Rapport final à la suite d’une plainte déposée par le président et d’une enquête d’intérêt public sur la conduite d’une enquête relative à une plainte du public

(en vertu des paragraphes 45.66(1) et 45.76(3) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada)

Plaignant : Président de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC

Aperçu

[1] La présente plainte déposée par le président et l'enquête d'intérêt public connexe ont donné à la Commission une occasion d'examiner en détail le système de traitement des plaintes du public de la GRC à la suite des importantes préoccupations soulevées lors de l'examen d'une plainte du public en particulier.

[2] L'enquête de la Commission a révélé une conduite extrêmement préoccupante de la part de plusieurs des parties ayant participé à une enquête sur une plainte du public. Il y est notamment question d'un enquêteur chargé d'examiner les plaintes du public ayant refusé d'obéir aux directives d'un supérieur, du mépris et de l'ignorance de la preuve disponible, de mauvaises traductions de déclarations cruciales, et d'un comportement hostile envers un avocat représentant la plaignante. La Commission a également conclu que la plaignante dans cette affaire semblait avoir subi un traitement inéquitable en raison de sa race.

[3] La GRC a adopté bon nombre des recommandations de la Commission, y compris en interdisant à un certain enquêteur sur les plaintes du public de continuer à enquêter sur toute plainte du public avant d'avoir reçu l'éducation ou la formation appropriée lui permettant d'acquérir une compréhension solide des compétences et des connaissances requises pour mener une enquête sur une plainte du public.

[4] Bien que la Commission ait formulé de nombreuses autres conclusions et recommandations valables pour remédier à toute inconduite sur le plan individuel, l'intérêt général du public dans cette affaire est lié aux recommandations visant le processus de traitement plaintes du public de la GRC lui-même.

[5] La GRC a pris plusieurs mesures en réponse à ce rapport pour répondre aux préoccupations de la Commission. Ces mesures comprennent la mise à jour des pratiques et des politiques relatives aux conflits d'intérêts et aux préjugés, la révision du Guide national sur le traitement des plaintes du public de la GRC et la création d'un cours de formation à l'intention des enquêteurs de la GRC chargés d'examiner les plaintes du public.

[6] La GRC a également appuyé la recommandation de la Commission concernant la prise immédiate de mesures proactives pour remédier à toute apparence ou existence de racisme systémique dans le processus de traitement des plaintes du public.

[7] Bien que la commissaire de la GRC ait souligné plusieurs initiatives prises par la GRC à cet égard, la Commission continue de soulever des préoccupations selon lesquelles ces initiatives sont de nature générale et ne répondent pas aux préoccupations plus précises que la Commission avait soulevées relativement au processus de traitement des plaintes du public.

[8] La Commission souligne que la commissaire de la GRC a reconnu que la conduite de cette enquête sur une plainte du public était problématique, et a pris des engagements pour régler bon nombre des problèmes systémiques qui ont été relevés par la Commission. La Commission espère que les initiatives stratégiques plus générales de la GRC permettront d'améliorer le processus de traitement des plaintes du public et que les problèmes soulevés dans le présent rapport ne se reproduiront pas.

Historique du cas et de la plainte connexe

[9] Au cours de son examen d'une certaine plainte du public, la Commission a relevé plusieurs sujets de préoccupation concernant l'enquête sur cette plainte du public menée par la GRC. Les préoccupations de la Commission étaient suffisamment graves pour justifier une plainte distincte, déposée par le président de la Commission, afin d'examiner de façon plus approfondie le processus de traitement des plaintes du public en lien avec l'incident en question. Cette nouvelle plainte a été déposée le 31 juillet 2017. La Commission a entrepris sa propre enquête sur cette nouvelle plainte.

Enquête d'intérêt public

[10] La plainte déposée par le président et l'enquête d'intérêt public s'intéressaient à la question de déterminer :

  • 1) Si le caporal Shane Ryan, le sergent Raimo Loo, le sergent d'état-major Brad Freer ou tout autre membre de la GRC identifié au cours de l'enquête ont mené une enquête raisonnable et impartiale sur la plainte d'A. B.Note de bas de page *;
  • 2) Si le sergent Loo et le sergent d'état-major Freer ont raisonnablement évalué les conflits d'intérêts potentiels dans cette affaire;
  • 3) Si le sergent Loo a agi raisonnablement dans sa conduite envers l'avocat d'A. B.
  • 4) Si le surintendant principal Tony Hamori a exercé de façon raisonnable son rôle de décideur de la GRC dans cette affaire;
  • 5) Si les politiques et les pratiques de la GRC sont raisonnables en ce qui concerne les enquêtes sur les plaintes du public et les conflits d'intérêts;
  • 6) Si la conduite des membres de la GRC susmentionnés relativement à cette affaire a causé le traitement inéquitable d'A. B. en raison de sa « race », ou l'apparence d'un tel traitement.

Processus

[11] La Commission est un organisme indépendant qui examine les plaintes du public relatives à la conduite de policiers de la GRC. Elle ne fait pas partie de la GRC.

[12] La décision de la Commission s'est fondée sur les éléments de preuve suivants :

  • La plainte du public originale et l'examen de cette plaine qui a donné lieu à la nouvelle plainte du président dont il est ici question;
  • Les déclarations volontaires des membres de la GRC concernés;
  • Les correspondances par courriel et autres documents fournis par la GRC;
  • Les lois et les politiques qui s'appliquent.

[13] Au terme de son enquête, la Commission a publié un rapport intérimaire sur l'enquête d'intérêt public (EIP) de 36 pages, formulant 15 conclusions et 13 recommandations.

[14] Aux termes du paragraphe 45.76(2) de la Loi sur la GRC, la commissaire de la GRC est tenue de fournir par écrit une réponse qui fait état de toute mesure additionnelle qui a été ou sera prise à la lumière des conclusions et des recommandations contenues dans le rapport intérimaire de la Commission.

[15] La Commission a bien reçu cette réponse de la commissaire de la GRC, qui est datée du 18 novembre 2021. La commissaire de la GRC était d'accord avec la plupart des conclusions et recommandations de la Commission.

[16] L'analyse qui est fournie ci-dessous à l'appui des conclusions et des recommandations de la Commission est extraite du rapport intérimaire de la Commission. Elle s'appuie sur l'état du droit et les politiques qui avaient cours au moment de la publication du rapport intérimaire, c'est-à-dire au moment où la Commission a formulé ses conclusions et recommandationsNote de bas de page 1. À la fin de chaque section du présent rapport, la Commission aborde les réponses de la GRC aux conclusions et recommandations qui s'y rapportent.

Faits

[17] Le 8 octobre 2015, le gendarme Loder a effectué un contrôle routier au centre-ville de Brooks, en Alberta.

[18] Il y avait deux occupants à bord du véhicule qu'a arrêté le gendarme Loder – un conducteur de sexe masculin, et une passagère de sexe féminin, qui a ensuite été identifiée et que l'on nommera par les initiales A. B. dans la suite du présent rapport. Puisque la question du racisme fait partie des problèmes abordés plus loin dans ce rapport, il est important de noter qu'A. B. est noire, alors que le conducteur de la voiture et les policiers impliqués dans l'incident sont blancs.

[19] À la suite d'une brève vérification routière, le gendarme Loder a arrêté le conducteur pour conduite avec facultés affaiblies. Au cours du processus d'arrestation, le conducteur a suggéré au gendarme Loder fasse de faire enquête sur A. B., à qui il a dit avoir acheté des services sexuels plus tôt dans la soirée.

[20] Le gendarme Loder a suivi le conseil reçu du conducteur arrêté, amorçant une enquête sur A. B. pour infraction à un règlement administratif municipal, ce qui a mené à l'arrestation d'A. B. pour entrave lorsqu'elle a refusé de s'identifier. A. B. a alors été détenue en cellule pendant une nuit et a été accusée d'entrave à un agent de la paix.

[21] Après quelques jours, A. B. a déposé une plainte du public directement auprès de la GRC, au détachement de Brooks. Elle a alors parlé avec le sergent Loo et lui a fait part de ses préoccupations au sujet de ce qui s'était passé.

[22] Le sergent Loo était le superviseur indirect des membres de la GRC en cause. En fait, il était le superviseur du caporal qui supervisait les membres en cause; toutefois, à titre de sous-officier responsable des opérations, il était régulièrement appelé à surveiller et à examiner le travail des gendarmes.

[23] C'est ultimement le sergent Loo qui a été chargé de mener l'enquête sur la plainte du public déposée par A. B., cette tâche lui ayant été confiée par le sergent d'état-major Freer, agissant à titre de sous-officier responsable du Soutien des opérations du District. La section « Analyse » ci-dessous décrit en détail la façon dont cette enquête a été menée.

[24] Deux mois plus tard, à la suite de plaintes déposées par l'avocat d'A. B. et d'une intervention de la Direction nationale des plaintes du public (DNPP) de la GRC, le sergent Loo s'est vu retirer son rôle d'enquêteur sur les plaintes du public.

[25] Bien que l'enquête sur la plainte du public ait été terminée par l'autre enquêteur à qui elle a été assignée, c'est néanmoins le sergent Loo qui a mené la majeure partie de cette enquête.

[26] Le rapport de la GRC rejetant les allégations d'A. B. a été rédigé par le sergent d'état-major Freer et a été signé par le surintendant principal Hamori.

[27] A. B. a demandé que la Commission examine ce rapport de la GRC. Au terme de son examen, la Commission a formulé 18 conclusions et 20 recommandations dans son rapport intérimaire, y compris sur le fait que le gendarme Loder n'avait pas le pouvoir légal d'arrêter A. B., sur le fait que son enquête pour infraction à un règlement municipal était déraisonnable et n'était qu'un prétexte pour enquêter sur A. B. pour prostitution, sur le fait que la force employée contre A. B. avait été déraisonnable, sur le fait qu'A. B. avait été détenue de façon déraisonnable et sur le fait qu'A. B. avait été victime de racisme.

Analyse

Question préliminaire – crédibilité du sergent Loo

[28] Avant de présenter l'analyse complète de l'enquête de la Commission, une évaluation préliminaire de la crédibilité du sergent Loo est justifiée en raison de plusieurs préoccupations soulevées tout au long de l'enquête.

[29] La Commission a eu l'occasion d'examiner le dossier de l'enquête de la GRC sur la plainte du public dont le sergent Loo a été en grande partie responsable. Entre le 15 octobre 2015 et le 22 décembre 2015, le sergent Loo a été l'enquêteur principal et a produit plusieurs rapports de police, courriels, entrevues et notes concernant ses efforts d'enquête. Au cours de l'enquête de la Commission, le sergent Loo a également fourni des réponses écrites à plusieurs questions que lui avait posées cette dernière.

[30] Dans l'ensemble, la Commission conclut que le sergent Loo a parfois répondu à ses questions de façon évasive, tant dans le cadre de son enquête initiale sur la plainte du public que dans le cadre de la présente enquête. Plusieurs exemples sont présentés ci-dessous pour mettre en évidence les fondements de cette conclusion.

Enquête sur le conducteur du véhicule

[31] Comme l'a souligné la Commission dans son rapport intérimaire sur la plainte du public qu'a déposée A. B., l'une de ses préoccupations concerne le fait que le gendarme Loder a entrepris son enquête sur A. B. après que le présumé conducteur aux facultés affaiblies eut allégué qu'elle était une prostituée. La Commission a souligné le fait que ce n'est pas la vente de services sexuels qui constitue un crime au Canada, mais bien l'achat de services sexuelsNote de bas de page 2, notant que le gendarme Loder n'avait pas enquêté sur le conducteur, qui était pourtant le seul coupable manifeste d'un délit à cet égard selon l'information disponible. 

[32] Au cours de son enquête, la Commission a demandé au sergent Loo s'il s'était préoccupé du fait que le gendarme Loder avait omis d'enquêter sur le conducteur du véhicule pour l'achat de services sexuels.

[33] Dans sa réponse à la Commission, le sergent Loo a déclaré ce qui suit :

[Traduction] Je n'ai eu sous les yeux aucun élément de preuve (déclaration, rapport, etc.) pouvant indiquer qu'un tel incident s'était produit. C'est le caporal du gendarme Loder qui est responsable de l'examen au quotidien et de l'orientation des membres qui relèvent de lui. C'est donc au caporal qu'il incombait de vérifier, dans son examen du dossier, la présence de tels éléments de preuve et de déterminer les mesures de suivi appropriées.

[34] Cette réponse ne peut pas être réconciliée avec ce qu'indique le dossier de l'enquête sur la plainte du public de la GRC. En effet, cette enquête du sergent Loo visait essentiellement à déterminer si l'arrestation d'A. B. avait été raisonnable, cette arrestation ayant été faite par le gendarme Loder sur la foi des renseignements fournis par le conducteur qu'il avait arrêté.

[35] Dans le cadre de cette enquête sur la plainte du public, le sergent Loo a consigné l'information selon laquelle il a examiné, le 16 octobre 2015, le dossier opérationnel relatif à l'incident. Dans ce dossier, le gendarme Loder a écrit ce qui suit :

[Traduction] Le gendarme LODER a questionné [le conducteur] au sujet de la passagère dans le véhicule, et [le conducteur] a admis qu'il s'agissait d'une prostituée. [Le conducteur] a aussi admis avoir payé 300 $ à [A. B.].
[...]
La gendarme LODER a ensuite questionné [A. B.] pour savoir si elle se prostituait ...

[36] En outre, dans le cadre de l'enquête sur la plainte du public menée par le sergent Loo, une déclaration a été obtenue du conducteur en question. Cette déclaration, faite le 22 novembre 2015, a été incluse dans le dossier de l'enquête sous la forme d'une entrevue vidéo et d'une déclaration transcrite. Dans cette entrevue, le conducteur a déclaré ce qui suit :

[Traduction]
Interrogateur : Quand vous l'avez décrite, vous avez dit qu'elle était une escorte?
Conducteur : Ah! Oui, en effet, ses services d'escorte coûtaient un certain montant, et euh... j'imagine que vous voulez savoir combien?
Intervieweur : Oui.
Conducteur : C'était trois cents dollars

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise.]

[37] Le 7 décembre 2015, le sergent Loo a inscrit dans un rapport au dossier de cette enquête sur la plainte du public qu'il avait lu cette déclaration transcrite du conducteur.

[38] Enfin, dans un courriel daté du 20 octobre 2015, le sergent Loo a fourni un résumé de l'incident à un autre membre participant à l'enquête. Le sergent Loo a écrit :

[Traduction] ... [Le conducteur] prétend avoir payé 300 $ pour les services d'une prostituée, la passagère noire qui était présente dans sa voiture.

[39] Compte tenu de tous ces faits, la Commission considère que la réponse que lui a fournie le sergent Loo est une représentation inexacte de l'information dont il disposait à l'époque. En effet, l'information qu'il avait examinée laissait amplement entendre que le gendarme Loder savait que le conducteur avait admis avoir acheté des services sexuels d'A. B.

Plan d'entrevue

[40] Comme A. B. ne résidait pas dans la zone du détachement local, le sergent Loo a pris des dispositions avec un enquêteur de la zone où résidait A. B., le sergent Chris Van Imschoot, pour obtenir une déclaration d'A. B. En prévision de cette entrevue, le sergent Loo a préparé un résumé de l'incident ainsi qu'un plan d'entrevue pour aider le sergent Van Imschoot. Le sergent Loo a consigné, dans son rapport de police, son plan d'envoyer un tel document, et a ensuite envoyé cette information par courriel au sergent Van Imschoot, le 20 octobre 2015.

[41] Bien qu'une section ultérieure du présent rapport présente un examen approfondi de ce plan d'entrevue dans son ensemble, une question particulière que le sergent Loo proposait de poser à A. B. se doit d'être relevée ici :

[Traduction] Depuis combien de temps est-elle une escorte? (Elle a une page Web où elle a annoncé son arrivée à Brooks.)

[42] La Commission a eu de la difficulté à voir la pertinence de cette question à l'égard de l'enquête sur la plainte du public relative aux allégations d'A. B. La Commission a relevé cette préoccupation dans les questions écrites qu'elle a soumises au sergent Loo, qui a fourni la réponse suivante :

[Traduction] Je n'ai aucune note d'un tel « plan d'entrevue ». Sur quoi vous appuyez-vous pour présumer que j'ai effectué une recherche pour trouver une telle page Web et une telle annonce? Je n'ai jamais effectué une telle recherche. Je me souviens toutefois d'avoir entendu un membre qui, dans son travail, a confirmé l'existence d'une page Web, mais cela n'a aucune incidence sur le traitement sans parti pris ni préjugé d'une personne sous garde ou d'un citoyen canadien ayant déposé une plainte.

[43] Bien que le courriel du sergent Loo n'indique pas expressément s'il a lui-même examiné une page Web annonçant les services d'A. B., le fait qu'il ait inclus cette information dans l'une des sept questions de son plan d'entrevue réfute sa suggestion selon laquelle cela n'a eu aucune incidence sur l'enquête relative aux allégations d'A. B.

Conclusions quant à la crédibilité du sergent Loo

[44] Bien que les exemples ci-dessus ne suffisent pas à tirer une conclusion défavorable à l'égard de la crédibilité du sergent Loo, ils amènent la Commission à considérer le témoignage du sergent Loo avec un certain degré de prudence et de scepticisme, car ses réponses semblent plutôt évasives et exagérément défensives.

Première question : Déterminer si le caporal Ryan, le sergent Loo, le sergent d'état-major Freer ou tout autre membre de la GRC identifié au cours de l'enquête ont mené une enquête raisonnable et impartiale sur la plainte d'A. B

Deuxième question : Déterminer si le sergent Loo et le sergent d'état-major Freer ont raisonnablement évalué les conflits d'intérêts potentiels dans cette affaire

[45] Ces deux premières questions concernent les conflits d'intérêts et la partialité. Ces deux notions, étroitement liées, font intervenir bon nombre des mêmes faits et en viennent souvent à converger. Par conséquent, ces deux questions seront examinées sous la même rubrique, laquelle sera divisée en plusieurs sous-rubriques afin d'en aborder tous les différents aspects.

Décision du sergent d'état-major Freer d'affecter le sergent Loo à titre d'enquêteur chargé de cette plainte du public

[46] La toute première question consiste à déterminer s'il était raisonnable pour le sergent d'état-major Freer d'affecter le sergent Loo à titre d'enquêteur de la plainte du public dans cette affaire. Le sergent d'état-major Freer a confié cette enquête au sergent Loo le 27 octobre 2015 à la suite d'une série de courriels qu'ils se sont échangés au cours de la journée.

[47] Les seuls facteurs qui sont pertinents à l'évaluation de cette décision du sergent d'état-major Freer sont les faits dont il disposait à ce moment-là. Puisqu'il a confirmé cette décision par écrit à partir de renseignements fournis dans une série de courriels, il nous est relativement simple de cerner tous les renseignements pertinents.

[48] Dans l'un de ses premiers courriels, le sergent Loo a mentionné l'incident en question et a noté qu'A. B. avait été accusée. Il a aussi brièvement décrit la nature de la plainte du public comme suit : [traduction]

[Traduction] ... elle a déposé une plainte du public (arrestation illégale, voies de fait, détention illégale) par téléphone le 15 ...

[49] Dans un courriel ultérieur au sergent d'état-major Freer, le sergent Loo a inclus le formulaire 6402 de la GRC, intitulé Formulaire de déclaration de conflit d'intérêts, dûment rempli. Ce formulaire vise à aider les décideurs à déterminer s'il existe un conflit d'intérêts avant de confier une enquête à un enquêteur.

[50] Dans ce formulaire, le sergent Loo avait relevé deux possibles conflits d'intérêts :

[Traduction] Dans la chaîne de commandement, c'est de moi que relèvent le sous-officier responsable des opérations du détachement et les membres qui font l'objet de l'enquête;

Je suis actuellement affecté au détachement de Brooks, où est survenu l'incident auquel se rapporte l'allégation.

[51] Dans un courriel connexe adressé au sergent d'état-major Freer, le sergent Loo note également ce qui suit : 

[Traduction] Bonjour,
J'ai rempli le formulaire 6402 (ci-joint). J'estime qu'il n'y aurait aucun conflit d'intérêts, car tous les éléments de preuve recueillis sont transparents et ne montrent aucun signe de parti pris ou de partialité. J'ai enquêté sur les membres de ce détachement avant leur affectation et j'estime pouvoir mener l'enquête de manière impartiale.

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise.]

[52] À la suite de ce courriel, le sergent d'état-major Freer a confirmé la nomination du sergent Loo à titre d'enquêteur de la plainte du public dans cette affaire. Dans sa réponse, il a fait remarquer qu'il n'avait pas examiné le dossier opérationnel au moment de prendre sa décision.

[53] Le conflit d'intérêts et la partialité sont deux notions étroitement liées. Autrement dit, c'est pour se prémunir de tout risque de partialité que l'on doit déterminer la présence ou non d'un conflit d'intérêts qui empêcherait une personne de mener une tâche de façon impartiale. La partialité peut prendre deux formes, c'est-à-dire qu'il peut s'agir d'une partialité réelle ou d'une apparence de partialité, le seuil d'une telle apparence de partialité pouvant être significativement plus bas. Une évaluation de tout conflit d'intérêts potentiel doit être effectuée au cas par cas et déterminer s'il existe une partialité réelle ou toute apparence de partialité.

[54] En outre, il est important de noter que la partialité peut être consciente ou inconsciente. Une partialité inconsciente peut se manifester sans arrière-pensée, dans des situations où une personne agit autrement de bonne foi :

[Traduction] La partialité est ou peut être une attitude inconsciente, et une personne peut sincèrement affirmer qu'elle n'était pas réellement partiale et qu'elle n'a pas laissé ses propres intérêts influer sur sa pensée, bien qu'elle puisse avoir inconsciemment permis que cela se produise. La question doit être tranchée en fonction des probabilités qui peuvent être inférées des circonstancesNote de bas de page 3 ...

[55] Pour ces raisons, le sergent d'état-major Freer aurait dû accorder peu de poids à l'autoévaluation du sergent Loo quant à sa capacité d'entreprendre une enquête impartiale, compte tenu des possibilités de partialité inconsciente ainsi que de l'apparence de partialité. Il incombait au sergent d'état-major Freer d'effectuer sa propre évaluation de toute partialité probable du sergent Loo et de ne pas se fonder uniquement sur les assertions de ce dernier.

[56] La norme juridique applicable à une telle évaluation a été énoncée par la Cour suprême comme suit :

... À quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [la personne en question], consciemment ou non, ne rendra pas une décision justeNote de bas de page 4?

[57] Dans le cadre d'une telle évaluation, le sergent d'état-major Freer avait le devoir de tenir compte de la nature de la plainte du public ainsi que des risques de conflit d'intérêts soulevés par le sergent Loo par rapport à la norme susmentionnée.

[58] Dans le cas en question, la plainte du public d'A. B. alléguait une inconduite grave, y compris une infraction à la loi, contre un membre de la GRC. En outre, le sergent Loo avait indiqué que les membres de la GRC en cause relevaient de lui par l'entremise de la chaîne de commandement, qu'il travaillait au sein du détachement dans la zone où l'inconduite alléguée s'était produite, et qu'il avait reçu la plainte du public initiale d'A. B. et avait discuté de la question avec elle.

[59] Aucun de ces facteurs, pris isolément, n'excluait nécessairement la désignation du sergent Loo à titre d'enquêteur chargé de cette plainte du public. Toutefois, tous ces facteurs pris dans leur ensemble par rapport à la norme énoncée par la Cour auraient dû soulever des préoccupations suffisantes pour que le sergent d'état-major Freer évite de confier cette fonction au sergent Loo. À tout le moins, le sergent d'état-major Freer aurait dû se préoccuper suffisamment de la question pour prendre la peine de se familiariser avec l'affaire en examinant le dossier et en s'informant de toute participation passée ou future possible du sergent Loo dans l'enquête criminelle connexe à titre de sous-officier responsable des opérations.

[60] Une allégation selon laquelle un policier peut avoir commis un crime justifie un degré élevé de surveillance, et la qualité de l'enquête qui s'ensuit est une importante question d'intérêt public. Compte tenu de tous ces facteurs, une personne raisonnable conclurait probablement qu'il n'était pas approprié que le superviseur du membre en cause participe à l'enquête.

[61] Beaucoup plus tard dans l'enquête sur cette plainte du public, l'inspecteur Gerald Gervais, membre du Groupe de la responsabilité professionnelle de la GRC en Alberta, est arrivé à une conclusion similaire :

[Traduction] Sachant que le sergent Loo a indiqué dans son formulaire que les membres faisant l'objet de l'enquête relèvent de lui dans la chaîne de commandement, un tel lien étroit avec les membres en cause pourrait amener une personne raisonnable à percevoir un conflit d'intérêts.

[62] Pour ces raisons, la Commission conclut que la décision du sergent d'état-major Freer de désigner le sergent Loo à titre d'enquêteur sur la plainte du public dans cette affaire a été déraisonnable.

[63] Puisque le sergent d'état-major Freer a depuis pris sa retraite de la GRC, il ne fait l'objet d'aucune recommandation corrective.

Conclusion

  • 1) La décision du sergent d'état-major Freer de désigner le sergent Loo à titre d'enquêteur sur la plainte du public dans cette affaire a été déraisonnable.

Réponse de la commissaire de la GRC

La commissaire de la GRC a souscrit à cette conclusion de la Commission.

Partialité dans l'enquête sur cette plainte du public

[64] La Commission a relevé plusieurs préoccupations distinctes quant à la partialité dans le déroulement de l'enquête sur la plainte du public qui a suivi.

[65] Une première préoccupation concerne la conduite du sergent Loo relativement à l'enquête criminelle visant A. B. peu après le dépôt d'une plainte du public par cette dernière. 

[66] L'incident qui a mené à l'arrestation d'A. B. s'est produit le 8 octobre 2015 et a mené à la détention d'A. B. jusqu'au lendemain. Le 15 octobre 2015, A. B. a déposé sa plainte du public directement auprès du sergent Loo, y compris des allégations détaillées contre les membres en cause. Le lendemain, le sergent Loo semble avoir examiné le dossier opérationnel et donné des directives aux membres pour régler certains points qu'il avait relevés. 

[67] La Commission est arrivée à cette conclusion en se fondant sur les rapports de plusieurs des membres de la GRC concernés, ainsi que sur la note du sergent Loo dans son rapport du 16 octobre 2015 :

[Traduction] Cette plainte du public se rapporte à l'affaire du dossier Brooks 2015-1309321, gendarme Loder. Dossier examiné; il y manque les rapports additionnels de certains membres ...

[68] Le gendarme Paige, membre en cause dans la plainte du public originale d'A. B., a consigné ce qui suit dans son rapport :

[Traduction] 2015-10-16
15 h 17 : J'ai parlé avec le sergent LOO, qui m'a suggéré de consigner ma participation à ce dossier, ce que je n'avais pas encore fait.

[69] De plus, trois jours après qu'A. B. eut déposé sa plainte du public, le gendarme Loder a rédigé, dans le dossier opérationnel, un rapport qui traitait de chacun des aspects des allégations de cette plainte du public, et dont le ton semblait défensif. Ce nouveau rapport, qui ajoutait d'autres justifications à sa décision d'arrêter d'A. B., a été vivement critiqué dans le rapport de la Commission sur la plainte du public d'A. B.Note de bas de page 5 

[70] Il est tout particulièrement préoccupant de noter que le sergent Loo a omis de consigner, dans son rapport, toute communication avec les membres en cause et le fait qu'il leur a fourni des directives ou des suggestions concernant ce dossier.

[71] Ces observations démontrent les problèmes inhérents au fait d'agir comme superviseur de membres en cause dans une plainte du public tout en étant responsable de l'enquête sur cette plainte du public.

[72] Le fait de donner à des subalternes des conseils sur la façon de consigner leur participation à une enquête criminelle constitue une conduite appropriée pour un superviseur. Toutefois, le fait d'ordonner aux subordonnés de répondre aux allégations contenues dans une plainte du public – surtout sans consigner clairement ces actions dans le dossier de l'enquête sur la plainte du public – convie fortement, pour tout observateur objectif, une apparence de partialité. 

Conclusion

  • 2) Le fait que le sergent Loo a suggéré ou ordonné aux membres en cause de consigner davantage d'information au dossier opérationnel à la lumière de la plainte du public d'A. B. soulève une apparence de partialité et est déraisonnable.

Réponse de la commissaire de la GRC

La commissaire de la GRC a souscrit à cette conclusion de la Commission.

[73] Comme il a été mentionné précédemment, A. B. ne résidait pas dans la zone du détachement, et le sergent Loo a pris des dispositions pour que le sergent Van Imschoot mène une entrevue auprès d'elle. Ainsi, le 20 octobre 2015, il a envoyé au sergent Van Imschoot un courriel dans lequel il lui fournit un résumé des événements ainsi qu'un plan d'entrevue pour interroger A. B.Note de bas de page 6

[74] Voici en quoi consistait le plan d'entrevue complet proposé par le sergent Loo pour interroger A. B. :

[Traduction] Questions à poser une fois qu'elle aura déposé sa version des événements de la nuit en question :

- Quelle est la quantité de drogue et d'alcool qu'elle avait consommée cette nuit-là?
- Considère-t-elle qu'elle avait les facultés affaiblies ou qu'elle se sentait juste bien?
- Depuis combien de temps est-elle une escorte? (Elle a une page Web où elle a annoncé son arrivée à Brooks.)
- Avait-elle compris que le gendarme Loder était un policier qui lui demandait, de façon légale, de s'identifier au titre de l'article 166 de la Traffic Safety Act?
- Pourquoi n'était-elle pas sortie du véhicule à la demande du policier, sachant que ce n'était pas son véhicule et qu'il fallait le remorquer?
- Pourquoi a-t-elle tant résisté physiquement à son arrestation?
- Quel résultat espère-t-elle tirer de cette plainte du public? – Obtenir un règlement informel. Le membre avait légalement le pouvoir de procéder à l'arrestation, mais elle y a résisté/fait entrave, d'où les accusations.

[75] La plainte d'A. B. alléguait en gros que son arrestation avait été illégale et que les recours subséquents à la force et la détention étaient donc également illégaux. Par conséquent, le règlement de cette plainte reposait en grande partie sur la question de savoir si le gendarme Loder avait le pouvoir légal d'exiger une pièce d'identité d'A. B., puis de l'arrêter lorsqu'elle a refusé de le faire. Le plan d'entrevue du sergent Loo laisse entendre qu'il avait déjà tiré les principales conclusions à ces questions avant même d'avoir évalué la preuve et d'avoir obtenu la version des faits d'A. B.

[76] Plus précisément, le commentaire du sergent Loo selon lequel « le gendarme Loder était un policier qui lui demandait, de façon légale, de s'identifier », aborde l'essence même de l'analyse juridique requise pour déterminer la validité des allégations d'A. B. Les policiers ne possèdent pas le pouvoir inhérent d'exiger une pièce d'identité d'une personne. Il doit exister un fondement juridique sous-jacent à une telle demande. De toute évidence, le sergent Loo avait prédéterminé la réponse à cette question sans avoir consigné une telle analyse juridique.

[77] De plus, la remarque du sergent Loo selon laquelle « [l]e membre avait légalement le pouvoir de procéder à l'arrestation, mais elle y a résisté/fait entrave, d'où les accusations » aborde de nouveau l'essence de l'analyse juridique requise. Le fait qu'une accusation ait été portée ne constitue pas une preuve à l'appui de la conclusion du sergent Loo, et le fait que le procureur de la Couronne ait demandé l'arrêt des procédures dans cette affaire renforce ce point. Encore une fois, les commentaires du sergent Loo montrent qu'il avait déterminé à l'avance l'issue de la plainte.

[78] De plus, les questions du sergent Loo concernant le travail d'escorte d'A. B. et son niveau d'intoxication lors de son arrestation n'étaient pas pertinentes à la plainte du public qu'elle a déposée. Le gendarme Loder n'avait pas consigné dans son rapport que l'intoxication était un facteur dans son arrestation d'A. B. De plus, travailler comme « escorte » n'est pas un crime au Canada. La persévérance du sergent Loo relativement à cet aspect de l'incident, y compris sa remarque selon laquelle A. B. avait une page Web sur son travail d'escorte, était déraisonnable.

[79] Enfin, la question du sergent Loo concernant la résistance d'A. B. à son arrestation n'était pas pertinente à la plainte du public qu'elle a déposée. Tout policier devrait savoir que si la première allégation d'A. B. devait être étayée et si, autrement dit, son arrestation était effectivement illégale, elle aurait eu tous les droits de résister à cette arrestation illégale avec une force raisonnable.

[80] Dans l'ensemble, le plan d'entrevue du sergent Loo était déraisonnable et montre un parti pris dans son enquête globale sur cette plainte du public.

Conclusion

  • 3) Le plan d'entrevue du sergent Loo pour interroger A. B. comprenait des questions qui n'étaient, objectivement, pas pertinentes à la plainte du public de cette dernière, cela portant à croire qu'il avait déterminé d'avance l'issue de la plainte. Dans l'ensemble, le plan d'entrevue qu'il a proposé était déraisonnable et donnait une impression de parti pris dans son enquête sur cette plainte du public.

Réponse de la commissaire de la GRC

La commissaire de la GRC a souscrit à cette conclusion de la Commission.

[81] Au cours de l'enquête du sergent Loo sur la plainte du public d'A. B., l'avocat d'A. B., que l'on nommera par les initiales C. D. dans le présent rapport, a soulevé à plusieurs reprises la question de partialité auprès du sergent Loo. Tout au long de cette période, le sergent Loo et C. D. ont échangé de courriels dont le ton était devenu relativement hostile. Ce point de préoccupation a finalement été soumis au Groupe de la responsabilité professionnelle de la division, avant d'être examiné par la Direction nationale des plaintes du public (DNPP) de la GRC.

[82] Au cours de cette période, soit le 18 novembre 2015, l'officier responsable du Groupe de la responsabilité professionnelle de la Division, l'inspecteur Gervais, a donné au sergent Loo, par écrit, les instructions suivantes :

[Traduction] La Direction nationale des plaintes du public collabore avec les Services juridiques à l'examen de cette affaire en vue de formuler des recommandations pertinentes qui vous seront utiles ainsi qu'à notre unité. D'ici là, puis-je vous demander de vous abstenir de communiquer avec [C. D.] sous quelque forme de correspondance que ce soit, verbale ou écrite, à moins que je l'examine au préalable de concert avec votre sous-officier conseiller de District, etc.; s'il vous plaît.

[Caractères gras ajoutés.]

[83] La DNPP a finalement recommandé que le sergent Loo soit retiré à titre d'enquêteur dans cette affaire pour des raisons liées à cette correspondance par courriel, laquelle sera examinée plus loin dans le présent rapport. Le Groupe de la responsabilité professionnelle de la Division a souscrit à cette recommandation et, le 22 décembre 2015, l'inspecteur Gervais a ordonné au sergent Loo de cesser toute participation à cette affaire.

[84] Peu après avoir reçu ce message, le sergent Loo a fait un suivi auprès de l'inspecteur Gervais, soulignant que l'enquête était presque terminée et qu'il serait en mesure de la clore en quelques jours. L'inspecteur Gervais a répondu à ce message quelques instants plus tard : 

[Traduction] ... À des fins de transparence et conformément aux directives reçues de la DNPP, vous devriez cesser toute participation au dossier concernant cette plainte du public, et un nouvel enquêteur prendra les dispositions nécessaires pour mener à bien les autres entrevues et faire rapport au décideur. [Caractères gras ajoutés.]

[85] Le sergent Loo a confirmé comme suit avoir compris cette directive dans son rapport de police : 

[Traduction] 14 h 48 – Message reçu de l'inspecteur G. Gervais selon lequel le rédacteur du présent rapport doit cesser de participer à l'enquête conformément aux directives de la DNPP...

[86] Malgré les directives sans équivoque de l'inspecteur Gervais, le sergent Loo a continué d'intervenir dans l'affaire. Le 22 décembre 2015 et le 6 janvier 2016, il a correspondu avec C. D. dans une série de courriels portant sur cette affaire, reprenant le ton hostile des courriels échangés auparavant. Ces courriels ne semblent pas avoir été examinés ou approuvés par l'inspecteur Gervais. Le sergent Loo a défendu ses actions dans une déclaration écrite à la Commission, indiquant ce qui suit :

[Traduction] Le 22 décembre 2015, à 8 h 4, j'ai répondu à un courriel de C. D.; or, c'est plus tard dans la journée que j'ai reçu l'instruction de ne plus participer à cette enquête. C. D. a toutefois poursuivi la correspondance, ayant communiqué avec moi le 6 janvier 2016. Pour éviter que C. D. perçoive le fait de ne pas recevoir de réponse à sa demande comme un manque de professionnalisme ou de respect, j'ai répondu à ce courriel.

Cette réponse n'avait rien à voir avec l'enquête ni à une quelconque participation au processus. L'enquêteur nouvellement affecté ne travaillait pas à ce moment-là et je croyais que c'était la meilleure façon de procéder, c'est-à-dire en fournissant une réponse en temps opportun.

[87] On se doit de souligner que, depuis plusieurs mois, C. D. cherchait à ce que le sergent Loo soit retiré de cette enquête du public pour des raisons de partialité. De plus, l'objet de la correspondance de C. D. était directement lié à l'enquête sur la plainte du public.

[88] Les courriels que le sergent Loo a envoyés à C. D. ne mentionnaient pas qu'il avait été retiré de l'enquête. Les deux parties ont plutôt débattu de la signification appropriée d'un certain document à A. B.

[89] Pour le sergent Loo, une réponse professionnelle au courriel de C. D. aurait consisté à l'informer que l'affaire avait été confiée à un nouvel enquêteur et à lui fournir les coordonnées de ce dernier. Il était déraisonnable que le sergent Loo continue de communiquer avec C. D. en lien avec cette plainte du public après avoir reçu l'ordre de l'inspecteur Gervais de ne plus y participer. Qui plus est, les actions du sergent Loo ont perpétué la perception de C. D. selon laquelle il avait un parti pris dans cette affaire.

[90] De plus, il ne s'agit pas du seul cas où le sergent Loo a continué de participer à l'enquête. Le sergent Loo a continué de rédiger les lettres de mise à jour mensuelle fournies aux plaignants dans le cadre des plaintes du public. Le 15 janvier 2016, le sergent Loo a signé une lettre envoyée à A. B. dans laquelle il a écrit ce qui suit :

[Traduction] L'enquête sur votre plainte est maintenant terminée. L'affaire sera maintenant examinée par un cadre supérieur de la GRC et une décision sera prise en tenant compte des conclusions de l'enquête à l'égard des allégations de la plainte. Une fois cette décision prise, vous serez informée des résultats.

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à communiquer avec moi.

Veuillez agréer mes salutations distinguées,
(signé par)
Sergent Raimo LOO
détachement de Brooks, Sous-officier responsable des opérations

[Caractères gras ajoutés.]

[91] Le sergent Loo a été retiré de l'enquête parce que la GRC était d'avis que sa participation donnait à l'enquête une apparence de partialité. Le fait de continuer à rédiger les lettres de mise à jour mensuelle et de s'identifier comme la personne‑ressource compétente a perpétué cette apparence de partialité. Toute personne qui aurait reçu cette lettre allait raisonnablement conclure que le sergent Loo dirigeait toujours l'enquête.

[92] En outre, des éléments de preuve suggèrent que le sergent Loo a pris des mesures actives pour poursuivre l'enquête sur l'incident impliquant A. B. En effet, le 31 décembre 2015, le sergent Loo a chargé le gendarme Aziz de traduire du français vers l'anglais une déclaration obtenue lors de l'enquête sur la plainte du public, montrant par le fait même qu'il participait toujours activement à l'examen de cette enquête et à la prise de mesures connexes. Plus tard, à l'été 2016, le sergent Loo a communiqué avec la Ville de Brooks pour savoir si A. B. était titulaire d'un permis d'exploitation d'entreprise et si la Ville délivrait de tels permis pour des services d'escorte. La Ville y a répondu par écrit, dans une lettre adressée au sergent Loo et datée du 28 juillet 2016.

[93] Dans une réponse écrite à la Commission, le sergent Loo a reconnu avoir fait cette demande :

[Traduction] Vers la fin du printemps ou au début de l'été 2016, j'ai reçu, par téléphone, une demande du sous-officier conseiller de District de vérifier si la Ville de Brooks avait délivré un permis d'exploitation à A. B. Je crois qu'il s'agissait du sergent d'état-major Brunner. J'ai donc communiqué, par téléphone, avec le service de délivrance des permis d'exploitation de la Ville de Brooks, qui a confirmé qu'aucun permis n'avait été délivré à [A. B.] en 2015. On m'a aussi informé que la Ville de Brooks ne délivrait pas de permis pour les « services d'escorte ». Ce message a été transmis au sergent d'état-major Brunner, mais je ne sais pas si cela a été fait par téléphone ou par courriel. S'il s'agissait d'un courriel, le dossier papier en conserve possiblement une copie, mais je n'aurais plus une telle copie en ma possession.

[94] Sachant que l'accusation criminelle contre A. B. avait été suspendue à la demande du procureur de la Couronne plusieurs mois plus tôt (en janvier 2016), cette tâche pouvait uniquement être liée à l'enquête sur la plainte du public d'A. B. Le sergent Loo avait la responsabilité de rappeler que l'inspecteur Gervais lui avait donné instruction de ne plus participer à cette affaire d'aucune façon. Il avait également l'obligation légale de ne prendre aucune mesure liée à cette enquêteNote de bas de page 7. Il était déraisonnable qu'il persiste à entreprendre des démarches d'enquête à l'égard de cette plainte et renforce, une fois de plus, l'apparence de partialité dans cette affaire.  

[95] Dans l'ensemble, la Commission conclut que malgré des directives claires et sans équivoque de l'inspecteur Gervais, le sergent Loo a continué de participer de façon active à l'enquête sur la plainte du public déposée par A. B. De plus, étant donné que le sergent Loo avait été retiré de l'enquête en raison d'une apparence de partialité, le fait qu'il a néanmoins continué d'y participer, de quelque façon que ce soit, était particulièrement dommageable pour le processus en tant que telNote de bas de page 8. Son défaut de respecter l'ordre légitime d'un supérieur et de reconnaître la préoccupation qui se posait à l'égard d'une apparence de partialité était déraisonnable.

Conclusions

  • 4) Le sergent Loo a agi de façon déraisonnable en omettant de se conformer à la directive de l'inspecteur Gervais de cesser toute participation à l'enquête sur la plainte du public d'A. B.
  • 5) Le fait que le sergent Loo a continué de participer à l'enquête sur la plainte du public d'A. B. a exacerbé l'apparence de partialité du processus.

Réponse de la commissaire de la GRC

La commissaire de la GRC a souscrit à ces deux conclusions de la Commission.

Recommandations concernant le sergent Loo

[96] La conduite du sergent Loo dans cette affaire s'est démarquée de celle des autres personnes impliquées dans l'incident, s'éloignant considérablement de ce à quoi le public est en droit de s'attendre d'un membre de la GRC de ce grade.  

[97] Le sergent Loo a omis de se conformer à la directive précise dûment reçue de l'inspecteur Gervais de cesser toute participation à l'enquête sur la plainte du public d'A. B. De l'avis de la Commission, les mesures prescrites par le code de déontologie seraient une réponse appropriée à un tel mépris flagrant des directives d'un superviseur. 

[98] De plus, devant l'ampleur des écarts du sergent Loo dans le cadre du processus d'enquête sur cette plainte du public, la Commission a peu de foi en ses capacités de mener toute enquête sur les plaintes du public de façon juste et impartiale. Par conséquent, la Commission recommande que la GRC interdise au sergent Loo de participer à toute enquête sur une plainte du public avant d'avoir obtenu l'éducation ou la formation supplémentaire requise et avant que l'officier responsable de la DNPP soit convaincu, au terme de cette éducation ou formation, que le sergent Loo a acquis une compréhension solide des compétences et des connaissances requises pour mener une enquête sur une plainte du public. À cette fin, la Commission recommande également que la GRC fournisse une orientation opérationnelle au sergent Loo relativement à plusieurs des questions soulevées dans le présent rapport.

Recommandations

  • 1) La Commission recommande que la GRC tienne compte des mesures prescrites par le code de déontologie relativement au défaut du sergent Loo de se conformer à la directive de l'inspecteur Gervais de cesser toute participation à la plainte du public d'A. B.
  • 2) La Commission recommande que la GRC interdise au sergent Loo de faire enquête sur les plaintes du public, à quelque titre que ce soit, avant d'avoir obtenu l'éducation ou la formation supplémentaire requise et avant que l'officier responsable de la Direction nationale des plaintes du public soit convaincu que le sergent Loo a acquis une compréhension solide des compétences et des connaissances requises pour mener une enquête sur une plainte du public.
  • 3) La Commission recommande que le sergent Loo reçoive une orientation opérationnelle concernant les enquêtes sur les plaintes du public, notamment en ce qui concerne les conflits d'intérêts et les communications professionnelles.

Réponse de la commissaire de la GRC

La commissaire de la GRC a appuyé ces trois recommandations de la Commission. Elle a toutefois souligné que les mesures prescrites par le code de déontologie n'étaient pas une option disponible en raison du temps écoulé depuis l'incident. Elle a plutôt ordonné que le sergent Loo reçoive des directives et une orientation opérationnelle ayant trait à son défaut, pleinement documenté, de se conformer à la directive que lui a donnée un supérieur.

La commissaire de la GRC a ordonné la mise en œuvre des deux autres recommandations de la Commission.

Analyse de la réponse de la commissaire de la GRC par la Commission

La Commission conclut que la commissaire de la GRC a mis en œuvre la recommandation no 1 en tenant compte de la disponibilité des mesures prescrites par le code de déontologie. La commissaire de la GRC et ses délégués jouissent du pouvoir discrétionnaire d'engager de telles mesures, et la Commission n'a pas l'intention d'entraver l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

Toutefois, la Commission soulève des préoccupations à l'égard de l'explication qu'a fournies la commissaire de la GRC relativement à sa décision de ne pas mettre en œuvre les mesures du code de déontologie. La Commission note que le temps écoulé que mentionne la commissaire de la GRC est en grande partie attribuable au retard de la GRC à donner suite au rapport intérimaire de la Commission.

La conduite du sergent Loo dans cette affaire témoigne d'un mépris intentionnel des directives claires de l'inspecteur Gervais et d'une conduite répréhensible à l'égard de la plainte du public d'A. B. La GRC se doit de dénoncer fermement une telle conduite. Il est regrettable qu'un retard en partie attribuable à la GRC ait amené la commissaire de la GRC à conclure que le code de déontologie n'était plus une option disponible en raison du temps écoulé.

Cela dit, la Commission est heureuse que la commissaire de la GRC ait pris des mesures pour s'assurer que le sergent Loo cesse de participer à toute enquête sur les plaintes du public avant d'avoir acquis une solide compréhension des compétences et des connaissances requises.

Traduction d'une déclaration du français vers l'anglais

[99] Une dernière question a été soulevée concernant l'enquête sur la plainte du public qui fait l'objet du présent rapport.

[100] Le 9 décembre 2015, un civil qui participait au Programme de copatrouille et qui se trouvait à bord du véhicule de police du gendarme Quimper lorsque celui-ci a procédé à l'arrestation d'A. B. a été interrogé dans le cadre de l'enquête sur la plainte du public d'A. B. L'entrevue de cette personne, que l'on nommera par les initiales E. F., a été menée sous la forme d'une déclaration par écrit d'E. F., recueillie au Nouveau-Brunswick. Cette déclaration d'E. F. a été rédigée en français.

[101] Lorsque le sergent Loo a reçu, le 31 décembre 2015, cette déclaration en françaisNote de bas de page 9, il a ordonné au gendarme Aziz du détachement de Brooks de la traduire du français vers l'anglais.

[102] Le gendarme Aziz a donc effectué une traduction, puis a signé un formulaire d'« attestation de transcription » (Transcript Certification) daté du 31 décembre 2015, dans lequel il déclare que cette transcription est [traduction] « une reproduction dactylographiée exacte de l'entrevue enregistrée ».

[103] Les dossiers de formation du gendarme Aziz, ainsi que sa déclaration à la Commission, indiquent qu'il n'a aucune formation ou expérience particulière en traduction de documents du français vers l'anglais.

[104] Par ailleurs, toujours dans sa déclaration, le gendarme Aziz a indiqué que le français est sa cinquième langue, l'ayant apprise en suivant des cours de français à l'université.

[105] La Commission a comparé la déclaration française originale d'E. F. à la traduction fournie par le gendarme Aziz. La Commission conclut que cette traduction n'est pas exacte. Plusieurs phrases de la déclaration d'E. F. ne sont pas incluses dans la version anglaise, alors que certaines descriptions de la version anglaise ne figurent pas dans la déclaration originale en français. Les écarts comprennent ce qui suit :

Déclaration originale en français : Quand il lon menotter et sorti Mathieu [Constable Quimper] la transporter a son vehicle et elle essayait de se sauver. Au vehicle elle voulait pas entrer. Il a du la diriger et a du la tiendre jusqu'a temp qu'elle soit dans le vehicules.

[Reproduit avec les fautes orthographe, tel que rédigé.]

Traduction du gendarme Aziz : When they took her out and handcuffed her, she attempted to escape when Mathieu was walking her back to his police car. She was all over the place, swinging left and right attempting to escape. At the police car, she did not want to enter. Mathiue [sic] was directing her to enter and held her until she was in the police car.

[106] Dans cet extrait, la traduction anglaise a ajouté la phrase « She was all over the place, swinging left and right attempting to escape » (Elle s'agitait dans tous les sens, frappant à gauche et à droite pour tenter de s'échapper), ce qui laisse entendre qu'A. B. était plus violente que ce que rapporte la version française originale. Il ne s'agit pas d'une simple mauvaise traduction. Une phrase entière, qui est potentiellement préjudiciable à A. B. et ne renvoie à aucune phrase de la déclaration originale en français, a été ajoutée dans la version anglaise.

[107] Dans un autre cas, la traduction anglaise omet l'information contenue dans la déclaration originale en français :

Déclaration originale en français : Mathieu etait dehors et elle criait des betise, elle me demandait si j'aivait vue comment il l'avait traiter et je ne repondait pas. Elle ta demander qu'elle voulait sa sacoche. J'y ai dit qu'il l'amenait. Elle a crier jusqu'a temp on a arriver au poste.

[Reproduit avec les fautes orthographe, tel que rédigé.]

Traduction du gendarme Aziz : Mathieu was outside talking to other Members and she was swearing. She asked me if I saw how she was dealt with. I remained silent. She shouted the whole time until we arrived at the Detachment.

[108] Dans cet extrait, la traduction anglaise indique, à tort, que le gendarme Quimper était à l'extérieur, en train de parler avec d'autres membres. La version française originale indique simplement qu'il était à l'extérieur. Plus important encore, la traduction anglaise exclut la partie de la déclaration où E. F. indique qu'A. B. demandait ses effets personnels – or, le fait que ses effets personnels se trouvaient dans le véhicule d'un étranger qui, de surcroît, était sur le point d'être remorqué pourrait avoir été une explication plausible de la détresse qu'elle affichait.

[109] La traduction anglaise de cette déclaration rédigée en français présente aussi d'autres divergences moins marquées, y compris en ce qui concerne certains aspects des observations d'E. F. sur le recours à la force que les membres ont exercé contre A. B.

[110] Après un examen complet de la déclaration française et de sa traduction anglaise dans leur intégralité, la Commission est convaincue que la version anglaise de la déclaration a été traduite de façon déraisonnable et d'une manière préjudiciable à la plainte du public d'A. B.

[111] Il convient de souligner que certains aspects de cette traduction fautive ont été cités dans le rapport que l'enquêteur de la GRC sur la plainte du public a remis au décideur de la GRC, cela ayant donc pu influer sur le processus décisionnel.

[112] La Commission a soumis ces divergences au gendarme Aziz sous la forme de questions d'entrevue écrites. Dans sa réponse, le gendarme Aziz a fourni les explications suivantes, sous la forme d'une liste à puces, relativement aux problèmes soulevés dans sa traduction :

[Traduction] J'ai utilisé « Google Translate », mais je ne me souviens pas exactement pour quelles phrases ou quels mots je l'ai utilisé.

Je suis d'accord avec les deux divergences susmentionnées. Après un deuxième examen de ma traduction des extraits ci-dessus, je crois que j'avais tenté de résumer les circonstances des événements en dégageant le « contexte de la phrase » et non une traduction exacte. C'est habituellement la méthode que j'utilise pour lire un texte en français où je ne suis pas en mesure de bien comprendre la définition de chaque mot. J'essaie alors de « brosser un tableau » de l'incident pour bien rendre l'événement ou l'histoire.

En ce qui concerne la partie omise; lors d'un deuxième examen, j'avais choisi de ne pas inclure la phrase pour la raison que je ne la comprenais pas.

Je reconnais que ma méthode normale de compréhension d'un texte en français puisse, dans ce cas-ci, prêter à confusion, mais c'est la seule façon dont je suis capable de comprendre un texte lorsqu'aucune aide ne m'est fournie, par exemple l'assistance d'un professeur de français ou d'une personne qui parle le français, etc.

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise.]

[113] Étant donné l'aveu du gendarme Aziz qu'il ne comprenait pas certains des mots et même certaines des phrases contenues dans la déclaration française, il est incompréhensible qu'il ait participé de quelque manière que ce soit à sa traduction, et encore plus incompréhensible qu'il ait attesté qu'elle était exacte. En se fondant sur sa propre évaluation de ses compétences linguistiques, le gendarme Aziz avait le devoir d'informer le sergent Loo qu'il n'avait pas la compétence d'effectuer la traduction demandée.

[114] De plus, l'utilisation d'une technologie comme « Google Translate » n'a pas sa raison d'être dans la traduction officielle d'un document officiel lié à une enquête policière. Le gouvernement du Canada dispose de nombreux traducteurs qualifiés qui sont à la disposition de tous les ministères. Il était déraisonnable pour le sergent Loo de charger une personne non qualifiée d'effectuer cette traduction, et il était déraisonnable pour le gendarme Aziz d'effectuer cette traduction alors qu'il ne possédait pas les compétences de base.

[115] En plus des questions de traduction, la Commission s'inquiète sérieusement du bien-fondé de charger un membre de la GRC appartenant au même détachement que des membres visés par une plainte du public d'évaluer la preuve dans le cadre de l'enquête sur cette plainte du public. Le gendarme Aziz a révélé qu'il entretenait une relation de travail avec les membres visés par l'enquête sur la plainte du public. Cela aurait également dû l'empêcher d'effectuer cette traduction.

Conclusions

  • 6) La déclaration fournie en français par E. F. a été traduite de façon déraisonnable et inexacte par le gendarme Aziz, d'une manière préjudiciable à la plainte du public d'A. B.
  • 7) Il était déraisonnable que le gendarme Aziz atteste de l'exactitude de sa traduction anglaise d'un document français alors qu'il savait qu'elle n'était pas exacte.
  • 8) Il était déraisonnable pour le sergent Loo de demander à un membre du détachement de Brooks de traduire une entrevue relative à une enquête sur une plainte du public visant des membres de ce même détachement.
  • 9) Il était déraisonnable pour le sergent Loo de faire traduire un document du français vers l'anglais par une personne non qualifiée.

Réponse de la commissaire de la GRC

Le commissaire de la GRC a souscrit aux conclusions nos 6, 7 et 9 de la Commission. Elle n'a pas souscrit à la conclusion no 8. 

Elle a expliqué que le recours à des membres d'un même détachement pour traduire des documents liés aux activités opérationnelles est une pratique courante et nécessaire pour assurer une prestation efficace des services. Elle a également fait remarquer que, dans ce cas-ci, les préoccupations étaient attribuables au manque de formation et d'expérience du gendarme Aziz plutôt qu'à un parti pris.

Analyse de la réponse de la commissaire de la GRC par la Commission

La Commission réitère ses conclusions. Bien que la Commission soit d'accord avec l'explication de la commissaire de la GRC concernant la prestation de services opérationnels de la police, la conclusion de la Commission était plutôt liée au contexte des plaintes du public.

La Commission demeure convaincue qu'il est déraisonnable de demander à un membre d'un détachement de traduire une déclaration concernant une plainte du public contre des collègues de ce même détachement.

En ce qui concerne l'urgence de traduire un document, le contexte d'une plainte du public est très différent du contexte opérationnel des services policiers. Les enquêtes sur les plaintes du public peuvent composer avec les courts délais attribuables à la traduction de documents par des services de traduction externes. De plus, étant donné la nature d'une enquête sur une plainte du public, il faudrait limiter la participation du détachement local à cette enquête.

De plus, bien qu'aucune preuve n'indique que c'était intentionnel, les erreurs commises par le gendarme Aziz étaient préjudiciables à la plainte d'A. B. Par conséquent, on ne peut pas affirmer qu'il n'y a eu, à cet égard, aucun problème de partialité.

Recommandations

  • 4) La Commission recommande que la GRC ordonne au gendarme Aziz de cesser à l'avenir toute activité de traduction du français vers l'anglais, à moins qu'il n'ait démontré une plus grande maîtrise du français au moyen d'une formation ou d'une éducation supplémentaire.
  • 5) La Commission recommande que la GRC détermine si des changements de politique pourraient être nécessaires pour s'assurer que les documents sont uniquement traduits par des traducteurs qualifiés.

Réponse de la commissaire de la GRC

La commissaire de la GRC a appuyé la recommandation no 4, mais pas la recommandation no 5, concluant que la question en cause concernait le rendement du gendarme Aziz, et non un besoin de modifier la politique.

Elle a toutefois ordonné que le sergent Loo examine la politique de la GRC en matière de langues officielles.

Analyse de la réponse de la commissaire de la GRC par la Commission

La Commission réitère ses recommandations. Bien que la commissaire de la GRC ait déclaré qu'elle n'appuyait pas la recommandation no 5, la Commission conclut qu'elle a néanmoins « pris en considération » la question de savoir si une modification de politique était nécessaire.

Dans ce cas-ci, la commissaire a conclu que la politique existante est suffisante et a plutôt ordonné au sergent Loo de bien lire cette politique. La Commission estime que cette mesure répond à l'intention de sa recommandation.

Troisième question : Déterminer si le sergent Loo a agi raisonnablement dans sa conduite envers l'avocat d'A. B.

[116] Bien que les conclusions précédentes concernant le sergent Loo témoignent déjà de son manque de professionnalisme, la façon dont il a communiqué avec C. D. soulève également des préoccupations.

[117] Les communications du sergent Loo avec C. D. comportaient une série de courriels dans lesquels C. D. soulevait la question des conflits d'intérêts du sergent Loo. Le 10 novembre 2015, C. D. a exprimé, par courriel, ses préoccupations concernant le fait que le sergent Loo ait été chargé de cette enquête sur la plainte du public, alors qu'il travaillait au sein du même détachement que les membres en cause dans cette affaire. C. D. y a souligné que le détachement de Brooks est un « petit détachement ».

[118] Selon l'analyse qui précède, la Commission est d'avis qu'il était, dans les circonstances, raisonnable de conclure qu'il y avait apparence de conflit d'intérêts.

[119] Le 11 novembre 2015, le sergent Loo a répondu par courriel à C. D. Dans ce message, il s'est opposé au point soulevé par C. D. concernant la taille du détachement :

[Traduction] Je ne sais pas trop ce que vous entendez par « petit détachement », mais le détachement de Brooks est l'un des plus grands dans le sud de l'Alberta et compte un effectif 40 employés.

[120] Le sergent Loo s'est aussi opposé aux questions soulevées par C. D. concernant toute perception d'un conflit d'intérêts et toute remise en cause de sa compétence pour mener l'enquête :

[Traduction] J'ai dûment rempli les documents relatifs aux conflits d'intérêts de la GRC en ce qui concerne cette affaire, et tout a été approuvé par mes supérieurs au QG à Calgary. Je suis loin d'être un novice dans ce type d'enquêtes, y compris pour ce qui est de mener, de façon parfaitement impartiale et intègre, des enquêtes qui touchaient une unité à laquelle j'étais moi-même affecté. Ma tâche, en tant qu'enquêteur, consiste à recueillir tous les faits, y compris les déclarations, et à les présenter sous la forme d'un rapport. Ce rapport est ensuite examiné par des membres supérieurs et par la Couronne afin de déterminer si des infractions ont été commises. En ce qui concerne les conclusions d'une enquête, j'évite de porter quelque jugement que ce soit ou de suggérer quoi que ce soit.

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise.]

[121] C. D. a répondu à ce courriel plus tard au cours de la journée, expliquant davantage ses préoccupations concernant un conflit d'intérêts. Il y a aussi posé des questions au sujet de la relation de travail du sergent Loo avec les membres en cause. En cela, la Commission estime que les préoccupations de C. D. étaient raisonnables et que tout avocat compétent au courant des faits de l'affaire aurait soulevé de telles préoccupations.

[122] Moins d'une heure plus tard, le sergent Loo a répondu à ce deuxième courriel, en omettant toutefois de répondre aux préoccupations de C. D. :

[Traduction] Comme je l'ai déjà dit, cette enquête m'a été confiée par mes supérieurs. Allez-vous, oui ou non, fournir un énoncé des faits?

[123] Plus tard dans la soirée, C. D. y a répondu en formulant des questions plus directes au sergent Loo concernant les conflits d'intérêts dans cette enquête. Le lendemain matin, le sergent Loo a répondu ce qui suit :

[Traduction] ... Tout est transparent et ouvert à l'examen, mais en ce moment, voici ce qui se passe : je suis l'enquêteur chargé de la collecte et de la présentation des faits ...

[124] Encore une fois, dans ce message, le sergent Loo ne répondait à aucune des questions que lui posait C. D.

[125] Plus tard dans la matinée, C. D. a répondu à ce dernier courriel, réitérant ses préoccupations selon lesquelles le sergent Loo était en conflit d'intérêts. Il y présentait également un survol des allégations d'A. B. contre les membres en cause, y compris plusieurs enjeux liés à la Charte canadienne des droits et libertés.

Deux heures et demie plus tard, le sergent Loo a répondu à ce courriel de C. D. En ce qui concerne les conflits d'intérêts, le sergent Loo a déclaré ce qui suit :

[Traduction] ... vous serez autorisé à soulever toute préoccupation une fois l'enquête terminée.
[...]
J'ai déjà abordé cette question dans les documents sur les conflits d'intérêts que j'ai remplis et qui ont été soumis à l'examen de mes supérieurs. Ils n'ont relevé aucune préoccupation et m'ont donc désigné. Une fois que vous aurez vu le rapport final, vous verrez que ce n'est pas de moi que relève la décision finale... Je m'occupe uniquement de recueillir les faits.

... Je suis professionnel et je travaille selon un code d'éthique; je prends mon devoir très au sérieux.

[126] Après une autre série de courriels sur le même sujet, le sergent Loo a répondu ce qui suit :

[Traduction] Monsieur,

Peut-être serez-vous en mesure, lors du procès, de m'expliquer ce qui fait de cette affaire une « exception ».

Les questions relatives à la Charte sont évidemment des plus sérieuses, et je pense notamment, alors que c'était tout récemment le jour du Souvenir, à tous ceux qui ont donné leur vie pour ces droits et libertés qui nous sont si précieux. Mon rapport ne me permet pas de formuler des suggestions ou des opinions à ce sujet, car il consiste uniquement à bien cerner les faits.

[...]

N'hésitez pas à communiquer avec moi si vous et votre cliente avez besoin de toute assistance dans le cadre de cette plainte du public. Je crois sincèrement que les policiers ont, dans tous les aspects de l'exercice de leurs fonctions, pour devoir de servir et protéger.

[Souligné dans l'original.]

[127] Tout au long de cette série de courriels, C. D. a soulevé à plusieurs reprises ses préoccupations au sujet d'un conflit d'intérêts ainsi que les raisons précises pour lesquelles il croyait en l'existence d'un tel conflit.

[128] Une fois ces questions soulevées, le sergent Loo avait l'obligation d'en faire part à son superviseur aux fins d'examen. Le sergent Loo n'était pas habilité à rejeter ainsi, de façon sommaire, les préoccupations de C. D.

[129] De plus, le ton et le contenu des réponses du sergent Loo sont parfois peu professionnels et déraisonnablement querelleurs.

Conclusion

  • 10) Le sergent Loo a omis, de façon déraisonnable, de transmettre à ses supérieurs les préoccupations exprimées par C. D. relativement à une apparence de conflit d'intérêts.

Réponse de la commissaire de la GRC

La commissaire de la GRC a souscrit à cette conclusion de la Commission.

[130] Le 21 décembre 2015, C. D. a de nouveau communiqué par courriel avec le sergent Loo, se préoccupant du fait qu'on avait directement communiqué avec A. B. pour signer un document relatif à sa plainte du public. A. B. avait déjà donné instruction à la police, par l'entremise de C. D., que l'on communique uniquement avec elle par l'intermédiaire de son avocat.

[131] Le 22 décembre 2015, le sergent Loo a répondu à ce courriel de C. D., l'informant que le document en question était le formulaire 4110 de la GRC, qui consiste en une description de sa plainte.

[132] Le 6 janvier 2016, C. D. a demandé au sergent Loo de ne pas communiquer avec A. B., sauf par son intermédiaire. Il a également demandé une copie du formulaire 4110, car A. B. n'en avait apparemment pas reçu une copie à ce moment-là.

[133] Plus tard au cours de la journée, le sergent Loo a répondu à ce courriel de C. D. – bien qu'on lui ait déjà ordonné, le 22 décembre 2015, de ne plus intervenir dans cette affaire – déclarant ce qui suit :

[Traduction] Vous êtes criminaliste, et il s'agit ici d'une plainte du public ... C'est elle qui est la plaignante et c'est donc à elle que s'adresse le formulaire, et elle sera libre de vous le transmettre. Il s'agit d'un processus purement administratif.

[134] Il est évident que le sergent Loo ne reconnaît pas ici le droit fondamental d'une partie d'être représentée par l'avocat de son choix. Dans le cadre d'un processus administratif tel que le processus de traitement d'une plainte du public, il lui incombait de respecter les souhaits d'A. B., comme l'a exprimé son avocat.

Conclusions

  • 11) La sergente Loo a agi de façon déraisonnable en omettant de respecter la demande d'A. B. que les communications relatives au processus administratif passent par son avocat.
  • 12) Dans l'ensemble, la série persistante de courriels au ton querelleur envoyés par le sergent Loo à l'avocat d'A. B. était déraisonnable et non professionnelle.

Réponse de la commissaire de la GRC

La commissaire de la GRC a souscrit à ces deux conclusions de la Commission.

[135] Il convient de noter que la question du manque de professionnalisme et du conflit d'intérêts du sergent Loo avait déjà été reconnue par la GRC, ce qui avait mené à l'ordre de retirer le sergent Loo de son poste d'enquêteur pour cette plainte du public.

[136] La DNPP, qui avait été informée de la situation par C. D., avait alors examiné la correspondance entre le sergent Loo et C. D, puis avait, le 22 décembre 2015, informé le Groupe de la responsabilité professionnelle de la GRC en Alberta de sa recommandation de retirer le sergent Loo de cette enquête. Les détails de cette recommandation sont contenus dans un courriel de l'inspecteur Gervais :

[Traduction]
La Direction nationale des plaintes du public recommande qu'un nouvel enquêteur sur les plaintes du public soit affecté à cette affaire pour les raisons indiquées ci-dessous.
. . .
Justification :

Le contenu des courriels que se sont échangés C. D. et le sergent Loo.

Le sergent Loo a signé et rempli le formulaire 6402 sur les conflits d'intérêts le 27 octobre 2015. Sachant que le sergent Loo a indiqué dans son formulaire que les membres faisant l'objet de l'enquête relèvent de lui dans la chaîne de commandement, un tel lien étroit avec les membres en cause pourrait amener toute personne raisonnable à percevoir un conflit d'intérêts.

[...]
L'enquêteur ne doit pas engager personnellement un débat avec le représentant du plaignant ni s'opposer aux points que soulève ce dernier sur la question de savoir s'il est partial ou en conflit d'intérêts. Il revient plutôt au chef de détachement/de groupe d'évaluer ou de réévaluer la situation. Un dialogue direct avec le représentant peut parfois créer, en soi, une apparence de partialité.
[...]
L'enquêteur doit, de son côté, se concentrer sur les allégations de la plainte du public qui doivent faire l'objet d'une enquête, puis aborder ces allégations en recueillant les éléments de preuve connexes et en interrogeant des témoins. L'enquêteur ne doit pas discuter d'autres instances qui ne font pas partie du processus de son enquête sur la plainte du public.

[Souligné dans l'original.]

[137] La Commission conclut que la recommandation et la justification avancées par la DNPP étaient raisonnables et appropriées dans les circonstances, et qu'elles renforcent les conclusions antérieures de la Commission.

Quatrième question : Déterminer si le surintendant principal Hamori a exercé de façon raisonnable son rôle de décideur de la GRC dans cette affaire

[138] Cet aspect de l'enquête de la Commission est plus délicat. La Commission est consciente que la décision du surintendant principal Hamori a déjà été examinée et a fait l'objet du rapport intérimaire de la Commission concernant la plainte du public d'A. B.

[139] Par conséquent, le présent examen ne porte pas sur le bien-fondé des décisions rendues par le surintendant principal Hamori, mais plutôt sur certains aspects du processus qu'a suivi le surintendant principal Hamori pour en arriver à ses décisions.

[140] Ce n'est pas le surintendant principal Hamori qui a rédigé le rapport de la GRC portant sa signature. Ce rapport a plutôt été rédigé par le sergent d'état-major Freer. En soi, une telle façon de procéder ne soulève pas nécessairement de préoccupation et il s'agit d'une pratique courante dans de nombreux domaines du droit administratif. Toutefois, dans ce cas particulier, le rapport signé par le surintendant principal Hamori contenait de nombreuses inexactitudes factuelles. La préoccupation de la Commission repose sur le degré de diligence dont a fait preuve le surintendant principal Hamori dans sa vérification du contenu du rapport qu'il a signé. En bref, ce rapport contenait de nombreuses erreurs qu'aurait dû révéler un examen diligent de la preuve.

[141] Pour les raisons présentées ci-après, la Commission conclut que le surintendant principal Hamori n'a pas fait preuve de diligence raisonnable en omettant de vérifier si le contenu du rapport de la GRC reflétait bien les éléments de preuve disponibles.

Allégation selon laquelle les gendarmes Loder et Quimper ont tenu des propos racistes

[142] Dans sa plainte du public, A. B. allègue que le gendarme Loder et le gendarme Quimper ont tenu des propos racistes à son endroit lors de son arrestation. Le rapport du surintendant principal Hamori n'appuyait pas cette allégation.

[143] Le surintendant principal Hamori a fondé sa conclusion sur une évaluation de la crédibilité. Dans ce rapport, il souligne ce qui suit :

[Traduction] Au cours de l'enquête, neuf personnes différentes ont été interrogées, soit six policiers et trois civils. Leurs déclarations ont été examinées, et on n'y trouve aucune mention de commentaires tenus par les gendarmes qui pourraient être interprétés comme des propos racistes.

[144] Cet aspect de l'analyse comporte un défaut majeur, car A. B. prétend que les propos racistes en question ont été tenus dans la voiture, sur la route. Les seules personnes présentes à ce moment-là étaient donc les gendarmes Loder et Quimper. De plus, A. B. a soutenu que le gendarme Loder avait proféré des insultes raciales avant l'arrivée du gendarme Quimper et donc en l'absence de tout autre témoin.

[145] Par conséquent, il n'est pas surprenant que les autres membres et civils interrogés n'aient pas déclaré avoir entendu de tels propos racistes. Ils n'étaient tout simplement pas présents au moment de l'incident. Par conséquent, il était déraisonnable de s'appuyer sur ces déclarations comme fondement pour évaluer la crédibilité de l'allégation.

[146] De plus, le rapport du surintendant principal Hamori remettait implicitement en question la crédibilité d'A. B. en affirmant que [traduction] « au moment de votre libération, vous n'avez jamais mentionné que vous aviez fait l'objet de propos racistes, mais seulement que vous avez été maltraitée ».

[147] Cette affirmation est inexacte. Dans le cadre de l'enquête de la GRC sur la plainte du public, on avait interrogé le membre de la GRC qui avait procédé à la libération d'A. B., la gendarme Megan MacIsaac. Dans cette entrevue, la gendarme MacIssac a déclaré : [traduction] « Euh, le seul détail dont je me souviens [non souligné dans l'original] est qu'elle m'a dit qu'il l'avait traitée de « black motherfucker » (enfant de chienne noire). »

[148] De plus, dans toutes les déclarations des membres qui ont interagi avec A. B., un thème constant était qu'A. B. s'était plainte à maintes reprises d'avoir été visée par des propos racistes tout au long de son arrestation et de sa détention. Par exemple :

  1. Le technicien qualifié, le caporal Walter Goliath : Le caporal Goliath a vu A. B. être escortée dans le bloc cellulaire alors qu'il se préparait à effectuer l'alcootest du présumé conducteur aux facultés affaiblies. Dans sa déclaration à l'enquêteur de la plainte du public il a décrit A. B. comme suit : [traduction] « J'essayais d'obtenir toute information pouvant permettre de déterminer qui elle était et ce qui s'était passé, mais elle ne cessait de crier qu'on l'avait traitée de « black motherfucker ».
  2. Le gardien de prison civil, G. H. : G.H. est le garde civil qui était de service au détachement de Brooks. Dans sa déclaration à l'enquêteur sur la plainte du public, il a décrit la conduite d'A. B. comme suit : [traduction] « Elle ne faisait que proférer des jurons contre les gars, euh, vous savez; les accusant d'avoir dit de mauvaises choses à son sujet, et, euh, elle l'a répété quatre ou cinq fois. » [Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]
  3. Le gendarme Searle, officier désigné au détachement : Le gendarme Searle a décrit la conduite d'A. B. au détachement comme suit : [traduction] « Euh, elle était, elle était en colère. Elle disait que le gendarme Loder, euh, l'avait sortie du véhicule et avait fait un commentaire raciste. Elle a dit qu'il lui avait essentiellement dit « Sors du véhicule, black motherfucker (enfant de chienne noire), black motherfucking prostitute (enfant de chienne de pute noire) ».
  4. Le gendarme Paige, membre en cause : Dans son rapport du SIRP terminé le 16 octobre 2015, le gendarme Paige a décrit la conduite d'A. B. après son arrivée au détachement : [traduction] « Quand j'ai eu à m'occuper d'elle jusqu'à ce moment-là, la seule chose dont je me souviens est qu'elle ne cessait de répéter que le gendarme LODER l'avait qualifiée de black motherfucker (enfant de chienne noire) ». Elle disait qu'elle savait maintenant ce que c'était, et que nous étions racistes, ou des choses à cet effet. etc. »

[149] De l'avis de la Commission, un examen informel de la preuve dans cette affaire aurait permis d'établir que le rapport rédigé par le sergent d'état-major Freer ne correspondait pas à la preuve.

[150] Dans sa réponse écrite à la Commission dans le cadre de la présente enquête, le surintendant principal Hamori a répondu ce qui suit à ce sujet :

[Traduction] Comme je l'ai mentionné précédemment, le sergent d'état-major Freer a rédigé cette lettre et a résumé les conclusions. D'après la déclaration de la gendarme MacIsaac, il s'agissait manifestement d'une déclaration erronée, et j'ai omis de le relever lors de mon examen. Cela ne change toutefois rien au résultat final. Le fait qu'elle ait ou non déposé une plainte du public au moment de sa remise en liberté ne change rien à la conclusion. Outre ses propres affirmations, il n'y avait aucune preuve indépendante que quelqu'un avait proféré un propos raciste à son égard.

[151] Ici, bien que le point principal soit que le surintendant principal Hamori a omis de consigner un aspect évident de la preuve, la Commission doit mentionner qu'elle ne peut souscrire au raisonnement que le surintendant principal Hamori a exprimé dans sa réponse. Selon un tel raisonnement, en l'absence d'une preuve indépendante d'un tiers, il ne serait jamais possible d'appuyer toute allégation d'une plainte du public. Ce raisonnement est donc incorrect.

Formulaire d'autorisation de divulgation médicale

[152] Le surintendant principal Hamori a rejeté l'allégation d'A. B. selon laquelle un recours inapproprié à la force lui a causé des blessures au poignet, en partie parce que :

[Traduction] Vous avez indiqué vous être rendue dans une clinique médicale à Edmonton et avoir demandé un traitement pour votre poignet. Nous vous avons donc demandé de fournir un formulaire d'autorisation de divulgation médicale afin de pouvoir faire un suivi auprès de cette clinique. À ce jour, vous n'avez toujours pas fourni ce formulaire.

[153] C. D. a informé la Commission qu'il avait fourni une copie signée du formulaire d'autorisation de divulgation médicale à la GRC. De plus, l'inspecteur Greg Shields a accusé réception de ce rapport médical le 19 juillet 2016, soit environ un mois avant que le surintendant principal Hamori signe le rapport qui contient l'extrait cité plus haut.

[154] Dans sa réponse écrite à la Commission sur ce point, le surintendant principal Hamori a indiqué qu'il n'avait pas examiné un tel formulaire et qu'il ne le trouvait pas dans le dossier de l'enquête. Il a formulé la conclusion suivante :

[Traduction] S'il avait s'agit d'une erreur de la part de la GRC, je me serais attendu à ce qu'A. B., ou son avocat, me réponde directement et me fournisse une autre copie du formulaire d'autorisation de divulgation médicale dès que possible après avoir reçu cette lettre, afin que nous puissions réévaluer cet aspect de sa plainte. Ni l'un ni l'autre n'a communiqué avec moi.

[155] La Commission ne peut pas accepter ce raisonnement. Le rapport du surintendant principal Hamori faisait partie d'un régime législatif. Comme il est indiqué à la fin de son rapport, le recours prévu par la loi pour répondre à son rapport consistait à présenter une demande d'examen à la Commission. C. D. a effectivement fait la demande d'un tel examen au nom d'A. B., et a fourni l'information en question à la Commission.

[156] Par conséquent, sachant que la GRC, par l'entremise de l'inspecteur Shields, a bel et bien reconnu avoir reçu le formulaire d'autorisation de divulgation médicale dûment signé, et ce, un mois avant que le surintendant principal Hamori ne présente son rapport, la Commission doit conclure que la GRC a perdu ce document.

[157] Bien qu'on ne puisse déterminer si le surintendant principal Hamori est responsable ou non de la perte dudit document, il aurait dû, compte tenu du fait que son raisonnement s'appuyait sur l'absence de ce document pour rejeter l'allégation d'A. B. concernant le recours à la force, faire preuve d'une diligence accrue pour s'assurer que la GRC ne l'avait pas reçu.

Détention d'A. B.

[158] L'un des aspects de la plainte du public d'A. B. concernait le fait qu'elle n'aurait pas dû être détenue par la police pendant la nuit.

[159] Le rapport intérimaire de la Commission a appuyé cette allégation, soulignant que même si l'arrestation initiale d'A. B. avait été légale (ce qui, selon la conclusion de la Commission, n'était toutefois pas le cas), le Code criminel exigeait que la police la mette en liberté dès que possible. La Commission n'a trouvé aucune justification légale au maintien en détention d'A. B. après que la police eut établi son identité.

[160] Dans son rapport, le surintendant principal Hamori a refusé d'appuyer l'allégation d'A. B. notant ce qui suit :

[Traduction] Ainsi, compte tenu de la preuve, je ne suis pas en mesure d'appuyer cette allégation selon laquelle il s'agissait d'une arrestation ou d'une détention illégale ou inappropriée. Toutefois, je reconnais qu'une fois votre identité établie par les membres, un pouvoir discrétionnaire aurait pu être exercé pour traiter cette infraction au règlement municipal en se fondant davantage sur les intérêts en cause.

[161] Dans sa réponse écrite à l'enquête de la Commission, le surintendant principal Hamori a indiqué ce qui suit :

[Traduction] Comme l'indique la lettre, le gendarme Loder a obtenu la pièce d'identité dans le sac à main de cette dernière après son arrestation. Elle aurait dû être libérée à ce moment-là. J'ai également joint une lettre du procureur de la Couronne de l'Alberta, Ryan Anstey, datée du 21 janvier 2016. La Couronne a suspendu les accusations contre A. B. en se fondant sur « une absence possible de motifs pour détenir l'accusée et la maintenir en détention en bordure de route, compte tenu de la preuve disponible d'une infraction au règlement administratif » et « l'absence d'un casier judiciaire de l'accusé ».

[Caractères gras ajoutés.]

[162] Il est impossible de réconcilier le libellé du rapport qu'a signé le surintendant principal Hamori à l'avis qu'il avait exprimé selon lequel A. B. aurait dû être libérée en bordure de route et à l'opinion du procureur de la Couronne qu'il avait en sa possession. S'il était d'avis qu'A. B. aurait dû être libérée, il aurait alors dû appuyer l'allégation de cette dernière à cet effet.

Conclusion

  • 13) Le surintendant principal Hamori a omis de faire preuve de diligence raisonnable en s'assurant de bien vérifier que le contenu du rapport de la GRC portant sa signature reflétait la preuve disponible.

Recommandation

  • 6) La Commission recommande que le surintendant principal Hamori reçoive une orientation opérationnelle concernant l'obligation de faire preuve de diligence raisonnable au moment de s'assurer que le contenu des rapports sur les plaintes du public qu'il doit signer correspond à la preuve disponible.

Réponse de la commissaire de la GRC

La commissaire de GRC a souscrit à la conclusion de la Commission et a appuyé cette recommandation. Elle a toutefois souligné que le surintendant principal Hamori avait, depuis, pris sa retraite de la GRC, de sorte qu'elle ne pouvait pas mettre en œuvre la recommandation le visant.

Cinquième question : Déterminer si les politiques et les pratiques de la GRC sont raisonnables en ce qui concerne les enquêtes sur les plaintes du public et les conflits d'intérêts.

[163] Dans toute cette affaire, l'échec fondamental qui a par la suite engendré bien d'autres problèmes a été l'incapacité de reconnaître, dès le départ, une situation de conflit d'intérêts. Si le sergent d'état-major Freer avait reconnu, comme il se doit, la situation de conflit d'intérêts impliquant le sergent Loo et avait plutôt désigné un autre enquêteur pour mener cette enquête, toute la séquence d'échecs subséquents aurait probablement pu être évitée.

[164] Par conséquent, dans cette affaire, la Commission met l'accent sur les politiques et les pratiques de la GRC en matière d'identification des conflits d'intérêts.

[165] Les pratiques de la GRC pour cerner les conflits d'intérêts comprennent la politique de la GRC, le Guide national sur le traitement des plaintes du public de la GRC, ainsi que le formulaire 6404 de la GRC.

[166] Le formulaire 6404, Formulaire de déclaration de conflit d'intérêts, contient les directives suivantes :

Vous avez été désigné pour mener une enquête conformément aux dispositions de la partie 54 du Manuel des opérations et il est impératif que les enquêteurs soient impartiaux. Le présent questionnaire vise à s'assurer que toutes relations, qu'elles soient professionnelles ou sociales, soient divulguées dès le début de l'enquête au chef d'équipe.

Le simple fait de reconnaître des relations sociales ou professionnelles n'empêcherait pas le membre de participer à l'enquête. Le cas échéant, il est impératif que le membre décrive la nature des relations afin de permettre au chef d'équipe d'effectuer une évaluation. Si vous avez besoin d'éclaircissements sur la présente divulgation, veuillez vous adresser au membre chargé des normes et pratiques d'enquête ou au chef d'équipe.

[167] Le Guide national sur le traitement des plaintes du public de la GRC traite également de la question des conflits d'intérêts. Ce guide est conçu pour aider les membres qui participent au processus de traitement des plaintes du public à s'acquitter de leurs fonctions. On y souligne ce qui suit :

Il peut arriver qu'un enquêteur, un commandant ou un agent de district ne soit pas en mesure d'accepter ou d'assumer la responsabilité d'une plainte ou d'une enquête. Voici un certain nombre de situations où cela peut se produire :

  • L'existence d'un conflit entre le plaignant et l'ensemble du personnel d'un détachement a été clairement établie, ce qui empêche le détachement en question de mener une enquête impartiale.
  • La situation est caractérisée par la présence d'un conflit d'intérêts réel ou nettement perçu.
  • Le plaignant a déposé un grand nombre de plaintes à l'égard de membres appartenant à tous les échelons hiérarchiques d'un détachement, de sorte que sa plainte ne peut plus être traitée au sein du district.

Dans de tels cas, le commandant ou son délégué peut demander au GRP de la division d'intervenir, de mener une enquête ou de régler la plainte (ou une série de plaintes).

5.3.1 Plainte visant un enquêteur

Les membres chargés de mener une enquête relativement à une plainte peuvent eux-mêmes faire l'objet d'une allégation de manquement au devoir pour avoir négligé de mener une enquête appropriée ou opportune. Un certain nombre de motifs peuvent être invoqués par le plaignant, et il se peut qu'ils ne soient pas dénués de fondement.

En général, de telles plaintes sont déposées avant que l'enquête ne soit terminée. On peut faire valoir qu'il est déraisonnable de la part du plaignant d'agir de la sorte, et qu'il serait normal pour lui d'attendre que l'enquête soit terminée et que ses conclusions soient énoncées avant de déposer une plainte. Si le plaignant n'est pas satisfait de la manière dont sa plainte a été traitée, il peut demander la tenue d'une révision par la CCETP.

Cela dit, il arrive qu'un plaignant ait des préoccupations légitimes à soulever pendant l'enquête relativement à la conduite de l'enquêteur, et que, à cette fin, il dépose une plainte distincte.

Si un plaignant est en mesure de fournir des renseignements qui indiquent que la conduite d'un enquêteur peut être remise en question, le commandant doit évaluer la situation comme elle se présente et prendre des mesures pour s'assurer qu'il n'y a aucun conflit d'intérêts. Par la suite, les notifications pertinentes doivent être transmises, et les procédures redditionnelles applicables doivent être exécutées.

[Souligné dans l'original.]

[168] La politique de la GRC n'offre que peu d'orientation concernant l'évaluation des conflits d'intérêts. Plus précisément, elle fournit la ligne directrice suivante :

Tout enquêteur chargé de mener une enquête conformément à cette politique doit faire l'objet d'une vérification afin que soit confirmée l'absence de conflit d'intérêt réel ou apparent. La vérification doit se faire selon les critères énoncés à l'ann. 54-1-1 [formulaire 6404]Note de bas de page 10.

[169] Bien que tous les documents d'orientation susmentionnés exigent que les décideurs effectuent une évaluation pour cerner tout conflit d'intérêts potentiel, aucun ne fournit la moindre instruction quant à la façon d'effectuer une telle évaluation, et aucun ne renvoie à la norme juridique applicable. En l'absence de directives ou d'une formation juridique, les décideurs sont susceptibles d'appliquer différentes méthodes pour effectuer une telle analyse et de ne pas arriver à des décisions cohérentes ou défendables sur le plan juridique.

Conclusion

  • 14) Les politiques et les pratiques de la GRC relatives aux conflits d'intérêts dans les enquêtes sur les plaintes du public ne sont pas suffisamment claires pour permettre aux décideurs de prendre des décisions cohérentes fondées sur les critères juridiques pertinents.

Réponse de la commissaire de la GRC

La commissaire de la GRC a souscrit à cette conclusion de la Commission.

[170] Pour remédier à cette préoccupation, la Commission recommande que la GRC mette à jour le formulaire 6404 pour y inclure des instructions sur la façon dont une telle évaluation devrait être effectuée. Un renvoi à la norme juridique bien établie énoncée dans l'affaire de l'Office national de l'énergie (citée précédemment dans le présent rapport) serait utile à cet égard.

[171] De plus, la GRC devrait apporter des améliorations à son Guide national sur le traitement des plaintes du public afin d'y inclure de plus amples détails et des exemples sur la façon d'effectuer une telle analyse.

[172] L'une des questions soulevées dans le cadre de la présente enquête concerne la pratique de confier les enquêtes sur les plaintes du public à des membres qui assurent la supervision directe du ou des membres en cause. La politique de la GRC n'interdit pas cette pratique. Toutefois, comme l'a déjà mentionné le présent rapport, l'inspecteur Gervais et la DNPP ont tous deux conclu de façon générale qu'une telle pratique donne l'apparence d'un conflit d'intérêts.

[173] La Commission recommande que la GRC fournisse, sous forme de politique, une orientation claire sur la question de savoir si de telles pratiques devraient se poursuivre et, le cas échéant, dans quelles circonstances.

Recommandations

  • 7) La Commission recommande que la GRC améliore le formulaire 6402, Formulaire de déclaration de conflit d'intérêts, pour mieux aider les membres à déterminer s'il existe un conflit d'intérêts réel ou perçu.
  • 8) La Commission recommande que la GRC améliore le Guide national sur le traitement des plaintes du public afin d'y inclure de plus amples détails relatifs aux conflits d'intérêts et à la partialité.
  • 9) La Commission recommande que la GRC fournisse des directives claires, dans sa politique et/ou dans son Guide national sur le traitement des plaintes du public, sur la question de savoir si les enquêtes sur les plaintes du public peuvent être menées par un membre qui assure la supervision directe de tout membre en cause.

Réponse de la commissaire de la GRC

Le commissaire de la GRC a appuyé les trois recommandations de la Commission. Elle a expliqué qu'une nouvelle version du formulaire 6402 était en cours d'élaboration en réponse à la recommandation de la Commission et qu'une version à jour du Guide national sur le traitement des plaintes du public sera publiée sous peu. Elle a indiqué que le Guide énoncera une ligne directrice en vertu de laquelle on devra éviter, dans la mesure du possible, d'attribuer toute enquête sur une plainte du public à un membre qui assure la supervision directe de tout membre en cause dans l'affaire visée par la plainte.

Sixième question : Déterminer si la conduite des membres de la GRC susmentionnés relativement à cette affaire a causé le traitement inéquitable d'A. B. en raison de sa « race », ou l'apparence d'un tel traitement.

[174] Le rapport intérimaire de la Commission sur la plainte du public d'A. B. avait soulevé des préoccupations relatives au racisme. Dans ce rapport, la Commission avait conclu que le gendarme Loder a utilisé un langage motivé par des motifs raciaux à l'égard d'A. B. et qu'A. B. avait, tout au long de cet incident, été victime de racisme.

[175] Devant ces conclusions, la Commission a poursuivi son examen du processus de traitement de cette plainte du public sous l'angle du racisme.

[176] Les aspects suivants de cet incident soulèvent des préoccupations. Il est à noter que la Commission ne fonde pas ici ses conclusions sur l'un ou l'autre de ces aspects à lui seul, mais sur tous les facteurs en question, pris dans leur ensemble.

[177] Plusieurs membres impliqués dans l'incident initial ou dans l'enquête sur la plainte du public ont noté, à plusieurs reprises, la « race » d'A. B. dans leurs notes ou rapports, là où il n'était pas pertinent de le mentionner à l'égard de l'affaire en cause. Par exemple :

  • Dans son premier courriel au sergent d'état-major Freer, le sergent Loo présente le contexte de l'incident et décrit A. B. comme « la passagère noire de la voiture » [caractères gras ajoutés], malgré le manque de pertinence de la « race » à l'égard de la suite du courriel (il est à noter que les allégations de racisme n'avaient pas été portées à l'attention du sergent d'état-major Freer pour le moment).
  • Le sergent Loo fournit également un résumé de l'incident dans son courriel demandant une entrevue avec A. B. Ce résumé comprend ce qui suit : [traduction] « [Le présumé conducteur aux facultés affaiblies] affirme avoir payé 300 $ pour les services d'une prostituée, à savoir la passagère noire dans sa voiture. » [Caractères gras ajoutés.] Or, il n'y avait pas d'autre passager qu'A. B. dans le véhicule. La mention de sa « race » n'était pas pertinente à ce point-ci.
  • Dans son résumé de la déclaration qu'il avait obtenue du gendarme Goliath, le sergent Loo écrit : [traduction] « Le gendarme Quimper est arrivé avec une prisonnière noire qui hurlait dans sa voiture. » [Caractères gras ajoutés.] Encore une fois, la « race » d'un prisonnier est ici un détail qu'il n'est pas pertinent de souligner dans le résumé d'une déclaration.
  • Dans ses notes, le gendarme Loder décrit sa rencontre avec A. B. comme suit :

    [traduction]
    Femme noire
    Ne voulait pas donner son nom
    Ne voulait pas s'identifier
    Ne voulait pas sortir du véhicule
    ...

[178] De plus, dans la série de courriels entre le sergent Loo et C. D. dont il a été question dans le présent rapport, C. D. avait soulevé que la question du racisme demeurait une préoccupation actuelle dans le traitement de cette plainte du public. Le sergent Loo avait répondu à cet aspect du courriel d'une façon pouvant être perçue comme étant condescendante :

[Traduction] Êtes-vous au fait d'un acte précis qui aurait été commis en raison de l'héritage racial de la cliente, ou est-ce tout simplement parce que tous nos gendarmes étaient blancs?

[179] Dans son rapport, le surintendant principal Hamori note également ce qui suit :

[Traduction] Les membres qui travaillent au détachement de Brooks traitent fréquemment avec des personnes de différentes races, car Brooks compte une très importante population issue d'Afrique centrale et orientale. Les gendarmes Loder et Quimper travaillent également avec quatre membres qui représentent des minorités visibles. La direction du détachement de Brooks n'a jamais reçu de plainte du public concernant ces deux gendarmes ayant trait au racisme.

[180] Le fait d'identifier une personne par la couleur de sa peau donne vraisemblablement lieu à une perception de « racisme ». Le terme « noir » ne saurait résumer l'ethnicité d'une personne. De plus, il se peut que la personne ne s'identifie pas comme étant « noire ». De plus, l'ajout de ce qualificatif n'est aucunement pertinent à la plainte d'A. B. ni n'ajoute de valeur à l'analyse. La présence ou non d'une importante communauté de minorités visibles n'est pas un facteur légitime pour déterminer si les membres de la GRC ont commis ou non des actes précis de « racisme ». L'examen d'autres descripteurs, avec l'aide d'un expert en discrimination raciale, pourrait aider la GRC à élaborer une meilleure approche à l'égard de ses pratiques raisonnables d'identification des témoins ou d'autres personnes faisant l'objet d'une enquête.

[181] Par ailleurs, le fait que les gendarmes Loder et Quimper aient des collègues qui représentent des minorités visibles ne saurait pas plus être un facteur légitime dans l'évaluation de la validité des allégations d'A. B.

[182] Qui plus est, la déclaration selon laquelle la direction n'a jamais reçu d'autres plaintes au sujet du gendarme Loder ou du gendarme Quimper n'est pas pertinente à l'évaluation adéquate des allégations d'A. B., et est plutôt préoccupante. En effet, une telle logique semble indiquer que l'absence de plaintes antérieures réduit la crédibilité de la plainte d'A. B. Or, selon cette logique, une « première » plainte de racisme contre un membre ne pourrait jamais être appuyée.

[183] Encore une fois, chacun de ces facteurs, pris isolément, pourrait ne pas être concluant. Toutefois, lorsqu'ils sont pris dans leur ensemble et considérés selon le point de vue d'A. B., voici le scénario qui en ressort : 

  1. A. B. est noire. Tous les policiers impliqués dans l'incident initial et l'enquête sur la plainte du public étaient blancs.
  2. Lors de l'incident initial, le gendarme Loder a mis sur pause son enquête sur la conduite avec facultés affaiblies du conducteur, malgré sa nature urgente, afin de plutôt enquêter sur A. B. pour prostitution, ce qui ne constitue pas un crime au Canada, en invoquant le prétexte d'une infraction mineure à un règlement municipal (selon les conclusions de la Commission dans son rapport intérimaire sur la plainte du public d'A. B.).
  3. Les gendarmes Loder et Quimper ont tous deux désactivé les caméras vidéo de leur voiture avant d'interagir avec A. B. et de procéder à son arrestation (selon les conclusions de la Commission dans son rapport intérimaire sur la plainte du public d'A. B.).
  4. Le gendarme Loder s'est adressé à A. B. en utilisant des termes racistes, puis l'a arrêtée sans motif légitime, employant la force pour procéder à son arrestation (selon les conclusions de la Commission dans son rapport intérimaire sur la plainte du public d'A. B.).
  5. A. B. a été fouillée de force par deux membres de sexe masculin du détachement, puis a été détenue pendant la nuit, en l'absence de motifs légaux pouvant justifier cette détention (selon les conclusions de la Commission dans son rapport intérimaire sur la plainte du public d'A. B.).
  6. A. B. a déposé une plainte du public auprès du sergent Loo.
  7. La mention non justifiée de la « race » d'A. B. est incluse dans les rapports du sergent Loo et dans ceux des autres membres en cause.
  8. Le sergent Loo a refusé de se récuser de l'enquête sur la plainte du public malgré la crainte raisonnable de partialité avancée par l'avocat d'A. B.
  9. Le sergent Loo a poursuivi avec l'avocat d'A. B. une correspondance dont le ton était querelleur et non professionnel, puis a refusé de respecter le souhait d'A. B. d'être contactée uniquement par l'entremise d'un avocat.
  10. Le rapport de la GRC sur la plainte d'A. B. contenait des erreurs factuelles et logiques, et s'est appuyé sur une approche douteuse pour rejeter les préoccupations de racisme soulevées par A. B.

[184] Ces facteurs permettent de conclure qu'il y avait, au moins, l'apparence d'un traitement inéquitable d'A. B. en raison de sa « race » perçue.

Conclusion

  • 15) La conduite des membres de la GRC impliqués dans cet incident a donné lieu à une apparence d'un traitement inéquitable d'A. B. en raison de sa « race ».

Réponse de la commissaire de la GRC

La commissaire de la GRC a souscrit à cette conclusion de la Commission.

[185] La Commission souscrit à l'énoncé de la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) concernant la façon dont s'exerce la discriminationNote de bas de page 11. En particulier :

La discrimination s'exerce parfois de manière subtile ou voilée. Il n'est pas nécessaire d'établir l'intention ou le motif de discrimination pour conclure à son existence – il suffit que la conduite adoptée ait un effet discriminatoire.

Les formes subtiles de discrimination ne peuvent habituellement être reconnues qu'à l'issue de l'examen de toutes les circonstances entourant un cas.

[186] Cet « examen de toutes les circonstances », comme l'indique la CODP, exige une analyse experte du système du dispensateur de services et des pratiques de ses utilisateurs. Dans ce cas-ci, le système est le processus de traitement des plaintes du public.

[187] Par exemple, la DNPP pourrait obtenir des conseils d'expert sur la façon de déceler le « racisme » dans un système ou une pratique. De plus, et sans limiter les options que pourrait proposer un expert en matière de « discrimination raciale », la GRC pourrait retenir les services d'un tel expert pour examiner tous les rapports sur les plaintes du public de la GRC afin d'évaluer le langage utilisé et de proposer des solutions de rechange pour éviter toute apparence de « racisme ». Enfin, les plaintes alléguant du « racisme » (comme la plainte d'A. B.) pourraient être confiées à des membres ayant une formation ou une expérience particulière en vue d'offrir au plaignant une meilleure expérience du processus. Des programmes de formation conçus par des experts pourraient être offerts pour sensibiliser les membres ou les enquêteurs à cette question.

[188] La Commission ne présente pas ici ces idées à titre de recommandation précise liée à cette affaire, mais seulement comme des exemples d'idées que la GRC pourrait adopter de façon plus générale.

Recommandations

  • 10) La Commission recommande que la GRC prenne des mesures proactives immédiates pour remédier à toute apparence ou existence de racisme systémique dans le processus de traitement des plaintes du public.
  • 11) La Commission recommande que la GRC demande l'aide de la Commission canadienne des droits de la personne afin d'élaborer des approches systémiques pour déceler le « racisme » dans le processus de traitement des plaintes du public et éliminer toute apparence ou existence de « racisme » au sein dudit processus.

Réponse de la commissaire de la GRC

La commissaire de la GRC a appuyé la recommandation no 10, et a expliqué que les modifications à venir au Guide national sur le traitement des plaintes du public comprendront du contenu sur la prestation de services policiers impartiaux. De plus, la GRC a lancé, pour tous les membres, un cours obligatoire sur la sensibilisation et l'humilité culturelles. Enfin, la GRC a lancé une stratégie exhaustive d'équité, de diversité et d'inclusion (EDI).

La commissaire de la GRC n'a pas appuyé la recommandation no 11, jugeant que les mesures prises conformément à la recommandation no 10 étaient suffisantes. Elle a souligné que la Direction nationale des plaintes du public de la GRC a participé à la stratégie d'EDI et qu'elle a ajouté une fonction afin d'effectuer le suivi des allégations se rattachant aux plaintes liées aux droits de la personne.

Analyse de la réponse de la commissaire de la GRC par la Commission

La Commission reconnaît que la GRC a pris de nombreuses mesures pour lutter contre le racisme systémique. Toutefois, ces mesures, qui sont de nature générale, ne répondent pas à la recommandation ciblée de la Commission visant à déceler et à éliminer le racisme en ce qui concerne spécifiquement le processus de traitement des plaintes du public.

Comme il en a été question dans l'analyse de la Commission, il est nécessaire d'examiner le processus de traitement des plaintes du public en soi, d'en cerner les réussites ainsi que les éléments susceptibles d'amélioration. La commissaire de la GRC n'a pas expliqué en quoi la nouvelle stratégie d'EDI de la GRC permettrait d'atteindre cet objectif.

Par conséquent, la Commission réitère sa recommandation.

Derniers commentaires

[189] Dans le cadre de son enquête, la Commission a relevé deux questions de moindre importance, mais qui ont néanmoins justifié la formulation de recommandations mineures.

[190] La première de ces questions concerne les interactions du sergent Loo et du caporal Ryan avec C. D. et A. B., et plus précisément la difficulté qu'ils ont semblé éprouver à bien comprendre le rôle des avocats dans un processus administratif (c.‑à‑d. le processus de traitement des plaintes du public), car ils ont plutôt adopté une approche semblable à celle une enquête criminelle, qui ne permet généralement pas la participation des avocats.

[191] Ni la politique de la GRC ni le Guide national sur le traitement des plaintes du public n'abordent clairement ce point. Par conséquent, la Commission recommande que la GRC fournisse une orientation aux membres en ce qui concerne la participation des avocats au processus de traitement des plaintes du public.

[192] La deuxième de ces questions concerne la disponibilité du Guide national sur le traitement des plaintes du public de la GRC. Dans le cadre de cette affaire, aucun des membres en cause ayant participé au processus ne possédait ou n'avait examiné la dernière version du Guide au moment de leur participation à l'enquête sur la plainte du public d'A. B.

[193] Puisque le Guide semble être régulièrement mis à jour et amélioré, il est important que les membres de la GRC qui participent au processus le reçoivent et l'examinent avant d'être appelés à jouer un rôle dans le traitement d'une plainte du public. La Commission recommande que la DNPP s'assure que chaque membre de la GRC participant au processus reçoive une copie du Guide dès le début d'une enquête sur une plainte du public, et en fasse la lecture avant de s'acquitter de son rôle.

Recommandations

  • 12) La Commission recommande que la GRC fournisse une orientation claire, dans sa politique et/ou le Guide national sur le traitement des plaintes du public, concernant le rôle des avocats dans le processus de traitement des plaintes du public, et sur la façon dont les membres devraient interagir avec les plaignants qui sont représentés par un avocat.
  • 13) La Commission recommande que la Direction nationale des plaintes du public veille à ce que tout membre participant au processus d'enquête ou au processus décisionnel reçoive une copie de la version la plus récente du Guide national sur le traitement des plaintes du public, et en fasse la lecture avant de s'acquitter de son rôle dans le processus.

Réponse de la commissaire de la GRC

Le commissaire de la GRC a appuyé ces deux recommandations de la Commission. Elle a aussi informé la Commission que l'élaboration d'un cours en ligne à l'intention des enquêteurs sur les plaintes du public en est aux premières étapes de conception. C'est un cours que devront suivre tous les enquêteurs sur les plaintes du public afin de pouvoir mener de telles enquêtes.

Analyse de la réponse de la commissaire de la GRC par la Commission

La Commission accueille favorablement la nouvelle d'un cours à l'intention des enquêteurs sur les plaintes du public, et encourage la GRC à s'assurer que l'élaboration et la mise en œuvre de ce cours se voient accorder un degré de priorité approprié.

Conclusion

[194] Dans sa réponse, la commissaire de la GRC a reconnu que le délai de sa réponse au rapport intérimaire de la Commission n'avait pas été optimal.

[195] La Commission conclut que le délai de trois ans et demi était totalement déraisonnable, réduisant l'efficacité du processus de traitement des plaintes du public.

[196] Cela dit, la Commission reconnaît que la GRC a récemment pris plusieurs mesures pour améliorer sa rapidité d'exécution et qu'elle a, depuis, éliminé l'arriéré de rapports intérimaires en attente d'une réponse de la commissaire de la GRC. La GRC s'est également engagée à répondre aux rapports dans les six mois suivant leur diffusion. La GRC atteint actuellement cette cible pour les rapports présentés depuis le 1er avril 2021. La Commission espère que la GRC saura maintenir un tel rendement à l'avenir.

[197] La Commission dépose son rapport final conformément au paragraphe 45.76(3) de la Loi sur la GRC. Par conséquent, la Commission a rempli son mandat dans le cadre de la présente affaire.

La présidente,

Michelaine Lahaie

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