l'identité judiciaire s'inscrivait dans la gamme des options raisonnables qui s'offraient à lui et constituait donc un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire.
Absence du Groupe des crimes graves sur la scène de crime
[270] Le GCG s'est réuni à Saskatoon pour sa séance d'information initiale. Après la séance en question, cinq membres de la GRC, y compris les membres du triangle de commandement, se sont rendus au détachement de Biggar pour s'occuper de M. Stanley, de son épouse, L. S., et de leur fils, S. S. Deux enquêteurs de terrain se sont rendus au détachement de Battleford pour s'occuper d'E. M., de B. J. et de K. W. Les déclarations de témoins de L. S. et de S. S. ont été faites au petit matin, le 10 août. Les membres ont ensuite quitté Biggar et se sont rendus en voiture à North Battleford pour y passer la nuit.
[271] Jusqu'à ce moment‑là, aucun membre du GCG ne s'était rendu sur la scène de crime. Plusieurs mesures d'enquête avaient été prises par les policiers responsables de la première intervention, y compris l'arrestation et le transport de M. Stanley, d'E. M., de B. J. et de K. W. La notification du plus proche parent et la recherche initiale de l'homme qui manquait à l'appel, C. C., avaient également été effectuées. Le corps de M. Boushie avait été enlevé, et la scène de crime était gardée en attendant l'autorisation judiciaire de procéder à la fouille. Les deux enquêteurs chargés de mener les entrevues avec E. M., B. J. et K. W. n'ont pas été en mesure de le faire à ce moment-là en raison de leur niveau d'intoxication. L'interrogatoire de M. Stanley devait avoir lieu plus tard ce jour‑là. Au cours de ces événements, il y a eu des discussions au sujet de certaines de ces activités entre le GCG et les membres sur les lieux.
[272] La Commission reconnaît les difficultés géographiques auxquelles l'équipe d'enquête coordonnée était confrontée. Cependant, lorsque l'équipe a décidé d'aller passer la nuit à North Battleford, les membres de la GRC ont roulé vers le nord, soit en direction de la scène de crime. Comme aucune autre tâche n'était prévue, il s'agissait d'un moment opportun pour visiter la scène de crime. Une visite aurait fourni à l'équipe une vue d'ensemble de la scène, y compris son emplacement et la façon dont elle avait été sécurisée. En se rendant sur la scène de crime, l'équipe aurait pu discuter directement avec les membres de la GRC sur place, ce qui aurait permis de s'assurer que des ressources adéquates étaient en place et que les tâches étaient gérées et exécutées de façon appropriée. Il aurait été possible de discuter avec les membres du SIJ déjà sur place au sujet de leurs observations, de la préservation de la scène et du moment où l'on s'attendait à obtenir le mandat de perquisition. De plus, le gendarme Gullacher était chargé de l'interrogatoire de M. Stanley, et le fait d'avoir eu au moins l'occasion de se faire une idée des lieux — que ce soit de façon très détaillée ou non — aurait pu être utile au moment de l'interrogatoire.
[273] Selon la Commission, le lieu choisi pour passer la nuit a ralenti l'intervention dans une affaire où le temps pressait et où un suspect était détenu. On a perdu beaucoup de temps pour accorder tout au plus quelques heures de repos aux enquêteurs. Le retour des membres du triangle de commandement et du gendarme Gullacher à North Battleford aurait permis de réunir toute l'équipe d'enquête coordonnée, puisque le caporal Fee et le gendarme Teniuk étaient déjà là. L'équipe aurait pu se réunir pour discuter des renseignements obtenus jusqu'à présent et, plus particulièrement, du témoignage des Stanley et des éléments de preuve de la scène de crime. En outre, il aurait pu y avoir des discussions au sujet des entrevues avec E. M., B. J. et K. W., ce qui aurait permis d'éviter les problèmes mentionnés précédemment dans le présent rapport.
[274] Interrogé par les enquêteurs de la Commission au sujet de la présence du GCG sur la scène de crime, le sergent Olberg a répondu ce qui suit : [traduction] « Nous n'aurions pas pu nous y rendre légalement tant que nous n'avions pas le mandat ». La Commission reconnaît qu'il aurait été illégal d'entrer dans la cour de la ferme pour effectuer une perquisition avant d'obtenir un mandat et elle est aussi consciente du fait qu'il faut éviter les visites inutiles sur la scène d'un crime, surtout en raison du risque de contamination croisée. Cependant, dans la présente affaire, les membres du GCG auraient pu se rendre au périmètre pour travailler en collaboration avec les autres membres, observer la portée et la disposition générale de la scène et se faire une idée des activités en cours.
[275] Les enquêteurs de la Commission ont demandé au sergent Olberg si quelque chose empêchait les membres du GCG d'examiner l'extérieur des lieux avant d'obtenir le mandat, ce à quoi ce dernier a répondu : [traduction] « Rien ne m'en empêchait vraiment, mais nous avions d'autres choses à faire à l'époque. Encore une fois, à ce moment‑là, il s'agit d'une responsabilité déléguée et c'est… Je ne peux pas être partout à la fois. En effet, l'argument serait alors : “Eh bien, pourquoi n'avez‑vous pas joué un rôle actif dans la surveillance des déclarations?” » La Commission reconnaît que, dans certains cas, il peut y avoir des situations d'urgence où une présence n'est pas immédiatement possible. Cependant, dans le présent dossier, les entrevues auprès de L. S. et de S. S. étaient terminées et l'équipe du GCG roulait en direction de la scène de crime. Il y avait une occasion pour un ou plusieurs membres du GCG de se présenter sur les lieux.
[276] Les enquêteurs de la Commission ont demandé au sergent Olberg si, selon lui, il aurait été avantageux d'envoyer un membre de son équipe à la scène de crime, ce à quoi il a répondu : [traduction] « Oui. En fait, nous… Depuis… depuis cet événement, nous avons maintenant créé un poste de gestionnaire de scène de crime au sein de notre équipe de coordination des enquêtesNote de bas de page 69 ». Il convient de souligner que, au cours de son entrevue avec les enquêteurs de la Commission, le sergent d'état‑major Rockel a déclaré que la présence du gestionnaire de scène de crime était maintenant obligatoire dans le cadre de tous les appels concernant des homicides.
[277] La Commission a examiné le document sur les rôles et responsabilités associés au poste de gestionnaire de scène de crime de la Division « F » fourni par la GRC et constaté que ce rôle consiste principalement à superviser et à gérer la collecte des éléments de preuve. La Commission s'attendrait à ce que le membre de la GRC sur les lieux puisse également s'assurer que d'autres tâches liées davantage aux enquêtes sont effectuées conformément aux procédures et aux pratiques exemplaires.
[278] Il ne fait aucun doute que la présence d'un membre de l'équipe d'enquête coordonnée (le gestionnaire de scène de crime) sur les lieux au début de toutes les enquêtes sur les homicides sera bénéfique.
Conclusion
- 30) Il était déraisonnable qu'un ou plusieurs membres du Groupe des crimes graves ne se présentent pas plus rapidement sur la scène de crime.
Recommandation
- 12) Que, dans les dossiers futurs, le chef du Groupe des crimes graves veille à ce qu'un membre de son groupe se rende plus rapidement sur la scène de crime.
Collecte et expertise des éléments de preuve matériels
[279] La collecte et l'expertise des éléments de preuve matériels sont des aspects importants d'une enquête sur la scène d'un crime. La réalisation de ces tâches est essentielle au maintien de l'intégrité des éléments de preuve matériels et au résultat final de l'enquête criminelle. Le succès de l'analyse de la preuve médico‑légale repose sur un système qui met l'accent sur le travail d'équipe, les compétences et les outils d'enquête avancés ainsi que la capacité de procéder correctement à l'expertise d'une scène de crime en reconnaissant, en recueillant et en préservant tous les éléments de preuve matériels pertinents. Par conséquent, les membres des équipes de l'identité judiciaire doivent suivre une formation officielle hautement spécialisée avant de pouvoir se rendre sur les lieux d'un crime et témoigner devant les tribunaux.
[280] Dans le cas à l'étude, vers 19 h 15, le 9 août 2016, le gendarme Wudrick du GCG a communiqué avec le caporal Ryttersgaard du SIJ de Yorkton pour demander l'aide du SIJ sur la scène du crimeNote de bas de page 70. Seul membre en disponibilité du SIJ dans le district Sud de la province au moment de l'incident, le caporal Ryttersgaard a tenté de communiquer avec plusieurs membres de la GRC d'autres unités du SIJ pour l'aider. Après avoir reçu un message du caporal Ryttersgaard vers 19 h 35, le gendarme Heroux du SIJ de Saskatoon a confirmé que, même s'il était en congé, il se présenterait lui aussi sur les lieux.
[281] Le gendarme Heroux a commencé sa carrière policière au sein de la GRC en 2003. Au printemps 2014, il a suivi le programme de formation de base sur l'identité judiciaire au Collège canadien de police à Ottawa, où il a aussi entrepris le Programme d'apprentissage en identité judiciaire de 24 mois de la GRC. En janvier 2016, il a obtenu son certificat de technicien de l'identité judiciaireNote de bas de page 71. Il n'avait pas encore été promu au grade de caporal, car il n'avait pas encore terminé les cours plus avancés sur l'identité judiciaire. L'incident dans le présent dossier s'est produit environ sept mois après que le gendarme Heroux a obtenu son certificat de technicien de l'identité judiciaire. Durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission, le gendarme Heroux a dit que, avant cet incident, il était intervenu dans le cadre d'environ 15 homicides, jouant un rôle de premier plan dans environ la moitié des cas.
[282] Quant au caporal Ryttersgaard, il a commencé sa carrière policière au sein de la GRC en 2007. En octobre 2012, il a commencé à travailler pour le SIJ de Yorkton. En 2013‑2014, il a suivi le programme de formation de base sur l'identité judiciaire au Collège canadien de police à Ottawa. Il a ensuite suivi le Programme d'apprentissage en identité judiciaire de la GRC en juin 2015, après quoi il a obtenu son certificat de spécialiste de l'identité judiciaireNote de bas de page 72. L'incident mettant en cause M. Boushie s'est produit environ 14 mois après que le caporal Ryttersgaard a obtenu son certificat de spécialiste de l'identité judiciaire. Le caporal Ryttersgaard a dit avoir œuvré sur plusieurs scènes d'homicide avant l'incident à l'étude. Il avait joué un rôle de premier plan dans certains cas et un rôle de soutien dans d'autres.
[283] Selon la Commission, dans la présente affaire, le gendarme Heroux et le caporal Ryttersgaard étaient adéquatement formés et qualifiés pour s'acquitter des tâches qui leur ont été confiées.
Conclusion
- 31) Dans la présente affaire, le gendarme Heroux et le caporal Ryttersgaard étaient adéquatement formés et qualifiés pour s'acquitter des tâches liées à l'identité judiciaire qui leur ont été confiées.
Disponibilité et présence du Service de l'identité judiciaire
[284] De nombreux types d'éléments de preuve subissent des changements au fil du temps et peuvent être modifiés, contaminés ou complètement perdus s'ils ne sont pas documentés ou préservés en temps opportun. Lorsque les éléments de preuve se trouvent à l'extérieur où ils sont exposés à la nature et aux intempéries, il y a un plus grand danger de dégradation ou de perte. Par conséquent, une intervention rapide des membres du SIJ est importante pour réduire au minimum le risque de dégradation ou de perte d'éléments de preuve.
[285] Dans le présent dossier, au début de l'enquête, le sergent Olberg a eu de la difficulté à trouver les ressources requises du SIJ. Ces circonstances étaient indépendantes de sa volonté, et l'équipe d'enquête coordonnée a dû attendre l'arrivée des membres du SIJNote de bas de page 73. Le sergent Olberg a expliqué que, à l'époque, une seule unité du SIJ dans la province comptait un membre de la GRC en disponibilitéNote de bas de page 74. Par conséquent, à tout moment, le membre du SIJ en disponibilité pouvait être très loin de la scène de crime où il devait se rendre. Il n'était donc pas inhabituel de devoir parfois attendre longtemps avant son arrivée.
[286] Il semble qu'un problème sous‑jacent concernant la rémunération des membres de la GRC a eu une incidence directe sur la capacité du sergent Olberg de trouver certaines ressources au début de l'enquête. La Commission a déjà mentionné un problème de rémunération en ce qui concerne le déposant, le caporal Nordick. Il semble y avoir eu des problèmes similaires au sein du SIJ, comme l'indique l'extrait suivant de l'entrevue du sergent Olberg avec les enquêteurs de la Commission :
[Traduction]
Le déploiement du SIJ a posé des défis importants qui échappaient à mon contrôle. Il y avait, à l'époque… Sur le plan organisationnel, on avait décidé — et je l'ai déjà mentionné — que les membres seraient rémunérés en dehors des heures de travail. Il a été établi qu'un bureau de l'identité judiciaire serait en disponibilité pour toute la province… Et là, pour mettre les choses en contexte, il y a deux bureaux de l'identité judiciaire beaucoup plus près — à Saskatoon et à North Battleford —, mais, à ce moment‑là — et je pense que mes notes le démontreront —, les efforts du caporal Wittersguard [phonétique] de Yorkton pour essayer de joindre quelqu'un qui était situé plus près… Les appels sont restés sans réponse. Si vous me demandez la raison pour laquelle, selon moi, cette situation s'est produite, je pense que c'était probablement en raison d'une grève du zèle.
[287] L'entrevue du caporal Ryttersgaard avec les enquêteurs de la Commission fournit des renseignements supplémentaires sur la situation à l'époque :
[Traduction]
Donc, au moment où cet incident s'est produit, en 2016, le système de disponibilité pour les services judiciaires dans la province… Il y a quelques services de police municipaux, mais, évidemment, ils ne couvrent que le territoire de leur ville. Sinon, la GRC doit couvrir tout le territoire de la province de la Saskatchewan; on parle donc de la frontière nord et de la frontière sud, et du Manitoba à l'Alberta. À l'époque, notre système de disponibilité comptait deux membres. Donc, après les heures de travail — peu importe la journée —, de 19 heures à 5 heures, deux membres étaient en disponibilité : un pour la partie sud — excusez‑moi — et un pour la partie nord de la province. J'étais le membre en disponibilité pour la partie sud le soir des événements, et j'étais donc responsable de la prestation des services de l'identité judiciaire pour les détachements de Yorkton, de Saskatoon, de Regina et de Swift Current, ce qui couvre la province d'est en ouest et jusqu'à la frontière américaine.
[288] À l'époque, le fait qu'il n'y avait pas un membre désigné de la GRC en disponibilité dans chaque unité du SIJ créait des problèmes de disponibilité et faisait en sorte que les délais d'intervention étaient plus longs. La solution de rechange locale selon laquelle le membre en disponibilité du SIJ tentait de communiquer avec un membre local du SIJ dans la région de la scène de crime n'est pas une pratique exemplaire. On ne peut s'attendre à ce que les membres qui ne sont pas en service soient disponibles ou répondent aux appels et on ne peut pas compter sur eux pour le faire. Il n'est pas raisonnable de s'attendre à une intervention rapide du SIJ dans le cadre des enquêtes criminelles en utilisant une telle pratique. La situation peut devenir encore plus difficile lorsqu'une intervention de deux membres est requise, comme dans le cas d'un homicide. La préservation des éléments de preuve est directement liée à une intervention en temps opportun. Si on s'attend à une intervention rapide, il doit y avoir des membres du SIJ en disponibilité dans chaque unité du SIJ.
[289] Cela dit, selon les renseignements obtenus par la Commission, la situation a changé depuis. Comme l'a expliqué le sergent Olberg aux enquêteurs de la Commission, chaque unité du SIJ de la province compte maintenant un membre de la GRC en disponibilité.
[290] Dans le présent dossier, le gendarme Heroux a été appelé vers 19 h 35 le 9 août 2016. Il est arrivé sur la scène de crime à 0 h 36, le 10 août, et a commencé l'expertise des lieux à 1 h 40. Il s'est écoulé six heures entre l'avis initial et l'arrivée du gendarme Heroux sur les lieux. Étant donné que le trajet dure environ une heure entre Saskatoon et Biggar et compte tenu du temps à accorder aux questions de logistique, à la mobilisation et aux séances d'information initiales, il aurait été raisonnable de s'attendre à ce que le gendarme Heroux arrive au détachement de Biggar dans les deux ou trois heures suivant l'avis, et les raisons pour lesquelles il est arrivé plus tard ne sont pas claires.
[291] Le détachement du caporal Ryttersgaard (Yorkton) était situé beaucoup plus loin. Apparemment, son délai d'intervention a été d'environ cinq heures. Il est arrivé au détachement de Biggar à 1 h 45, soit six heures après l'avis initial. Dans les circonstances, il s'agit d'un délai d'intervention raisonnable, compte tenu du temps de déplacement. Il a procédé à l'expertise (photographies et collecte de résidus de tir) de M. Stanley de 2 h 13 à 2 h 32. Les entrées dans le carnet de notes du caporal Ryttersgaard révèlent qu'il est arrivé à la ferme des Stanley à 3 h 45 pour aider le gendarme Heroux à effectuer l'analyse de la scène de crime.
[292] Selon la Commission, l'affectation du gendarme Heroux à titre de membre principal de la GRC du SIJ — le caporal Ryttersgaard jouant un rôle de soutien — était raisonnable vu l'emplacement de leur détachement d'attache. De plus, on s'attendait à ce qu'ils remplissent leurs rôles grâce à la collaboration et au travail d'équipe. Il incombe au membre principal de donner des conseils et de fournir une orientation, au besoin, afin que les membres moins expérimentés acquièrent les connaissances et la confiance nécessaires.
[293] De nombreux services de police ont l'habitude d'envoyer une équipe de deux membres du SIJ sur les lieux d'un incident majeur comme un homicide. Selon la complexité d'une enquête précise et du nombre de scènes à traiter, des ressources supplémentaires peuvent être déployées.
[294] La politique nationale de la GRC concernant les constatations sur les lieux de crime aborde cette questionNote de bas de page 75 :
[L]'expertise du lieu de crime doit être effectuée par au moins deux employés du SIJ, [l'un] devant être qualifié comme spécialiste du SIJ. [Si de telles ressources ne sont pas disponibles, aviser immédiatement le gestionnaire divisionnaire.]
[Non souligné dans l'original.]
[295] Dans la présente affaire, le gendarme Park du détachement de la GRC de Biggar a aidé le gendarme Heroux à réaliser l'expertise de la scène de crime jusqu'à l'arrivée du caporal Ryttersgaard près de trois heures plus tard. Rien dans les documents n'indique que le gendarme Heroux a discuté avec le caporal Ryttersgaard au sujet de l'expertise de la scène de crime avant son arrivée à 3 h 45. Même s'il ne s'agissait pas d'une scène de crime très complexe, à plusieurs égards importants, une expertise par une équipe de deux membres du SIJ aurait été préférable. Le gendarme Heroux avait reçu une formation approfondie sur le travail du SIJ et y avait été exposé. Cependant, il avait acquis la plus grande partie de cette expérience dans le cadre du programme d'apprentissage et il n'avait pas encore terminé les cours de formation plus avancés sur l'identité judiciaire. Le gendarme Heroux a dit ce qui suit aux enquêteurs de la Commission : [traduction] « Avec le recul, il est assurément toujours idéal d'envoyer plus d'un membre de l'identité judiciaire sur place […] ».
[296] Pour ces motifs, la Commission conclut que, dans la présente affaire, il était déraisonnable qu'un seul membre du SIJ — un membre qui ne possédait pas la qualification de spécialiste de l'identité judiciaire — soit présent sur la scène de crime pour en effectuer l'expertise par lui‑même pendant trois heures.
[297] Les conclusions de la Commission dans la présente section concernent des problèmes de ressources constatés à l'époque. Puisque la situation a depuis été réglée, comme l'a expliqué ci‑dessus le sergent Olberg, la Commission estime qu'il n'est pas nécessaire de recommander des mesures correctives à cet égard.
Conclusions
- 32) À l'époque, la pratique qui consistait à ne pas prévoir un membre désigné de la GRC en disponibilité dans chaque unité du Service de l'identité judiciaire était déraisonnable.
- 33) Une solution de rechange locale selon laquelle le membre en disponibilité du Service de l'identité judiciaire tentait de communiquer avec un membre du Service de l'identité judiciaire situé dans le secteur de la scène de crime était déraisonnable.
- 34) Il était déraisonnable qu'un seul membre du Service de l'identité judiciaire — un membre qui ne possède pas la qualification de spécialiste de l'identité judiciaire — soit présent sur la scène du crime pour en effectuer l'expertise par lui‑même pendant trois heures.
Collecte des éléments de preuve
[298] Dans le cadre de son examen des éléments de preuve, la Commission a relevé plusieurs situations où des membres de première ligne de la GRC ont été chargés ou ont pris l'initiative de recueillir divers types d'éléments de preuve, qu'ils soient matériels ou photographiques.
[299] Par exemple, une fois que M. Stanley a été arrêté et amené au détachement de Biggar, le gendarme Boogaard a demandé au sergent Sawrenko qu'un membre du détachement de Biggar effectue un prélèvement de résidus de tir sur M. Stanley. Selon le rapport de police rempli par le gendarme Boogaard, la décision a été prise à 21 h 5, le 9 août 2016, à la suite d'une discussion entre le gendarme Boogaard et le gendarme Heroux. Le gendarme Heroux a indiqué que son arrivée au détachement de Biggar serait retardée et qu'il ne pouvait donc pas procéder au test de détection de résidus de tir sur M. Stanley. À 21 h 53, le gendarme Boogaard a inscrit dans son carnet de notes avoir parlé au gendarme Parmar du détachement de Biggar, qui avait été chargé de soumettre M. Stanley à un test de détection de résidus de tir. Le gendarme Parmar a informé le gendarme Boogaard que le gendarme Heroux lui avait dit [traduction] « de ne pas faire de test de détection de résidus de tir en raison d'une possible contamination croisée ». Au bout du compte, le caporal Ryttersgaard du SIJ de Yorkton a soumis M. Stanley à un test de détection de résidus de tir.
[300] Un autre membre de première ligne de la GRC, le gendarme Doucette, a pris des photos d'empreintes de chaussure et de traces de pneu laissées par le Ford Escape sur la route de gravier. Même si on s'attend à ce que tout agent de police qui prend une photo — pour quelque raison que ce soit — la note ou l'inscrive au dossier, c'est une directive qui peut facilement être oubliée ou négligée, ce qui ressort clairement des réponses du gendarme Doucette lorsqu'il a été interrogé par les enquêteurs de la Commission :
[Traduction]
CCETP : Dans cette affaire, de quelle façon transmettez‑vous les photos à l'équipe des crimes graves?GEND. C. DOUCETTE : Eh bien, c'est difficile de s'en souvenir maintenant. Je pense que je… Habituellement, je les aurais gravées sur un disque, et quelqu'un les aurait probablement données au caporal Olney ou à un plus haut gradé qui serait [inaudible] aux Crimes graves plus tard.
CCETP : D'accord.
GEND. C. DOUCETTE : Je ne me souviens pas de ce que j'ai fait dans le cadre de cet incident précis et… Mais, de toute façon, ce qui est sûr, c'est que je les ai transmises.
[301] Selon la Commission, le gendarme Doucette était bien intentionné et légitimement préoccupé par la possibilité que les traces de pneu soient perturbées par la circulation subséquente des véhicules ou par la pluie imminente. Même s'il était raisonnable qu'il prenne des photographies afin de préserver des éléments de preuve périssables, de telles préoccupations auraient également dû être communiquées au superviseur de la scène de crime et au GCG. Entre‑temps, il faut prendre des mesures pour protéger les éléments de preuve sur toute la scène de crime. Le gendarme Doucette a reconnu que, puisque le GCG participait à l'opération, il savait que le SIJ se présenterait sur les lieux.
[302] Comme il a été mentionné précédemment, plus tard dans la soirée du 9 août, dans le cadre de l'intervention en réaction à l'appel initial concernant la propriété des Stanley, les gendarmes Park et Wright se sont vu demander de répondre à un appel au sujet d'un incident survenu dans une propriété agricole voisine située à environ 15 kilomètres de la propriété des Stanley. Les gendarmes Park et Wright sont arrivés sur la propriété agricole à 20 h 56. Le propriétaire, M. F., est allé à leur rencontre et leur a montré une hutte quonset où se trouvait un camion rouge dont les fenêtres étaient égratignées et ce qui semblait être la crosse d'une arme à feu sur le sol près de la porte du conducteur. Le gendarme Park a pris des photos de la scène et a pris possession de la pièce de fusil, tandis que le gendarme Wright a pris une déclaration de M. F. et de son épouse, G. F. On soupçonnait que l'incident en question s'était produit avant l'incident à la propriété des Stanley et qu'il y avait peut‑être un lien entre les deux incidents en raison de la pièce de fusil trouvéeNote de bas de page 76 et de la description du véhicule signalée sur la propriété.
[303] Il ne semble pas y avoir eu de discussion entre ces deux membres de la GRC et leur superviseur ou le GCG quant à savoir si la scène devrait être protégée en vue de son expertise par le SIJ et possiblement traitée comme une deuxième scène de crime. Mis à part la saisie de la pièce de fusil, rien n'indique qu'il y a eu une fouille exhaustive de la propriété pour trouver d'autres articles jetés ou d'autres éléments de preuve. Le GCG et le SIJ se sont seulement rendus sur les lieux deux jours plus tard, soit le 11 août, date à laquelle diverses photographies ont été prises. Les entrées dans le carnet de notes des gendarmes Park et Wright sont très brèves et ne contiennent pas suffisamment de renseignements sur les mesures qu'ils ont prises dans cette autre scène. Au procès de M. Stanley, le gendarme Park a été questionné au sujet de photographies prises sur la propriété de M. F. et G. F.Note de bas de page 77. Il ne savait pas avec certitude si c'était lui ou quelqu'un d'autre qui avait pris certaines des photographies inscrites comme pièces à conviction au procès. Des entrées appropriées et complètes dans son carnet de notes l'auraient probablement aidé à s'en souvenirNote de bas de page 78.
[304] Lorsque les enquêteurs de la Commission lui ont demandé de quelle façon cette autre scène avait été traitée relativement à l'homicide, le sergent Olberg a répondu ce qui suit :
[Traduction]
Eh bien, cet endroit n'avait rien à voir avec l'homicide, non? Vous savez, c'est… Je suppose qu'il y a là des éléments de preuve similaires concernant un crime contre les biens, mais tout ça n'avait, à proprement parler, aucune incidence sur la scène de l'homicide.
[305] La Commission n'est pas en désaccord avec le sergent Olberg sur le fait que ce qui s'est produit sur cette autre scène semblait essentiellement être un crime contre les biens. Cependant, on ne peut pas toujours savoir à quel point un article ou un autre emplacement est pertinent ou important avant que l'enquête progresse.
[306] La Commission reconnaît que, dans ce dossier précis, les questions susmentionnées n'ont pas eu d'incidence sur l'enquête dans son ensemble. Cependant, toute incidence potentielle aurait été inconnue à ce moment‑là. Ces questions sont soulevées parce que, selon la Commission, certaines situations témoignent de l'initiative prise par des membres de première ligne de la GRC pour préserver les éléments de preuve en les recueillant ou en les protégeant. Comme dans le cas de la préservation des éléments de preuve liés au Ford Escape dont il a été question ci‑dessus, il faut encourager de tels efforts de bonne foi. Cependant, la pratique exemplaire en matière de traitement de tels éléments de preuve dans une affaire majeure reste qu'un tel travail doit être fait par ceux qui ont reçu une formation spécialisée, et, plus précisément, les membres du SIJ. Lorsque les membres du SIJ sont en retard ou que les éléments de preuve risquent d'être perdus, les membres de première ligne doivent porter leurs mesures à l'attention du superviseur de la scène et s'efforcer de communiquer avec le SIJ par téléphone afin d'obtenir des directives. Dans tous les cas, il faut prendre des notes exactes et complètes en plus de suivre les procédures en matière de documentation et de transfert des éléments de preuve.
[307] À la lumière de ce qui précède, la Commission recommande que les gendarmes Doucette et Park passent en revue la politique MO 25.2 (Notes de l'enquêteur).
Conclusions
- 35) Les gendarmes Doucette et Park ont agi de façon raisonnable afin de recueillir et de préserver des éléments de preuve qui risquaient d'être perdus.
- 36) Les gendarmes Doucette et Park n'ont pas documenté adéquatement le traitement et le transfert des éléments de preuve qu'ils ont recueillis.
Recommandation
- 13) Que l'on demande aux gendarmes Doucette et Park de passer en revue la politique MO 25.2. (Notes de l'enquêteur).
Expertise du Ford Escape et analyse des taches de sang
[308] Au cours de son premier examen de la scène de crime, le gendarme Heroux a pris des photographies générales du Ford Escape. À ce moment‑là, il n'a pas pris de notes détaillées ni des photographies de nature médico‑légale des taches de sang. Le véhicule a été exposé à des intempéries pendant plus de deux jours et, par conséquent, les éléments de preuve ont été altérés, et les taches de sang dans le véhicule ont disparu. Comme cela a été mentionné précédemment, le gendarme Heroux a signalé que, selon Environnement Canada, plus de 44 millimètres de pluie sont tombés du 8 au 11 août 2016. En raison de la perte de la morphologie des taches de sang et du fait que seules des photographies générales étaient accessibles, une analyse plus détaillée des taches de sang n'a pas été possible.
[309] Le gendarme Heroux a seulement communiqué avec un analyste de la morphologie des taches de sang environ trois jours après la fusillade. Selon les entrées dans son carnet de notes, le 12 août 2016, à 14 h, il a parlé à la sergente Jennifer Barnes, analyste de la morphologie des taches de sang de la GRC des Services nationaux de laboratoire judiciaire, à Edmonton. Durant la conversation en question, ils ont discuté des taches de sang que le gendarme Heroux avait observées sur place ainsi que des déclarations de témoins concernant l'incident. La sergente Barnes a également examiné les photographies que le gendarme Heroux lui avait envoyées. Il a été décidé qu'elle ne se présenterait pas sur les lieux pour effectuer un autre examen du véhicule.
[310] L'analyse de la morphologie des taches de sang du Ford Escape a été effectuée à partir de photographies et de notes prises par le gendarme Heroux sur la scène de crime. L'analyse est limitée lorsqu'on travaille à partir de photographies, car l'analyste ne peut parler que de ce qui a été documenté. Si l'analyste ne se rend pas sur place pour examiner les surfaces à la recherche de traces de taches de sang, il est possible qu'on passe à côté de tels éléments de preuve. En fait, la sergente Barnes a formulé la remarque suivante dans son rapportNote de bas de page 79 :
[Traduction]
L'analyse de la morphologie des taches de sang à partir de photographies oblige l'analyste à formuler des hypothèses, notamment que les taches observées sont du sang, que les photographies contiennent toutes les taches, que l'orientation des objets entre eux est correcte et que l'information fournie est exacte. Les opinions exprimées doivent être pondérées en raison des limites associées à ce type d'analyse.
[311] Il est important de discuter rapidement avec un analyste de la morphologie des taches de sang pendant que le membre du SIJ qui répond à l'appel est sur place ou à un moment donné durant l'expertise initiale de la scène. L'analyste peut discuter de la scène avec le membre du SIJ et des endroits où des taches de sang pourraient se trouver. Il faut prendre la décision concernant la présence de l'analyste au terme d'une discussion avec le membre du SIJ qui est sur place.
[312] Un certain nombre de politiques de la GRC décrivent les procédures et les protocoles que les membres du SIJ doivent suivre dans le cadre d'enquêtes sur des crimes graves où il y a effusion de sang. Plus particulièrement, la politique de la GRC énoncée dans le MSIIJ, au chapitre 2.4 (Constatations sur les lieux de crime)Note de bas de page 80, prévoit ce qui suit :
5.3 Pour un lieu de crime de sang, les employés du SIJ doivent :
5.3.1 effectuer une évaluation visuelle des taches de sang;
5.3.2 évaluer leur valeur probante;
5.3.3 envisager de communiquer avec l'analyste de la morphologie des taches de sang pour discuter du lieu de crime et déterminer si sa présence sur les lieux est requise.
[313] La Commission reconnaît que ce ne sont pas toutes les scènes de crime où il y a eu effusion de sang qui exigent la présence d'un analyste de la morphologie des taches de sang et que la police dispose d'un certain pouvoir discrétionnaire dans de tels cas. Toutefois, à la lumière des renseignements dont dispose la Commission, au moment de l'incident, le gendarme Heroux avait seulement suivi le cours de base sur l'identité judiciaire au Collège canadien de police à Ottawa. Il n'avait pas encore terminé le cours élémentaire sur la reconnaissance morphologique des taches de sang de 40 heures qui lui aurait permis de mieux comprendre les éléments de preuve sous forme de taches de sang sur une scène de crime. Vu son manque de formation officielle supplémentaire, le gendarme Heroux aurait dû communiquer avec un analyste pendant qu'il était sur place pour obtenir des conseils et de l'aide, comme le suggère la politique susmentionnée. Ce faisant, il aurait peut‑être eu l'occasion d'examiner le véhicule de plus près pour y déceler de plus petites éclaboussures de sang. De plus, cela aurait peut‑être aidé à mieux consigner et préserver les éléments de preuve sous forme de taches de sang. Une analyse plus poussée n'aurait peut‑être pas influé sur l'enquête, mais la Commission conclut tout de même que, dans les circonstances, la décision du gendarme Heroux de communiquer avec un analyste de la morphologie des taches de sang trois jours après l'incident ne constituait pas un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire.
[314] Cela dit, la Commission comprend que le gendarme Heroux a depuis suivi le cours élémentaire sur la reconnaissance morphologique des taches de sang de 40 heures et qu'il a donc reçu une formation plus poussée sur les éléments de preuve sous forme de taches de sang sur les scènes de crime.
[315] La Commission recommande qu'on demande au gendarme Heroux de passer en revue le présent rapport avec un membre principal du SIJ et de discuter de l'importance de la participation d'un analyste de la morphologie des taches de sang sur les scènes de crime où il y a eu effusion de sang.
Conclusion
- 37) La décision du gendarme Heroux de communiquer avec un analyste de la morphologie des taches de sang trois jours après l'incident était déraisonnable.
Recommandation
- 14) Qu'on demande au gendarme Heroux de passer en revue le présent rapport avec un membre principal du Service de l'identité judiciaire et de discuter de l'importance de la participation d'un analyste de la morphologie des taches de sang sur les scènes de crime où il y a eu effusion de sang.
Gestion des cas graves et groupe des crimes graves
[316] Les crimes graves comprennent les incidents de violence et de mort les plus graves sur lesquels la police enquête. De tels incidents ont des effets dévastateurs sur les victimes, les familles et les collectivités.
[317] La complexité et la durée des enquêtes sur les crimes graves peuvent varier considérablement. Du point de vue de la gestion des cas graves, l'enquête sur le décès de M. Boushie n'était pas très complexeNote de bas de page 81. L'incident faisait intervenir un seul endroit, et seulement huit personnes ont été directement impliquées, dont M. Stanley, qui a été arrêté sur les lieux, ainsi que son épouse, L. S., et leur fils, S. S., ces deux derniers ayant fait des déclarations de témoins peu de temps après l'incident avant d'être libérés. M. Stanley a été accusé de meurtre au deuxième degré le lendemain et a été détenu en attendant une enquête sur le cautionnement. Quatre des cinq occupants du véhicule ont été immédiatement retrouvés, y compris le défunt, M. Boushie. La cinquième personne, C. C., qui avait fui les lieux et qui n'a pas été retrouvée le soir de l'incident, s'est rendue volontairement au détachement de la GRC le lendemain et a fourni une déclaration de témoin. Trois des occupants du véhicule, B. J., K. W. et E. M., ont été arrêtés à proximité de la ferme des Stanley peu après l'incident et ont fait des déclarations de témoins le lendemain.
[318] La scène de crime a été immédiatement contrôlée par les premiers policiers à intervenir et elle a par la suite fait l'objet d'une expertise par le SIJ, avec le soutien de membres de la GRC, après l'obtention d'un mandat de perquisition en vertu du Code criminel.
[319] Essentiellement, trois jours après l'incident, les principaux éléments de l'enquête étaient établis. Bon nombre des ressources supplémentaires — plus particulièrement les enquêteurs du GCG et de la Section des enquêtes générales (SEG), ainsi que les membres du SIJ et les membres des services généraux — ont alors pu reprendre leurs fonctions normales.
[320] Malgré ce qui précède, la Commission reconnaît que, même les cas plus limités peuvent comporter divers obstacles et défis — internes et externes —, comme l'attention des médias et les répercussions politiques et/ou raciales. L'équipe d'enquête doit faire preuve de perspicacité quant à l'existence ou à la probabilité de telles circonstances et être prête à y faire face afin qu'elles n'influent pas sur l'enquête et qu'elles n'y nuisent pas.
Respect des principes de la gestion des cas graves
[321] Toutes les enquêtes sur les crimes graves menées par la GRC sont régies par les principes de la gestion des cas graves. Peu importe la division ou le détachement, un GCG de la division gère toutes les enquêtes sur les homicides. En Saskatchewan (la Division « F »), les GCG sont situés à Regina et à Saskatoon et leurs secteurs de responsabilité sont Regina (district Sud) et Saskatoon (district Nord).
[322] La politique de la GRC MO 25.3. (Gestion des cas graves)Note de bas de page 82 a été élaborée en 2004. Elle définit les cas graves comme les cas ou les enquêtes de nature sérieuse qui, en raison de leur complexité et de leur risque, nécessitent l'application des principes de la gestion des cas graves. Le modèle assure la reddition des comptes, l'établissement de buts et d'objectifs clairs, la planification, l'affectation des ressources et le contrôle de l'orientation, du rythme et du déroulement de l'enquête.
[323] La politique sur la gestion des cas graves met l'accent sur l'importance de la prise de décisions, du traitement des renseignements, de la production de rapports périodiques et de l'utilisation d'un système de gestion des bases de données électroniques. La politique prévoit également que les cas graves sont gérés par un triangle de commandement. Les rôles au sein du triangle de commandement incluent un chef d'équipe, un enquêteur principal et un coordonnateur des dossiers. Le reste de l'équipe d'enquête se compose d'enquêteurs, de personnel de soutien et d'autres employés.
[324] Le premier point à évaluer dans le présent dossier est la question de savoir si les principes et les pratiques de la gestion des cas graves ont été appliqués et pris en considération tout au long de l'enquête. La méthode de la gestion des cas graves de la GRC mise sur neuf principes essentielsNote de bas de page 83 :
- le triangle de commandement;
- les questions liées à la gestion;
- les stratégies de résolution de crimes;
- le leadership et la constitution d'une équipe;
- les considérations juridiques;
- les considérations d'ordre éthique;
- la responsabilité;
- la communication;
- les partenariats.
[325] Il ressort clairement de l'examen des documents que les membres du GCG — et plus particulièrement les membres du triangle de commandement — étaient conscients de leurs rôles et responsabilités en ce qui a trait à la méthode de la gestion des cas graves. L'application de la méthode et des pratiques liées à la gestion des cas graves par le GCG et la prise en compte des neuf principes essentiels étaient conformes à la politique nationale de la GRC sur la gestion des cas graves.
[326] L'incident a été signalé au GCG Nord de Saskatoon en temps opportun. Une équipe d'enquête coordonnée a été formée immédiatement. Un triangle de commandement a été établi, et les postes de chef d'équipe, d'enquêteur principal et de coordonnateur des dossiers ont été attribués. Un membre civil a également été affecté à titre de responsable du traitement de l'information pour veiller à ce que tous les renseignements liés à l'enquête soient correctement entrés dans le système électronique de gestion des cas. Plusieurs membres du GCG Nord de Saskatoon ont également été appelés à titre d'enquêteurs sur le terrain et afin de mener des entrevues. Les unités de soutien aux enquêtes, comme le SIJ et la SEG, ont été mises à contribution dès le début. Même s'il y a eu certaines questions litigieuses concernant les communiqués de presse, le chef d'équipe a communiqué avec l'agent des relations avec les médias pour produire les communiqués. De plus, le chef d'équipe faisait régulièrement rapport, oralement ou par écrit, à la chaîne de commandement sur le processus et l'état d'avancement du dossier.
[327] La politique de la GRC sur la gestion des cas graves prévoit en outre qu'on doit assurer un débreffage à l'issue de toute enquête sur un cas grave ou si le chef d'équipe le juge approprié, afin de déterminer les pratiques exemplaires et les leçons apprisesNote de bas de page 84.
[328] Dans la présente affaire, le chef de service, le sergent Sawrenko, et le chef d'équipe, le sergent Olberg, ont tous deux reconnu que cela avait été fait, et plusieurs mesures ont été prises en conséquence. Ces mesures, qui sont analysées plus en détail dans d'autres sections du présent rapport, comprennent la mise en place d'un poste de gestionnaire de scène de crime — dont la présence est obligatoirement requise dans le cadre de tous les appels liés à des homicides —, l'augmentation des effectifs du GCG Nord de Saskatoon de 8 à 13 membres, et des améliorations apportées au chapitre de la rémunération des membres afin de faciliter leur intervention et leur déploiement.
[329] En outre, en plus des postes du triangle de commandement, il est maintenant obligatoire, dès l'appel initial, d'affecter des membres aux postes de gestionnaire de scène de crime et de déposant.
[330] Dans le cadre de son enquête, la Commission a examiné les enjeux soulevés au cours de l'enquête, leur gestion à ce moment‑là et les répercussions négatives sur certains principes de la gestion des cas graves découlant du non‑respect des pratiques exemplaires. Cela dit, la Commission reconnaît que les discussions et la collaboration en équipe ont eu lieu lorsque des considérations juridiques ou des mesures d'enquête étaient en cause. De plus, les membres du GCG ont correctement consigné leur justification et leur participation dans leurs notes et leurs rapports. La Commission n'approuve pas nécessairement toutes les décisions qui ont été prises, mais elle reconnaît le pouvoir discrétionnaire dont disposent les membres dans de telles situations.
Conclusion
- 38) L'équipe du Groupe des crimes graves a appliqué la méthode de la gestion des cas graves et ses neuf principes essentiels, conformément à la politique nationale MO 25.3. (Gestion des cas graves) de la GRC.
[331] La Commission souligne que, en juin 2018, la GRC a présenté des éléments de preuve dans le cadre de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (Enquête nationale sur les FFADA) au sujet de la gestion des cas graves et des pratiques exemplaires connexes.
[332] Durant son témoignage dans le cadre de l'Enquête nationale sur les FFADA le 28 juin 2018, l'ancienne sous‑commissaire de la GRC, Brenda Butterworth‑Carr, commandante de la Division « E » à l'époque, a donné un aperçu de la politique et des principes de la gestion des cas graves de la GRC. Elle a aussi parlé du Bureau des normes et pratiques d'enquête de la Division « E », qui est considéré comme une pratique exemplaireNote de bas de page 85.
[333] L'aperçu du témoignage de la sous‑commissaire Butterworth‑Carr à ce sujet fournit certains renseignementsNote de bas de page 86 :
[Traduction]
Le succès du Bureau des normes et pratiques d'enquête de la Division « E » a mené à la création d'une nouvelle unité au sein de la Direction générale de la GRC. Le Bureau national des normes et pratiques d'enquête (BNNPE)Note de bas de page 87 est situé à Ottawa, sous l'égide des Services de police contractuels et autochtones. Le BNNPE en est encore à ses balbutiements. Une fois doté d'un effectif complet, il constituera un centre d'expertise et de surveillance de la GRC pour les enquêtes très médiatisées et les enquêtes sur les cas majeurs dans le but d'accroître les probabilités de succès des enquêtes et des poursuites criminelles. Il assurera, à l'échelle nationale, la surveillance, la gouvernance et la coordination des enquêtes à risque élevé et veillera à ce que les principes de la gestion des cas graves soient appliqués à ces enquêtes.Pendant que les dossiers font toujours l'objet d'une enquête, le BNNPE fournira des recommandations et donnera des conseils aux équipes d'enquête des divisions. Il aidera à assurer l'uniformité à l'échelle du pays, et ce, peu importe l'emplacement géographique ou la capacité interne du détachement ou de l'unité responsable de l'enquête.
On s'attend à ce qu'une importante partie du travail de soutien aux enquêtes effectué par le BNNPE — environ 40 % — soit axée sur les cas de victimes autochtones et vulnérables d'actes criminels sur le territoire de compétence de la GRC.
[Souligné dans l'original.]
Groupe des crimes graves‑Nord de la Division « F » de Saskatoon
[334] Il y a un certain nombre de défis importants en matière de dotation liés à la gestion des cas majeurs, dont le plus important est la disponibilité de ressources d'enquête adéquates.
[335] Dans la présente affaire, le chef d'équipe, le sergent Olberg, n'avait pas beaucoup d'options. Il ne pouvait pas choisir des employés précis et les affecter à des rôles précis parce que, essentiellement, il devait faire appel à toute l'unité. Néanmoins, il croyait avoir suffisamment de ressources pour mener l'enquête. L'extrait suivant de son entrevue avec les enquêteurs de la Commission donne un aperçu des problèmes de dotation à l'époque :
[Traduction]
CCETP : Pour revenir au Groupe des crimes graves, vous avez mentionné qu'il y a deux secteurs de compétence, le secteur Sud et le secteur Nord. C'est bien ça?SERG. B. OLBERG : Oui.
CCETP : Et vous faisiez partie du secteur Nord…
SERG. B. OLBERG : C'est exact.
CCETP : …qui est situé à Saskatoon?
Vous avez mentionné des problèmes de dotation.
Que sont… Si vous le savez de mémoire, quels devraient être les chiffres exactement et quels étaient les chiffres à l'époque?SERG. B. OLBERG : Eh bien, je peux dire que, aujourd'hui, nous sommes beaucoup plus près du chiffre idéal.
Donc, en 2012, quand je suis arrivé au sein du groupe, il y avait… Je vais formuler des commentaires généraux sur l'équipe du secteur Sud, parce que, évidemment, je crois le savoir, mais je ne suis pas sûr.
Mais nous sommes huit dans l'unité Nord. Comme je l'ai expliqué, il y a un sergent d'état‑major, un sergent et trois équipes de caporaux et de gendarmes.
J'ai constaté dès mon arrivée notre surutilisation. En 2012, j'ai rédigé une analyse de rentabilisation qui soulignait le besoin d'avoir plus de ressources.
Vous savez, il y a des défis financiers et des réalités financières qui ne soutiennent souvent pas… Ils ne correspondent pas souvent aux besoins, et ils avaient été cernés pour une organisation.
C'est une mesure que j'avais prise.
Et avec… De façon générale, je pense que, en raison du nombre record de cas que nous avons eu en 2015‑2016, nous sommes maintenant… Je pense que le bureau Nord compte 13 personnes.
Donc, vous savez, selon moi, on pourrait encore dire que, parfois, il n'y en a peut‑être pas assez, tandis qu'il y en a assez à d'autres moments, mais c'est un grand pas en avant pour ce qui est de reconnaître le niveau d'attente à l'égard des équipes et la gravité des enquêtes.CCETP : Vous avez également parlé des employés que vous aviez à votre disposition, des efforts déployés pour vous assurer qu'ils ont les outils nécessaires pour faire partie du Groupe des crimes graves. Selon vous, au moment de l'incident en question, aviez‑vous une équipe tout à fait qualifiée à votre disposition?
SERG. B. OLBERG : J'avais autant d'employés que d'habitude. Et ce sont des personnes extrêmement professionnelles et dévouées. Nous faisons bien notre travail. Nous avons du succès. Nous avons… Vers cette époque, nous avions un bon taux de résolution, et ce, malgré des enquêtes très difficiles dans des régions éloignées faisant intervenir des témoins peu fiables. Ouais, je crois que je comptais sur une bonne équipe et que nous avions les outils nécessaires pour gérer ce dossier.
[336] Le coordonnateur des dossiers, le gendarme Wudrick, a exprimé des points de vue similaires durant son entrevue avec les enquêteurs de la Commission. Lorsqu'on lui a demandé s'il estimait avoir toutes les ressources nécessaires, il a répondu : [traduction] « Ouais. Je ne pensais pas que nous manquions de ressources ».
[337] Le déposant, le caporal Nordick, a également été questionné par les enquêteurs de la Commission sur la situation des ressources. Il a dit qu'il croyait vraiment qu'ils avaient les ressources nécessaires pour mener une enquête adéquate sur ce crime.
[338] Plus tard durant son entrevue, le caporal Nordick s'est vu demander de parler de ce qu'il pensait être certaines des leçons apprises ou des choses qui ont été particulièrement bien faites dans le cadre de l'enquête. Dans sa réponse, il a de nouveau fait allusion à la question des ressources :
[Traduction]
[…] Vous savez, nous avons… Nous ne sommes, si je ne m'abuse et si mes chiffres sont exacts, que 13 au sein de l'unité. Faites les calculs. Si nous nous retrouvons avec un dossier qui exige neuf personnes — si ce n'est plus —, alors, si un autre dossier se présente — ce qui se produit régulièrement —, nous travaillons sur un dossier et nous devons ensuite nous redéployer vers un autre, alors, évidemment, l'équipe est fractionnée, et les chiffres sont… Vu la charge de travail, bien sûr, on ferait du meilleur travail avec un plus grand nombre de personnes — c'est évident —, surtout à notre époque où les enquêtes deviennent de plus en plus complexes et où il y a de plus en plus d'obstacles à surmonter dans le cadre de ces types de dossiers. Ces enquêtes exigent beaucoup plus de travail, et il faut beaucoup plus de temps pour obtenir les éléments de preuve requis pour porter des accusations et intenter des poursuites fructueuses, et, malheureusement, le nombre d'appels de service ne diminue pas non plus.
[339] À la lumière de ce qui précède et compte tenu du niveau de complexité de l'affaire et du fait que le sergent Olberg a pu faire appel à d'autres sections pour obtenir des ressources supplémentaires, la Commission conclut que l'équipe d'enquête comptait suffisamment de membres pour mener l'enquêteNote de bas de page 88.
[340] Cela dit, la Commission fait remarquer que le sergent Olberg a formulé des commentaires sur leur importante charge de travail à l'époque et sur la difficulté de gérer à la fois une lourde charge de travail et les autres tâches qui leur étaient assignées.
[Traduction]
CCETP : Comme on l'a dit plus tôt, pour ce qui est de la charge de travail, si vous vous souvenez bien, elle était…SERG. B. OLBERG : Exceptionnellement élevée.
CCETP : Exceptionnellement? Une charge de travail élevée?
SERG. B. OLBERG : Oui.
CCETP : D'accord.
SERG. B. OLBERG : Je pense qu'elle équivalait à trois fois la moyenne nationale pour ce qui est du chef d'équipe.
CCETP : Vous parlez par habitant?
SERG. B. OLBERG : Ouais, c'est exact.
CCETP : D'accord.
SERG. B. OLBERG : Ouais.
CCETP : Et au moment de l'incident, c'était le cas?
SERG. B. OLBERG : Ouais. En 2015‑2016, on se serait trouvé au beau milieu de la période.
Comme je l'ai dit… Mais permettez‑moi de préciser que cela n'a pas eu d'incidence sur notre déploiement initial. À ce que je vois, cela n'a pas eu d'incidence sur l'enquête. Je veux dire, c'était une des choses à prendre en considération. On établit nos tâches et nos responsabilités en fonction des priorités, et je crois que c'est ce que nous avons fait.
Je ne peux donc pas dire que la situation a eu une incidence sur notre enquête. Aurait‑il été utile de compter sur plus de personnes? Bien sûr que oui. Mais nous ne les avions pas, n'est‑ce pas?CCETP : À titre de précision, tous les membres de votre équipe ont‑ils été affectés à cette enquête?
SERG. B. OLBERG : Oui. Et plus. J'ai également fait appel à des membres du bureau des services judiciaires de North Battleford.
[341] Le sergent Olberg et d'autres membres du GCG Nord de Saskatoon de la Division « F » ont mentionné dans leurs entrevues avec les enquêteurs de la Commission que le groupe avait depuis augmenté son effectif de 8 à 13 membres. Même si la situation s'est améliorée, on ne sait toujours pas si cette augmentation est suffisante. Toute lacune liée aux capacités et aux compétences peut être cernée grâce à une évaluation du nombre de membres et de la portée des affaires gérées par ce groupe au cours des cinq dernières années.
Conclusion
- 39) L'équipe d'enquête disposait de suffisamment de membres pour mener l'enquête sur le décès de M. Boushie, et ce, en dépit de la charge de travail importante mentionnée et des autres fonctions.
Formation et expérience de l'équipe d'enquête
[342] La méthode de la gestion des cas graves exige que les enquêtes sur les cas graves soient menées par des personnes possédant une formation adéquate et des compétences appropriées. Il est important de veiller à ce que toutes les enquêtes soient menées correctement — tant du point de vue des procédures que des politiques — et conformément aux exigences législatives, afin de s'assurer que la preuve résistera à l'examen judiciaire.
[343] Dans le cadre de son examen de la formation et de l'expérience des membres de l'équipe d'enquête, la Commission s'est concentrée principalement sur les membres de la GRC affectés aux trois postes du triangle de commandement, soit le chef d'équipe, le sergent Olberg, l'enquêteur principal, le gendarme Boogaard et le coordonnateur des dossiers, le gendarme Wudrick. Elle s'est également penchée sur le cas des autres membres du GCG Nord qui ont été affectés à l'enquête, soit les caporaux Nordick et Fee et les gendarmes Gullacher et Teniuk.
[344] Les principales considérations de la Commission comprenaient ce qui suitNote de bas de page 89 :
- les antécédents en matière d'enquête, y compris les cas graves;
- l'expérience préalable à un poste du triangle de commandement;
- la formation requise, y compris les techniques d'enquête sur les cas graves et la gestion des cas graves;
- les autres formations et compétences pertinentes et spécialisées (p. ex. entrevue et déposant).
[345] Les enquêtes sur les cas graves misent beaucoup sur le travail d'équipe et la collaboration. Outre les responsabilités d'enquête, il incombe aux membres principaux de l'équipe de donner des conseils et de fournir une orientation aux nouveaux membres, au besoin, afin qu'ils acquièrent les connaissances et la confiance nécessaires pour assumer des rôles assortis de plus en plus de responsabilités.
[346] La Commission comprend que, en soi, le grade d'un membre de la GRC n'entre pas en ligne de compte au moment d'évaluer ses qualifications pour les enquêtes sur les cas graves. La formation et l'expérience d'un gendarme ou d'un caporal peuvent être de loin supérieures à celles d'un sergent, qui n'a peut‑être été affecté à l'unité que récemment ou qui a tout simplement moins d'expérience dans le cadre de telles enquêtesNote de bas de page 90.
[347] Par conséquent, la Commission conclut que les membres de l'équipe d'enquête coordonnée, y compris les membres du triangle de commandement, possédaient la formation et l'expérience nécessaires pour s'acquitter avec compétence des rôles et des responsabilités qui leur ont été attribués dans le cadre de l'enquête.
Conclusion
- 40) Les membres de l'équipe d'enquête coordonnée, y compris les membres du triangle de commandement, possédaient la formation et l'expérience nécessaires pour s'acquitter avec compétence des rôles et des responsabilités qui leur ont été attribués dans le cadre de l'enquête.
Communications
[348] Le maintien d'une communication efficace est l'un des éléments clés de la gestion réussie des cas gravesNote de bas de page 91. Cela inclut les communications internes et externes, y compris les interactions et les communications avec les familles des victimes, les médias, le publicNote de bas de page 92, les représentants élus et d'autres intervenants.
Communications avec la famille/liaison avec les victimes
[349] Les politiques pertinentes de la GRC témoignent de l'importance d'une communication efficace avec les familles dans le contexte des enquêtes sur les cas graves.
[350] Le premier contact entre la police et la famille peut donner le ton à une relation importante qui se poursuivra jusqu'à la fin des procédures judiciaires et peut‑être même par la suite.
[351] Dans la présente affaire, le premier contact entre la police et la famille de la victime a eu lieu dans la nuit du 9 août 2016, lorsque la police a informé Mme Baptiste du décès de son fils.
[352] Plusieurs problèmes ont été soulevés relativement à ce premier contact. La Commission a examiné en profondeur ces questions dans son rapport intérimaire sur la plainte du public déposée par Alvin Baptiste. Même si les questions abordées dans le rapport intérimaire de la Commission ne seront pas traitées ici, il convient de lire le rapport intérimaire conjointement à ce qui suit, car il y est question de la façon dont on a établi la communication initiale avec la famille.
[353] Malheureusement, la façon dont la notification du plus proche parent s'est déroulée a donné le ton à certaines des communications subséquentes entre la GRC et la famille.
[354] Les premières communications ont également été minées par le fait que des membres de la GRC se sont rendus au salon funéraire où avait lieu la veillée de M. Boushie pour fournir de l'information à Mme Baptiste sur le déroulement de l'enquête.
[355] La présence des membres de la GRC au salon funéraire a été mal vue par la famille et a contrarié davantage Mme Baptiste durant une période de grande vulnérabilité émotionnelle. Mme Baptiste venait d'assister à l'ouverture du cercueil et avait ressenti le besoin d'aller prendre l'air. En sortant du salon funéraire, elle a vu deux membres de la GRC, dont l'un s'est dirigé vers elle. Selon Mme Baptiste, les policiers ont dit qu'ils devaient lui parler, et elle a demandé pourquoi. Le gendarme Teniuk a dit qu'ils voulaient [traduction] « en quelque sorte faire le point sur la situation ». Le gendarme Boogaard a mentionné la conversation sur le mécontentement de Mme Baptiste à l'égard du communiqué de presse de la GRC et de la façon dont son fils avait été dépeint. Mme Baptiste a aussi dit que la police aurait dû en faire plus en ce qui concerne les Stanley. Elle a déclaré que la conversation a pris fin lorsqu'elle a dit qu'elle allait chercher d'autres personnes qui se trouvaient dans la salle.
[356] Durant les entrevues, les membres de la famille ont mentionné que la présence de la police aux funérailles a empiété sur leur deuil et a accentué l'expérience négative qu'ils avaient déjà vécue avec la police au moment de la notification du plus proche parent.
[357] Les arrangements funéraires étaient déjà difficiles pour la famille en raison des circonstances entourant l'enquête criminelle, qui les avaient empêchés d'avoir accès au corps du défunt. Cette situation les a empêchés de respecter le protocole mortuaire de leur culture, un processus qui dure quatre jours, chaque jour ayant sa propre signification et importance.
[358] Le motif des membres — faire le point avec la famille — n'a pas nuancé le contexte de leur présence aux funérailles, et leur présence n'a pas non plus adouci le ton de la communication établie durant la notification du plus proche parent.
[359] Les gendarmes Boogaard et Teniuk, qui se sont rendus au salon funéraire, n'avaient pas participé à la notification du plus proche parent, et ils avaient d'abord tenté de joindre Mme Baptiste par téléphone et à sa résidence avant d'être informés par un voisin qu'elle était à la veillée. Ils ont demandé l'aide du voisin pour voir si Mme Baptiste acceptait de leur parler, mais, à leur arrivée au salon funéraire, Mme Baptiste sortait du bâtiment.
[360] Durant son entrevue avec la Commission, le gendarme Teniuk a reconnu que ce n'était pas le meilleur moment pour fournir de l'information, mais qu'il n'y avait pas de bon moment de le faire. Le gendarme Boogaard a dit qu'il n'a pas du tout eu l'impression que la famille était dérangée par la présence de la police durant la veillée. Cependant, les deux membres de la GRC ont reconnu que, de toute évidence, la famille avait de l'animosité à leur égard.
[361] Quelle que soit leur motivation, la Commission conclut que la présence des membres de la GRC à la veillée était déraisonnable et a miné les premières communications avec la famille. Dans le cadre de funérailles, le bien‑être émotionnel des parents endeuillés est particulièrement fragile, et le fait de permettre aux membres de la famille d'avoir quelques dernières heures de paix avant l'inhumation de leur être cher n'aurait pas eu d'effet préjudiciable sur leur devoir de les tenir au courant de l'enquête.
Conclusion
- 41) Il n'était pas raisonnable que les gendarmes Boogaard et Teniuk se présentent à la veillée pour informer la famille de l'état d'avancement de l'enquête criminelle.
Recommandation
- 15) Qu'on demande aux gendarmes Boogaard et Teniuk de passer en revue la présente conclusion en compagnie d'un cadre de la GRC.
Communications internes
[362] Les situations qui évoluent rapidement peuvent présenter des défis sur le plan des communications internes, vu la participation d'agents de police de diverses unités qui s'acquittent de différentes tâches et du besoin de traiter continuellement l'information reçue. Une mauvaise gestion de l'information et/ou une mauvaise communication peut mener à une mauvaise prise de décisions, à la perte d'éléments de preuve, à l'impossibilité d'établir correctement l'ordre de priorité des activités opérationnelles et à un manque de coordination.
[363] La communication continue, exacte et en temps opportun au sein du triangle de commandement et avec les autres membres de l'équipe d'enquête coordonnée est essentielle à l'efficacité de l'équipe, mais elle est tout aussi importante entre les diverses unités policières qui participent à l'enquête.
[364] Dans le présent dossier, après avoir examiné la documentation, la Commission a constaté une communication déficiente dans les cas suivants :
- Notification du plus proche parent : Malgré la discussion qui a eu lieu entre le caporal Olney et les membres des services généraux avant leur arrivée à la résidence des Baptiste, au moment de s'approcher de la maison, plusieurs membres de la GRC ne connaissaient pas ou ne comprenaient pas bien le double objectif, soit d'informer la famille de Colten Boushie de son décès et de rechercher et arrêter C. C.
- Recherche de C. C. : Les membres de la GRC qui se sont rendus à la résidence des Baptiste n'étaient pas tous au courant du fait que C. C. était peut‑être armé et ne connaissaient pas tous l'évaluation des risques associés à la visite de la résidence.
- Protection des éléments de preuve : Le gendarme Boogaard a omis de transmettre au gendarme Heroux du SIJ l'information fournie par le sergent Sawrenko sur les conditions météorologiques à venir et la préservation de la scène de crime.
- Mandat de perquisition : Les membres du triangle de commandement n'ont pas informé le gendarme Heroux du SIJ de leur attente en matière d'échéancier pour le mandat de perquisition.
[365] La Commission a abordé ces questions et leur incidence sur l'enquête dans diverses sections du présent rapport ainsi que dans son rapport intérimaire sur la plainte déposée par Alvin Baptiste. Il convient toutefois de souligner l'élément commun dans les cas susmentionnés où des membres de la GRC n'ont pas transmis ou ont transmis inadéquatement des renseignements importants à d'autres membres de la GRC qui participaient à l'enquête.
[366] La Commission estime que la communication interne dans les situations susmentionnées était inadéquate et a donné lieu à certaines erreurs et à certains manques d'efficience dans le cadre de l'enquête.
[367] Comme il a été mentionné précédemment dans le présent rapport, une visite en temps opportun sur la scène de crime par un ou plusieurs membres du GCG aurait pu faciliter des discussions directes avec les membres de la GRC sur place, y compris les membres du SIJ, au sujet de leurs observations, de la préservation de la scène et des attentes en matière d'échéancier pour le mandat de perquisition.
[368] La Commission reconnaît que la Division « F » a depuis créé un poste de gestionnaire de scène de crime au sein de son équipe d'enquête coordonnée. Le membre de la GRC qui remplit ce rôle est chargé d'assurer la liaison avec tous les services de soutien nécessaires, ce qui devrait faciliter les communications et l'échange de renseignements en temps opportun entre les diverses unités policières concernées en plus d'aider à prévenir des situations comme celles qui se sont produites dans le présent dossier.
[369] Dans cette optique, la Commission recommande de demander au caporal Olney et aux membres de l'équipe d'enquête coordonnée de lire le présent rapport en compagnie d'un cadre de la GRC.
Conclusions
- 42) Les communications internes ont été inadéquates dans certaines situations au cours de l'enquête.
- 43) La communication déficiente entre les diverses unités de la GRC qui ont participé à l'enquête sur le décès de M. Boushie a donné lieu à certaines erreurs et à certains manques d'efficience.
Recommandation
- 16) Qu'on demande au caporal Olney et aux membres du triangle de commandement (le sergent Olberg et les gendarmes Boogaard et Wudrick) de lire le présent rapport en compagnie d'un cadre de la GRC.
Analyse de la formation sur la discrimination et la sensibilisation à la culture
Discrimination
Lois et politiques concernant les services policiers sans préjugés et la discrimination
[370] Dans le cadre de l'examen de la Commission et de la surveillance continue des événements liés à cet incident tragique, il faut se pencher sur d'autres questions relatives à la conduite des membres de la GRC visés afin de déterminer si la conduite en question équivaut à de la discrimination fondée sur la race ou la race perçue.
[371] La politique opérationnelle nationale de la GRC formule un engagement à l'égard du traitement équitable de toutes les personnes, peu importe leur race, ou leur origine nationale ou ethnique, entre autres motifs de distinction illiciteNote de bas de page 93.
[372] Dans un même ordre d'idées, en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), il est interdit de faire de la discrimination fondée sur la race ou l'origine nationale ou ethniqueNote de bas de page 94. Il a été établi que les dispositions en question de la LCDP s'appliquent aux agents d'application de la loiNote de bas de page 95.
[373] Dans l'arrêt Moore c Colombie‑Britannique (Éducation), la Cour suprême du Canada a établi un critère à volets multiples pour évaluer les allégations de discriminationNote de bas de page 96. Pour établir à première vue l'existence de discrimination, le plaignant doit démontrer :
- qu'il possède une caractéristique protégée contre la discrimination;
- qu'il a subi un effet préjudiciable relativement au service ou à la conduite;
- que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l'effet préjudiciable.
Une fois que le plaignant a établi la discrimination à première vue, le fournisseur de services a le fardeau de justifier le traitement différentiel. Si aucune explication raisonnable n'est fournie ou si le fardeau de la preuve n'est pas satisfait, le juge des faits peut conclure à l'existence de la discrimination et rendre une décision en conséquence.
[374] Aux fins du critère susmentionné, on peut invoquer des éléments de preuve circonstanciels pour tirer une conclusion relativement à la conduite reprochéeNote de bas de page 97. Il n'est pas nécessaire de prouver que la conduite était uniquement conforme à de la discriminationNote de bas de page 98, et il n'est pas nécessaire de faire la preuve de l'intention de discriminationNote de bas de page 99. Dans les affaires de discrimination fondées sur des motifs de la race ou de la race perçue, les éléments de preuve directs ne sont habituellement pas accessibles parce que la discrimination se fait de façon subtile ou inconscienteNote de bas de page 100. Pour cette raison, les tribunaux ont déclaré qu'il faut mettre l'accent sur l'effet du traitement plutôt que sur la motivation ou l'intentionNote de bas de page 101.
[375] On peut également utiliser le contexte social en guise de contexte, mais il ne constituera pas à lui seul une preuve de discriminationNote de bas de page 102. Pour établir la présence de discrimination réelle, l'analyse doit « tenir compte de l'ensemble des contextes social, politique et juridique » des allégationsNote de bas de page 103.
[376] En ce qui concerne les Autochtones, ce contexte social inclut les assertions coloniales de longue date, les stéréotypes et l'histoire troublée des relations entre la police et les peuples autochtonesNote de bas de page 104.
Contexte social
[377] Dans la présente affaire, bon nombre des parties concernées sont autochtones. Plusieurs d'entre elles viennent de la réserve de la Première Nation de Red Pheasant, située dans le territoire du Traité no 6, près de Battleford, en Saskatchewan.
[378] Les rapports qui découlent des principales commissions et enquêtes ont indiqué que les événements historiques survenus dans les régions du Traité no 6 et de Battleford étaient représentatifs de l'incidence du colonialisme et des traumatismes collectifs connexes qui continuent de se faire sentir dans les collectivités autochtonesNote de bas de page 105.
[379] La Cour suprême du Canada a pris connaissance d'officeNote de bas de page 106 de plusieurs des conclusions de ces rapports de commission et d'enquêteNote de bas de page 107, ainsi que des facteurs sociaux qui touchent les peuples autochtonesNote de bas de page 108. La Commission peut également prendre connaissance d'office de ces conclusions, rapports et facteurs sociaux.
[380] Des rapports de la Commission de vérité et réconciliation du Canada ainsi que d'autres rapports importants ont documenté le fait que Battleford a été le théâtre des événements suivants :
- le premier pensionnat industrielNote de bas de page 109, un système tristement célèbreNote de bas de page 110 que la GRC a par la suite été chargée d'appliquer;
- le procès de 1885, souvent cité, où, sans fournir de service d'interprétation, un tribunal de Battleford a condamné des hommes autochtones pour meurtre. Huit hommes ont été exécutés le 27 novembre 1885, dans l'arsenal de la Gendarmerie à Fort BattlefordNote de bas de page 111;
- pendant qu'il était agent des Indiens à Battleford, Hayter Reed a qualifié les Autochtones de [traduction] « racailles des Prairies ». Plus tard, à titre de sous‑ministre des Affaires indiennes, M. Reed a mis en œuvre l'un des symboles les plus notoires du colonialisme et des traumatismes intergénérationnels, soit le système de laissez‑passer, qui a empêché les Autochtones de quitter leur réserve, à moins d'obtenir la permission d'un agent des Indiens. La P.C.N.‑O. (la GRC) était chargée d'appliquer le système de laissez‑passer tous les jours pour renvoyer « tous les Indiens qui n'ont pas de laissez‑passer dans leur réserveNote de bas de page 112 »;
- l'Enquête nationale sur les FFADA a conclu que le système de laissez‑passer avait eu les pires répercussions sur certaines femmes autochtones de Battleford et des environs, car ces dernières risquaient de se faire couper les cheveux par des membres de la Gendarmerie ou étaient menacées de subir un tel traitement afin de limiter leurs déplacements à l'extérieur de leur réserveNote de bas de page 113;
- le chef Poundmaker, ou Pihtokahanapiwiyin, s'est rendu à Fort Battleford avant d'être reconnu coupable à tort. En outre, c'est seulement plus de 130 ans plus tard que le gouvernement du Canada a reconnu que « la condamnation et l'emprisonnement injustes du chef Poundmaker ont eu de profondes répercussions » sur les Autochtones, qui « en [ressentent] encore les conséquencesNote de bas de page 114 ».
[381] Le rapport de la Commission d'enquête sur l'administration de la justice et les Autochtones au Manitoba fait mention de plusieurs des précédents susmentionnés pour documenter leur incidence persistante sur la relation entre les Autochtones et la GRCNote de bas de page 115 :
[Traduction]
Même si la GRC n'a pas élaboré les politiques, elle était le principal instrument utilisé pour les mettre en œuvre. La police était chargée de déplacer les Indiens dans les réserves et de les y maintenir et elle participait directement à l'administration des traités et des affaires indiennes en général. Chaque fois qu'un agent des Indiens ressentait le besoin d'obtenir de l'aide pour faire appliquer la politique gouvernementale à l'égard des Indiens, il faisait appel à la Gendarmerie. Les enfants indiens qui s'enfuyaient des pensionnats étaient recherchés, puis renvoyés en pensionnat par les agents de la P.C.N.‑O. Les Indiens adultes qui quittaient leur réserve sans laissez‑passer de l'agent des Indiens étaient appréhendés par la Gendarmerie.[…]
Une grande partie des soupçons et de l'hostilité que ressentent les Autochtones à l'égard de la police tirent leur origine de […] l'histoire […] et de la relation trouble entre les Autochtones et la Gendarmerie royale du Canada.
[…]
L'incidence des erreurs du passé a été renforcée par les expériences négatives d'aujourd'hui.
[382] Les commissaires de la GRC ont reconnu à maintes reprises que la conduite de leurs membres a systématiquement contribué à certaines des graves injustices auxquelles sont confrontés aujourd'hui les AutochtonesNote de bas de page 116. Les événements historiques sont inextricablement liés au maintien de l'ordre dans les collectivités autochtones, où le tissu social perturbé et le manque de confiance entre la police et la collectivité sont des défis centraux pour la prestation de services de police efficacesNote de bas de page 117. L'intervention de la police dans le cadre d'incidents criminels dans ces collectivités exige une compréhension et une sensibilisation quant à ces facteurs contextuels fondamentaux.
[383] La Commission appliquera maintenant le critère énoncé dans l'arrêt Moore (décrit ci‑dessus), tout en tenant compte du contexte social général, afin de déterminer si la conduite des membres de la GRC visés dans la présente affaire constitue de la discrimination.
Les personnes en cause dans la présente affaire possédaient‑elles une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne?
[384] Il ne fait aucun doute que les personnes en cause dans la présente affaire — M. Boushie, ses compagnons dans le Ford Escape et les membres de sa famille (sa mère et ses frères) qui étaient présents lorsque la police s'est rendue chez Mme Baptiste le soir du 9 août 2016 — sont des Autochtones et, à ce titre, ils possèdent des caractéristiques que la LCDP protège contre la discrimination, soit la race et l'origine nationale ou ethniqueNote de bas de page 118.
Les personnes en cause dans la présente affaire ont‑elles subi un ou plusieurs effets préjudiciables?
Des motifs de distinction illicite ont‑ils joué un rôle dans la manifestation des effets préjudiciables?
[385] Nous aborderons ensemble ces deux éléments du critère.
[386] La question consiste à savoir si les personnes en cause dans la présente affaire ont subi des effets préjudiciables en raison de l'intervention de la GRCNote de bas de page 119 et, dans l'affirmative, si des motifs de distinction illicite comme la race ou l'origine nationale ou ethnique ont joué un rôle dans la manifestation de tels effets préjudiciables. Au moment d'évaluer ces questions, il est essentiel de déterminer s'il y a des éléments de preuve d'écarts relativement aux pratiques courantes ou de différences comparativement à la façon dont les événements se seraient habituellement déroulésNote de bas de page 120.
[387] La Commission a cerné trois domaines de préoccupation qui ont également été soulevés par les membres de la famille de M. Boushie et leurs représentants durant les entrevues avec les enquêteurs de la Commission :
- le traitement de Mme Baptiste et de sa famille pendant la notification du plus proche parent;
- le traitement d'E. M., de B. J., de K. W. et de C. C. durant leurs entrevues avec la police;
- les lacunes dans le cadre de l'enquête criminelle sur le décès de M. Boushie, y compris les problèmes liés à l'obtention des éléments de preuve.
[388] Chacun de ces domaines sera maintenant abordé à tour de rôle.
Le traitement de Mme Baptiste et de sa famille pendant la notification du plus proche parent
[389] Le premier enjeu concerne l'interaction entre la famille de Mme Baptiste et la GRC, lorsque des membres de la GRC se sont présentés chez Mme Baptiste, dans la réserve de la Première Nation de Red Pheasant, le 9 août 2016, pour l'informer du décès de son fils.
[390] La perte d'un enfant crée une détresse extrême chez un parent, et les policiers doivent parfois informer un parent du décès de son enfant. Dans le langage policier, il s'agit d'une obligation que l'on appelle la notification du plus proche parent. La façon dont cette interaction se déroule peut avoir une incidence sur le degré de détresse et la façon dont la douleur émotionnelle est vécue par la suite.
[391] Dans la présente affaire, il y a des éléments de preuve selon lesquels l'interaction ne s'est pas déroulée comme se déroule habituellement une notification du plus proche parent. La police s'est approchée de la maison de Mme Baptiste pendant la nuit et avait deux objectifs : informer la famille de M. Boushie de son décès et chercher et arrêter C. C. Par conséquent, la maison de Mme Baptiste a d'abord été encerclée par plusieurs agents de police et plusieurs véhicules. Ensuite, alors qu'ils se tenaient sur le porche de la résidence, des membres de la GRC ont informé Mme Baptiste du décès de son fils, après quoi ils ont procédé à une fouille de l'intérieur du domicile tout en interrogeant ses occupants.
[392] En tout, l'interaction a duré une vingtaine de minutes, mais elle a laissé un souvenir impérissable à la famille, ce qui explique en partie le dépôt par M. Baptiste d'une plainte du public à la Commission. Les faits et détails de cette rencontre sont examinés en détail dans le rapport intérimaire de la Commission sur la plainte déposée par M. BaptisteNote de bas de page 121, qu'il convient de lire conjointement au présent rapport.
[393] Dans la présente affaire, l'approche policière adoptée à la résidence de Mme Baptiste et la fouille subséquente faisaient intervenir les facteurs suivants :
- participation de sept policiers;
- utilisation de plusieurs véhicules de police;
- phares pointés sur la résidence;
- encerclement tactique d'une petite maison privée;
- utilisation de carabines;
- utilisation de lampes de poche pour fouiller le périmètre de la résidence et sous la résidence;
- recours à un chien de police aux fins de fouille à la fin de l'opération;
- opération menée dans un contexte où les considérations sociales étaient exacerbées en raison des relations historiques documentées entre la police et les collectivités autochtones.
[394] Dans son rapport intérimaire, la Commission a tiré la conclusion suivante : [traduction] « Dans le présent dossier, l'approche globale utilisée à la résidence de Mme Baptiste était disproportionnée à la lumière d'une évaluation raisonnable des risques associés à la situation et constituait un manque de sensibilité culturelle et de compassionNote de bas de page 122 ». La Commission a également conclu [traduction] « qu'il est clair que [la famille] a subi un préjudice émotionnel en raison de la façon dont la police a fouillé les lieuxNote de bas de page 123 ».
[395] À la lumière de l'examen par la Commission des interactions durant la notification du plus proche parent, il y a deux éléments qui se rapportent directement à une analyse relative à la discrimination : a) l'approche tactique de la police et la fouille du domicile familial; et b) la conduite de la police à l'égard de Mme Baptiste en ce qui concerne sa sobriété et sa crédibilité.
L'approche tactique de la police et la fouille du domicile familial
[396] En ce qui a trait à l'approche tactique de la police et à la fouille du domicile familial, les éléments de preuve concernant l'effet préjudiciable sont clairs : le fait que la police avise une mère du décès de son enfant tout en encerclant et en fouillant son domicile n'est pas une pratique courante, et la Commission admet le témoignage des membres de la famille selon lequel, de façon générale, il s'agissait d'une expérience dégradante.
[397] Il est plus difficile d'établir un lien entre cet effet préjudiciable et l'origine autochtone de la famille. Dans la présente affaire, le point de vue selon lequel l'approche de la résidence et la fouille étaient disproportionnées s'inscrit dans le contexte social des interventions policières disproportionnées dans les collectivités autochtones et l'histoire des interventions policières dans le territoire visé par le Traité no 6. Par conséquent, il est raisonnable que le contexte social ait eu une incidence sur la perception des membres de la famille selon laquelle la race était un facteur dans la conduite adoptée par la police, qui, objectivement, semblait non justifiée, et ce, surtout lorsqu'on sait qu'ils n'avaient pas été bien informés de la raison pour laquelle la police avait encerclé la maison et l'avait fouillée.
[398] Cependant, les éléments de preuve accessibles fournissent une explication non discriminatoire des gestes posés par la police, soit la recherche, la localisation et l'arrestation d'une personne dont les allées et venues étaient inconnues et qui (selon certains membres de la GRC) était peut‑être armée. Plusieurs notes, rapports et déclarations de membres de la GRC mentionnent qu'il s'agissait du facteur qui justifiait la conduite de la police. Les éléments de preuve ne révèlent pas qu'un autre facteur, comme la race, a joué un rôle dans le comportement affiché par la police.
[399] Même si, à cet égard, les éléments de preuve n'établissent pas la discrimination à première vue, ils n'atténuent pas le fait que les membres de la famille n'ont pas eu droit à une justification éclairée grâce à laquelle ils auraient pu comprendre les gestes posés par la police qui ne concordaient pas avec une notification du plus proche parent. Plus précisément, les membres de la famille n'ont pas été bien informés du sujet, de l'objet ou des conséquences de la perquisition proposée. Ce sujet a été abordé dans le rapport intérimaire de la Commission sur la plainte du public déposée par M. Baptiste.
Conclusion
- 44) La discrimination n'est pas établie à première vue en ce qui concerne l'approche tactique de la police et la fouille du domicile familial des Baptiste.
La conduite de la police à l'égard de Mme Baptiste en ce qui concerne sa sobriété et sa crédibilité
[400] Dans le cadre de la notification du plus proche parent et de la fouille de son domicile, on a demandé à Mme Baptiste si elle avait bu et on lui a dit de [traduction] « se ressaisir ». En outre, un ou plusieurs membres de la GRC ont senti son haleine. Elle a trouvé cette conduite insensible et non pertinente dans le cadre d'une notification du plus proche parent. La Commission a tiré la conclusion suivante à l'égard de la deuxième allégation formulée par M. Baptiste dans sa plainteNote de bas de page 124 :
[Traduction]
Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, la Commission conclut qu'un ou plusieurs membres non identifiés de la GRC ont bel et bien formulé les commentaires et posé les gestes décrits par Mme Baptiste. Étant donné que le seul but des interactions de la police avec Mme Baptiste était la notification du plus proche parent, de tels commentaires et gestes étaient inutiles et manquaient de délicatesse.
[401] Non seulement ces paroles et ces gestes manquaient de délicatesse, mais ils sont aussi liés à une vision stéréotypée des Autochtones : [traduction] « le stéréotype de l'indien ivre [qui] est endémique dans notre cultureNote de bas de page 125 ». Les stéréotypes donnent lieu à des attitudes conscientes ou inconscientes préjudiciables qui peuvent mener à un acte discriminatoire à l'égard de la personne ou du groupe stéréotypé.
[402] Dans la présente affaire, l'hypothèse stéréotypée à l'égard de la consommation d'alcool est liée de façon tangible à la conduite déraisonnable, ce qui signifie que la race de Mme Baptiste est peut‑être un facteur dans le traitement préjudiciable dont elle a été victime.
[403] Une conclusion similaire peut être tirée relativement à une membre de la GRC qui a regardé dans le micro‑ondes pendant la fouille. Dans le cadre de son entrevue avec l'enquêteur chargé de la plainte, Mme Baptiste a souligné que, peu après avoir été informée du décès de son fils, elle avait mentionné plusieurs fois que le souper de son fils se trouvait dans le micro‑ondes. Elle s'est souvenue d'une agente de police qui [traduction] « était dans [sa] cuisine et qui a regardé dans le micro‑ondes comme si [elle] avait menti » à ce sujet.
[404] Dans son rapport intérimaire sur la plainte du public déposée par M. Baptiste, la Commission a conclu que la conduite avait eu une incidence particulière sur Mme Baptiste. Cette dernière avait placé le repas de M. Boushie dans le micro‑ondes après qu'il ne se soit pas présenté pour le souper. À mesure que les heures passaient, elle s'inquiétait et craignait qu'il soit arrivé quelque chose, pressentiment qui a malheureusement été confirmé à l'arrivée des policiers. Pendant son entrevue avec la Commission, Mme Baptiste a établi un lien entre la conduite et la remise en question de sa crédibilité en déclarant ce qui suit :
[Traduction]
Ce qui a fait le plus mal, c'est qu'ils ont dit que j'avais menti. Ils sont allés voir dans le micro‑ondes si la nourriture de mon fils y était. J'étais tout simplement choquée, parce que je ne savais pas ce que j'avais fait de mal pour qu'ils me traitent comme une menteuse.
[405] Ce comportement perpétue les stéréotypes négatifs au sujet du manque de crédibilité des Autochtones. Dans l'arrêt WilliamsNote de bas de page 126, la Cour suprême a reconnu que les Autochtones sont la cible de préjugés, d'hypothèses et de stéréotypes blessants, y compris des stéréotypes en matière de crédibilité, de respectabilité et de propension à la criminalité.
[406] Les éléments de preuve ne révèlent pas une justification non discriminatoire de ces deux comportements. Il est important de souligner que, de façon générale, les témoignages des agents de police sur ces questions se limitaient à des réponses du genre [traduction] « je ne me souviens pas ». La Commission n'a pas été en mesure de déterminer quels membres de la GRC se sont livrés à cette conduite et, par conséquent, elle n'a pas reçu d'explication de leurs actes. Comme il n'y a pas d'élément de preuve pour expliquer le comportement en question, la Commission se retrouve avec l'effet préjudiciable que le comportement a eu sur Mme Baptiste et les membres de sa famille et le fait que le motif de distinction illicite de la race était l'un des facteurs explicatifs. Par conséquent, la Commission conclut que la discrimination a été établie à première vue en ce qui concerne la conduite de la police à l'égard de Mme Baptiste relativement à sa sobriété et à sa crédibilité.
[407] En l'absence de la personne précise qui a posé ces gestes et qui pourrait en expliquer le contexte ou la raison, le reste du critère de l'arrêt Moore n'est pas satisfait. Étant donné que, dans son rapport intérimaire sur la plainte du public déposée par M. Baptiste, la Commission a déjà conclu que de telles actes étaient déraisonnables et faisaient preuve d'insensibilité, la présente analyse permet de souligner davantage ces conclusions.
Conclusion
- 45) La discrimination est établie à première vue quant à la conduite de la police à l'égard de Mme Baptiste en ce qui concerne sa sobriété et sa crédibilité.
[408] Conformément au critère de l'arrêt Moore, la GRC a alors le fardeau de la preuve de justifier le traitement différentiel. Si aucune explication raisonnable n'est fournie dans la réponse de la commissaire au présent rapport intérimaire ou si le fardeau de la preuve n'est pas satisfait, la Commission peut conclure à l'existence de la discrimination et tirer une telle conclusion dans son rapport final.
Le traitement d'E. M., de B. J., de K. W. et de C. C. durant leurs entrevues avec la police
[409] La Commission a souligné ci‑dessus ses préoccupations au sujet de la façon dont les membres de la GRC ont traité E. M., B. J. et K. W. pendant leur détention. Elle a conclu que la façon dont les entrevues ont été menées était déraisonnable et que le maintien en détention d'E. M., de B. J. et de K. W. après leurs déclarations était déraisonnable et injustifié sous le régime du Code criminel.
[410] Contrairement à la façon dont E. M., B. J. et K. W. ont été traités, normalement un témoin d'un crime peut choisir le moment où il fait sa déclaration et s'assurer d'être reposé et bien nourri avant de se soumettre à une entrevue. Dans le contexte d'une analyse de la discrimination, la Commission reconnaît que l'approche adoptée à l'égard de ces témoins était inhabituelle et pourrait raisonnablement sembler coercitive et intimidante.
[411] Cependant, C. C. n'a pas été soumis au même traitement, même s'il est aussi un Autochtone. Les circonstances, les considérations temporelles et l'accessibilité de renseignements supplémentaires avaient changé au moment où C. C. s'est présenté pour être interrogé par la police. Contrairement aux trois autres témoins, C. C. n'avait pas été détenu et avait eu l'occasion de se reposer, de manger suffisamment et de dégriser. Ces facteurs, plutôt que la race, semblent expliquer la façon différente dont il a été interrogé comparativement aux trois autres.
[412] Le fait qu'une personne au sein d'un groupe n'ait pas subi de traitement différentiel peut être pertinent, mais il ne s'agit pas d'un facteur déterminant en soi, car la discrimination peut se présenter très différemment d'une personne à l'autre. De même, il n'est pas nécessairement pertinent d'affirmer que la discrimination fondée sur la race ne pouvait pas se produire parce qu'une personne présumément en cause est elle‑même racialiséeNote de bas de page 127.
[413] Dans la présente situation, il existe d'autres éléments de preuve de l'origine non discriminatoire du traitement différentiel des trois autres témoins. En effet, la Commission a conclu plus haut que, vu les circonstances qui ont mené à leur arrestation, la décision de détenir les trois témoins dans une cellule pendant la nuit pourrait être raisonnablement justifiée par des raisons d'intérêt public.
[414] Même si la Commission estime qu'E. M., B. J. et K. W. ont fait l'objet d'un traitement différentiel dans le cadre de leurs entrevues, il ne semble pas qu'un motif de distinction illicite ait été un facteur dans la conduite de la police.
Conclusion
- 46) La discrimination n'est pas établie à première vue concernant le traitement d'E. M., de B. J., de K. W. et de C. C. pendant leurs entrevues avec la police.
Les lacunes dans le cadre de l'enquête criminelle sur le décès de M. Boushie, y compris les problèmes liés à l'obtention des éléments de preuve
[415] Dans le contexte des enquêtes criminelles, des problèmes de discrimination peuvent survenir dans des situations où l'on craint que la personne décédée ou sa famille n'aient pas été traitées de façon équitable parce que la personne décédée était d'origine autochtone. Par exemple, il peut s'agir d'un cas où le défaut de mener une enquête adéquate a donné lieu à des conclusions prématurées attribuables, du moins en partie, à des stéréotypes. On a conclu que la discrimination était établie dans les cas où les stéréotypes font partie d'un processus de généralisation fondé sur la race et lorsque des agents de police s'appuient sur de telles notions généralisées au moment de déterminer la façon dont les Autochtones sont probablement décédésNote de bas de page 128.
[416] Dans la présente affaire, la Commission a relevé les lacunes suivantes dans l'enquête criminelle sur le décès de M. Boushie :
- on n'a pas veillé à ce que la dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition soit rédigée en temps opportun;
- un nombre insuffisant de membres de la GRC étaient rémunérés pour être en disponibilité afin d'intervenir en temps opportun en cas d'enquêtes sur des crimes graves;
- les politiques et procédures de la GRC concernant la préservation et la protection des éléments de preuve n'ont pas été raisonnablement respectées, et un élément de preuve clé, le Ford Escape, est resté exposé à la contamination;
- le défaut de la GRC de protéger le Ford Escape a entraîné l'altération et la perte d'éléments de preuve sous forme de traces et de taches de sang;
- il était déraisonnable de permettre à L. S. et à S. S. de retirer un véhicule de la scène de crime pour se rendre au détachement de la GRC de Biggar;
- il était déraisonnable qu'un ou plusieurs membres du GCG ne se rendent pas plus rapidement sur la scène de crime;
- il était déraisonnable qu'un seul membre du SIJ — qui n'était pas un spécialiste de l'identité judiciaire — ait été présent sur la scène de crime pendant près de trois heures pour en effectuer l'expertise;
- il était déraisonnable qu'un membre du SIJ communique avec un analyste de la morphologie des taches de sang seulement trois jours après l'incident.
[417] Certains membres de la GRC ont expliqué que des erreurs sont commises dans le cadre de toutes les enquêtes. Même si la Commission admet que des erreurs peuvent être commises dans le cadre de toute enquête criminelle sur un décès, et ce, peu importe la race du défunt, certaines des erreurs dans la présente affaire concernaient des principes fondamentaux des enquêtes criminelles.
[418] Dans le cadre d'une analyse de la discrimination, les lacunes dans une enquête criminelle peuvent entraîner un effet préjudiciable. Cependant, pour constituer de la discrimination, cet effet préjudiciable doit être lié à un motif de distinction illicite, comme la race ou la race perçue. Mises ensemble, les lacunes susmentionnées peuvent raisonnablement amener une personne à se demander si la discrimination a joué un rôle dans la qualité globale de cette enquête.
[419] Toutefois, selon la prépondérance des probabilités, les éléments de preuve présentés à la Commission ne démontrent pas que les lacunes constatées dans le cadre de l'enquête découlaient de considérations discriminatoires.
[420] Comme il a été mentionné précédemment dans le présent rapport, chaque lacune avait une explication non discriminatoire. Bon nombre de ces explications étaient liées aux ressources, aux distances à parcourir entre les divers lieux et aux problèmes de communication entre les membres de la GRC en cause. La Commission est convaincue que la discrimination n'a pas été établie à première vue en ce qui concerne les lacunes relevées dans le cadre de l'enquête criminelle.
Conclusion
- 47) La discrimination n'a pas été établie à première vue en ce qui concerne les lacunes de l'enquête criminelle sur le décès de M. Boushie, y compris les problèmes liés à l'obtention des éléments de preuve.
Formation et expérience liées à la sensibilisation à la culture
[421] Le rapport final de l'Enquête nationale sur les FFADA révèle que bon nombre des obstacles auxquels se heurtent les peuples autochtones découlent du fait que les policiers (et le système de justice) tiennent compte de manière limitée ou ne tiennent pas compte de la complexité des relations historiques ainsi que des traumatismes intergénérationnels vécus par les Autochtones. Selon le rapport, les agents de police qui ont pris part à l'enquête ont mentionné que « la formation qu'ils ont reçue à ce sujet était insuffisante. Pourtant, leur intervention est déterminante pour que l'interaction d'une victime avec les forces de l'ordre soit sécuritaire et qu'elle s'inscrive dans le cadre d'une relation manifestant une telle compréhensionNote de bas de page 129 ».
[422] En réponse au rapport final de l'Enquête nationale sur les FFADA, la commissaire Lucki de la GRC a déclaré que la GRC avait apporté de nombreux changements à ses politiques, à ses procédures et à sa formation tout au long de l'enquête. Ces changements comprenaient, entre autres, le renforcement de la formation de sensibilisation à la culture à l'intention de tous les employés, y compris à l'École de la GRC, à Regina.
[423] Durant leurs entrevues avec la Commission, les membres de la GRC ont décrit un certain nombre d'initiatives organisationnelles et locales qui ont été mises en œuvre pour améliorer l'éducation culturelle et la sensibilisation à la culture du personnel.
[424] Cependant, comme l'a fait remarquer un membre de la GRC durant l'enquête de la Commission, la formation sur les Autochtones n'est pas obligatoire pour tout le monde, surtout s'il n'y a [traduction] « aucune » population autochtone sur le territoire d'un détachement. Fait important, l'un des deux principaux détachements de la GRC qui a traité le présent dossier, celui de Biggar, a été mentionné comme l'un des détachements où une telle formation n'était pas obligatoire. Il peut donc y avoir un écart entre la réalité sur le terrain à l'heure actuelle et l'objectif organisationnel d'offrir une telle formation à tous. Cela est particulièrement important pour la GRC, qui est le service de police national chargé d'offrir des services de police à environ 40 % de la population autochtoneNote de bas de page 130.
[425] Au cours des 30 dernières années, de l'Enquête Marshall de 1989 à l'Enquête nationale sur les FFADA de 2019, plusieurs commissions et enquêtes importantes ont de plus en plus recommandé et demandé d'augmenter la formation sur les compétences culturelles à l'intention des policiers concernant les Autochtones, les Inuits et les Métis, et notamment de veiller à ce que la formation respecte les normes suivantesNote de bas de page 131 :
- formation continue tout au long de la carrière d'un agent de police;
- formation qui tient compte des traumatismes;
- formation axée sur les compétences pour ce qui est de l'aptitude interculturelle, du règlement de différends, des droits de la personne et de la lutte contre le racisme;
- « formation par l'expérience » faisant intervenir des Aînés et des membres de la collectivité, qui peuvent faire part de leur point de vue et répondre aux questions en fonction de leur propre expérience dans la collectivité;
- formation dont le contenu est établi à l'échelon local et qui repose sur toutes les pratiques exemplaires;
- formation donnée par des agents de la paix autochtones, inuits et métis;
- formation interactive qui mise sur un dialogue respectueux entre tous les participants;
- formation fondée sur les différences qui reflète la diversité au sein des collectivités autochtones, inuites et métisses, plutôt que de se concentrer sur une culture à l'exclusion des autres;
- formation qui tient compte des principes traditionnels de justice réparatrice.
[426] La Commission recommande que la formation de sensibilisation à la culture soit offerte à tous les employés de la GRC en tenant compte des facteurs relevés dans les enquêtes récentes.
Recommandation
- 17) Qu'une formation de sensibilisation à la culture soit offerte à tous les employés de la GRC en tenant compte des facteurs relevés dans les enquêtes récentes.
4) Conclusion
[427] Le décès de M. Boushie est tragique. La douleur et la perte ressenties par sa famille, ses amis et sa collectivité étaient évidentes dans le cadre des entrevues et tout au long de l'enquête de la Commission. Il est également clair que cet incident a touché des membres de la GRC, dont certains ont exprimé une profonde tristesse durant leur entrevue. Plusieurs membres en cause de la GRC s'identifient comme des membres de collectivités autochtones. Dans cette optique, la Commission a examiné attentivement la conduite des membres de la GRC qui ont participé à l'enquête sur le décès de M. Boushie, conformément à son mandat d'amélioration des services de police.
[428] L'une des principales observations de la Commission concernait l'absence du GCG sur la scène de crime. Selon la Commission, il s'agit d'un facteur à l'origine de bon nombre des questions soulevées dans le présent rapport. La présence sur place du GCG aurait pu permettre d'atténuer ou d'éviter les oublis ou omissions les plus graves, surtout en ce qui concerne la protection des éléments de preuve (le Ford Escape) et les problèmes associés à la notification du plus proche parent.
[429] La Cour suprême du Canada a confirmé que les policiers sont tenus de mener des enquêtes raisonnablement approfondies. Une telle norme n'exige pas que les enquêtes soient parfaites, et les agents de police ont un certain pouvoir discrétionnaire au moment de prendre des décisions, compte tenu des limites en matière de ressources inhérentes à la dynamique policière moderneNote de bas de page 132.
[430] Nonobstant la critique formulée dans le présent rapport au sujet d'un certain nombre d'enjeux, la Commission conclut que, dans l'ensemble, l'enquête de la GRC sur le décès de M. Boushie a été menée de façon professionnelle par des enquêteurs criminels adéquatement formés et expérimentés qui ont appliqué la méthode de la gestion des cas graves.
[431] La GRC a pris des mesures importantes pour remédier à certains des problèmes relevés dans le présent rapport. La Commission est convaincue que les recommandations contenues dans le présent document appuieront ces efforts et aideront la GRC à améliorer la façon dont elle réalise ses enquêtes sur les crimes graves.
[432] La commissaire de la GRC, Brenda Lucki, a décrit les changements que la GRC a apportés à ses politiques, à ses procédures et à sa formation, comme le renforcement de la sensibilisation à la culture de tous les employés de la GRC. La Commission souligne l'importance de l'exemple donné par les récentes pratiques exemplaires en matière de services de police autochtones et encourage la GRC à continuer de s'efforcer de solidifier ses relations avec toutes les collectivités qu'elle sert et, plus particulièrement, avec les peuples autochtones.
[433] Enfin, comme la confiance du public est la pierre angulaire de l'efficacité des services de police, la Commission espère que le présent rapport contribuera à accroître la confiance du public à l'égard de la GRC.
[434] Conformément au paragraphe 45.76(1) de la Loi sur la GRC, je dépose respectueusement mon rapport d'enquête d'intérêt public.
Michelaine Lahaie
Présidente
Annexe A – Résumé des conclusions et des recommandations
Conclusions
Conclusion no 1 : Les membres de la GRC dépêchés à la propriété des Stanley, y compris le sergent Sawrenko, ont agi conformément à la politique sur les enquêtes de première intervention.
Conclusion no 2 : Les mesures initiales prises par les membres de la GRC en cause en réaction à la plainte étaient raisonnables.
Conclusion no 3 : Le sergent Sawrenko a agi de façon raisonnable en supervisant l'intervention initiale sur la scène de crime.
Conclusion no 4 : Les membres de la GRC dépêchés à la propriété des Stanley sont intervenus en temps opportun.
Conclusion no 5 : Il était raisonnable d'arrêter sans mandat E. M., B. J. et K. W. pour l'infraction criminelle de méfait.
Conclusion no 6 : E. M. a été arrêté conformément aux alinéas 10a) et 10b) de la Charte.
Conclusion no 7 : B. J. et K. W. ont été arrêtées conformément aux alinéas 10a) et 10b) de la Charte.
Conclusion no 8 : Dans les circonstances, la façon dont le caporal Fee et le gendarme Teniuk ont mené les entrevues de K. W., de B. J. et d'E. M. était déraisonnable.
Conclusion no 9 : Dans les circonstances, la façon dont le gendarme Teniuk a mené l'entrevue de C. C. était raisonnable.
Conclusion no 10 : Le maintien en détention d'E. M., de B. J. et de K. W. à la suite de leurs déclarations à la GRC le 10 août 2016 était déraisonnable et non justifié selon le paragraphe 497(1.1) du Code criminel.
Conclusion no 11 : Dans les circonstances, la décision de procéder à une nouvelle entrevue auprès de B. J. était raisonnable.
Conclusion no 12 : Dans les circonstances, la façon dont le gendarme Boogaard a procédé à une nouvelle entrevue auprès de B. J. était raisonnable.
Conclusion no 13 : Il était déraisonnable que les membres du triangle de commandement (le sergent Olberg et les gendarmes Boogaard et Wudrick) n'envisagent pas de donner des directives selon lesquelles L. S. et S. S. ne devaient pas discuter de l'incident avant de donner leurs déclarations de témoins à la police.
Conclusion no 14 : Il était déraisonnable que le sergent Sawrenko omette de dire à L. S. et à S. S. de ne pas discuter de l'incident avant de présenter leurs déclarations de témoins.
Conclusion no 15 : Dans les circonstances, les gestes posés par le caporal Olney à l'égard d'A. D. étaient raisonnables.
Conclusion no 16 : Le caporal Fee et les gendarmes Wright et Teniuk auraient dû tenter de convaincre M. F. et G. F. d'être interrogés séparément.
Conclusion no 17 : Le sergent Olberg avait des motifs raisonnables de croire que M. Stanley avait commis l'infraction de meurtre et qu'il pouvait être arrêté sans mandat en vertu de l'article 495 du Code criminel.
Conclusion no 18 : La directive du sergent Olberg de procéder à l'arrestation de M. Stanley pour meurtre était raisonnable.
Conclusion no 19 : M. Stanley a été arrêté d'une manière conforme aux alinéas 10a) et 10b) de la Charte.
Conclusion no 20 : Vu les circonstances, la façon dont le gendarme Gullacher a interrogé M. Stanley était raisonnable.
Conclusion no 21 : Le sergent Olberg n'a pas veillé à ce que la dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition soit rédigée en temps opportun.
Conclusion no 22 : Dans le présent dossier, un nombre insuffisant de membres de la GRC étaient rémunérés pour être en disponibilité afin d'intervenir en temps opportun en cas d'enquêtes sur des crimes graves.
Conclusion no 23 : Vu les défis inhérents aux services de police en milieu rural, la décision du Groupe des crimes graves de séparer les personnes concernées dans deux détachements de la GRC était raisonnable.
Conclusion no 24 : Dans la présente affaire, l'utilisation d'un centre de commandement mobile aurait pu s'avérer utile et aurait peut‑être permis d'éviter certains problèmes ou certaines omissions qui ont été constatés.
Conclusion no 25 : Les politiques et procédures de la GRC en matière de préservation et de protection des éléments de preuve n'ont pas été raisonnablement respectées, et un élément de preuve clé, le Ford Escape, est resté exposé à la contamination.
Conclusion no 26 : L'incapacité de la GRC de protéger le Ford Escape a entraîné l'altération et la perte d'éléments de preuve sous forme de traces et de taches de sang.
Conclusion no 27 : La décision du sergent Sawrenko de permettre à L. S. et à S. S. de retirer un véhicule de la scène de crime pour se rendre au détachement de la GRC de Biggar était déraisonnable.
Conclusion no 28 : Vu l'importance du Ford Escape, qui était un élément de preuve clé de l'enquête, il aurait été prudent de consulter l'avocat de la Couronne avant de s'en départir.
Conclusion no 29 : La décision du gendarme Boogaard de se départir du Ford Escape à la suite de l'examen effectué par le Service de l'identité judiciaire s'inscrivait dans la gamme des options raisonnables qui s'offraient à lui et constituait donc un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire.
Conclusion no 30 : Il était déraisonnable qu'un ou plusieurs membres du Groupe des crimes graves ne se présentent pas plus rapidement sur la scène de crime.
Conclusion no 31 : Dans la présente affaire, le gendarme Heroux et le caporal Ryttersgaard étaient adéquatement formés et qualifiés pour s'acquitter des tâches liées à l'identité judiciaire qui leur ont été confiées.
Conclusion no 32 : À l'époque, la pratique qui consistait à ne pas prévoir un membre désigné de la GRC en disponibilité dans chaque unité du Service de l'identité judiciaire était déraisonnable.
Conclusion no 33 : Une solution de rechange locale selon laquelle le membre en disponibilité du Service de l'identité judiciaire tentait de communiquer avec un membre du Service de l'identité judiciaire situé dans le secteur de la scène de crime était déraisonnable.
Conclusion no 34 : Il était déraisonnable qu'un seul membre du Service de l'identité judiciaire — un membre qui ne possède pas la qualification de spécialiste de l'identité judiciaire — soit présent sur la scène du crime pour en effectuer l'expertise par lui‑même pendant trois heures.
Conclusion no 35 : Les gendarmes Doucette et Park ont agi de façon raisonnable afin de recueillir et de préserver des éléments de preuve qui risquaient d'être perdus.
Conclusion no 36 : Les gendarmes Doucette et Park n'ont pas documenté adéquatement le traitement et le transfert des éléments de preuve qu'ils ont recueillis.
Conclusion no 37 : La décision du gendarme Heroux de communiquer avec un analyste de la morphologie des taches de sang trois jours après l'incident était déraisonnable.
Conclusion no 38 : L'équipe du Groupe des crimes graves a appliqué la méthode de la gestion des cas graves et ses neuf principes essentiels, conformément à la politique nationale MO 25.3. (Gestion des cas graves) de la GRC.
Conclusion no 39 : L'équipe d'enquête disposait de suffisamment de membres pour mener l'enquête sur le décès de M. Boushie, et ce, en dépit de la charge de travail importante mentionnée et des autres fonctions.
Conclusion no 40 : Les membres de l'équipe d'enquête coordonnée, y compris les membres du triangle de commandement, possédaient la formation et l'expérience nécessaires pour s'acquitter avec compétence des rôles et des responsabilités qui leur ont été attribués dans le cadre de l'enquête.
Conclusion no 41 : Il n'était pas raisonnable que les gendarmes Boogaard et Teniuk se présentent à la veillée pour informer la famille de l'état d'avancement de l'enquête criminelle.
Conclusion no 42 : Les communications internes ont été inadéquates dans certaines situations au cours de l'enquête.
Conclusion no 43 : La communication déficiente entre les diverses unités de la GRC qui ont participé à l'enquête sur le décès de M. Boushie a donné lieu à certaines erreurs et à certains manques d'efficience.
Conclusion no 44 : La discrimination n'est pas établie à première vue en ce qui concerne l'approche tactique de la police et la fouille du domicile familial des Baptiste.
Conclusion no 45 : La discrimination est établie à première vue quant à la conduite de la police à l'égard de Mme Baptiste en ce qui concerne sa sobriété et sa crédibilité.
Conclusion no 46 : La discrimination n'est pas établie à première vue concernant le traitement d'E. M., de B. J., de K. W. et de C. C. pendant leurs entrevues avec la police.
Conclusion no 47 : La discrimination n'a pas été établie à première vue en ce qui concerne les lacunes de l'enquête criminelle sur le décès de M. Boushie, y compris les problèmes liés à l'obtention des éléments de preuve.
Recommandations
Recommandation no 1 : Que le caporal Fee et le gendarme Teniuk reçoivent des directives opérationnelles concernant la politique de la GRC sur les entrevues des témoins.
Recommandation no 2 : Qu'on demande au sergent Olberg de passer en revue les motifs de détention énumérés au paragraphe 497(1.1) du Code criminel.
Recommandation no 3 : Que la GRC révise sa politique MO 24.1. (Interrogatoires et déclarations : Suspects, accusés et témoins) pour tenir compte du traitement des témoins en détention interrogés dans le cadre d'enquêtes criminelles où ils ne sont pas suspects.
Recommandation no 4 : Que la GRC donne des conseils et fournisse du mentorat et/ou de la formation aux membres du triangle de commandement (le sergent Olberg et les gendarmes Boogaard et Wudrick) ainsi qu'au sergent Sawrenko au sujet de la gestion des témoins.
Recommandation no 5 : Qu'on demande au caporal Fee et aux gendarmes Wright et Teniuk de passer en revue la politique nationale MO 24.1. (Interrogatoires et déclarations : Suspects, accusés et témoins) de la GRC.
Recommandation no 6 : Que la GRC fournisse au sergent Olberg des directives, du mentorat et/ou de la formation sur la rédaction en temps opportun d'une dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition.
Recommandation no 7 : Que la GRC veille à ce que des ressources adéquates soient disponibles en temps opportun pour mener des enquêtes en cas de crimes graves.
Recommandation no 8 : Que la haute direction de la Division « F » de la GRC envisage d'acquérir un centre de commandement mobile.
Recommandation no 9 : Qu'on demande aux membres concernés du Groupe des crimes graves et du Service de l'identité judiciaire de passer en revue les conclusions du présent rapport en compagnie d'un cadre de la GRC.
Recommandation no 10 : Que les membres concernés du Groupe des crimes graves et du Service de l'identité judiciaire reçoivent une orientation opérationnelle sur les politiques et procédures de la GRC en matière de préservation et de protection des éléments de preuve.
Recommandation no 11 : Qu'un cadre de la GRC fournisse une orientation opérationnelle au sergent Sawrenko sur l'importance de protéger et de préserver les éléments de preuve sur la scène d'un crime.
Recommandation no 12 : Que, dans les dossiers futurs, le chef du Groupe des crimes graves veille à ce qu'un membre de son groupe se rende plus rapidement sur la scène de crime.
Recommandation no 13 : Que l'on demande aux gendarmes Doucette et Park de passer en revue la politique MO 25.2. (Notes de l'enquêteur).
Recommandation no 14 : Qu'on demande au gendarme Heroux de passer en revue le présent rapport avec un membre principal du Service de l'identité judiciaire et de discuter de l'importance de la participation d'un analyste de la morphologie des taches de sang sur les scènes de crime où il y a eu effusion de sang.
Recommandation no 15 : Qu'on demande aux gendarmes Boogaard et Teniuk de passer en revue la présente conclusion en compagnie d'un cadre de la GRC.
Recommandation no 16 : Qu'on demande au caporal Olney et aux membres du triangle de commandement (le sergent Olberg et les gendarmes Boogaard et Wudrick) de lire le présent rapport en compagnie d'un cadre de la GRC.
Recommandation no 17 : Qu'une formation de sensibilisation à la culture soit offerte à tous les employés de la GRC en tenant compte des facteurs relevés dans les enquêtes récentes.
Annexe B – Principaux membres de la GRC qui ont participé à l'enquête de la GRC sur le décès de Colten Boushie
DÉTACHEMENT |
NOM |
GRADE |
FONCTIONS/PARTICIPATION |
---|---|---|---|
GCG de Saskatoon |
Boogaard, Ryan |
Gendarme |
Enquêteur principal du Groupe des crimes graves; deuxième entrevue de B. J. |
Fee, Dallas |
Caporal |
Entrevues de K. W., d'E. M., de M. F., de G. F. et d'A. D.; efforts pour protéger le Ford Escape entreposé. |
|
Groenen, Bill |
Gendarme |
Deuxième entrevue de B. J. |
|
Gullacher, Aaron |
Gendarme |
Entrevues de S. S., de L. S. et de M. Stanley; présence sur la scène et découverte de la douille. |
|
Nordick, Doug |
Caporal |
Déposant du mandat de perquisition; présence à l'autopsie et obtention des pièces à conviction; liaison avec le toxicologue; préparation d'une demande judiciaire pour obtenir les documents d'entrevue de la FNAS. |
|
Olberg, Brent |
Sergent |
Chef d'équipe du Groupe des crimes graves; communiqué de presse. |
|
Rockel, Dale |
Sergent d'état‑major |
Chef d'équipe intérimaire pendant l'absence du sergent Olberg. |
|
Teniuk, Cory |
Gendarme |
Entrevues de C. C., d'A. D., de M. F. et de B. J.; enquête à la propriété de M. F. et de G. F.; efforts pour protéger le Ford Escape entreposé. |
|
Wudrick, Lindsay |
Gendarme |
Coordonnateur des dossiers du Groupe des crimes graves; attribution des tâches aux agents et aux enquêteurs; premier contact avec le membre du SIJ en disponibilité. |
|
SIJ de Saskatoon |
Heroux, Terry |
Gendarme |
Expertise judiciaire de la scène. |
SIJ de Yorkton |
Ryttersgaard, Mark |
Caporal |
Expertise judiciaire de M. Stanley; expertise judiciaire de la scène. |
Battleford |
Ahlers, Michelle |
Gendarme |
Notification du plus proche parent et fouille de la résidence des Baptiste. |
Blacklock, Justin |
Gendarme |
Notification du plus proche parent et fouille de la résidence des Baptiste; sécurité de la scène; transport d'E. M. au détachement de Battleford. |
|
Carter, Jeff |
Caporal |
Notification du plus proche parent et fouille de la résidence des Baptiste; sécurité de la scène. |
|
Cockrum, Laura |
Gendarme |
Arrestation d'E. M.; notification du plus proche parent et fouille de la résidence des Baptiste; transport d'E. M. vers le détachement de Battleford. |
|
Doucette, Chad |
Gendarme |
Notification du plus proche parent et fouille de la résidence des Baptiste. |
|
French, Vanessa |
Gendarme |
Arrestation et détention de K. W. |
|
Sansome, Melvin |
Caporal |
Services cynophiles; arrestation d'E. M.; poursuite de camionnettes suspectes; notification du plus proche parent et fouille de la résidence des Baptiste. |
|
Battleford |
Olney, Jason |
Caporal |
Premier superviseur de la scène; sécurité des lieux; notification du plus proche parent et fouille de la résidence des Baptiste; obtention de renseignements au sujet de C. C. fournis par A. D. |
Olson, Adam |
Gendarme |
Arrestation et détention d'E. M., de K. W. et de B. J. |
|
Biggar |
Park, Andrew |
Gendarme |
Communication initiale avec S. S.; arrestation et détention de K. W. et de B. J.; sécurité de la scène; enquête à la propriété de M. F. et de G. F.; poursuite de camionnettes suspectes; conservateur des pièces à conviction. |
Parmar, Arvind |
Gendarme |
Réception de l'appel initial de la STO concernant l'incident; appel des agents de Biggar et de Battleford; établissement du périmètre de la scène de crime; arrestation, transport et photographie de M. Stanley; soutien dans le cadre de l'expertise judiciaire de M. Stanley. |
|
Sawrenko, Colin |
Sergent |
Commandant du détachement de Biggar; a dirigé l'envoi initial de ressources sur les lieux; superviseur de la scène; poursuite de camionnettes suspectes. |
|
Wright, Mark |
Gendarme |
A mis les Stanley sous garde; poursuite de camionnettes suspectes; enquête à la propriété de M. F. et de G. F.; entrevues de M. F. et de G. F.; sécurité de la scène; transport de M. Boushie à l'hôpital. |
Remarque : Les grades indiqués sont ceux qui étaient attribués au moment de l'enquête.
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