ARCHIVÉ - Rapport de l'enquête Kingsclear

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Table des matières

Partie I : Introduction

Partie II : Enquêtes portant sur l'École de formation du Nouveau-Brunswick

Partie III : Enquêtes portant sur le sergent d'état-major Clifford McCann

Partie IV : Conclusions

Annexes

  1. Liste des sigles et des abréviations
  2. Chronologie des enquêtes de la GRC
  3. Personnes ayant participé aux enquêtes de la GRC
  4. Procédure et méthodologie de l'enquête Kingsclear
  5. Infractions sexuelles au Canada 1965-1995
  6. Organigrammes de la Division J
  7. L'enquête Miller
  8. Glossaire

1. Introduction

En mai 2004, la Commission des plaintes du public contre la GRC (CPP) a annoncé le lancement d'une enquête d'intérêt public portant sur les enquêtes menées par la GRC au sujet des allégations d'agressions physiques et sexuelles perpétrées contre des pensionnaires de l'École de formation du Nouveau-Brunswick (ÉFNB) située à Kingsclear (Nouveau-Brunswick). Cette enquête, connue également sous le nom d'enquête Kingsclear, se penche également sur des allégations selon lesquelles la GRC n'a pas enquêté de manière satisfaisante la présumée conduite criminelle dont ont fait preuve : un sergent d'état-major de la GRC, des membres du personnel correctionnel et des pensionnaires de l'ÉFNB; et selon lesquelles la GRC a entrepris certaines activités dans le but de dissimuler la présumée conduite criminelle de ces personnes. La CPP a examiné, en outre, 11 allégations (dont deux d'entre elles sont identiques) déposées par sept plaignants lesquelles portent sur le travail d'enquête effectué par la GRC au cours d'une période de presque 15 ans.

Figure 1 : école de formation du Nouveau-Brunswick

Figure 1 : école de formation du Nouveau-Brunswick

1.1 Aperçu

Les actes d'agression sexuelle et physique qui ont été perpétrés à l'ÉFNB pendant quatre décennies ont bouleversé la vie de centaines de jeunes gens ayant été confiés par leurs familles à cet établissement de formation. Au cours des ans, la GRC et la Force policière de Fredericton (FPF), sur les conseils du ministère de la Justice du Nouveau-Brunswick, ont enquêté sur diverses allégations déposées par des victimes et des témoins au sujet de l'ÉFNB.

Cependant, même dix ans après la fermeture de l'école, on continue encore de rapporter de nouveaux incidents d'agression sexuelle et physique commis par des gens associés à l'ÉFNB. Sept anciens pensionnaires de l'école ont déposé une série d'allégations auprès de la CPP. Selon ces allégations, la GRC n'a pas procédé à des enquêtes suffisamment approfondies dans ce dossier et cet organisme a participé à la dissimulation d'allégations antérieures et de l'enquête dérivée concernant le sergent d'état-major à la retraite, Clifford McCann. Peu après le dépôt des allégations, la CPP a annoncé le lancement d'une enquête d'intérêt public ayant pour objectif d'examiner la conduite des membres de la GRC lorsqu'ils s'acquittaient de leurs fonctions dans le cadre de ces enquêtes.

La CPP affichait régulièrement, sur son site Web, des mises à jour concernant le déroulement de cette enquête à l'adresse http://www.cpc-cpp.gc.ca/, et elle a publié le cadre de référence de l'enquête aussitôt après son lancement. Une des premières tâches entreprises par la CPP a été de rencontrer les plaignants et de recueillir le plus de renseignements et de précisions possibles auprès de ces derniers. Ensuite, les enquêteurs de la CPP se sont concentrés sur l'appréciation et sur le suivi de chaque piste : il s'agit, de loin, d'une des étapes les plus importantes de tout le processus. Les enquêteurs ont également rencontré des membres de la famille des plaignants, ainsi que toutes les personnes que, d'après les plaignants, les enquêteurs devaient rencontrer, pour leur faire passer des entrevues. La CPP a fait passer des entrevues à la plupart des membres de la GRC impliqués, ainsi qu'à d'autres témoins, y compris des fonctionnaires du ministère du Procureur général du Nouveau-Brunswick.

Dans ses efforts constants pour faire preuve d'ouverture et de transparence, la CPP a remis, aux témoins clés et aux membres de la GRC devant passer une entrevue, une copie de tous les documents que ces derniers avaient écrits ou signés, afin de leur permettre de se rafraîchir la mémoire et d'accélérer le processus d'entrevue. La plupart des membres de la GRC et des témoins clés étaient bien disposés à rencontrer les représentants de la CPP et plusieurs d'entre eux ont accepté de passer des entrevues supplémentaires ou de rester à la disposition de la CPP, soit par téléphone ou par courrier électronique.

1.2 Contexte

1.2.1 L'École de formation du Nouveau-Brunswick

L'École de formation du Nouveau-Brunswick a été instituée le 12 décembre 1962 , à Kingsclear (Nouveau Brunswick), en vertu de la Loi sur le Centre de formation du Nouveau-Brunswick. L'école a été établie avec l'objectif « de surveiller, de détenir et de former les garçons qui y sont condamnés à la détention afin de les éduquer, les redresser et les réadapter. » L'école devait assumer deux rôles : celui d'être un établissement correctionnel pour des jeunes gens en infraction avec la loi et celui d'être un refuge sécuritaire pour les enfants ayant besoin de protection. À ce titre, l'ÉFNB – connue également sous le nom de Kingsclear – servait également de résidence à des enfants de moins de 16 ans qui attendaient d'être placés dans des familles d'accueil.

Située à huit milles de Fredericton et donnant sur la rivière Saint John, l'école hébergeait jusqu'à 60 pensionnaires dans des dortoirs. Comme elle se trouvait à l'extérieur de la ville, cela signifie que l'école était située dans une zone assujettie à la compétence de la GRC. L'école relevait, en outre, du service correctionnel du Nouveau-Brunswick.

Cette école a été fermée définitivement en janvier 1998, à la suite du procès et de la condamnation d'un ancien employé nommé Karl Toft, pour 34 infractions sexuelles qu'il a perpétrées contre des pensionnaires de l'école et à la suite d'une enquête publique instruite dans ce dossier. Puis, en juillet 2002, on a vendu l'immeuble à un particulier, après un processus d'appel d'offres.

Figure 2 : Carte du Nouveau-Brunswick

Carte du Nouveau-Brunswick

1.2.2 Plaintes déposées auprès de la CPP

Vers le début de 2004, le conseiller juridique de plusieurs anciens pensionnaires a communiqué avec la CPP en prétendant que ces derniers auraient subi des actes d'agression sexuelle de la part d'un membre de la GRC à la retraite, le sergent d'état-major Clifford McCann. Le 19 février 2004, trois personnes ont déposé des plaintes auprès de la CPP au sujet des enquêtes menées par la GRC portant sur des allégations d'agressions sexuelles et physiques perpétrées à l'ÉFNB. En novembre 2004, la CPP a reçu de nouvelles plaintes de la part de quatre autres personnes.

Pour déterminer s'ils devaient renvoyer les plaintes à la GRC ou ouvrir leur propre enquête, les représentants de la CPP ont pris en considération les facteurs suivants :

  • le nombre d'enquêtes que la GRC a instruites dans le cadre de ce dossier;
  • la gravité des allégations selon lesquelles la GRC a fait preuve de dissimulation;
  • l'inquiétude du public en ce qui concerne la capacité de la GRC d'examiner avec impartialité ses propres enquêtes.

En fin de compte, la CPP a décidé qu'il était dans l'intérêt des plaignants, du public et des membres de la GRC, que soit instruite une enquête indépendante pour régler les problèmes qui continuaient d'être soulevés au sujet des allégations en cause.

1.2.3 Le lancement de l'enquête d'intérêt public de la CPP au sujet de Kingsclear

L'enquête d'intérêt public Kingsclear est l'enquête la plus importante jamais entreprise par la CPP et elle aborde un travail d'enquête qui s'étend sur presque 15 ans. Pour commencer l'enquête, on a affecté des membres du personnel de la CPP au projet, en attendant des fonds de financement supplémentaires de la part du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (SCT) pour leur permettre d'approfondir leur travail. En mars 2005, la demande de financement au montant de 3,1 millions de dollars déposée par la CPP a été approuvée.

Vers la mi-juin 2004, des représentants de la CPP ont voyagé au bureau de la GRC à Fredericton pour obtenir des documents pertinents. On a rempli et scellé 17 boîtes en tout, puis on les a transportées à Ottawa. Le quartier général de la GRC à Ottawa a envoyé séparément la 18e boîte. Pendant que les documents utiles de la GRC étaient examinés et analysés par des représentants de la CPP, au cours des années 2005, 2006 et 2007, ces derniers ont demandé à la GRC des documents et des renseignements supplémentaires, ce qui a eu pour effet d'augmenter considérablement le volume de documents à étudier.

Les fonctionnaires des Archives provinciales du Nouveau-Brunswick ont fait preuve de beaucoup de coopération à l'égard de la CPP à qui ils ont transmis un grand nombre de documents, y compris les transcriptions de l'enquête Miller, menée en 1992. C'est en juin 2004 qu'on a entamé l'examen et le résumé des documents pertinents recueillis auprès de la GRC, ainsi que de l'enquête Miller.

En mai 2005, après avoir rencontré les enquêteurs de la CPP, le Cabinet du Procureur général du Nouveau-Brunswick a permis à ces derniers d'avoir accès aux documents pertinents dont il dispose. Les enquêteurs de la CPP on examiné ces documents à Fredericton en août 2005. Trois boîtes de documents ont par la suite été transportées à Ottawa.

1.2.4 Défis

La CPP a effectué des entrevues dans neuf provinces du Canada. Et, dans le but de recueillir le plus d'information possible, la CPP a même acheté un appareil de brouillage qui provoque la distorsion de la voix, afin de satisfaire un témoin qui souhaitait garder l'anonymat. Cet achat a été effectué sur les conseils d'un intermédiaire, William Gilmour, qui a aidé à organiser cette entrevue. Après cette entrevue téléphonique de deux heures et demie, la CPP a présenté au témoin anonyme une liste de questions auxquelles on lui a demandé de répondre. On a essayé pendant plusieurs mois d'obtenir les réponses à ces questions, cependant, d'après les renseignements fournis par M. Gilmour, le témoin a refusé de collaborer davantage. L'information que le témoin anonyme a fournie pendant cette entrevue, laquelle, à la demande du témoin anonyme, n'a pas été enregistrée, n'a aucunement contribué à faire progresser l'enquête.

Contrairement à d'autres organismes d'enquête, la CPP n'est pas dotée du pouvoir d'obliger les témoins à déposer, sauf par la voie d'une audience publique officielle. En ce qui concerne les membres de la GRC, la CPP n'est pas dotée du pouvoir de les obliger à se présenter à une entrevue, ni du pouvoir d'avoir accès libre à leurs calepins. Fort heureusement, les membres de la GRC se sont montrés, en général, bien disposés à parler avec les représentants de la CPP et à leur faire lire leurs calepins. Ce geste de leur part a compensé cette lacune législative. Le commandement supérieur de la GRC et le bureau des Normes professionnelles ont encouragé les membres de la GRC à communiquer avec la CPP et ont agi en qualité d'intermédiaires, en faisant parvenir les calepins de notes et en fixant l'horaire des entrevues.

La politique de la GRC de permettre aux officiers de conserver leurs calepins de notes personnels, ainsi que l'habitude des officiers ayant conservé leurs calepins de déterminer ce qui est pertinent dans le cadre des enquêtes, ont posé des problèmes aux enquêteurs de la CPP et rendu difficile les progrès de l'enquête. Si la grande majorité des membres n'avait pas fait preuve de bonne volonté et si le commandement supérieur n'était pas intervenu, la CPP aurait pu être obligée de tenir une audience publique.

2. Résumé des enquêtes de la GRC

La présente section résume, en ordre chronologique, les étapes principales des enquêtes de la GRC sur le sergent d'état major Clifford McCann, aujourd'hui à la retraite, et le personnel correctionnel et les pensionnaires de l'École de formation du Nouveau Brunswick (ÉFNB) à la suite de la première plainte reçue par la Force policière de Fredericton (FPF). La suite des événements a été recréée à partir de documents provenant de la GRC, du procureur général du Nouveau Brunswick, de l'enquête Miller et des Archives provinciales du Nouveau Brunswick.

Octobre 1985 – La première plainte

La FPF a reçu une plainte d'agression sexuelle liée à l'ÉFNB. D'après des rapports rédigés par trois pensionnaires, un membre du personnel de l'école a déposé une plainte contenant des allégations dans lesquelles il nomme un autre employé, Karl Toft. À la suite de cette plainte, M. Toft a été muté de l'ÉFNB à un établissement pour adultes situé dans un immeuble adjacent. En dépit du fait que l'ÉFNB est située sur le territoire de la GRC, ni la FPF ni l'employé n'a informé la GRC de la plainte.

Décembre 1989 – Le plaignant discute avec l'enquêteur de la FPF

L'employé qui a déposé la première plainte auprès de la FPF a essayé, mais en vain, de rencontrer une personne du ministère du Solliciteur général. Il est alors retourné voir l'enquêteur de la FPF qui avait pris sa déposition en 1985 et il a exprimé son opinion selon laquelle M. Toft aurait dû être accusé. Il a également déposé des allégations de dissimulation de la part des autorités correctionnelles provinciales. L'agent de la FPF a expliqué qu'elle ne se souvenait pas de la plainte et lui a suggéré de déposer sa plainte auprès du Solliciteur général. Contrarié, il s'est adressé à un membre des médias afin de lui faire part de ses préoccupations au sujet du peu d'attention portée à sa première plainte par la police et les autorités provinciales. Cette conversation s'est finalement traduite par la participation du bureau du procureur général.

Février 1990 – Le procureur général demande à la GRC d'enquêter

Un réunion entre le procureur général du Nouveau Brunswick et le journaliste à qui le premier plaignant s'était adressé a soulevé des allégations d'abus sexuel au sein de l'ÉFNB et découlant de la plainte déposée en octobre 1985 auprès de la FPF. Le procureur général a écrit à la GRC pour lui demander d'enquêter sur « des allégations impliquant la Force policière de Fredericton, quelques membres du ministère du Solliciteur général et, en particulier, un certain Karl Toft ». Les résultats devaient lui être envoyés « le plus tôt possible ». À sa lettre, le procureur général a joint des notes mentionnant le nom de quatre victimes potentielles, notamment les trois qui avaient rédigé un rapport en 1985. L'affaire a été confiée à un enquêteur de la Section des enquêtes générales (SEG) de la GRC, à Fredericton.

Au cours de cette enquête, on a retrouvé les trois garçons victimes des agressions présumées d'octobre 1985. Deux d'entre eux ont rempli une déclaration tandis que le troisième a refusé. Ils ont tous trois refusé de témoigner devant le tribunal. Pendant son entrevue avec l'enquêteur, M. Toft a nié avoir fait des attouchements sexuels à un jeune de l'école. Il a admis avoir, au fil des années, emmené des garçons en permission de sortie chez lui. Plus tard, lors d'une réunion avec le procureur de la Couronne, il a été convenu que, sans le témoignage des garçons devant le tribunal, il semblait peu probable d'obtenir une condamnation.

Juillet 1990 – Clôture de l'enquête de la GRC demandée par le procureur général le 7 février 1990

L'enquêteur de la GRC a officiellement clos son enquête après avoir discuté avec un avocat de la Couronne, en précisant qu'il avait le sentiment que M. Toft avait agressé sexuellement les jeunes et que si une enquête plus approfondie avait été menée lorsque la plainte a été déposée en 1985, il y aurait eu des motifs raisonnables de porter des accusations. Il a observé que, puisque M. Toft avait admis avoir emmené beaucoup de jeunes chez lui, d'autres personnes ont pu être victimes du « comportement déviant » de M. Toft.

L'officier responsable de la Police criminelle de la GRC a rencontré un représentant du ministère de la Justice du Nouveau Brunswick et a informé les autorités de la décision de ne pas porter des accusations contre M. Toft en raison de l'hésitation à témoigner des victimes.

Septembre 1990 – Examen des allégations et de l'enquête de février 1990

Lors d'une réunion en septembre 1990, le procureur général et le solliciteur général ont décidé de demander au sous-procureur général et au directeur exécutif des services de police du Nouveau Brunswick de revoir les mesures prises par les autorités gouvernementales.

Dans le cadre de cet examen, la GRC a été interrogée par le directeur exécutif des services de police sur la raison pour laquelle, durant leur enquête de février à juillet 1990, on n'a pas communiqué avec la quatrième victime potentielle, mentionnée à la GRC en février 1990. On leur a posé d'autres questions quelques jours plus tard sur un autre ancien pensionnaire de l'ÉFNB. L'enquêteur de la GRC a dit que la décision était fondée sur le fait que les autres ne voulaient pas aller plus loin et que le nom de l'autre garçon n'avait pas été mentionné au cours de son enquête. L'enquêteur de la GRC et le directeur exécutif des services de police ont conclu que bon nombre de noms liés à M. Toft pourraient encore apparaître puisqu'il avait travaillé à l'ÉFNB pendant 20 ans.

Octobre 1990 – Début de l'enquête de la GRC sur l'ÉFNB

La GRC a décidé de commencer son enquête sur les abus sexuels présumés au sein de l'ÉFNB et de faire un suivi sur les deux personnes avec lesquelles la GRC n'avait pas communiqué et dont les noms avaient été cités durant l'examen demandé par le procureur général et le solliciteur général. Un autre enquêteur a été affecté à l'affaire en raison d'un transfert des tâches par rotation.

L'enquêteur a organisé une entrevue avec la quatrième victime potentielle. Le garçon a nié avoir été abusé par M. Toft et a dit que l'histoire qu'il avait racontée en 1981 devait être mise en contexte; il a fait une surdose de drogue à plusieurs occasions en peu de temps à l'époque où il a été interrogé. Toutefois, il a cité un autre étudiant comme étant quelqu'un qui aurait pu être agressé sexuellement par M. Toft. Un autre membre de la GRC a aidé à retrouver la victime potentielle.

On a communiqué avec l'autre garçon dont le directeur exécutif des services de police avait révélé le nom. Cependant, il a refusé de collaborer et, bien qu'il ait mentionné avoir reçu des avances sexuelles de la part de M. Toft, il a nié avoir été abusé.

De janvier à mai 1991 – La GRC obtient plus de renseignements sur l'ÉFNB

En janvier 1991, l'enquête s'est approfondie à la suite d'un rapport envoyé par un ancien employé de l'ÉFNB. Le rapport donne le nom de sept anciens étudiants inconnus de la GRC censés avoir une opinion négative de M. Toft ou que M. Toft avait sortis de l'école avec permission. Seulement trois d'entre eux ont pu être localisés à l'aide des procédures habituelles de la GRC; ils ont tous nié avoir été agressés sexuellement par M. Toft et ont ajouté qu'ils ne connaissaient personne qui l'avait été.

En mars 1991, le directeur exécutif des services de police a donné le nom de trois autres victimes potentielles à la GRC. De la mi-mars à la mi-mai 1991, les enquêteurs de la GRC ont continué d'essayer de retrouver les victimes potentielles et d'obtenir des déclarations de leur part.

À la fin mai 1991, un autre enquêteur a été affecté à l'enquête. Celui-ci est devenu l'enquêteur principal par intérim en raison de la participation de l'enquêteur principal à d'autres affaires.

De juin à septembre 1991 – La FPF commence une deuxième enquête

En juin 1991, la FPF a été une fois de plus impliquée dans l'affaire lorsqu'un agent de la FPF, un ancien employé de l'ÉFNB, a interrogé un ancien pensionnaire de l'école qu'il avait connu lorsqu'il travaillait à l'ÉFNB. L'ancien pensionnaire a admis que M. Toft avait abusé sexuellement de lui.

En juillet 1991, les enquêteurs de la FPF ont rencontré un enquêteur de la GRC et ils ont échangé du matériel d'enquête. Lors d'une rencontre ultérieure, en juillet, la FPF a remis à la GRC une liste de 47 noms qui à ce moment-là avaient été identifiés comme victimes potentielles. On a remarqué que plusieurs personnes apparaissant sur la liste avaient déjà été contactées par la GRC et avaient, à l'époque, nié avoir été abusées sexuellement, mais ont par la suite confié à la FPF avoir été victimes d'abus.

La FPF a avisé la GRC qu'elle centrait son enquête sur la période 1983 à 1985 et qu'elle avait l'intention de porter des accusations contre M. Toft. Les deux enquêteurs ont convenu d'informer l'autre partie des progrès de leur enquête respective.

En septembre 1991, le bureau de la Couronne a avisé la GRC que, selon l'enquête de la FPF, elle engagerait une procédure avec 27 chefs d'accusation contre M. Toft, même si l'enquête de la GRC n'était pas terminée. L'avocat de la Couronne a informé la GRC que la FPF clôturait son enquête et que si des nouvelles victimes venaient parler après la divulgation d'un communiqué de presse annonçant l'arrestation de M. Toft, elles seraient renvoyées au service de police compétent, qui mènerait l'enquête. Lors de réunions ultérieures avec les enquêteurs de la FPF, la GRC a appris que, sur les 60 anciens pensionnaires sélectionnés au départ par les enquêteurs de la FPF, environ la moitié n'avait pas été localisée; neuf d'entre eux ont accepté de faire une déclaration d'abus. Ces déclarations ont amené la FPF à porter des accusations contre M. Toft.

Le 27 septembre 1991, M. Toft a comparu en cour et a choisi un procès devant juge et jury. L'audience préliminaire a été prévue pour janvier 1992. La GRC a avisé l'avocat de la Couronne qu'elle tenterait de porter d'autres chefs d'accusation suffisamment à l'avance pour permettre à la défense de se préparer à l'audience.

De septembre 1991 à février 1992 – L'enquête de la GRC se poursuit

La GRC a continué son enquête afin de déterminer l'étendue des délits commis par M. Toft. Elle a donc décidé d'essayer de constituer un « échantillonnage raisonnable » des pensionnaires présents à l'école entre 1965 et 1985, période où M. Toft était employé à l'ÉFNB. Elle a également décidé d'interroger les 30 autres victimes potentielles identifiées dans l'enquête de la FPF, mais qui n'avaient pas été contactées, ainsi que les autres victimes qui s'ajouteraient après la diffusion du communiqué de presse. On a alors donné la priorité à l'enquête et un troisième enquêteur est arrivé dans l'équipe.

En raison de la grande envergure de l'enquête, les enquêteurs se sont concentrés sur les pensionnaires présents à l'ÉFNB en 1985. Ils ont également communiqué avec les membres de la GRC qui avaient participé à l'affaire de Mount Cashel (qui comprenait aussi des allégations d'abus sexuel et physique envers de jeunes garçons dans un établissement et des allégations de dissimulation par les autorités provinciales) pour leur demander conseil sur l'enquête.

On a également mis l'emphase sur le camp d'été de l'ÉFNB de 1986. Cette décision était fondée sur le fait que M. Toft avait participé au camp, même s'il avait déjà été muté et, par conséquent, n'aurait pas dû être en contact avec les pensionnaires de l'ÉFNB. Une des tâches principales était d'essayer de localiser et d'interroger les victimes potentielles. On a également songé à fouiller la résidence de M. Toft, toutefois, cela ne semble pas avoir été fait.

En septembre 1991, la GRC avait commencé à recevoir des allégations contre d'autres membres du personnel de l'ÉFNB, notamment Weldon (Bud) Raymond, agent correctionnel de l'école entre 1963 et 1973, et Hector Duguay, préposé à l'entretien et aux réparations, entre 1964 et 1970. On a alors avisé l »avocat de la Couronne des allégations.

Une des dernières initiatives de l'enquêteur principal avant sa mutation en novembre 1991 a été de tenter de communiquer avec une victime potentielle à qui il avait parlé en octobre 1990, l'ancien pensionnaire mentionné à la GRC par le directeur exécutif des services de police. On s'est de nouveau concentré sur cette personne après plusieurs déclarations selon lesquelles il était un des « préférés » de Karl Toft et qu'il avait, depuis, confié à d'autres anciens pensionnaires que Karl Toft l'avait agressé sexuellement. Cependant, l'enquêteur n'a pas réussi à retrouver la victime potentielle ni sa famille.

À la fin de novembre 1991, la GRC avait interrogé 85 anciens étudiants, obtenant ainsi 20 déclarations d'abus, dont celles des trois garçons qui avaient, au départ, fait une déclaration auprès du membre du personnel de l'ÉFNB en 1985. La GRC a également indiqué qu'elle tentait de localiser 45 autres anciens étudiants, dont 20 habitaient à l'extérieur du Nouveau Brunswick.

De février 1992 à octobre 1993 – La GRC prépare de nouveaux chefs d'accusation contre Karl Toft et poursuit son enquête

En février 1992, une ordonnance du juge a enfin permis aux enquêteurs d'accéder aux dossiers de l'ÉFNB conservés aux Archives provinciales. Deux enquêteurs ont été désignés pour examiner les dossiers et effectuer un échantillonnage d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB afin de déterminer l'étendue des délits commis par Karl Toft. Les recherches ont permis d'identifier un grand nombre de victimes et de suspects. À la fin mars 1992, les enquêteurs possédaient le nom d'environ 600 anciens pensionnaires de l'ÉFNB. En raison du nombre élevé de noms, d'autres enquêteurs ont été affectés à l'enquête au cours des mois suivants afin d'effectuer un suivi des personnes apparaissant sur la liste.

Entre février et la mi-mars 1992, l'enquêteur principal a préparé un dossier d'audience présentant la preuve et les victimes identifiées à ce jour au cours de l'enquête. Cela a été fait afin de pouvoir porter des accusations lors de l'audience préliminaire de M. Toft sur les accusations de la FPF, alors prévue pour le 10 mars 1992. Le procureur de la Couronne a précisé qu'il examinerait le dossier d'audience et déterminerait les chefs d'accusation valables.

Lors de son audience préliminaire, M. Toft devait comparaître devant juge et jury pour répondre à 25 chefs d'accusation fondés sur l'enquête de la FPF. Le deuxième jour de l'audience, l'enquêteur principal de la GRC a porté 12 chefs d'accusation supplémentaires touchant 10 victimes. Le troisième jour, M. Toft a renoncé à une audience préliminaire sur les accusations de la GRC et a accepté de comparaître. Il a plaidé coupable à 34 chefs d'accusation en octobre 1992. Le 4 décembre 1992, il a été condamné à 13 ans de prison.

En novembre 1992, une section spéciale a été créée ayant pour mandat de retrouver d'autres victimes et suspects potentiels en raison de la longue période sur laquelle portait l'enquête.

Au cours de l'enquête, la GRC a reçu des allégations d'abus physique et sexuel contre 48 suspects, dont bon nombre étaient d'anciens employés de l'ÉFNB. Les allégations contre huit de ces suspects ont été transmises à l'avocat de la Couronne en raison d'accusations possibles. Les autres affaires n'ont pas été poursuivies pour plusieurs raisons, notamment le manque de collaboration, les démentis des suspects, le manque de crédibilité des victimes et d'allégations considérées comme des infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité (ne peuvent pas être poursuivies six mois après la perpétration du délit).

Des examens effectués par différents avocats de la Couronne ont révélé qu'on ne pouvait justifier des accusations pour quatre des huit affaires et on a clos les enquêtes correspondantes. Une cinquième affaire a été attribuée à une autre compétence. Des accusations ont finalement été portées contre deux gardes, M. Duguay, déclaré coupable de quatre chefs d'accusation sur cinq, et M. Raymond, qui n'a été condamné pour aucune des huit accusations portées contre lui. La huitième affaire concernait M. Toft.

En août 1993, les enquêteurs ont présenté des dossiers d'audience sur 26 victimes, représentant 32 chefs d'accusation contre M. Toft. Cependant, le bureau de l'avocat de la Couronne a déclaré qu'il ne serait pas dans l'intérêt du public d'engager une procédure contre lui avec de nouveaux chefs d'accusation. La GRC s'est opposée à cette évaluation, forçant le bureau de l'avocat de la Couronne à communiquer avec le procureur général, qui a reconnu que la GRC devait déposer de nouvelles accusations. La GRC a informé le directeur du Service des poursuites publiques de la province que si une procédure n'était pas engagée comme recommandé, la GRC songerait à engager son propre avocat afin de déposer les accusations. Par conséquent, la GRC a déposé 15 accusations concernant 13 victimes devant la cour provinciale le 22 octobre 1993.

Le procureur qui avait approuvé la présentation des accusations a ordonné une suspension des procédures pour ces accusations le 29 octobre 1993. D'après de nouveaux renseignements qui lui avaient été transmis, il a décidé qu'il serait dans l'intérêt du public de donner suite avec la commission d'enquête établie pour examiner les allégations d'inconduite sexuelle à l'ÉFNB, plutôt qu'avec d'autres accusations, particulièrement parce que ces nouveaux chefs d'accusation étaient très semblables à ceux pour lesquels M. Toft avait déjà été déclaré coupable et condamné et, par conséquent, n'aurait pas entraîné de sentences supplémentaires.

De janvier 1992 à décembre 1993 - Des rumeurs au sujet du sergent d'état major McCann

Le 31 janvier 1992, à la suite d'une demande du surintendant Ford Matchim de la GRC, un nouvel enquêteur principal a commencé à enquêter sur les rumeurs au sujet du sergent d'état major McCann et de son implication auprès des pensionnaires de l'ÉFNB. Le sergent d'état major McCann de la GRC était le sous-officier responsable du détachement de Riverview, au Nouveau Brunswick, depuis septembre 1987. Il était actif dans la collectivité, principalement auprès des Louveteaux et du mouvement scout et du hockey mineur. Ses activités au sein de l'ÉFNB comprenaient son invitation auprès d'un garçon de l'école à venir habiter avec sa famille.

L'enquêteur principal a commencé son enquête en obtenant une liste de 11 anciens pensionnaires qui avaient mentionné à la GRC l'engagement du sergent d'état major McCann auprès des jeunes. Il a fait passer des entrevues à plusieurs personnes en février et en mars 1992. Lors d'un interrogatoire de mars 1992, le sergent d'état major a admis connaître M. Toft, mais a démenti toutes les rumeurs à son sujet. L'enquêteur principal a conclu, après avoir questionné d'anciens pensionnaires, qu'on présumait que le sergent d'état major McCann agressait des jeunes parce qu'il emmenait des garçons hors de l'établissement tout comme M. Toft. L'enquêteur principal a ensuite mis le dossier dans une enveloppe cachetée et seuls les membres supérieurs de la GRC pouvaient le consulter « afin de protéger M. McCann ». Il a également été décidé que le nom du sergent d'état-major McCann serait noirci dans toutes les déclarations.

Plus tard, l'enquêteur principal a appris que le sergent d'état major McCann avait obtenu des permissions de sortie pour un des témoins à de nombreuses occasions. Lorsqu'on a communiqué de nouveau avec ce témoin en décembre 1992, il a affirmé que le sergent d'état major s'était exhibé devant lui, mais qu'il n'avait pas souhaité participer. Cependant, il a fourni le nom de deux personnes qui avaient pu être agressées par le sergent d'état major McCann. Plus tard, la mère de l'ancien pensionnaire a informé l'enquêteur que son fils lui avait dit que le sergent d'état major l'avait agressé sexuellement, et qu'il s'agissait de relations sexuelles anales et orales. Elle a affirmé que le sergent d'état major avait communiqué avec elle pour tenter de voir son fils.

En décembre 1993, l'enquêteur principal a présenté son rapport de clôture sur l'enquête au sujet du sergent d'état major McCann, dans lequel il déclare qu'il n'y a aucun motif raisonnable pour déposer des accusations criminelles.

Le 2 mars 1993, le sergent d'état major McCann a officialisé ses intentions de prendre sa retraite. Il a officiellement pris sa retraite de la GRC le 18 avril 1993.

1998 – Des allégations contre le sergent d'état major McCann

Au début de 1998, le nom de M. McCann est réapparu dans des allégations portées par un ancien pensionnaire de l'ÉFNB aux enquêteurs de la GRC. Au cours d'une entrevue qui a suivi, la présumée victime a relaté des incidents impliquant M. McCann qui se seraient déroulés lorsqu'il était à l'ÉFNB; ces incidents comprenaient des attouchements de la part de M. McCann et des menaces savoir que, s'il racontait à quiconque ce qui se passait, M. McCann lui créerait des problèmes à l'école.

La présumée victime a mentionné cinq autres anciens pensionnaires de l'ÉFNB qu'elle pensait avoir pu être agressés par M. McCann. Lorsque la victime a précisé qu'elle voulait accuser M. McCann, on lui a dit que le dossier avait été fermé puisque l'agression sexuelle qu'elle avait racontée était mineure. (L'avocat de la victime lui aurait dit que M. McCann pourrait être accusé puisqu'il était en position d'autorité au moment où l'abus présumé était survenu.) L'enquêteur de la GRC lui a suggéré d'engager une procédure au tribunal civil.

Un des anciens pensionnaires cités par la victime présumée avait rédigé un rapport pour la GRC en mars 1993 dans lequel il portait des allégations d'inconduite sexuelle de la part de M. McCann. Étant donné que le nom de M. McCann avait refait surface, on a communiqué de nouveau avec la victime présumée. Elle a précisé que, bien que M. McCann l'avait agressée sexuellement, elle ne voulait pas être la seule à « poursuivre Cliff ». En mai 1998, on l'a informé que les allégations contre M. McCann étaient des déclarations sommaires de culpabilité plutôt que des actes criminels et que, par conséquent, il n'y avait rien à faire.

En octobre 1998, M. McCann a été réinterrogé et a encore une fois nié les allégations. Il a donné le nom d'un ancien pensionnaire de l'ÉFNB qui avait vécu chez lui et que sa femme et lui avaient adopté, comme témoin de moralité. L'ancien pensionnaire a été interrogé et a confirmé que le sergent d'état major McCann n'avait jamais abusé de lui.

De mars 1999 à novembre 2003 - Réouverture de l'enquête de la GRC

En mars 1999, les membres de la GRC du Groupe des crimes graves de la Sous division de Fredericton (anciennement appelé Section des enquêtes générales) ont commencé une enquête sur des plaintes d'agression physique d'anciens pensionnaires contre d'anciens employés de l'éFNB.

En février 2000, la GRC a été contactée de nouveau par la personne qui avait mentionné M. McCann au début de 1998; cette fois, elle voulait exprimer qu'elle n'était pas satisfaite du fait qu'aucune accusation n'avait été déposée. Par conséquent, on a décidé de mener une enquête complète sur M. McCann.

Au même moment, les enquêteurs qui étudiaient déjà les plaintes contre d'anciens employés de l'éFNB depuis mars 1999 ont été assignés à la tâche supplémentaire d'examiner plusieurs dossiers sur des plaintes formulées par d'anciens pensionnaires.

Des rencontres entre la GRC et l'avocat de la Couronne ont permis d'établir des lignes directrices pour les enquêtes prévues ainsi que le besoin de « détails et de confirmation » afin de passer le test et d'aboutir à « une condamnation plus probable qu'un acquittement ». La politique de l'avocat de la Couronne était qu'il ne pouvait approuver de chefs d'accusation semblables à ceux pour lesquels les individus (MM. Toft et Duguay) avaient déjà été déclarés coupables et condamnés.

En mai 2001, une équipe de six enquêteurs de la GRC a été formée. Entre mai 2001 et janvier 2002, la GRC a transmis au bureau de l'avocat de la Couronne des plaintes de quatre anciens pensionnaires contre plusieurs employés de l'éFNB aux fins d'accusations possibles, mais aucun chef d'accusation n'a été déposé.

Le 11 septembre 2002, M. McCann a été arrêté et emmené au détachement d'Oromocto, au Nouveau Brunswick. On l'a interrogé pendant huit heures, au cours desquelles il a nié avoir abusé des garçons, et on l'a ensuite reconduit chez lui sans déposer d'accusations. Néanmoins, la GRC a envoyé à l'avocat de la Couronne des renseignements sur les présumées victimes aux fins d'étude et de recommandations sur la possibilité de porter des accusations. En janvier 2003, l'avocat de la Couronne a demandé des renseignements et des éclaircissements supplémentaires au sujet des présumées victimes. La GRC a répondu à sa demande dans une note de service au début d'avril 2003.

En novembre 2003, l'avocat de la Couronne a conclu son examen de l'enquête sur McCann et a recommandé qu'aucun chef d'accusation criminelle ne soit porté puisqu'un « acquittement était plus probable qu'une condamnation ». L'avocat de la Couronne a déclaré que la raison principale de sa décision était le manque de crédibilité des victimes, notamment leur dossier criminel, leur consommation de drogues et d'alcool, leurs incohérences et contradictions dans les déclarations données et le fait qu'ils aient déjà nié avoir subi des abus. Il a également mentionné leur hésitation à coopérer et leurs troubles de mémoire, ainsi qu'un manque de déclarations corroborantes.

En novembre 2003, l'enquêteur principal a envoyé une lettre aux six victimes présumées de McCann expliquant que l'enquête sur leurs allégations était maintenant close et qu'aucune accusation ne serait portée.

3. Sommaire des enquêtes portant sur l'École de formation du Nouveau-Brunswick

Les enquêtes de la GRC au sujet des allégations d'agression sexuelle et physique des pensionnaires de l'École de formation du Nouveau-Brunswick (ÉFNB) se sont déroulées à partir de février 1990 jusqu'en juin 2004. Parfois, certaines parties de ces enquêtes empiètent sur l'enquête sur le sergent d'état major Clifford McCann, laquelle est décrite à la partie III du présent rapport.

La GRC a dû relever plusieurs défis tout au long de ces enquêtes. La plupart des membres de la GRC étaient responsables d'autres dossiers pendant qu'ils faisaient enquête sur l'ÉFNB. Ils n'ont donc pas eu souvent le temps de se consacrer pleinement au dossier de l'ÉFNB. De plus, les membres faisaient l'objet de nombreux roulements au sein de la Section des enquêtes générales (SEG) et du Groupe de crimes graves (GCG) de Fredericton ou étaient transférés à d'autres affectations. En raison des pénuries de personnel constantes et de la pression des autres enquêtes criminelles, le déroulement de l'enquête sur l'ÉFNB ne pouvait se poursuivre que lorsque les circonstances et les horaires le permettaient, surtout au début.

En outre, plusieurs anciens pensionnaires de l'ÉFNB étaient peu disposés à coopérer et il était difficile de convaincre un grand nombre des victimes présumées d'agression sexuelle ou physique de déposer une plainte. Un certain nombre d'anciens pensionnaires vivaient dans différentes régions du Canada ou étaient en prison, ce qui ralentissait énormément la tâche de les retrouver, de communiquer avec eux et d'organiser des entrevues. Certains étaient décédés. Comme l'enquête portait sur des agressions sexuelles commises contre des mineurs, il a fallu dispenser une formation spéciale aux enquêteurs chargés de faire passer des entrevues aux anciens pensionnaires de l'école. De plus, les enquêteurs ont dû demander une ordonnance du tribunal pour avoir accès aux dossiers consignés aux Archives provinciales du Nouveau Brunswick.

La GRC n'a pris connaissance de la plainte déposée en 1985 par un membre du personnel de l'ÉFNB contre Karl Toft que le 7 février 1990, lorsque le procureur général a demandé à la GRC d'ouvrir une enquête sur l'ÉFNB et sur la manière dont la Force policière de Fredericton avait traité ladite plainte déposée en 1985. À la suite de la clôture de l'enquête, en juillet 1990, la GRC a reçu de nouveaux renseignements de la part du directeur des services de police de la province. C'est la raison pour laquelle la GRC a entamé, en octobre 1990, une enquête fondée sur les allégations déposées contre M. Toft. La Force policière de Fredericton a également ouvert sa propre enquête sur M. Toft, après avoir reçu, en juin 1991, une plainte de la part d'un ancien pensionnaire. Lorsque des membres de la GRC ont appris que les services de police de Fredericton menaient leur propre enquête, ils ont proposé que les deux forces policières travaillent de concert, puisqu'ils servaient les mêmes intérêts. La Force policière de Fredericton a refusé la demande de la GRC.

À cause du manque de coordination avec la Force policière de Fredericton, les anciens pensionnaires que la GRC a contactés avaient déjà passé une entrevue auprès de la FPF, au grand désarroi des membres de la Gendarmerie. Cela a également accusé le retard du dépôt des chefs d'accusation déposés ultérieurement. Finalement, la GRC a préparé des dossiers d'audience concernant les inculpations criminelles déposées contre M. Toft, Weldon Raymond, Hector Duguay et d'autres membres du personnel de l'ÉFNB, pour que le procureur de la Couronne puisse les examiner. Après cela, on a déposé des chefs d'accusation et, dans certains cas, on a institué des poursuites. La GRC et la FPF ont déposé des inculpations criminelles contre M. Toft, entraînant ainsi un plaidoyer de culpabilité de la part de ce dernier, ainsi qu'une peine d'emprisonnement.

Le procès de M. Duguay s'est tenu les 13 et 14 septembre 1993 et le tribunal l'a reconnu coupable de quatre chefs d'accusation sur les cinq chefs qui pesaient contre lui. En octobre 1993, la GRC a déposé 15 inculpations de plus contre M. Toft, mais le procureur général les a suspendues parce qu'elles ressemblaient beaucoup à celles pour lesquelles il avait déjà été condamné et déclaré coupable. Une des raisons que le procureur général a données pour justifier la suspension des inculpations est le fait que la province avait commandé une enquête dirigée par le juge Richard Miller avec le mandat d'examiner la réponse du gouvernement provincial face aux plaintes d'agression sexuelle et physique déposées contre les membres du personnel de l'ÉFNB.

L'enquête de la GRC s'est terminée en 1995, lorsque le procureur général a confirmé qu'il ne lèverait pas la suspension des inculpations supplémentaires contre M. Toft qu'il a imposée à la GRC. La GRC continuait, cependant, de recevoir des plaintes d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB. L'enquête sur l'ÉFNB a repris en 1999, à la suite de nouvelles plaintes concernant l'ÉFNB. Les officiers de la GRC se sont vus obligés de demander au bureau du procureur général de déterminer s'il fallait poursuivre l'enquête des plaintes concernant des crimes commis par d'autres membres du personnel de l'ÉFNB, même s'il n'était plus possible de porter des accusations contre M. Toft semblables à celles pour lesquelles il avait déjà été reconnu coupable. Après avoir mieux compris la position du procureur général, la GRC a entamé l'enquête de ces nouvelles plaintes.

Au départ, les enquêtes étaient sporadiques et ne concernaient qu'un petit nombre d'anciens pensionnaires. La situation a changé en février 2000, après qu'une victime présumée de M. McCann, à laquelle on avait indiqué qu'il n'existait pas de preuves suffisantes pour déposer une inculpation lorsqu'elle s'était présentée en janvier 1998, eut déposé une plainte officielle auprès de l'officier responsable de la Police criminelle de la Division J, au sujet du résultat de l'enquête. En conséquence, la GRC a réexaminé les dossiers et décidé, en 2000, de constituer une équipe d'enquête. Des problèmes d'effectifs ont retardé l'assemblée de l'équipe jusqu'en mai 2001. Vers la fin de 2003, la GRC a officiellement informé les plaignants que, d'après l'avis de l'avocat de la Couronne, la preuve recueillie contre M. Toft, contre d'autres membres du personnel de l'ÉFNB et contre le sergent d'état major McCann qui était à la retraite, ne satisfaisait pas au critère de perspective raisonnable d'obtenir une déclaration de culpabilité et que le procureur de la Couronne n'approuverait pas le dépôt de chefs d'accusation.

3.1 Étendue des enquêtes portant sur l'ÉFNB

La plus grande partie du travail d'enquête a été consacrée à l'identification, la localisation et les entrevues des anciens pensionnaires susceptibles d'être des victimes d'agression sexuelle ou physique pendant leur séjour à l'ÉFNB. La liste de la plupart des noms de victimes potentielles a été dressée grâce aux dossiers des Archives provinciales du Nouveau Brunswick et à d'autres sources, y compris la FPF et des anciens employés et pensionnaires de l'ÉFNB. Le plus grand nombre des entrevues et des révisions de dossiers ont été effectués de 1991 à 1993 et de 1998 à 2003.

Après avoir examiné plusieurs documents, la CPP a pu déterminer le nombre de noms obtenus par la GRC. Par exemple, de 1991 jusqu'en 1993, la GRC a obtenu le nom d'environ 440 anciens pensionnaires de l'ÉFNB et environ 60 d'entre eux ont admis avoir fait l'objet d'agression sexuelle ou physique. Au cours de l'enquête, la GRC a dressé une liste de 48 suspects éventuels, dont la plupart étaient des employés, anciens ou actuels, de l'ÉFNB. Ils n'ont présenté, cependant, à l'avocat de la Couronne, que huit dossiers à examiner.

On a finalement déposé des inculpations contre MM. Toft, Duguay et Raymond. Seuls MM. Toft et Duguay ont été déclarés coupables; M. Raymond a subi deux procès devant juge et jury et il a été acquitté, les deux fois, dans le cadre de tous les chefs d'accusation. La GRC n'a pas déposé d'inculpations dans cinq autres affaires en raison des recommandations à l'avocat de la Couronne. Les dossiers de 40 autres suspects ont été fermés pour diverses raisons, dont le manque de crédibilité des anciens pensionnaires, le type d'allégations et le caractère sommaire des chefs d'accusation. De plus, l'avocat de la Couronne a estimé que, d'après la manière dont les chefs étaient présentés dans les dossiers, ils ne semblaient pas satisfaire au critère applicable, à savoir « une perspective raisonnable d'obtenir une déclaration de culpabilité » et, en ce qui concerne les infractions sommaires, on avait déjà dépassé la prescription de six mois pour porter des accusations.

En 1998, la GRC a ouvert de nouvelles enquêtes concernant l'ÉFNB. Dès le début de 2000, on a dressé un plan prévoyant l'enquête et l'examen de 145 dossiers d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB; le nombre de dossiers a finalement atteint 200. Certains dossiers ont été fermés peu après, puisque les agressions alléguées faisaient partie de la catégorie d'infractions dispensées par le procureur général, c'est à dire que M. Toft avait déjà été reconnu coupable et condamné pour des infractions semblables. D'autres dossiers ont été fermés car certains anciens pensionnaires n'ont pas pu être retrouvés ou ils étaient décédés.

Les enquêteurs ont préparé quatre dossiers d'audience à l'appui des allégations avancées contre MM. Toft et Raymond et ils les ont transmis au bureau de l'avocat de la Couronne. L'avocat de la Couronne n'a cependant recommandé aucune accusation et les dossiers ont été conclus.

Le procureur de la Couronne a fondé sa décision sur le principe de totalité en matière de détermination de la peine, prévoyant que le tribunal refuserait de prolonger la peine pour éviter que cette dernière ne devienne excessivement longue et sévère, puisque la nature, les circonstances et la date de ces infractions étaient très rapprochées de celles des infractions pour lesquelles il avait plaidé coupable. Il a, cependant, indiqué qu'il invoquerait ces plaintes supplémentaires comme des éléments de preuve de faits similaires en cas de procès.

4. Enquête menée par le gendarme Tom Spink (1990)

4.1 Contexte

Pendant un match de basket-ball à Moncton, en 1989, David Forbes a raconté à une de ses connaissances, John Lebans, qui était l'adjoint exécutif de Mike McKee, ministre du Travail du gouvernement du Nouveau Brunswick, quelque chose qui l'a perturbé pendant plus de quatre ans. M. Forbes était un ancien employé de l'École de formation du Nouveau-Brunswick (ÉFNB). Il n'était en ville que pour une visite, puisqu'il avait quitté son emploi à l'école et il avait déménagé aux Territoires du Nord Ouest en 1985. M. Forbes a révélé à M. Lebans qu'en 1985, il a rapporté qu'un garde de l'école avait agressé sexuellement des pensionnaires, mais que ses supérieurs n'ont rien fait à la suite de ce rapport.

La révélation de M. Forbes a été le premier événement, parmi toute une série, à entraîner une des plus longues enquêtes criminelles dans l'histoire juridique du Nouveau Brunswick. Il a révélé au public une série d'événements et de crimes sordides et tragiques qui se sont étendus sur une période de presque 40 ans et qui ont eu des répercussions sur un grand nombre de personnes pensionnaires dans cette école. L'année suivante, la GRC a institué une enquête, laquelle, au cours des 13 années qui ont suivi, a entraîné d'autres enquêtes, menées par la GRC et par la Force policière de Fredericton (FPF), puis des inculpations, des procédures judiciaires, une enquête publique, lesquelles ont attiré beaucoup d'attention de la part des médias et provoqué, pendant très longtemps, une grande inquiétude au sein du public.

Conformément au témoignage du 21 juillet 1994, déposé par M. Lebans dans le cadre de l'enquête Miller, au cours de la conversation qu'il a entretenue pendant le match avec M. Forbes, ce dernier a formulé des accusations contre un garde de l'école. Il était inquiet du fait que ses supérieurs n'aient rien fait à la suite du rapport qu'il a déposé auprès d'eux. M. Lebans a demandé à M. Forbes de lui téléphoner, la semaine suivante à Fredericton.

Au cours de leurs conversations téléphoniques ultérieures, M. Forbes a ajouté qu'il avait vu le garde agresser sexuellement un pensionnaire à l'ÉFNB, plus précisément, il avait touché les organes génitaux d'un garçon. C'est après cet incident que M. Forbes a décidé de parler à ses supérieurs. Pendant une de ses visites au Nouveau Brunswick, il a appris que personne n'avait rien fait à l'égard de sa plainte. M. Lebans résume ainsi l'attitude de M. Forbes : « Et il me semble que quoi qu'il advienne, il [M. Forbes] voulait absolument qu'on fasse quelque chose au sujet de ce qui était arrivé. »

M. Lebans a témoigné que M. Forbes voulait faire part de l'objet de ses préoccupations au solliciteur général du Canada et il insistait pour dire qu'il ne voulait parler à personne d'autre, sauf au solliciteur général adjoint ou au solliciteur général en personne. M. Forbes a mentionné qu'à partir de l'automne 1985, jusqu'en décembre 1989, il s'est efforcé de faire connaître ses inquiétudes à des employés du ministère du Solliciteur général. « De nouveau, cela ne l'a [M. Forbes] avancé à rien... Il était extrêmement contrarié que personne n'ait rien fait. »

Au cours de son témoignage du 6 juin 1994, dans le cadre de l'enquête Miller, M. Forbes a témoigné que le 9 octobre 1985, il a observé Karl Toft, un agent correctionnel, frotter une clé le long de la jambe et de l'aine de Mark Seymour, un des étudiants. M. Forbes a décidé alors de faire passer une entrevue à deux autres pensionnaires, Pierre O'Connor et John Leblanc, qui avaient déclaré que M. Toft les avait harcelés sexuellement. M. Forbes a demandé à chacun des trois garçons de déposer une déclaration de témoin, puis il a préparé un rapport daté du 10 octobre 1985. Il a témoigné avoir rapporté l'incident à la caporale Lillian Ulsh de la FPF, le 15 octobre 1985. Au cours de l'enquête, M. Forbes a également déclaré qu'il n'a jamais communiqué avec la GRC au sujet des allégations et qu'il n'était pas au courant qu'il y avait de problèmes de compétence entre ces deux services de police.

Pendant leur conversation téléphonique, M. Lebans a assuré à M. Forbes qu'il communiquerait avec l'adjoint exécutif du procureur général, M. Émile Chevarie, pour lui faire part de ses inquiétudes. Une semaine plus tard, M. Chevarie a dit à M. Lebans qu'on avait communiqué avec M. Forbes et qu'on fixerait une rencontre avec le ministre ou le sous-ministre.

Lors de son témoignage les 6 et 7 juin 1994, dans le cadre de l'enquête Miller, M. Forbes a déposé que, vers la fin de l'année 1989, après avoir parlé avec M. Chevarie, il s'est adressé à quelqu'un qu'il croyait être le solliciteur général, M. Conrad Landry, qui lui a répondu qu'il n'avait pas le temps de le recevoir. Le même jour, M. Forbes a été voir la caporale Ulsh de la FPF. Elle lui a dit qu'elle ne se souvenait plus de l'incident. Éventuellement, elle s'est montrée impatiente et elle lui a dit de déposer sa plainte au ministère du Solliciteur général.

M. Forbes a témoigné que, plusieurs heures après avoir rencontré la caporale Ulsh, il a rencontré Richard Robinson de la Radio CBC, lequel s'est montré très intéressé à entendre sa plainte. M. Robinson lui a dit qu'il avait entendu parler de M. Toft et des problèmes qu'il avait eus lorsqu'il travaillait chez les Scouts. M. Forbes a déposé avoir dit à M. Robinson tout ce qui était arrivé depuis 1985. M. Robinson lui a dit qu'il connaissait James Lockyer, le procureur général du Nouveau Brunswick, et qu'il lui ferait part de cette affaire. M. Forbes a témoigné que M. Robinson a communiqué avec lui au printemps 1990 et qu'il lui a confié avoir discuté de l'affaire avec M. Lockyer et qu'on donnerait suite à ce problème. Quelques mois plus tard, M. Lockyer lui a téléphoné pour l'informer qu'on allait instruire une enquête de grande envergure et qu'on le tiendrait au courant.

Au cours de l'enquête Miller, M. Lockyer a témoigné, le 18 juillet 1994, que, au cours d'une conversation téléphonique qu'il avait entretenue avec M. Robinson le 7 février 1990, M. Robinson lui avait clairement indiqué qu'il y a lieu de faits, à l'ÉFNB, qui exigent absolument la tenue d'une enquête, et qu'il avait demandé aux FPF de faire enquête sur cette affaire en 1985. D'après le témoignage de M. Lockyer, M. Robinson a laissé entendre que « pour une raison ou une autre, on n'a pas donné suite à l'affaire. Il y a des gens qui étaient au courant et il s'agit d'instances de criminalité et d'actes susceptibles de poursuites pénales et quelqu'un aurait dû s'en occuper. » M. Lockyer a témoigné que, avant sa conversation téléphonique avec M. Robinson, on ne lui avait jamais mentionné qu'il pouvait avoir des problèmes à l'ÉFNB et qu'il n'avait jamais entendu le nom de Karl Toft.

La CPP a fait passer une entrevue à M. Lockyer le 28 février 2007. M. Lockyer a déclaré qu'il croyait que M. Robinson n'avait aucune intention de rendre l'affaire publique; il pensait que ce dernier voulait, tout simplement, attirer l'attention de M. Lockyer sur la plainte de M. Forbes. M. Lockyer a également eu l'impression qu'il devait donner suite à l'affaire parce que M. Forbes comptait sur lui. Il a déclaré également qu'il estimait inacceptable que des fonctionnaires aient fermé les yeux face à la plainte de M. Forbes et que ce dernier ait dû faire face à autant de difficultés simplement pour se faire entendre. M. Lockyer était inquiet par les faits allégués dans la plainte et notamment du fait que ces événements aient eu lieu au sein d'un établissement du gouvernement.

Suite à la conversation qu'il a eue avec M. Robinson, M. Lockyer a parlé au sous ministre de la Justice du Nouveau Brunswick, Paul LeBreton, et au solliciteur général, Conrad Landry, le 7 février 1990. Puis, il a rédigé une lettre au commandant de la Division J de la GRC, le surintendant principal Herman Beaulac, pour lui demander d'instruire une enquête approfondie de l'affaire. M. Lockyer a joint à sa lettre des notes que M. Robinson lui avait envoyées. Voici un extrait de la lettre en question :

Vous trouverez ci joint une copie des notes que m'a remises M. Richard Robinson, présentateur de nouvelles de la Société Radio Canada à Fredericton, au sujet de certaines allégations concernant la Force policière de Fredericton, certains employés du ministère du Solliciteur général et, plus particulièrement, un certain Karl Toft.

Je vous prie d'entreprendre une enquête sur cette affaire et de m'en faire un compte rendu aussitôt que possible.

J'ai informé mon collègue, le solliciteur général, de la présente demande.

M. Lockyer a témoigné, dans le cadre de l'enquête Miller, avoir parlé en personne au solliciteur général Landry, pour lui dire qu'il avait référé le cas à la GRC et que ce dernier devait être au courant de ce fait.

Après avoir reçu la lettre de M. Lockyer, le surintendant principal Beaulac a référé l'affaire à la section compétente de la GRC. « Comme il semble que cette affaire ait déjà été portée à l'attention de la Force policière de Fredericton, il faudra communiquer avec ce service avant de commencer l'enquête. » Il a dit au procureur général qu'il le tiendrait informé. À la suite de cet échange de correspondance, le gendarme Tom Spink a démarré l'enquête de la GRC de 1990 sur l'ÉFNB.

4.2 Objectif de l'enquête menée par le gendarme Spink

Dans une entrevue avec la CPP, tenue le 28 février 2006, le sergent d'état major Spink, maintenant à la retraite, a déclaré qu'il avait été chargé de « se pencher particulièrement sur la question de savoir si la Force policière de Fredericton avait étouffé intentionnellement... l'affaire de l'agression sexuelle perpétrée contre... trois jeunes garçons ... » Plus tard dans l'entrevue, il a déclaré « j'en ai toujours été conscient... on m'avait demandé de déterminer si la Force policière de Fredericton avait, ou non, étouffé l'affaire intentionnellement, particulièrement le bureau de Lillian Ulsh... voilà le mandat précis que j'ai reçu. » Il ne s'agit pas d'une enquête sur des allégations d'agression sexuelle contre Toft ? » Il a répondu « C'est exact. » M. Spink a ajouté que, lorsqu'il a témoigné dans le cadre de l'enquête Miller, les questions de l'avocat de la commission, M. William Goss, portaient plutôt sur son enquête au sujet de la FPF.

Cependant, dans le cadre de l'enquête Miller, le 30 août 1994, il a confirmé, lors de son témoignage, que « en février 1990, [il a été] chargé de la tâche de mener des enquêtes en ce qui concerne les allégations d'agression sexuelle impliquant un certain suspect du nom de Karl Toft. » Il a dit qu'il est allé voir la caporale Ulsh et qu'il lui a expliqué qu'il « avait été chargé d'enquêter sur les présumées agressions contre les trois jeunes gens du Centre de formation pour jeunes Kingsclear. »

M. Spink a accepté de passer une deuxième entrevue et de rencontrer la CPP à Fredericton, le 2 mars 2007. Parmi les questions soulevées, on a constaté des contradictions manifestes entre la description qu'il a donnée de son mandat lors de son témoignage au cours de l'enquête Miller et la description qu'il a donnée à la CPP le 28 février 2006. Il a expliqué qu'il ne voyait aucune contradiction entre ses deux réponses et il a soutenu que son « mandat principal », tel qu'il l'avait lui même compris, était de déterminer si la FPF, et plus particulièrement la caporale Ulsh, avaient agi en situation d'irrégularité ou si on avait étouffé l'enquête de l'affaire Toft. Le deuxième objectif était de déterminer si les trois garçons avaient subi des actes d'agression sexuelle de la part de M. Toft et, s'il était convaincu que la réponse était positive, de décider s'il y avait moyen de déposer des chefs d'accusation et quels étaient ces chefs. Il a rapporté que, après avoir fait passer une entrevue aux trois jeunes gens, il était convaincu qu'ils avaient effectivement été victimes d'agression sexuelle.

La lettre du surintendant principal Beaulac au procureur général James Lockyer, du 13 février 1990, appuie la thèse qu'avance M. Spink, à savoir qu'il avait été chargé de faire enquête sur l'enquête menée par la FPF. Dans cette lettre, le surintendant principal mentionne les allégations présentées par M. Robinson, dont la première porte sur la FPF, et il indique qu'il a fait part de ces dernières à la section compétente de la GRC pour qu'ils ouvrent une enquête.

L'officier responsable intérimaire de la Division J de la Police criminelle, l'inspecteur Mike Connolly, a affirmé que l'enquête de la GRC a été ouverte au moment de l'échange de correspondance entre M. Lockyer et le surintendant principal Beaulac. Le 13 septembre 1994, pour répondre à M. Goss sur la question de savoir si « l'ensemble de ce processus (l'enquête de la GRC) a commencé avec la lettre de M. Lockyer au surintendant principal... Beaulac du 7 février 1990 », l'inspecteur Connolly a répondu ainsi : « Cela est exact. » On lui a alors demandé : « La GRC possédait t elle un dossier d'enquête ou un dossier informatif, sous quelque forme que ce soit, au sujet de Karl Toft et/ou de l'École de formation du Nouveau Brunswick avant ladite date? » L'inspecteur Connolly a répondu : « Non. » On a alors mentionné les efforts que le gendarme Spink avait investis dans l'enquête, à partir de la mi février 1990 jusqu'en juillet 1990, et les rapports qu'il avait préparés pendant cette période, lesquels rapports avaient déjà été versés au dossier.

Dans son rapport final du 17 février 1995, le juge Miller a déclaré que, bien que la GRC ait effectivement mené une enquête, le 3 juillet 1990, seuls la caporale Ulsh, Ian Culligan, Tom Richard (deux anciens surintendants de l'ÉFNB) et deux des garçons avaient été interviewés. L'enquête a été conclue le 20 juillet 1990, après une entrevue de l'enquêteur avec M. Toft et le troisième garçon. M. Toft a nié toute activité sexuelle avec les garçons et le troisième garçon a indiqué qu'il ne voulait pas témoigner en cour.

Le juge Miller a déclaré que, au cours de l'enquête, Hugh Robicheau, le directeur des services de police du Nouveau Brunswick, a recueilli de nouveaux renseignements qu'il a transmis à la GRC. Le 17 février 1991, il a été informé par lettre que l'enquête était en cours. « Il n'est pas clair s'il s'agit d'une réouverture consciente et délibérée de l'enquête qui avait été antérieurement jugée conclue. » Le juge Miller a déclaré plus loin dans son rapport : « [Pendant que les inculpations déposées contre TOFT]... avec la communication de cette information au sein du système judiciaire, la GRC a été influencée par quelque influence indéterminée à terminer l'enquête qui avait été amorcée par le procureur général, M. Lockyer, quelque dix-neuf mois auparavant. »

Dans une lettre au sous ministre de la Justice, M. LeBreton, datée du 21 mai 1991, le surintendant Giuliano Zaccardelli, agent de la Police criminelle, a déclaré que la GRC avait entamé l'enquête en février 1990. L'enquête, a t il poursuivi, s'est terminée en juillet 1990.

4.3 Ouverture de l'enquête menée par le gendarme Spink

Le surintendant Zaccardelli a pris part à l'enquête, quatre jours après avoir reçu la lettre du procureur général Lockyer, et il a recommandé au surintendant principal Beaulac, dans un bordereau d'acheminement daté du 11 février 1990, que la Section des enquêtes générales (SEG) de la GRC de Fredericton soit chargée de l'affaire. Le 13 février 1990, le surintendant Zaccardelli a envoyé un autre bordereau d'acheminement au surintendant principal Beaulac, pour lui dire qu'il veillerait à ce que l'enquêteur communique avec la FPF avant d'entamer l'enquête.

Il semble qu'il se soit écoulé un certain temps avant que l'enquête ne soit lancée. Au cours de la deuxième entrevue qu'il a eue avec la CPP, le 2 mars 2007, M. Spink a expliqué qu'au moment où il a été chargé de l'affaire, on lui a également attribué une autre enquête qu'il devait mener avec plusieurs autres collègues. De plus, il a été affecté au Service divisionnaire des infractions commerciales, ce qui a augmenté le retard. Il était chargé de plusieurs enquêtes en cours qu'il devait préparer et organiser avant de les remettre à un autre enquêteur.

La demande d'acheminement et de date d'agenda dans laquelle on a demandé au gendarme Spink de remettre son rapport initial au plus tard le 14 mars 1990 était daté du 21 février 1990; il provenait de la Police criminelle et concernait Karl Toft et les agressions sexuelles. Dans un rapport d'incident général rempli par le gendarme Spink et daté du 21 février 1990, ce dernier fait référence à Karl Toft en qualité de suspect (« sus ») et à M. Forbes en qualité de plaignant/témoin (« com wit » c. à d. « complainant/witness »). Le lieu de perpétration du crime indiqué est le « Centre de formation pour jeunes de Kinsclear, N. B. » M. Spink a expliqué à la CPP que ce rapport d'incident général est le premier document qu'il a préparé lorsqu'on l'a chargé de l'enquête au sujet de l'ÉFNB et de M. Toft et que, après avoir reconnu les caractéristiques de son écriture, il a déclaré l'avoir écrit lui-même à la main.

4.4 Évolution de l'enquête menée par le gendarme Spink

La caporale Ulsh est le premier témoin à qui le gendarme Spink a fait passer une entrevue. En annexe au rapport de suivi préparé par le gendarme Spink le 14 mars 1990, l'on retrouve une copie de la déclaration du témoin datée du 15 octobre 1985, accompagnée des déclarations des trois garçons envoyées par M. Forbes. M. Forbes avait remis ces dernières déclarations à la caporale Ulsh qui, à son tour, les a remises au gendarme Spink.

Dans son premier rapport, daté du 27 mars 1990, le gendarme Spink fait référence à une conversation qu'il a eue avec la caporale Ulsh, durant laquelle elle l'a informé du fait que :

Elle n'avait aucune intention d'étouffer quoi que ce soit et qu'en 1985 elle estimait que Services correctionnels avait réglé l'affaire comme il le fallait. Elle a avoué, cependant, après coup, que, puisque le Centre de formation pour jeunes relève de la compétence de la GRC, elle aurait dû communiquer avec le Détachement de Fredericton pour les mettre au courant de la plainte de FORBES.

Le gendarme Spink a rencontré les anciens surintendants des Services correctionnels, Ian Culligan et Tom Richards (c'est auprès de M. Richards, qui était alors le surintendant de l'ÉFNB, que M. Forbes a porté plainte la première fois). Dans un rapport du 5 avril 1990, le gendarme Spink a indiqué que tous les deux ont accepté de faire des dépositions la semaine suivante.

Lors de l'entrevue qu'il a passée avec la CPP, M. Spink a déclaré que les deux témoins avaient insisté pour qu'on leur donne au préalable une liste de questions avant d'accepter de faire une déposition et ils ont demandé à ce qu'on leur donne le temps de préparer leurs réponses. Il a eu le sentiment de ne pas avoir beaucoup de recours dans cette situation, étant donné les postes qu'ils occupaient au sein du gouvernement. Dans un rapport de suivi daté du 17 avril 1990, il a indiqué qu'il avait ramassé les déclarations de MM. Culligan et Richards. Dans sa déclaration, M. Richards décrit la rencontre qu'il a eue avec la caporale Ulsh lorsqu'elle lui a fait part des allégations contre M. Toft. Elle a recommandé que M. Toft soit transféré à un autre établissement parce que le jeune qui avait fait les accusations était encore dans cette école. M. Richards a écrit que, par la suite, il a rencontré M. Culligan et Yves Boutot, le directeur des Services communautaires et correctionnels. Ils ont décidé de muter M. Toft à la Maison de correction centrale du Nouveau Brunswick, un établissement pour adultes situé dans un immeuble adjacent. En ce qui concerne la déposition de M. Culligan, ce dernier raconte sa rencontre avec M. Richards et M. Boutot. Il a également écrit que, comme le jeune homme qui avait fait des allégations était pensionnaire dans l'école où travaillait M. Toft, il serait dans le meilleur intérêt de tout le monde de muter ce dernier. Il semble que MM. Culligan et Richards avaient tous les deux l'impression qu'il y avait une enquête en cours et que la seule solution était de muter M. Toft jusqu'à ce qu'elle soit réglée.

Le 24 avril 1990, le gendarme Spink a communiqué avec un pénitencier pour établir si le système pénal fédéral détenait des renseignements au sujet de Mark Seymour, John Leblanc, Pierre O'Connor et Evan Sanders, ce dernier ayant déclaré à M. Forbes qu'en 1981, M. Toft l'avait agressé sexuellement. M. Forbes avait donné le nom des quatre victimes déjà en 1985. Le gendarme Spink a appris que M. Sanders purgeait une peine d'emprisonnement à perpétuité dans une institution en Colombie Britannique. Le gendarme Spink a réussi à communiquer avec M. Seymour le 27 avril 1990, mais ce dernier n'était pas très sûr de ce qu'il voulait faire à l'égard de l'agression qu'il avait subie et il a déclaré qu'il aimerait discuter du problème avec le gendarme Spink, qui a remarqué qu'il fallait prendre un rendez vous « ASAP », c. à d. aussitôt que possible. Dans son deuxième rapport dactylographié en date du 1er mai 1990, le gendarme Spink fait référence à son intention de faire passer une entrevue au suspect, M. Toft, après avoir parlé avec les autres témoins.

Dans les rapports de suivi datés du 17, 22 et 24 mai 1990, le gendarme Spink fait référence aux efforts qu'il a investis pour localiser MM. O'Connor et Leblanc et pour communiquer avec M. Seymour. On savait que le bureau du procureur général suivait l'évolution de l'enquête parce que le directeur du Service des poursuites publiques du Nouveau Brunswick, Bob Murray, avait communiqué avec le sergent d'état major Gord Snow, de la GRC, pour lui demander un compte rendu de l'enquête, ce qui est constaté dans un bordereau d'acheminement du 20 juin 1990. À son tour, le sergent d'état major Snow a demandé au gendarme Spink de le tenir au courant de l'affaire. Ce dernier lui a alors communiqué qu'il avait parlé avec deux des plaignants, mais que ceux ci n'étaient pas sûrs de vouloir poursuivre l'affaire. Le dernier paragraphe inscrit sur le bordereau d'acheminement indique que le gendarme Spink avait l'intention de communiquer avec chacun des plaignants, de les rencontrer pour leur demander une déposition le plus tôt possible et de présenter un compte rendu pour le tenir au courant de l'affaire.

Le 26 juin 1990, le gendarme Spink a fait passer une entrevue à M. Leblanc, lequel a confirmé qu'il avait été pensionnaire à l'ÉFNB et qu'il avait soumis une déclaration à M. Forbes y décrivant un incident entre lui et M. Toft. Le gendarme Spink a décrit M. Leblanc comme étant un témoin peu coopératif, mais il a précisé qu'il accepterait de faire une déposition, à condition de ne pas être obligé de participer davantage aux procédures. M. Leblanc a déclaré également qu'il ne souhaitait pas se présenter au tribunal. Dans sa déclaration, M. Leblanc a corroboré la déclaration initiale qu'il avait faite à M. Forbes et il a indiqué qu'il savait que M. Toft avait également agressé sexuellement M. O'Connor, mais qu'il n'avait pas été témoin de cet incident. Voici la dernière question que le gendarme Spink lui a posée : « Souhaitez vous poursuivre cette affaire jusqu'à l'étape de l'enquête policière, laquelle sera probablement suivie d'inculpations contre Toft ? » M. Leblanc a répondu : « Je ne veux pas être impliqué. »

Le 28 juin 1990, le gendarme Spink a fait passer une entrevue à M. O'Connor. M. O'Connor a décrit plusieurs incidents où M. Toft lui a touché la jambe, mais qu'il ne l'a pas autorisé à aller plus loin. Le gendarme Spink a écrit ce qui suit dans le rapport de la même date : « Il est important de noter que l'attitude de O'Connor est semblable à celle de John Leblanc, en ce qu'il ne souhaite pas vraiment poursuivre cette affaire. Les seuls autres garçons qu'il sait avoir été agressés par M. Toft sont Leblanc et Mark Seymour. » Le gendarme Spink lui a demandé : « Souhaitez vous poursuivre cette enquête qui entraînera sûrement le dépôt d'inculpations? » M. O'Connor a répondu : « Je ne suis pas encore certain. »

Le 3 juillet 1990, le gendarme Spink a fait un résumé de l'évolution de son enquête depuis le 1er mai 1990, en soulignant les événements qui pourraient s'avérer utiles lors du dépôt de chefs d'accusations contre M. Toft. Il a écrit que « ces trois individus [M. Seymour, M. Leblanc et M. O'Connor] se sont montrés réticents face à l'idée de le rencontrer pour discuter des incidents présumés impliquant TOFT. » Dans la description de l'entrevue qu'il a eue avec M. Leblanc, il a écrit que ce dernier était peu coopératif et que le résultat final de l'enquête ne l'intéressait pas. Le gendarme Spink a ajouté que : « Leblanc n'était disposé à faire une déposition qu'à la seule condition de conclure un accord selon lequel il ne serait pas tenu de témoigner ultérieurement. »

Dans son rapport, le gendarme Spink présente un sommaire de l'entrevue qu'il a fait passer à M. O'Connor et il mentionne que ce dernier s'est montré coopératif, contrairement à M. Leblanc. M. O'Connor ne se sentait pas à l'aise concernant la réouverture de l'enquête de sa plainte et a indiqué qu'il ne souhaitait pas se présenter au tribunal lors du procès. Le gendarme Spink a conclu cette partie de son rapport en déclarant : « on ignore si l'agression a véritablement eu lieu. » Le gendarme Spink termine son rapport en ajoutant qu'il souhait faire passer une entrevue à M. Seymour, puis à M. Toft.

Le 6 juillet 1990, M. Seymour a communiqué avec le gendarme Spink et il a informé ce dernier qu'il ne désirait pas poursuivre cette affaire et qu'il ne ferait pas de déposition. Après avoir essayé de rencontrer M. Seymour, le gendarme Spink a écrit dans son rapport qu'il « avait l'impression qu'il était inutile d'insister auprès de Seymour, puisqu'il devenait évident que ce dernier ne souhaitait pas poursuivre sa plainte. »

Le 16 juillet 1990, le gendarme Spink a fait passer une entrevue à M. Toft et il a recueilli sa déposition. Dans son rapport, le gendarme Spink a écrit que M. Toft « a avoué être homosexuel mais nié avoir agressé un mineur quel qu'il soit au CFJ au cours des années qu'il a passées là bas. » Il ne serait disposé à passer au polygraphe que si son avocat le lui conseillait. M. Toft ne se souvenait d'aucun des trois garçons - M. Seymour, M. Leblanc et M. O'Connor. Des événements ultérieurs démontrent que, lors de sa déposition, M. Toft a menti au gendarme Spink et qu'il lui a raconté des mensonges dans le cadre d'au moins six questions que ce dernier lui a posées pendant l'entrevue. Ce fait a été confirmé en octobre 1992 lorsque M. Toft a plaidé coupable d'avoir agressé sexuellement des garçons à l'ÉFNB, au camp de vacances et à d'autres endroits.

Le 16 juillet 1990, le gendarme Spink a parlé avec M. Forbes au sujet de l'état de l'enquête et il l'a informé que MM. Seymour, Leblanc et O'Connor avaient confirmé la véracité des premières déclarations qu'ils avaient faites à M. Forbes. Il lui a également expliqué que ces trois jeunes gens ne voulaient pas se présenter au tribunal et que M. Seymour avait refusé de faire une déposition écrite. Il a dit à M. Forbes que la décision définitive concernant les inculpations relevait de l'avocat de la Couronne.

4.5 Difficultés de l'enquête menée par le gendarme Spink

CLe gendarme Spink s'est heurté à de nombreuses difficultés en essayant de localiser les plaignants, MM. Seymour, Leblanc et O'Connor, et il lui a fallu beaucoup de temps pour les retrouver. Une fois qu'il a réussi à les localiser, M. Seymour a refusé de déposer une déclaration. Et, en ce qui concerne MM. Leblanc et O'Connor, ils ont insisté pour dire qu'ils ne voulaient pas que leur plainte donne lieu à des accusations criminelles, ce qui explique peut-être la longueur et le contenu de leur déclaration. Ils ont insisté pour dire qu'ils n'avaient pas l'intention de témoigner, ce qui est également le cas de M. Seymour.

Lorsque la CPP lui a fait passer une entrevue, le 28 février 2006, M. Spink a déclaré :

J'ai fait passer une entrevue à ces trois garçons et... je ne me souviens même pas de leurs noms, mais... ils m'ont dit avec beaucoup de réticence ce qui était arrivé. Lorsque j'ai terminé les entrevues, j'ai recueilli leurs déclarations de témoin dans lesquelles ils disaient avoir fait l'objet d'agressions sexuelles de la part de Karl Toft... ils m'ont également demandé de ne pas les obliger à témoigner dans le cadre de procédures criminelles, avec... j'ai été vraiment direct avec eux... un des garçons ... a dit que cela avait détruit sa vie et que ses parents ne savaient pas que cela avait eu lieu et que, je crois, sa femme ne savait pas... mais, ils ont confirmé avoir subi des agressions sexuelles.

... mais il y a une chose dont je me souviens... les garçons ne voulaient pas poursuivre l'affaire... ça faisait très longtemps. Et j'ai demandé à certains collègues avec plus d'expérience... ce que d'autres enquêteurs pensaient à ce sujet... Je veux dire que nous sommes obligés de... juste dire... nous n'allons pas aller... et puis, voilà... le type d'arrangement que j'ai fait avec eux [les garçons]... Je vous dis ce qui est arrivé seulement si vous me promettez que je n'aurai plus jamais besoin de revivre cette affaire ou que je n'aurai pas besoin de passer devant le tribunal... puis les années se sont écoulées, et cette enquête a fait boule de neige et tous ces gens y ont été mêlés. Tous ces enquêteurs qui ont été impliqués... Je crois que j'était un peu déconcerté devant l'importance et l'envergure qu'avait pris l'affaire. J'ai certainement pensé que... l'affaire était devenue beaucoup plus grosse que ce à quoi j'avais déjà fait face... Mais, je pense qu'il [M. Toft] est le pédophile le plus infâme du... pays ou... l'un d'entre eux, en tout cas... je dois dire que, que cela m'a quand même surpris.

Lorsqu'on lui a demandé si on lui avait imposé des restrictions dans le cadre de cette enquête, en ce qui concerne notamment le nombre d'heures qu'il pouvait y consacrer, M. Spink a déclaré :

Ah, non, j'avais le droit, aussi longtemps que... je me souviens d'une conversation que j'ai eue avec quelqu'un de Délits commerciaux ou avec l'inspecteur chargé de l'enquête : « Tom, on vous a demandé, cela fait partie de votre mandat... finissez ce que vous êtes en train de faire, mais je voudrais que vous soyez ici dans les plus brefs délais... Ainsi, on m'a permis de terminer les tâches qui m'avaient été attribuées, pas de dévier de mon travail.

On a demandé à M. Spink si ses supérieurs lui auraient donné le temps et les ressources nécessaires s'il avait voulu approfondir l'enquête. Il a répondu par affirmative, en disant que s'il était resté dans la SEG (et qu'il n'avait pas été transféré à Délits commerciaux) oui, ils l'auraient fait.

4.6 Rôle du procureur général et de l'avocat de la Couronne dans l'enquête menée par le gendarme Spink

Le procureur général et l'avocat de la Couronne ont joué un rôle primordial dans l'enquête de 1990. C'est le procureur général Lockyer qui a demandé, en février 1990, de rouvrir l'enquête sur les infractions perpétrées par M. Toft.

Le 4 juillet 1990, le sous procureur général LeBreton a rédigé une note de service adressée au procureur général pour l'informer qu'il avait soulevé le problème de l'enquête de la GRC sur M. Toft lors d'une réunion de la GRC et qu'ils avaient décidé d'accélérer l'affaire dans la mesure du possible. « Il y a, cependant, des indications selon lesquelles les jeunes gens impliqués depuis le début ne souhaitent pas poursuivre l'affaire, puisque certains d'entre eux sont mariés et pourraient ressentir une honte certaine. » Dans une note datée du 12 juillet 1990, le procureur général a répondu comme suit : « Espérons que l'affaire (l'enquête) soit résolue très bientôt. Veuillez inscrire une date d'agenda et me tenir informé. »

Cinq jours plus tard, le gendarme Spink a rencontré l'avocate de la Couronne, Mme Hilary Drain, concernant la possibilité de porter des accusations contre M. Toft. Mme Drain était d'accord sur le fait que les victimes étaient réticentes à témoigner devant le tribunal, elle n'était pas en mesure d'approuver les inculpations déposées contre M. Toft. Le gendarme Spink a déclaré dans l'entrevue auprès de la CPP que, conformément à ses habitudes, il a probablement consulté ses collègues et ses superviseurs avant de rencontrer l'avocate.

Le 20 juillet 1990, le gendarme Spink a rédigé un rapport de suivi auquel il a joint une « Conclusion du rapport de cas » où il indique ainsi : « La Couronne ne recommande pas le dépôt de chefs d'accusation à l'encontre de Karl Toft. Aucune mesure de suivi n'est nécessaire en ce moment. FIN. »

Le 22 janvier 2007, la CPP a fait passer une entrevue à Mme Drain dans son bureau. Elle a déclaré se souvenir du gendarme Spink mais ignorer le contexte de l'affaire. D'après ce qu'elle sait de cette situation, en 1990, il n'y avait pas moyen de poursuivre sans le témoignage des jeunes gens. Elle a indiqué que la décision de ne pas porter d'accusations criminelles contre M. Toft concernant MM. Seymour, Leblanc et O'Connor n'a aucun rapport avec la question de savoir si le gendarme Spink a bien mené son enquête. Elle estimait qu'elle n'était pas en mesure d'intervenir en raison de la réticence à témoigner dont faisaient preuve les témoins.

4.7 Conclusion de l'enquête menée par le gendarme Spink

Dans son rapport d'enquête du 20 juillet 1990, le gendarme Spink a résumé l'enquête qu'il a menée sur les allégations concernant MM. Seymour, Leblanc et O'Connor. Il a fait référence à la conversation qu'il a eue avec M. Forbes et a indiqué que : « FORBES semblait satisfait que l'on ait rouvert l'enquête ... » Le gendarme Spink a ajouté :

L'auteur des présentes [le gendarme Spink] estime, pour conclure l'enquête, que les trois victimes, Mark Seymour, Pierre O'Connor et John Leblanc ont dit la vérité dans les déclarations qu'ils ont fournies à David FORBES. Je suis d'avis que Karl TOFT a effectivement agressé sexuellement ces jeunes gens, au Centre de formation pour jeunes et dans sa résidence, à Fredericton. Il n'y a aucun motif manifeste pour que quiconque parmi les trois jeunes gens mente au sujet de ces agressions, si on tient compte du fait qu'ils ne veulent pas poursuivre dans ce sens. Il est regrettable que l'on n'ait pas approfondi ces enquêtes au moment du dépôt des plaintes, en 1985 : l'auteur des présentes estime que les motifs auraient été suffisants pour porter des accusations à ce moment là. TOFT a lui même avoué avoir emmené chez lui, un grand nombre de jeunes, au fil des années. Il n'est donc pas impossible que d'autres personnes aient été victimes de son comportement pervers. »

Cette dernière phrase a plus tard exhorté un enquêteur, le caporal James McAnany à écrire au sujet de M. Toft, après avoir obtenu une copie du rapport d'enquête du gendarme Spink, au bas de la page, le 26 mai 1993 : « Si seulement Tom [le gendarme Spink] l'avait su!! » L'avocate de la Couronne, Mme Drain, au cours de son entrevue auprès de la CPP, a fait le même commentaire et elle a dit que cette phrase du rapport du gendarme Spink était « prophétique ». Elle ne se souvient pas d'avoir été informée du fait qu'il y ait eu d'autres victimes lorsqu'elle a rencontré le gendarme Spink en juillet 1990.

Le 25 juillet 1990, l'officier responsable de la Police criminelle, le surintendant Zaccardelli, a rempli un bordereau d'acheminement destiné au sergent Daniels lui demandant de rédiger une lettre portant la signature du surintendant, adressée à M. Murray, le directeur des poursuites publiques, pour lui expliquer les résultats de « notre enquête » et lui transmettre les « motifs de notre décision de ne pas déposer de chefs d'accusation. »

Le 22 août 1990, le procureur général Lockyer a écrit au chef de police de Fredericton, M. Mac Carlisle, pour lui faire part des résultats de la nouvelle enquête de la GRC sur les plaintes de contact sexuel déposées contre M. Toft. Le procureur général a déclaré qu'en février 1990, il s'était vu obligé de demander à la GRC d'instruire une nouvelle enquête dans ce dossier, parce qu'un ancien employé des Services correctionnels, David Forbes, avait suggéré qu'en 1985, on ne s'était pas bien occupé de cette affaire.

Dans de telles circonstances, j'ai décidé qu'il était préférable qu'un service de police indépendant instruise une nouvelle enquête. Maintenant, la GRC a terminé son enquête et elle a conclu qu'il n'y a pas de possibilité de porter des accusations en raison de la réticence des « victimes » à témoigner devant le tribunal... elles préfèrent oublier toute cette affaire.

L'enquêteur de la GRC [le gendarme Spink] estime, cependant, que les trois « victimes » disent la vérité et que la plainte initiale contre M. Toft était fondée. Il semble que, lorsque cette affaire est survenue, il y avait suffisamment de preuves pour porter des accusations contre lui.

Le procureur général a demandé au chef Carlisle de lui faire parvenir un rapport complet sur les résultats de l'enquête initiale menée par la police et sur les raisons pour lesquelles on n'a pas poursuivi la plainte de M. Forbes, ni déposé d'inculpations en 1985.

En ce qui concerne les allégations formulées contre M. Toft en 1985, la CPP n'a trouvé aucune preuve démontrant que M. Forbes, un agent de la FPF ou un employé de l'ÉFNB a communiqué avec la GRC pour rapporter des agressions physiques ou sexuelles. Le rapport de l'enquête Miller indique clairement que l'ÉFNB relève de la compétence de la GRC plutôt que celle de la Force policière de Fredericton. Le juge Miller conclut que « bien qu'il soit vrai que l'École de formation soit située à l'extérieur du territoire qui était du ressort de la caporale Ulsh, la réaction normale de la police aurait dû être d'informer la GRC du geste qu'elle posait. Elle n'a même pas appelé la GRC pour l'informer des allégations sérieuses qu'on lui avait faites. »

4.8 Examen par la GRC de l'enquête menée par le gendarme Spink

En mai 1991, lorsque le caporal Ray Brennan a été affecté à cette enquête, il a examiné le dossier de la GRC. Les 29 et 30 mai 1990, le caporal Brennan a écrit ce qui suit dans le rapport de suivi :

Dossier examiné en détail. La seule question que j'ai soulevée était de savoir si la Couronne procéderait au dépôt d'accusations sur le fondement du récit du témoin oculaire Dave Forbes qui a vu [Karl] Toft frotter la clé entre les jambes de Mark Seymour. J'ai soulevé la même question à l'égard des observations de Tony Cameron [un ancien employé ayant fourni le nom de plusieurs victimes potentielles de Karl Toft].

J'ai communiqué avec le gend. Spink pour vérifier s'il avait discuté avec la Couronne sur ce point. Le gend. Spink m'a informé que cela n'était pas le cas, puisqu'il s'était concentré davantage sur les victimes et sur la question de savoir si elles étaient, ou non, disposées à se présenter devant le tribunal. J'ai également remarqué que les autres services n'ont pas accordé beaucoup d'importance à ce problème. Cette question sera ultérieurement posée au conseil de la Couronne.

Le gendarme Spink a rencontré la caporale Ulsh le 15 mars 1990 et il a obtenu une copie de la déclaration de M. Forbes, datée du 15 octobre 1985. Dans sa déclaration, M. Forbes mentionne l'incident qui a eu lieu le 9 octobre 1985, à une heure précise, qu'il décrit ainsi : « J'ai été témoin d'un incident qui implique un autre conseiller, Karl Toft, qui frottait une clé le long de l'aine d'un des étudiants... Mark Seymour. »

Ainsi qu'on le mentionne ci dessus, dans son rapport de suivi du 17 juillet 1990, le gendarme Spink raconte avoir rencontré l'avocate de la Couronne Mme Drain et avoir « examiné le dossier en rubrique pour vérifier s'il y avait la possibilité de porter des accusations. Elle était d'accord avec le soussigné du fait que nous ne pouvions pas accepter de porter des accusations en raison de la réticence qu'éprouvaient les victimes à témoigner. » Il ne mentionne pas si l'avocate de la Couronne, Mme Drain, a vu la déclaration de témoin du 15 octobre 1985. Il semble qu'ils n'aient pas examiné la possibilité de déposer des accusations pour l'agression sexuelle que M. Forbes a observée.

Le sergent d'état major Brian Griffiths, un sous officier de la Police criminelle y ayant occupé la fonction de lecteur de 1992 à 1993, a indiqué, au cours d'une entrevue auprès de la CPP le 26 octobre 2006, qu'il avait examiné le dossier d'enquête dans sa totalité. Il ne se souvient pas de la raison pour laquelle on lui avait demandé d'examiner le dossier ou d'en être chargé auprès de la Police criminelle, mais il a entrepris de lire le dossier pour se rafraîchir la mémoire et prendre note de ses nouvelles observations. Ses notes ne sont pas datées, mais il a reconnu son écriture sur un document portant la rubrique : « précis. » Lorsqu'il a réexaminé le dossier, le sergent d'état-major Griffiths (sergent à l'époque) a pris les notes suivantes au sujet de l'enquête du gendarme Spink : Il aurait dû recueillir des « déclarations plus précises » de la part de MM. Seymour, Leblanc et O'Connor et on aurait dû leur demander s'ils connaissaient d'autres garçons ayant fait l'objet d'agressions sexuelles.

Le sergent Griffiths a remarqué que le gendarme Spink n'a pas présenté de documents écrits à Mme Drain et qu'elle avait uniquement été consultée oralement.

Le caporal Spink estimait que nous n'avions pas la possibilité de déposer des accusations parce que les victimes auraient été des témoins hostiles... il est possible que l'enquête effectuée par la Force policière de Fredericton n'ait pas été bien menée. Nous aurions pu déposer des inculpations, art. 246.1(1). Cependant, nous aurions alors dû faire face à des témoins hostiles qui auraient pu refuser de se présenter devant le tribunal ou qui auraient pu se parjurer.

Grant Garneau, sous adjoint du solliciteur général, a également fait des observations sur l'enquête menée par Spink au cours de l'audience de l'enquête Miller. Il a fait référence au gendarme Spink qui avait indiqué dans ses rapports qu'on ne déposerait pas d'inculpations dans ce dossier. M. Garneau était préoccupé parce que le gendarme Spink semblait croire que les événements décrits par les garçons avaient vraiment eu lieu, mais que les inculpations ne seraient pas acceptées. M. Garneau a ajouté :

Nous savons durant combien de temps la GRC a été saisie de ce dossier. Et nous avons reçu ceci le 20 novembre 1990, mais on dirait qu'il n'y a rien qui se soit parvenu jusqu'au tribunal... d'après mon expérience d'avocat de la Couronne... il y a beaucoup de cas qui ne passent pas devant le tribunal que le bon sens nous dit que quelque chose a été commis, mais qu'il manque des preuves... et le fait est que le dossier dont on dispose aurait été rejeté par le bureau du procureur ou mentionné en passant, et c'est indiqué dessus qu'il l'a été et ils ont pris une décision à son sujet

M. Garneau a indiqué dans le cadre de l'enquête Miller que le solliciteur général Landry était inquiet qu'on n'ait pas intenté de poursuites concernant les événements dont M. Forbes a été le témoin. Il a également indiqué que cette situation découlait du fait que les victimes étaient réticentes à témoigner, mais il a déduit que « M. Forbes s'est certainement présenté, cette fois ci, en qualité de plaignant disposé à se plaindre » et que l'affaire « aurait dû aller jusqu'au tribunal. »

Au cours de l'enquête Miller, on a posé au gendarme Spink la question suivante : « En 1990, aviez-vous des motifs suffisants pour déposer une inculpation contre Karl Toft? » Il a répondu ainsi : « Je crois qu'avec tous les renseignements que j'ai recueillis, on aurait pu déposer un chef d'agression sexuelle contre Karl Toft à ce moment là, oui. » Dans sa deuxième entrevue auprès de la CPP, M. Spink a déclaré qu'il maintenait la même réponse, mais il a ajouté que celle ci dépendait de la question de savoir si les garçons seraient ou non disposés à témoigner devant le tribunal. Il estimait qu'il avait fait une promesse aux garçons : pour les inciter à faire une déposition, il leur a dit qu'il ne les citerait pas à témoigner et selon lui il devait respecter sa promesse. Il ne se souvenait pas vraiment de sa rencontre avec l'avocate de la Couronne Mme Drain. Il pense qu'il a probablement discuté avec elle au sujet de son mandat principal dans ce dossier, à savoir : d'examiner l'enquête menée par la FPF en 1985 et déterminer si elle avait été menée correctement. Il a probablement discuté avec l'avocate de la Couronne Mme Drain de la question de savoir si elle était, ou non, d'accord avec le fait qu'il ne disposait pas de preuves suffisantes pour procéder au dépôt d'inculpations contre M. Toft. Ce deuxième sujet était moins important et il n'est même pas certain que la conversation ait atteint ce stade, puisqu'il avait fait une promesse aux trois victimes.

5. Enquête menée par le sergent Gary McNeill (1990-1991)

L'enquête décrite dans la présente section a débutée en octobre 1990 et a été assignée au sergent Gary McNeill, le sous-officier (s. off.) responsable de la Section des enquêtes générales (SEG) à la sous-division de Fredericton. Parmi les officiers supérieurs, il y avait le surintendant en chef, Herman Beaulac, commandant sous-divisionnaire de la Division J, le surintendant Ford Matchim, commandant sous-divisionnaire de Fredericton, le surintendant Giuliano Zaccardelli, officier de la Police criminelle, et l'inspecteur Mike Connolly, officier adjoint en charge (off. resp.) de la Police criminelle, qui est arrivé en octobre 1992 et qui a souvent assumé les fonctions du surintendant Zaccardelli.

5.1 Enquête sur l'ÉFNB

Dans un bordereau d'acheminement envoyé à M. Spink, qui est aujourd'hui caporal, l'inspecteur Al Hutchinson, officier adjoint de la Police criminelle, a écrit qu'il avait reçu, le 28 septembre 1990, un appel de Hugh Robicheau, directeur exécutif des services de police de la province du Nouveau-Brunswick, lequel lui disait qu'il examinait le cas de Karl Toft du point de vue des services correctionnels. Il consultait les rapports de la GRC et avait « une question concernant un certain Evan SANDERS... qui aurait formulé des accusations d'agression sexuelle, cependant, les rapports au dossier n'indiquent pas que vous avez communiqué avec lui. » Le caporal Spink a dû apporter des précisions.

Le 1er octobre 1990, M. Robicheau a téléphoné de nouveau à l'inspecteur Hutchinson pour lui fournir un autre nom qu'il avait remarqué en étudiant le dossier-Mike Roy. M. Roy détenait apparemment des informations concernant ces agressions sexuelles. L'inspecteur Hutchinson a demandé au caporal Spink d'examiner le dossier et de communiquer avec M. Robicheau.

Le caporal Spink a formulé une réponse sous forme de note de service, datée du 5 octobre 1990, dans laquelle il indique qu'il est courant du cas de Evan Sanders. Cependant, M. Sanders était incarcéré pour meurtre en Colombie-Britannique et on aurait communiqué avec lui uniquement si les trois jeunes d'origine avaient décidé de porter des accusations. Même si le nom « de Mike Roy » est apparu lors de l'examen du dossier par M. Robicheau, cela n'a pas été le cas lors de l'enquête de la GRC. Par conséquent, il n'a pas interrogé M. Robicheau et a indiqué qu'il était possible que d'autres noms apparaissent. Comme l'a mentionné le caporal Spink : « une décision devrait être prise pour rouvrir cette enquête si ces circonstances survenaient ». Le caporal Doug Lockhart a reçu une copie de cette note.

Le 10 octobre 1990, l'inspecteur Hutchinson a demandé que la Section des enquêtes générales (SEG) de Fredericton assure un suivi auprès de M. Sanders et de M. Roy. Il a indiqué qu'« [e]n raison de la nature délicate de ce type de plaintes, il est de votre devoir d'examiner en détail chacune des allégations. » À la fin de cette note, il a formulé la demande suivante à l'off. resp. de la Section des délits commerciaux : « Comme il faisait partie de la SEG de Fredericton, le caporal SPINK était l'enquêteur chargé de cette affaire. Je vous demanderais de lui permettre d'être disponible pour fournir des renseignements, au besoin. L'enquête demeurera la responsabilité de la SEG de Fredericton. » La note a aussi été acheminée au sergent Gary McNeill par le sergent d'état-major Roger Parnell, son officier supérieur et le commandant sous-divisionnaire de Fredericton, avec la demande de mener l'enquête et de faire rapport. Le sergent d'état-major Parnell remplaçait le commandant sous-divisionnaire, le surintendant Ford Matchim, qui était en congé. Le sergent McNeill a accusé réception de la note le 15 octobre 1990, date à laquelle l'enquête de la GRC sur l'ÉFNB a débuté.

5.1.1 Examen de l'enquête sur Spink menée par le sergent McNeill

Le sergent Gary McNeill, qui est maintenant à la retraite, est devenu le sous-officier de la SEG de Fredericton en juillet 1990. Il était l'un des cinq enquêteurs sur cette affaire et avait hérité de plusieurs dossiers, notamment la plainte – déposée par le procureur général James Lockyer et dans le cadre de l'enquête menée par le caporal Spink – concernant l'enquête de la Force Policière de Frederiction (FPF) sur les allégations d'agressions sexuelles contre M. Toft.

Nous étions très occupés à cette époque et ce dossier ne semblait pas nécessiter beaucoup de ressources humaines et il concernait trois victimes et il faudrait les retrouver, prendre les dépositions des témoins... comparaître devant le tribunal, mais cette affaire a pris une ampleur insoupçonnée.

M. McNeill a indiqué à la CPP lors de son entrevue qu'il avait examiné l'enquête du caporal Spink dans son ensemble et qu'il avait lu le dossier « depuis le début ». Lorsqu'on lui a demandé s'il jugeait que cette enquête était terminée, il a affirmé ce qui suit :

Je crois qu'elle ne faisait que débuter... il n'y avait que quelques mois qu'elle avait commencé lorsque je suis arrivé... Je me souviens que j'avais beaucoup... de rapports à lire et j'ai peut-être eu une conversation avec Tom à l'époque parce qu'il travaillait toujours dans l'édifice de la direction générale. Je me rappelle qu'il y avait une victime qui hésitait à parler de ce qui s'était passé ou qui ne voulait rien dire, ou qu'une des trois victimes ne désirait pas lui parler... Ça s'est passé il y a 16 ans.

Le sergent McNeill a dit ne pas se rappelé avoir discuté de ce dossier, mais il a indiqué qu'il a dû signer tous les rapports de tous les dossiers, pas seulement celui-là, une affirmation corroborée par les rapports d'enquête du caporal Spink.

L'un de ces rapports, daté du 3 juillet 1990, a été signé par le caporal Spink et le sergent McNeill. La signature du sergent McNeill sur le rapport indique qu'il a pris connaissance des efforts déployés par le caporal Spink pour retrouver Mark Seymour, John Leblanc et Pierre O'Connor, et qu'il avait fait passer une entrevue à M. Leblanc et M. O'Connor.

La signature du sergent McNeill sur un autre rapport d'enquête du caporal Spink, daté du 20 juillet 1990, indique qu'il savait aussi que le caporal Spink :

  • avait interrogé M. Toft qui avait refusé de se soumettre à un test polygraphique;
  • avait rencontré l'avocate de la Couronne Hilary Drain, examiné le dossier et avait décidé de ne pas porter d'accusations contre M. Toft;
  • croyait que les trois victimes disaient la vérité dans leurs premières déclarations à M. Forbes;
  • pensait qu'il était dommage qu'une enquête plus approfondie n'ait pas été effectuée en 1985, car il y avait suffisamment de motifs à l'époque pour porter des accusations.

La dernière phrase du caporal Spink a ouvert la porte à l'enquête du sergent McNeill : « TOFT a admis avoir emmené un grand nombre de jeunes chez lui au fil des ans. Il n'est donc pas impossible que d'autres personnes aient été victimes de son comportement déviant. »

5.1.2 Retards au début de l'enquête menée par le sergent McNeill

Le 22 octobre 1990, après avoir consulté le rapport d'enquête, le sergent McNeill a écrit ce qui suit : « Dossier complet examiné et rapport acheminé au s.-off., inspecteur chef, détachement de Mission, Division E pour l'entrevue de Evan James Sanders... qui est incarcéré dans un pénitencier en Colombie-Britannique. Copie de la note versée au dossier. »

Le lendemain, le sergent McNeill a tenté de retrouver Mike Roy. Il a téléphoné à la mère de M. Roy et s'est entretenu avec sa grand-mère qui a indiqué qu'il vivait à Toronto et qu'elle tenterait de communiquer avec lui. Plus tard cette même journée, il a parlé à M. Roy. Il a remarqué que M. Roy était poli, mais qu'« il ne désirait pas en parler » et « qu'il [Toft] ne m'avait pas fait de mal. » Selon le sergent McNeill, M. Roy « ne l'a pas dit en ces termes, mais il a indiqué que Toft lui avait fait des avances sexuelles, qu'il [Roy] avait résisté et que rien ne s'était produit. » Le sergent McNeill a suggéré qu'il demande à un agent de la GRC de Toronto de passer le voir pour recueillir sa déclaration. M. Roy a refusé et a poliment dit au sergent McNeill qu'il ne lui donnerait pas son adresse, en ajoutant ce qui deviendrait un leitmotiv : « ça s'est produit il y a longtemps et je désire seulement oublier »." Le sergent McNeill a laissé son numéro de téléphone à M. Roy et a écrit ce qui suit dans son rapport : « Je crois que nous n'entendrons plus parler de lui. » Il a conclu son rapport en ajoutant qu'il attendait toujours des nouvelles du pénitencier en Colombie-Britannique, au sujet de sa demande d'entrevue de Evan Sanders. Rien ne s'est passé au cours du mois suivant.

M. McNeill a dû expliquer les lacunes de son enquête lors d'une entrevue avec la CPP le 2 avril 2006. Lorsqu'on lui a demandé s'il travaillait seul à cette enquête, voici ce qu'il a répondu : « Je crois que oui, car je me rappelle que nous étions très occupés... . » Il a ajouté que lorsqu'il est arrivé à la SEG de Fredericton, le groupe était composé du caporal Doug Lockhart, du gendarme Jim McAnany, du gendarme Ken Legge et du gendarme Ed Paquet, qui travaillait en dehors du bureau de Saint-Jean. À l'époque, il ne croyait pas que d'autres officiers travaillaient à cette enquête, et « ce n'est que plus tard que j'ai réalisé qu'il fallait plus de ressources humaines. »

Nous n'avions pas les ressources nécessaires. Alors, nous - vous savez, nous nous occupions de meurtres et d'agressions sexuelles graves et de vols à main armée et d'autres crimes... Et nous devions [couvrir] l'est de la province... nous nous occupions de la province du nord au sud... Nous avions St. Stephen et nous devions couvrir les régions aussi éloignées qu'Oaktown [écriture phonétique] jusqu'au centre de la province... Il nous fallait superviser un grand nombre de détachements... Et je me souviens que nous étions occupés, très occupés. »

Le 26 novembre 1990, le détachement de la GRC de Mission, en Colombie-Britannique, a envoyé un rapport à la SEG de Fredericton concernant l'entrevue avec Evan Sanders. Les nouvelles n'étaient pas encourageantes. Dans son rapport de suivi du 26 novembre, le sergent McNeill a affirmé que le détachement de Mission a indiqué que M. Sanders avait dit n'avoir jamais été agressé sexuellement par M. Toft et qu'il n'avait jamais entendu dire que d'autres personnes avaient été agressées par M. Toft ou par quiconque. Cependant, M. Sanders a fourni le nom d'une victime potentielle, Georges Lafeuille. Le sergent McNeill a appris que la dernière adresse connue de M. Lafeuille était à Saint-Jean et, le 11 décembre 1990, il a demandé au gendarme Ed Paquet de la retrouver. Le 17 janvier 1991, le sergent a appris que M. Lafeuille était emprisonné à Saskatoon. Plus tard, il a demandé au détachement de la GRC à Saskatoon de le retrouver.

5.1.3 Nouvelle piste fournie par un ancien employé de l'ÉFNB

Le 25 janvier 1991, le caporal Spink a envoyé un rapport au sergent McNeill, auquel il a joint une lettre manuscrite de Tony Cameron, un ancien employé de l'ÉFNB, datée du 23 janvier. Le caporal Spink avait reçu cette lettre de Hugh Robicheau, directeur des services de police. C'est M. Robicheau qui avait demandé à M. Cameron de préparer un énoncé des « événements qui pourraient être liés à une enquête sur les activités de M. Karl Toft, un ancien collègue de travail à l'ÉFNB, et ses souvenirs de la divulgation des déclarations faites par trois anciens jeunes contrevenants. » À la réception de la lettre, le sergent McNeill a inscrit une note dans son rapport de suivi du 25 janvier 1991 :

A-5 reçu du caporal Spink joint au rapport manuscrit de Tony Cameron... Cameron mentionne sept autres jeunes qui auraient été pensionnaires à l'École de formation du N.-B. lorsque Toft y était. Ces jeunes détiennent peut-être des informations sur les possibles agressions sexuelles commises par Toft.

Le 30 janvier 1991, M. Robicheau a aussi envoyé la lettre de M. Cameron au surintendant Giuliano Zaccardelli, officier de la Police criminelle, en lui disant ce qui suit : « Une fois que vous aurez examiné le document, veuillez nous faire savoir si vous avez l'intention d'enquêter plus en détail sur cette affaire. »

Le surintendant Zaccardelli a répondu à M. Robicheau, le 17 février 1991, que « notre enquête se poursuit... Cette enquête suivra son cours jusqu'à ce que toutes les possibilités aient été étudiées, ensuite nous examinerons tous les éléments de preuve pour déterminer si des poursuites criminelles sont justifiées. » Le sergent McNeill a apposé ses initiales sur cette lettre.

5.1.4 Lettre d'un ancien employé de l'ÉFNB

Dans sa lettre, M. Cameron a écrit qu'il a commencé à travailler à l'ÉFNB en novembre comme travailleur auprès des jeunes et qu'il travaille au ministère du Solliciteur général depuis lors. En 1984 et 1985, il a été travailleur social par intérim. Il était resté longtemps dans la même unité que M. Toft, souvent durant les mêmes quarts de travail, et avait travaillé étroitement avec lui pendant des camps d'été. La lettre de M. Cameron décrit les activités de M. Toft et les événements à l'ÉFNB. Cependant, ce sont les allusions aux résidents qui ont été agressés par M. Toft qui ont retenu l'attention du sergent McNeill. Depuis le début des années 1990, la GRC a enquêté uniquement sur Mark Seymour, John Leblanc, Pierre O'Connor, Evan Sanders, Mike Roy et Georges Lafeuille.

M. Cameron faisait allusion à Albert Osborne, qui avait une « attitude particulièrement négative » à l'endroit de M. Toft, tout comme Joe Rivard et Sylvain Moore. M. Toft avait effectué une « excursion d'une nuit » avec M. Rivard et M. Moore et les deux s'étaient plaints des gestes de M. Toft. M. Cameron a aussi mentionné les noms d'autres garçons, dont celui de Mike Roy, un nom bien connu du sergent McNeill, et de Marc Wouters, un autre ancien pensionnaire, qui, plus tard, jouerait un rôle essentiel dans les événements qui mèneraient au dépôt d'accusations contre M. Toft. Parmi les autres noms, on retrouve ceux de Frank Dubois, Michael Petros et Ryan Lariviere. M. Cameron a aussi mentionné celui de Reilly, qui, en 1991, était agent à la Force policière de Fredericton, et celui de Ron Clark, qui était directeur des loisirs à l'ÉFNB. Il croyait qu'ils seraient peut-être en mesure de fournir davantage de détails, étant donné qu'ils avaient travaillée à l'ÉFNB.

Le lettre de M. Cameron faisait la lumière sur les événements de 1985 en relation avec MM. Seymour, Leblanc et O'Connor et les plaintes qu'ils ont formulées auprès de David Forbes. M. Cameron a observé que M. Forbes était très bouleversé par ce qu'il avait vu à l'ÉFNB et de la réponse du ministère de la Justice à sa plainte. En 1991, il était toujours en colère contre les représentants du gouvernement qui n'étaient pas prêts à le rencontrer et à entendre ses préoccupations au sujet de M. Toft, lequel selon lui représentait encore une menace pour les jeunes. M. Cameron a écrit au sujet de la conversation de David Forbes avec une personnalité de la radio de la CBC à Fredericton, Richard Robinson, qui a précipité l'enquête plus approfondie menée par le gendarme Spink.

M. Cameron concluait sa lettre avec ce que M. Robicheau lui avait dit au sujet de la réticence d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB de discuter d'événements passés :

Pour obtenir des renseignements de la part de ces garçons, il faut d'abord établir une relation de confiance avec eux. Cela est encore plus vrai cinq ans après les faits. Pour obtenir des renseignements des jeunes hommes qui étaient là à l'époque, l'enquêteur devrait être une personne en qui ils ont confiance et à qui ils seraient prêts à parler. Il est peut probable qu'un enquêteur de police réussisse à faire parler ouvertement ces jeunes sur ces événements passés.

Après avoir lu la lettre de M. Cameron, le sergent McNeill a communiqué avec le surintendant de l'ÉFNB, Joe Keays, à la fin janvier 1991, pour obtenir l'adresse des sept garçons mentionnés dans cette lettre. Dans un rapport de suivi daté du 13 février 1991, le sergent McNeill a indiqué que « [t]ous les sept seront retrouvés et interrogés. »

5.1.5 Tentatives du sergent McNeill pour retrouver de possibles victimes

Le 20 février 1991, le sergent McNeill écrivait dans son rapport de suivi : « J'ai communiqué avec le gend. Paquet pour confirmer les adresses de Rivard, Petros, Moore, Osborne et Lariviere. » Le sergent McNeill a téléphoné à M. Moore et a pris des dispositions pour le rencontrer à la taverne où il travaillait.

M. Moore s'est montré coopératif, mais comme il a dit que M. Toft ne l'avait jamais agressé sexuellement et qu'il ignorait si d'autres garçons l'avaient été, sa déclaration n'a pas fait avancer l'enquête. La journée a pris fin avec un appel téléphonique de M. Osborne au sergent McNeill. Dans son rapport d'enquête du 8 avril 1991, le sergent McNeill a indiqué que M. Osborne était peu disposé à rencontrer l'enquêteur et à fournir une déclaration écrite » et que :

OSBORNE affirmait qu'il n'a pas été agressé sexuellement par TOFT, mais qu'il croyait qu'il était « pédéraste » en raison de ses actes et de ses gestes... OSBORNE ignorait si d'autres jeunes avaient été agressés par TOFT...

En date du 1er mars 1991, le sergent McNeill n'avait pas réussi à parler à M. Rivard et à M. Wouters. Cependant, M. Petros avait été contacté et une entrevue était prévue pour le 4 mars 1991. Le même jour, le sergent McNeill a demandé l'aide de Joe Keays de l'ÉFNB pour obtenir d'autres dossiers sur d'anciens pensionnaires. En préparation à cette rencontre avec M. Keays, il a rédigé un bordereau de transmission contenant les noms de 16 pensionnaires. Il a rencontré M. Keays à l'école le 5 mars 1991 et lui montré la liste. Il désirait obtenir des renseignements sur les pensionnaires qui avaient obtenu des permissions de sortir avec M. Toft.

Le 5 mars 1991, le sergent McNeill a rédigé une note à l'intention du détachement de Saskatoon dans le but de retrouver M. Lafeuille, qui était emprisonné à Saskatoon. Voici ce que disait la note datée du 6 mars 1991 :

Il est suggéré d'essayer de retrouver LAFEUILLE et d'obtenir des renseignements concernant son lien avec Karl TOFT et les éventuels abus qu'il aurait subis de sa part. Tentez aussi d'établir si LAFEUILLE a connaissance d'autres anciens pensionnaires qui auraient été agressés sexuellement par TOFT.

Le sergent McNeill a été plus explicite en suggérant des modes d'approche lorsqu'il a expédié une note à la SEG de Bathurst au sujet de M. Dubois. Il a demandé au détachement de Bathurst de « vérifier les dossiers de police, les services de probation, les services sociaux locaux, etc., pour tenter de retrouver DUBOIS. » Le sergent McNeill a indiqué que M. Dubois avait obtenu des permissions de sortir avec M. Toft. Il a aussi affirmé que le dossier de M. Dubois à l'ÉFNB avait été détruit.

Le 14 mars 1991, le sergent McNeill a fait passer une entrevue à M. Petros au domicile de son frère. Dans son rapport, il a écrit : « M. Petros a dit que Toft ne l'avait jamais agressé sexuellement ni même tenté quoi que ce soit. Il a ajouté qu'il ignorait si des pensionnaires avaient été agressés par Toft... [il] a refusé de produire une déclaration écrite. »

Le lendemain, la SEG de Bathurst a fait rapport sur M. Dubois. Dans son rapport du 15 mars 1991, le sergent McNeill a indiqué que M. Dubois avait quitté la région de Bathurst l'année précédente, mais que personne ne savait où il se trouvait actuellement. Il a été impossible de retrouver M. Lariviere. Le sergent McNeill a déclaré dans son rapport qu'il semblait que M. Lariviere avait quitté Saint-Jean plusieurs années auparavant. Ses tentatives de retrouver M. Rivard et M. Wouters étaient vaines et il attendait toujours des nouvelles de Saskatoon au sujet de M. Lafeuille.

5.1.6 L'enquête prend de l'importance

L'enquête a pris un nouveau virage le 12 mars 1991. Paul LeBreton, le procureur général adjoint du Nouveau-Brunswick, a téléphoné à l'inspecteur Hutchinson, officier adjoint de la Police criminelle, pour lui dire que la GRC aurait, suite à sa demande, accès aux documents révélant à qui M. Toft aurait accordé des permissions de sortir. M. LeBreton a indiqué qu'il désirait que les rapports d'enquête lui soient envoyés directement. Il voulait aussi savoir combien de temps environ durerait l'enquête.

Avant de téléphoner au sergent McNeill pour lui poser des questions concernant l'enquête, l'inspecteur Hutchinson a parlé à M. Robicheau, qui, en réponse à une précédente demande écrite, a précisé que d'autres documents sur M. Toft étaient disponibles. L'inspecteur Hutchinson a ensuite téléphoné au sergent McNeill, qui lui a indiqué qu'il lui était impossible de fixer une date limite à l'enquête, étant donné qu'il était difficile de retrouver les personnes impliquées. L'inspecteur Hutchinson l'a informé que d'autres renseignements proviendraient du solliciteur général. Il a demandé au sergent McNeill de surveiller le dossier de près et de s'assurer qu'on ne s'en occupe pas au ralenti, ajoutant qu'il était « de nature délicate et important » pour le solliciteur général et le ministère de la Justice et qu'il « devait être traité rondement ». L'inspecteur Hutchinson a communiqué avec M. LeBreton, pour lui dire que l'enquête durerait au moins deux ou trois mois, peut-être plus. Que cela dépendrait du niveau de difficulté pour retrouver les témoins.

5.1.7 Efforts additionnels du sergent McNeill pour retrouver de possibles victimes

Le 20 mars 1991, le sergent McNeill a reçu une lettre de M. Robicheau contenant trois autres noms d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB : Warren Seguin, William Marchand et Jim McLean.

Lors d'une réunion auprès du ministère de la Justice le 2 avril 1991 ou autour de cette date, le solliciteur général adjoint Bill Connor a demandé de connaître l'évolution de l'enquête de la GRC. L'inspecteur Hutchinson, officier par intérim de la Police criminelle, a écrit au sergent d'état-major Gord Snow pour l'informer que l'enquête progressait péniblement concernant les entrevues des nouvelles victimes potentielles. L'inspecteur Hutchinson a demandé au sergent d'état-major de « harceler la SEG de Fred. [Fredericton] pour savoir où elle en était. » Il a aussi demandé, le cas échéant, que le sergent d'état-major Snow écrive une lettre à M. Robicheau. « De plus, si cela est opportun et si la GRC accuse des retards, il serait peut-être utile d'écrire au cmdt adj. de Fred. »

Le 8 avril 1991, l'inspecteur Hutchinson a écrit une lettre à M. Robicheau pour le tenir au courant de l'évolution de l'enquête. Il a indiqué que la SEG de Fredericton avait communiqué les noms de 16 victimes possibles et « [qu'il lui était] difficile de les retrouver. Pour le moment, cinq victimes/témoins n'ont toujours pas été retrouvées... il semble qu'ils possèdent très peu de renseignements permettant d'appuyer les allégations. »

Dans son rapport de suivi du 16 avril 1991, le sergent McNeill indiquait qu'il avait parlé à Marc Wouters, l'un des anciens pensionnaires de l'ÉFNB dont le nom était mentionné dans la lettre de Tony Cameron.

Wouters a parlé librement de son séjour à l'École de formation du N.-B. Il a indiqué qu'il a obtenu plusieurs permissions de sortir avec Toft et que celui-ci n'a jamais tenté de l'agresser sexuellement. Il ignore si d'autres pensionnaires ont été agressés sexuellement par Toft.

Dans son rapport, le sergent McNeill n'a pas précisé s'il avait rencontré M. Wouters ou s'il lui avait fait passer une entrevue au téléphone.

5.1.8 Enquête interrompue

Le sergent McNeill était pratiquement le seul à travailler sur l'enquête lorsqu'est survenu le meurtre de Pamela Bischoff en avril 1991. La plupart des agents interrogés par la CPP ont indiqué qu'ils ont dû délaisser leurs tâches habituelles pour participer à cette importante enquête, certains d'entre eux pendant plusieurs semaines. Le sergent McNeill a lui aussi dû participer à cette enquête, comme l'indique son rapport de suivi du 10 mai 1991, qui faisait partie d'un rapport global qu'il avait commencé à rédiger le 16 avril 1991.

En raison du meurtre de Bischoff, 91J2763, à Oromocto, je n'ai pas pu interroger les autres personnes. Des 16 pensionnaires mentionnés, je n'ai pas encore communiqué avec les trois dont les noms ont été fournis le 17 avril 1991. Il m'a été impossible de retrouver Rivard, Dubois et Lariviere.

Le sergent McNeill a reçu une note du sergent Pearson, le sous-off. resp. de la SEG de Saskatoon et du gendarme Wiebe, lui aussi de la SEG, datée du 30 avril 1991 concernant M. Lafeuille :

La nature de votre enquête a été précisée et LAFEUILLE a indiqué qu'il connaissait bien TOFT. LAFEUILLE a refusé de se soumettre à une entrevue personnelle. Il a invoqué qu'il tenait TOFT en haute estime et que celui-ci l'avait toujours bien traité. LAFEUILLE n'avait jamais agressé sexuellement par TOFT et il ignore si d'autres personnes l'avaient été. LAFEUILLE n'a jamais entendu des rumeurs à ce sujet et ne désire plus discuter de cette affaire. LAFEUILLE est connu pour avoir une attitude négative à l'égard de la police et il n'est pas surprenant qu'il ne veuille pas participer à l'enquête.

Même s'il participait à l'enquête sur le meurtre de la jeune Bischoff, le sergent McNeill continuait de rechercher deux victimes possibles. Il a envoyé un bordereau d'acheminement au gendarme Ed Paquet à Saint-Jean le 10 mai 1991, pour lui demander de communiquer avec Joe Rivard et Jim McLean pour pouvoir se rendre à Saint-Jean les interroger.

Le 23 mai 1991, le sergent McNeill a rédigé un rapport de suivi sur M. Toft. Il y indiquait qu'il avait téléphoné à Paul Smythe qui lui avait parlé librement de son séjour à l'ÉFNB. M. Smythe se souvenait de M. Toft et a indiqué qu'il avait obtenu des permissions de sortir avec lui.

Il semblait surpris d'apprendre que Toft pouvait avoir agressé sexuellement des pensionnaires... Toft n'avait pas tenté de l'agresser et il ignorait ce qu'il en était pour les autres. Il a accepté de venir au détachement le lundi 27 mai 1991 pour faire une déclaration.

Il a été impossible de communiquer avec MM. Rivard, McLean et Seguin.

5.1.9 Préoccupations soulevées par des officiers supérieurs du Nouveau-Brunswick

Le ministère de la Justice du Nouveau-Brunswick commençait à s'inquiéter du temps que prenait la GRC pour conclure cette enquête. Cette situation était évidente dans une note du surintendant Zaccardelli au commandant sous-divisionnaire (cmdt s-div.) de Fredericton, datée du 1er mai 1991. Le surintendant Zaccardelli rappelait au cmdt s-div. que l'enquête avait été confiée à son bureau par le ministre de la Justice et que celui-ci désirait savoir quand le rapport final de l'enquête lui serait remis. Le surintendant Zaccardelli a aussi demandé que son bureau reçoive des rapports d'étape et soit informé de la date prévue de la fin de l'enquête. « Je vous demande de veiller à ce que la priorité et les ressources nécessaires soient accordées à cette affaire de manière à mettre fin à l'enquête aussi rapidement que possible. »

Moins d'une semaine plus tard, le surintendant Zaccardelli a reçu une lettre du procureur général adjoint Paul LeBreton, datée du 7 mai 1991. Une copie de cette lettre a été envoyée au procureur général, James Lockyer. Dans cette lettre, M. LeBreton demandait qu'une copie du rapport d'enquête intérimaire dans l'affaire Karl Toft lui soit envoyée et indiquait ce qui suit :

Je suis aussi préoccupé par le fait que cette enquête traîne en Iongueur. Je sais qu'il a été difficile de retrouver et d'interroger d'anciens pensionnaires... Cependant, je préconise que la plus grande priorité soit accordée à cette enquête, de même que votre collaboration pour que cette affaire extrêmement délicate soit réglée aussitôt que possible.

Le surintendant Zaccardelli a envoyé une note au cmdt s.-div. de Fredericton le 15 mai 1991, lui transmettant la correspondance reçue de M. LeBreton et a affirmé ce qui suit : « Je vous prie de veiller à prendre les mesures nécessaires pour que l'enquête sur le terrain prenne fin et pour qu'un rapport de mise à jour soit déposé aussitôt que possible ... ».

En réponse à la demande de M. LeBreton pour obtenir une mise à jour, le surintendant a résumé les progrès réalisés jusqu'à ce jour dans l'enquête sur les allégations contre M. Toft dans une lettre envoyée à M. LeBreton datée du 21 mai 1991. Le surintendant Zaccardelli a fait allusion à l'enquête du caporal Spink qui avait débutée en février 1990, de même qu'à la rencontre entre le caporal Spink et l'avocate de la Couronne Hilary Drain qui a eu lieu en juillet 1990.

Tous les renseignements disponibles ont été soumis à l'avocate de la Couronne pour être examinés. La Couronne et les enquêteurs étaient d'avis qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour déposer des accusations contre TOFT. L'enquête policière a pris fin en juillet 1990.

Le surintendant Zaccardelli a aussi fait référence à l'enquête du sergent McNeill :

En octobre 1990, les noms d'autres témoins ou victimes possibles dans cette affaire ont été communiqués à la GRC. Par conséquent, l'enquête a été rouverte. En tout, 16 anciens pensionnaires ont été identifiés. Trois (3) d'entre eux n'ont pas encore été interrogés, parce qu'ils n'ont pas encore été retrouvés.

Les efforts déployés pour retrouver ces anciens pensionnaires ont emmené les enquêteurs en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et dans tout le Nouveau-Brunswick. Il s'est avéré parfois très difficile de retrouver ces personnes, car bon nombre d'entre elles sont sans domicile fixe.

En se fondant sur les résultats de l'enquête jusqu'à présent, les enquêteurs sont d'avis que les éléments de preuve sont insuffisants pour déposer des accusations criminelles.

Je suppose donc que la priorité absolue est accordée à cette enquête et que tous les efforts sont faits pour qu'elle prenne fin aussitôt que possible.

5.1.10 Accusations déposées par la Force policière de Fredericton

Dans un rapport de suivi daté du 5 septembre 1991, le sergent McNeill a indiqué que l'avocat de la Couronne Bill Corby lui avait téléphoné pour lui dire qu'il avait obtenu le dossier d'audience de la FPF et qu'il était prêt à déposer 27 accusations relatives à des actes sexuels contre M. Toft. M. Corby a demandé si la GRC déposerait des accusations. Il prévoyait se présenter devant le tribunal avec ces accusations le 10 septembre 1991. Le sergent McNeill a expliqué que « notre enquête est loin d'être terminée et pourrait encore durer plusieurs mois si nous devions revenir loin en arrière. »

Dans le même rapport, il a indiqué que l'inspecteur Mike Connolly, officier adjoint à la Police criminelle, avait demandé une copie du dernier rapport d'enquête, car le directeur provincial des procureurs de la Couronne, Robert Murray, et M. Corby désiraient savoir où en était l'enquête de la GRC. Ils voulaient être en mesure de coordonner toutes les accusations de manière simultanée. Lorsqu'il a fourni une mise à jour verbale le 5 septembre 1991 à M. Connolly et au surintendant Matchim, le cmdt s.-div. de Fredericton, il a demandé :

des consignes... pour savoir jusqu'où retourner en arrière dans cette affaire. Il a été mentionné à l'époque que 14 des 27 accusations étaient de la compétence de la GRC et portaient sur des infractions qui se sont produites lors du camp d'été de 1986... qui représentait le prochain volet de notre enquête... Il a aussi été appris qu'il y avait 9 victimes et non pas 27 comme il avait été indiqué à son bureau plus tôt et qu'il y aurait une accusation par victime, peu importe le nombre d'agressions commises par Toft sur chacune d'elles.

Dans son rapport, le sergent McNeill indiquait qu'il avait communiqué avec M. Corby plus tard au cours de cette même journée. M. Corby a affirmé que 13 chefs d'accusation impliquait neuf victimes concernant des incidents qui se seraient produits à Fredericton, deux concernant des incidents à Moncton, deux concernant des incidents dans la péninsule de Kingston, huit incidents au lac Magaguadavic et deux incidents à l'ÉFNB. M. Corby a souligné que la FPF mettait la touche finale à son enquête et que si d'autres victimes se manifestaient après la diffusion prévue d'un communiqué de presse, une enquête serait effectuée par le service de police compétent.

Le 6 septembre 1991, l'enquêteur Tim Kelly de la FPF s'est présenté au bureau du sergent McNeill avec le dossier de Toft et le dossier d'audience de neuves victimes de l'ÉFNB. Le sergent McNeill a fait des copies des dossiers. L'enquêteur Kelly a dit qu'il informerait la GRC si d'autres victimes se manifestaient après la diffusion du communiqué de presse. Le sergent McNeill a appris que des 60 personnes que l'agent Reilly avait choisi d'interroger, environ la moitié avait été retrouvée. Neuf d'entre elles ont indiqué à la FPF qu'elles avaient été agressées sexuellement. La GRC en avait déjà interrogé deux, Marc Wouters et Michael Petros, lesquels avaient nié avoir été agressés sexuellement par M. Toft lorsqu'ils avaient été interrogés par la GRC.

Une rencontre a eu lieu le 9 septembre 1991 avec le sergent McNeill, les surintendants Zaccardelli et Matchim, et le caporal Ray Brennan, qui avait pris en main l'enquête en mai 1991 pour se préparer au mois d'absence du sergent McNeill en juin. Ils ont décidé que la GRC poursuivrait son enquête afin « de déterminer l'ampleur des infractions commises. » Dans le cadre de cette enquête, un échantillonnage raisonnable devait être constitué parmi les pensionnaires de 1965 à 1985, années durant lesquelles M. Toft travaillait à l'ÉFNB. Ils auraient à interroger les 30 pensionnaires identifiés par l'agent Reilly, ainsi que ceux qui se manifesteraient après la diffusion du communiqué de presse. Ils devraient examiner également les dossiers de l'ÉFNB de 1965 à 1985. Le caporal avait déjà mis sur pied le système des fiches de renseignements et avait été nommé « coordonnateur du système de fiches ». Le sergent McNeill devait obtenir tout le dossier de la FPF et tous les dossiers pertinents de l'ÉFNB. Après avoir compilé la liste des victimes possibles, le sergent McNeill, le caporal Brennan et le gendarme Ken Legge devaient retrouver et interroger ces personnes.

5.1.11 5.1.11 Arrestation de Karl Toft

Le 10 septembre 1991, le surintendant Zaccardelli a envoyé un bordereau d'acheminement au surintendant Matchim. Il y précisait que le chef Mac Carlisle de la FPF lui avait téléphoné pour lui dire que M. Toft avait été arrêté et qu'un communiqué de presse serait diffusé à 11 h le 10 septembre. Il a aussi écrit :

[N]ous poursuivons notre enquête pour nous assurer qu'un échantillonnage raisonnable est constitué pour déterminer l'ampleur des infractions commisses... Le chef nous a offert son entière collaboration. Le communiqué de presse mentionnera la participation de la GRC. La Police criminelle s'occupera des demandes des médias et leur offrira la réponse habituelle : l'enquête se poursuit et nous ignorons quand elle sera terminée; les deux ministères collaborent, etc.

Comme il a été discuté hier avec les deux enquêteurs, il est important qu'ils poursuivent l'enquête pour y mettre fin le plus rapidement possible.

Il est important que [nous continuions] à interroger les victimes potentielles de manière à déterminer toute l'ampleur de cette affaire. Pour ce faire, les dossiers... des pensionnaires de l'institution au moment où il y travaillait doivent être examinés. Il est aussi nécessaire de continuer à retrouver, éventuellement, des victimes possibles pour procéder à un échantillonnage par regroupement pour les années pendant lesquelles TOFT travaillait dans l'établissement.

Le bordereau d'acheminement du surintendant Zaccardelli au surintendant Matchim a été transféré au sergent McNeill, avec une note au surintendant Matchim : « Comme il a été mentionné ce matin, veuillez utiliser toute l'aide offerte par la Force policière de Fredericton. Vous et le cpl Brennan devez accorder la priorité absolue à cette enquête. »

Le lendemain, le 11 septembre 1991, le surintendant Zaccardelli a transmis un autre bordereau d'acheminement au surintendant Matchim :

Nous nous sommes entretenus pour savoir qui mènerait l'enquête si de nouvelles allégations étaient portées contre TOFT à la suite de son arrestation ou du communiqué de presse.

Il a été décidé que nos enquêteurs et la police municipale travailleraient en étroite collaboration dans cette affaire. Toute nouvelle plainte survenant sur le territoire de la municipalité sera traitée par celle-ci, à moins d'avis contraire. Les plaintes qui surviennent à l'extérieur des limites de la municipalité seront traitées par la GRC.

Apparemment, huit plaignants se sont manifestés depuis l'arrestation de TOFT. Certains de ces plaignants viennent d'autres régions de la province. Nos enquêteurs devraient communiquer avec les représentants de la municipalité pour déterminer qui sont ces plaignants de manière à assurer le suivi nécessaire.

5.1.12 Efforts investis pour obtenir les dossiers de l'ÉFNB

Le sergent McNeill a indiqué dans un rapport de suivi, le 10 septembre 1991 : « J'ai laissé des messages adressés à l'enquêteur Kelly, mais il était au tribunal toute la journée avec Toft. » Plus tard dans l'après-midi, il a écrit : « Le cpl Brennan a parlé à Tim Kelly. Rencontre le 11 septembre 1991 pour copier leur dossier. » Le dossier de la FPF a été copié. Le sergent McNeill a également téléphoné à Todd Sullivan, le surintendant de l'ÉFNB, pour organiser une rencontre.

Le 13 septembre, le sergent McNeill a rencontré M. Sullivan pour obtenir les dossiers d'admission de 1965 à 1985, années pendant lesquelles M. Toft travaillait à l'ÉFNB. Le sergent McNeill a appris que l'école conserve uniquement les dossiers des pensionnaires actuels et que lorsque ceux-ci atteignent l'âge de 18 ans, les dossiers sont envoyés au centre de gestion des documents du solliciteur général qui les conserve pendant sept ans avant d'être transférés aux Archives provinciales où ils sont entreposés de manière permanente.

Dans un rapport de suivi daté du 1er octobre 1991, le sergent McNeill a indiqué que Patrick Tomomsky, un ancien employé de l'ÉFNB, avait parlé avec Fred Kashi, un autre ancien employé de l'ÉFNB, au sujet de l'enquête sur Toft. M. Kashi a affirmé qu'il avait vu, une fois, M. Toft entrer dans les douches, nu, en compagnie de jeunes pensionnaires. La semaine suivante, le 9 octobre 1991, le sergent McNeill a fait passer une entrevue à M. Kashi chez lui. M. Kashi a nié la version de M. Tomomsky. Il a déclaré qu'un autre garde, Weldon (Bud) Raymond, était homosexuel et qu'il avait été renvoyé. Il se méfiait de M. Toft et avait entendu dire qu'il était homosexuel. Il avait entendu des pensionnaires le traiter de « pédéraste ». Il a affirmé que M. Toft se rendait souvent au camp situé dans la région de Marysville et que, selon d'anciens pensionnaires, c'est dans ce camp qu'il aurait commis certaines des infractions.

Leo Filion, un ancien pensionnaire qui était incarcéré dans un établissement au Nouveau-Brunswick a accepté de rencontrer le sergent McNeill. Pendant l'entrevue du 10 octobre 1991, M. Filion a indiqué au sergent McNeill qu'il avait eu trois rencontres de nature sexuelle avec M. Toft, chacune un peu plus sérieuse que la précédente. La première d'entre elles s'est produite au cours de ses six premiers mois à l'ÉFNB et un autre pensionnaire Duncan Henderson, en aurait été témoin. M. Filion était prêt à témoigner. Le sergent McNeill a conclu son rapport en écrivant : « Nous devrons obtenir le dossier de Filion des Archives, de même que tous les dossiers des personnes qui témoigneront pour connaître les dates auxquelles les infractions ont été commises. »

Le même après-midi, le sergent McNeill a fait passer une entrevue à M. Henderson, qui était incarcéré au même établissement que M. Filion. M. Henderson a affirmé qu'il n'avait pas été agressé sexuellement par M. Toft, mais qu'il avait vu M. Toft sécher M. Filion dans la douche. M. Henderson a indiqué qu'il était prêt à témoigner. Cependant, le sergent McNeill a écrit dans son rapport : « Je ne crois pas qu'il aura à témoigner, car un seul chef d'accusation sera déposé contre Toft en ce qui concerne Filion et ça ne sera pas pour l'incident de la douche. Cette piste sera abandonnée pour le moment. »

5.1.13 Fin de la participation du sergent McNeill

À son retour de congé, le sergent McNeill a poursuivi l'enquête avec le caporal Ray Brennan, qui était alors l'enquêteur principal. Ils ont résumé les événements dans un rapport d'enquête daté du 29 octobre 1991 qu'ils ont rédigé conjointement. Le rapport indiquait qu'« en tout, 37 anciens étudiants du Centre de formation de Kingsclear avaient été interviewés » et classait leurs noms et les résultats des entrevues.

[M]ême si nous avons reçu de nombreuses réponses négatives à nos demandes de renseignements, les enquêteurs sont d'avis que plusieurs des sujets interrogés ne font pas preuve de franchise, pour des raisons évidentes. Ces réponses négatives empêcheront de rouvrir de vieilles blessures et feront en sorte que les sujets n'auront pas à témoigner de situations trop embarrassantes dont ils ne veulent pas parler. Les enquêteurs de la Force policière de Fredericton ont obtenu des réponses semblables.

En ce moment, les enquêteurs tentent de retrouver un grand nombre des victimes identifiées, en plus de celles mentionnées dans mon rapport. Notre liste de cibles s'allonge après chaque entrevue et comme nous l'avons indiqué, elle contient maintenant d'autres suspects, d'autres établissements, etc. Même si nous ne poursuivons pas officiellement ces pistes pour le moment, la participation de TOFT dans le mouvement scout, la participation de Bud RAYMOND dans le mouvement des Grands frères et les allégations d'abus sexuels en familles d'accueil sont maintenant des éléments de l'enquête.

Une analyse sommaire de toutes les déclarations obtenues jusqu'à présent a été réalisée, y compris de celles obtenues par les enquêteurs de la Force policière de Fredericton. Cette analyse a révélé que M. TOFT avait agressé sexuellement des jeunes au Centre de formation pour jeunes de Kingsclear de manière régulière de 1967 à 1986. Une analyse complète ne pourra être effectuée que lorsque tous les dossiers des victimes auront été obtenus à partir des Archives.

Leur rapport indiquait aussi qu'ils

avaient tenté d'obtenir des renseignements sur Weldon « Bud » RAYMOND, Joseph Hector DUGAY et un certain MATTHEW BERTRAND qui avaient été identifiés comme étant des suspects en ce qui concerne les incidents à Kingsclear à la suite des entrevues effectuées jusqu'à présent. Le 17 octobre 1991, M. TODD SULLIVAN, surintendant du CFJ de Kingsclear, a déclaré que les dossiers sur ces sujets avaient été détruits. Il faudrait obtenir des dossiers ou rencontrer des témoins pour établir qu'il travaillait dans l'établissement pendant les périodes précisées dans les déclarations. Cette question sera examinée durant l'enquête.

En conclusion : « L'enquête ne changera pas d'orientation, comme il est indiqué dans notre rapport précédent. D'autres accusations seront portées contre M. TOFT et d'autres suspects sur les instructions de la Police criminelle. »

Même si l'enquête s'est poursuivie, le rôle du sergent McNeill a pris fin vers le début de novembre 1991 lorsqu'il a été transféré au détachement de McAdam au Nouveau-Brunswick. La dernière réunion sur cette enquête à laquelle il a participé s'est tenue le 6 novembre 1991.

5.2 Entrevues effectuées par la CPP

5.2.1 Sergent à la retraite Gary McNeill

Le 2 avril 2006, la CPP a questionné M. McNeill au sujet de son contact avec M. Wouters et lui a demandé : « Vous souvenez-vous d'avoir parlé avec Marc Wouters ou Michael Petros? » Le sergent McNeill a répondu : « J'ai parlé à quelqu'un à St. Stephen, mais j'ai oublié le nom de cette personne. »

Il a déclaré qu'il croyait que la GRC travaillait sur l'affaire de l'ÉFNB et Toft avant la FPF.

Je ne me souviens pas exactement... à quel moment ils ont débuté leur propre enquête concernant ces allégations... ou comment cela s'est produit. Je ne me souviens pas s'il s'agissait de Randy Reilly ou de Tim Kelly... Je crois que c'est Randy que quelqu'un est venu voir et à qui il a fourni des renseignements et c'est à ce moment...que l'enquête a vraiment commencé, mais je ne sais pas à quel moment... Je crois que c'était en 1991.

La CPP lui a demandé : « Vous souvenez-vous comment vous avez su que la Force policière de Fredericton avait débuté une enquête, autrement que par le fait qu'un jeune se soit manifesté? » Il a répondu : « Non. En fait, je ne me souviens pas si cette personne a fourni des renseignements à Randy Reilly qui a mené à... » Il a poursuivi :

Je crois que beaucoup de pensionnaires avaient beaucoup de respect pour Randy Reilly et qu'ils parlaient avec lui. Et je crois qu'une fois qu'une des victimes allait le voir, Randy gagnait sa confiance au point où celle-ci lui disait exactement ce qui s'était passé. Et les autres ont probablement réalisé qu'elles n'étaient pas les seules et ont commencé à se confier, alors qu'auparavant elles avaient affirmé ne pas être des victimes.

Il est évident que la mémoire de M. McNeill a fait défaut au moment de son entrevue auprès de la CPP sur M. Wouters. Cependant, les dossiers examinés par la CPP indiquent que le sergent McNeill a parlé à M. Wouters le 16 avril 1991 et que M. Wouters semblait nier avoir été agressé par M. Toft. Il ne semble pas que le sergent McNeill ait demandé à M. Wouters de formuler sa déclaration par écrit.

La CPP lui a aussi posé des questions sur la demande du 10 septembre 1991 du surintendant Matchim d'accorder à cette enquête la plus grande importance. Lorsqu'on lui a demandé si cela signifiait que plus de ressources humaines avaient été assignées à l'enquête, il a répondu : « Je ne crois pas que plus de ressources humaines aient été affectées à cette enquête pendant que j'y travaillais, mais il est évident que Ray [Brennan] y participait. Non, je ne crois pas que plus de ressources y ont été affectées. Je crois qu'il est justifié, vous savez, de mettre les autres sujets de côté et de concentrer ses efforts sur cette affaire. »

5.2.2 5Ancien commissaire Giuliano Zaccardelli

Dans une entrevue avec la CPP le 15 janvier 2007, M. Zaccardelli a dû répondre à des questions concernant sa lettre du 21 mai 1991 à M. LeBreton. Lorsqu'on lui a posé des questions sur la phrase suivante : « Je suppose donc que la priorité absolue est accordée à cette enquête et que tous les efforts sont faits pour que cette enquête prenne fin aussitôt que possible », et son utilisation du mot « suppose », il a répondu :

[C]lairement, je voulais... le convaincre que la priorité absolue avait été accordée à cette enquête et que tous les efforts étaient déployés pour la clore le plus rapidement possible. Mais non, et bien... il n'y a pas d'autre interprétation possible à cette phrase.

Du début à la fin, jusqu'à ce que ce je quitte mon poste, j'ai toujours accordé la plus grande priorité à cette enquête, en plus d'insister pour que des ressources lui soient consacrées. Encore une fois, ma participation dans cette affaire, comme je l'ai déjà dit, est inhabituelle, car je me suis investi plus qu'à l'habitude, parce que c'était une affaire importante, une priorité, parce que je savais qu'il fallait faire de notre mieux et y consacrer toutes nos ressources. C'est ce que j'ai toujours fait et j'ai toujours poussé les autres à faire de même.

La CPP est satisfaite de la réponse de M. Zaccardelli qui désirait rassurer M. LeBreton sur le fait que la priorité absolue était accordée à l'enquête, ce qui était en conformité avec le ton du reste de la lettre.

6. Enquête menée par le caporal Ray Brennan (1991-1992)

Le sergent Gary McNeill, qui effectuait l'enquête seul pour la plus grande partie depuis sa réouverture, le 15 octobre 1990, a pris un mois de congé au début de juin 1991. Le caporal Ray Brennan du détachement de Saint John a été nommé pour prendre le relais. Il relevait du surintendant Ford Matchim, commandant sous divisionnaire (cmdt. s.-div.) de Fredericton.

Pour l'enquête décrite dans la présente section, les officiers supérieurs étaient Herman Beaulac, commandant de la Division J; le surintendant Ford Matchim, cmdt. s. div. de Fredericton; le surintendant Giuliano Zaccardelli, officier de la Police criminelle, et l'inspecteur Mike Connolly, officier responsable adjoint (off. resp. adj.) de la Police criminelle, qui est arrivé en octobre 1992 et qui a souvent assuré les fonctions du surintendant Zaccardelli.

6.1 Début de la participation du caporal Brennan

Le caporal Brennan a étudié le dossier le 29 mai 1991 afin de se familiariser avec l'enquête. Dans son rapport de suivi daté du même jour, il a indiqué qu'il avait reçu le dossier du sergent d'état major Fred Fearon « aux fins de suivi ». En faisant référence à l'enquête menée par le gendarme Tom Spink, en 1990, il a écrit :

Le seul point que j'ai remis en cause était de savoir si oui ou non la Couronne allait porter des accusations fondées sur le récit de témoin oculaire de Dave Forbes lorsqu'il a vu [Karl] Toft frotter la clé sur l'entrejambe de Mark Seymour. La même chose s'applique pour les observations de Tony Cameron.

Il a précisé qu'il avait communiqué avec le caporal Spink afin de déterminer si l'avocate de la Couronne Hilary Drain avait décidé de porter des accusations fondées sur le récit de témoin oculaire de David Forbes, qui a déclaré avoir vu M. Toft frotter une clé sur l'entrejambe de Mark Seymour.

J'ai communiqué avec le gend. Spink pour vérifier si la question avait été discutée avec la Couronne. Le gend. Spink m'a informé que non, puisque l'accent était mis sur les victimes et leur volonté d'aller au tribunal. J'ai aussi remarqué qu'aucun autre organisme ne se concentrait davantage sur ce point. Cela sera transmis à la Couronne plus tard.

Après avoir fait un résumé du dossier, il a repris l'enquête à l'endroit où le sergent McNeill l'avait laissée, tandis qu'il tentait de retrouver et d'interroger des victimes et des témoins potentiels. Le 30 mai 1991, il a rédigé un rapport de suivi dans lequel il a dressé la liste des témoins qui n'avaient pas encore été interrogés. Ces personnes étaient l'agent Randy Reilly, de la FPF, qui avait été employé à temps partiel durant la période d'emploi de M. Toft, Joe Rivard, Ryan Lariviere, Warren Seguin, Paul Smythe et Jim McLean.

6.1.1 Manque de renseignements

Le 3 juin 1991, le caporal Brennan était au bureau du Service de police de Saint John lorsqu'il a rencontré le directeur des services de police du Nouveau Brunswick, Hugh Robicheau. Le caporal Brennan connaissait déjà assez bien M. Robicheau pour avoir servi sous son commandement lorsque M. Robicheau était officier de la Police criminelle à la direction générale de Fredericton. M. Robicheau était là, écrit le caporal Brennan dans son rapport de suivi, « en train de mener une vérification pour savoir si David Forbes avait présenté une déclaration écrite [et] détaillée sur ses allégations, les agressions elles mêmes, le déroulement des événements, [etc.] ».

Ils ont commencé à discuter des responsabilités du caporal Brennan dans l'enquête. M. Robicheau l'a informé que la plainte de David Forbes venait de l'animateur de la CBC « Ron Richards » (sic) (qui est en fait Richard Robinson). M. Robicheau l'a informé qu'il avait parlé à M. Forbes, mais n'avait pas recueilli sa déclaration. M. Robicheau a suggéré que le caporal Brennan examine son dossier aux services de police afin de s'assurer qu'il avait tout ce dont il avait besoin pour mener l'enquête. Les deux hommes ont convenu de se rencontrer une semaine plus tard pour étudier les documents et les dossiers que M. Robicheau avait en sa possession. Le caporal Brennan a rédigé une note personnelle pour se rappeler d'obtenir « [le] dossier complet de la caporale [Lilian] Ulsh... afin que tous les appels et toutes les visites aux CFJ soient consignés ».

Le caporal Brennan a communiqué de nouveau avec le caporal Spink, qui a déclaré que la caporale Ulsh n'avait pas préparé de dossier sur le sujet. Elle avait bien donné des copies des déclarations des témoins, lesquelles se trouvaient dans une enveloppe brune, mais pour autant qu'il savait, il n'y avait aucune autre documentation. Dans son rappport de suivi du 3 juin, le caporal Brennan a indiqué qu'il rencontrerait le caporal Spink le lendemain. Il a également noté qu'il avait envoyé un message au détachement de Kitimat, en Colombie Britannique, afin de retrouver Ryan Lariviere, un ancien pensionnaire.

6.1.2 Nouvelles pistes

Le 4 juin 1991, le caporal Brennan s'est rendu à Fredericton pour rencontrer le caporal Spink. Durant sa visite, il espérait rencontrer l'avocate de la Couronne Hilary Drain ainsi qu'essayer de rencontrer Paul Smythe, une victime potentielle, et d'obtenir sa déclaration. Le caporal Spink n'a pas donné d'autres renseignements et M. Smythe ne répondait pas. Lorsqu'il lui a demandé si elle voulait le rencontrer pour « discuter des poursuites fondées sur les récits de témoin oculaire de David Forbes et de Tony Cameron... Mme Drain a suggéré que je m'adresse à Paul Hawkins [avocat de la Couronne], qui approuve les chefs d'accusation durant le mois de juin ».

Le même jour, le caporal Brennan a rencontré l'inspecteur Al Hutchinson et lui a fait part de ses préoccupations, à savoir si MM. Forbes, Cameron et Robinson avaient été interrogés personnellement.

Il y a de nombreux détails desquels il faut tenir compte lorsque ce dossier sera étudié de très près en matière de dissimulations possibles, d'agressions sexuelles répétées, de répercussions provenant de l'extérieur, etc. L'inspecteur Hutchinson convient que la question devra entièrement faire l'objet d'une enquête.

J'ai informé l'inspecteur Hutchinson que le dossier retiendra toute mon attention dès la semaine prochaine puisque j'ai d'autres affaires à mettre en ordre d'ici la fin de celle en cours. Je serai à F'ton [Fredericton] toute la semaine prochaine afin de procéder à des entrevues.

Un rapport [d'enquête] C237 définissant mes projets en ce qui concerne l'enquête sera rédigée demain. Je discuterai ensuite de ces projets avec l'inspecteur Hutchinson.

Le 10 juin 1991, le caporal Brennan se trouvait de nouveau à Fredericton pour y rencontrer cette fois le surintendant Ford Matchim, qui a suggéré une étude complète du dossier de M. Robicheau « avant d'emprunter de nouvelles voies ». Dans son rapport daté de ce jour, le caporal Brennan a annoncé son intention de rencontrer les anciens enquêteurs afin d'obtenir une « évaluation globale ». Il s'est rendu au bureau de M. Robicheau au cours de l'après midi, a examiné le dossier et a obtenu une copie du dossier complet de la FPF. Il a découvert que le sous solliciteur général adjoint Grant Garneau avait rédigé un rapport d'enquête interne en mars 1991 qui traitait des résultats des poursuites concernant « l'incident du CFJ ». Le rapport examinait les mesures prises par le personnel des Services correctionnels concernant les allégations d'agressions sexuelles contre M. Toft. Il contenait une chronologie des événements pour la période du 9 au 16 octobre 1985. Il n'a cependant pas lu le rapport « puisque celui-ci était long et ne correspondait pas vraiment à notre travail ».

Le caporal Brennan a obtenu copie d'une lettre provenant du dossier de M. Robicheau adressée au personnel de l'ÉFNB de la part d'un employé de l'École, Ian Anslow. La lettre mentionnait que M. Toft était au camp d'été pour jeunes en 1986. Il a retardé son retour à Saint John en espérant pouvoir rencontrer M. Smythe, mais il n'a pas pu communiquer avec lui. Il a conclu son rapport en disant qu'il continuerait à chercher M. Smythe.

Le 11 juin 1991, il a parlé à Jim McLean, un ancien pensionnaire, qui a dit se souvenir de M. Toft, mais que rien ne lui est arrivé, à lui ni à ses amis. Il a continué à essayer de retrouver Joe Rivard et M. Smythe et a pu discuter avec la mère de ce dernier. Ses appels l'ont contrariée et elle a refusé de révéler l'adresse de son fils.

Il a fait mention de M. Smythe pour la dernière fois dans son rapport du 19 juin 1991 :

[Il] est évident que Paul Smythe ne veut pas discuter de la question. La seule raison qui me pousse à continuer dans cette voie, c'est que je veux obtenir une déclaration négative, à savoir qu'il ait été une des victimes [et] je crois qu'à l'heure actuelle cela n'en vaut pas la peine. Poursuivre dans cette voie ne ferait que nuire à la famille Smythe.

Le caporal Brennan a fait référence au rapport du sergent McNeill du 27 mai 1991, en faisant remarquer qu'on ne mentionnait pas si M. Smythe s'était présenté à son entrevue, prévue ce jour là. Il a également observé que, au cours d'une conversation téléphonique avec le sergent McNeill le 23 mai 1991, M. Smythe a nié que M. Toft l'avait agressé sexuellement.

Le 24 juin 1991, il a poursuivi ses recherches pour retrouver Frank Dubois. Après avoir appris que M. Dubois était incarcéré pour une période de quatre ans dans une institution en Alberta, il a annoncé qu'il enverrait un message au Détachement d'Innisfail de la GRC afin de demander que M. Dubois soit interrogé.

Le caporal Brennan a récapitulé ses efforts pour retrouver ces témoins dans deux rapports d'enquête, datés du 12 et du 26 juin 1991. Dans le rapport du 26 juin, il a indiqué qu'il allait demander conseil à l'avocat de la Couronne au sujet de chefs d'accusation possibles et qu'il avait communiqué avec la mère de M. Seguin, laquelle a précisé, bien qu'elle ne connaisse pas le numéro de téléphone ni l'adresse de son fils, qu'il l'appelait souvent et que, à la prochaine occasion, elle lui transmettrait le message du caporal Brennan.

Mis à part le fait d'avoir pu entrer en communication avec Warren Seguin... toutes les autres possibilités pouvant mener à une bonne conclusion de l'enquête ont été envisagées. Aussitôt que nous recevrons les réponses des différents détachements, etc., cités dans ce rapport, cette affaire sera présentée au Service des poursuites de la Couronne [sic] pour être examinée, ce qui donnera la possibilité de porter des accusations fondées seulement sur les récits de témoin oculaire de MM. David FORBES et Tony CAMERON si nous ne retrouvons toujours pas d'autres victimes. EN COURS D'ENQUÊTE.

Il a remis le dossier au gendarme Ed Paquet pendant qu'il était en congé pour le mois de juillet.

6.1.3 Un témoin se manifeste

L'agent de la FPF Randy Reilly connaissait Marc Wouters à l'époque où il travaillait à l'ÉFNB. Durant son témoignagne du 30 août 1994, au cours de l'enquête Miller, l'agent Reilly a déclaré qu'il soupçonnait M. Toft d'avoir agressé sexuellement M. Wouters. Au départ, M. Wouters hésitait à parler, mais il « s'est finalement laissé aller ». Il a « raconté des incidents de sodomie et d'agressions sexuelles très violentes ». Un an après, lorsque le juge Richard Miller a rédigé son rapport final sur l'enquête, le 17 février 1995, il a décrit la rencontre entre M. Wouters et l'agent Reilly comme étant importante.

Le soir suivant, M. Reilly et le détective Tim Kelly ont mené une entrevue vidéo au cours de laquelle M. Wouters a décrit deux agressions sexuelles commises à son endroit par M. Toft. Le jour suivant, l'inspecteur Haines demandait à l'agent Reilly de faire enquête sur ce dossier .

6.1.4 Première rencontre avec la Force policière de Fredericton

Peu après que le caporal Brennan soit parti en vacances, le gendarme Paquet a pu communiquer avec des témoins qu'il tentait de retrouver. Dans un rapport de suivi, le gendarme Paquet a écrit qu'il a communiqué avec M. Seguin le 4 juillet 1991. M. Seguin a déclaré que « rien ne lui était jamais arrivé, mais qu'il avait bien assisté à quelques incidents touchant d'autres pensionnaires », et a affirmé qu'il serait prêt à faire une déclaration. Le 10 juillet, le gendarme Paquet a envoyé une note de service au caporal Critch de la GRC à Toronto pour demander à ses officiers de prendre la déclaration de M. Seguin.

Le 9 juillet 1991, le gendarme Paquet a reçu un appel de la gendarme C. A. Currie, en Alberta, disant qu'elle avait obtenu une déclaration de Frank Dubois. M. Dubois a déclaré qu'il avait été victime d'agression sexuelle par M. Toft entre 1980 et 1982 et que « cela a été plus loin que des attouchements et des sensations ». Les incidents qu'il a décrits - deux agressions sexuelles graves qui ont eu lieu lorsqu'il avait 13 ou 14 ans – se sont déroulés sur le territoire de la FPF. Plus tard ce jour là, la gendarme Currie a envoyé une lettre au gendarme Paquet, à laquelle elle a joint la déclaration de quatre pages de M. Dubois. Le gendarme Paquet a reçu la déclaration le 19 juillet 1991.

Le gendarme Paquet a rencontré l'agent Reilly et l'enquêteur Kelly. Ce dernier a rédigé un rapport de police le 16 juillet 1991, dans lequel il a indiqué que l'agent Reilly et lui se sont rendus au détachement de Gagetown et ont discuté avec le gendarme Paquet. C'était le premier contact de l'agent Reilly avec la GRC. L'enquêteur Kelly et lui se sont déplacés jusque-là pour obtenir des renseignements sur M. Toft à partir du dossier de la GRC à la suite d'une conversation entre l'enquêteur Kelly et le sergent d'état major Ron O'Brien le 15 juillet 1991. Le gendarme Paquet a remis aux enquêteurs une copie du dossier complet. Dans son rapport de suivi daté du même jour, le gendarme Paquet a indiqué que :

Il est évident que M. TOFT a commis ses agressions sexuelles sur le territoire du service de police de F'ton... l'auteur a obtenu des renseignements du dossier du service de police de F'ton qui faisaient partie de notre enquête en plus des renseignements provenant de notre dossier dont ils avaient besoin et qui leur ont été transmis.

L'agent Reilly a observé que la GRC avait interrogé M. Toft sur ses relations sexuelles l'année précédente et témoigné lors de l'enquête Miller le 30 août 1994, approuvant la déclaration de M. Goss, procureur de la Commission d'enquête, selon laquelle « [M. Toft] a admis être homosexuel et avoir touché certains des enfants sous prétexte de les discipliner ».

Lors d'une entrevue auprès de la CPP le 26 octobre 2006, le caporal Paquet, à la retraite, a indiqué : « les rapports que j'ai eus avec Kelly [et] Reilly ce jour là étaient bons ». Ils l'ont mis au courant de leur entretien avec M. Wouters. Avant la réunion du 16 juillet, il a ajouté : « Je n'avais jamais entendu parler de Wouters jusqu'à aujourd'hui ». Il a confirmé ne pas être au courant que la GRC avait interrogé M. Wouters un mois auparavant et qu'on avait abusé de ce dernier.

Le gendarme Paquet a suggéré une rencontre entre les officiers de la FPF et le caporal Brennan, à son retour de congé. Il avait l'impression qu'une rencontre de ce type « améliorerait l'enquête afin d'éliminer les répétitions et d'obtenir des résultats d'enquête fructueux ». Il a parlé au caporal Doug Lockhart de son idée d'informer le caporal Brennan. Son rapport du 16 juillet mentionne que « le caporal Lockhart a communiqué avec le sergent d'état major F. Fearon, coordonnateur du dossier, et l'a informé des dernières nouvelles avec le service de police de F'ton ».

6.1.5 Deuxième rencontre avec la Force policière de Fredericton

La GRC de Toronto a envoyé un rapport d'enquête au gendarme Paquet afin de l'informer que, le 17 juillet 1991, ils ont interrogé M. Seguin dans son appartement. M. Seguin a déclaré qu'il avait été incarcéré à l'ÉFNB pendant six mois et que, une fois, il avait été dans le dortoir que M. Toft supervisait. Il a indiqué qu'il n'avait pas été agressé sexuellement à l'ÉFNB, mais qu'il avait parlé avec Mark Seymour et Pierre O'Connor, qui eux ont tous deux déclaré avoir été agressés. Mais ni l'un ni l'autre n'a voulu porter ces allégations devant le tribunal. Dans le rapport, le caporal Ken Johncox, de la GRC de Toronto a déclaré : « Aucune autre mesure ne sera prise dans cette affaire. ... ENQUÊTE CLOSE ». Le caporal Brennan a signé le rapport.

Le caporal Brennan est rentré de vacances le 30 juillet 1991. Dans un rapport de suivi qu'il a indiqué ce jour là, le caporal Brennan a écrit qu'il avait communiqué avec l'enquêteur Kelly et appris qu'ils disposaient « actuellement d'environ 40 chefs d'accusation en instance provenant d'entrevues avec 15 personnes. Ils ont une longue liste d'entrevues à effectuer. Leur ligne de conduite actuelle sera de porter des accusations d'ici un mois ». Ils ont donc prévu se rencontrer le lendemain afin de « discuter des dossiers pour éviter les répétitions [et] éventuellement se donner mutuellement un coup de main ».

Le 31 juillet 1991, le caporal Brennan a ajouté à son rapport de suivi que le sergent McNeill et lui avaient rencontré l'enquêteur Kelly,

qui a remis une liste de 47 noms de victimes potentielles identifiées par l'agent Reilly. Plusieurs de ces noms se trouvent dans notre dossier [et] on a déjà interrogé ces personnes. Toutefois, lorsqu'elles ont été interrogées par Reilly, qui les connaît personnellement de l'époque où il travaillât dans l'établissement, les garçons ont admis avoir été agressés sexuellement.

On a obtenu une copie de la liste de noms ainsi que la situation de tous les garçons de l'enquêteur de la FPF. On a organisé une autre réunion le 12 août 1991 afin d'échanger des rapports, des déclarations et d'autres renseignements utiles. « Une collaboration complète sera maintenue par les deux organismes. »

L'enquêteur Kelly a décrit la rencontre avec le sergent McNeill et le caporal Brennan dans un rapport de police de la FPF le 31 juillet 1991.

Des renseignements ont été échangés. On n'a discuté d'aucun plan d'orientation en particulier. On a parlé de l'orientation de l'enquête pour la GRC avec l'insp. Haines. Il a dit que les déclarations liées à des délits présumés avoir eu lieu sur leur territoire leur seraient transmises et que notre enquête demeurerait distincte de la leur.

6.1.6 Le profil de l'enquête augmente

Les 1 et 2 août 1991, le caporal Brennan a mis au courant les surintendants Matchim et Zaccardelli. Le surintendant Zaccardelli a suggéré de choisir le même avocat de la Couronne que la FPF. Dans son rapport de suivi du 2 août 1991, le caporal Brennan a déclaré que « jusqu'à maintenant, toutes les victimes potentielles ont été le résultat d'une stratégie systématique. Cependant, il semble que tous ceux qui ont été en contact avec Toft ont pu avoir été agressés d'une façon ou d'une autre et que notre approche devra peut être être plus globale... ».

Le caporal Brennan a envoyé son rapport de suivi du 2 août 1991 au sergent McNeill le 6 août 1991.

Cette enquête est maintenant sur le point de devenir une des affaires à caractère sexuel les plus médiatisées au Nouveau Brunswick en raison des nouvelles révélations sur Karl TOFT faites aux membres du service de police de Fredericton et aux membres de la GRC.

Il semble désormais que Karl TOFT ait tenté d'agresser sexuellement tous les garçons qu'il avait l'intention d'abuser. La seule façon de s'en assurer et de veiller à ce qu'une enquête complète ait été effectuée est de communiquer avec tous les garçons qui ont été en contact avec TOFT lorsqu'il travaillait au Centre de formation pour jeunes. Cela devra également comprendre des employés du Centre qui peuvent avoir leurs propres observations, etc., à ajouter à l'enquête .

Au sujet de la liste de 47 noms remise par la FPF, il a dit :

[P]lusieurs noms [sont] déjà mentionnés dans l'enquête de la GRC et ces garçons ont déjà été interrogés. Toutefois, j'ai appris que certains d'entre eux, déjà interrogés par les enquêteurs de la GRC et ayant nié avoir été agressés sexuellement par TOFT, ont maintenant fait une déclaration aux enquêteurs de la Force policière de Fredericton, selon laquelle ils admettent avoir été agressés sexuellement par TOFT. L'enquêteur KELLY m'a informé que le fait que l'agent REILLY ait été en contact avec ces garçons dans le passé est le meilleur moyen d'obtenir des révélations de leur part.

En plus des déclarations obtenues par les enquêteurs de la Force policière de Fredericton, j'ai récemment reçu des déclarations de Ryan Lariviere et Frank Dubois dans lesquelles ils admettent avoir été agressés sexuellement par TOFT. Dans sa déclaration, Lariviere a affirmé que lui et un autre garçon, Derek Plante, ont été agressés en même temps.

Le caporal Brennan a observé que les agressions avaient eu lieu non seulement à l'ÉFNB, mais aussi à différents endroits, dont la majorité est située à Fredericton. Il a affirmé avoir « récemment rencontré l'enquêteur Tim KELLY et qu'on avait organisé un échange complet de renseignements ainsi que pris des mesures pour parvenir à une collaboration à cette affaire ». Il a dit qu'il « rencontrerait de nouveau l'enquêteur KELLY le 12 août 1991 afin de lui donner une copie de toutes les déclarations et d'autres renseignements, comme il en avait fait la demande, pour l'aider dans son enquête à l'époque ». Il s'attendait à ce que, en retour, l'enquêteur Kelly lui remette des copies de toutes les déclarations des témoins de la FPF. Il a aussi mentionné que l'enquêteur Kelly lui avait précisé que l'avocat de la Couronne William Corby s'occuperait des poursuites au nom de la Villle de Fredericton. Il a répondu qu'il recommandait que ce soit le même procureur qui traite de toutes les questions relatives à l'affaire.

6.1.7 Le partage de renseignements

Le rapport du 2 août 1991 du caporal Brennan indique que l'enquêteur Kelly et lui croyaient tous deux que M. Toft avait agressé sexuellement des pensionnaires de l'ÉFNB pendant au moins 10 ans. Il a écrit que la GRC avait concentré son enquête sur les garçons que M. Toft emmenait à l'extérieur avec des permissions de sortie tandis que la FPF se concentrait sur les années de 1983 à 1985, période durant laquelle l'agent Reilly a travaillé à l'ÉFNB.

Il a joint une liste de tous les garçons identifiés jusqu'à maintenant comme victimes ou comme victimes potentielles. Les 54 noms ont été compilés à partir de renseignements provenant de la FPF, de M. Robicheau, des services de police du Nouveau Brunswick, ainsi que des entretiens avec les témoins et d'autres sources. Il a noté s'ils avaient été interrogés ou non, par qui et quand, et s'ils avaient admis ou nié avoir été agressés sexuellement ou avoir eu des contacts sexuels .

Le 7 août 1991, le caporal Brennan a rédigé un bordereau d'acheminement pour la gendarme Currie, au détachement d'Innisfail, en Alberta, pour lui demander d'interroger de nouveau Frank Dubois afin d'obtenir plus de détails sur ses allégations d'agression sexuelle contre Toft. Il a déclaré :

Cette affaire sera bientôt très médiatisée puisqu'elle implique un gardien de prison [et] probablement des centaines de garçons au cours d'une longue période. Il est donc crucial que nous soyions parés à toutes les éventualités. Je vous demanderais de rencontrer Dubois de nouveau afin de clarifier certains points [et] d'obtenir une nouvelle déclaration centrée sur le nombre (ordre) d'agressions, qu'il s'agisse d'agressions mineures (attouchements) ou d'agressions graves.

Il a donné d'autres idées pour de nouvelles questions et a ensuite rédigé un bordereau d'acheminement au gendarme Dave Hickey, du détachement de la GRC à Quesnel, en Colombie Britannique, pour demander qu'on fasse passer une nouvelle entrevue à Ryan Lariviere.

La rencontre entre la GRC et la FPF prévue le 12 août 1991 a été annulée lorsque l'enquêteur Kelly a informé le corporal Brennan qu'il ne pourrait y assister. Cependant, le caporal Brennan a obtenu de la FPF une copie des déclarations de témoin de MM. Wouters et Michael Petros.

Cet après midi là, il s'est rendu à l'ÉFNB afin d'obtenir des renseignements sur trois victimes potentielles. Dans son rapport de suivi du 12 août 1991, il a expliqué que Joe Keays, un employé de l'ÉFNB « m'a permis d'avoir accès à tous les vieux dossiers, que j'ai examinés [et] appris que l'enquêteur Kelly avait pris, à [l]'exception [de] quelques plus vieux dossiers, c. à d. : Lariviere, qui se trouvent aux Archives provinciales, à Fredericton, aux bons soins de Brian Mackin ». Toutefois, la plupart des dossiers de l'ÉFNB disponibles sur place portaient sur des personnes qui s'y trouvaient après le départ de M. Toft, et les dossiers plus vieux avaient été envoyés aux Archives provinciales. Les quelques-uns qui portaient sur des personnes qui se trouvaient à l'École lorsque M. Toft y travaillait avaient déjà été emportés par la FPF. Le caporal Brennan a observé : « Il est évident que je devrai passer quelque temps aux archives pour fouiller dans le passé du Centre ».

Dans son rapport de suivi du 13 août 1991, le caporal Brennan a raconté que l'enquêteur Kelly a communiqué avec lui et lui a dit que le personnel des Archives « lui avait raconté des sornettes ». Le caporal Brennan lui a demandé d'accéder aux dossiers de quatre personnes. L'enquêteur Kelly l'a informé que les dossiers de l'ÉFNB sur les « permissions de sortie » pour les dossiers des personnes n'étaient pas exacts et qu'ils feraient mieux de se fier au dossier sur les « permissions de jour », qui est un formulaire maître, plutôt qu'à celui sur les permissions individuelles.

Son rapport se poursuivait ainsi : « L'enquêteur Kelly fait observer que le domicile de Toft est un lieu de rencontre pour les adolescents du coin. Il devrait être surveillé [et] cela se fera peut-être pendant une journée ou deux avant l'arrestation ». Il a conclu sa note de service en dressant la liste des points à discuter avec le surintendant Zaccardelli, notamment la période à couvrir dans leur enquête, la surveillance du domicile de M. Toft avant son arrestation et l'enquête de la FPF. Cet après midi là, le caporal Brennan a organisé une rencontre avec l'officier de la Police criminelle, le surintendant Zaccardelli.

6.1.8 Préparation de l'arrestation de Karl Toft

Dans son rapport de suivi daté du 14 août 1991, le caporal Brennan a indiqué qu'il avait rencontré le surintendant Zaccardelli pour lui dire qu'ils recensaient au moins 10 déclarations d'agressions sexuelles dans plusieurs grands centres, principalement à Fredericton, et que les agressions avaient eu lieu pendant au moins 10 ans. Il a suggéré qu'il serait prudent d'assurer une surveillance physique de M. Toft avant son arrestation. Il a également mentionné s'inquiéter d'une « période cadre ». Ils ont décidé de concentrer l'enquête sur 1985, année des premières plaintes, celles qu'ont déposées Mark Seymour, Pierre O'Connor et John Leblanc auprès de David Forbes, et d'éventuellement examiner tous les dossiers de l'ÉFNB. Le but était de vérifier s'il y avait d'autres victimes qui n'auraient pas été identifiées au cours des recherches de la GRC (fondées sur les permissions de jour accordées aux pensionnaires de l'ÉFNB qui étaient avec M. Toft) ainsi que les recherches de la FPF (fondées sur les expériences de l'agent Reilly à l'ÉFNB) . « Cet examen donnera le ton à d'autres retours en arrière éventuels. »

Dans un rapport sur les personnes daté du 14 août 1991, le caporal Brennan a déclaré que Leo Filion, qui était incarcéré dans un établissement, était une victime potentielle identifiée par le directeur de l'ÉFNB, Ron Clark. M. Clark avait donné à l'agent Reilly une « liste de noms qu'il croyait être des garçons ayant une personnalité particulière, ayant passé un temps infini avec M. Toft, ou, pour une raison ou une autre, devraient être au moins interrogés ». L'enquêteur Kelly a fait référence à la liste de noms dans un rapport d'enquête de la FPF daté du 15 août 1991. Il y est écrit que l'agent Reilly a reçu une liste de 30 noms de la part de M. Clark, qui a déclaré qu'ils étaient « des étudiants qui semblaient être spéciaux pour M. Toft ou passaient beaucoup de temps avec lui. M. Clark croyait que, en raison du caractère de ces enfants, il serait plausible qu'ils aient été en contact sexuel avec Toft ». La GRC a reçu le dossier complet de la FPF en septembre 1991, y compris la liste de noms, après que la FPF a porté ses accusations.

Dans un autre rapport daté du 16 août 1991, l'enquêteur Kelly a noté :« Discuté avec l'insp. Haines au sujet de la liste de noms établie par Ron Clark, il a avisé que, en raison de la date de descente du 9 septembre 1991 [date à laquelle devait-il être arrêté] et la charge de travail actuelle, que les nouvelles victimes potentielles ne seraient pas interrogées tout de suite ».

Le 15 août 1991, le caporal Brennan a informé l'enquêteur Kelly que la GRC se concentrerait sur les pensionnaires de l'école en 1985 et fouillerait plus loin dans le passé à partir de cette année. L'enquêteur Kelly l'a avisé que leur enquête aurait porté sur toutes les victimes potentielles de 1982 à 1985 et qu'ils avaient une autre déclaration datant de 1981, au delà de leur mandat. Il l'a également informé qu'on effectuerait probablement une surveillance du domicile de M. Toft pendant une soirée de la semaine suivante.

Dans son rapport de suivi du 16 août 1991, le caporal Brennan a écrit :

On devra effectuer des recherches afin d'identifier tous les étudiants du CFJ en 1985 et d'identifier et de retrouver ceux qui n'ont pas déjà été interrogés. Un sondage par échantillons aléatoires peut signifier que Reilly et Kelly ont en effet déjà identifié toutes les victimes potentielles, mais, selon toute probabilité, un chiffre... sera avancé. Des recherches devront être effectuées pour identifier tous les étudiants participant au camp d'été de 1986 afin de déterminer si certains ont été agressés par Toft. Suivi effectué sur les sujets et les déclarations du dossier actuel en prévision des dossiers d'audience de sept. (Dubois, Lariviere, Derek Plante, Kirk Benson, Scott NFI).

Le 19 août 1991, il a discuté avec l'enquêteur Kelly et une rencontre a été organisée pour le lendemain. On lui a dit que l'avocat de la Couronne William Corby préparait un mandat de perquisition afin d'obtenir des dossiers aux Archives provinciales.

Le 16 août 1991, l'enquêteur Kelly a ajouté à son rapport que l'agent Reilly s'est rendu a l'ÉFNB « pour établir que les 18 dossiers dont nous avions besoin se trouvaient dans les archives ». L'enquêteur Kelly a dressé la lliste des 18 noms.

Le 22 août 1991, le caporal Brennan a écrit dans un rapport de suivi qu'il a rencontré le sergent McNeil afin de discuter de l'affaire.

Nous nous rencontrerons lundi après midi afin de décomposer le dossier pour le système TIP, puisque nous obtenons de plus en plus de noms. Nous commencerons par étudier l'année 1985, le camp d'été de 1986 [et] nous maintiendrons ensuite nos efforts en ce sens .

Il a parlé de leurs efforts dans un rapport d'enquête daté du 31 août 1991, lequel a également été signé par le sergent McNeill :

Tel que déclaré, l'auteur [Brennan] et le serg. McNEILL débuteront l'enquête axée sur le camp d'été de 1986 et sur l'exercice financier de 1985 au CFJ. Au cours de la semaine du 3 au 10 septembre 1991, nous nous concentrerons principalement sur l'enquête de la Force policière de Fredericton et la façon dont M. CORBY a traité le dossier d'audience.

6.1.9 Enquête indépendante

Le 20 août 1991, le caporal Brennan a rencontré l'enquêteur Kelly et l'agent Reilly, qui l'ont informé que l'avocat de la Couronne William Corby engagerait une procédure avec seulement un chef d'accusation par victime, et que Fredericton serait le point de repère puisque toutes les agressions ont eu lieu dans cette ville. Il a également dit au caporal Brennan que la FPF lui donnerait la liste des pensionnaires qui ont participé au camp d'été de 1986, liste que la FPF a obtenue auprès de l'école. Le caporal Brennan a donné aux enquêteurs de la FPF une copie du rapport de la GRC de Toronto sur l'entretien avec Warren Seguin.

L'enquêteur Kelly a indiqué que les accusations seraient portées contre M. Toft le 10 septembre 1991. Le caporal Brennan lui a demandé d'inclure dans ses renseignements que certaines infractions ont été commises dans d'autres sphères de compétence, notamment celles de la GRC et du Service de police de Moncton « afin que l'avocat de la Couronne soit au courant de ces faits lorsqu'il prendra ses décisions finales sur les accusations, les compétences, etc. » Le caporal Brennan a demandé une copie du dossier d'audience. Ils ont convenu que le caporal Brennan demanderait une décision écrite sur les chefs d'accusation touchant la sphère de compétence de la GRC à M. Corby.

L'enquêteur Kelly a fait savoir aux officiers de la GRC qu'il leur enverrait des renseignements sur une inconduite sexuelle de M. Toft chez les scouts. Il leur a donné le nom de Harold David comme personne-ressource pour le renseignement sur les Boy Scouts.

Le caporal Brennan a dit à l'enquêteur Kelly qu'il se « concentrerait désormais sur le camp de 1986, ainsi que sur un recensement de la population à partir de 1985 avec l'intention de fouiller dans le passé pour y découvrir d'autres victimes potentielles qui n'apparaissent pas dans l'enquête ».

L'enquêteur Kelly a déclaré que ses supérieurs l'avaient informé que la FPF mènerait l'enquête seule, sans la participation de la GRC. Le caporal Brennan a écrit : « Cela ne me dérange pas du tout, du moment que je peux connaître les détails de toutes les déclarations touchant la compétence de la GRC obtenues et m'assurer d'une constante coopération mutuelle ».

Dans son entretien avec la CPP le 10 mai 2006, le sergent Brennan, à la retraite, a émis des commentaires sur les relations de la GRC avec la FPF :

Après que tout cela ait commencé, toute l'enquête, tout d'un coup, Randy Reilly ... ancien garde à Kingsclear, ... tous ces enfants allaient vers lui pour lui raconter ce qui se passait là-bas. À l'époque, je me demandais « Pourquoi a-t-il soudainement sauté sur l'enquête » ... Un peu plus tard, le chef du service de police de Fredericton, Mac Carlisle... a dit aux [enquêteurs des services de police de la ville] de continuer seuls et j'ai eu de la difficulté à suivre ce qu'ils faisaient dans leur enquête parallèle et, au bout du compte, Tim Kelly, après que je l'aie coincé, m'a dit qu'il avait reçu l'ordre de poursuivre tout seul. De plus, ils se sont donné peu de temps pour effectuer l'enquête. À ce moment-là, ils fermaient l'enquête et n'allaient pas plus loin, ce qui était complètement différent de nos objectifs. ... J'ai dû les talonner pour savoir où ils en étaient dans l'enquête et ce n'est que grâce à ma détermination que j'ai pu leur soutirer quelques renseignements. ... Ils ne communiquaient rien de leur propre chef. ... Il y avait une sorte de course à l'époque, une sorte de compétition entre les services.

... Dans l'ensemble, ils faisaient leur travail... . Nous ne pouvions avancer parce que je voulais une OPC [opération policière conjuguée], mais ils avaient leur propre calendrier, qui ne comprenait pas une OPC. Et cela représentait un problème à l'époque puisque, pour moi, une OPC aurait été la façon logique de progresser et je travaillais de mon côté et j'essayais de suivre ce qu'ils faisaient en même temps. ... Je me souviens d'avoir appelé à plusieurs reprises le service de police de Fredericton et tenté de communiquer avec Kelly ou Reilly pour savoir ce qu'ils faisaient et essayé de mener mon enquête en fonction de leur travail, et cela était un problème .

Vous devez comprendre que, à l'époque, nous essayions de faire progresser les choses, mais ils suivaient un programme complètement différent. Et il était difficile pour nous de nous concentrer et de planifier s'ils travaillent seuls de leur côté, parce que nous savions que cela serait une fastidieuse et longue enquête. ... Mais le service de police de Fredericton suivait son programme et nous avancions en hésitant en les observant et en essayant de poursuivre notre enquête en même temps et finalement... lorsqu'ils ont commencé à porter leurs accusations, tout ce que nous avions réuni jusqu'à maintenant, nous allions l'ajouter à ce qu'ils avaient. La Couronne allait examiner tout ça et prendre des décisions à ce moment-là, mais nous n'avions aucune intention d'arrêter. Je veux dire, cela devait être réglé... et ils n'en faisaient pas partie.

6.1.10 Dossier de Karl Toft chez les scouts

Le 21 août 1991, le caporal Brennan a pu communiquer avec plusieurs personnes qui faisaient partie d'une troupe de scouts au milieu des années 1960. Il a fait passer une entrevue à Harold David et obtenu une déclaration de Denis Belleville, tous deux chefs scouts. Ils ont raconté que lorsqu'ils étaient jeunes scouts, ils ont découvert dans la roulotte de M. Toft quelques photographies sur lesquelles un de leurs amis apparaissait nu. Ils ont présenté les faits à M. Toft, qui a quitté les scouts peu de temps après, à condition qu'ils ne le dénoncent pas. Le caporal Brennan a également obtenu une déclaration de Jacques Dorais, le chef de M. Toft chez les Louveteaux. M. Dorais a expliqué que c'est lui qui avait encouragé M. Toft a entrer chez les scouts et qu'il l'avait également référé à l'ÉFNB. M. Toft a inscrit de nombreux pensionnaires de l'école chez les scouts.

M. Belleville a dit au caporal Brennan qu'en 1972, lui-même, M. David et Rick Morton, un autre ancien scout et aujourd'hui membre de la GRC, ont trouvé les photographies dans la roulotte de M. Toft. Le caporal Brennan a retrouvé M. Morton dans un détachement de la Colombie Britannique et a discuté avec lui le 27 août 1991. M. Morton se rappelait de l'incident et a accepté d'envoyer sa déclaration, que le caporal Brennan a reçue le 17 septembre 1991. Dans sa déclaration, M. Morton a souligné que le garçon apparaissant nu sur les photographies s'appelait Robert Nestor. On a finalement retrouvé M. Nestor à Halifax en novembre 1991 et il a déposé une déclaration de témoin. Il était la victime citée pour le chef d'accusation numéro neuf dans la déclaration sous serment faite par le caporal Brennan le 12 mars 1992.

6.1.11 Accent mis sur l'ÉFNB

Le 28 août 1991, le caporal Brennan a rédigé un rapport de suivi contenant des détails importants sur son enquête. Il a écrit qu'il a essayé de joindre M. Robicheau à son bureau au sujet des dossiers et des difficultés auxquelles il faisait face pour obtenir les dossiers des Archives provinciales. Plus tard cet après-midi-là, il a communiqué avec les Archives et on lui a dit que l'enquêteur Kelly avait été en contact avec Ian Culligan, directeur exécutif des Services correctionnels.

Le caporal Brennan a discuté de la question avec l'enquêteur Kelly le 28 août 1991. L'enquêteur Kelly a informé le caporal Brennan qu'il « était en contact principalement avec Ian Culligan, aux Archives, et qu'il se heurtait à un mur lorsqu'il tentait d'obtenir des dossiers ». L'enquêteur Kelly a également dit qu'il avait finalement dû avoir recours à un mandat de perquisition pour obtenir les dossiers. Il a précisé à M. Culligan et à l'archiviste de dossiers gouvernementaux Dale Cogswell qu'ils pourraient être inculpés pour « entrave ». Le caporal Brennan a conseillé à l'enquêteur Kelly de veiller à bien décrire les problèmes qu'il rencontrait avec M. Culligan.

Le caporal Brennan a également écrit dans son rapport que l'enquête de la GRC identifiait des victimes potientielles ayant participé au camp d'été de 1986 et ensuite revenait en arrière. Il a écrit que les dossiers devraient encore se trouver à l'école et entre les mains de la FPF, pas aux Archives.

Le 29 août 1991, il a porté son attention sur les dossiers de l'ÉFNB et sur la meilleure façon de les obtenir. Il a parlé de ses difficultés dans son rapport de suivi, en précisant qu'il avait avisé M. Cogswell que la GRC travaillait séparément de la FPF. M. Cogswell a expliqué les problèmes qu'il a surmontés afin de fournir les dossiers à l'enquêteur Kelly et a cité les paragraphes (1) et (2) de l'article 45.1 de la Loi sur les jeunes contrevenants. Il avait également communiqué avec le solliciteur afin d'obtenir un règlement empêchant l'utilisation des dossiers dans le but de nuire.

À la fin d'août 1991, les deuxièmes déclarations de témoin de Frank Dubois et de Ryan Lariviere ont été obtenues auprès de détachements de la GRC dans l'Ouest. Les deux témoins ont affirmé que M. Toft les avait agressés sexuellement lorsqu'ils étaient à l'école.

Au début du mois de septembre 1991, le caporal Brennan a tenté de localiser différentes victimes potentielles et a pris des déclarations de témoin. Il a consigné les noms qui ont retenu son attention dans un rapport sur les personnes.

À l'heure actuelle, nous avons ouvert environ cent cinquante fiches de renseignements. La plupart de ces fiches portent sur des personnes à interroger, y compris la liste de trente personnes provenant de la Force policière de Fredericton, des personnes qui ont appelé à la suite de la divulgation du communiqué de presse, des nouveaux suspects et d'autres victimes potentielles identifiées à partir des entrevues menées jusqu'à maintenant.

Le serg. G. McNEILL est en train d'établir des liens avec différents organismes pour essayer de déterminer le nombre de personnes qui ont été placées au CFJ et de procéder à des entrevues, comme on l'a indiqué précédemment... .

En raison du grand nombre de victimes, etc., des problèmes semblables à ceux qu'a connu la Force policière de Fredericton pourraient ralentir notre enquête pendant quelque temps. Les trois membres affectés à cette enquête tentent actuellement de retrouver et d'interroger les 32 victimes potentielles identifiées par l'agent Randy REILLY et les six victimes qui ont appelé la police après la divulgation du communiqué de presse en plus des noms des victimes potentielles identifiées par les anciens pensionnaires au cours des entrevues. On s'attend à ce que ce plan d'action permette d'obtenir un échantillon raisonnable pour démontrer l'étendue des infractions et que celles-ci ont eu lieu au cours des vingt années durant lesquelles TOFT travaillait au CFJ .

6.1.12 Accusations déposées par la Force policière de Fredericton

Le 15 août 1991, le caporal Brennan a discuté avec l'avocat de la Couronne William Corby et a appris que la FPF s'attendait à déposer des accusations moins d'un mois plus tard. La FPF devait avoir préparé un dossier d'audience pour le 3 septembre 1991. Le caporal Brennan a discuté du « nombre de victimes par rapport au nombre d'infractions, d'endroits, etc. » avec M. Corby. Ils ont convenu que la plupart des infractions avaient eu lieu à Fredericton et qu'il « serait beaucoup plus facile de s'occuper d'une sphère de compétence si tous les renseignements permettent d'engager une procédure en ce sens (c. à d., : 1 infraction [à] Kingsclear contre 5 à Fredericton - engager une procédure pour les 5 infractions à Fredericton) ». M. Corby était préoccupé par le « camp d'été 1986 auquel Toft a participé ».

M. Toft a comparu devant letribunal le 27 septembre 1991 et a choisi un procès devant juge et jury pour les accusations portées par la FPF le 10 septembre 1991. L'audience préliminaire devait avoir lieu les 28 et 29 janvier 1992. Howie Peters représentait M. Toft et Glen Abbott représentait la Couronne. Le caporal Brennan a discuté avec M. Abbott, qui était au courant de son enquête et a reconnu que la GRC pourrait avoir plus d'accusations à porter contre M. Toft. Il a informé M. Abbott que la GRC tenterait de porter ses accusations assez tôt pour laisser à la défense le temps de se préparer à l'audience préliminaire.

6.1.13 Sergent d'état major Ken Legge

En octobre 1991, l'équipe d'enquête de la GRC a été augmentée avec l'arrivée du gendarme Ken Legge, qui a immédiatement été affecté à une enquête sur plusieurs fiches de renseignements.

Au cours d'un entretien avec la CPP le 18 septembre 2006, M. Legge, aujourd'hui sergent d'état major à la Sous-direction des relations de travail de la GRC, a affirmé qu'il s'était associé avec le caporal Brennan pour l'enquête sur l'ÉFNB. Le caporal Brennan avait été « parachuté dans l'affaire depuis un certain temps » et lui « avait été en quelque sorte lancé dedans pour lui prêter main forte ». Une séance de stratégie au cours de laquelle les dossiers ont été distribués a été organisée avec le sergent McNeill, le caporal Brennan et le gendarme Legge comme procédure d'enquête de routine. Lorsqu'il s'est joint à l'enquête, le gendarme Legge travaillait sur d'autres dossiers. Il a dit à la CPP : « C'était, en quelque sorte, un projet sur lequel on travaille par intermittence... probablement la plupart du temps, à l'époque... mais je crois qu'il y avait des périodes assez longues... où je ne travaillais pas dessus ». Il a déclaré : « Nous ne ressentions jamais de pression... vous avez autre chose à faire... ce n'était qu'une question d'équilibre en tout temps... il n'y avait jamais... de pression d'une manière ou d'une autre pour faire avancer le travail ou se montrer plus coopérant... Je veux dire, ce n'était qu'un autre dossier ».

Il se souvenait avoir pour tâche d'obtenir des renseignements à l'automne 1991. On lui a montré le registre des renseignements (rapport), préparé par le caporal Brennan, et il a remarqué que son nom était inscrit à côté de 40 renseignements qui lui avaient été assignés. Il a expliqué qu'il « s'agissait là de personnes identifiées grâce à des fiches de sortie ou à une autre personne qui avait donné ces noms... comme victimes potentielles ». Il a dit qu'il avait fait tout ce qu'il avait pu pour localiser les personnes qui lui avaient été assignées.

Nous voulions communiquer avec ces personnes et nous avons fait ce que nous pouvions pour les retrouver... Nous n'avons pas seulement... tout arrêté et dit " désolé, nous ne pouvons pas les retrouver " ».

C'était un dossier très médiatisé. Ce n'était pas une affaire... de laquelle nous essayions de nous débarrasser et ce n'était pas du tout une couverture... nous faisions ce qui devait être fait en ce qui concerne ces renseignements. Absolument.

Ce n'était pas une entrevue de deux minutes. Certainement pas. Non... nous... avons essayé de les rallier à notre cause. Expliquer l'enquête... c'est certain que nous aurions [sic] été plus loin que ça.

Le sergent McNeill et le caporal Brennan ont continué d'enquêter activement sur les renseignements à l'automne 1991, consignant les résultats dans leurs rapports et citant les personnes qu'ils tentaient de retrouver et d'interroger dans leurs rapports sur les personnes. Il fallait entrer en communication avec des détachements situés dans d'autres provinces afin de demander à ce que certaines personnes soient localisées et interrogées. Par exemple, le 11 octobre 1991, le caporal Brennan a envoyé un message à deux détachements de la GRC à l'île-du-Prince-Édouard au sujet de Sam Neville et de trois autres victimes potentielles de M. Toft. M. Neville a été retrouvé et il a fait une déclaration. Le caporal Brennan a finalement porté des accusations contre M. Toft fondées sur la déclaration de M. Neville.

En plus de recueillir des preuves contre M. Toft, les officiers apprenaient par des personnes qu'ils interrogeaient qu'elles avaient été agressées par deux autres membres du personnel : Weldon (Bud) Raymond, gardien des Services correctionnels, et Hector Duguay, préposé à l'entretien et aux réparations; tous deux ont, plus tard, été déclarés coupables. Les officiers ont également fait passer des entrevues aux détenus de la prison provinciale de Saint John (prison de Black River), du pénitencier de Dorchester, et de l'établissement de Springhill afin de déterminer si certains des détenus avaient été pensionnaires à l'ÉFNB et s'ils avaient eux aussi été agressés sexuellement. Le travail d'enquête effectué ce mois-là a été récapitulé dans un long rapport d'enquête daté du 29 octobre 1991.

6.1.14 Remplacement du sergent McNeill

En novembre 1991, le sergent Gary McNeill, s.-off. responsable de la SEG de Fredericton, a été muté au détachement de McAdam, au Nouveau-Brunswick. Doug Lockhart, nouvellement promu sergent, l'a remplacé le 18 novembre 1991. Une semaine plus tard, le sergent Lockhart demandait à ce que le caporal Brennan le mette au courant de l'enquête sur l'ÉFNB. Au cours de son entrevue auprès de la CPP, le 24 novembre 2006, il a déclaré que le caporal Brennan l'avait informé que « ce dossier allait grossir et... il m'a dit qu'il était en quelque sorte débordé, qu'il avait besoin d'aide; que l'enquête devait être élargie ».

Le 25 novembre 1991, il a préparé un rapport contenant un plan opérationnel pour l'enquête. Dans son rapport, il indique que le caporal Brennan tentait d'avoir accès aux dossiers de l'ÉFNB aux Archives provinciales. Une fois les dossiers examinés, les membres de la GRC devaient être affectés à temps plein au dossier. Il était au courant qu'environ 150 victimes potentielles avaient été identifiées par la FPF durant son enquête.

Il a tenu son officier supérieur et commandant de la Sous-division de Fredericton, le surintendant Ford Matchim, au courant des progrès de l'enquête. Le surintendant Matchim n'a pas imposé de délai, sachant qu'il s'agissait d'une vaste enquête. « Cela devait prendre du temps et vous prenez tout le temps nécessaire pour le faire et le faire correctement. »

Au fur et à mesure que le temps passait, le sergent Lockhart se rendait compte qu'il ne pouvait porter toute son attention au progrès de l'enquête. Bien que ses supérieurs jugeaient l'ÉFNB comme une enquête importante, il était également enquêteur sur ses propres dossiers. Il se rendait lui même sur le site s'il y avait meurtre ou tentative de meurtre afin de « s'assurer que tout allait bien ».

6.1.15 Accès aux Archives provinciales

À la mi-novembre 1991, le caporal Brennan s'est laissé entraîner dans la tentative d'avoir accès aux dossiers de l'ÉFNB conservés aux Archives provinciales du Nouveau Brunswick. On a passé beaucoup de temps à négocier avec les employés du gouvernement provincial, le bureau de l'avocat de la Couronne et le ministère de la Justice. Le 27 novembre, le caporal Brennan a envoyé une note de service au surintendant Ford Matchim, commandant sous-divisionnaire de Fredericton, au sujet de l'accès aux dossiers de l'ÉFNB conservés aux Archives. Il a indiqué qu'il avait consulté l'avocat de la Couronne William Corby, qui n'a pas été d'une grande aide en ce sens. M. Corby a adopté la même position que les employés des Archives : la GRC n'y avait pas légalement accès à moins d'avoir le consentement de la personne sur laquelle portait le dossier. Le caporal Brennan a répliqué en faisant remarquer à M. Corby que l'article 45.2 de la Loi sur les jeunes contrevenants autorisait l'accès aux dossiers si on présentait une lettre ou un avis aux Archives . Ces tractations au sujet de l'accès aux dossiers ont duré jusqu'en décembre 1991.

Dans son rapport de suivi daté du 28 novembre 1991, le caporal Brennan a écrit que 85 anciens étudiants de l'ÉFNB avaient été interrogés, y compris MM. Seymour, Leblanc et O'Connor (les premiers plaignants auprès de David Forbes). À l'époque, la GRC tentait de localiser 45 personnes, dont 20 habitaient à l'extérieur du Nouveau Brunswick. Les résultats des entrevues indiquaient une proportion d'une victime sur cinq [c.-à-d., sur 5 victimes interrogées, une seule admettait avoir été agressée]. Le caporal Brennan croyait que deux facteurs faussaient ces chiffres : l'hésitation des victimes à faire une déclaration, et le fait que les personnes interrogées comprenaient un échantillon aléatoire et des noms fournis par d'autres sources.

En décembre 1991, le sergent Lockhart a reçu une note de service de la Police criminelle demandant que le caporal Brennan ou lui-même communique avec la directrice adjointe provinciale des procureurs de la Couronne, Mary Beth Beaton. L'OREC par intérim, l'inspecteur Rod Smith, a rencontré Paul LeBreton et Bob Murray; ils ont établi que Mme Beaton préparerait une demande d'ordonnance du tribunal pour avoir accès aux dossiers de l'ÉFNB conservés aux Archives. Le caporal Brennan a pris les mesures nécessaires pour rencontrer Mme Beaton afin de préparer les documents.

Il voulait être en mesure d'éplucher les dossiers de l'ÉFNB, d'obtenir et de dresser la liste des noms des pensionnaires et d'apporter les listes au bureau de la SEG. Une fois à la SEG, les noms recevraient un numéro de renseignements et un coordonnateur de dossiers les assignerait aux membres pour qu'ils interrogent autant d'anciens pensionnaires que possible. Les officiers devaient mettre tous les efforts possibles dans la recherche et l'interrogation des pensionnaires, même si cela exigeait de se déplacer souvent à l'extérieur de la province ou du pays.

Dans sa déclaration sous serment en faveur de la demande d'ordonnance du tribunal, datée du 10 janvier 1992, le caporal Brennan a affirmé que sans les dossiers conservés aux Archives, « il [serait] impossible de mener une enquête complète et fiable ». Sa déclaration soulignait également le cours de l'enquête en janvier 1992. Le caporal Brennan s'est décrit lui même comme l'« enquêteur en chef », précisant qu'il avait personnellement fait passer une entrevue à une cinquantaine d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB et qu'en tout 100 entrevues avaient été effectuées par d'autres membres de la GRC. À son avis, il avait des motifs raisonnables et suffisants pour accuser M. Toft d'infractions sexuelles et il avait l'intention de porter des accusations contre lui.

Mme Beaton, aujourd'hui à la retraite, a informé la CPP au cours de son entrevue le 22 janvier 2007 qu'elle n'était pas particulièrement nerveuse à l'idée d'aller au tribunal pour obtenir l'ordonnance. Elle s'est demandé si la cour exigerait qu'un avis soit envoyé à chaque victime. Cependant, le juge Cockburn a levé l'exigence d'avis. Le 13 février 1992, il a rendu son jugement par écrit, accordant l'accès à tous les dossiers de l'ÉFNB conservés aux Archives provinciales pour les années 1985 et 1986. Le 18 février 1992, le sergent Lockhart a nommé les gendarmes James McAnany et Lise Roussel pour éplucher les dossiers et dresser une liste de noms. Le 18 février 1992, le surintendant Matchim a envoyé une lettre à l'archiviste provinciale, Marion Beyea, l'avisant que les gendarmes avaient été désignés pour examiner les dossiers.

6.1.16 Jugement du tribunal

Dans son rapport d'enquête du 19 février 1992, le caporal Brennan a déclaré qu'une ébauche du dossier d'audience, y compris toutes les preuves et les victimes identifiées jusqu'à maintenant, avait été préparée aux fins de discussion avec l'avocat de la Couronne William Corby le 21 février. Il a conclu son rapport de suivi du 21 février 1992 en affirmant : « Je crois comprendre que les gendarmes McANANY et ROUSSELL ont presque terminé leur échantillonnage aléatoire et débuteront ces entrevues bientôt. En cours d'enquête ».

Le 10 mars 1992, le jour où l'audience préliminaire sur les accusations portées par la FPF contre M. Toft a commencé, le caporal Brennan a rencontré M. Corby. Il a été informé que la GRC déposerait ses accusations le lendemain et que la Couronne engagerait une procédure « par [m]ise en accusation ». Plus tard cet après-midi-là, le caporal Brennan a assisté aux procédures judiciaires et a dit dans son rapport que les témoins de la FPF se débrouillaient bien.

Le caporal Brennan a présenté une note de service au s.-off. resp. de la police contractuelle datée du 10 mars 1992, dans laquelle il donne des renseignements au sujet d'agressions commises par d'autres gardiens que M. Toft, ajoutant une nouvelle dimension à l'enquête :

Des allégations d'abus physique et sexuel par les suspects Weldon 'Bud' RAYMOND, Joseph Hector DUGUAY et (PI) ROBICHAUD sont documentées et on les croit solides. On prévoit des accusations contre RAYMOND et DUGUAY... . Notre plan d'action est de se concentrer sur Karl TOFT et ensuite directement sur les autres suspects mentionnés ci haut. Les entrevues restantes (environ 175) pourraient apporter de nouveaux renseignements ou de nouvelles déclarations.

... toutes les plaintes d'abus physique ont été notées et seront examinées à la conclusion du volet abus sexuel de l'enquête... Un abus flagrant d'autorité lié à un abus physique qui peut être corroboré recevra notre entière attention.

Le caporal Brennan a passé le 11 mars 1992 au tribunal. Il a déposé sous serment une dénonciation, un document qui donne des détails sur les chefs d'accusation, contenant 12 chefs contre M. Toft. M. Corby a annoncé qu'il n'avait pas l'intention de tenir une autre audience préliminaire sur les accusations de la GRC, entendant par là qu'il allait demander à l'avocat de M. Toft d'abandonner l'audience préliminaire sur la dénonciation que le caporal Brennan avait déposée le matin même.

M. Corby a alors analysé l'enquête du caporal Brennan afin de déterminer s'il y avait assez de preuves convaincantes, pertinentes et crédibles pour répondre à l'exigence « qu'une déclaration de culpabilité était plus probable qu'un acquittement ». Ce faisant, il a découvert que les chances d'une condamnation étaient raisonnables et a autorisé que les chefs d'accusation soient portés contre M. Toft. Celui-ci a plaidé coupable à la plupart des chefs de la mise en accusation, y compris à ceux sur lesquels le caporal Brennan avait enquêté en octobre 1991.

La CPP a interrogé M. Corby le 24 janvier 2007 dans son bureau du palais de justice de Fredericton. (M. Corby a été nommé avocat régional de la Couronne en 1988.) Il a été mis au courant des incidents qui ont eu lieu à l'ÉFNB lorsque l'agent Reilly a commencé son enquête en juin 1991. Il était chargé d'approuver les accusations de la GRC contre M. Toft et comme il voulait s'occuper d'un nombre réaliste d'accusations, il a fait une distinction entre attouchements mineurs et inconduites graves. Il croyait que ces accusations répondaient à la norme en matière d'inculpation, c'est à dire qu'une condamnation était plus probable qu'un acquittement. Cela signifiait qu'il croyait l'enquête de la GRC fiable.

6.2 Fin de la participation du caporal Brennan

Le rapport de suivi du 12 mars 1992 du caporal Brennan a été son dernier avant qu'il soit muté à Saint John à la mi mars. Il a écrit que lui même et M. Corby ont discuté le fait que les accusations touchant six victimes dont il avait donné les noms n'avaient pas été déposées. Cette décision à été prise à la suite d'une rencontre entre M. Corby et Bob Murray, directeur provincial des procureurs de la Couronne, au cours de laquelle on a déclaré que, étant donné le nombre d'agressions graves, toutes les déclarations mineures ne feraient pas l'objet d'une procédure. La même décision avait été prise pour l'enquête de la FPF. Le caporal Brennan a écrit que cela n'empêcherait pas d'appeler à témoigner certaines des victimes qui ne faisaient pas partie du dossier d'audience.

Le caporal Brennan a déclaré qu'il y avait quatre enquêteurs affectés à temps plein pour retrouver d'anciens pensionnaires. Il y avait 200 personnes à interroger, dont la majorité avait été identifiée à la suite de l'échantillonnage aléatoire effectué aux Archives provinciales. Le caporal Brennan espérait que, grâce aux entrevues restantes, d'autres déclarations seraient obtenues pour soutenir les allégations précédentes contre des membres du personnel de l'école, comme MM. Raymond et Duguay.

En ce qui concerne M. Toft, il a écrit :

Le 13 mars 1992, l'accusé a de nouveau comparu devant le juge Clendenning au moment où une audience préliminaire sur les accusations de la GRC était abandonnée. Nous entreprendrons un procès directement sur ces accusations. Je n'ai pas été au tribunal le 13 mars 1992, mais j'ai discuté avec M. CORBY plus tard ce jour-là pour juger de ce qui s'était passé. Au cours de ma discussion avec M. CORBY, j'ai appris que M. TOFT a indiqué qu'il était prêt à plaider coupable à la plupart des accusations, mais qu'il n'a jamais touché à certaines victimes identifiées. ... L'enquête se poursuit comme prévu.

6.3 Entrevues effectuées par la CPP

6.3.1 Sergent à la retraite Ray Brennan

La CPP s'est entretenue avec M. Brennan à son domicile au Nouveau Brunswick, durant deux jours, à partir du 10 mai 2006. Il a informé la CPP que, pendant quelques années, il a eu des pertes de mémoire à cause de problèmes de santé. La CPP a cru que le caporal Brennan avait fait tous les efforts nécessaires pour collaborer et avait tenté de répondre aux questions au mieux de ses capacités.

M. Brennan a joint les rangs de la GRC en 1975 et a pris sa retraite en 2000. Il a été affecté à des détachements durant plusieurs années et a passé huit ans à la SEG. Il a été affecté au détachement de Riverview de 1986 à 1988. Il a ensuite été muté au Groupe du crime organisé, à Saint John, et était en poste là-bàs lorsqu'il a été affecté à l'enquête sur l'ÉFNB à la fin mai 1991.

Il a confirmé qu'il est devenu l'enquêteur en chef pour l'enquête sur l'ÉFNB et Toft, en mai 1991. Il a dit de lui même qu'il « y travaillait seul », à l'exception de l'aide occasionnelle de son collègue de Saint John, le gendarme Ed Paquet, en particulier durant son congé, au mois de juillet 1991.

Il a expliqué comment il a commencé à participer à l'enquête :

Je crois que Tom Spink a d'abord effectué quelques entrevues sur l'affaire Kingsclear et celle-ci m'a par la suite été assignée. À l'époque, je crois qu'elle était close puis a été rouverte... . On m'a demandé d'y jeter un oil et on pensait que cela ne prendrait que peu de temps. J'ai finalement travaillé sur l'enquête pendant, je crois, de six à neuf mois avant de devoir partir et revenir à mon poste. À ce moment là, l'enquête prenait de l'ampleur et on n'en voyait pas la fin. Alors c'est pourquoi je suis retourné à mes tâches au Crime organisé et, au départ, il n'y avait que moi qui menais l'enquête et, au fur et à mesure qu'elle progressait, elle grossissait et d'autres membres se sont joints à l'équipe pour retrouver les personnes et les victimes qui étaient impliquées.

On lui a demandé : « Quelle était l'attitude de Zaccardelli dans toute cette affaire? » M. Brennan a répondu :

[I]l était entièrement solidaire envers moi et l'enquête... et il voulait faire du bon travail... et il voulait un travail bien fait et il était tout à fait solidaire envers nous .

Même si le surintendant Matchim était son superviseur immédiat, la première personne avec qui M. Brennan est entré en contact, après avoir appris qu'il enquêterait sur l'ÉFNB, est le sergent d'état major Fred Fearon.

Je suis allé à son bureau de Fredericton et nous avons eu une brève rencontre, et il m'a fait remarquer qu'il y avait eu un communiqué de presse ou quelque chose du genre à propos d'une victime qui s'était rendue aux médias pour se plaindre d'abus sexuel ou quelque chose du genre, abus physique je crois, un ou l'autre, je ne me rappelle pas, et que les médias faisaient pression afin de découvrir ce que nous faisions... il voulait que j'y jette un coup d'oil. ... Je crois que Tom Spink avait travaillé un peu sur l'affaire, mais il n'a pas pu continuer et il m'a demandé d'y jeter un coup d'oil et de conclure le tout en cinq jours. ... Je ne me rappelle pas si Gary McNeill a participé à l'enquête avant cela, mais je sais qu'il est arrivé après.

On lui a posé des questions sur le rôle du sergent McNeill à ce stade de l'enquête. Il a expliqué durant son entrevue qu'il ne se rappelait pas vraiment avoir travaillé à l'enquête avec le sergent McNeill en 1991. Ce n'est qu'après avoir examiné quelques documents de l'époque qu'il a admis avoir dû collaborer avec le sergent McNeill durant plusieurs mois. Sa réponse a été la suivante : « Il serait resté en marge afin d'offrir son aide... . Je travaillais à partir du bureau de la SEG et j'étais toujours l'enquêteur principal... Je crois que j'y travaillais essentiellement seul ».

Il a donné plus de détails sur la participation du sergent McNeill lors de l'entrevue du 11 mai 2006.

[L]orsqu'on m'a affecté au dossier, un meurtre avait été commis à Oromocto [le meutre Bischoff]... et c'est pourquoi la SEG de Fredericton était occupée à l'époque et pourquoi je ne me rappelle pas que Gary McNeill ait participé à l'enquête puisqu'il était responsable de la SEG à ce moment-là, il aura été complètement absorbé par [l'affaire du meurtre de] Bischoff. Tout le monde l'aura été et je suppose qu'au fur et à mesure que l'affaire tirait à sa fin, les gens se sont mis à participer à l'enquête.

6.3.2 Commissaire adjoint à la retraite Ford Matchim

Au cours de son entrevue avec la CPP le 9 septembre 2006, M. Matchim a parlé de sa vision de l'enquête :

Je croyais que nous avions réussi... de la bonne façon, quoique en y repensant et avec du recul, et vu l'importance des infractions de Toft au cours d'une période. ... Si j'avais su... elle est très importante, elle est très laborieuse, elle est critique... je peux certainement prendre du recul et dire que j'aurais plus axé mes efforts sur l'enquête dès le départ... . J'ai répondu... selon le rythme de l'époque... lorsque cela, cette plainte, nous a été transmise la première fois, venant d'un journaliste... la perception à mon niveau était que les « forces supérieures » essayaient de nous faire peur... à cause de... cette infraction sexuelle. ... Ensuite au niveau inférieur, je reçois les renseignements en vrac directement des gens... des enquêteurs en qui j'ai confiance... qui me disent... qu'il ne s'agit en fait que de conneries mineures... donc, avec ces premiers renseignements et les suivants... je n'ai pas reçu une bonne information au premier niveau. Ce qui signifie que je n'ai peut-être pas assez mis l'accent sur l'enquête et que ma concentration n'était peut-être pas bien dirigée... si les choses [avaient] été différentes... Je crois que la situation parle d'elle même.

7. Enquête menée par le sergent Doug Lockhart (1992-1994)

La GRC a poursuivi son enquête sur Karl Toft et l'ÉFNB même après que celui-ci a été cité à procès à la mi-mars 1992 pour répondre à plusieurs chefs d'accusation. Tout au long de cette partie de l'enquête traitée dans le présent chapitre, le sergent Doug Lockhart était le sous-officier (s.-off.) responsable des activités quotidiennes liées à l'enquête. Il a été promu s.-off. responsable de la Section des enquêtes générales (SEG) en novembre 1991. Le gendarme James McAnany a été nommé coordonnateur de dossier.

La composition de l'équipe d'enquête a été modifiée au cours de la période d'examen, selon les promotions et les transferts. Cependant, l'équipe comptait généralement les membres suivants : les gendarmes James McAnany, Lise Roussel, et Ed Paquet et le caporal Ken Legge. Le caporal Chuck Orem et les gendarmes Pat Cole, Denise Potvin, Rick Potvin, Shaun Ryan et Rick Evans ont participé à l'examen des dossiers.

Parmi les officiers supérieurs, il y avait le surintendant principal Herman Beaulac, commandant de la Division J, le surintendant Ford Matchim, commandant sous-divisionnaire de Fredericton, le surintendant Giuliano Zaccardelli, officier de la Police criminelle, et l'inspecteur Mike Connolly, officier adjoint en charge (off. resp.) de la Police criminelle, qui est arrivé en octobre 1992 et qui a souvent assumé les fonctions du surintendant Zaccardelli. La CPP a fait passer une entrevue à tous ces officiers.

7.1 Sommaire de l'enquête

7.1.1 Début des travaux de l'équipe d'enquête

Le 6 avril 1992, le sergent Lockhart a approuvé le rapport de la gendarme Roussel dans lequel elle indiquait qu'une équipe composée de quatre membres travaillait sur l'enquête concernant l'ÉFNB. Quarante-neuf personnes avaient passé une entrevue et quatre nouvelles victimes s'étaient manifestées. L'objectif des enquêteurs était de faire passer une entrevue à 100 pensionnaires de l'école qui y avaient séjourné entre 1965 et 1983 et d'évaluer s'ils y avaient subi des agressions physiques et sexuelles. Des dossiers d'information devaient être constitués pour les nouvelles victimes.

La gendarme Roussel a préparé des dossiers d'information concernant cinq nouvelles accusations contre M. Toft et les a soumis à l'avocat de la Couronne pour qu'il les étudie en avril 1992. M. Corby venait tout juste de terminer l'enquête préliminaire de M. Toft, avait obtenu une citation à procès et préparé l'acte d'accusation. Il avait indiqué aux officiers qu'il n'accepterait pas de nouvelles accusations, car il croyait que l'acte contenait suffisamment de chefs d'accusation. Il a suggéré que si M. Toft décidait de subir un procès, il envisagerait la possibilité d'utiliser les cinq nouvelles accusations comme « éléments de preuve similaires. »

Comme le sergent Lockhart l'a expliqué pendant son entrevue auprès de la CPP les 24 et 25 novembre 2006 :

L'enquête prenait plus d'ampleur... . Nous voulions en discuter avec la Couronne et le cmdt. Maintenant, nous devons inclure non seulement Toft, mais d'autres personnes au sein du CFJ et je crois que cette directive provient directement de l'officier de la Police criminelle et que celle-ci désirait inclure toutes les personnes du programme du CFJ, les gardiens, le personnel, tout le personnel, pour savoir si des actes de violence – peut-être des agressions physiques... ont été perpétrés. C'est alors que nous avons décidé d'aller de l'avant. L'enquête a pris de l'ampleur. Elle a pris de l'ampleur, parce que nous ne concentrions plus uniquement nos efforts sur Toft. C'était une grosse affaire... D'autres gardiens ont été accusés .

Le 5 mai 1992, le sergent Lockhart a indiqué dans une note à la police contractuelle que 110 anciens pensionnaires avaient passé une entrevue et qu'une enquête sur d'autres gardiens débuterait bientôt. À la mi-juin 1992, les enquêteurs avaient interrogé Weldon (Bud) Raymond et Hector Duguay, qui étaient tous deux suspects à l'époque. Le 9 juillet 1992, des dossiers d'information concernant les deux hommes avaient été préparés et présentés au bureau de l'avocate de la Couronne. Cependant, en novembre 1992, l'avocate de la Couronne a accepté que la GRC ne dépose pas tout de suite des accusations contre M. Raymond et M. Duguay en raison de l'enquête en cours sur d'autres gardiens et membres du personnel de l'ÉFNB.

7.1.2 Archives provinciales du Nouveau-Brunswick

Le 10 novembre 1992, une réunion de la SEG a eu lieu à laquelle a participé le surintendant Zaccardelli. On y a discuté de l'application d'une autre ordonnance judiciaire pour permettre l'accès aux dossiers de l'ÉFNB conservés aux Archives provinciales. Le surintendant Zaccardelli a recommandé qu'un échantillon de 100 personnes de l'École soit constitué, un peu comme cela avait été fait en février 1992. Cette fois, cet échantillonnage serait composé des gardiens et de membres du personnel, notamment MM. Raymond et Duguay. Les enquêteurs concentreraient leurs efforts sur les accusations portées contre d'autres membres du personnel, surtout sur ceux qui avaient été suspendus par l'ÉFNB et qui auraient peut-être agressé physiquement des pensionnaires.

Deux décisions ont été prises lors de la réunion hebdomadaire de la SEG du 30 novembre 1992 : le gendarme McAnany préparerait une autre demande d'ordonnance judiciaire pour élargir l'accès aux dossiers de l'ÉFNB aux Archives et ses collègues poursuivraient l'enquête sur les autres gardiens et le personnel de l'École. Comme le gendarme McAnany a par la suite rédigé un rapport, la SEG a reçu la mission « d'enquêter sur toutes les affaires d'agression actuelles à la lumière de l'éventuelle (à l'époque) enquête publique [enquête Miller] sur la façon dont le gouvernement a répondu aux plaintes contre l'ancien agent de correction, Karl Toft, et dont il les a traitées . » La demande d'ordonnance judiciaire avait pour but d'obtenir un plus grand nombre de noms d'anciens pensionnaires et des victimes potentielles en procédant à un échantillonnage des dossiers archivés de l'ÉFNB.

Lors d'une réunion de la Police criminelle du 8 décembre 1992, il a été indiqué que le gendarme McAnany présenterait son affidavit en appui de la demande aux Archives à la directrice adjointe provinciale des poursuites pénales, Mary Beth Beaton. Les enquêteurs étaient à la recherche de dossiers de l'ÉFNB liés à MM. Raymond et Duguay et à tout autre employé ou visiteur adulte de l'École. Les participants de la réunion ont aussi appris que Randall James Cranshaw a discuté des agressions dont il a été victime avec un journaliste du Daily Gleaner. Ils ont également su qu'ils recevaient toujours des plaintes d'anciens pensionnaires contre M. Toft, qu'ils consignaient des renseignements sur celles-ci et qu'ils faisaient enquête.

7.1.3 Prononcé de la sentence contre Karl Toft

Le 4 décembre 1992, le juge David H. Russell a condamné M. Toft à 13 ans de prison après avoir été reconnu coupable de 34 chefs d'accusation : 11 pour agression sexuelle, 11 pour sodomie et 12 pour attentat à la pudeur sur 18 victimes en tout, toutes des pensionnaires à l'ÉFNB entre 1966 et 1986. Le gendarme McAnany a assisté à l'audience de détermination de la peine de M. Toft à la Cour du Banc de la Reine et a pris des notes lors des procédures.

Lorsque la CPP lui a demandé quelle avait été sa réaction et celle des autres enquêteurs au prononcé du verdict, le sergent Lockhart a répondu :

Bien, 13 ans de pénitencier, c'est long. Mais... si on considère ce qu'il a fait, les vies qu'il a détruites... la peine aurait pu être beaucoup plus sévère. Mais... je crois que les membres en général se disaient « quel genre de peine donner à quelqu'un comme ça? Et devrait-il même être réinséré dans la collectivité? » Je pense que plusieurs personnes croyaient qu'il en prendrait pour 20 ans ou même qu'il serait condamné à perpétuité... D'autres gars étaient vraiment déçus de la sentence... mais en général, les officiers supérieurs savaient qu'on ne pouvait rien y faire et que nous ne ferions aucune déclaration publique... . Je pense... que la plupart d'entre eux jugeait qu'il méritait de demeurer derrière les barreaux pendant très, très longtemps .

7.1.4 Plan d'enquête

Lors d'une réunion de la Police criminelle et de la SEG le 15 janvier 1993, les officiers ont discuté du plan pour la nouvelle année qui concernait la poursuite de l'enquête sur de possibles agressions physiques perpétrées par des gardiens à l'ÉFNB. L'équipe a aussi été informée qu'une demande d'accès aux dossiers de l'ÉFNB conservés aux Archives était en cours de préparation. De cette façon, il serait possible de réaliser un échantillon d'anciens pensionnaires qui auraient pu avoir été en contact avec MM. Toft, Raymond, Duguay et d'« autres personnes actuellement sous enquête. » Les enquêteurs désiraient communiquer avec chaque pensionnaire, puis interroger les surintendants de l'ÉFNB. Le gendarme Rick Evans s'apprêtait à rédiger un rapport sur l'ensemble de l'enquête.

Le 2 février 1993, le juge Cockburn a accepté une deuxième demande d'accès aux dossiers de l'ÉFNB conservés aux Archives en se fondant sur l'affidavit du gendarme McAnany. Les gendarmes Rick Potvin et Shaun Ryan se sont rendus aux Archives entre le 15 et le 18 février 1993 et ont consulté les dossiers des pensionnaires qui avait été en contact avec M. Raymond et M. Duguay, entres autres. Ils ont rempli un profil de la victime pour chaque ancien pensionnaire de l'ÉFNB qui présentait un intérêt pour eux. En date du 22 février, les recherches avaient permis de dénicher 100 autres noms liés aux suspects, MM. Duguay et Raymond. Les officiers Orem, Cole, Ryan et Potvin ont alors commencé à retrouver et à interroger les anciens pensionnaires.

En date du 12 mars 1993, les enquêteurs avaient interrogé 20 anciens pensionnaires qui avaient été en contact avec MM. Duguay et Raymond. Ils ont appris que 9 anciens pensionnaires étaient décédés et ont effectué des recherches auprès des détachements des autres provinces sur 40 autres victimes potentielles.

En date du 23 avril 1993, les recherches effectuées dans les Archives ont permis de retrouver les noms de 103 anciens pensionnaires. Trente-deux fiches restaient à étudier, 16 dans la province et 16 à l'extérieur. Quatre victimes étaient prêtes à témoigner contre M. Duguay, ce qui a mené à cinq chefs d'accusation. Sept victimes étaient prêtes à témoigner devant le tribunal contre M. Raymond, ce qui a mené à sept chefs d'accusation. Les officiers ont aussi découvert 20 nouvelles victimes potentielles de M. Toft. Le gendarme Cole devait suivre les 120 fiches de l'enquête originale sur M. Toft.

Le gendarme McAnany a rédigé un rapport d'enquête daté du 4 juin 1993 dans lequel il parle d'une troisième demande acceptée par la cour pour accéder aux rapports de l'ÉFNB conservés aux Archives. Il désirait obtenir les dossiers concernant les enquêtes sur certains gardiens et membres du personnel actuels et passés de l'ÉFNB, autres que MM. Raymond et Dugay. Il indiquait que sept chefs d'accusation relatifs à des actes sexuels devaient être déposés contre M. Raymond. L'avocate de la Couronne Hilary Drain aidait à rédiger l'affidavit et avait été assignée pour tenir une audience devant le tribunal.

Il a été annoncé à la réunion hebdomadaire de la SEG du 21 juin 1993 que l'équipe d'enquête allait mettre l'accent sur les membres du personnel de l'ÉFNB qui avaient été suspendus par les services correctionnels, selon les résultats des enquêtes de la GRC.

Dans son rapport du 29 juillet 1993, le gendarme McAnany a écrit que M. Duguay avait été cité à procès, même s'il était toujours sous enquête pour deux autres agressions sexuelles qui avaient été signalées récemment. Dans le même rapport, il indiquait que 30 présumées victimes d'agression sexuelle par M. Toft s'étaient manifestées depuis le prononcé de sa sentence le 4 décembre 1992, notamment Randall James Cranshaw.

Le procès-verbal de la réunion hebdomadaire de la SEG du 9 août 1993 indiquait que les gendarmes McAnany et Roussel examinaient les dossiers d'information relatifs aux nouveaux chefs d'accusation. Ils devaient les remettre à l'inspecteur Connolly, l'officier intérimaire de la Police criminelle, qui les présenteraient à Robert Murray, le directeur provincial des poursuites pénales.

Les rapports de suivi du gendarme McAnany pour le mois d'août 1993, surtout du 9 et du 16, indiquent qu'il participait activement à l'enquête sur les allégations faites par M. Cranshaw.

7.1.5 Clôture de l'enquête sur Toft

En date de septembre 1993, la section du sergent Lockhart était en mesure de recommander que plusieurs nouvelles accusations puissent être portées contre M. Toft. Cependant, le 13 septembre 1993 la GRC a reçu une lettre du directeur provincial des poursuites pénales, M. Murray, indiquant que son ministère n'accepterait plus que d'autres accusations soient portées contre Toft. Il citait plusieurs raisons et affirmait que cette décision était fondée sur des principes de détermination de la peine. Le sergent Lockhart a rédigé un rapport qui a été soumis au commandant s.-div. de Fredericton, le surintendant Wayne Wawryk et au s.-off. resp. de la Police criminelle, l'inspecteur Connolly, le 17 septembre 1993. Dans ce rapport, il s'opposait à la position prise par le ministère de la Justice et insistait, au nom des victimes, que les accusations soient déposées. Lorsqu'il a été interrogé par la CPP, le sergent Lockhart a affirmé ce qui suit :

Je me souviens bien de ce qui s'est passé. Tous les membres disaient « Pourquoi accomplir tout ce travail s'il doit être suspendu... » ces victimes ont aussi voix au chapitre... [E]lles avaient besoin de voir que justice avait été rendue... et la plupart d'entre elles était très bouleversées par cette situation.

Le sergent Lockhart a conclu son rapport en ajoutant « que ce serait une injustice de dire maintenant aux victimes que des accusations ne seraient pas portées. »

Lors de la réunion hebdomadaire de la SEG du 30 septembre, le sergent Lockhart a transmis des renseignements de l'inspecteur Connolly selon lesquels la Couronne envisagerait la possibilité de porter de nouvelles accusations contre M. Toft, mais aussi que le procureur général pourrait y surseoir. Les personnes présentes à la réunion étaient préoccupées par cette possibilité et insistaient pour que des accusations soient portées.

Le sergent Lockhart avait été informé par l'inspecteur que Glen Abbott serait l'avocat de la Couronne qui examinerait les dossiers d'information concernant les nouvelles accusations portées contre M. Toft. Il a indiqué lors de la réunion hebdomadaire de la SEG du 4 octobre que le gendarme McAnany, le coordonnateur de dossier, rencontrerait M. Abbott le 6 octobre 1993 pour discuter des dossiers d'information. Il avait été décidé qu'aucune accusation ne serait portée contre Patrick Tomomsky, Taylor Roberts, Jean Bedard et Simon Williamson, anciens membres du personnel de l'ÉFNB, parce que les probabilités qu'ils soient reconnus coupables étaient minces. L'enquête sur Brad Finlayson et Gerald Belanger se poursuivait, mais on s'attendait à ce qu'aucune accusation ne soit portée en vertu de la partie 27 du Code criminel, qui énonce qu'une déclaration de culpabilité par procédure sommaire ne peut pas être engagée six mois après que l'infraction a été commise.

Le gendarme McAnany a rencontré M. Abbott pour examiner les dossiers d'information sur les nouvelles accusations portées contre M. Toft le 6 octobre 1993. Il a rédigé plusieurs pages de notes sur les questions qui préoccupaient M. Abbott à la lecture des dossiers. M. Abbott avait des interrogations sur les accusations liées à M. Cranshaw, qui prétendait aussi avoir été agressé par M. Raymond, et a demandé au gendarme McAnany d'examiner les antécédents médicaux de M. Cranshaw.

À la suite d'un examen du dossier Toft, M. Abbott a demandé à la GRC de faire passer une nouvelle entrevue aux 26 victimes et témoins. Le sergent Lockhart a fait cette annonce lors de la réunion hebdomadaire de la SEG du 14 octobre 1993. L'équipe de la SEG a accepté de procéder à de nouvelles entrevues et la direction a affecté d'autres enquêteurs à cette enquête. Le 21 octobre 1993, les enquêteurs se sont réunis à nouveau après avoir accédé à la demande de M. Abbott de poursuivre l'enquête et de recueillir de plus amples renseignements. Le sergent Lockhart a rencontré M. Abbott le lendemain. Les officiers étaient d'avis qu'ils avaient suffisamment de preuves pour porter 15 chefs d'accusation contre M. Toft pour agression sexuelle sur 13 victimes. M. Abbott était d'accord. L'après-midi même, le gendarme McAnany a juré que les nouveaux renseignements concernant M. Toft étaient vrais.

Le 25 octobre 1993, M. Abbott a écrit au sergent Lockhart pour l'informer que d'autres accusations seraient portées contre M. Toft le 22 octobre 1993. Cependant, le 29 octobre, le procureur général Edmond Blanchard a demandé à M. Abbott d'inscrire une suspension d'instance concernant les accusations. L'équipe du sergent Lockhart a été déçue de cette décision. Plus de 15 victimes ont dû être avisées qu'il n'existait plus de recours concernant leurs plaintes. Étant donné qu'il n'y avait plus d'enquête à terminer sur M. Toft, une conclusion serait déposée.

Le 29 novembre 1993, le sergent Lockhart et le gendarme McAnany ont signalé qu'en ce qui concernait l'équipe de la SEG, l'affaire de l'ÉFNB était close.

Le 8 novembre 1993, le sergent Lockhart a indiqué par écrit à l'officier de la Police criminelle, l'inspecteur Connolly, que son équipe continuerait de faire enquête sur toutes les plaintes reçues concernant les agressions commises à l'ÉFNB. Il a précisé qu'il y avait 14 accusations criminelles pour lesquelles les procédures seraient suspendues pendant 11 mois pour voir si la suspension serait annulée. Il y avait 11 autres infractions rapportées et en cours d'enquête au moment de la suspension. Elles seraient examinées et des accusations seraient portées si la suspension était levée. Le sergent Lockhart avait confirmé à l'inspecteur Connolly qu'après la suspension des procédures, des déclarations de victimes et de témoins avaient été recueillies, mais que d'autres recherches n'avaient pas été effectuées aux Archives. L'inspecteur Connolly a demandé à ce que la SEG continue de recueillir les déclarations de tous les témoins aux fins de classement si jamais la suspension était levée.

7.1.6 Quatrième ordonnance judiciaire

Dans un rapport qu'il a rédigé le 15 février 1994, le gendarme McAnany a fait référence aux neuf autres dossiers d'information toujours en suspens. À son avis, les dossiers, parmi lesquels certains portaient sur d'anciens pensionnaires dont les noms avaient été découverts lors des recherches dans les Archives, ne nécessitaient plus de s'y atteler. Il a mentionné que d'autres efforts seraient déployés, notamment pour tenir des entrevues et recueillir des formulaires d'autorisation médicale, concernant la plainte de M. Cranshaw. L'audience préliminaire pour l'affaire de M. Raymond, qui aurait été agressé par M. Cranshaw, était prévue pour avril 1994 .

Le 29 septembre 1994, le gendarme McAnany a été en mesure d'obtenir une quatrième ordonnance pour accéder aux Archives. Cette ordonnance avait pour but d'examiner les dossiers associés à l'enquête sur M. Raymond. Le gendarme McAnany a effectué son examen des dossiers le 4 octobre 1994 à la recherche du dossier de M. Cranshaw, parmi d'autres pensionnaires.

Le gendarme McAnany a assisté aux procès de M. Raymond en octobre et en novembre 1994. Les procès se sont tenus à Saint-John et à Fredericton, chaque procès étant en lien avec des infractions qui se seraient produites dans chaque ville respective. Le 26 octobre 1994 et le 21 novembre 1994, il a rédigé une conclusion de rapports d'enquête dans laquelle il a indiqué que M. Raymond avait été acquitté de tous les chefs d'accusation déposés contre lui.

Certains des chefs d'accusation du procès de Fredericton concernaient M. Cranshaw. Maintenant sergent, McAnany a expliqué à la CPP que l'avocat de la Couronne Drain et lui avaient décidé de ne pas aller de l'avant avec les chefs d'accusation pour lesquels M. Cranshaw avait été cité comme victime de M. Raymond. M. Cranshaw était arrivé en retard pour sa comparution devant le tribunal pour témoigner contre M. Raymond. Mme Drain et le gendarme croyaient que M. Cranshaw leur avait délibérément menti et ignoraient s'ils pouvaient lui faire confiance devant le jury. L'explication du retard de M. Cranshaw s'était révérée fausse et cette information devrait être communiquée à la défense, ce qui en bout de ligne minerait sa crédibilité. Par conséquent, ils ont décidé de retirer les chefs d'accusation liés à M. Cranshaw.

Pendant son entrevue auprès de la CPP, le sergent McAnany a affirmé qu'il avait parlé à M. Cranshaw à plusieurs reprises après le 4 novembre 1992 lorsque M. Cranshaw avait annoncé qu'il était prêt à faire une déclaration. Il a affirmé que tout avait été documenté et qu'il était persuadé que tous les renseignements pertinents avaient été communiqués. Il a reconnu que M. Cranshaw avait un passé criminel et que

il n'était pas fiable. Il s'est bien comporté avec moi... lorsque nous nous sommes rencontrés et que nous avons discuté, mais j'avais de la difficulté à évaluer la valeur des renseignements qu'il me divulguait. Je voulais sans doute lui donner un peu trop le bénéfice du doute et croire ce qu'il me disait... Il est difficile de traiter avec lui. Il est difficile de le contrôler. Il est difficile de se concentrer sur un sujet en particulier. Des détails. Renseignements, ce type de choses; c'est ce dont je me souviens de lui.

La CPP a demandé au sergent McAnany s'il croyait M. Cranshaw lorsque celui-ci a indiqué qu'il avait été agressé à l'ÉFNB. Sa réponse a été la suivante : « Eh bien, je pense que je l'ai toujours cru... Ces agressions ont probablement eu lieu. C'était une victime. »

7.2 L'équipe d'enquête

7.2.1 Sergent Doug Lockhart

Le sergent Doug Lockhart a joint les rangs de la GRC en 1973. En octobre 1988, il a été transféré à la SEG de Fredericton comme caporal. Il faisait partie de la SEG au début de l'enquête sur l'ÉFNB lorsque le gendarme Tom Spink en était l'enquêteur. Il occupait le même poste et le même grade lorsque le sergent Gary McNeill et le caporal Ray Brennan faisaient enquête sur les événements survenus à L'ÉFNB. Il a indiqué qu'il « n'avait vraiment rien à voir avec cette affaire... Même lorsque Ray était encore là, je n'avais vraiment pas grand-chose à faire dans l'enquête. » Il a ajouté que les enquêteurs qui faisaient partie de la SEG travaillaient sur d'autres affaires, « vols à main armée, meurtres, etc., et qu'il ne s'agissait que d'une unité de quatre hommes. »

Il a décrit l'équipe d'enquêteurs en termes positifs :

La plupart des membres de la SEG étaient des officiers d'expérience. Mais si vous étiez un policier peu consciencieux sur le terrain, vous n'aviez normalement aucune chance de faire partie de la SEG... . Ils recherchent des enquêteurs qui désirent travailler sur des enquêtes criminelles plus sérieuses. ... Lorsqu'ils font partie de la section, ils sont assez responsables pour aller faire leur enquête... Ce sont habituellement des officiers assez dignes de confiance qui deviennent membres de cette section.

Le 11 mai 1994, le sergent Lockhart a été transféré au détachement de Sussex et a cessé de participer à l'enquête. Lorsqu'il a été interrogé par la CPP, on lui a demandé son point de vue sur l'enquête dans son ensemble en qualité de s.-off. resp. de la SEG et sur l'équipe d'enquête. En ce qui concerne les plaintes de victimes potentielles, il a affirmé : « En termes simples, si leur plainte était légitime, ... elle devait faire l'objet d'une enquête en bonne et due forme, comme nous le faisions depuis le début. » Il a affirmé que le fait que certaines des présumées victimes aient un casier judiciaire ou qu'elles aient été étiquetées comme des « personnes de mauvaise moralité » n'a joué en rien dans la façon dont les enquêteurs ont traité avec elles .

7.2.2 Sergent James McAnany

Le sergent James McAnany s'est joint à la GRC en juin 1979. Il est devenu membre de la SEG en même temps que le sergent McNeill, qui est devenu le s-off. resp. de la SEG lorsque Doug Lockhart était corporal. Au début de l'année 1992, le sergent Lockhart l'a nommé coordonnateur de dossier et enquêteur principal de l'enquête sur l'ÉFNB, poste qu'il a occupé jusqu'à son transfert en 1994.

Le sergent McAnany a affirmé à la CPP que lorsqu'il a débuté, l'enquête portait sur M. Toft. Il savait que le caporal Brennan travaillait à la préparation de documents en appui à une demande auprès du tribunal pour avoir accès aux dossiers de l'ÉFNB conservés aux Archives provinciales. La première tâche qu'il a dû accomplir lorsqu'il a pris part à l'enquête sur Toft a été d'examiner les dossiers d'enquête constitués jusque-là. Il savait que l'enquête de la FPF qui avait débuté en juin 1991 avait « réellement permis de faire des progrès... . Ce sont vraiment eux qui ont enclenché le processus... surtout Randy Reilly. » Il s'était habitué au rôle qu'avait joué le gendarme Ed Paquet dans l'enquête.

Il jugeait que l'enquête progressait très lentement en novembre et en décembre 1991. Selon lui, le caporal Brennan, qui travaillait seul sur l'affaire depuis déjà quelque temps, avait grandement besoin d'aide et « il n'était pas du tout prêt à déposer des accusations. » Il a commencé à participer activement à l'enquête le 27 novembre 1991 et y a travaillé pendant les deux années qui ont suivi.

Après qu'il s'est joint à l'équipe, l'enquête a pris un peu plus d'importance chaque jour. Il a indiqué qu'il passait « plusieurs longues heures à travailler en soirée juste pour ne pas prendre de retard... il me semble que lorsque je revenais au travail le lundi, il y avait une boîte de plus qu'après mon départ le vendredi. Cette enquête ne cessait de prendre de l'ampleur. » Il a affirmé que ses officiers supérieurs laissaient les enquêteurs faire le travail et consacrer leur temps à l'enquête. Pour ce qui est des ressources, il a ajouté : « J'étais satisfait de l'attention qui était accordée à cette enquête. Même si on en voudrait toujours davantage, mais ça ne serait jamais assez. » La CPP a demandé si l'enquête avait piétiné ou ralenti en raison du manque de ressources ou parce que ses enquêteurs étaient pris par d'autres enquêtes. Il a répondu : « Non. Absolument pas. » Il a conclu en disant que « Doug [Lockhart] n'avait pas peur de mettre la main à la pâte et Chuck Orem et... ils prenaient les dossiers et faisaient ce qui devait être fait... et il y avait une bonne relation de travail entre nous tous. C'était un bon groupe de travail. »

Lors de son entrevue auprès de la CPP, il était en accord avec le contenu du rapport du sergent Lockhart daté du 3 février 1992 et se souvenait de la tâche qui avait été assignée à la gendarme Roussel et à lui-même aux Archives : examiner un « échantillon » prélevé à partir des anciens pensionnaires pour déterminer ce qui devait être fait pour faire progresser l'enquête. Le sergent Lockhart a indiqué dans sa note que « notre section allait prendre en main cette affaire à compter du 13 février. » Cette remarque lui laissait croire que le caporal Brennan allait officiellement remettre cette affaire au sergent Lockhart et à son unité. Bien que le sergent ne s'en souvienne pas, le caporal Brennan s'affairait à préparer des dossiers d'information pour l'avocat de la Couronne William Corby en février 1992 pour que la GRC puisse déposer ses accusations contre Karl Toft d'ici le 13 mars 1992.

Au début de février 1992, il a fait passer une entrevue à plusieurs victimes potentielles et d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB, des fiches que le caporal Brennan n'avait pas eu le temps d'étudier. Il a reçu une copie de l'ordonnance du juge G. William N. Cockburn qui permettait à la GRC d'accéder aux dossiers de l'ÉFNB conservés aux Archives peu après le 13 février et a débuté l'examen des dossiers avec la gendarme Roussel le 18 février 1992.

L'examen des dossiers archivés avait pour but de procéder à un échantillonnage aléatoire des pensionnaires de l'ÉFNB entre 1965 et 1986. L'objectif initial était de sélectionner 100 noms. Ils tentaient de déterminer l'ampleur des « agressions ». Une fiche de renseignements était établie pour chaque nom de manière à conserver un dossier de tout ce qui concernait cette personne et les enquêteurs tentaient de la retrouver. Ils procédaient à une première entrevue téléphonique et prenaient rendez-vous pour une entrevue afin de vérifier si la personne était au courant des allégations d'agressions survenues à l'ÉFNB. Ensuite, ils tentaient d'obtenir une déclaration écrite et de savoir si cette personne connaissait les noms d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB. Un autre objectif consistait à confirmer les dates exactes d'arrivée à L'ÉFNB et de départ du pensionnaire pour répondre aux exigences de la juridiction temporelle concernant des renseignements à venir, un document légal utilisé devant le tribunal provincial pour décrire brièvement les accusations.

Il a confirmé à la CPP un rapport du 21 février 1992, dans lequel le caporal Brennan affirmait que les dossiers d'information relatifs aux accusations portées contre Toft avaient été soumis à M. Corby et que les gendarmes McAnany et Roussel venaient tout juste de procéder à l'échantillonnage aléatoire aux Archives et qu'ils débuteraient bientôt les entrevues. Il a indiqué à la CPP que pour chaque individu dont le nom avait été extrait des dossiers aux Archives, ses collègues et lui écrivaient un rapport sur les personnes et les renseignements qu'il contenait étaient plus tard saisis dans le Système de récupération de renseignements judiciaires (SRRJ) de la GRC.

Cet exercice a permis aux enquêteurs de retrouver d'anciens pensionnaires et de déterminer à quelle fiche ils étaient associés de manière à minimiser leur répétition inutile. Les rapports sur les personnes étaient continuellement mis à jour avec les nouveaux renseignements qu'ils obtenaient. De plus, un dossier était créé pour chaque fiche. Il a affirmé que « chacun d'entre nous devait mettre à jour les renseignements au fur et à mesure que nous les recevions... ». Ses collègues de la SEG et lui comptaient sur la précision des renseignements contenus dans les rapports sur les personnes. La gendarme Roussel et lui utilisaient aussi un formulaire de profil de victime pour consigner les noms et les détails des anciens pensionnaires, de même que le code de référence des Archives.

Un numéro de dossier de la GRC était attribué aux autres victimes potentielles. de manière à éviter la confusion entre les dossiers des suspects et les fiches qu'ils contiennent. Ses collègues et lui utilisaient un registre pour consigner les « incidents » et documenter les numéros de fiche au fur et à mesure que des renseignements étaient recueillis au sujet d'une victime potentielle. Lorsqu'une fiche de renseignements était assignée, le nom de l'officier était aussi inscrit dans le registre d'incident. Lorsqu'il recherchait et interrogeait des victimes potentielles, il consignait ces activités régulièrement dans ses rapports de suivi ou ses registres quotidiens comme l'avait fait le caporal Brennan.

Il a expliqué les méthodes utilisées pour retrouver d'anciens pensionnaires :

votre imagination était sans limite. Vous pouviez utiliser tous les moyens imaginables pour que quelqu'un se confie ou pour le retrouver ou trouver un endroit où lui parler... à condition que ces moyens soient légaux, moraux et éthiques!

La CPP lui a demandé de donner des explications sur le procès-verbal de la réunion hebdomadaire de la section du 6 avril 1992 selon lequel le dossier Toft était complet et que les officiers consacreraient leurs efforts sur les allégations d'agression physique et sexuelle commises par d'autres gardiens et membres de l'École. Le gendarme McAnany a affirmé que cette remarque ne signifiait pas que l'enquête sur Toft était terminée. Il a ajouté qu'une plainte ne serait jamais rejetée.

Lorsque la CPP a fait allusion aux « compressions budgétaires » au sein de la GRC dans le procès-verbal de la réunion hebdomadaire de la section du 4 mai 1992, il a déclaré qu'il n'avait jamais ressenti les effets des coupures budgétaires proposées

parce que le travail serait fait d'une façon ou d'une autre... . J'imagine [ici] que nous parlons probablement d'heures supplémentaires et d'heures supplémentaires payées et que cette situation ne nous concernerait pas. Nous savions tous ce que nous avions à faire et le travail serait accompli malgré tout .

Il a ajouté qu'il n'y avait pas de problème concernant les coûts de déplacement des enquêteurs pour interroger les témoins et les anciens pensionnaires.

En date du 9 juillet 1992, les dossiers d'information pour les accusations portées contre MM. Duguay et Raymond avaient été préparés. Il était coordonnateur de dossier dans les deux affaires, en plus d'en être l'enquêteur principal. Le 18 septembre 1992, le sergent Lockhart et lui-même ont rédigé un message à l'intention de la Police criminelle qui indiquait que M. Corby allait retarder le dépôt des accusations contre MM. Raymond et Duguay jusqu'après le procès de Toft.

À l'automne 1994, il a été transféré au bureau de la Police criminelle pour occuper le poste d'officier responsable des enquêtes criminelles. Dès lors, il n'a travaillé à l'enquête que de manière très sporadique. Il a répondu à quelques requêtes en 1995 et en 1996. Le 5 décembre 1996, il a rédigé un rapport sur un appel téléphonique qu'il a reçu de Brad Lewis qui se plaignait d'avoir été agressé par M. Toft lorsqu'il était pensionnaire à l'ÉFNB.

7.2.3 Enquêteur à la retraite Inspector Chuck Orem

Chuck Orem s'est joint à la GRC en 1975 et a été transféré à la SEG de Fredericton en juin 1992 comme caporal. Le premier événement digne de mention lié à l'enquête auquel il a été associé s'est produit le 31 juillet 1992 lorsqu'il a participé à l'enregistrement audio de la déclaration d'Hector Duguay.

Pendant tout le reste de 1992 et en 1993, le caporal Orem a participé à plusieurs mises à jour concernant l'enquête sur l'ÉFNB et sur Toft lors des réunions hebdomadaires de la SEG. Il a aussi mené l'enquête sur Jean Bedard. Le 30 octobre 1992, il a commencé à enquêter sur les allégations d'agressions physiques contre M. Bedard en se fondant sur une déclaration d'un ancien pensionnaire Neil Graham. Il a participé à l'enquête jusqu'à sa conclusion en septembre 1993 lorsque l'avocat de la Couronne Ron Leblanc a décidé de rejeter les accusations.

Le 26 juillet 1993, on a demandé au caporal Orem de préparer les documents pour appuyer une autre demande d'accès aux dossiers de l'ÉFNB conservés aux Archives provinciales concernant quatre anciens pensionnaires et victimes potentielles d'agressions.

Après que l'avocat de la Couronne Glen Abbott a demandé à la GRC d'interroger de nouveau 26 témoins, le caporal Orem a obtenu les déclarations de plusieurs témoins en octobre 1993. Ces entrevues avaient pour but d'aider l'avocat de la Couronne à décider de déposer ou non d'autres accusations contre M. Toft. Trois dossiers d'information ont été préparés à l'intention de Couronne sur de présumées victimes, Tim Patterson, Joshua Simpson et un certain M. McNeil. Lors de son entrevue du 10 août 2006, M. Orem a dit à la CPP que si l'avocat de la Couronne refusait d'approuver les nouvelles accusations contre M. Toft, l'équipe allait tout de même les déposer. Cette dernière a même discuté de la possibilité de retenir les services d'un avocat pour entamer une poursuite privée. Il a été déçu lorsque la Couronne a décidé de surseoir aux nouvelles accusations contre Toft et il a conclu l'entrevue en disant qu'à partir du 29 octobre 1993, date à laquelle les accusations ont été rejetées, ils ont bouclé l'enquête sur l'ÉFNB et sont passés à autre chose.

7.2.4 Sergente Lise Roussel

La sergente Lise Roussel s'est jointe à la GRC en 1978 et a été transférée à la Division J en 1984. En février 1992, elle a été transférée à la SEG de Fredericton pour remplacer le caporal Ken Legge pendant sept ou huit mois et a participé à l'enquête. Au moment de l'enquête, elle occupait le grade de gendarme.

Peu après son arrivée, à la demande du sergent Lockhart, la gendarme Roussel s'est rendue aux Archives en compagnie du gendarme McAnany pour effectuer une recherche aléatoire des dossiers de l'ÉFNB qui y sont conservés. À compter du 18 février 1992, le gendarme McAnany et elle ont concentré leurs recherches sur les « enfants qui n'avaient pas de parents, car, à notre avis, ils représentaient les... proies les plus faciles. Ou les personnes issues... de milieux défavorisés... . Dans une certaine mesure, nous analysions les personnes que nous choisissions. » Ils ont dressé la liste de pensionnaires et ont préparé une « carte » pour chacun d'eux, puis ils tentaient de retrouver les victimes potentielles. Un numéro était accordé à chaque nom et une fiche de renseignements était établie. Des rapports de personnes et un formulaire de profil de victime ont été créés, de même qu'une feuille de contact .

La gendarme Roussel consacrait 80 p. 100 de son temps à l'enquête « à moins qu'une urgence survienne, par exemple, un meurtre soupçonné ou une agression sexuelle, mais j'étais probablement le reporteur principal, car les autres devaient se présenter au tribunal. » Elle a été aussi rigoureuse que possible lorsqu'elle consignait les renseignements obtenus des Archives et les transcrivaient dans les différents formulaires de police .

Dans son entrevue du 9 novembre 2006 auprès de la CPP, elle a expliqué les diverses méthodes qu'elle utilisait pour obtenir les adresses des anciens pensionnaires, qui étaient similaires à celles utilisées par le gendarme McAnany. Il a indiqué qu'elle avait fait tous les efforts raisonnables pour retrouver les anciens pensionnaires et pour les interroger une fois que cela était fait. Quand « au cours de certaines entrevues, ... d'autres noms étaient mentionnés, je téléphonais aussi à ces personnes... Peu importe si elles faisaient partie ou non de notre recherche aléatoire. » Elle savait que le sergent Lockhart et ses collègues s'attendaient à ce que ses dossiers soient précis et savait « qu'ils seraient examinés en détail à un moment ou à un autre. Par conséquent, ils devaient être exacts. »

Dans son rapport d'enquête du 6 avril 1992, elle avait indiqué que 49 personnes avaient été retrouvées et interrogées et que de ce nombre, quatre nouvelles victimes, pour lesquelles des documents d'information devaient être préparés, avaient été identifiées. L'objectif était de faire passer une entrevue à 100 anciens pensionnaires qui se trouvaient à l'ÉFNB entre 1965 et 1983, un objectif qui avait été fixé par l'officier de la Police criminelle, l'inspecteur Mike Connolly.

Les dossiers d'information ont été soumis à M. Corby pour être approuvés. M. Corby a décidé de ne pas ajouter les cinq nouvelles accusations aux chefs d'accusation déposés contre Toft, préférant les conserver pour le procès comme « éléments de preuve similaires ».

Le 12 juin 1992, la gendarme Roussel a été transférée à son ancien détachement de Minto, au Nouveau-Brunswick. Comme elle l'a indiqué à la CPP, c'est avec un certain regret qu'elle est partie, étant donné « que j'adorais ce travail et je croyais que l'enquête progressait très bien. Pour moi, retourner à Minto représentait un revers important. J'aurais bien voulu continuer, mais cela n'a pas été possible en raison du retour de Kenny Legge ».

Elle est revenue à la SEG de Fredericton le 5 avril 1993. À ce moment-là, elle devait s'occuper d'autres enquêtes et non seulement de celle de l'ÉFNB. Elle a indiqué à la CPP que le centre d'intérêt de l'enquête avait changé : « elle portait maintenant sur d'autres personnes. Plus sur Toft, mais sur d'autres gardiens, puis sur McCann. » Elle a indiqué que M. Raymond était un suspect et se rappelle avoir interrogé d'autres employés. « Le sujet était très délicat. Les anciens employés n'en parlaient jamais... . C'était un sujet tabou et ce qui s'était passé à l'école y demeurait. »

Le 23 avril 1993, elle a confié les fiches au gendarme Shaun Ryan alors qu'il travaillait au dossier de Patrick Tomomsky. M. Tomomsky était un ancien employé de l'ÉFNB. Dans le cas de ces fiches, elle a suivi les mêmes méthodes qu'elle avait utilisées en 1992 : tenter de retrouver les anciens pensionnaires dont elle avait la liste, puis rédiger les rapports sur les personnes et les rapports de suivi.

En octobre 1993, elle était au courant des divergences entre l'inspecteur Connolly et le directeur provincial des poursuites pénales au sujet du dépôt de nouvelles accusations contre M. Toft. Lorsque le sursis d'instance a été prononcé le 29 octobre 1993, elle était en désaccord avec ses collègues. Lorsqu'elle a quitté la SEG de Fredericton en 1995, elle savait que l'enquête sur l'ÉFNB serait « peu à peu abandonnée ».

7.2.5 Sergent d'état major Ken Legge

Le sergent d'état-major Ken Legge a joint les rangs de la GRC en 1977 et a été affecté à divers détachements de la Division J jusqu'en 1990, lorsqu'il a été transféré à la SEG de Fredericton. En 1992, il a quitté la SEG pendant six mois pour suivre une formation et a été remplacé par la gendarme Roussel.

Le 17 juin 1992, le gendarme McAnany et lui ont enregistré la déclaration de M. Duguay sur bande audio à Saint John. Pendant le reste de l'été 1992, il a participé à d'autres enquêtes et à d'autres dossiers. Le 16 octobre 1992, il a interrogé Randall James Cranshaw, un ancien pensionnaire, au sujet des allégations contre MM. Toft et Raymond. Même s'il a assisté à plusieurs réunions hebdomadaires de la SEG dans le cadre de l'enquête sur la SEG, il a participé à d'autres enquêtes pour le reste de l'année, sauf lorsqu'il s'est rendu à Toronto le 7 décembre 1992 pour tenter d'interroger Mike Roy.

Le 18 janvier 1993, il a été promu et transféré à la Section de l'exécution des lois fédérales à Fredericton et sa participation à l'enquête a pris fin. En 1999, il a de nouveau été assigné à l'enquête de la GRC sur l'ÉFNB.

7.2.6 Caporal à la retraite Ed Paquet

Ed Paquet a joint les rangs de la GRC en août 1970 et a été transféré à Doaktown, au Nouveau-Brunswick, en 1973. Il a servi dans plusieurs détachements de la Division J jusqu'en le 6 novembre 1986, lorsqu'il a été transféré à la SEG de Fredericton. Cependant, il travaillait à partir du bureau de la SEG de Saint John et se rendait à Fredericton pour assister aux réunions hebdomadaires de la SEG.

Il a remplacé le caporal Brennan en juillet 1991 lorsque celui-ci était en vacances. Il a eu peu à faire avec l'enquête d'août 1991 à mars 1992. Il a de nouveau été assigné à l'enquête autour du 9 mars 1992, ce qui a coïncidé avec l'achèvement de la première recherche aléatoire des dossiers de l'ÉFNB aux Archives provinciales. On lui a envoyé une liste de fiches et les dossiers connexes (à la suite de la recherche aléatoire) concernant d'anciens pensionnaires qui habitaient alors la région de Saint John afin qu'il puisse commencer à les retrouver. Il a participé à cette activité du 12 mars au 12 mai 1992 et en octobre et novembre 1992.

Lorsqu'il a été interrogé par la CPP le 25 octobre 2006, il a indiqué qu'il avait effectué le suivi de toutes les fiches de renseignements qui lui avaient été envoyées, car « Si j'en renvoyais cinq avec rien de nouveau à ajouter, Doug [Lockhart] me passait un savon. Pourquoi n'as-tu pas travaillé sur ces fiches ? » Vers la fin de son mandat avec la SEG, on lui a dit que la GRC enquêtait sur plusieurs autres gardiens.

Lorsqu'on lui a posé des questions sur la qualité des dossiers et des notes qu'il avait conservés sur les diverses fiches qui lui étaient confiées, il a expliqué que ces notes, ces rapports et ses rapports sur les personnes devaient être très précis et fiables. Il a aussi décrit la méthode employée pour recueillir les déclarations. Il observait le langage corporel de son interlocuteur : « Vous me dites que rien ne s'est passé, mais votre corps me dit le contraire. Et je disais... Je ne peux pas vous forcer à me dire ce qui s'est produit, mais je vous dis que j'ai le sentiment qu'il s'est passé quelque chose, que vous me le disiez ou non. » Il a dit qu'il ne voulait pas exercer trop de pression : « Je ne voulais pas qu'ils se sentent mal... Je ne voulais pas me retrouver face à une porte close... si je savais qu'il s'était passé quelque chose, je ne voulais pas me mettre à dos le gars parce que j'avais exercé trop de pression sur lui. » Même s'il avait essuyé une rebuffade de la part d'un ancien pensionnaire, « avant de partir, je lui laissais ma carte de visite et lui disais : « Si vous pensez à autre chose ou si vous changez d'idée... . Si vous connaissez quelqu'un qui peut m'aider, vous me téléphonez, d'accord? Je laissais toujours une porte ouverte. »

En février 1993, il a été promu et transféré à la Section de l'exécution des lois fédérales à Woodstock et n'a plus participé à cette enquête. Il a été remplacé par le gendarme Pat Cole.

7.2.7 Gendarme Pat Cole

Le gendarme Pat Cole a joint les rangs de la GRC en septembre 1979 et a été transféré au GCG de la SEG en janvier 1993 :

[E]t immédiatement, ils m'ont confié la tâche de démarrer certaines des enquêtes de suivi à Kingsclear. Ils avaient déjà débuté l'enquête, des accusations avaient déjà été portées contre Toft et... ils examinaient à nouveau certains cas...

Il a été affecté à Saint John comme membre unique de la SEG le 1er mars 1993 et a mené ses enquêtes principalement à partir de cet endroit. Même s'il se trouvait au bureau de Saint John, il participait régulièrement aux réunions de la SEG tenues par le sergent Lockhart. Lorsqu'il a commencé à participer à l'enquête, les cibles étaient MM. Toft, Duguay et Raymond, de même que d'autres gardiens. Le gendarme McAnany était l'enquêteur principal.

Le gendarme Cole a reçu plusieurs fiches de renseignements du bureau principal de la SEG à Fredericton, souvent par la poste. Il tentait ensuite de retrouver et d'interroger les personnes pour recueillir leur déclaration. Les résultats de ses enquêtes étaient ensuite transmis au gendarme McAnany, dont la tâche consistait à « conclure » la fiche. Si le gendarme McAnany n'était pas satisfait de l'enquête, le gendarme Cole examinait à nouveau la fiche ou communiquait de nouveau avec la personne. Si d'autres éléments de preuve étaient découverts, le dossier était rouvert et l'enquête se poursuivait.

Plus tard au cours de l'enquête, après que quelques membres du personnel des Services correctionnels aient été suspendus par le gouvernement parce qu'ils étaient sous enquête, « la priorité était de porter des accusations contre ces gars ou de les laver de tout soupçon. » Le gendarme McAnany a été en mesure d'utiliser certains renseignements obtenus par le gendarme Cole pour mettre à jour une liste des « gardiens présents et passés sous enquête. »

Le gendarme Cole était au courant des divergences entre la GRC et le directeur provincial des poursuites pénales, Bob Murray, en ce qui concerne la décision de la Couronne d'approuver le dépôt d'autres chefs d'accusation contre M. Toft qui avait été reconnu coupable l'année d'avant. En ce qui concerne la décision du procureur général de surseoir aux accusations de la GRC contre M. Toft le 29 octobre 1993 :

Je savais que certaines des miennes feraient partie du lot, car j'ai mené des enquêtes et je suis certain que j'ai rédigé des dossiers d'information en 1993 au sujet des accusations et il y avait un groupe de 34... . Je sais que Doug [Lockhart] était mécontent, car il était un vrai défenseur des droits des victimes. Je le revois encore, se tenant debout et disant : « Ils ont le droit d'être entendus devant le tribunal. Je me fous qu'ils soient condamnés avec sursis. Ces victimes doivent être entendues.

Après le sursis d'instance, le gendarme Cole a été affecté à d'autres tâches au sein de la SEG à Saint John.

7.2.8 Gendarme à la retraite Denise Potvin

Denise Potvin a joint les rangs de la GRC en 1998. En août 1989, elle a été affectée à la Division J à Nequac, au Nouveau-Brunswick, où elle s'acquittait de tâches générales.

Le 4 novembre 1992, la gendarme Potvin a été envoyée à la SEG de Moncton (Sud) pour travailler tout particulièrement sur l'enquête sur l'ÉFNB. Le sergent Lockhart était l'enquêteur principal. Il a participé à l'enquête jusqu'à son transfert à Oromocto le 16 janvier 1993.

Au début de son mandat, ses tâches consistaient à retrouver des victimes potentielles d'agressions dont les noms avaient été mentionnés lors d'entrevues auprès d'autres victimes potentielles. Au début de l'enquête, les enquêteurs devaient obtenir uniquement les noms de 100 personnes qui avaient été pensionnaires de l'ÉFNB, à partir des Archives. Selon la gendarme Potvin, cette situation a contrarié le sergent Lockhart et le gendarme McAnany.

Et selon ce que j'avais compris, il fallait enquêter sur tout le monde. Si j'avais interrogé Joe Smith et qu'il disait, « Oh, Bill, Ed et George y étaient et ils ont passé beaucoup de temps avec Toft », nous devions retrouver Bill, Ed et George. Et même si nous avions Bill, nous devions créer une fiche de renseignements et tenter de découvrir son nom de famille. Donc, nous tentions seulement d'examiner tout ce que nous pouvions, de ne négliger aucun détail et de faire notre travail correctement. Bref, c'est ce qu'on m'avait dit, d'explorer toutes les avenues. S'il y avait une victime, nous devions la retrouver, obtenir une déclaration et porter des accusations.

Elle a compris qu'on lui avait demandé de participer à cette enquête parce que certaines victimes se sentaient plus à l'aise de parler à un officier de sexe féminin. Elle a consacré beaucoup de temps au dossier sur Curtis Murray. M. Murray était gardien à l'ÉFNB et des rumeurs circulaient selon lesquelles il aurait agressé sexuellement des pensionnaires de sexe féminin à l'école.

Lorsque des dispositions sont prises pour interroger une victime d'abus potentielle, il est possible que le sujet refuse d'être interrogé ou de faire une déclaration. La gendarme Potvin a déclaré :

Je leur demandais s'ils voulaient me rappeler ou s'ils préféraient être accompagnés de quelqu'un lorsqu'ils formuleraient leur déclaration. Je leur disais que ce n'était pas de leur faute, vous savez, qu'ils ne devaient pas se sentir coupables et qu'ils devraient faire une déclaration. Qu'ils ne veulent pas que d'autres personnes subissent de tels abus. Je leur demandais d'y réfléchir. Je leur laissais toujours mon nom et mon numéro. Souvent, je leur disais aussi que s'ils ne se sentaient pas suffisamment à l'aise pour me parler, des mesures pouvaient être prises pour qu'ils parlent à quelqu'un d'autre.

Elle a indiqué qu'elle tentait toujours d'interroger les victimes ou les témoins en personne. Lorsque cela n'était pas possible, elle tentait de procéder à une entrevue téléphonique pour savoir si son interlocuteur était une victime ou s'il désirait faire une déclaration. Il n'était pas pratique courante pour la GRC d'enregistrer les entrevues sur vidéo, à moins que la situation l'« exige ». Elle se rappelle que certaines entrevues ont été enregistrées sur bande audio et que la personne qui en faisait la transcription avait « de la difficulté à suivre ».

Elle a procédé à au moins 24 entrevues de victimes et de témoins présumés en personne et par téléphone. Certaines entrevues ont nécessité des déplacements partout dans la province.

Elle s'est vu confier plusieurs tâches lors de son affectation au GCG, y compris celles d'examiner les dossiers et de retrouver les victimes potentielles d'agression physique et sexuelle. Pour ce faire, elle devait avoir accès au Centre d'information de la police canadienne (CIPC) et au Système intégré de récupération de renseignements judiciaires (SIRRJ), procéder à des vérifications de permis de conduire et retrouver d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB, les interroger et recueillir les déclarations des victimes et des témoins présumés. Elle participait aussi à la coordination des dossiers, à la préparation des dossiers d'information et aux réunions.

Elle se rappelle que pendant qu'elle participait à l'enquête sur l'ÉFNB, la SEG organisait des réunions hebdomadaires le lundi pour discuter des progrès de l'enquête. Le sergent Lockhart, le caporal Orem et le gendarme Legge y participaient aussi. La gendarme Potvin a fait partie de l'équipe d'enquête de 2001 sur l'ÉFNB décrite dans le présent rapport.

7.2.9 Sergent Rick Potvin

Le sergent Rick Potvin s'est joint à GRC en juin 1982. Après sa première affectation au Manitoba, il a été transféré à Nequac, au Nouveau-Brunswick, puis à la Section antidrogue de Fredericton en 1992. En novembre 1992, il a été affecté au « groupe de travail du CFJ » comme il l'appelait. À l'époque, il était gendarme. Il a fait partie de l'équipe d'enquête sur l'ÉFNB pendant six mois; ensuite il est retourné à la Section antidrogue de Fredericton.

Le 2 novembre 1992, il a été assigné aux fiches de renseignements des anciens pensionnaires après avoir assisté à un compte rendu sur l'enquête en cours au sujet de l'ÉFNB. Il devait retrouver les sujets et, si possible, les interroger pour déterminer s'ils avaient été victimes d'agressions sexuelles ou physiques pendant leur séjour à l'ÉFNB. Pour rencontrer les victimes et les témoins potentiels, les autres membres de l'équipe et lui ont dû se déplacer dans toute la province.

Dans ses recherches de victimes potentielles, il effectuait les vérifications habituelles : CIPC, SIRRJ et permis de conduire. S'il n'obtenait pas les renseignements qu'il cherchait, il explorait d'autres avenues, notamment les services de probation et de libération conditionnelle, le Programme de statistique de l'état civil du Canada, les membres de la famille et, parfois, des informateurs.

Il a interrogé 50 anciens pensionnaires et environ 37 témoins. Il a rédigé de nombreux rapports de suivi, des messages au CIPC, des déclarations, des rapports sur les personnes, des notes personnelles et des notes d'ordres du jour quotidiens.

La plupart des entrevues auxquelles il a procédé n'ont pas été enregistrées sur bande vidéo, car le matériel n'était pas toujours disponible. Lorsqu'il interrogeait les victimes potentielles, ses premières questions portaient sur M. Toft. Cependant, à mesure que l'enquête progressait, d'autres gardiens étaient nommés, notamment MM. Raymond et Duguay.

Randall Cranshaw est une victime qui a exigé beaucoup de temps et d'efforts. Le gendarme Potvin lui a parlé à de nombreuses reprises au téléphone et a affirmé l'avoir rencontré au moins cinq ou six fois. Les documents fournis à la CPP indiquent que le gendarme Potvin a rencontré M. Cranshaw à dix reprises.

À l'époque où il participait à l'enquête, il s'est aussi rendu aux Archives et a effectué des recherches aléatoires pour tenter de retrouver des victimes potentielles.

En janvier 1993, il a participé à une enquête parallèle dans le but de retrouver des victimes et des témoins potentiels associés à l'enquête McCann, qui a monopolisé le plus clair de son temps.

Il a rempli deux fiches de renseignements à l'usage du procureur en 1993 concernant des accusations d'agression sexuelle contre M. Raymond pour des infractions commises sur M. Cranshaw et Danny McNight. Ces infractions auraient été perpétrées entre le 1er août et le 1er décembre 1964.

7.3 Point de vue des officiers supérieurs sur l'enquête

7.3.1 Commissaire adjoint à la retraite Ford Matchim

Ford Matchim a joint les rangs de la GRC en 1961 et a été affecté à la Division J où il a y passé les 20 ans. Il a été affecté au Nouveau-Brunswick. De 1991 à 1993, il a été cmdt s.-div. de Fredericton et a occupé le grade de surintendant. La CPP l'a interrogé le 9 septembre 2006.

En 1990, il était l'officier responsable (off. resp.) de la sous-division de Fredericton et de la SEG lorsque les sergents Gary McNeill et Doug Lockhart y étaient. Il était toujours l'off. resp. en 1991 lorsque le sergent McNeill et le caporal Brennan enquêtaient sur l'ÉFNB. Il a été remplacé par le surintendant Wayne Wawryk à l'automne 1992 lorsqu'il a été transféré à la Division Dépôt.

Il a indiqué à la CPP que

Zaccardelli m'envoyait des notes... pour amorcer cette enquête. Je sais qu'au départ l'affaire Toft a été soulevée par un... journaliste de la CBC... elle est passée par tous les échelons de la sous-division. C'était très important et je sais que Zaccardelli était insistant... il voulait que l'on obtienne des documents, et je sais qu'à la suite de l'affaire de Mount Cashel... c'était important pour la population que nous fassions quelque chose... . Nous avions beaucoup de pain sur la planche... mais cette enquête n'avait pas l'ampleur et l'importance qu'a ce type d'enquêtes aujourd'hui. Je me rappelle que je n'étais pas... emballé outre mesure à l'idée de cette enquête...

En août 1991, il était au courant que la FPF menait une enquête sur les allégations d'agressions sexuelles perpétrées par M. Toft. Il a indiqué à la CPP qu'il savait que des officiers de la FPF s'impliquaient beaucoup dans ces allégations alors qu'il a dit que ses propres enquêteurs lui transmettaient un tout autre message. Ils disaient que cette affaire n'était « pas importante » et que « soudain, ça a commencé à nous tomber dessus. » Le caporal Lockhart et le sergent McNeill le tenaient au courant des progrès de l'enquête de la FPF et de la compétence des enquêteurs.

7.3.2 Inspecteur à la retraite Mike Connolly

Mike Connolly a joint les rangs de la GRC en 1966. Il a passé quelque temps dans l'Ouest avant d'être transféré au Nouveau-Brunswick. Il a accepté une affectation au Collège canadien de police à Ottawa et en 1990, il a de nouveau été transféré à la Division J où il était responsable de la Section des délits commerciaux à Fredericton. Il a été assigné au poste d'officier adjoint de la Police criminelle à Fredericton en 1992. En 1994, il a été muté au poste d'agent des lois fédérales. Après avoir quitté la GRC en 1996, il a été nommé directeur des services de police du Nouveau-Brunswick, puis au poste de sous-ministre adjoint au ministère de la Sécurité publique du Nouveau-Brunswick. Il a pris sa retraite en 2005.

M. Connolly a été interrogé par la CPP le 12 janvier 2007 à Fredericton. Il a expliqué que la division de la Police criminelle était plutôt un « centre de décision » qui ne participait pas normalement à la gestion courante des enquêtes. La direction devait être assurée par le cmdt s.-div. Les rapports passaient par la Police criminelle et étaient examinés d'un point de vue politique de manière à déterminer si tout était fait dans les normes. L'officier de la Police criminelle approuvait aussi les déplacements des enquêteurs à l'extérieur de la province. Il a affirmé que la Police criminelle participait parfois plus activement à certaines enquêtes, comme dans le cas de l'enquête de l'ÉFNB qui en était une de premier plan.

En tant qu'agent des relations avec les médias en 1992, il était avisé des progrès de l'enquête de manière à informer les médias. Il croyait, en tant qu'agent des relations avec les médias, qu'il était « au courant de l'ampleur du travail effectué et des résultats obtenus » dans le cadre de l'enquête. Étant donné qu'il était officier adjoint de la Police criminelle, il remplaçait l'officier de la Police criminelle, le surintendant Zaccardelli, lorsque celui-ci devait assister à des réunions à Fredericton ou ailleurs.

Éclaircissements de M. Connolly sur l'état de l'enquête

La CPP a posé des questions à M. Connolly sur un article publié le 7 novembre 1992 dans le Daily Gleaner dans lequel il aurait dit ce qui suit :

Une section spéciale de la GRC a été affectée à une enquête sur Karl Toft, un ancien employé de l'École de formation du Nouveau-Brunswick, à Kingsclear. Il attend le prononcé de sa sentence après avoir plaidé coupable à 34 chefs d'accusation relatifs à des actes sexuels commis sur 18 anciens pensionnaires entre 1965 et 1986... . Un noyau de quatre officiers, assistés d'employés de soutien, suivent « activement » diverses pistes. « C'est une enquête très difficile. » ... Il faut retrouver des personnes et déterminer les heures et les dates... Beaucoup des jeunes concernés sont maintenant des adultes et ils ont un peu de mal à se souvenir des détails. La GRC a refusé de se prononcer sur la possibilité que d'autres accusations soient portées contre d'autres anciens employés...

Il a indiqué que l'article semblait décrire de manière appropriée le cours de l'enquête à l'époque.

On lui a mentionné le procès-verbal de la réunion de la Police criminelle du 8 décembre 1992, quatre jours après l'audience de détermination de la peine de M. Toft. Il y était question de l'enquête sur M. Raymond et de celles sur d'autres gardiens. Il a indiqué se souvenir avoir reçu les procès-verbaux des réunions et qu'ils lui étaient habituellement remis par le sergent Lockhart. Il a indiqué que tous les noms contenus dans la liste des « gardiens présents et passés sous enquête » lui étaient familiers.

Il a confirmé que le sergent Lockhart rédigeait les procès-verbaux des réunions de la SEG et de la Police criminelle et les lui envoyait. Lorsqu'il avait besoin d'éclaircissements, il envoyait une notre au sergent Lockhart. Il se rappelle que le surintendant était présent lors des réunions de la Police criminelle au début de 1993, après la condamnation de M. Toft. Ils se demandaient s'ils devaient poursuivre l'enquête. Selon M. Connolly, voici le contenu de la discussion :

il semblerait qu'il y ait un contrevenant en série, cette situation remonte à plusieurs années, nous allons y jeter un coup d'oil... pendant qu'il était là... . La discussion était animée lors de cette réunion et je me rappelle que Zack était très insistant, qu'il désirait que nous fassions preuve d'une grande minutie dans cette affaire et que nous prélevions des échantillons aléatoires. Il avait été décidé... que nous tenterions d'obtenir 100 noms couvrant cette période. Et ensuite, bien entendu, il a fallu effectuer des déplacements.

Ils se sont rendu compte que la GRC ne détenait pas le nom des victimes qui devaient être interrogées. M. Connolly a dit :

Comment faire pour retrouver les personnes à qui nous devons parler? Parce que nous n'avions plus de pistes à suivre. Et alors, nous avons dit que nous procéderons à cet échantillonnage aléatoire... nous allons consulter les Archives, nous allons découvrir qui était là, obtenir quelques noms, essayer de retrouver ces personnes, leur parler et nous allons utiliser cette approche.

Ils ont aussi décidé d'enquêter sur tout ce qui résulterait de l'enquête Miller et sur les noms qui en ressortiraient. Il a ajouté que si l'enquête nécessitait des déplacements à l'extérieur de la province, il les approuverait. « Nous voulions être très minutieux. »

La CPP lui a posé des questions au sujet d'un article écrit par le journaliste Phillip Lee dans le Telegraph Journal paru le 29 mars 1993. Dans cet article, l'avocat de la Couronne William Corby a affirmé que lorsqu'il a pris l'affaire Toft, il a décidé qu'il n'allait pas porter d'autres accusations d'agression sexuelle contre M. Toft, car cela n'augmenterait probablement pas sa sentence. L'inspecteur Connolly a indiqué que « si cette remarque avait été formulée par le procureur général ou par le directeur provincial des poursuites pénales, j'aurais été plus préoccupé, mais je n'avais pas de raison de dire à la SEG de cesser son travail. » Il a indiqué que la remarque de M. Corby n'avait pas causé de ralentissement dans la tenue de l'enquête.

Lorsque la CPP lui a demandé ce qui se passait quand la SEG recevait des renseignements concernant le nom d'une victime potentielle, il a répondu :

peu importe que ces renseignements proviennent de Hugh Robichaud, des médias ou de Ken Fitch*, ou d'un autre enquêteur, ils étaient communiqués aux enquêteurs de la SEG... Je m'attendais à ce qu'ils suivent le plan de match. Et le plan de match était, peu importe la source, même s'il s'agit de l'enquête Miller... les noms obtenus des Archives ou d'une victime, explorer cette piste.

*Ken Fitch était l'enquêteur principal de l'enquête Miller.

Éclaircissements de M. Connolly concernant les dossiers d'information

Le 30 août 1993, l'inspecteur Connelly a écrit une lettre au directeur provincial des poursuites pénales, M. Murray, concernant le dépôt d'autres accusations contre M. Toft et a fait allusion aux dossiers d'information que la SEG s'apprêtait à déposer. Il a expliqué à la CPP qu'il ne voyait pas pourquoi il aurait dû remettre les nouveaux dossiers à M. Corby en raison de la position de ce dernier sur le dépôt de nouvelles accusations contre M. Toft. Il avait plutôt décidé d'envoyer les dossiers à M. Murray.

Selon moi, ils avaient mené l'enquête, des plaintes avaient été formulées et fait l'objet d'enquêtes complètes, suffisamment de preuves avaient été recueillies pour déposer des accusations et, à la lumière de la gravité et de l'ampleur de la situation, et en raison des victimes, et que, par conséquent, nous devions déposer des accusations... C'est à eux maintenant de prendre le relais et de faire leur travail... J'étais très clair dans le fait que je désirais que des poursuites soient déposées.

Il a affirmé à la CPP qu'il avait personnellement examiné les dossiers d'information destinés à l'avocat de la Couronne. « Un grand nombre de détails contenus dans les dossiers étaient identiques à certains pour lesquels il [Toft] avait été reconnu coupable. Donc, vous savez, en ce qui me concerne, nous avions tout ce dont nous avions besoin. »

Il a mentionné une lettre du 13 septembre 1993 que M. Murray lui avait envoyée et dans laquelle il était informé que « [v]u les circonstances, je ne crois pas qu'il serait dans l'intérêt public de déposer d'autres accusations contre Karl Toft. » Il a fourni les explications suivantes :

Mais je ne m'attendais pas à ce qu'elles soient toutes rejetées. Même si certains de ses arguments étaient valables. Ce sont des arguments réels et je connais assez bien le manuel à l'intention des procureurs de la Couronne... . Tout cela est bien beau, mais il faut toujours penser d'abord et avant tout aux victimes, et aux yeux de la population, des médias et des enquêteurs concernés, pourquoi ne serait-il pas dans l'intérêt public de déposer ces accusations? ... faisons quelque chose pour donner l'apparence que le système fonctionne. Parce que ces personnes n'ont plus des toutes fois dans le système de justice pénale. Nous devions donc faire quelque chose et ma position était la suivante : « Écoutez, nous allons faire tout notre possible. Et nous allons porter ces accusations si c'est ce qu'ils veulent. »

Il a décrit sa rencontre avec M. Murray à la suite de la réception de la lettre : « J'ai dit "Écoutez, nous allons déposer ces accusations. Désirez-vous nommer un procureur de la Couronne pour nous représenter devant le tribunal ou vous désirez que nous retenions les services d'un avocat pour représenter la GRC, car je peux le faire". » Il a annoncé la nouvelle au sergent Lockhart et à l'équipe. Ils n'ont pas été heureux de l'apprendre et le lendemain, le 21 septembre 1993, il a écrit à M. Murray pour inciter le procureur général à revoir sa position et à accepter les nouvelles accusations contre M. Toft. M. Murray est venu et à rencontré l'inspecteur Connolly le lendemain et a demandé : « Je viens tout juste de recevoir votre lettre et pensez-vous vraiment ce que vous avez écrit? Je lui ai répondu : « Bien sûr que oui. » Selon M. Connolly,

[M. Murray] m'a répété ses arguments. Je comprends Bob. Je comprends votre point de vue en ce qui concerne la totalité du prononcé de la sentence... mais vu de l'extérieur, les gens ne comprendront pas... . Par conséquent, nous allons poursuivre les procédures. [M. Murray a demandé :] Donc, si nous vous représentons et que le procureur général surseoit aux accusations, qu'allez-vous faire? Alors, j'ai répondu « Et bien, j'ai fait mon travail. Le GRC a poursuivi les procédures, elle a fait son travail, elle a fait enquête, elle a déposé ses accusations, maintenant, la balle est dans le camp du procureur général. S'il décide d'y surseoir, d'accord, mais nous avons fait notre travail, je suis satisfait et je suis fier. »

Selon M. Connolly, M. Murray a été un peu surpris de la position de la GRC concernant la poursuite des procédures.

Je considère davantage la question du point de vue de la police; je tiens compte des victimes et de ce qu'elles vivaient et de ce que les officiers traversent et de l'ampleur du travail effectué. Bien sûr, devant les attentes du public face à mon travail en qualité d'agent des relations avec les médias. J'ai eu plusieurs discussions avec le public, alors j'avais une bonne idée de sa position sur cette question et c'était justement l'une des questions pour lesquelles je fixe des limites... .

Le 30 septembre 1993, M. Murray a écrit à l'inspecteur Connolly pour lui dire que les accusations seraient acceptées et que Glen Abbott avait été nommé avocat de la Couronne concernant les nouvelles accusations contre M. Toft. On avait demandé à M. Abbott d'accorder la priorité absolue à cette affaire. Le lendemain, le 1er octobre 1993, l'inspecteur Connolly a écrit à M. Murray pour l'informer que « la GRC allait entièrement coopérer avec votre ministère. » L'inspecteur Connolly a dit à la CPP que la SEG était heureuse de cette décision.

Le 21 octobre 1993, l'inspecteur Connolly savait qu'après avoir examiné les documents d'information, M. Abbott avait demandé qu'une enquête plus approfondie soit entreprise. Le gendarme McAnany devait rencontrer M. Abbott le 22 octobre. M. Abbott a indiqué aux enquêteurs qu'il était prêt à approuver 15 nouveaux chefs d'accusation contre M. Toft concernant 13 victimes. Lorsque la CPP lui a demandé si le ministère de la Justice avait déjà dit que les documents seraient inutiles, l'inspecteur Connolly a répondu :

Non, et je dis bien, s'il n'appuyait pas ces documents... la question a été soumise au procureur général, qui a dit de déposer les accusations. Alors je suis certain qu'ils n'auraient pas fait cela sans examiner en détail les documents. Et s'il y en avait qui ne l'étaient pas, je ne crois pas qu'ils auraient été présentés au procureur général. Je me sens très à l'aise avec cela.

L'inspecteur Connolly a continué d'occuper le poste d'officier adjoint de la Police criminelle jusqu'à l'été 1994 avant d'être nommé agent responsable des lois fédérales. Il savait que les enquêteurs de la SEG poursuivaient leur enquête sur l'ÉFNB et concentraient leurs efforts sur les gardiens et les membres du personnel dont les noms étaient inscrits sur la liste du gendarme McAnany. Il savait que des accusations avaient été portées contre MM. Duguay et Raymond.

Il a ajouté que même si M. Raymond a été acquitté de toutes les accusations qui pesaient contre lui, « je ne crois pas que c'est parce que l'enquête n'a pas été menée correctement. Le manque de crédibilité des témoins ou la qualité des déclarations des témoins qui avaient de la difficulté à se souvenir de ce qui s'était passé, y est probablement pour quelque chose. »

7.3.3 Ancien commissaire Giuliano Zaccardelli

La CPP a interrogé M. Zaccardelli le 15 janvier 2007 à Ottawa, peu après qu'il a démissionné de son poste de commissaire. Il a joint les rangs de la GRC en 1970 et était inspecteur à Ottawa jusqu'à son transfert à la Division J en novembre 1989 où il a occupé le poste de surintendant et de nouvel officier de la Police criminelle à Fredericton. Il a expliqué que l'officier de la Police criminelle était le commandant en second de la Division et responsable de la direction et des politiques liées à la police criminelle dans la province. Il se décrit lui-même comme un « officier [de la Police criminelle] de terrain » qui désirait être au courant des dossiers d'enquête, qui gérait les finances et qui ajoutait des ressources, au besoin. Il a indiqué que son « poste était très exigeant ». Il a affirmé que les ressources pour mener des enquêtes étaient limitées à cette époque à la Division J.

Il a indiqué que l'affaire de l'ÉFNB avait été portée à son attention au début des années 1990 et qu'il avait été tenu au courant des développements jusqu'à ce qu'il ait été sélectionné pour suivre un cours de commandement supérieur à Bramshill, en Angleterre, en mars 1993. Après avoir reçu une copie de la lettre du procureur de la Couronne James Lockyer en février 1990, il a parlé au surintendant en chef, l'officier responsable. Il a indiqué à la CPP que

[m]on instinct me disait que ces allégations étaient fondées, cette situation pouvait être très explosive, car il ne s'agissait pas que deux ou trois cas. Si c'était vrai, il était probable que plusieurs jeunes avaient été agressés sur une longue période. C'est ce que j'ai tout de suite pensé. C'est pour cette raison que le jour même, je suis allé voir Herman Beaulac pour lui dire qu'une telle situation mènerait certainement à la tenue d'une enquête. Je lui ai dit qu'il fallait que cette enquête demeure à grande échelle.

Il était un officier de la Police criminelle pendant les enquêtes menées par le gendarme Spink, le sergent McNeill et le caporal Brennan. Il a dit à la CPP qu'il savait que le juge Cockburn avait accepté la demande du caporal Brennan d'accéder aux dossiers de l'ÉFNB conservés aux Archives provinciales. « [N]ous avons reçu l'ordre... de procéder à un échantillonnage par regroupement, parce que je devais examiner cette longue période pour avoir une bonne idée de ce qui s'était passé... . C'était mon intention depuis le début. » Il savait que les gendarmes McAnany et Roussel s'étaient rendus aux Archives et y avaient consulté les dossiers de l'ÉFNB. Il avait été informé que les accusations de la GRC avaient été déposées par le caporal Brennan et que M. Toft avait renoncé à la tenue de son enquête préliminaire. Il était avisé des progrès de l'enquête en 1992 et on lui avait dit que la SEG se penchait à d'autres gardiens et membres du personnel, surtout MM. Raymond et Duguay.

En faisant référence au procès-verbal d'une réunion de la SEG de la Police criminelle du 20 novembre 1992, il a indiqué qu'il savait que certains agents correctionnels de l'ÉFNB avaient été suspendus. Le procès-verbal indiquait aussi que certains déplacements à l'extérieur de la province seraient nécessaires, par exemple à Whitehorse et dans certaines régions de la Californie. Il a indiqué à la CPP que « [c]ela concernait ce dont on avait parlé... Peu importe où vous devez aller, allez-y. »

Lors de la réunion de la Police criminelle du 22 février 1993, on lui a soumis une copie de la liste des « gardiens passés et présents » du gendarme McAnany. « Je l'ai examinée... ils étaient sur la bonne voie. Ils procédaient à des échantillonnages par regroupement afin de faire des rapprochements entre les personnes, les périodes et les victimes, ... en tentant de faire autant de rapprochements que possible. Donc, je m'en souviens très bien. » Lors de la même réunion, lui et d'autres participants ont appris que les enquêteurs avaient dressé une liste de 100 noms à partir des Archives provinciales et qu'ils tentaient de retrouver ces personnes pour les interroger au sujet de MM. Duguay et Raymond.

La CPP lui a demandé si la décision de porter des accusations avait donné des indications aux enquêteurs au sujet du déroulement de l'enquête.

Et bien, cela prouvait certainement que vous aviez relevé le défi, tout comme la Couronne qui avait des motifs raisonnables et probables de croire qu'une infraction avait été commise... . L'enquêteur mène l'enquête et la Couronne décide si vos arguments sont valables aux yeux de la loi, puis vous allez plus loin et déposez des accusations.

La CPP a aussi demandé si l'approbation de l'avocat de la Couronne du Nouveau-Brunswick d'inscrire une accusation au registre de la cour indiquait au procureur général et à la Couronne que l'enquête avait été menée de manière efficace. Il a répondu : « Je crois que oui... . Cela ne signifie pas que l'enquête est terminée, mais c'est certainement une indication que l'enquête avait permis d'accumuler suffisamment de preuves pour déposer des accusations... . » Lorsqu'on lui a demandé si, pendant les quatre années durant lesquelles il a occupé le poste d'officier de la Police criminelle, il était convaincu que ses enquêteurs avaient fait leur possible pour retrouver un nombre raisonnable de victimes, les interroger et obtenir leurs déclarations, il a répondu :

Oui. Je crois que c'est le cas. Je ne possède pas de renseignements qui prouvent le contraire. Je n'ai certainement jamais reçu, directement ou indirectement, des renseignements selon lesquels des personnes qui désiraient être interrogées ne l'ont pas été. Comme je l'ai déjà dit, j'ai autorisé les membres à parcourir le Canada et à se rendre aux États-Unis. Je leur ai simplement dit d'aller les trouver! Nous étions si désespérés, nous voulions que ces personnes se manifestent... .

7.4 Liste des gardiens sous enquête

Le 15 janvier 1993, lors d'une réunion de la Police criminelle et de la SEG, les membres de la GRC ont discuté de l'enquête et fait allusion à une liste d'employés actuels et passés de l'ÉFNB que le gendarme McAnany avait dressée à la demande du sergent Lockhart. La liste était intitulée « Gardiens passés et actuels sous enquête ». Le gendarme McAnany avait commencé à établir cette liste en octobre 1992 et la mettait à jour régulièrement. La liste contenait le nom de chaque agent correctionnel employé par l'ÉFNB et fournissait un résumé des preuves recueillies par l'équipe au sujet de chaque « suspect ». Au moment de la réunion, la liste, qui datait maintenant du 14 janvier 1993, contenait les noms de 31 gardiens et membres du personnel qui faisaient activement l'objet d'une enquête.

Dans son entrevue avec la CPP, le sergent McAnany a décrit le résumé comme « une façon rapide et directe de savoir comment ce nom a été obtenu et quelles en étaient les références. » Il a dit qu'il l'améliorait au fur et à mesure qu'il y travaillait. En plus du résumé sur les preuves accumulées sur chaque individu, cette liste contenait une date de consignation, le nom de l'enquêteur, l'état du dossier, comment les noms avaient été obtenus, d'où provenaient les renseignements et la priorité accordée à l'enquête au moment où la liste était mise à jour. Il a confirmé qu'il avait dressé la liste pour le sergent Lockhart qui, à son tour, la présentait à leurs supérieurs lors des réunions de la Police criminelle, ainsi qu'à l'officier responsable et même à l'avocat de la Couronne.

J'ai bien l'impression que l'objectif général était d'essayer d'être impartial et factuel et de ne pas donner son avis ou de formuler des remarques ou... d'imposer une opinion sur la véracité ou quoi que ce soit. De vous concentrer sur les faits, qui a dit quoi et quand et sous forme de résumé, en mode évaluation, nous donner votre meilleure appréciation des mesures à prendre et de la priorité... à leur accorder.

Il a indiqué que la liste était un recueil et fournissait

un aperçu général de toutes les enquêtes en cours, à l'époque, sur Toft, le CFJ et les gardiens... pour évaluer si ces personnes étaient suspectes et les mesures à prendre et tous les renseignements qui les concernent... Les enquêtes ont pris plus d'ampleur au fur et à mesure qu'elles progressaient. J'ai essayé d'être très rigoureux pour recueillir des renseignements et les consigner dans un dépôt central.

8. Enquête menée par le gendarme Pat Cole (1995-2000)

Ce chapitre décrit la clôture, en mai 1995, de l'enquête portant sur l'École de formation du Nouveau Brunswick (ÉFNB), laquelle a été menée à tour de rôle par : le sergent Gary McNeill, le caporal Ray Brennan, le sergent Doug Lockhart et le gendarme James McAnany. On y développe les raisons pour lesquelles on a mis fin à l'enquête, et on explique la manière avec laquelle la GRC a traité les plaintes qui continuaient d'affluer et les raisons pour lesquelles il a été décidé ultérieurement de rouvrir l'enquête, en mars 1999. Ce chapitre décrit également le rôle du gendarme Pat Cole et d'autres intervenants clés ayant participé à cette phase de l'enquête, notamment la caporale Paulette Delaney Smith, qui, après le départ du gendarme Cole, a pris la direction de cette procédure en qualité d'enquêteuse principale, en janvier 2000. Ce chapitre se termine en octobre 2000, au moment où l'on a institué la nouvelle équipe d'enquêteurs dirigée par le sergent d'état major Dave Dunphy. La caporale Delaney Smith a continué à diriger l'enquête en tant qu'enquêteuse principale jusqu'au mois d'avril 2001.

Les représentants de la Commission des plaintes du public contre la GRC (CPP) ont fait passer des entrevues à des personnes clés et ils ont examiné tous les documents pertinents pour essayer de reconstituer les événements décrits dans ce chapitre. Malheureusement, les représentants de la CPP n'ont pas été en mesure de faire passer des entrevues à deux officiers de la GRC qui ont joué un rôle essentiel dans l'enquête : le sergent Mac Eaton, qui a réexaminé les dossiers des enquêtes antérieures et les plaintes déposées par d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB, puis la caporale Delaney Smith, qui a occupé la fonction d'enquêteuse principale de janvier 2000 à avril 2001 et qui a agi en qualité de personne de contact au bénéfice des plaignants Gregory Shore et Brad Lewis. Le sergent Eaton est décédé en 2005 et la caporale Delaney-Smith a décliné son entrevue par la CPP sur la recommandation de son avocat, William Gilmour. M. Gilmour est également l'avocat de M. Shore qui a déposé une plainte auprès de la CPP.

8.1 Clôture de l'enquête instruite en 1995

8.1.1 Suspension des procédures

Bien que M. Toft ait subi un procès en 1992 et qu'il ait plaidé coupable à 34 chefs d'accusation (dont 11 pour agression sexuelle, 11 pour sodomie et 12 pour attentat à la pudeur), la GRC a quand même poursuivi son enquête sur l'ÉFNB et sur M. Toft. Pour s'assurer que la loi soit appliquée en toute conformité, l'honorable Edmond P. Blanchard, c.r., procureur général, a suspendu la Commission d'enquête, appelée l'enquête Miller, qui avait été engagée pour examiner la manière dont le gouvernement provincial avait traite les plaintes d'agressions sexuelles et physiques commises par le personnel de l'ÉFNB

L'audience de la Commission d'enquête devait commencer au début de l'automne. Cependant, le 27 octobre 1993, par la voie de mes conseillers juridiques, j'ai déposé une requête devant la Cour du Banc de la Reine, pour solliciter une ordonnance d'interdiction empêchant la Commission d'enquête de continuer son travail aussi longtemps qu'on n'aurait pas réglé les procédures pénales intentées contre Karl Toft et contre un autre ancien employé de l'École. Cette requête a été déposée dans le but d'assurer la justice et l'équité au bénéfice des deux inculpés et de tous les plaignants, ainsi que dans le but de protéger le droit du public pour que tous les crimes soient détectés et punis.

En octobre 1993, la GRC avait déjà déposé 15 nouvelles accusations contre M. Toft devant un tribunal du Nouveau Brunswick, concernant 13 victimes. Cependant, le 29 octobre 1993, M. Blanchard a prononcé la déclaration publique qui suit au sujet desdites inculpations :

Je vous annonce aujourd'hui que j'ai donné la directive à mon agent d'inscrire une suspension des procédures relative à la dernière inculpation déposée contre Karl R. Toft. Au Nouveau Brunswick, la pratique permet au procureur général de procéder à la suspension des procédures seulement dans des circonstances exceptionnelles. J'ai décidé que la présente affaire constitue une de ces circonstances.

J'ai également donné la directive au tribunal, par la voie de mon mandataire, d'annuler la suspension des procédures concernant la Commission d'enquête.

Cela a jeté la confusion auprès de la GRC : Sur quels sujets peuvent ils désormais faire enquête? Quels chefs d'accusation les procureurs de la Couronne accepteront ils de déposer? Cependant, sur le fondement de données dont le procureur général ne disposait pas auparavant, dont « la nature et la portée des témoignages pouvant être déposés, la nature des allégations soulevées et le nombre de personnes concernées ou pouvant être concernées par les témoignages », ce dernier « a décidé que l'intérêt public serait mieux servi s'il permettait à l'enquête de se dérouler, plutôt que d'imposer la suspension des inculpations contre Karl Toft. » Comme le procureur général l'a expliqué dans la déclaration écrite qu'il a transmise aux médias, « la nature, les circonstances et la date » des nouvelles inculpations que la GRC a déposées « sont très semblables et rapprochées des » 34 chefs d'accusation déposés contre M. Toft en 1992 et pour lesquels il a plaidé coupable. Il était tenu « de trouver le juste équilibre des droits de chacune des parties et d'assurer l'intégrité du système de justice pénale. »

8.1.2 Avis du procureur général

D'après la surintendant Pierre Lange, officier de la Police criminelle, la GRC a poursuivi son enquête concernant les plaintes déposées contre M. Toft et contre l'ÉFNB pendant l'instruction de l'enquête Miller. « Notre politique était d'enquêter sur toutes les plaintes déposées auprès de la GRC, quel que soit l'avis ou la position des procureurs de la Couronne. »

Le 17 février 1995, le juge Miller a présenté son rapport au procureur général. Le 27 mars 1995, l'officier de la Police criminelle affecté à la Division J, le surintendant Lange, a écrit au directeur des Poursuites publiques, Robert Murray, c.r., pour l'informer que la GRC avait enquêté sur de nombreuses allégations déposées contre M. Toft avant la suspension des procédures imposée le 29 octobre 1993. Le surintendant Lange a indiqué que les enquêtes concernant ces allégations ont été suspendues, jusqu'à ce que l'enquête Miller soit réglée, parce que l'enquête Miller est un des motifs que le procureur général a invoqués pour suspendre les procédures contre M. Toft. Le surintendant Lange a déclaré, à la fin de sa lettre :

Nous vous serions reconnaissants de nous faire parvenir votre avis sur la question de savoir s'il est, ou non, dans l'intérêt supérieur de l'administration de la justice, de continuer le dépôt de nouvelles accusations, même si le procureur général a exprimé clairement son intention de solliciter la suspension des procédures concernant ces accusations.

Le 26 avril 1995, M. Murray a accusé réception de la correspondance du surintendant Lange et il a informé ce dernier du fait que « le Bureau des procureurs de la Couronne n'a pas l'intention de reprendre les procédures ayant été suspendues par ordre du procureur général le 29 octobre 1993. » Il a dressé une liste des « facteurs d'intérêt public » dont les avocats de la Couronne ont tenu compte pour décider si on poursuivrait les inculpations ayant été déposées. Un des facteurs les plus importants que M. Murray a invoqué pour ne pas entamer de poursuites est que « la nature, la date et les circonstances des inculpations sont semblables aux caractéristiques des accusations pour lesquelles M. Toft a déjà été condamné. »

Le Bureau des procureurs de la Couronne est d'avis que, pour les motifs invoqués, ce n'est pas dans l'intérêt public de lancer de nouvelles inculpations contre Karl Toft sur le fondement de plaintes déposées par des anciens pensionnaires du Centre de formation pour jeunes de Kingsclear (N. B.).

8.1.3 Clôture de l'enquête

Sur le fondement de la position adoptée par le procureur général au sujet du dépôt de nouvelles inculpations pénales contre M. Toft et de nouvelles plaintes contre l'ÉFNB, le 15 mai 1995, le surintendant Lange a informé le sous officier responsable de la Section des enquêtes générales (SEG) de Fredericton, le sergent Dunphy, qu'il devait mettre fin à l'enquête et informer les victimes des raisons pour lesquelles il a été décidé de fermer l'enquête et de ne pas permettre le dépôt d'inculpations supplémentaires contre M. Toft. La GRC a interprété les déclarations émises par le procureur général et par le Bureau des procureurs de la Couronne comme signifiant qu'on ne devait enquêter sur aucune plainte supplémentaire, contre qui que ce soit, concernant cette école. Lorsque la GRC a pris la décision de ne plus enquêter sur de nouvelles inculpations, elle s'est fondée sur l'instruction de l'enquête Miller qui a été le catalyseur pour lequel le procureur général a imposé la suspension des procédures en 1993.

8.1.4 Les plaignants ont été informés

Le registre de la correspondance démontre que, même après que l'on a décidé de mettre fin à l'enquête, de nouvelles plaintes d'incidents ayant eu lieu à l'ÉFNB ont continué de faire surface. La GRC n'a pas procédé à l'enquête de ces plaintes supplémentaires, mais on a plutôt décidé d'informer les plaignants de la position du procureur général. Après avoir examiné tous les documents pertinents, la CPP estime que la GRC a procédé de cette manière uniquement dans le cadre des plaintes concernant l'ÉFNB et M. Toft.

Le 23 octobre 1995, le sergent Dunphy a envoyé une note de service au sergent J. Edmonds, le sous officier responsable du détachement de Sackville, dans laquelle il a cité la lettre de M. Murray datée du 26 mai 1995. Le sergent Dunphy a indiqué que le dernier paragraphe de la lettre de M. Murray « fait ressortir clairement » la position du ministère de la Justice au sujet des futures enquêtes concernant M. Toft. Il a conseillé au sergent Edmonds d'informer le plaignant, Jonathon Leduc, de la dite position et de dire à ce dernier que, s'il souhaitait poursuivre l'affaire, il devait communiquer avec le ministère de la Justice.

Le 5 décembre 1996, le gendarme McAnany a reçu une plainte de la part d'un ancien pensionnaire, Brad Lewis, alléguant que M. Toft l'avait agressé sexuellement. Dans son rapport de suivi de la même date, le gendarme McAnany a déclaré avoir informé M. Lewis de la position du procureur général et il lui a proposé de prendre rendez vous avec un agent de police pour faire une déposition, si cela était son souhait. Il a également informé M. Lewis que, s'il voulait recouvrer des dommages intérêts, il devait retenir les services d'un avocat. M. Lewis a finalement déposé une plainte officielle devant la CPP le 19 février 2004.

L'ancien pensionnaire de l'ÉFNB, Cameron Racicot, a communiqué avec la GRC le 28 avril 1997 pour se plaindre que M. Toft l'avait agressé sexuellement. Il a indiqué avoir retenu les services d'un avocat et avoir exigé que le gouvernement lui présente des excuses et lui verse une indemnité. L'inspecteur Michel Seguin, officier de la police criminelle, Division J, a alors envoyé une lettre à l'avocat de M. Racicot en date du 9 juin 1997. L'inspecteur Seguin a fait référence à la décision du procureur général, en disant que « à la lumière de cet ordre du procureur général, la GRC a décidé de ne pas ouvrir d'enquêtes au sujet de plaintes semblables à celle que votre client a déposée. » Il a conseillé à l'avocat de s'adresser au ministre de la Justice s'il souhaitait poursuivre en ce sens.

Le 25 août 1997, l'inspecteur Seguin a envoyé une note de service à l'officier responsable du District 2 d'Oromocto (Nouveau Brunswick) dans laquelle il a clarifié la position de la GRC à l'égard de toutes les enquêtes concernant l'ÉFNB ou M. Toft. L'inspecteur Seguin a cité de nouveau la décision du procureur général et il a informé l'officier responsable que « cette information doit être communiquée clairement à tout plaignant pour s'assurer qu'il comprend parfaitement bien les motifs de notre position. »

8.2 Fondements justifiant la réouverture de l'enquête

8.2.1 Plainte de Gregory Shore

Le 11 septembre 1997, M. Shore a déposé une plainte auprès de la 41e division de la police de la communauté urbaine de Toronto au sujet d'une présumée agression sexuelle qu'il a subie lorsqu'il était pensionnaire à l'ÉFNB. Dans sa plainte, il dénonce plusieurs anciens employés de l'ÉFNB, dont M. Toft, Hector Duguay et Weldon (Bud) Raymond. Le gendarme enquêteur Doug Ward (no 6040) de la 41e division, de la section Criminal Investigation Branch, a recueilli la déposition audiovisuelle de M. Shore. Le 7 octobre 1997, il a transmis cette information accompagnée d'une note de service au caporal de la GRC Rick Evans, du Détachement de Fredericton.

Le surintendant Seguin lui a envoyé la même réponse que celle aux autres plaignants, laquelle fait état de l'enquête sur l'ÉFNB et sur M. Toft. Il a informé M. Shore par écrit, le 11 décembre 1997, de la position adoptée par la GRC, à savoir que « à la lumière de cet ordre du procureur général, la GRC a décidé de ne pas ouvrir d'enquêtes au sujet de plaintes semblables à la vôtre. » Il a terminé sa lettre en conseillant à M. Shore de communiquer avec le ministère de la Justice s'il souhaitait poursuivre cette affaire.

8.2.2 La position du procureur général

La GRC n'a pas reçu de nouvelles de la part de M. Shore jusqu'au 24 février 1999, jour où le surintendant Seguin a reçu un courriel que lui a envoyé son adjointe exécutive, Sharon Clark, pour l'informer que le directeur des Poursuites publiques, Glen Abbott lui avait téléphoné et souhaitait lui parler au sujet de M. Shore. D'après les notes du surintendant Seguin qui accompagnent son courriel, il a parlé avec M. Abbott le 3 mars 1999.

Gregory Shore – victime de Kingsclear – a écrit au ministre de la Justice – se plaint que nous ayons décidé de ne pas instruire une enquête en raison de la décision de Blanchard. Elle ne devrait s'appliquer qu'à Toft. S'il s'agit d'autres personnes, il faut ouvrir une enquête.

*Vérifier la documentation concernant la suspension – concerne t elle uniquement Toft?

*Glen doit envoyer de la correspondance.

Le 5 mars 1999, M. Abbott a télécopié une lettre au surintendant Seguin, pour l'informer que M. Shore avait téléphoné plusieurs fois au bureau du sous ministre au sujet de la plainte qu'il avait déposée. M. Abbott a également mentionné la lettre du 11 décembre 1997 que la GRC a envoyée à M. Shore, dans laquelle le surintendant Seguin a refusé d'ouvrir une enquête sur sa plainte sur le fondement de la position du procureur général au sujet du dépôt de nouvelles inculpations criminelles contre M. Toft relatives à des incidents s'étant produits à l'ÉFNB. Voici un extrait de la lettre de M. Abbott :

Je n'ai trouvé aucune lettre démontrant que le ministère de la Justice ait déjà mentionné de ne pas poursuivre des plaintes concernant l'établissement Kingsclear qui ont été déposées contre des personnes autres que Karl Toft lorsque les éléments de preuve étaient recueillis par des enquêteurs de la police.

M. Abbott a demandé à la GRC des précisions avant de répondre à Mr. Shore.

8.3 La réouverture de l'enquête

Le catalyseur ayant provoqué la réouverture de l'enquête est la lettre du 5 mars 1999 que M. Abbott a envoyée au surintendant Seguin. M. Abbott fait valoir dans sa lettre que M. Shore s'est plaint d'abus commis par des employés de l'ÉFNB autres que M. Toft et il soulève la question de savoir si la position du procureur général au sujet des enquêtes sur l'ÉFNB et sur Toft signifie que la GRC ne doit pas faire enquête sur des personnes autres que M. Toft. Le 9 mars 1999, après avoir reçu la lettre de M. Abbott, le surintendant Seguin a informé l'inspecteur Barry Harvie, l'officier du soutien opérationnel sous sa direction, d'examiner la plainte de M. Shore. Deux jours plus tard, le sergent d'état major Jacques Ouellette a affecté le caporal Ken Legge à l'instruction de l'enquête concernant la plainte de M. Shore.

8.3.1 La réorganisation de la Division J

En septembre 1994, on a procédé à la réorganisation de la Division J. Les sous divisions ont été dissoutes et on a établi dans toute la province un modèle par district. On a, par conséquent, réparti les effectifs parmi les deux districts, au nord et au sud de la province, et la sous division de la SEG a été divisée en deux groupes : le Groupe des crimes graves (GCG [sud] et le Groupe des crimes graves (nord). Toutes les enquêtes sur des crimes ayant eu lieu au sud de Moncton (Nouveau Brunswick), y compris celles portant sur l'ÉFNB, ont été attribuées au GCG (sud). Les effectifs du GCG (sud) comprennent le sergent d'état major Jacques Ouellete, le sergent Eaton, « emprunté » du district d'Oromocto, les caporaux Legge et Delaney Smith, ainsi que les gendarmes Cole et Houle.

8.3.2 Entrevues des personnes clés effectuées par la CPP

La CPP a tenu des entrevues avec des membres du GCG (sud) ayant participé à l'enquête rouverte jusqu'à la constitution de la nouvelle équipe d'enquête en mai 2001. La CPP a notamment fait passer une entrevue au sergent d'état major Ouellette, au sergent d'état major Legge (récemment arrivé) et au gendarme Cole. La CPP a également fait passer une entrevue au commissaire adjoint Seguin et au surintendant principal Bill Smith. Comme les représentants de la CPP n'ont pas été en mesure de faire passer une entrevue au sergent Eaton et à la caporale Delaney Smith, on a reconstitué leur participation en examinant les documents pertinents.

1. Gendarme Pat Cole

Le gendarme Pat Cole a participé à l'enquête sur l'ÉFNB dirigée par le sergent Lockhart de 1992 à 1993. En 1999, il a travaillé au bureau de Saint John où il assistait le caporal Legge dans le cadre d'une plainte déposée par Kevin Saunders, un ancien pensionnaire de l'ÉFNB. Le 20 mai 1999, il a recueilli une déclaration audiovisuelle de M. Saunders concernant des agressions ayant causé des lésions corporelles perpétrées par un garde répondant au nom de Sam Coleman. M. Saunders n'a fait aucune allégation contre M. Toft.

Le 24 juin 1999, le sergent Eaton du GCG (sud) a reaffecté le gendarme Cole à la plainte de M. Shore. On lui a fait part par courriel, puis informé ultérieurement, qu'il y avait trois plaintes dans ce dossier à ce jour : celles de M. Shore, Roger Philippe et Karl Gauthier. Après avoir remplacé le caporal Legge en qualité d'enquêteur, il était le seul officier de police affecté au dossier, et ce n'était pas le seul dossier dont il était saisi au cours de cette période.

Le 16 juillet 1999, il a télécopié un message au sous officier responsable de la Division K du GCG (nord) d'Edmonton (Alberta) pour « demander à un membre de communiquer avec Luc Brazeau avant le 21 juillet 1999 et de tenir une entrevue enregistrée sur vidéo. » M. Brazeau a déclaré que, lorsqu'il était pensionnaire à l'ÉFNB dans les années 1980, M. Toft l'avait agressé sexuellement. Le 29 juillet 1999, le gendarme de la GRC, Robert Loewen, de la SEG d'Edmonton, a recueilli une déposition de M. Brazeau qu'il a enregistrée sur vidéo. Dans sa déposition de 34 pages, M. Brazeau déclare que ce n'est pas M. Toft qui l'a agressé, mais une personne nommée Ben Shanahan.

Le sergent d'état major Ouellette a demandé au gendarme Cole, par la voie d'un courriel envoyé le 29 juillet 1999, d'ajouter Terry Manson à la liste de plaignants. M. Manson, qui purgeait une peine de trois ans pour agression sexuelle, a déclaré qu'il avait été une victime de M. Toft. Le gendarme Cole a également été informé qu'on avait reçu un autre appel de la part de M. Shore. Le sergent d'état major Ouellette a recommandé que le dossier de M. Shore soit réexaminé le plus tôt possible, puis qu'on mette de côté ce dossier dont les plaintes devenaient de plus en plus nombreuses. On lui a également demandé d'établir un rapport de travail avec le sergent Eaton.

Vers le 3 août 1999, le sergent Eaton a désigné le gendarme Cole pour instruire l'enquête de la plainte déposée par Tim Mastek. La demande a suivi une conversation ayant eu lieu entre le gendarme Jim MacPherson, du District 2 de la GRC (Oromocto) et M. Mastek, dans le cadre de laquelle ce dernier a fait allusion à des agressions sexuelles perpétrées par M. Toft. Le gendarme Cole a recueilli une déposition de M. Mastek le 13 septembre 1999, dans laquelle ce dernier s'est plaint du fait que M. Toft l'aurait masturbé, mais cela ne s'est renouvelé que trois ou quatre fois parce qu'il n'était pas un des préférés de M. Toft. M. Mastek lui a expliqué que « une femme policière est venue il y a un certain temps, mais j'ai tout nié parce que j'avais honte. Mais, maintenant que c'est de nouveau dans l'actualité, j'ai décidé de porter plainte. »

Avant de tenir d'autres entrevues, le gendarme Cole a écrit dans un rapport daté du 9 août 1999 qu'on « devrait préparer un dossier d'information concernant les autres plaintes sur le CFJ. »

Le 5 octobre 1999, il a enregistré, sur une bande sonore, les dépositions de Roger Fisher et M. Manson, deux personnes ayant rapporté des incidents d'abus à la police par l'intermédiaire de tierces parties.

Le 27 octobre 1999, un cabinet juridique a télécopié au gendarme Cole un affidavit concernant une poursuite civile en instance contre le gouvernement du Nouveau Brunswick, intentée par Joseph Spencer Rollins, qui déclare que M. Toft l'a agressé sexuellement. Dans un rapport de suivi daté du 29 octobre 1999, le gendarme Cole a écrit que, lors d'une conversation téléphonique qu'il a eue avec M. Shore, ce dernier lui a dit que « nous voudrions que [à partir de maintenant] l'enquête se concentre sur [Weldon] Bud Raymond, plutôt que sur Toft. » Il a également déclaré avoir informé M. Shore « qu'il s'agit de la première fois qu'il mentionne Raymond dans nos conversations. Voilà pourquoi, je n'ai orienté mes efforts que vers le dossier Toft. »

Le 5 novembre 1999, il a envoyé un courriel à Sharon Clark, adjointe exécutive de l'officier responsable de la Police criminelle, dans lequel il lui disait avoir fait passer une entrevue à tous les plaignants du dossier, sauf à M. Rollins, et que toutes les victimes souhaitaient que l'on dépose des inculpations contre leurs agresseurs. Il lui a écrit avoir informé deux plaignants du fait que les chefs d'accusation pour agression n'étaient pas justifiés pour les incidents décrits et qu'on ne porterait pas d'accusations en ce sens. Il a également déclaré avoir parlé avec M. Shore, qui semblait satisfait du déroulement de l'enquête jusque-là. Il importe de mentionner qu'il n'a pas mis par écrit que M. Shore était effectivement satisfait de l'évolution de l'enquête; il n'a pas affirmé, non plus, dans son rapport de suivi du 5 novembre 1999, avoir mis ce dernier au courant du cours de l'enquête.

Le 15 novembre 1999, il a reçu un appel de M. Shore qui l'a informé que l'avocat de ce dernier voulait lui parler. Après plusieurs tentatives pour communiquer avec cet avocat, le gendarme Cole a finalement réussi à lui parler le 8 décembre 1999. Au cours de la conversation, l'avocat lui a confié qu'un autre de ses clients, Richard Danielson, avait été témoin d'un incident d'agression sexuelle perpétré contre un jeune garçon répondant au nom de Shore. Le 17 novembre 1999, il a inscrit dans un rapport de suivi avoir pris le dossier Toft pour l'examiner.

Le 10 décembre 1999, il a préparé deux rapports de suivi concernant Bert Spiegle et Cameron Racicot. Il y indique que leurs plaintes n'ont pas été examinées au cours des enquêtes précédentes sur l'ÉFNB parce que le procureur général avait suspendu les inculpations déposées par la GRC en 1993. Il précise qu'il procédera à une enquête approfondie de ces plaintes.

Le 26 janvier 2000, le gendarme Cole a parlé avec M. Shore. C'était l'une de leurs nombreuses discussions durant l'enquête. M. Shore voulait savoir si le gendarme Cole avait communiqué avec l'ancien employé de l'ÉFNB, Tim Douglas, qui pouvait corroborer les déclarations de M. Shore. M. Shore lui a également fait part d'une agression qui a eu lieu dans la section des douches. Il a déclaré que M. Raymond l'a obligé à se battre avec Richard Theoret avec des gants de boxe. M. Shore lui a également dit qu'il avait déjà essayé de se suicider avec des pilules et des produits de nettoyage.

Le gendarme Cole n'a participé à la préparation d'aucun dossier d'audience. Il semble qu'il ait souffert de problèmes de santé et qu'on ne lui ait attribué que des tâches limitées. C'est à cette époque que la caporale Delaney Smith a commencé à participer de plus en plus à l'enquête sur l'ÉFNB.

2. Sergent d'état major à la retraite Jacques Ouellette

La CPP a fait passer une entrevue à Jacques Ouellette le 6 décembre 2006 à Fredericton (Nouveau Brunswick). M. Ouellette est entré à la GRC en septembre 1971 et, après plusieurs affectations dans d'autres provinces, il a été affecté au Nouveau Brunswick en 1979 où il a travaillé jusqu'à sa retraite. En 1996, il était responsable du GCG (sud) en qualité de sous-officier. Il est resté dans cette section jusqu'au 15 juillet 2000, date où il a pris un congé prolongé, et il est revenu au travail le 18 octobre 2000. Il a continué d'occuper la fonction de sous-officier responsable du GCG (sud) jusqu'en octobre 2001. Il a pris sa retraite en octobre 2006. Il travaille actuellement en qualité de shérif pour le gouvernement du Nouveau-Brunswick.

M. Ouellette a indiqué qu'il était au courant de l'affaire de l'ÉFNB et qu'il se rappelle être allé à cette école jouer au basket ball avec les pensionnaires. Dans le cadre de l'enquête rouverte, il avait un rôle de personne ressource : il essayait de mobiliser tous les enquêteurs nécessaires pour mener l'enquête, quelles que soient les tâches à accomplir. Il a déclaré que dans cette province, il était difficile de maintenir des ressources suffisantes, mais qu'il détenait, cependant, l'autorité nécessaire pour retirer des enquêteurs affectés à d'autres enquêtes s'ils étaient disponibles. Il a précisé à la CPP que l'enquête sur l'ÉFNB était prioritaire et qu'il y contribuait de temps en temps, tenant compte du fait qu'il était chargé de beaucoup d'autres fonctions et obligations. Il a déclaré que l'enquête, au moins dans les phases initiales, a été attribuée à des officiers parce qu'elle ne portait que sur un petit nombre de plaignants.

Aussitôt qu'il a été décidé, à la GRC, de procéder à l'enquête de la plainte de M. Shore contre M. Toft, le sergent d'état major Ouellette a communiqué avec M. Shore le 17 mars 1999, pour lui faire part de cette décision. Il a également informé le surintendant Seguin par courriel et attribué la plainte de M. Shore au caporal Legge. On a demandé à M. Shore de faire preuve de patience, puisque le caporal Legge devait examiner le dossier de l'ÉFNB et la bande vidéo contenant son entrevue. Mme Clark, l'adjointe exécutive de l'officier responsable de la Police criminelle, a rapporté qu'elle « aussi avait parlé avec Shore, ce même jour, et que ce dernier l'avait informée que, lorsqu'il était au CFJ, il avait subi des agressions de la part de Bud Raymond, d'Hector Duguay et de Karl Toft. »

Le sergent d'état major Ouellette s'est rendu à Toronto pour recueillir la déposition de M. Shore sur bande sonore, à la suite d'une conversation téléphonique qu'ils ont eue le 9 décembre 1999. Dans sa déposition du 13 décembre 1999, M. Shore a mentionné un avocat de Fredericton du nom de Tim Douglas, qui travaillait à temps partiel à l'ÉFNB lorsque M. Shore y était pensionnaire.

Faisant suite à l'information que lui a donnée M. Shore, le sergent d'état major Ouellette a rencontré M. Douglas à Fredericton, le 8 février 2000. M. Douglas a confirmé que, de 1964 jusqu'à 1968, il travaillait à l'ÉFNB et étudiait à temps partiel. Il a déclaré ne se souvenir d'aucun pensionnaire qui se soit plaint d'abus auprès de lui. Le 9 février 2000, le sergent d'état major Ouellette a téléphoné à M. Shore pour lui faire part des résultats de l'enquête. Il est resté en contact avec M. Shore jusqu'à son congé, en juillet 2000, et il a repris le contact lorsqu'il est retourné au travail en octobre 2000. Sa dernière conversation avec M. Shore a eu lieu le 10 novembre 2000. D'après des données inscrites dans son carnet de notes, cette conversation a duré environ 45 minutes.

Il a également confirmé l'existence d'un courriel qu'il a envoyé à Bill Smith, l'inspecteur responsable du Service du soutien opérationnel (SSO) le 23 février 2000, dans lequel il expose à ce dernier les résultats d'une rencontre qu'il a eue avec l'avocat de la Couronne William Corby. Lors de cette rencontre, le sergent d'état major Ouellette avait déclaré qu'à ce jour, on recensait 11 plaintes et que la GRC allait examiner toutes les inculpations ayant été suspendues, ce qui représentait environ 34 dossiers en tout qui feraient l'objet de l'enquête. Il lui a dit qu'il avait l'impression que le nombre de dossiers dépasserait bientôt 50. Il a indiqué que le gendarme Phil Houle serait l'enquêteur principal et que la caporale Paulette Delaney Smith serait la coordonnatrice du dossier.

3. Sergent d'état major Ken Legge

Au début du mois de mars 1999, Ken Legge (caporal à l'époque) a été désigné pour examiner la plainte de M. Shore. Dans un rapport de suivi commencé le 9 mars 1999 et couvrant une longue période, le caporal Legge fait référence à la demande du surintendant Sequin, datée du 11 mars 1999, et destinée à l'officier responsable du SSO pour que ce dernier se charge de cette plainte. Il s'est rendu compte qu'on a ordonné l'enquête de ce dossier en raison de la présence de nouvelles allégations contre d'autres personnes. Il a également constaté que « le sergent Gerry Belliveau souhaitait transmettre à ses successeurs le fait que Roger Philippe, de Moncton, désirait parler avec un membre au sujet d'allégations d'abus sexuel contre un garde du CFJ, Bud Raymond. »

Dans son rapport de suivi, le caporal Legge a écrit que, le 9 avril 1999, il a « examiné l'entrevue que le gendarme enquêteur Ward, du service de police de Toronto avait fait passer à Shore. » Il rapporte que « dans l'entrevue, il n'y avait pas d'allégations sérieuses autres que celles d'avoir fait l'objet d'attouchements. Il y a une allégation d'agression physique perpétrée par d'autres détenus qu'il pense avoir été orchestrée par Bud Raymond. »

Il a discuté avec M. Shore et rapporté la conversation qu'ils ont eue dans le rapport de suivi du 12 avril 1999 :

[M. Shore] doit nous donner beaucoup plus de précisions sur les incidents au CFJ. Dans le cadre de l'entrevue et des allégations déposées auprès du service de police municipal, le CFJ n'occupait qu'un rôle secondaire. Il déclare avoir été obligé d'effectuer du sexe oral à Raymond et à Toft et avoir ensuite contracté le herpès. Il y a également des incidents mineurs d'attouchement perpétrés par Hector Duguay.

Le 15 avril 1999, le caporal Legge a essayé de faire transférer le dossier à Oromocto parce que ce type de plainte ne relevait du mandat du GCG. Cependant, l'officier responsable du District 2 a refusé d'accepter ce dossier. M. Shore a téléphoné à la GRC le même jour et il a présenté de nouveaux faits concernant l'époque où il était pensionnaire à l'ÉFNB.

Le 30 avril 1999, le caporal Legge a envoyé au service de police de Toronto une demande demandant au gendarme enquêteur Ward de faire passer une deuxième entrevue à M. Shore. Après avoir appris que M. Shore serait à Saint John le 18 mai, il a communiqué avec M. Shore le 11 mai 1999 et s'est organisé pour pouvoir le rencontrer. Au cours de leur conversation, ils ont discuté de la lettre que le sous procureur général avait envoyée à M. Shore pour l'informer que la province « n'a jamais adopté une position générale préconisant que toute conduite criminelle concernant des incidents ayant eu lieu au Centre de formation pour jeunes de Kingsclear était dispensée de faire l'objet d'une enquête ou d'une poursuite criminelle. »

Le 18 mai 1999, il a rencontré M. Shore et il a recueilli sa déposition qu'il a enregistrée sur bande vidéo. Au cours de l'entrevue, M. Shore a allégué que, sous la supervision de M. Raymond, d'autres pensionnaires ont perpétré des agressions contre lui et lui ont coupé le pénis. Au cours de leur rencontre, M. Shore a également signé plusieurs formulaires autorisant la communication de renseignements médicaux. Une semaine plus tard, le caporal Legge a obtenu les dossiers médicaux de M. Shore de janvier 1963 à février 1968, et il n'a rien trouvé qui mentionne une blessure au pénis ou un traitement pour une maladie transmise sexuellement. Il a également parlé avec le sergent d'état major Ouellette pour lui demander que la GRC exige des éclaircissements sur la position du gouvernement à l'égard de M. Toft.

Le caporal Legge a rapporté que, le 27 mai 1999, il a reçu une télécopie du bureau de la GRC à Newmarket (Ontario) qui l'informait que Karl Gauthier avait fait des allégations concernant un garde de l'ÉFNB dont il a tu le nom. La télécopie mentionnait également qu'on avait l'intention de prendre sa déposition qui serait enregistrée sur bande vidéo et envoyée au GCG. Le 8 juin 1999, il a reçu un appel du bureau de la GRC à Newmarket et il a été informé qu'on avait recueilli la déposition de M. Gauthier et qu'on s'apprêtait à la lui envoyer.

Le 4 juin 1999, une femme a laissé un message à la SEG de Fredericton dans lequel elle disait que son frère, Tom Taylor, avait été une des victimes de l'ÉFNB lorsqu'il y était pensionnaire, vers le début des années 1970. On lui a répondu que l'enquêteur était absent, mais qu'il la rappellerait. Le 7 juin 1999, le caporal Legge lui a téléphoné et laissé un message. Le jour suivant, il a discuté avec M. Taylor qui s'est plaint d'avoir subi des abus physiques lorsqu'il était à l'ÉFNB. Il a répondu à M. Taylor que les renseignements que ce dernier lui avait communiqués seraient consignés, mais que les actes décrits « constituent probablement des infractions sommaires et que, par conséquent, le délai de prescription pour les poursuivre a expiré. »

Les 10 et 11 juin 1999, le caporal Legge et M. Shore ont échangé plusieurs appels téléphoniques dont la plupart portaient sur les prochaines élections provinciales. Il a informé M. Shore que les élections n'auraient aucune incidence sur l'enquête. Il a également averti à M. Shore que l'on attendait une décision de la part du directeur des Poursuites publiques pour savoir quelle serait la stratégie de la GRC dans le cadre de l'affaire Toft.

Dans son rapport de suivi du 16 juin 1999, il a fait référence à la lettre de M. Abbott, datée du 18 juin 1999, qui disait qu' « en fin de compte, nous allons faire enquête sur Karl Toft. » Il a également fait remarquer que, comme il avait été affecté à de nouvelles fonctions, le dossier serait donc attribué à un autre enquêteur à partir du 14 juin 1999.

4. Commissaire adjoint Michel Seguin

Michel Seguin a été transféré à la Division J comme officier responsable de la Police criminelle en avril 1997 en qualité d'inspecteur. Il a été promu au poste de surintendant à l'automne 1997, puis, à la suite d'un reclassement, son grade a été augmenté à celui de surintendant principal en mai 1999. Il a été promu au poste de commissaire adjoint en décembre 2000 et il a quitté la Division J pour aller travailler à Ottawa. Lorsqu'il a passé l'entrevue enregistrée sur bande sonore auprès de la CPP le 27 septembre 2006 à London (Ontario), il était commandant de la Division O (Ontario). Il a déclaré, dans le cadre de son entrevue, qu'il n'était pas au courant de l'affaire de l'ÉFNB ou de M. Toft avant d'arriver à la Division J..

Le 14 juin 1999, le surintendant principal Seguin a écrit à M. Abbott, directeur des Poursuites publiques, pour essayer de clarifier la position de la GRC relativement à l'enquête et à la poursuite de M. Toft. Il lui a expliqué la raison pour laquelle la GRC avait décidé de ne pas enquêter sur de nouvelles plaintes concernant l'ÉFNB et il a conclu sa lettre avec la déclaration suivante :

Après avoir réexaminé cette question, nous avons décidé d'accueillir toutes les plaintes soulevées contre toute personne ayant travaillé à l'ÉFNB, y compris Karl Toft. Comme dans l'actualité, les procureurs de la Couronne participent souvent à toutes les décisions concernant l'instruction des enquêtes, la collecte des preuves et le dépôt des inculpations, la distinction entre le rôle des procureurs et celui de la police est devenue plutôt floue. Cependant, il semble que notre obligation d'enquêter ne doit pas s'assujettir aux considérations de la poursuite. Nous procéderons donc à l'enquête de toutes les plaintes.

M. Abbott lui a répondu le 18 juin 1999 que les commentaires de M. Murray faisaient uniquement référence à M. Toft. Il a également clarifié le fait que, si M. Toft a agi conjointement avec d'autres personnes, les inculpations qui en découlent seraient donc envisagées. « Les considérations d'ordre public de ne pas permettre le dépôt de nouvelles inculpations faisant référence à des circonstances semblables aux 34 condamnations de Karl Toft, restent aujourd'hui aussi valables qu'en 1995. »

Le 21 juin 1999, le surintendant principal Seguin a répondu brièvement à la lettre de M. Abbott ; il a clarifié un point selon lequel M. Abbott avait contesté et déclaré qu'ils reconnaissaient et respectaient les considérations d'ordre public que ce dernier faisait valoir.

Comme ces considérations ne sont pas incompatibles avec notre obligation de répondre aux crimes nous ayant été rapportés, nous continuerons de faire enquête sur ceux ci et permettrons que les résultats qui en découlent soient évalués dans le cadre des critères prescrits à l'art. 504 du Code criminel et de la politique en matière de poursuites publiques.

Au cours de l'entrevue qu'il a passée auprès de la CPP, le commissaire adjoint Seguin a déclaré qu'il avait supposé que la GRC ne procéderait pas à l'enquête des cas ayant eu lieu à l'ÉFNB en raison de la décision prise par le Bureau des procureurs de la Couronne. Il a dit à la CPP que, aussi loin qu'il s'en souvienne, la décision était déjà en vigueur lorsqu'il est arrivé à la Division J et que son prédécesseur, le surintendant Lange, partageait ce point de vue. Il a également dit qu'il ne se sentait pas tout à fait à l'aise dans cette position et que, lorsque le problème entre M. Shore et le sous procureur général s'est aggravé, il a alors senti qu'il était temps d'exiger des éclaircissements. Voici ce qu'il a dit au sujet du « filtrage préinculpation » :

cela a été un sujet de polémique entre la GRC et le directeur des Poursuites publiques. Parce que nous avons toujours soutenu que ... c'est notre droit ... sur le fondement de motifs raisonnables et probables, de procéder à l'enquête des plaintes et de déposer des inculpations ... ce n'est pas la situation actuelle dans la province du Nouveau Brunswick.

5. Caporale Paulette Delaney-Smith

La caporale Paulette Delaney-Smith s'est jointe à l'équipe d'enquête vers la fin de janvier 2000, en qualité d'enquêteuse principale. Elle a assumé cette fonction jusqu'au moment où elle a appris que l'équipe d'enquête sur l'ÉFNB devait déménager dans un immeuble isolé avec de l'amiante. Lorsqu'on a demandé, le 27 avril 2001, aux membres de l'équipe d'indiquer s'ils accepteraient de travailler dans cet immeuble, elle a refusé et demandé à être remplacée. Malgré cela, elle a quand même continué de participer occasionnellement à l'enquête; la preuve documentaire démontre qu'elle est restée en contact avec M. Shore, qu'elle a préparé les dossiers d'audience des affaires concernant M. Shore et M. Rollins, puis, qu'en mai 2004, elle a échangé de la correspondance avec le bureau de la GRC de Cornwall concernant un ancien pensionnaire de l'ÉFNB, Daniel Trottier. Le dossier d'audience de M. Rollins allègue que MM. Toft et Raymond ont abusé de lui sexuellement et physiquement, alors que le dossier de M. Shore « allègue qu'il a été abusé sexuellement et physiquement par des employés et des détenus alors qu'il résidait à l'établissement Kingsclear. » M. Trottier est une des personnes qui a déposé une plainte auprès de la CPP.

La caporale Delaney-Smith a été informée, par la voie d'un courriel du sergent Eaton, daté du 6 juillet 2000, qu'elle serait chargée de communiquer avec M. Shore, laquelle tâche relevait auparavant du gendarme Phil Houle. En juin 2000, le gendarme Houle avait été chargé de téléphoner à M. Shore chaque vendredi après midi afin de le mettre à jour de la situation, ainsi que de répondre à tous les appels provenant de ce dernier, pour être en mesure de bien contrôler l'information communiquée à ce plaignant. Cependant, comme le gendarme Houle devait être muté à Ottawa et que la caporale Delaney-Smith connaissait aussi bien l'affaire que les négociations concernant le dossier de M. Shore avec les procureurs de la Couronne, il a alors été décidé que celle ci serait chargée de ce dossier.

Le 22 février 2000, pour répondre à la question soulevée par le gendarme Cole de savoir s'il fallait, ou non, rouvrir le dossier de Bert Spiegle, la caporale Delaney-Smith a préparé un rapport. Elle y écrit que, le 3 décembre 1999, un avocat du ministère du Procureur général a autorisé le versement d'une somme de 5 000 $ à M. Spiegle, par la voie d'une procédure de règlement « accélérée », pour indemniser ce dernier de la souffrance qu'il a subie. Cette somme provenait du Compensation for Victims of Institutional Sexual Abuse Program [programme d'indemnisation des victimes d'abus sexuel dans un cadre institutionnel]. Son rapport indique également que le bureau du Procureur général devait rester en contact avec M. Spiegle pour lui verser le reste de l'indemnité. Vers le 4 juin 2001, le gendarme Al Rogers, coordonateur des dossiers de l'équipe d'enquête de l'an 2000, a communiqué avec M. Spiegle et il a informé ce dernier de la position que le procureur général avait adoptée face aux chefs d'accusation semblables à ceux pour lesquels M. Toft avait été condamné. Il lui a expliqué que, comme sa plainte portait sur M. Toft, on ne déposerait pas d'inculpations.

Le 28 février 2000, elle a également parlé avec Cameron Racicot, l'autre ancien pensionnaire de l'ÉFNB que le gendarme Cole mentionne dans ses rapports autour du 10 décembre 1999. Dans la première déclaration qu'il a déposée le 23 octobre 1991 auprès du caporal Legge, M. Racicot avait affirmé que personne ne l'avait touché lorsqu'il était à l'ÉFNB. Cependant, il a informé la caporale Delaney-Smith qu'il souhaitait porter plainte à présent. Le 13 mars 2000, elle a recueilli sa déposition écrite. Il y prétend que, lorsqu'il était à l'ÉFNB, un professeur d'éducation physique l'aurait battu et qu'à une autre occasion, M. Toft lui aurait fait des attouchements. Le gendarme Rogers, coordonateur des dossiers, a décidé que, compte tenu du fait que l'identité du professeur d'éducation physique était inconnue et que les accusations contre M. Toft étaient semblables aux accusations pour lesquelles ce dernier avait déjà été condamné, on ne pourrait pas donner suite à la plainte de M. Racicot. Lorsqu'il a examiné ce dossier, le sergent d'état major Dunphy a inscrit une remarque dans son rapport de suivi du 28 janvier 2001, à savoir que M. Racicot semblait être une personne crédible.

6. Sergent Mac Eaton

C'est au mois de mars 2000 que le sergent Mac Eaton a commencé à travailler sur le dossier de l'ÉFNB. Il était chargé de la révision et de la coordination des premières étapes de l'enquête. Il a conservé cette fonction administrative jusqu'en avril 2002.

Selon la preuve documentaire, il a préparé un communiqué de presse daté du 19 juin 2000, qui indiquait qu'une équipe constituée de quatre membres, le sergent Eaton, le gendarme Houle, la caporale Delaney-Smith et le gendarme Bates, avait été affectée à l'enquête sur les nouvelles allégations d'abus historiques survenus à l'ÉFNB et que la GRC s'attendait à ce que l'enquête soit longue. Il a également rédigé un rapport d'enquête daté du 23 juin 2000, dans lequel il a précisé 11 questions et décrit un plan préconisant de réexaminer toutes les plaintes antérieures et de communiquer avec chaque ancien pensionnaire et employé de l'ÉFNB depuis 1960. Le plan a été présenté à l'inspecteur Smith, l'officier hiérarchique, lequel a informé le sergent Eaton le 4 juillet 2000 que l'officier responsable de la Police criminelle avait approuvé ce plan et qu'il tentait d'obtenir les fonds pour cette opération. Cependant, il a été décidé que ce plan était trop complexe pour le mettre en ouvre. La GRC ne disposait pas des ressources financières et humaines nécessaires pour le mettre à exécution.

Le sergent Eaton a mis au courant le sergent d'état major Ouellette de la situation qu'il a présentée à l'officier hiérarchique, l'inspecteur Smith, par la voie d'un bordereau d'acheminement daté du 4 juillet 2000. Le bordereau d'acheminement indiquait qu'il n'y aurait pas d'effectifs disponibles jusqu'à l'automne et que seuls la caporale Delaney-Smith et le gendarme Houle continueraient de travailler sur cette enquête. Au cours de son entrevue avec la CPP le 31 mars 2006, le commissaire adjoint Tim Quigley, maintenant à la retraite, et commandant de la Division J en 2000, a déclaré être d'accord avec le contenu de ce courriel.

Dans un courriel daté du 23 juin 2000, le sergent Eaton a proposé au commandant Quigley une stratégie sur la manière de faire face aux appels téléphoniques de M. Shore. Il a précisé la fréquence de ces appels, ainsi que le temps que chaque enquêteur avait consacré à des conversations avec M. Shore. Ce courriel faisait également référence à un appel entre le gendarme Houle et M. Shore, au cours duquel le gendarme Houle a demandé à M. Shore s'il avait affaire, de quelque manière que ce soit, avec le sergent d'état major à la retraite McCann et il lui a posé des questions au sujet d'une ligne téléphonique sans frais que M. Shore avait fait installer pour permettre à d'autres victimes de porter plainte.

Le sergent Eaton a préparé un deuxième communiqué de presse le 2 août 2000, pour confirmer le fait que la GRC avait l'intention de constituer une équipe d'enquête à l'automne 2000 pour procéder à l'enquête des nouvelles et des anciennes allégations d'agressions survenues à l'ÉFNB. Le communiqué de presse disait que la GRC était en train d'évaluer ses ressources humaines et financières pour être en mesure de réaliser son objectif. Le nom du sergent Eaton figurait sur une note d'information, datée du 14 août 2000 et destinée au commissaire. Cette note d'information mentionnait qu'on préparait des dossiers d'information devant être présentés au Bureau des procureurs de la Couronne, dans lesquels figuraient 10 chefs d'accusation concernant les agressions que M. Toft aurait perpétrées sur la personne de M. Shore. Il convient de noter que la CPP ignore si ce communiqué de presse ou ces notes d'information ont été divulgués tels quels.

Le 23 août 2000, le sergent Eaton a envoyé à Kevin Connell, l'avocat de la Couronne designé pour l'enquête sur l'ÉFNB, l'ébauche d'une lettre adressée à M. Shore qu'il était en train de rédiger. Le sergent Eaton a demandé à M. Connell son avis sur le contenu de la lettre pour M. Shore, dans laquelle il demandait à ce dernier d'arrêter de perturber l'instruction de l'enquête et de communiquer, à l'avenir, avec la caporale Delaney-Smith. M. Connell a télécopié une réponse au sergent Eaton le même jour, conseillant à ce dernier de demander l'avis du service juridique de la GRC. Les documents examinés par la CPP n'indiquent pas si la lettre a effectivement été envoyée et M. Shore ne se souvient pas de l'avoir reçue.

7. Surintendant principal Bill Smith

La CPP a fait passer une entrevue au surintendant principal Bill Smith le 8 mars 2007, à St. John's, Terre Neuve. Ce dernier a déclaré qu'en novembre 1999, il était posté au quartier général de la Division J et occupait la fonction d'officier hiérarchique, en qualité d'inspecteur. Il se souvient que, au moment de sa nomination à ce poste, il relevait du surintendant principal Seguin qui était l'officier responsable de la Police criminelle de la Division J.

Il a dit qu'il ne se souvenait d'aucune note d'information concernant le dossier de l'ÉFNB puisque ce dossier était inactif depuis son arrivée. Il a précisé à la CPP que cela faisait plusieurs mois qu'il occupait ce poste lorsque le surintendant Seguin lui a demandé de téléphoner à Brad Lewis, dont il n'avait jamais entendu parler auparavant. Il a dit qu'il s'agissait de sa première intervention dans l'enquête sur l'ÉFNB.

Il se rappelait également que le sergent Eaton avait préparé un rapport détaillé proposant l'instruction d'une enquête approfondie au sujet des allégations concernant l'ÉFNB. Il a dit avoir discuté du plan avec le sergent Eaton et lui avoir mentionné qu'il ne serait pas possible d'y affecter des ressources supplémentaires avant l'automne 2000. En octobre 2000, le sergent d'état major Dave Dunphy est revenu d'un détachement et il a été chargé de l'enquête en cours.

9. Enquête menée par le sergent d'état-major Dave Dunphy (2000-2003)

La GRC a envisagé la mise sur pied d'une équipe d'enquête afin d'examiner, dès l'automne 2000, les nouvelles allégations et d'étudier de nouveau les anciennes allégations d'abus à l'École de formation du Nouveau-Brunswick (ÉFNB). Le sergent d'état-major Dave Dunphy, tout juste rentré d'un détachement, a été nommé responsable de l'enquête en suspens en octobre 2000. Cependant, les quelques mois qui ont suivi ont été consacrés à obtenir les fonds et les ressources nécessaires à l'équipe d'enquête et à la définition des paramètres de l'enquête avec l'avocat de la Couronne, Kevin Connell. Ce n'est qu'en mai 2001 que le groupe d'intervention s'est réuni pour la première fois. Parmi les membres de l'équipe, on comptait le sergent d'état-major Dunphy, les caporaux Clive Vallis et Paulette Delaney-Smith et les gendarmes Kathy Long, Al Rogers et Pierre Gervais. La gendarme Denise Potvin s'est jointe à l'équipe à la mi-août 2001.

9.1 Contexte

L'équipe d'enquête du sergent d'état-major Dunphy, aussi connue sous le nom de groupe d'intervention, avait beaucoup moins de suspects à examiner que le sergent Doug Lockhart et le gendarme James McAnany en 1992 et en 1994. L'équipe ne semblait pas élargir son enquête de façon à y inclure du personnel de l'ÉFNB autre que Karl Toft, Weldon (Bud) Raymond et Hector Duguay. Même si la liste des suspects s'était allongée en 1990 et comptait 48 suspects, dès 2001 il n'en restait plus que trois. Cette différence est peut-être due au fait qu'aucune plainte n'a été déposée par d'anciens pensionnaires au sujet des membres du personnel de l'ÉFNB à l'exception des trois suspects.

Au cours de l'enquête qui s'est déroulée de 1992 à 1994, les anciens pensionnaires que l'on pouvait interroger et qui étaient susceptibles de déposer des plaintes se faisaient rares. La GRC a surmonté cet obstacle en effectuant une recherche aléatoire des noms d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB dans les Archives provinciales du Nouveau-Brunswick. Il en est ressorti des centaines de noms pour les enquêteurs. L'équipe du sergent d'état-major Dunphy se trouvait confronté à une situation différente. À titre de coordonnateur du dossier dans le cadre de l'enquête, le gendarme Rogers a dû revoir une boîte de 145 fiches de renseignements concernant les victimes potentielles, les suspects, etc., lesquelles avaient été conservées dans le local d'entreposage de la Direction générale de la Division J. Les éclaircissements obtenus tout a long de l'enquête ont fait grimper le nombre de fiches de renseignements à 216.

Le procureur général n'était pas revenu sur sa décision de ne pas intenter de poursuites contre M. Toft concernant des accusations semblables à celles pour lesquelles il avait déjà été condamné. À la lumière de ces faits, le gendarme Rogers et ses collègues ont fait abstraction des allégations qu'ils ont décrites comme « classées », se concentrant sur les autres fiches de renseignements qui présentaient des circonstances différentes par rapport à l'affaire Toft.

9.2 Surintendant principal Bill Smith

Bill Smith était officier aux Services du soutien opérationnel (SSO) pour la Division J. Pendant l'enquête sur l'ÉFNB, il était inspecteur et officier responsable du Groupe des crimes graves (GCG) et, par conséquent, « l'officier hiérarchique » dont relevait le sergent d'état-major Dunphy lorsqu'il est devenu sous-officier responsable du GCG. Le 8 mars 2007, lors d'une entrevue auprès de la CPP à St. John's, Terre-Neuve, le surintendant principal Smith a affirmé qu'il ne se rappelait pas avoir été mis au courant de l'enquête sur l'ÉFNB à son arrivée en 1999 et que le dossier était « probablement inactif ».

Il a été informé de l'enquête peu avant que l'on décide de former l'équipe d'enquête.

9.2.1 Formation de l'équipe d'enquête

Il a pris connaissance de l'enquête pour la première fois lorsque l'officier de la Police criminelle, le surintendant principal Seguin, lui a demandé d'appeler l'ancien pensionnaire Brad Lewis, qui avait été en contact avec la GRC au sujet de l'enquête McCann. Cette enquête avait été l'élément déclencheur de la réouverture de l'enquête sur l'ÉFNB par la GRC en février 2000. Il a affirmé avoir dit à M. Lewis que, comme il ne connaissait pas le dossier, il aurait besoin de l'étudier. Il a demandé le dossier au GCG et il a étudié l'enquête McCann la plus récente.

Il a dit à la CPP qu'il était également au courant des plaintes déposées par Gregory Shore mais qu'il ne se souvenait pas du moment où son nom avait été mentionné. Il a dit : « Je ne crois même pas que Kingsclear [était] dans ma mire à ce moment-là... Mais je ne crois pas que Toft figurait parmi les premières priorités puisque Lewis n'était lié qu'à l'enquête McCann. Je crois donc que le reste [de l'enquête sur l'ÉFNB] est venu après ». Il a souligné que ce n'est qu'après que le sergent Mac Eaton ait vérifié les ressources requises dans le cadre de l'enquête sur l'ÉFNB « que Kingsclear a été lié à cette affaire ». Il a poursuivi en disant : « et je savais que Mac allait faire une bonne analyse du dossier, nous dire ce dont nous avions besoin. Mon rôle était alors de communiquer avec l'officier responsable de la Police criminelle et au besoin, d'embaucher, ... tenter d'obtenir ces ressources... »

Au cours des premiers jours de son arrivée à la Division J, au tout début du dossier sur l'ÉFNB, l'inspecteur Smith a reçu un courriel du sergent d'état-major Jacques Ouellette. Dans le courriel, daté du 23 février 2000, le sergent d'état-major Ouellette fait allusion à une rencontre qu'il aurait eue avec l'avocat de la Couronne William Corby, au cours de laquelle le sergent d'état-major Ouellette souligne que le GCG enquêtera sur 11 plaintes concernant l'ÉFNB et reverra tous les dossiers associés aux accusations dont les procédures avaient été stoppées par le procureur général Edmond Blanchard. La caporale Delaney-Smith devait être la coordonnatrice du dossier et le gendarme Phil Houle était l'enquêteur en chef.

Le 23 juin 2000, l'inspecteur Smith, en collaboration avec le sergent Eaton du GCG, a rédigé un rapport d'enquête portant sur le plan d'action ambitieux qu'envisageait le sergent Eaton pour l'enquête sur les dossiers de l'ÉFNB et Toft. Le 4 juillet 2000, l'inspecteur Smith a réaffirmé qu'il était d'accord avec le plan d'action du sergent Eaton. Le sergent Eaton prévoyait des centaines d'entrevues auprès d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB et que l'enquête serait très longue et détaillée.

Dans un courriel envoyé à l'inspecteur Smith au sergent d'état-major Ouellette et au sergent Eaton, le surintendant principal Seguin a décrit une rencontre tenue le 11 juillet 2000 entre lui-même et Glen Abbott, directeur des poursuites pénales, au cours de laquelle il a appris que M. Connell s'était vu assigner le rôle d'avocat de la Couronne pour l'enquête. M. Abbott a certifié au surintendant principal Seguin que la GRC aurait le plein appui de la Couronne. L'inspecteur Smith a ensuite rencontré le sergent d'état-major Ouellette, la caporale Delaney-Smith et le gendarme Houle. Ils ont décidé que les enquêteurs devaient se concentrer sur les plaintes déposées par M. Shore. On n'avait pas encore choisi de chef de projet à ce moment-là. L'inspecteur Smith leur a dit qu'il voulait clore une fois pour toutes les dossiers de l'ÉFNB et de Toft. Il était d'avis que ces questions deviendraient un dossier important et qu'il ne fallait pas les aborder de manière fragmentaire. À l'exception d'une rencontre avec M. Abbott en juillet 2000, il semble que les progrès réalisés dans la formation d'une équipe d'enquête demeurent minimes.

9.2.2 Proposition de financement

Le 18 octobre 2000, l'inspecteur Smith a affirmé dans un courriel que l'enquête n'avait pas beaucoup avancé et que « nous devons redémarrer cette enquête ». Il a ajouté que le sergent d'état-major Dunphy serait désormais le chef du dossier. Le 23 octobre 2000, le sergent d'état-major Dunphy est retourné au GCG et a commencé à préparer sa proposition de financement provincial et les notes d'allocution du surintendant principal Seguin. Le 3 novembre 2000, l'inspecteur Smith a envoyé au surintendant principal Seguin un courriel auquel il a joint la proposition du sergent d'état-major Dunphy sous forme de sommaire.

La CPP n'est pas en mesure de vérifier si l'idée d'un financement pour l'enquête sur l'ÉFNB et Toft a véritablement été présentée à la province, mais la prépondérance de la preuve laisse entendre que la proposition n'a pas été soumise. En tant que surintendant principal, Smith a affirmé à la CPP :

Je ne pense pas, j'ai peut-être tort, mais je ne pense pas que l'on ait fait une présentation officielle au gouvernement. Et... je crois que ce que nous avons fait en bout de ligne c'est que nous... avons soutenu les membres... aux dépens de la Division... Nous sommes restés unis. Je sais que j'ai dit qu'avec le recul tout est clair et que si... l'on se penche sur les propos des plaignants à ce sujet, ils peuvent dire, vous savez, qu'il ne s'agissait pas... d'un effort exceptionnel.

Il a ajouté que la proposition a été présentée au gouvernement mais qu'il ne croyait pas avoir eu l'accueil officiel escompté et a mentionné que « nous nous en sommes occupés à l'interne ».

Dès la fin de l'année 2000, très peu de progrès avaient été réalisés en ce qui concerne l'offre de ressources à la nouvelle équipe ou à sa création. Cette situation a incité le sergent d'état-major Dunphy à écrire à l'inspecteur Smith, le 8 février 2001, pour demander des ressources en vue d'une version « simplifiée » du premier plan de l'enquête d'octobre 2000. Le jour même, l'inspecteur Smith a envoyé une note de service au nouvel officier de la Police criminelle, le surintendant principal Jim Payne, qui avait remplacé le surintendant principal Seguin, au sujet des ressources pour les futurs enquêteurs du dossier sur l'ÉFNB.

En réponse à la question de la CPP qui souhaitait savoir si le temps nécessaire pour obtenir des ressources pour l'équipe avait eu des conséquences négatives sur l'enquête, il a dit : « Bien, ce délai a ralenti les choses, au cours des premières étapes je suppose, parce que... on ne peut simplement aller chercher des ressources ... » Il a ajouté :

Si je me rappelle bien... on nous a demandé de produire une version différente... "de financement et de ressources ". Soyons réalistes, il a fallu tellement de temps qu'une fois prêts... Nous devions procéder... Ça traînait... je voulais rouvrir le dossier. Je voulais que ce soit bien fait. Et je voulais que ce soit fait rapidement... je n'ai aucun contrôle sur les enveloppes budgétaires.

La CPP a demandé pourquoi il avait fallu 14 mois pour démarrer l'enquête, particulièrement du fait qu'il s'agissait d'une enquête prioritaire. Il a répondu :

Bien, vu de l'extérieur, je dirais probablement la même chose... [Il y a] une panoplie de raisons à cela, mais sont-elles acceptables pour le plaignant? Probablement pas. Je veux dire, je ne resterai pas ici à dire que... ce devrait être acceptable... ce n'est pas forcément vrai.

Il a expliqué que pendant la période d'intervention, soit d'octobre 2000 au 1er mai 2001, le sergent d'état-major Dunphy et la caporale Delaney-Smith « obtenaient des ressources. Trouvaient des gens. Obtenaient des locaux... préparaient un plan. Effectuaient des recherches sur d'anciens dossiers. Des choses comme ça... je ne peux pas dire que rien ne s'est fait pendant cette période ».

9.2.3 Bilan de l'enquête

À propos d'une note de service qu'il a écrite le 13 juillet 2000 relative à la plainte et à l'enquête Shore, le surintendant principal Smith a dit à la CPP qu'il respectait une politique d'ouverture et qu'il était disponible pour le sergent d'état-major Dunphy si celui-ci souhaitait avoir son avis au sujet de problèmes liés à l'équipe d'enquête. Il a également dit :

[N]ous allons continuer et nous allons régler cette affaire. Vous savez, si des accusations doivent être portées, il faut procéder. Si nous n'avons rien pour appuyer les accusations, nous ne pourrons le faire. Et je pense que j'ai commenté à un moment donné sur le fait qu'on ne peut faire plaisir à tout le monde. Je veux dire, nous ne pouvons aller que là où les preuves... ou les renseignements nous mènent. Les preuves existent ou n'existent pas. Si elles existent, que l'on agisse.

Le sergent d'état-major Dunphy le tenait toujours informé des progrès de l'enquête et, de façon générale, il était au courant des notes de service mensuelles du gendarme Rogers concernant le cours de l'enquête et les statistiques relatives aux fiches de renseignements. Il connaissait également bien le dossier de M. Shore, à savoir ses plaintes et allégations contre MM. Toft et Raymond.

Il était au courant de certaines autres enquêtes du GCG, lesquelles détournaient l'équipe de l'enquête sur l'ÉFNB, particulièrement les incidents et événements survenus à la réserve de Burnt Church au Nouveau-Brunswick relatifs aux droits de pêche au homard. Il a été nommé « chef des interventions » dans l'affaire Burnt Church et, dès août 2001, il a dû quitter Frédériction pendant une longue période, tout comme les membres de l'équipe.

Lorsqu'on lui a demandé si le fait que les membres aient été retirés de l'enquête avait eu une incidence, il a affirmé : « Le seul moment... où je peux dire que j'ai volontairement ralenti le rythme de l'enquête c'est lorsqu'on travaillait au dossier Burnt Church... Mais tous au sein de la Division ont été puisés des ressources ». Cependant, c'était "une question de [vie] ou de mort. Il y avait des armes, des explosifs ».

9.2.4 Plaignant Gregory Shore

À l'automne 2001, M. Shore a continué de communiquer régulièrement avec des membres de la GRC au sujet de ses plaintes et allégations. Il a téléphoné au sous-commissaire de la Région de l'Atlantique, Terry Ryan, qui lui a parlé à plusieurs reprises. Le sous-commissaire Ryan a demandé à l'équipe un bilan des progrès réalisés dans le cadre de l'enquête Shore, ce qui a incité l'inspecteur Smith à envoyer un courriel au sergent d'état-major Dunphy :

Je suis plutôt convaincu que nous enquêtons correctement sur ce dossier. Cette affaire n'allait nulle part jusqu'à ce que nous la reprenions en mains et que nous réussissions à obtenir les ressources nécessaires pour la poursuivre. Dès le départ, M. Shore a été pénible... il nous gênait plus qu'il ne nous aidait... A priori, nous n'avons aucunement garanti que des accusations seraient portées contre quiconque... nous devrions être en mesure de faire progresser ces dossiers plus rapidement et, espérons-le, les régler une fois pour toutes.

L'inspecteur Smith a ajouté une note à l'officier de la Police criminelle, le surintendant principal Payne, disant que « nous avons l'affaire en mains. Tout ce dont [l'équipe] a besoin c'est d'un peu... d'air pour faire son travail, sans que ses actes soient quotidiennement remis en question par la ou les victimes ».

À propos d'un courriel qu'il a envoyé au sergent d'état-major Dunphy le 5 octobre 2001, il a mentionné à la CPP qu'il était plutôt convaincu du fait que l'équipe menait correctement l'enquête sur les plaintes déposées par M. Shore. Il était conscient que M. Shore avait présenté certains griefs et certaines questions qui devaient être étudiés, mais il a expliqué que les contacts de M. Shore avec la GRC ne faisaient que :

drainer l'énergie de toutes les personnes affectées à l'enquête. Il allait se plaindre à quiconque voulait bien l'écouter. Et je ne connais aucune organisation qui accorderait plus de temps à communiquer avec un plaignant que nous l'avons fait [avec M. Shore], à mon avis nous n'aurions pas pu en faire plus pour M. Shore. De plus, nous avons affecté une personne à temps plein essentiellement au dossier de M. Shore... Donc je suppose que s'il souhaitait se plaindre de la durée de l'enquête ou des ressources, alors peut-être que [si nous avions]... il n'était pas nécessaire que nous affections [un officier] à son cas [à temps plein], ç'aurait peut-être été plus rapide... Vous avez une équipe de gens qui travaillent; il arrive de recevoir des commentaires positifs des plaignants à l'occasion, qui disent « Écoutez, merci beaucoup de votre aide ». C'était plutôt rare dans le cas de ces dossiers. Donc après un certain temps, je crois que même les enquêteurs se disaient... Que sommes-nous? ... chaque fois que nous avons le dos tourné, peu importe ce que l'on fait, on se plaint... du rythme où vont les choses et de ce que nous faisons ou de [ceux] nous interrogeons.

Le surintendant principal Smith était conscient que des dossiers d'information avaient été soumis à l'avocat de la Couronne, M. Connell, à l'automne 2001, et que ce dernier avait dit qu'il ne serait pas en mesure de les étudier avant janvier 2002 en raison d'engagements. Lorsque les lettres d'opinion concernant les accusations prévues contre MM. Toft et Raymond sont arrivées en mai 2002, le sergent d'état-major Dunphy a informé l'inspecteur Smith du contenu des lettres et des motifs pour lesquels la Couronne n'approuvait pas les accusations.

9.3 Sergent d'état-major retraité Dave Dunphy : Chef de projet du groupe d'intervention

La CPP a fait passer une entrevue à Dave Dunphy le 27 octobre 2006 à Frédéricton. Il s'est joint à la GRC en mai 1973 et, après avoir suivi sa formation, il a été affecté à la Division J. En 1995, il était responsable de la Section des enquêtes générales (SEG) à Frédéricton, à titre de sous-officier des opérations enquêtant sur les homicides. En octobre 2000, il a été nommé chef de projet pour l'enquête sur l'ÉFNB. Un courriel daté du 24 octobre 2000, provenant de l'inspecteur Smith et dont une copie lui a été envoyée, indique que c'est le 23 octobre 2000 qu'il a travaillé pour la première fois sur ce dossier.

9.3.1 Financement

L'une des premières choses qu'a faites le sergent d'état-major Dunphy était de rédiger une proposition, dans laquelle il demandait des ressources financières auprès du gouvernement, et ce, même si les paramètres et le mandat de l'enquête n'avaient pas encore été établis. La proposition, datée du 24 octobre 2000, contenait une description détaillée de la portée et des coûts de l'enquête sur l'ÉFNB. Il a soumis la proposition, accompagnée de quelques notes d'allocution, à ses officiers supérieurs, le surintendant principal Seguin, officier de la Police criminelle, et l'inspecteur Smith.

La proposition contenait également les noms des 200 anciens pensionnaires qui n'avaient pas encore été joints. Il a dit à la CPP qu'il est arrivé à ce nombre en étudiant les boîtes de fichiers des enquêtes précédentes, particulièrement celles de l'enquête menée par le sergent Lockhart.

Je crois qu'à cette étape-ci, les deux cents pensionnaires que nous n'avions pas encore joints étaient ces personnes qui, pour une raison ou pour une autre, n'ont pas été retrouvées ou avec lesquelles nous n'avions simplement pas réussi à communiquer. C'est donc de là que provient ce nombre... et ça, c'est sans compter les personnes qui ont déjà fait l'objet d'une enquête... Je crois qu'il y a eu seize accusations, ou peut-être quinze, la mémoire me fait défaut, ou encore diverses accusations portées contre seize individus et dont les procédures ont été arrêtées.

Il a mentionné à la CPP qu'il se demandait si quelqu'un avait pris des mesures en fonction de sa proposition ou utilisé les notes d'allocution qu'il avait rédigées. Il a également dit qu'il ne savait pas si la véritable proposition avait été faite.

Il y a une certaine différence entre cette proposition et ce qui s'est réellement produit... Je crois qu'en bout de ligne nous avons dépensé moins de cent mille dollars. À ce moment-là, comme je l'ai mentionné, nous envisagions de faire passer une entrevue à tous les pensionnaires. ... Il s'agit-là d'une présentation au... gouvernement provincial qui devrait en principe permettre d'obtenir des fonds. Je suppose que ce pouvait être réaliste. Je n'essaie pas de dire que nous tentions de détourner des fonds... Nous leur présentions la pire des situations... et ce que nous pensions être juste pour faire un bon travail. ... Les paramètres ont changé. Le mandat a changé et les montants aussi. Alors on fait du mieux que l'on peut avec ce que l'on a .

9.3.2 Situation de départ

Dès l'automne 2000, la caporale Delaney-Smith était la seule enquêteuse qui travaillait avec le sergent d'état-major Dunphy. Elle avait beaucoup à faire avant de pouvoir continuer de travailler à l'enquête, tout comme le sergent d'état-major Dunphy. La caporale Delaney-Smith a participé à deux enquêtes portant sur les plaintes déposées par les anciens pensionnaires Gregory Shore et Joseph Rollins; et même s'il croyait qu'il se pencherait exclusivement sur le dosseir de l'ÉFNB, le sergent d'état-major Dunphy est devenu le chef de service du GCG lorsque le sergent d'état-major du service a été muté à d'autres fonctions, ailleurs. À titre de chef de service, il supervisait également les enquêtes menées dans la moitié sud de la province.

9.3.3 Paramètres de l'enquête

Au moment de planifier la façon d'aborder l'enquête, M. Dunphy a dit à la CPP qu'une solution consistait à revenir en arrière et tenter de faire passer une entrevue à chaque pensionnaire de l'ÉFNB, mais il croyait que cette solution n'était ni pratique, ni judicieuse.

Il a fait référence à l'ordonnance du tribunal rendue par le juge Cockburn en février 1992, laquelle limitait l'accès de la GRC aux dossiers sur l'ÉFNB contenus dans les Archives provinciales à seulement 100 dossiers.

La logique de la [juge Cockburn] était que... nous [la GRC] n'allons pas à la pêche ici... Nous ne devrions pas être autorisés à fouiller dans la vie de chacun, simplement pour... tenter de déterrer quelque chose qu'ils veulent laisser derrière eux. Cependant, la diligence raisonnable étant ce qu'elle est, il faut assurément enquêter sur... les plaintes dont nous disposons et faire tout en notre pouvoir pour... faire progresser les choses. C'est donc de cette façon qu'ils [l'équipe de Lockhart] ont procédé.

Finalement... le procureur général avait pris la position suivante : nous ne poursuivons pas Toft... pour des infractions semblables, survenues dans des circonstances similaires. C'était les paramètres à ce moment-là. C'était dans la boîte. Or, pour toute autre plainte qui se trouvait dans la boîte... nous rencontrions la personne. Nous prenions sa déclaration et l'informions que cette affaire n'allait nulle part. Nous ne pouvons pas passer par-dessus le procureur de la Couronne et... je suis désolé mais vous devrez opter pour une autre méthode si vous souhaitez faire quoi que ce soit à cet égard. ... Une bonne partie de ces cas étaient, à ce que je sache, ... et c'est sans méchanceté ici, relativement mineurs sur l'échelle des agressions sexuelles. C'est à dire... des attouchements inappropriés sur les vêtements ou certains actes qui... ne constituaient certainement pas un acte criminel. Cependant, il y en avait peut-être d'autres dont je n'étais pas au courant, mais qui étaient plus graves.

Finalement, on a décidé que la GRC devait étudier les plaintes d'agression causant des lésions corporelles plutôt que les plaintes d'agression sexuelle mineure. Les dossiers ou les fiches de renseignements que l'on considérait « en dehors de la boîte » et par conséquent qui se prêtaient à une enquête, étaient celles dont les allégations comportaient des éléments de violence. Cela signifiait que les enquêtes proposées seraient

en grande partie réduites progressivement, à partir de la solution selon laquelle on parle à tout le monde, coûte que coûte. Peu importe le type de plainte qu'ils recevaient et qu'ils tentaient de corroborrer afin d'obtenir suffisamment d'information pertinente pour les présenter devant le tribunal... Notre objectif au départ était de... communiquer avec ces personnes... je crois qu'en fait il s'agissait... de cent soixante-quatre... Nous avons tenté de les contacter, ... et nous les avons presque tous jointes si je ne me trompe pas.

9.3.4 Pression extérieure

Le surintendant principal Seguin a envoyé à l'inspecteur Smith un courriel, daté du 13 juillet 2000, indiquant qu'il avait été informé que l'on avait demandé à l'avocat de la Couronne d'aider l'équipe d'enquête lors d'une rencontre avec M. Abbott. La GRC a promis à M. Abbott son entière coopération.

Le 6 novembre 2000, M. Connell a écrit au sergent d'état-major Dunphy pour lui demander environ combien de temps serait nécessaire pour compléter l'enquête et quelles étaient la quantité et la nature des documents que la GRC prévoyait présenter à l'avocat de la Couronne. M. Connell a indiqué que cela lui donnerait une idée des ressources et des installations dont il aurait besoin pour étudier le dossier.

Le sergent d'état-major Dunphy a répondu le 5 décembre 2000 en disant qu'il y avait une foule d'autres priorités et limites associées à l'enquête. Il a mentionné que « cependant, les efforts se poursuivent pour affecter des ressources suffisantes à ce dossier en vue de compléter une enquête juste et adéquate ». Il n'a pas pu donner de date quant à l'achèvement de l'enquête ni pour le début de « l'effort exhaustif », mais il a dit qu'il devrait être en mesure de fournir une réponse au début de 2001. Il a promis à M. Connell qu'il lui demanderait son avis régulièrement, une fois l'équipe d'enquête entièrement opérationnelle.

Le 15 décembre 2000, M. Connell a écrit une lettre au sergent d'état-major Dunphy, lui demandant d'effectuer une enquête approfondie sur la plainte de M. Shore avant de poursuivre ses autres enquêtes. Le 20 décembre 2000, le sergent d'état-major Dunphy a répondu que la plainte de M. Shore était sous enquête et que celle-ci devrait être complétée au début de 2001. Au cours du mois de décembre 2000, The Fifth Estate, documentaire d'enquête de la CBC, a diffusé une émission portant sur M. Shore.

Le 1er janvier 2001, la caporale Delaney-Smith a envoyé un courriel au sergent d'état-major Dunphy l'informant qu'elle avait parlé à M. Shore et à M. Rollins ce jour-là et « qu'ils ont tous été mis au courant et devraient vous laisser tranquille ». Elle a mentionné qu'elle avait toute l'information utile pour le dossier d'information de Rollins. M. Shore avait téléphoné pendant les vacances des Fêtes. Les deux hommes semblaient satisfaits du progrès de l'enquête de la GRC.

9.3.5 Méthode d'enquête

En réponse aux questions de la CPP, M. Dunphy a expliqué la façon dont les enquêteurs ont abordé les anciens pensionnaires et fait passer une entrevue aux victimes potentielles. Il a affirmé que si l'individu que l'on avait joint disait vouloir divulguer quelque chose à la GRC, un enquêteur était envoyé pour lui parler en personne. Si la plainte concernait M. Toft et était semblable à celles pour lesquelles ce dernier avait été déclaré coupable et condamné en 1992, l'enquêteur devait expliquer la politique du procureur général, qui consiste à ne pas approuver d'accusations semblables concernant M. Toft. L'enquêteur devait informer le plaignant qu'il pouvait retenir les services d'un conseiller juridique et lui donner le nom d'un avocat qui représentait plusieurs anciens pensionnaires. Il a ajouté que « si la plainte était déposée contre quelqu'un d'autre, autre que Toft, nous ferions certainement tout en notre pouvoir pour faire une enquête approfondie... C'était notre mandat et... c'était notre protocole en général ». La CPP a demandé si c'était son idée de procéder à l'enquête ainsi. Il a répondu :

Je n'avais aucune directive à suivre... Je ne devrais pas le dire de cette façon, mais j'avais toute la liberté de traiter le dossier comme bon me semblait. La seule directive que je devais respecter était de mener une enquête complète et exhaustive... Mon supérieur, le supérieur de mon supérieur... personne ne s'en mêlait. On me demandait de... les tenir au courant... et bien sûr, le sous-commissaire voulait fréquemment des bilans... et nous informions ces gens... Cependant, certains paramètres devaient être établis afin de déterminer la façon dont nous allions procéder pour réaliser cette enquête d'envergure... pour avoir un certain contrôle sur l'enquête afin d'être en mesure de la gérer... Et... après que l'on a confirmé que le gouvernement provincial... n'avait aucun intérêt à poursuivre Toft pour quelque autre infraction semblable, l'enquête a été considérablement réduite.

M. Dunphy a mentionné que ses supérieurs, l'inspecteur Smith et le surintendant principal Seguin, étaient au courant de ce plan simplifié et du mandat qu'il a décrit. Même s'il n'a pas fait affaire directement avec M. Abbott, le directeur des poursuites pénales, il a supposé que le ministère de la Justice lui avait donné son accord quant à son plan d'enquête.

9.3.6 Travaux préparatoires

Le sergent d'état-major Dunphy a commencé l'année 2001 par un examen des accusations potentielles et un résumé des faits concernant M. Toft qui avait été rédigé par la caporale Delaney-Smith. Il a préparé un affidavit en appui d'une demande d'accès aux dossiers sur l'ÉFNB des Archives provinciales concernant d'autres accusations potentielles contre Bud Raymond. Il a tenté de retrouver les dossiers sur l'ÉFNB qui portaient sur les laissez-passer de jour et les registres des punitions, lesquels avaient été fouillés en 1992.

D'après les notes inscrites dans son calepin pour janvier 2001, il a préparé des questions en vue de faire passer des entrevues aux anciens pensionnaires David Wright et M. Lewis le 12 janvier 2001. Il a obtenu le consentement des victimes présumées, MM. Shore et Rollins, pour accéder à leurs dossiers dans les Archives provinciales. Il a informé le surintendant principal Payne, l'officier de la Police criminelle, et a revu les dossiers et les déclarations qui touchaient l'enquête concenant MM. Shore et Rollins. Il a cherché les adresses de quatre autres victimes potentielles.

Le 31 janvier 2001, le sergent d'état-major Dunphy a rencontré M. Connell qui a affirmé que tous les dossiers qui lui ont été soumis pour l'approbation des accusations seraient évalués séparément. Les enquêteurs devaient présenter « beaucoup » de détails et de preuves corroborantes pour démontrer « qu'une condamnation est plus probable qu'un aquittement ». M. Connell a dit que la position du bureau du procureur de la Couronne demeurait la même : aucune accusation contre M. Toft concernant des « infractions semblables » pour lesquelles il a déjà été condamné ne sera approuvée ; et « on a monté la barre » concernant l'approbation d'autres accusations contre M. Raymond. Les deux hommes ont tenté de déterminer quelles preuves seraient nécessaires pour que la Couronne décide de procéder par voie de mise en accusation concernant l'une ou l'autre des accusations. Le sergent d'état-major Dunphy a demandé à obtenir par écrit l'opinion de M. Connell sur la question; il a accepté mais l'a informé qu'il ne pourrait pas travailler aux dossiers de Shore et de Rollins avant la fin du mois de mars.

Les notes du sergent d'état-major Dunphy, datées du 1er février 2001, indiquent qu'il a rencontré le surintendant principal Payne, officier de la Police criminelle, et l'inspecteur Smith, officier du SSO, pour les informer de sa rencontre avec M. Connell.

9.3.7 Exigences relatives à l'enquête

Le 8 février 2001, le sergent d'état-major Dunphy a rédigé une note de service à l'intention de l'inspecteur Smith, lui demandant des ressources afin de pouvoir procéder à l'enquête de façon « rapide et efficace ». Il a fait allusion au plan d'enquête précédent, lequel avait été élaboré par le sergent Mac Eaton et qui prévoyait que la GRC fasse passer une entrevue à chaque pensionnaire de l'ÉFNB présent de 1966 à 1985, soit potentiellement des milliers de personnes. Il a répliqué en disant que « maintenant que nous avons eu l'occasion de revoir le dossier et de nous familiariser avec celui-ci, tel qu'il est actuellement, et de discuter des questions pertinentes avec le procureur de la Couronne, il semble aujourd'hui qu'une "version simplifiée" constituerait une mesure plus appropriée ».

Il a souligné qu'il avait revu les dossiers du plaignant et de la victime « afin de déterminer, avec un certain niveau de précision, le nombre d'entrevues et d'enquêtes consécutives requises... » Il a informé l'inspecteur Smith qu'il avait revu environ 145 fiches de renseignements et conclu que certaines nécessitaient une enquête plus approfondie. En 1991, 99 plaignants, sur les 145 fiches, n'avaient pas été joints par les enquêteurs, et ce, pour diverses raisons. « Je crois que chaque personne doit au moins recevoir un appel d'un enquêteur, passer une entrevue officielle et produire une déclaration consécutive ». Trente-trois victimes prétendent avoir été agressées sexuellement par M. Toft, quatre prétendent avoir été agressées par M. Raymond et quatre plaintes ont été jugées sans fondement. « Les autres sont des plaintes diverses déposées contre cinq (5) agresseurs présumés ».

Il poursuit sa note de service en donnant son avis quant aux ressources humaines requises et aux coûts prévus pour mener à bien l'enquête. Il a affirmé que les chiffres s'appuient sur « une hypothèse bien fondée » et qu'il s'attend à ce qu'un an soit nécessaire pour finir l'enquête. Il a conclu que : « cette proposition ne représente que les 150 victimes potentielles dont sont au courant les enquêteurs aujourd'hui. Il est certain que d'autres présenteront peut-être d'autres plaintes ». Les coûts ont été présentés dans une feuille de calcul, laquelle était jointe à la note de service.

Après avoir reçu la note de service, l'inspecteur Smith l'a transmise, accompagnée d'un sommaire, au surintendant principal Payne. L'inspecteur Smith a affirmé que le sergent d'état-major Dunphy et la caporale Delaney-Smith poursuivraient l'enquête, sachant que d'autres officiers pourraient bientôt venir les aider.

M. Dunphy a informé la CPP que la proposition présentée dans sa note de service du 8 février 2001 était une version « simplifiée » de la proposition du 24 octobre 2000, laquelle avait été abandonnée. Lorsqu'on l'a interrogé pour savoir si M. Connell était au courant de la nouvelle proposition, il a répondu ceci : « Je dirais que oui, parce que nous assistions constamment à des réunions et qu'il [Connell] avait très hâte de savoir combien de ressources il fallait... ».

9.3.8 Communication avec l'avocat de la Couronne

Le 27 mars 2001, M. Connell a écrit une lettre au sergent d'état-major Dunphy, énumérant les sujets dont ils avaient discuté lors de leur rencontre du 31 janvier 2001. Il a réaffirmé la position du procureur général, à savoir que M. Toft ne serait pas poursuivi pour des plaintes semblables à celles pour lesquelles il avait été condamné. En réponse à la demande du sergent d'état-major Dunphy qui souhaitait obtenir des précisions au sujet de la preuve requise pour que la Couronne approuve les accusations, il a dit : « je suis d'avis qu'on ne peut jamais être trop consciencieux ». M. Connell a également affirmé que, d'après ce qu'il avait compris, le sergent d'état-major Dunphy lui enverrait trois dossiers très prochainement. Il a conclu en disant que son directeur, M. Abbott, lui avait demandé quels étaient le cours, l'orientation et l'échéancier de l'enquête.

Le sergent d'état-major Dunphy a répondu à M. Connell le 9 avril 2001. Il a commencé en s'excusant « de ce qui semblait être un délai exceptionnel pour démarrer... Il y a eu de nombreux délais... » Par son explication, il a présenté un bref historique de l'enquête et a décrit ses propositions. Il a affirmé qu'au cours des derniers mois, il a été en mesure de se familiariser avec le dossier « tel qu'il est maintenant ».

C'est à dire, le nombre de plaintes/victimes potentielles, les types et la gravité des infractions présumées et le nombre d'agresseurs présumés. C'est après cet examen que j'ai convoqué notre rencontre du 31 janvier, au cours de laquelle les sujets que vous avez mentionnés ont fait l'objet de discussions. À la suite de notre rencontre, et grâce à notre franche discussion, la première proposition a été révisée de façon à refléter nos objectifs de manière plus réaliste. Essentiellement, l'enquête actuelle est composée d'environ 145 fiches de renseignements... Je crois que chaque personne visée par l'un de ces dossiers doit au moins recevoir un appel d'un enquêteur, passer une entrevue officielle et produire une déclaration consécutive. Et ce, malgré la position du procureur général de ne pas poursuivre M. Toft .

Le sergent d'état-major Dunphy a ensuite fourni des statistiques concernant l'enquête et la composition de l'équipe d'enquête. Il a affirmé qu'il faudrait 12 à 18 mois pour clore l'enquête . Il a ajouté que M. Connell devrait s'attendre à recevoir prochainement deux dossiers de la GRC.

La caporale Delaney-Smith avait envisagé de vous les faire parvenir avant, mais d'autres priorités ont fait en sorte qu'elle a dû récemment participer à une autre enquête dans la région de Moncton. Je suppose qu'elle convoquera une rencontre avec vous très prochainement. Comme vous pouvez le constater, il s'agit d'une version très simplifiée de ce qui avait été prévu au départ. À mon avis, cette version présente une portée beaucoup plus réaliste et pratique .

9.3.9 Rencontres de l'équipe

Le 1er mai 2001, le sergent d'état-major Dunphy a rencontré sa nouvelle équipe d'enquêteurs. L'équipe était composée de lui-même, à titre de sergent d'état-major responsable; du gendarme Rogers, coordonnateur du dossier; des caporaux Delaney-Smith et Vallis; et des gendarmes Gervais et Long. Le sergent d'état-major Dunphy a rédigé une note de service datée du 4 mai 2001 dans laquelle il fait référence à la rencontre et confirme que le projet est désormais amorcé.

À cette date, tous les membres de l'équipe ont participé à une rencontre très productive. On a discuté du dossier en termes généraux, y compris un bref historique, les résultats à ce jour, les acteurs impliqués et les attentes à compter de maintenant. Une stratégie générale pour l'avenir immédiat a été exposée dans les grandes lignes et comprendra d'abord et avant tout la réorganisation de l'espace de bureau et de l'équipement afin de créer un environnement de travail adéquat. Ensuite, un examen de chaque fiche de renseignements permettra à tous les membres de se familiariser avec les divers thèmes et les diverses personnalités semblables de ce dossier. À la suite de cela, un protocole sera [préparé] concernant les procédures d'entrevues et une série de questions [sera] élaborée afin d'assurer la minutie et l'uniformité de l'enquête. Il existe de nombreuses autres « règles opérationnelles »... lesquelles doivent être élaborées et utilisées afin de traiter uniformément et efficacement des cas qui n'entraîneront aucune poursuite, en raison de la décision du procureur général, etc. Il faudra éviter les actes de négligence pour s'assurer que tous les efforts raisonnables seront consentis afin de communiquer avec chacune des cent quarante-cinq victimes potentielles... Bien sûr, il faudra du temps pour satisfaire toutes les exigences susmentionnées, mais l'attitude et l'enthousiasme dont ont récemment fait preuve les membres affectés à ce projet m'encouragent grandement.

La note de service était une « récapitulation des progrès que nous avons réalisés à ce jour, de notre situation actuelle quant aux ressources et de notre plan stratégique pour faire avancer ce projet ». Il a joint une lettre qu'il a reçue de M. Connell autour du 27 mars 2001, et il a fait référence à la politique du procureur général concernant l'approbation d'autres accusations contre M. Toft et M. Raymond. Il a mentionné que :

[ce] projet avait certainement connu son lot de difficultés avant de « démarrer »... Des [efforts] avait été investis pour se concentrer sur les allégations soulevées par Gregory Shore et Joseph Rollins, ainsi que sur celle soulevées contre l'ancien sergent d'état-major Cliff McCann. La caporale Delaney-Smith avait assumé un rôle de premier plan concernant les dossiers de Shore et Rollins et avait, dès le 2 mai, présenté un mémoire au procureur de la couronne, Kevin Connell, afin qu'il puisse en prendre connaissance et rédige une décision concernant des accusations potentielles.

Dans son entrevue auprès de la CPP, il a affirmé ceci :

Nous avons été innondés de... conversations de M. Shore. Au départ, c'était plutôt nébuleux. Il n'y avait aucun paramètre... Ç'aurait pu être un dossier gigantesque... lancé à deux personnes (Dunphy et Delaney-Smith) pour essayer de calmer le jeu temporairement. ... Et deux personnes qui tentent de faire de leur mieux... j'ignore s'il y avait d'autres priorités... au sein de la Division qui l'emportaient, mais lorsqu'on est livré à soi-même en pleine mer... on a tendance à se sentir un peu seul.

La CPP lui a demandé si qui que ce soit avait traîné les pieds au moment de l'aider dans l'enquête. Il a répondu :

Non, je ne peux en vouloir à personne. Je ne peux pointer du doigt quiconque... Personne ne savait comment faire face à cette situation. Personne ne connaissait réellement l'historique [du dossier]. Je crois qu'il y avait beaucoup d'autres priorités urgentes... Encore, peut-être des meurtres. Peut-être des dossiers hautement prioritaires relatifs aux narcotiques... qui exigeaient beaucoup de temps et d'efforts de la part du personnel... Ça n'a duré qu'une courte période... c'est à dire d'octobre, lorsque nous avons commencé, jusqu'en mai... je sais que cette situation m'a un peu frustré, mais... après les difficultés du début, tout s'est bien passé. Et lorsqu'est venu le temps de fournir les ressources nécessaires, après avoir consacré temps et efforts pour démarrer l'enquête et s'assurer qu'elle soit faite correctement, on n'a pas... rencontré d'autres embûches. À partir du moment où j'ai rencontré l'officier de la Police criminelle... tout était correct. Et tout a bien fonctionné.

Je ne veux pas attribuer la responsabilité à Bill [Smith] ni à l'officier de la Police criminelle, ni d'ailleurs à la GRC. Faisions-nous ce que nous devions faire? Je ne le sais pas. Peut-être qu'avec [le recul], nous aurions pu faire les choses bien différemment... C'était peut-être de ma faute. Peut-être qu'il m'a fallu trop de temps pour m'activer... Ce sont toutes des possibilités. Il s'agissait d'une enquête fort importante, à examiner en très peu de temps... et il fallait s'occuper de M. Shore et essayer de préparer quelque chose à présenter à la Couronne... Comme je l'ai mentionné, s'il faut attribuer la responsabilité à quelqu'un, que ce soit à moi... J'étais là pour ça... Je crois qu'après, tout s'est replacé et dans l'ensemble, l'enquête s'est bien déroulée.

En ce qui concerne la rencontre de son équipe, le 1er mai 2001, il a informé la CPP qu'après la rencontre

j'ai discuté avec chacun d'eux... Je ne veux pas que l'on pense que je tente de les dénigrer (les membres de son équipe); mais le sentiment... à ce moment-là était qu'ils n'avaient nulle par où aller. Ils n'avaient pas de domicile et si vous les vouliez, vous pouviez les avoir. ... Et chacun d'eux... personne ne m'a laissé tomber.

La CPP a conclu que les membres de l'équipe d'enquête s'étaient acquitté adéquatement de leurs tâches et, dans certains cas, étaient allés au-delà de leur devoir. Par exemple, les gendarmes Long et Potvin, dans leur quête de renseignements supplémentaires, ont informé certains particuliers des allégations contre M. McCann. Un autre officier, le gendarme Gervais, a assuré une surveillance informelle de M. McCann.

9.3.10 Bilan de l'enquête

Une fois l'équipe opérationnelle, le gendarme Rogers fournissait régulièrement au sergent d'état-major Dunphy des statistiques concernant le nombre de victimes qui ont passé une entrevue et les résultats des entrevues. Le sergent d'état-major Dunphy informait à son tour ses supérieurs des progrès de l'enquête. Il mettait régulièrement l'avocat de la Couronne au courant, soit environ une fois par mois.

Le 20 juin 2001, le gendarme Rogers, coordonnateur du dossier, a préparé un rapport d'enquête contenant des statistiques sur les 174 fiches de renseignements en suspens sur lesquelles l'équipe devait enquêter, avec l'appui du sergent d'état-major Dunphy. Le rapport était le premier d'une série de rapports ordinaires préparés par le gendarme Rogers au sujet des progrès de l'enquête.

Lors d'une rencontre qui a eu lieu le 21 août 2001, le sergent d'état-major Dunphy a informé M. Connell du nombre de fiches portant sur d'anciens pensionnaires que la GRC lui enverrait. Il a dit que M. Shore refusait désormais de coopérer dans le cadre de leurs enquêtes et que la GRC devait obtenir des mandats pour aller plus loin. Il a mentionné que l'équipe n'enquêterait pas sur les accusations portées contre M. Toft que le procureur général a suspendues le 29 octobre 1993. Ils disaient également aux victimes de Toft qu'il n'était plus possible de déposer de nouvelles accusations contre M. Toft et que leur seul recours était une poursuite au civil.

Le 22 août 2001, le gendarme Rogers a présenté son deuxième bilan sur l'enquête dans un courriel adressé aux membres de l'équipe. Il a donné un bref compte rendu des anciens pensionnaires et des fiches auxquelles chaque suspect était associé et a attribué à chaque membre différentes fiches. Il a mentionné que l'équipe avait maintenant 215 fiches à étudier et que 43 d'entre elles étaient ouvertes. Dix-sept pensionnaires n'avaient jamais été joints auparavant. Lorsque les enquêteurs avaient terminé leur examen des dossiers Raymond et McCann, ils se rencontraient et travaillaient aux dossiers en groupe.

Le 24 septembre 2001, le gendarme Rogers a préparé le troisième d'une série de bilans, avec l'aval du sergent d'état-major Dunphy. Le rapport indiquait ceci :

Depuis le 23 août 2001, les membres de l'équipe d'enquête affectés à ce dossier ont été divisés afin d'aider au règlement d'un conflit sur la pêche autochtone à Burnt Church. Cela dit, nous avons été en mesure de poursuivre nos efforts concernant ce dossier en apportant du travail à Miramichi et en nous attaquant au dossier lorsque nous en avions le temps. Plusieurs enquêteurs sont maintenant de retour à Frédéricton et travaillent au dossier à temps plein.

Le 14 septembre 2001, les fiches de renseignements 206 (Joseph Rollins) et 208 (Gregory Shore) ont été retournées à l'avocat de la Couronne Kevin Connell. M. Connell avait demandé que plusieurs questions soient précisées et étudiées... avant de prendre une décision concernant toute accusation. Les enquêteurs ont répondu à toutes les inquiétudes de M. Connell et attendent actuellement sa décision concernant ces deux fiches. Les enquêteurs ne prévoient pas que ces fiches entraîneront des poursuites car il est entendu qu'aucune d'elles ne contient de preuves suffisantes pour appuyer une quelconque accusation.

À ce jour, toutes les personnes que nous n'avons pas encore jointes afin de savoir si elles ont été victimes d'abus alors qu'elles étaient pensionnaires au Centre de formation pour jeunes ont soit été jointes par les enquêteurs de la police, soit nous n'avons pas été en mesure de communiquer avec elles malgré le fait que nous avons consentis tous les efforts raisonnables pour les retrouver... les noms de ces personnes ont été remis à la police à la suite d'un échantillonnage aléatoire des noms, en vertu d'une ordonnance du tribunal, ou relevés dans le cadre d'entrevues ultérieures, mais ces personnes n'ont pas pu être retrouvées... à ce moment-là, quelle qu'en soit la raison. Cela ne signifie pas que ces personnes ont été victimes alors qu'elles étaient pensionnaires au Centre de formation pour jeunes, seulement qu'elles y étaient inscrites.

À l'exception des fiches de ROLLINS et SHORE, il existe actuellement treize (13) autres fiches ouvertes aux fins d'enquête. Parmi celles-là, trois (3) ont été laissé ouvertes afin que les membres puissent retrouver les plaignants... pour les informer que leur dossier a été revu et sera clos. Les autres fiches peuvent être divisées en deux groupes... Celles qui concernent des allégations d'agressions perpétrées par... Bud Raymond, et celles qui concernent des allégations d'agressions perpétrées par un membre retraité de la GRC Cliff McCann.

Le 23 octobre 2001, le sergent d'état-major Dunphy a envoyé un courriel au surintendant principal Payne lui indiquant que les fiches des MM. Rollins et Shore avaient été envoyées à M. Connell le 14 septembre 2001 et qu'il les avait toujours en mains. M. Connell avait informé la GRC, dans une lettre datée du 19 octobre 2001, qu'il ne serait pas en mesure de lire les fiches avant janvier 2002. Il semble que les plaignants souhaitaient que la GRC les informe si d'autres accusations étaient portées contre M. Toft et contre d'autres personnes accusées d'agression sexuelle. Dans son courriel, le sergent d'état-major Dunphy a affirmé que « nous avons fait tout ce que nous pouvions jusqu'ici ».

9.3.11 Dossiers d'information

Selon un rapport d'enquête daté du 13 novembre 2001, préparé par le gendarme Rogers et appuyé par le sergent d'état-major Dunphy, deux fiches concernant des allégations contre M. Raymond demeuraient ouvertes. Il s'agissait des plaignants Roger Philippe et John Little. On s'attendait à ce que les enquêtes soient closes et prêtes à être examinées par l'avocat de la Couronne à la fin de 2001.

Au début de 2002, le sergent d'état-major Dunphy a rédigé un rapport, daté de janvier 2002, dans lequel il indique que les dossiers de Shore et Rollins étaient toujours entre les mains de l'avocat de la Couronne et qu'aucune décision n'avait été prise. Il a également mentionné que des mémoires concernant les dossiers de MM. Little et Philippe étaient prêts à être examinés par l'avocat de la Couronne en vue du dépôt éventuel d'accusations.

La CPP a demandé à M. Dunphy quelle était sa politique concernant les dossiers d'information qui avaient été envoyés à l'avocat de la Couronne pour être examinés. Il a affirmé qu'il devait approuver le contenu avant que ces dossiers ne soient envoyés à la Couronne et que, fort probablement, il reverrait d'abord ceux préparés par ses enquêteurs. S'il découvrait qu'il manquait quelque chose, il renvoyait le dossier aux enquêteurs pour que ceux-ci le corrigent et « le mettent au point ».

Il a dit que les dossiers d'information préparés par la caporale Delaney-Smith concernant les plaintes de MM. Shore et Rollins n'étaient pas minutieux. Néanmoins, ils ont été envoyés à M. Connell le 14 septembre 2001.

[Il] ne s'agissait pas des meilleurs dossiers d'information que j'aie vus... Je suis prêt à en assumer la responsabilité. J'aurais dû les étudier davantage et y être plus attentif. Je suppose que je... devais être occupé à organiser les choses et à tenter d'avoir un meilleur contrôle sur l'enquête globale... à ce moment-là je présume que nous comptions sur... la parole de M. Shore quant à ce qui allait se produire... il n'y avait aucune forme de corroboration à ce moment-là... Lorsque Kevin [Connell] a eu l'occasion de... les étudier il avait de nombreuses questions à nous poser... lesquelles étaient très pertinentes. Et ça ne s'est pas reproduit!

9.3.12 Possibilité de porter des accusations

Dans les notes qu'il a prises dans son calepin, datées du 18 janvier 2002, le sergent d'état-major Dunphy a affirmé que M. Shore avait téléphoné à Terry Ryan, le sous-commissaire de la Région de l'Atlantique, au sujet de M. Toft. Le sergent d'état-major Dunphy a écrit qu'il ne croyait pas que des accusations seraient portées concernant la plainte de M. Shore, laquelle prétendait que ce dernier aurait été attaqué dans les douches à l'ÉFNB; à l'exception des déclarations contradictoires de M. Shore, il n'y avait aucune preuve concrète indiquant que l'incident s'était réellement produit. Le sous-commissaire Ryan avait semble-t-il laissé entendre que M. Shore songait peut-être à déposer une dénonciation à titre de particulier contre M. Toft ou M. Raymond, ou contre les deux. M. Connell avait préparé un document pour M. Abbott au sujet de la possibilité que la police dépose des accusations.

Le sergent d'état-major Dunphy a remarqué que lui et M. Connell avaient discuté du dépôt d'une dénonciation (document donnat des détails au sujet des accusations) et de laisser à l'avocat de la Couronne le soin de prendre la décision de suspendre la dénonciation. Il a ajouté que cette possibilité n'a été soulevée qu'aux fins de discussion et que ses supérieurs n'avaient donné aucune orientation quant à la façon dont ils devraient procéder. Il se demandait s'il existait « des motifs raisonnables et probables » pour soutenir les accusations fondées sur les plaintes de M. Shore en raison de ses déclarations contradictoires au sujet des incidents décrits dans sa plainte. Comme il l'explique, « il existe [une] surabondance de preuves qui mettent en doute la crédibilité de M. Shore ». Il a conclu ses notes de la journée en indiquant qu'il attendait la décision de M. Connell.

Le 8 février 2002, le sergent d'état-major Dunphy a rencontré M. Connell afin de revoir les lettres d'opinion que M. Connell devait envoyer à la GRC concernant les plaintes de MM. Rollins et Shore contre MM. Raymond et Toft. M. Connell a expliqué que M. Abbott, le directeur des poursuites pénales, devait d'abord approuver les lettres avant qu'elles ne soient envoyées au sergent d'état-major Dunphy. Dans les lettres, M. Connell indique qu'il n'y avait aucune possiblité raisonnable que MM. Raymond et Toft soient condamnés et qu'il n'approuverait pas les accusations. Il a expliqué en détail les motifs de sa décision.

Le 21 février 2002, M. Connell a écrit une lettre au sergent d'état-major Dunphy et au gendarme Rogers indiquant qu'il avait rencontré M. Abbott le 18 février 2002 et qu'ils avaient revu le dossier Shore. M. Connell a soulevé quelques questions concernant la plainte de M. Shore, lesquelles devaient être réglées avant qu'il puisse prendre une décision. Par exemple, M. Shore a refusé que son médecin lui fasse subir un examen urologique; M. Connell a donc déclaré « qu'il fallait demander directement à M. Shore de se soumettre à un examen urologique administré par un médecin spécialiste et de signer une décharge médicale concernant cette information ». M. Connell a également demandé à M. Shore une décharge médicale au sujet d'un problème de santé découlant présumément de l'agression sexuelle dont il aurait été victime.

M. Connell a laissé entendre que la tentative engagée par la GRC pour obtenir les dossiers d'hôpital au sujet d'une ancienne blessure à la main qu'avait subie M. Shore à la suite d'un accident à la scierie où il travaillait avait fonctionné. Il a également demandé au sergent d'état-major Dunphy de trouver quelqu'un au bureau de l'ombudsman qui pourrait confirmer la déclaration de M. Shore, à savoir qu'il avait signalé au bureau de l'ombudsman un acte d'abus alors qu'il était pensionnaire à l'ÉFNB. M. Connell a conclu sa lettre en déclarant que « je suis conscient que la GRC a travaillé fort dans ce dossier; cependant, je présente ces demandes pour que vous les étudiiez, puisque je crois que cela nous permettrait d'obtenir un examen plus complet et plus détaillé sur lequel appuyer une recommandation ».

M. Connell a écrit de nouveau au sergent d'état-major Dunphy le 8 mars 2002. Cette fois, il a demandé à la GRC d'enquêter plus en détail sur les allégations présentées par MM. Philippe et Little contre M. Raymond. Il a inclus une longue liste d'éléments à préciser.

9.3.13 Plaignant Gregory Shore

Le sergent d'état-major Dunphy a inscrit des notes dans son calepin le 12 mars 2002, indiquant que le gendarme Rogers l'avais mis au courant de l'enquête et lui avait dit que M. Abbott insistait pour que M. Shore subisse un examen urologique. Le sergent d'état-major Dunphy a écrit qu'il s'y opposait : « Il n'est pas assuré que cet examen confirmera les blessures présumées, mais nous ne disposons d'aucune preuve corroborante pour indiquer qui, quand ni comment. Aucun dossier de traitement, sans compter les nombreuses versions de Shore ».

Le gendarme Rogers a écrit un courriel au sergent d'état-major Dunphy le 14 mars 2002, l'informant qu'ils détenaient 24 fiches contenant des allégations d'agression sexuelle déposées contre M. Toft à l'ÉFNB. Toutefois, les fiches s'inscrivaient dans la catégorie des fiches contenant des accusations non approuvées par le procureur général parce qu'elles sont semblables à celles pour lesquelles M. Toft a été condamné en 1992. Les fiches comprennent celles relatives aux plaintes de MM. Shore, Rollins, Lewis, Philippe et Little. Neuf personnes ont déposé des plaintes contre des membres du personnel de l'ÉFNB autre que M. Toft. Cependant, la preuve n'était pas suffisante pour justifier que ces fiches soient portées à l'attention de la Couronne .

Le 15 mars 2002, le sergent d'état-major Dunphy a noté que son équipe et lui ont discuté du dossier Shore et de l'ÉFNB; ils ont notamment parlé du fait que M. Shore n'avait toujours pas indiqué s'il acceptait de subir un examen urologique. Le gendarme Rogers, en réponse à une demande de M. Connell au sujet du nombre de plaintes et d'allégations reçues par la GRC contre M. Toft, a affirmé que 24 anciens pensionnaires avaient été joints et qu'aucune accusation ne serait portée en raison de la politique du procureur général.

Le 25 mars 2002, le sergent d'état-major Dunphy a discuté avec M. Abbott du fait que M. Shore devait subir un examen urologique ainsi que des raisons pour lesquelles il y avais un délai pour s'occuper de la plainte de M. Shore. Il a également émis la possibilité de déposer d'autres accusations contre M. Toft.

Le 4 avril 2002, le sergent d'état-major Dunphy a écrit que, à l'exception des gendarmes Long et Potvin, les membres de son équipe d'enquête ont été transférés ailleurs.

Le 9 avril 2002, le sergent d'état-major Dunphy et le gendarme Rogers ont envoyé une lettre à M. Connell en réponse à sa demande de précisions concernant la plainte d'agression causant des lésions corporelles déposée par M. Shore. Ils ont fait référence aux dossiers médicaux de M. Shore, à son accident présumé survenu à la scierie lors duquel il s'est coupé la main, la plainte qu'il aurait déposée au bureau de l'ombudsman, son refus de se soumettre à un examen urologique et la déclaration de M. Raymond. Il a résumé en disant :

cette enquête a été remarquablement longue et complexe, et ce, pour diverses raisons. Notamment, nous avons dû travailler avec [une] victime présumée extrêmement exigente et souvent difficile. On croit que tous les renseignements qui étaient disponibles auprès de toutes les sources potentielles ont été analysés. Toutes les possibilités d'enquêtes ont été épuisées et s'il en reste, elles ne sont pas réalisables. En outre, M. Shore tente maintenant de fournir de l'information dont il s'est « souvenu dernièrement ». À mon avis, ces souvenirs ne sont pas crédibles et étant donné la valeur probante des renseignements qu'il nous a révélés jusqu'ici, cela ne vaut pas la peine d'y consacrer plus de temps. Bref, selon moi, à ce jour, cette enquête s'est faite de manière pleine et entière, et je demande votre opinion écrite, dès que possible .

9.3.14 Décision de la Couronne

Les notes du 19 avril 2002 qu'a rédigées le sergent d'état-major Dunphy indiquent qu'il a rencontré M. Connell; ce dernier avait soumis un dossier d'information à M. Abbott aux fins d'approbation finale. Tout indiquait que la Couronne n'approuverait aucune accusation. Le sergent d'état-major Dunphy s'est dit d'avis qu'il n'exsistait aucun motif raisonnable et probable que la GRC porte des accusations sans l'approbation de la Couronne. L'avocat de la Couronne étudiait toujours les dossiers d'information au sujet des plaintes contre M. Raymond, déposées par MM. Philippe et Little.

Le sergent d'état-major Dunphy a reçu un courriel du gendarme Rogers le 2 mai 2002, lequel présentait un bilan de l'enquête et des statistiques sur les anciens pensionnaires qui avaient été retrouvés et interrogés. Les enquêteurs avaient étudié 178 fiches sur d'anciens pensionnaires, 48 d'entre elles concernaient des plaintes d'agression sexuelle ou physique. De ces 48 fiches, 36 s'inscrivaient parmi celles contre M. Toft que le procureur général ne devait pas approuver. Quatre des 48 fiches (MM. Shore, Rollins, Little et Philippe) étaient entre les mains de la Couronne en attente d'une décision pour savoir si des accusations seraient portées. Bon nombre des fiches avaient été closes parce qu'elles concernaient d'autres gardiens et qu'elles ne justifiaient pas le dépôt d'accusations. Les raisons étaient variées; notamment, il s'agissait d'infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité, l'agresseur présumé était décédé, et ainsi de suite. Le gendarme Rogers a également présenté une analyse des 178 autres fiches.

Le sergent d'état-major Dunphy a révélé dans ses notes du 20 mai 2002 que M. Shore prévoyait se rendre au Nouveau-Brunswick pour tenter d'obtenir l'attention des médias nationaux et qu'il pourrait peut-être entreprendre une « grève de la faim ».

Le 22 mai 2002, M. Connell a écrit une lettre au sergent d'état-major Dunphy dans laquelle il présente son avis au sujet des allégations faites par M. Shore contre MM. Toft et Raymond. Dans sa lettre de 15 pages, M. Connell affirme qu'il n'y avait aucune possiblité raisonnable qu'il y ait condamnation et qu'il n'approuverait pas les accusations. M. Connell a conclu en disant que « la déclaration de M. Shore relative aux efforts déployés par la GRC sont certainement injustifiés et de toute évidence sans fondement ». Dans une autre lettre rédigée le même jour à l'attention du sergent d'état-major Dunphy, M. Connell mentionne la plainte déposée par M. Rollins à la GRC, indiquant que la Couronne n'approuverait pas les accusations.

Le 29 mai 2002, le sergent d'état-major Dunphy a rencontré M. Shore à Frédéricton et lui a remis une lettre lui expliquant qu'aucune accusation ne serait portée sur le fondement de sa plainte. Plus tôt dans la journée, M. Rollins avait été informé qu'aucune accusation ne serait portée concernant ses allégations.

La CPP a demandé à M. Dunphy ce qui était finalement advenu de l'équipe d'enquête. Il a répondu :

en fin de compte, les membres ont été affectés... à des services individuels... Denise est allée à Shediac, Kathy a pris sa retraite, Garry Gervais est retourné au District deux, au fur et à mesure que des postes se sont libérés, les membres retournaient... à différents postes. Kathy et Denise sont restées plus longtemps que les trois autres... elles ont travaillé beaucoup au dossier... McCann du côté de Riverview.

Le 12 décembre 2002, le sergent d'état-major Dunphy a fourni des renseignements à Paul Green, le conseiller en stratégies de communication de la GRC, pour un communiqué de presse approuvé par le sergent Gary Cameron, agent des relations avec les médias. Le communiqué de presse indiquait que l'équipe d'enquête n'existait plus. Il mentionnait ensuite qu'en mai 2002, après une enquête minutieuse sur les allégations d'agression sexuelle à l'ÉFNB, aucune accusation n'a été portée. On ajoute ensuite dans ce communiqué de presse que si de nouvelles preuves sont présentées, « elles [seraient] soumises à une enquête approfondie. La GRC s'occupe de chaque cas, et continuera de le faire... »

9.4 Caporal Alan Rogers

Le caporal Alan Rogers, membre de la GRC depuis 1987, s'est joint au GCG en décembre 2000. Le 1er mai 2001, lorsqu'il a été affecté à l'enquête, il avait atteint le grade de gendarme.

9.4.1 Cours de l'enquête

Lorsque le gendarme Rogers a commencé à travailler sur l'enquête, il restait deux boîtes de fiches de renseignements de l'enquête précédente. Les fiches contenaient de l'information au sujet de 15 à 20 anciens pensionnaires que l'on avait appris à connaître au fil des ans, y compris M. Shore. Dans sa description des tâches auxquelles l'équipe devait s'attaquer, il a dit à la CPP que :

ce que j'ai compris c'est... faisons le ménage une fois pour toute. Occupons-nous de ces personnes, comme M. Shore, qui se sont exprimées au cours des dernières années, et nous essaierons à nouveau de retrouver celles de l'échantillon aléatoire que l'on n'a pas pu joindre dans le cadre de la première enquête... c'est avec ça que nous devions travailler à l'époque... et ça comprenait toutes les personnes contre qui des accusations avaient été portées et suspendues... or, au départ, nous avons eu des précisions quant à la position du ministère de la Justice, de la Couronne, au sujet des accusations suspendues et la décision était que les accusations suspendues demeureraient suspendues... Donc, d'emblée, en nous appuyant sur la décision du procureur général et tout, nous avons été en mesure de clore ces fiches de renseignements ou devrais-je dire, j'ai clos ces fiches de renseignements.

Il a décrit l'objectif visé au cours des premiers jours d'enquête :

Donc, dès le moment où j'ai commencé à m'impliquer, nous avions nos deux boîtes mais il ne s'agissait certainement pas de six mille, nous n'avions pas pour objectif de reprendre l'enquête. Ça ne faisait pas partie de nos tâches. Nous avions pour fonctions de nous occuper des gens comme M. Shore, dont les dossiers n'avaient pas été réglés au cours des premières enquêtes, ainsi que des personnes faisant partie de l'échantillon aléatoire - nous étions responsables de ces cas et de toute autre personne qui se présentait dans le cadre de notre enquête, mais il ne s'agissait pas de recommencer l'enquête. ... je crois que... une fois que nous avons été mis au courant des accusations suspendues, soudain le nombre de cas est devenu beaucoup plus facile à gérer. Et je crois que, question d'être juste envers Dave Dunphy, ... je crois qu'il se situait quelque part entre... « est-ce que nous aurons affaire à un monstre » et « qu'avons-nous entre les mains ».

9.4.2 À propos de l'enquête

Il a fait référence au terme « groupe d'intervention », lequel était utilisé pour décrire l'équipe d'enquête depuis 2003, en expliquant que :

Je ne crois pas avoir déjà parlé de nous en disant « Groupe d'intervention » parce que pour moi, un groupe d'intervention travaille beaucoup plus aux activités d'enquête proprement dites et à mon avis, après avoir lu les dossiers que nous avions en mains et connaissant ces dossiers, il s'agissait bien plus d'un examen des fiches dont nous disposions, d'une étude des nouvelles plaintes, vous savez, mais je ne crois pas avoir jamais appelé notre équipe un groupe d'intervention.

La CPP lui a demandé si le public était au courant de l'enquête ou si celle-ci avait été menée en secret. Il a répondu :

Non, pas du tout... je ne me souviens pas de ce qui a été diffusé dans les médias mais, évidemment... nous accueillions volontiers toute personne qui se présentait au sujet des plaintes. ... Si quelqu'un avait quelque chose à nous dire, nous étions toujours prêts à étudier l'information, et nous avons examiné tout ce que l'on nous a présenté.

Il a dit à la CPP que selon lui, pendant l'enquête, il disposait du soutien de ses supérieurs. Il n'a jamais eu l'impression que les officiers qui lui étaient supérieurs souhaitaient que l'enquête soit conclue rapidement.

9.4.3 Accusations suspendues

Il a fait référence à la rencontre entre le sergent d'état-major Dunphy et M. Connell, l'avocat de la Courronne, qui a eu lieu le 31 janvier 2001. Il a dit qu'après la rencontre, M. Connell a envoyé une lettre indiquant que la décision du procureur général concernant les accusations suspendues ne serait pas renversée. L'équipe devait déterminer de quelle façon elle allait traiter les plaintes futures contre M. Toft qui étaient considérées comme étant semblables à celles pour lesquelles M. Toft avait déjà été accusé et condamné. Si l'infraction concernait, par exemple, un enlèvement, la fiche serait considérée comme « n'allant pas dans la boîte » et pourrait faire l'objet d'une enquête.

9.4.4 Plaignant Gregory Shore

En réponse à une question de la CPP au sujet des plaintes de M. Shore, il a dit : « J'étais d'avis que la plupart des plaintes déposées par M. Shore contre Karl Toft devaient aller dans la boîte ». Cependant, il considérait que l'allégation de M. Shore, à savoir qu'il avait été accosté dans les douches à l'ÉFNB et que son pénis avait été coupé, devait demeurer hors de la boîte. À son avis, cet incident constituait une « agression causant des lésions corporelles » et l'équipe a décidé de faire enquête.

Le 1er mai 2001, au moment où le gendarme Rogers s'est joint à l'équipe, les fiches concernant MM. Shore et Rollins étaient déjà entre les mains de la Couronne aux fins d'examen. Il a informé la CPP que l'équipe avait tenté de retrouver d'anciens pensionnaires :

[S]'il n'était pas possible de trouver quelqu'un de cette façon [vérification du permis de conduire, etc.],... nous n'allions pas recourir à des moyens extraordinaires... comme diffuser l'information au grand public ou utiliser une méthode semblable pour tenter de retrouver ces personnes. Nous ne savons même pas si elles sont des victimes. Donc, ... si un dossier m'était présenté par Kathy ou Pierre, peu importe, et qu'ils disaient... qu'ils avaient effectué les vérifications mais ne parvenaient pas à les retrouver, le dossier était clos. C'était aussi simple que cela. D'accord. Parfait.

9.4.5 Rôle du gendarme Constable Rogers

À l'été 2001, l'équipe enquêtait sur les fiches provenant de l'échantillon aléatoire obtenu auprès des Archives provinciales. Il a décrit son rôle de la façon suivante : « outre le fait que je déplaçais des dossiers ici et là... sur le plan de l'enquête en tant que tel, ma plus grande participation concernait M. Shore ». Ses responsabilités à titre de coordonnateur du dossier comprenait « la gestion du dossier ». Il s'agissait de s'assurer que les fiches faisaient l'objet d'une enquête et qu'elles étaient documentées et que toute nouvelle... mesure à prendre était attribuée, [ce] genre de chose ». Il a décrit « les personnes impliquées [comme]... je ne dirais pas des « enquêteurs aguerris » mais ils possédaient tous une bonne expérience d'enquêteur. »

Lorsqu'un enquêteur travaillant à une fiche de renseignements avait été au bout de son enquête, la fiche était exmainée par le gendarme Rogers. Il a expliqué ceci en utilisant la gendarme Long comme exemple :

[Si] Kathy tentait de retrouver quelqu'un et que ses recherches se terminaient sans porter fruit, elle me remettait la fiche de renseignements, je regardais ce qu'elle avait fait et j'apposais ma signature en guise d'approbation. Si elle indiquait qu'elle avait fait ce qu'elle pouvait au sujet de la fiche, je n'avais aucune raison de m'inquiéter du contraire...

M. Shore est le seul plaignant de la CPP avec qui le gendarme Rogers a été en contact. Il n'a jamais parlé à Randall James Cranshaw ou à Daniel Trottier. Il a dit qu'il était au courant que M. Shore avait mis en place un numéro de téléphone sans frais pour les victimes d'agressions commises en établissement au Nouveau-Brunswick, et il a ajouté qu'il :

avait toujours parlé de son numéro un huit cent qui lui a permis de contacter des centaines de personnes. Eh bien j'aimerais voir, et j'espère que vous avez demandé à voir ce qu'il a, parce que, où sont-ils?... Il est certain que personne n'est jamais venu à nous. Il y avait... les quelques cas isolés... mais quant à de nouvelles personnes directement liées à Kingsclear, je ne crois pas que nous n'ayons jamais retrouvé quelqu'un. Je sais que, grâce à l'échantillon aléatoire, nous avons été en mesure de communiquer avec certaines personnes et quelques-unes d'entre elles ont établi des liens entre certains événements et nous, mais il n'y a jamais eu foule de gens devant notre porte... qui... n'avaient pas été satisfaits de la première enquête. Je veux dire, ce n'est pas qu'ils étaient satisfaits de l'enquête précédente mais plutôt qu'ils n'avaient pas eu ce contact, et M. Cranshaw était l'un d'eux. Bref, ce que je comprends c'est qu'on s'est occupé de son dossier lors de la première enquête et je pense qu'il y a une différence entre le fait qu'on s'occupe de son dossier et la satisfaction que ce dernier a été réglé comme il le souhaitait, mais cela ne signifie pas que les dossiers n'ont pas été traités.

Il a ajouté que M. Shore était sans cesse en contact avec la GRC et qu'en conséquence, la caporale Delaney-Smith a été désignée comme personne-ressource attitrée à M. Shore au sein de la GRC. Il a dit que les particuliers n'avaient aucun mal à communiquer avec l'équipe d'enquête.

9.4.6 Autres plaignants

Lorsqu'on lui a demandé si d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB avaient appelé pour déposer une plainte auprès de l'équipe au sujet d'agressions dans l'école, il a affirmé que « ça n'est jamais arrivé, et M. Shore ne cessait de parler de tous ces gens... Je n'ai jamais eu de leurs nouvelles ». Il a dit que si quelqu'un avait appelé au bureau de l'équipe pour déposer une plainte officielle, il aurait ouvert un dossier et lancé une enquête. Soit un membre de l'équipe, soit, selon l'emplacement géographique, un autre enquêteur d'un bureau différent aurait pris la déposition afin que l'équipe puisse l'étudier. Ils auraient alors décidé si la plainte devait aller dans la boîte ou non, en fonction de ce que le procureur général a établi concernant le type d'accusation qui pourrait faire l'objet d'une poursuite, et une réponse aurait été envoyée informant le plaignant de la décision de la GRC d'agir ou non.

9.4.7 Fiches de renseignements

La CPP l'a interrogé au sujet des fiches que l'équipe avait obtenues à la suite de l'enquête du sergent Lockhart, laquelle s'est déroulée de 1992 à 1994 :

Je replongeais dans les documents de la première enquête et si cette personne était citée, qu'on avait communiqué avec elle ou quoi que ce soit, et qu'il n'y avait aucune raison, bien, je veux dire, vous savez, si la personne a dit « Ouais, je suis allé à l'école là mais rien ne m'est arrivé », eh bien ça s'arrêtait là. Je n'avais aucune raison de revenir sur cette personne... je convenais qu'il n'y avais aucune raison de croire que quelque chose avait changé et en réalité, j'aurais davantage tendance à croire ce qui a été dit la première fois, vous savez.

Il a ajouté que si le sergent Lockhart et ses enquêteurs avaient accepté la déclaration d'une personne disant que rien ne s'était passé, ça lui suffisait. L'équipe ne fermerait pas d'autres fiches de renseignements à moins qu'elle soit convaincue que rien d'autre ne peut être fait.

Il a dit qu'il préparerait un rapport semblable ou un courriel à la fin de chaque mois à titre de résumé de l'enquête. En date du 20 juin 2001, 104 des 174 fiches de départ étaient toujours sous enquête; l'équipe était d'avis que 71 d'entre elles pouvaient être conclues immédiatement après un premier examen, sans enquête supplémentaire. Comme l'a mentionné le gendarme Rogers, s'il y avait eu espoir que des accusations puissent être portées concernant l'une ou l'autre des fiches restantes, l'équipe aurait fait enquête. Parmi les 71 fiches, 55 avaient déjà fait l'objet d'une enquête et n'avait nécessité aucune autre mesure; 16 fiches avait récemment été examinées et conclues par les enquêteurs; et ces derniers tentaient de localiser 74 personnes qui n'avaient jamais été retrouvées.

9.4.8 Décision de porter des accusations

Le 28 juin 2001, les enquêteurs ont reçu une lettre de M. Connell au sujet du dossier d'information et de l'enquête Shore, demandant que d'autres enquêtes soient menées concernant 21 questions. Ces demandes ont été envoyées aux enquêteurs après que le gendarme Rogers a créé un formulaire de tâches pour chacune des questions. Il a dit à la CPP que la GRC faisait tout ce que M. Connell lui demandait de faire. Il a ajouté : « Je sais que nous ne portions pratiquement toute notre attention que sur l'accomplissement de ces tâches et... régler ces questions et c'est ce que nous avons fait ».

Le 23 octobre 2001, le gendarme Rogers a écrit un courriel au sergent d'état-major Dunphy lui demandant pourquoi M. Connell mettait autant de temps pour informer la GRC de son point de vue, à savoir s'il approuvait les accusations fondées sur le dossier Shore. « Il ne s'agit pas d'une affaire compliquée. Il n'y a aucune preuve physique, aucun témoin, aucune corroboration des allégations. Les incidents sont issus de souvenirs et M. Shore a donné quatre versions différentes de l'incident qui faisait l'objet de notre enquête ».

Il a expliqué à la CPP les efforts déployés pour que M. Shore subisse un examen par un urologue, efforts qui ont été plus tard encouragés par une lettre de M. Connell, datée du 21 février 2002. M. Connell demandait avec insistance à la GRC d'exiger que M. Shore subisse l'examen et a conclu sa lettre en disant qu'il était conscient que la GRC avait travaillé fort au dossier Shore. Le gendarme Rogers a donné en vain le nom d'un urologue qui était prêt à examiner M. Shore. Il a dit à la CPP qu'il avait lu les dossiers médicaux de M. Shore et a affirmé qu'en ce qui concerne l'allégation de M. Shore selon laquelle il s'était fait couper le pénis dans les douches de l'ÉFNB, « à ce jour, il n'existe aucun document à l'appui sur lequel nous avons pu mettre la main, indiquant que » cela s'est produit.

Autour du 22 mai 2002, la GRC a reçu la lettre d'opinion de M. Connell au sujet du dossier Shore. M. Connell a écrit « qu'il n'y a aucun espoir raisonnable qu'une poursuite soit intentée contre Karl Richard Toft ou Weldon Michael Raymond en ce qui a trait aux allégations de M. Shore et s'avère fructueuse ». Le gendarme Rogers a dit à la CPP qu'il était d'accord avec la décision de M. Connell et que les enquêtes menées par l'équipe n'avaient entraîné le dépôt d'aucune accusation. M. Connell a également rédigé une lettre d'opinion indiquant qu'en réalité, il n'existait aucune possibilité raisonnable qu'il y ait condamnation concernant l'une ou l'autre des fiches pour lesquelles la GRC avait présenté un dossier d'information.

Dès avril 2002, la charge de travail globale de l'équipe avait diminué. Le gendarme Rogers a été transféré de nouveau au GCG.

9.5 Caporale Paulette Delaney Smith

Tel qu'indiqué au chapitre 8 « Enquête menée par le Gendarme Pat Cole (1995-2000) », la caporale Paulette Delaney-Smith a refusé d'accorder une entrevue à la CPP, suivant les conseils de son avocat, William Gilmour, qui représente également M. Shore. La CPP a dû s'appuyer sur la documentation fournie par la GRC pour reconstituer et analyser son rôle dans l'enquête.

9.5.1 Plaignant Daniel Trottier

Le 18 mai 1999, le plaignant M. Trottier a remis une déclaration au gendarme Alain Dugas du détachement de Cornwall, prétendant qu'il avait été victime d'abus perpétrés par Karl Toft à l'ÉFNB. Un an plus tard, il a remis une déclaration sur bande audio aux gendarmes Dugas et Daigneault. Le 26 mai 2000, la caporale Delaney-Smith, qui était affectée au GCG de Frédéricton, a indiqué dans un rapport de suivi que le gendarme Dugas lui avait téléphoné pour l'informer de la déclaration qu'il avait reçue de M. Trottier et qu'il lui en enverrait une copie. Dans un rapport de suivi daté du 21 juin 2000, elle a écrit qu'elle n'avait toujours pas reçu de déclaration de Cornwall et qu'elle avait envoyé un courriel au gendarme Dugas lui demandant ladite déclaration. Le 27 juin 2000, le gendarme Dugas a répondu en lui disant qu'il lui enverrait toute l'information qu'il détenait concernant M. Trottier. Le gendarme Rogers a appris que le détachement de Cornwall avait ouvert une fiche de renseignements relative à la plainte de M. Trottier le 27 juin 2000, date à laquelle il a reçu la déclaration de la part du détachement .

La CPP n'a trouvé aucun dossier dans la documentation qu'elle a étudiée indiquant si la caporale Delaney-Smith avait finalement reçu l'envoi du gendarme Dugas. La documentation ne mentionne pas ce qui s'est passé dans le cadre de l'enquête Trottier pour le reste de l'année 2000. Le dossier papier suivant concernant M. Trottier a été produit par la gendarme Long, et non par la caporale Delaney-Smith, et est daté du 20 juin 2001.

9.5.2 Plaignant Gregory Shore

Le 6 juillet 2000, le sergent Eaton a nommé la caporale Delaney-Smith de personne-ressource de la GRC pour M. Shore. En avril 2001, elle a demandé à être retirée de l'équipe d'enquête de l'ÉFNB en raison de problèmes de santé liés au travail. Elle est demeurée au sein du Groupe des crimes graves, à la direction général de la Division J, et a continué de participer occasionnellement à l'enquête, particulièrement lorsqu'il s'agissait de M. Shore. Le 2 mai 2001, elle a présenté des dossiers d'information à M. Connell, qui les a revus.

Le 3 mai 2001, elle travaillait sur la plainte de M. Shore, laquelle indiquait qu'il avait été agressé dans les douches et que son pénis avait été coupé. Il a donné le nom de Richard Theoret, disant qu'il s'agissait de l'un des garçons qui se trouvaient dans la douche lorsqu'il a été agressé. Elle a écrit qu'elle a communiqué avec M. Theoret, qui se souvenait d'un incident dans la salle de douches et que quelqu'un saignait. M. Theoret a dit qu'il avait songé à faire une déclaration mais, la caporale a-t-elle écrit, il n'a pas donné de nouvelles depuis lors.

M. Shore a été informé par l'entremise d'une lettre de M. Connell, datée du 30 mai 2001, que l'enquêteur chargé de sa plainte était la caporale Delaney-Smith et qu'il devait communiquer avec elle plutôt qu'avec le bureau du procureur.

Le 21 juin 2001, M. Connell a écrit à la caporale Delaney-Smith lui indiquant qu'il avait étudié le dossier d'enquête de M. Shore qu'elle lui avait présenté. Il faisait référence au dossier d'enquête dans lequel elle affirme avoir jugé M. Shore crédible. M. Connell a ajouté que la crédibilité de M. Shore représentait une question importante et qu'une enquête complète et approfondie devait être menée avant qu'une conclusion ne puisse être tirée quant à l'approbation des accusations sur le fondement de sa plainte. M. Connell a ensuite remis une liste de 25 éléments qu'il souhaitait soumettre à une enquête plus approfondie. Le 2 août 2001, M. Connell a envoyé une lettre semblable concernant l'enquête et le dossier d'information portant sur la plainte de M. Rollins.

Le 22 août 2001, la caporale Delaney-Smith a envoyé un courriel au sergent d'état-major Dunphy et au gendarme Rogers soulignant les préoccupations de M. Shore au sujet des questions que M. Connell avait posées à la GRC dans sa lettre du 21 juin 2001. Il souhaitait obtenir la liste de questions de la Couronne et voulait savoir si cette dernière avait même le droit de poser ces questions. Il a demandé que M. Connell lui écrive pour lui expliquer pourquoi il voulait accéder aux dossiers portant sur la période de son enfance. La caporale Delaney-Smith a écrit qu'elle avait répondu à ses questions, mais que M. Shore voulait une réponse de l'équipe d'enquête.

Le 14 septembre 2001, le sergent d'état-major Dunphy a fourni à M. Connell des réponses aux 25 questions soulevées dans la lettre de M. Connell datée du 21 juin 2001. La caporale Delaney-Smith a continué de s'occuper de M. Shore à l'automne 2001, comme le prouve un courriel qu'elle a écrit le 15 octobre 2001 au sergent d'état-major Dunphy et à l'équipe concernant les 10 questions que M. Shore lui avait présentées. À peu près au même moment, M. Connell a informé l'équipe qu'il ne serait pas en mesure de compléter son examen des dossiers Shore et Rollins avant janvier 2002, puisqu'il avait d'autres engagements à l'automne 2001.

Le gendarme Rogers a soulevé la question de l'examen urologique de M. Shore avec la caporale Delaney-Smith dans un courriel qu'il lui a envoyé le 20 février 2002. En vue d'obtenir ses commentaires, il lui a envoyé l'ébauche d'une lettre qu'il avait rédigée et qu'il souhaitait envoyer à M. Shore concernant l'examen. Le 4 mars 2002, elle a envoyé un courriel au gendarme Rogers l'informant qu'elle avait envoyé par télécopieur à M. Shore le dernier bilan de l'enquête et les formulaires d'autorisation d'accès aux dossiers médicaux. Pour faire le suivi, elle a envoyé un courriel au sergent d'état-major Dunphy le 11 mars 2002 indiquant que M. Shore avait signé les formulaires d'autorisation d'accès aux dossiers médicaux et qu'il les lui transmettrait par télécopieur.

M. Shore a demandé à la GRC d'envoyer une lettre à son médecin de famille lui demandant officiellement de prendre rendez-vous avec un urologue pour M. Shore. Une note manuscrite de la caporale Delaney-Smith à l'intention du sergent d'état-major Dunphy, datée du 18 mars 2002, confirme les difficultés qu'éprouve le sergent d'état-major Dunphy, ainsi qu'on le mentionne précédemment, à convaincre M. Shore de se soumettre à un examen par un spécialiste. Dans sa note, elle affirme que M. Shore ne veut pas subir un examen pratiqué par un urologue et conclut qu'il gêne les progrès et ne coopère pas. Quelques jours plus tard, elle a envoyé un courriel au sergent d'état-major Dunphy et au gendarme Rogers indiquant qu'un rendez-vous avait été pris avec un urologue pour un examen mais qu'il devait confirmer ledit rendez-vous. Elle a écrit que M. Shore ne voulait pas se soumettre à un examen à moins de l'approbation de son médecin personnel. Il a demandé pourquoi l'avocat de la Couronne exigeait un examen médical. Elle a conclu en disant qu'elle ne croyait pas que M. Shore accepterait de subir un examen, même si la GRC passait par son médecin.

En mai 2002, aucun progrès n'avait été réalisé au chapitre de l'examen urologique de M. Shore. Dans un courriel du 24 mai 2002 envoyé par le sergent d'état-major Dunphy à ses supérieurs, ce dernier écrit que M. Shore a informé la caporale Delaney-Smith qu'il allait « brasser de la merde » à l'assemblée législative provinciale. Il semble qu'après cela, la caporale Delaney-Smith ait tourné son attention vers l'enquête McCann.

9.6 Gendarme à la retraite Kathy Long

Kathy Long fait partie des officiers qui étaient présents à la rencontre inaugurale de l'équipe d'enquête, le 1er mai 2001. La CPP lui a fait passer une entrevue le 29 novembre 2005, et de nouveau le 14 décembre 2006.

9.6.1 Contexte

Lorsqu'elle a commencé avec l'équipe, la gendarme Long était au courant des accusations précédemment portées contre M. Toft ainsi que de sa sentence. Elle connaissait également les accusations qui ont été suspendues par le procureur général Blanchard en octobre 1993. Elle a confirmé que l'équipe avait reçu au départ 145 fiches de renseignements à étudier et que les fiches étaient principalement historiques et liées à des gens que d'autres enquêteurs n'avaient pas réussi à joindre. Elle a informé la CPP que les fiches provenaient d'un local d'entreposage de la Direction générale de la Division J que l'on appelait la « morgue ». Lors de leur rencontre, le sergent d'état-major Dunphy a dit aux enquêteurs : « Voici les boîtes de fiches, puisez-y des noms, retrouvez ces personnes, et c'est ce que nous avons fait... » Elle a poursuivi en disant : « Je savais donc que ces boîtes contenaient le nom de victimes potentielles qui n'avaient jamais été contactées dans le cadre de ce dossier. C'est tout ce que je savais. Il nous revenait donc de les dénicher et d'étudier leur fiche, pour voir si nous pouvions trouver des liens et leur poser des questions ».

Elle a convenu du fait que les fiches ont été réparties entre les membres de l'équipe et que tous avaient leur propre groupe. Elle a dit que lorsqu'elle s'est jointe à l'équipe, elle savait également que le terme « dans la boîte » faisait référence à la décision du procureur général. Elle croyait que l'équipe serait en mesure de faire du bon travail et elle avait confiance en tous les membres; tous ceux présents à la rencontre souhaitaient participer.

Elle n'avait jamais entendu parler de MM. Shore et Rollins avant de commencer à travailler au sein de l'équipe d'enquête. Elle a rapidement pris connaissance des communications entre M. Shore et la caporale Delaney-Smith. Leurs supérieurs étaient d'avis qu'il était préférable de ne pas rompre la relation; la caporale Delaney-Smith est donc restée en poste à la Direction générale et a continué de s'occuper de MM. Shore et Rollins. Elle était d'avis que M. Rollins ne faisait que « se moquer » de tout le monde dans l'équipe. il appelait différents membres de l'équipe, obtenait une réponse différente de chaque enquêteur et ensuite montait les membres les uns contre les autres. Enfin, l'équipe a décidé que la fiche Rollins serait « renvoyée à Dave [Dunphy] ». C'est donc lui qui en est venu à s'occuper de M. Rollins.

9.6.2 Rôle d'enquêteur

Une semaine après s'être jointe à l'équipe, la gendarne Long a tenté de retrouver d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB pour leur faire passer une entrevue. Son premier rapport de suivi, daté du 8 mai 2001, illustre les efforts qu'elle a déployés pour retrouver deux personnes, en vérifiant les antécédants judiciaires, permis de conduire et immatriculation ainsi que le Système de récupération de renseignements judiciaires (SRRJ). Elle a préparé de nombreux rapports de suivi concernant ses tentatives pour retrouver plusieurs anciens pensionnaires. L'une des méthodes qu'elle a utilisées pour convaincre les victimes potentielles de se présenter et d'accepter de passer une entrevue auprès de la GRC comprenait l'envoi d'une lettre-type à certains anciens pensionnaires disant que la GRC aimerait avoir de leurs nouvelles. Elle a affirmé que ces lettres-types ont été utilisées en dernier recours pour tenter de retrouver ces gens. Elle se rappelle n'avoir reçu que deux réponses à la suite de ces lettres : un appel et une lettre de retour. Dans la description de ses efforts pour retrouver d'anciens pensionnaires, elle affirme :

... J'ai passé des heures et des heures sur ces ordinateurs, à tenter de retrouver des personnes, à appeler, vous savez, des personnes ayant le même nom... il s'agissait d'un processus plutôt fastidieux... Et je travaillais et travaillais pour finalement apprendre que cette personne était décédée... Je travaillais parfois pendant deux jours pour trouver quelqu'un et je tombais sur une personne hostile à l'autre bout du fil qui me disait « Pourquoi me dérangez-vous » et me raccrochait au nez. Donc, oui, mais c'était essentiellement ce que nous... faisions .

Elle ne se souvient pas de lignes directrices particulières que l'équipe pouvait utiliser pour retrouver les anciens pensionnaires. « Parce que la plupart de ces personnes avaient des antécédents criminels... Après qu'ils aient changé de nom, on s'en est aperçu pour certains d'entre eux, il y avait beaucoup de pseudonymes, ils changeaient de nom au fil des années ». Ils n'ont pas limité leurs recherches au Nouveau-Brunswick. Elle se rappelait avoir communiqué avec des gens qui vivaient dans des régions aussi éloignées que la côte ouest, ainsi qu'ailleurs au Canada. Elle a enquêté sur des allégations d'agression physique en déployant les mêmes efforts que pour les allégations d'agression sexuelle. Après avoir terminé son enquête concernant une fiche de renseignements, elle renvoyait celle-ci au gendarme Rogers et il la saisissait dans l'ordinateur. Elle a dit à la CPP que l'équipe recevait des appels de pensionnaires qui se trouvaient dans des établissements pénitentiaires et qui souhaitaient parler à un membre de l'équipe; mais lorsqu'un enquêteur rappelait un pensionnaire, celui-ci avait changé d'idée et ne voulait plus parler.

9.6.3 Processus de recherche et d'entrevue des anciens pensionnaires

Le gendarme Rogers lui a remis un rapport d'état daté du 22 août 2001, lequel dressait la liste des noms des anciens pensionnaires sur lesquels enquêter; cette liste comptait à cette date 215 noms. Elle a dit à la CPP que le processus supposait que l'on tente de localiser un ancien pensionnaire et que l'on obtienne sa coopération pendant 30 jours. Si elle n'obtenait rien après cette période, elle fermait et classait la fiche de renseignements. Si la personne recherchée communiquait avec la GRC ou que de nouveaux renseignements étaient présentés, elle rouvrait la fiche de renseignements et poursuivait l'enquête. Comme elle l'a dit, « rien n'était définitivement clos ».

9.6.4 Plaignant Daniel Trottier

Le 14 juin 2001, elle a mentionné dans un rapport de suivi qu'elle avait lu la déclaration que M. Trottier avait remis au gendarme Dugas du détachement de Cornwall le 25 mai 2000. Elle a conclu que son allégation concernant M. Toft resterait sans suite en raison de la décision de l'avocat de la Couronne de ne pas porter d'autres accusations contre M. Toft pour des motifs d'intérêt public. Elle a ajouté que M. Toft ne recevrait aucune autre sanction. Elle a conclu son rapport de suivi en affirmant qu'elle avait envoyé un courriel, daté du 14 juin 2001, au gendarme Dugas afin d'obtenir le numéro de téléphone de M. Trottier, puisqu'elle souhaitait l'informer de la décision concernant son dossier. Elle a précisé que le dossier était « ECE », en cours d'enquête.

Le gendarme Dugas a répondu par courriel le jour suivant, l'informant qu'il avait vu M. Trottier environ sept mois auparavant et qu'il était toujours à Cornwall. « Daniel s'attendait à ce qu'on communique avec lui il y a plusieurs mois ». Le gendarme Dugas a dit qu'il tenterait de retrouver M. Trottier. Le 8 août 2001, le gendarme Dugas a envoyé un autre courriel indiquant qu'il avait retrouvé M. Trottier à Ottawa. Le 14 août 2001, la gendarme Long a rédigé un rapport de suivi dans lequel elle affirme avoir parlé à M. Trottier au téléphone et « lui avoir expliqué que sa plainte contre M. Toft ne serait pas présentée à la Couronne tel qu'on l'indiquait dans la lettre datée du 20 août 2001. Trottier a demandé à recevoir cette décision par écrit ». Le 20 août 2001, elle a rédigé une lettre l'informant qu'aucune accusation ne serait portée. Elle y a joint une copie de la déclaration du procureur général Blanchard, faite le 29 octobre 1993, concernant les accusations suspendues.

9.6.5 Plaignant John Little

Dans un rapport de suivi daté du 11 octobre 2001, la gendarme Long a dit s'être rendue à Toronto pour faire passer une entrevue à M. Little au sujet de sa plainte pour agressions perpétrées par M. Raymond. Elle a obtenu une déclaration de M. Little dans laquelle il indique que M. Raymond s'est adonné à des actes sexuels avec lui et qu'il l'a agressé physiquement. Il lui a donné le nom d'un membre de sa famille qui pouvait confirmer certains éléments de sa déclaration et il a signé un formulaire d'autorisation d'accès aux dossiers médicaux qu'il lui a remis. Le 21 novembre 2001, à son retour au Nouveau-Brunswick, le gendarme Potvin et elle sont allés à Saint John pour faire passer une entrevue à M. Raymond. Il a nié toute agression. « Ne savait rien de ces allégations ». Dans son entrevue auprès de la CPP, elle a dit qu'elle croyait que M. Little avait réellement été victime d'agression sexuelle.

9.6.6 Plaignant Gregory Shore

Elle a dit à la CPP qu'elle était « la seule du groupe à avoir conservé une certaine distance avec M. Shore parce que je croyais qu'il y avait déjà trop de personnes impliquées ». Lorsqu'on l'a interrogée au sujet de la crédibilité de M. Shore, elle a dit : « Je sais que pour toutes les allégations qu'il a faites, nous étions en mesure de... je n'aime pas le mot discréditer... mais nous pouvions démontrer que ces événements ne s'étaient pas vraiment produits ». Lorsqu'elle a appris que les enquêteurs envoyaient un dossier d'information à M. Connell afin de donner suite aux accusations sur le fondement des plaintes de M. Shore, elle s'est dit :

Oh mon Dieu, vous savez, ç'aurait pu être quelqu'un d'autre que Gregory Shore parce que... il n'est pas crédible. Je veux dire, il avait peut-être de bonnes intentions au départ, mais il a de loin dépassé les bornes, donc... c'est malheureux qu'il devienne l'exemple de... pour le test que devra subir Toft.

9.6.7 Décision de la Couronne

Lorsqu'on lui a demandé ce qu'elle pensait de la décision de la Couronne de ne pas déposer d'accusations contre M. Raymond, elle a dit qu'elle croyait que M. Connell avait mis trop l'accent sur la crédibilité des victimes présumées. Cependant, elle comprenait par ailleurs que la crédibilité constituait un facteur important.

On lui a demandé si elle avait déjà eu l'impression que la Couronne ou le procureur général voulait simplement « faire disparaître » l'enquête. Elle a répondu :

Nous voulions tous qu'elle disparaisse... en fait, j'ai une amie très proche qui était gardienne [ÉFNB] à l'époque et... elle ne cessait de dire « qu'est-ce que vous essayez de faire maintenant, lâchez prise. » Et les gardiens qui... avaient déjà été interrogés étaient presque hostiles lorsque nous retournions leur parler, je veux dire, ils étaient très amers .

Elle a préparé deux dossiers d'information pour M. Connell concernant les allégations contre M. Raymond. L'un des dossiers concernait la plainte de M. Little, mais elle ne se souvenait pas du nom de l'autre plaignant au moment de son entrevue auprès de la CPP. La CPP est d'avis qu'elle faisait référence au dossier de Roger Philippe. Elle a affirmé avoir tenté d'être précise et honnête au moment de préparer ses rapports, ses notes et toute autre documentation qu'elle a soumise.

Finalement, elle a reçu une réponse écrite de M. Connell, dans laquelle il présente son opinion. Il n'approuvait pas le dépôt d'accusations contre M. Raymond et a expliqué longuement ses motifs. Elle a dit à la CPP qu'elle pouvait comprendre le point de vue de M. Connell, à savoir qu'il n'était pas d'accord avec les accusations. Elle était consciente que l'acquittement de M. Raymond concernant les accusations portées contre lui en 1994 a haussé la barre quant à la norme de preuve et aux éléments de preuves requis pour porter accusation. La Couronne voulait obtenir une corroboration et elle convenait que cela était nécessaire. Cependant, elle croyait que la Couronne aurait dû donner une seconde chance aux plaignants, particulièrement à M. Little, et leur permettre de témoigner devant un tribunal pénal.

9.6.8 Départ de l'enquête

La gendarme Long a quitté l'enquête de l'ÉFNB en mai 2002, lorsqu'elle a pris sa retraite de la GRC, avant que M. Connell n'envoie sa dernière lettre d'opinion concernant l'approbation des accusations. Au moment de son départ, elle était la seule membre qui restait de l'équipe d'enquête. Elle a dit à la CPP qu'elle croyait que ses supérieurs avaient fourni suffisamment de ressources à l'équipe et qu'ils avaient fait leur possible étant donné la situation à laquelle ils étaient confrontés, y compris l'hésitation des victimes à dénoncer, à passer une entrevue et à déposer une plainte. Elle croyait qu'il existait beaucoup plus de preuves mais que personne n'était prêt à parler. Elle a dit au sujet des membres de l'équipe que « tout le monde avait bon cour au sein de cette équipe... ». Lorsqu'on lui a parlé des allégations soulevées par les plaignants auprès de la CPP, à savoir que les enquêtes menées par l'équipe étaient insuffisantes, elle a dit : « Bien, en ce qui me concerne, la seule personne qui dise cela c'est Gregory Shore... De toute ma carrière, je n'ai jamais vu tant d'attention portée à un seul homme qu'à Gregory Shore. ... J'aimerais vraiment savoir quels... sont ses motifs, vous savez, ... ce qu'il cherche, ce qu'il veut ». Elle a ajouté que « il avait toute la province qui courait dans tous les sens, qui le pourchassait avec toutes ses petites allégations... tout ce qu'il prétendait s'être passé a fait l'objet d'une enquête minutieuse ».

9.7 Caporal Pierre Gervais

En mai 2001, le caporal Pierre Gervais a été muté à l'enquête sur l'ÉFNB et détenait le grade de gendarme. Il a participé à l'enquête jusqu'en mars 2002.

Durant tout le mois de mai 2001, il était occupé à revoir des fiches concernant principalement M. Toft, lesquelles avaient été réunies au cours des dernières enquêtes sur l'ÉFNB. Il a décrit avoir revu plus de 100 fichiers, vérifiant si des accusations avaient été portées, des entrevues menées et des personnes retrouvées. Ce faisant, il a été en mesure de clore près de 21 fiches puisque la nature des plaintes mentionnées dans ces fiches étaient la même que celles pour lesquelles M. Toft purgeait une sentence. Il a également retrouvé et interrogé d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB concernant M. Raymond.

Le 8 mars 2002, il a rédigé un rapport de suivi dans lequel il a mentionné avoir tenté de retrouver et d'interroger neuf témoins possibles au sujet de la plainte déposée par M. Shore, à savoir que des gens auraient tenté de lui couper le pénis alors qu'il était à l'ÉFNB. Il a réussi à communiquer avec quatre anciens pensionnaires de l'ÉFNB. Dans son rapport de suivi, il a écrit ceci :

08-03-2002, 10 h 30. Le sujet a affirmé avoir fréquenté le CFJ alors qu'il avait seize ans, bien qu'il ne se souvienne pas des années précises au cours desquelles il y était. Il ne se souvient pas d'un incident où quelqu'un a été coupé avec un couteau, ni que quelqu'un se soit fait couper le pénis. En réalité, il est certain qu'un tel incident ne s'est jamais produit pendant qu'il fréquentait cet établissement. Il a déclaré n'avoir jamais entendu parlé de quelqu'un qui se serait fait attaquer dans les douches pendant qu'il fréquentait l'établissement. Il a affirmé n'avoir vécu aucun problème et ne se souvenir d'aucun incident particulier. De plus, il ne se souvenait de personne du nom de Greg ou Gregory Shore. Il a déclaré qu'il ne voulait aucunement être mêlé aux affaires du CFJ.

12-03-2002. 9 h 50. J'ai appelé Trevor Stevenson. Il m'a dit qu'il était au CFJ il y a des années. Il ne se rappelle pas exactement quelles années mais c'était lorsqu'il avait 13, 14 ou 15 ans. Il sait qu'il en est parti à 16 ans. Il ne se rappelle aucun incident où quelqu'un aurait été attaqué avec un couteau pendant qu'il fréquentait l'établissement. Il ne se souvient de personne qui aurait été agressé dans les douches. Il ne se souvient pas d'un Greg ou d'un Gregory Shore. Il ne se rappelle aucun incident où une personne aurait été coupée au pénis avec un couteau.

12-03-2002, 13 h 25. J'ai effectué une patrouille... pour rencontrer Tyler Ryan Stahl. Il m'a dit qu'il avait fréquenté le CFJ alors qu'il avait environ 15 ans. Il a précisé que le nom de Gregory ou Greg Shore lui rappelle quelque chose, mais sans plus. Il a affirmé se souvenir de quelques incidents d'agression, et même de gens qui ont été attaqués avec un couteau, mais de personne en particulier. [Il] ne se rappelle aucune incident où quelqu'un aurait été coupé au pénis avec un couteau.

15-03-2002, 13 h 30. J'ai appelé Kyle Tremblay en Alberta. Il m'a dit qu'il avait fréquenté l'École de formation du Nouveau-Brunswick à Kingsclear au Nouveau-Brunswick alors qu'il avait sept ans, en 1958 ou en 1959. Il n'y est pas retourné depuis. Il ne se souvient pas d'incidents où quelqu'un a été coupé avec un couteau, ni d'un pensionnaire du nom de Gregory ou Greg Shore.

9.8 Caporal Clive Vallis

Le 1er mai 2001, le caporal Clive Vallis s'est joint à l'équipe d'enquête sur l'ÉFNB. Cependant, il a peu après été affecté au parc Fundy pour l'été. Il est retourné auprès de l'équipe en octobre 2001 et y est resté jusqu'à son transfert au Système d'analyse des liens entre les crimes de violence (SALVAC) le 17 avril 2002.

Ses fonctions dans le cadre de l'enquête consistaient à vérifier les dossiers de l'ÉFNB aux Archives provinciales concernant les anciens pensionnaires de l'école qui auraient pu être victimes d'agression sexuelle et physique. Il était également chargé de rédiger des courriels et des rapports d'enquête, de saisir des données dans le SALVAC et de retrouver et de faire passer des entrevues à des victimes et des témoins potentiels, y compris d'autres membres de la GRC. La plupart de son temps était consacré à enquêter sur Clifford McCann; il effectuait entre autres des surveillances physiques.

Lors de son entrevue auprès de la CPP le 8 janvier 2007, on lui a demandé si une personne qui souhaitait déposer une plainte concernant l'ÉFNB aurait été en mesure de le joindre. Il a répondu : « Oui. S'ils appellaient la Direction générale et qu'ils souhaitent parler à quelqu'un, il ne fallait que peu de temps pour que l'appel soit acheminé en bas, là où nous étions, à l'hôpital ».

On lui a ensuite demandé s'il avait reçu ce genre d'appels. Il a dit : « Non, je n'ai jamais parlé à une personne de Kingsclear ».

On lui a également demandé :

En regardant tout ça du point de vue du groupe d'intervention et de votre participation à celui-ci, en revenant en arrière, voyez-vous des lacunes ou des domaines où vous avez observé un manque d'effort?

Il a répondu :

Il s'agit d'une opinion personnelle et je ne sais pas si je veux que ce soit enregistré sur la bande, mais je crois qu'un autre avocat de la Couronne aurait dû revoir les fiches pour voir si des accusations devaient être portées ou non. Je crois qu'il aurait pu s'agir d'un avocat de la Couronne indépendant, embauché temporairement auprès d'une autre province, puisqu'ici dans cette province, l'avocat de la Couronne représente le Nouveau-Brunswick, et si des accusations sont portées, cela entraînera une poursuite au civil. Ce n'est donc pas comme s'il s'agissait de choses séparées. Je veux dire, c'est presque - Je ne pense pas, Se protègent-ils? Mais ce n'est pas comme s'il s'agissait d'un processus ouvert et transparent .

9.9 Caporal Alain Dugas

La CPP a fait passer une entrevue au caporal Alain Dugas à Ottawa le 28 août 2006. Au moment de sa participation à l'enquête, il était gendarme.

Il a dit qu'il n'était pas au courant des événements survenus à l'ÉFNB avant que M. Trottier se présente au détachement de Cornwall le 18 mai 1999. Il a pris des notes concernant la plainte de M. Trottier, à savoir qu'il avait été agressé sexuellement par M. Toft et d'autres, et a transmis ces notes à la caporale Delaney-Smith. M. Trottier a dit qu'il était venu au détachement de Cornwall parce qu'il croyait que le détachement pourrait communiquer avec la Division J au sujet de la plainte. Il ne s'était jamais adressé à un officier de la Division J avant l'entrevue. Le gendarme Dugas n'a eu d'autres nouvelles de la Division J qu'un an plus tard, lorsqu'un officier de cette division a communiqué avec lui pour lui demander s'il pouvait l'aider à retrouver M. Trottier.

En mai 2000, le gendarme Dugas a retrouvé M. Trottier et lui a demandé de faire une autre déclaration, qu'il a enregistrée le 25 mai 2000, après que M. Trottier a accepté. Il a pris l'initiative de mener l'entrevue parce qu'il voulait savoir si la déclaration de M. Trottier serait confome à sa première version du 18 mai 1999. Elle l'était. Les souvenirs de M. Trottier étaient clairs et les détails n'avaient pas changés. Bien qu'il ait été « perturbé » pendant la première entrevue, lors de sa déclaration du 25 mai 2000 il semblait, affirme le gendarme Dugas, avoir l'esprit « plus vengeur » et être intéressé par une indemnisation. Une fois transcrite, la déclaration comptait 15 pages.

Le caporal Dugas a dit à la CPP qu'il était « plutôt certain » d'avoir envoyé la transcription de la deuxième déclaration à la Division J et qu'il avait envoyé à la caporale Delaney-Smith le 27 juin 2000 un courriel indiquant qu'elle recevrait l'information. Il a informé la CPP qu'il n'a jamais parlé au téléphone avec quiconque de la Division J, que tous leurs contacts se faisaient par courriel. Les officiers de la Division J ne l'ont pas sollicité de nouveau concernant d'autres enquêtes. Finalement, la Division J a reçu les transcriptions.

9.9.1 Retour du plaignant Daniel Trottier

Le 22 février 2004, M. Trottier a écrit plusieurs lettres, y compris une lettre au commissaire adjoint Steve Graham, commandant (cmdt) de la Division J, l'informant que M. Toft et trois autres hommes ne faisant pas partie de l'ÉFNB, l'avaient agressé sexuellement durant les années 1980. Il a demandé que la GRC fasse enquête sur les plaintes et que le commissaire adjoint Graham contribue au dépôt d'accusations contre les quatre individus. Le surintendant Dan Nugent, officier responsable du SSO, a transmis l'information au sergent d'état-major Dunphy et lui a demandé d'assurer le suivi de la plainte déposée par M. Trottier. Le gendarme Rogers a reçu le mandat d'examiner le dossier.

Le 2 avril 2004, le gendarme Rogers a envoyé une note de service au sergent d'état-major Dunphy, indiquant que la gendarme Long s'était occupée des plaintes de M. Trottier en 2001. Elle avait informé M. Trottier de la décision du procureur général de suspendre les accusations contre M. Toft. M. Trottier a prétendu que M. Toft l'aurait caressé à Frédéricton en 1982; cependant, puisqu'il ne s'agissait pas d'une agression sexuelle par contrainte, la GRC a jugé qu'il s'agissait d'une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité, ce qui signifie qu'en raison du temps qui s'est écoulé, aucune accusation ne peut être portée.

Dans deux autres lettres envoyées au gendarme Dugas et au chef Mac Carlisle de la Force policière de Fredericton le 22 février 2004, M. Trottier prétend que Clifford McCann l'aurait agressé sexuellement. Dans les lettres adressées au commissaire adjoint Graham, M. Trottier demande ce qui est advenu de la plainte qu'il a déposée auprès du gendarme Dugas en 2000 et qui avait été envoyée à la Division J.

En réponse à la lettre de M. Trottier datée du 22 février, laquelle avait été envoyée au cmdt de la Division J, le sergent d'état-major Dunphy a rédigé une lettre le 27 avril 2004 qu'il souhaitait faire signer par le surintendant principal Payne, officier responsable de la Police criminelle. La lettre expliquait que la situation n'avait pas changé depuis que les gendarmes de Cornwall avaient parlé à M. Trottier quatre ans auparavant. Cependant, le surintendant principal Payne a ajouté que la plainte de M. Trottier selon laquelle il avait été la victime de M. McCann, avait été transférée au GCG et faisait l'objet d'une enquête. On communiquerait avec M. Trottier en temps et lieu. Le surintendant principal Payne a ensuite signé la lettre et l'a envoyée à M. Trottier le 28 avril 2004.

10. Enquêtes sur les suspects associés à l'École de formation du Nouveau-Brunswick

Alors que la Commission des plaintes du public contre la GRC (CPP) étudiait la documentation relative à l'enquête sur l'École de formation du Nouveau-Brunswick (ÉFNB), les noms de suspects possibles ont fait surface, sans explication ou presque. Selon la CPP, une enquête d'intérêt public nécessitait un examen plus approfondi des enquêtes menées par la GRC concernant ces personnes. Par conséquent, la CPP a demandé l'accès complet aux rapports relatifs à ces enquêtes.

Après avoir examiné ces rapports, la CPP est d'avis que les enquêtes étaient pertinentes et que rien n'indique que l'affaire a été étouffée. Un résumé des enquêtes de la GRC concernant certains suspects qui ont été portés à l'attention de la GRC est fourni dans les paragraphes qui suivant.

10.1 Enquêtes de la GRC menées de 1992 à 1994

La GRC a poursuivi son enquête sur l'ÉFNB et Karl Toft sous la direction du sergent Doug Lockhart. Ayant pour objectif de déterminer dans quelle mesure les gardes et les membres du personnel, à l'exception de M. Toft, étaient impliqués dans les allégations d'agression physique et sexuelle, le sergent Lockhart a demandé au gendarme James McAnany de préparer et de tenir à jour une liste des gardes, anciens et actuels, qui font l'objet d'une enquête. La liste, intitulée « Guards Past and Present under Investigation » (Gardes, anciens et actuels, faisant l'objet d'une enquête), contient des détails concernant le « suspect » et l'enquête, ainsi que des éléments de preuve relatifs à cette personne.

De 1992 à 1994, la GRC a enquêté sur 48 membres du personnel pour agression physique et sexuelle. Parmi les dossiers des 48 membres du personnel ayant fait l'objet d'une enquête, huit dossiers ont été transmis à la Couronne aux fins d'examen et de recommandation. Les résultats varient. Cependant, à l'exception de M. Toft et d'Hector Duguay, aucune personne figurant sur la liste n'a été condamnée.

10.1.1 Enquête de la GRC sur Marcel Beaupre

Après avoir été accusé en 1991, Marcel Beaupre a plaidé coupable à des accusations d'agression sexuelle sur trois jeunes garçon, crimes survenus entre 1965 et 1971. Il a été condamné à payer une amende de 6 000 $ (2 000 $ par victime) ainsi qu'à deux ans de probation. On a également recommandé qu'il amorce une thérapie continue. La collectivité a jugé que la sentence était trop clémente et un appel a été déposé devant la Cour d'appel du Yukon à Vancouver. Cependant, l'appel a été rejeté en janvier 1992.

Au départ, le nom de M. Beaupre n'a pas été mentionné durant l'enquête de la GRC sur l'ÉFNB. Cependant, les 15 et 17 octobre 1992, la GRC a reçu des appels téléphoniques de la part de Steve Finlay, un directeur d'une école primaire. Après avoir reçu l'information, le gendarme McAnany a ouvert un dossier concernant M. Beaupre. Les vérifications préliminaires effectuées dans le Centre d'information de la police canadienne (CIPC) ont confirmé les condamnations de M. Beaupre au Yukon.

La GRC a aussi obtenu une déclaration datée du 16 octobre 1992 de la part de Randall James Cranshaw, un ancien pensionnaire de l'ÉFNB. M. Cranshaw a indiqué qu'à une occasion, alors qu'il s'était enfui de l'ÉFNB, un membre de la GRC était venu le chercher. Bien qu'il ait dit à l'officier qu'il avait été agressé sexuellement, il affirme que ce dernier l'a ramené à l'école. Une rencontre avec M. Beaupre s'en est suivie. Il était surintendant à l'époque. M. Cranshaw a affirmé avoir parlé à M. Beaupre du fait que Weldon (Bud) Raymond aurait commis des actes d'abus; cependant, M. Beaupre ne le croyait pas. On lui a plutôt « donné des médicaments pour le calmer et pour qu'il cesse de faire des crises et de s'évader tout le temps ». Le gendarme Rick Potvin a obtenu une deuxième déclaration de M. Cranshaw le 6 novembre 1992; ce dernier est demeuré fidèle à ses propos.

Le 2 novembre 1992, le gendarme Shaun Ryan a fait passer une entrevue à M. Finlay qui a affirmé que lorsqu'il était adolescent, au début des années 1960, sa famille avait un chalet près de celui de la famille Beaupre et que M. Beaupre y amenait des garçons de l'ÉFNB. M. Finlay s'est lié d'amitié avec l'un des garçons qui lui a confié que M. Beaupre leur demandait de se baigner nus et que lorsqu'il ne pouvait pas passer la nuit chez M. Finlay, il devait dormir avec M. Beaupre. M. Finlay a mentionné qu'à cette époque, M. Beaupre était « un patron ou quelque chose du genre » à l'ÉFNB et qu'il avait quitté l'école soudainement en prétextant qu'il s'agissait d'une « affaire politique ».

Il semble que l'affaire a pris de l'ampleur lorsqu'un journaliste du Telegraph Journal, Philip Lee, a rencontré l'inspecteur Connolly le 14 janvier 1993. M. Lee a mentionné qu'il avait récemment interrogé un ancien pensionnaire de l'ÉFNB et sa mère. Le pensionnaire a indiqué que, pendant qu'il était à l'ÉFNB, M. Beaupre l'a emmené dans un camp d'une nuit et s'est glissé dans son lit. Cependant, rien ne s'est passé puiqu'il a fait savoir à M. Beaupre que ça ne l'intéressait pas. Il sentait que M. Beaupre tentait d'abuser de lui. L'ancien pensionnaire aurait parlé de l'incident à sa mère, qui a appelé la GRC de Minto au Nouveau-Brunswick. Cet incident se serait produit en 1964 ou en 1965.

M. Lee voulait savoir si la mère avait signalé l'incident à la GRC. L'inspecteur Connolly a indiqué que l'incident en question n'aurait pas constitué un acte criminel et que tout dossier, le cas échéant, aurait probablement déjà été détruit. Néanmoins, l'inspecteur Connolly a dit qu'il transmettait l'information aux enquêteurs. Peu après, M. Lee a publié l'histoire dans le Telegraph Journal, dans un article intitulé « Investigate Former Kingsclear Boss – victim » (Enquête sur l'ancien patron de Kingsclear et sa victime). L'article comportait une entrevue avec James Carroll, le gendarme de la GRC du détachement de Minto qui a reçu la plainte. Dans l'article, M. Carroll affirme se souvenir de la plainte déposée par la mère, mais qu'il n'était pas l'enquêteur principal et ne se rappelle pas ce qui s'est passé à la suite de la plainte. L'article souligne que l'on a communiqué avec M. Beaupre à Whitehorse mais qu'il n'a fait aucun commentaire. L'article révèle également que l'inspecteur Connolly a affirmé que la GRC ne détenait probablement pas les dossiers de Minto de 1965 et que, même si ces dossiers étaient entre les mains de la GRC, les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels l'empêcheraient de confirmer qu'une allégation a été soulevée.

En février 1993, le gendarme McAnany a communiqué avec l'ancien pensionnaire qui a déposé la plainte, mais celui-ci n'avait pas grand-chose à ajouter aux déclarations déja faites sur l'incident en question.

On a communiqué avec deux autres personnes qui auraient peut-être pu fournir des renseignements au sujet de M. Beaupre. Le 19 avril 1993, la gendarme Lise Roussel a interrogé l'une d'elles, une ancienne employée des services administratifs de l'ÉFNB. Celle-ci a mentionné avoir entendu dire que M. Beaupre avait « rendu visite à un garçon, une nuit, alors qu'il était au 'trou' ». Il lui a apporté des bandes dessinées et des tablettes de chocolat. C'est tout ce que j'ai entendu au sujet de M. Beaupre, à l'exception du fait qu'il s'agissait d'une très bonne personne ». Le gendarme McAnany a de nouveau communiqué avec l'ancienne employée le 11 mai 1993, mais ses notes indiquent qu'elle « n'avait aucun renseignement à donner ».

L'autre personne avec qui l'on a communiqué est Malcolm Salenger, un ancien directeur des Services correctionnels pour la province du Nouveau-Brunswick de 1954 à 1969. M. Salenger a d'abord parlé au gendarme McAnany le 17 février 1993. Lorsque le nom de M. Beaupre a été mentionné, il a répondu qu'il n'était pas au courant de ses activités homosexuelles. Il n'avait aucun soupçon au sujet de M. Beaupre et il n'avait entendu aucune rumeur. M. Salenger a demandé au gendarme McAnany de le rappeler après avoir réfléchi à la question.

Le gendarme McAnany a de nourveau rencontré M. Salenger le 2 mars 1993. Ce dernier a affirmé avoir recruté M. Beaupre à l'ÉFNB. Il a mentionné que M. Beaupre n'était pas d'accord avec ses décisions concernant le financement des programmes pour les jeunes à l'ÉFNB et qu'il a quitté l'École et le Nouveau-Brunswick peu de temps après. Il semble que M. Salenger était catégorique sur le fait qu'il n'a jamais rien vu ni entendu qui l'aurait laissé croire que M. Beaupre abusait sexuellement des jeunes.

Ce n'est qu'à la mi-mars 1993 que la GRC a tenté de retrouver le garçon dont avait fait mention M. Finlay au début du mois de novembre 1992. C'est au gendarme Ryan et aux gendarmes Roussel et Cole qui lui ont succédé que revenait cette tâche. Bien que de nombreuses vérifications aient été faites partout au pays, y compris un examen des listes provinciales des Indiens inscrits et non inscrits, cette personne n'a pu être retrouvée. Dans son rapport de suivi du 14 juin 1993, la gendarme Roussel a remarqué que « toutes les tentatives relatives à ce dossier se sont avérées négatives... à moins qu'on le conteste, ce dossier est clos ». Le gendarme McAnany a accepté d'abandonner les recherches concernant le garçon en question.

La GRC a décidé de clore le dossier de M. Beaupre après une réunion hebdomadaire de la SEG qui a eu lieu le 21 juin 1993. Cette décision a été confirmée dans un rapport rédigé par le gendarme McAnany daté du 28 juillet 1993, dans lequel il écrit :« Résumé : Il n'y a aucune allégation contre M. Beaupre. Il n'est pas possible de communiquer avec lui pour le moment. *** 93-06-21 *** Dossier clos ».

Un « dossier d'état » a été ouvert au sujet de M. Beaupre pendant l'enquête de 2000 et il a été ajouté au Système de gestion des cas graves. Cependant, rien au dossier n'indique que M. Beaupre a fait l'objet d'une enquête en tant que suspect pendant cette période.

Sommaire de l'enquête

La GRC a ouvert une enquête criminelle au sujet de M. Beaupre sans avoir vérifié au préalable s'il avait des antécédents judiciaires. Avant que l'article de M. Lee paraisse dans le Telegraph Journal, la GRC n'était pas au courant des condamnations de M. Beaupre au Yukon.

La GRC a tenté à maintes reprises, sans succès, de retrouver la victime présumée dont a fait mention M. Finlay. Sans le témoignage de la victime présumée, toute autre enquête concernant cette affaire se serait avérée vaine.

Les autres sources n'ont offert aucun renseignement ayant une valeur probante qui viendrait appuyer l'accusation de M. Beaupre au criminel.

10.1.2 L'enquête de la GRC sur Jean Bedard

Le 30 octobre 1992, Neil Graham, un ancien pensionnaire de l'ÉFNB, a allégué dans une plainte déposée par écrit qu'en 1975, il avait été agressé sexuellement par M. Toft. Un ancien étudiant au programme d'été de l'ÉFNB l'avait aidé à rédiger la plainte parce qu'à cette époque, il ne savait ni lire ni écrire. M. Graham a prétendu que Jean Bedard ne l'a pas cru et a déchiré la plainte. Il a affirmé que M. Toft était dans le bureau lorsque M. Bedard lui a dit d'admettre que sa plainte était fausse. Il a affirmé qu'après avoir refusé de le faire, M. Bedard a frappé ses fesses nues à coups de ceinture et l'a envoyé au « trou », une cellule en béton de 6 pieds par 8 pieds, fermée par une porte d'acier, et ce, pendant 10 jours.

Pendant ce temps, la GRC a reçu des plaintes d'agression physique contre M. Bedard de la part de deux autres anciens pensionnaires. Une enquête ultérieure a révélé que les plaintes n'étaient ni fiables ni convaincantes.

Après avoir reçu la plainte de M. Graham, le caporal Chuck Orem de la SEG de Fredericton a fait passer une entrevue à six anciens étudiants du programme d'été qui avaient travaillé à l'ÉFNB. Cependant, il n'a pas été en mesure de prouver le bien-fondé de la plainte de M. Graham parce qu'aucun d'eux ne se souvenait d'avoir aidé le pensionnaire à rédiger la plainte. Le caporal Orem a fait passer une entrevue à M. Toft et M. Bedard et tous deux ont nié les allégations.

Pendant la deuxième entrevue avec M. Bedard, le caporal Orem a demandé qu'il subisse un test polygraphique et, après avoir consulté son avocat, il a accepté. Le test a été réalisé par le sergent Bergevin le 23 août 1993. Ce dernier a conclu que M. Bedard n'a pas dit la vérité concernant les questions suivantes :

  1. Dites-vous la vérité lorsque vous affirmez n'avoir reçu aucune plainte de la part de Neil Graham indiquant qu'il a été victime d'abus de la part de Karl Toft?
    Réponse : Oui
  2. Dites-vous la vérité lorsque vous affirmez que Neil Graham ne s'est pas plaint dans votre bureau d'avoir été victime d'abus sexuel de la part de Karl Toft?
    Réponse : Oui
  3. Dites-vous la vérité lorsque vous affirmez ne pas avoir frappé Neil Graham à coups de ceinture afin qu'il retire sa plainte d'agression sexuelle contre Karl Toft?
    Réponse : Oui

Au cours de l'entrevue qui a suivi le test, le sergent Bergevin a présenté ses conclusions à M. Bedard. M. Bedard n'a pas nié le fait que l'incident s'était produit, il a simplement dit qu'il « ne s'en souvenait plus ».

À la suite du test polygraphique, et du fait que le sergent Bergevin était d'avis que M. Bedard avait été malhonnête, le caporal Orem a préparé un mémoire au tribunal et a déposé des accusations criminelles d'agression physique contre M. Bedard au bureau de la Couronne, à Fredericton. Robert Murray, le directeur provincial des poursuites pénales pour le Nouveau-Brunswick, a demandé à l'avocat de la Couronne, Ron LeBlanc, qui travaillait au bureau de la Couronne à Moncton, de revoir le dossier. Dans le cadre de son examen du dossier, M. LeBlanc a demandé au caporal Orem des précisions supplémentaires concernant l'affaire. M. LeBlanc a ensuite fait passé une entrevue à M. Graham et a visionné une partie des entrevues enregistrées entre M. Bedard et le sergent Bergevin. Il a aussi revu la déclaration obtenue auprès de M. Toft.

M. LeBlanc, après avoir examiné les éléments de preuve, a recommandé dans une note de service adressée à M. Murray, datée du 20 septembre 1993, que M. Bedard ne soit pas poursuivi en justice, principalement en raison de la crédibilité de M. Graham. M. Letcher était d'accord avec M. LeBlanc, mais pour des motifs différents. Il a conclu que la prescription pour intenter des poursuites judiciaires, à savoir la perspective raisonnable d'obtenir une déclaration de culpabilité, n'était pas satisfaite en l'espèce. En outre, M. Murray a revu personnellement le dossier et a informé l'inspecteur Connolly, officier intérimaire de la Division J de la Police criminelle, que la Couronne ne porterait pas d'accusations contre M. Bedard. À la suite de la décision de M. Murray, le dossier a été clos.

Sommaire de l'enquête

La CPP est d'avis que les enquêteurs de la GRC ont fait passer des entrevues à toutes les personnes qui ont été en mesure de fournir des renseignements dans le cadre de cette enquête. La GRC a également fait en sorte que M. Bedard subisse un test polygraphique, lequel indiquait que M. Bedard n'était pas honnête. Cependant, il n'a pas avoué avoir commis les crimes dont il est accusé. Ils ont ensuite envoyé leurs conclusions à M. Murray, qui a demandé à M. LeBlanc, qui pour sa part a demandé à M. Letcher, de revoir le dossier. Après avoir examiné le dossier, MM. LeBlanc et Letcher, ainsi que M. Murray lui-même, ont recommandé qu'aucune accusation ne soit portée. La CPP est d'avis que l'enquête était pertinente et complète. Dans le cadre de l'entrevue qu'il a réalisée avec la CPP, le caporal Orem a affirmé qu'il a d'abord été déçu du fait qu'aucune accusation ne soit portée, mais qu'après que M. LeBlanc a expliqué ses motifs en détail, il était d'accord avec lui.

10.1.3 Enquête de la GRC sur Gerald Belanger

Contexte

En 1989, Gerald Belanger était un employé à temps partiel de l'ÉFNB. Son nom est venu à l'attention du surintendant de l'école, Todd Sullivan, à la fin de 1989, après qu'il a reçu des plaintes d'agression sexuelle de la part de jeunes et d'autres employés de l'école. M. Sullivan a signalé les plaintes à la GRC, qui a ensuite lancé une enquête.

Le gendarme Dan Lessard a mené l'enquête. Après avoir interrogé plusieurs plaignants et collègues, le gendarme Lessard a déposé ses conclusions à l'avocat de la Couronne, William Corby, pour appuyer les accusations criminelles qui pesaient contre M. Belanger.

Après avoir revu le dossier, l'avocat de la Couronne a décidé de ne pas intenter de poursuites contre M. Belanger. Les raisons énoncées dans son exposé des motifs, daté du 23 novembre 1992, concernaient l'absence de témoins crédibles, le manque de corroboration et l'inadmissibilité des aveux de M. Belanger. En outre, l'avocat de la Couronne considérait que les infractions présumées constituaient une déclaration sommaire de culpabilité. Par conséquent, le paragraphe 786(2) du Code criminel s'appliquait et l'on avait déjà dépassé le délai de six mois.

Examen de l'enquête de 1989

L'enquête sur Gerald Belanger n'a obtenu d'attention que plus de deux ans plus tard, lorsque Hugh Robicheau, directeur exécutif des services de police pour le Nouveau-Brunswick, est tombé sur des documents relatifs aux enquêtes précédentes en étudiant les dossiers de l'ÉFNB en préparation de l'enquête Miller. M. Robicheau a communiqué avec la GRC, d'abord par téléphone puis par courrier, pour demander qu'elle révise l'enquête car il n'était pas certain de détenir suffisamment d'information pour étayer la décision de la Couronne de ne pas intenter de poursuites.

La GRC a procédé à un examen de l'enquête précédente et a décidé de renvoyer l'affaire au directeur provincial des poursuites pénales, M. Murray. Le surintendant Giuliano Zaccardelli a envoyé une lettre à M. Murray le 4 novembre 1992, soulignant que « les circonstances qui sont présentées dans le dossier sont telles que je demande une [nouvelle] évaluation, par votre bureau, du bien-fondé de l'affaire visée par une éventuelle poursuite.

M. Murray a transmis ses conclusions au surintendant Zaccardelli le 23 novembre 1992, indiquant qu'il avait étudié la documentation relative à l'enquête et qu'il avait parlé à l'avocat de la Couronne, William Corby, à ce sujet. M. Murray était d'accord avec le raisonnement de M. Corby de ne pas porter d'accusations criminelles « sous le motif du critère applicable du procureur général concernant l'introduction de procédues, à savoir la perspective raisonnable d'obtenir une déclaration de culpabilité ». M. Murray a également souligné des problèmes relatifs à « l'admissibilité et la valeur » de la déclaration de M. Belanger faite au gendarme Lessard. Plus précisément, il a mentionné que le gendarme Lessard n'a pas informé M. Belanger de son droit d'être représenté par un avocat, qu'il a proposé des réponses aux questions posées et que M. Belanger n'a jamais fait d'aveux spécifiques mais qu'il a plutôt « parlé de possiblités ». M. Murray a affirmé que, étant donné le temps qui passe, « il est important que, si les autorités chargées du maintien de l'ordre ou toute partie intéressée ont des questions quant à la décision de la Couronne de porter des accusations, ils doivent soulever ces questions au moment où cette décision est prise ». M. Murray a conclu en écrivant que la lettre du gendarme Lessard à l'intention du surintendant de l'ÉFNB, dans laquelle il affirme que l'enquête serait conclue, indique que « l'évaluation de M. Corby a été acceptée ».

Le 8 décembre 1992, en réponse à sa demande, M. Robicheau a reçu une lettre de l'inspecteur Connolly, officier responsable intérimaire de la Police criminelle. La lettre indiquait que le dossier avait été envoyé à M. Murray pour être étudié et que la position de la GRC, à savoir qu'aucune accusation ne devrait être portée, n'avait pas changé. L'inspecteur Connolly a affirmé que la GRC était d'accord avec la Couronne et que l'affaire était close.

La réponse de M. Murray a également été transmise au sergent Lockhart. Ce dernier a commenté la réponse au début du mois de décembre 1992 en disant que, même si la GRC ne pouvait plus porter d'accusation en raison des contraintes imposées par le Code criminel, l'évaluation de M. Corby aurait dû être portée en appel plus tôt. Il était d'avis qu'il était justifié de porter des accusations. Il a indiqué que ses enquêteurs assureraient tout suivi nécessaire auprès de toute nouvelle victime identifiée dans le cadre de l'enquête en cours sur l'ÉFNB.

L'examen de la documentation en cause par la CPP révèle que M. Murray a étudié le dossier de M. Belanger une deuxième fois en février 1993 et que le résultat était toujours de ne pas intenter de poursuite.

Nouvelles allégations en 1992 et en 1993

En octobre 1992, un ancien pensionnaire de l'ÉFNB s'est présenté et a affirmé avoir été agressé sexuellement au cours de l'été 1988. Cependant, il ne pouvait pas se rappeler le nom de la personne responsable, mais il l'a décrite et croyait pouvoir l'identifier. On a d'abord chargé le gendarme Ken Legge de ce renseignement. À deux reprises, le surintendant Sullivan de l'ÉFNB a laissé entendre que M. Belanger pouvait être le suspect, étant donné qu'il avait déjà fait l'objet d'une enquête par la GRC concernant des allégations de même nature et qu'il était fréquemment en présence de la victime pendant la période en question (c.-à-d. qu'il travaillait dans le dortoir du sujet).

En mars 1993, le gendarme McAnany a interrogé un autre suspect potentiel qui, d'après les descriptions données par la victime présumée, a laissé entendre que le coupable était M. Belanger.

En juin 1993, le gendarme McAnany a tenté de parler à M. Belanger des nouvelles allégations. Bien qu'il ait à priori accepté de rencontrer le gendarme McAnany, ce dernier a mis des mois avant d'obtenir un rendez-vous avec M. Belanger, qui ne répondait pas à ses appels. Enfin, à la fin du mois de septembre 1993, M. Belanger a dit qu'il ne parlerait à la police qu'en présence de son avocat. Le gendarme McAnany a rencontré l'avocat de M. Belanger au début du mois de novembre 1993 et l'a informé des allégations et des circonstances dans lesquelles le nom de M. Belanger avait été mentionné. L'avocat a indiqué au gendarme McAnany que l'enquête sur cette affaire « était pleine de trous ».

Le 16 novembre, l'avocat de M. Belanger a dit au gendarme McAnany qu'il avait parlé à son client, celui-ci ayant affirmé n'avoir rien à déclaré à ce sujet. Par conséquent, comme la victime présumée n'était pas en mesure de nommer son agresseur et que toutes les pistes possibles avaient été épuisées, le gendarme McAnany a conclu l'enquête.

Le nom de M. Belanger n'a jamais refait surface dans aucune enquête ultérieure de la GRC.

Sommaire de l'enquête

La CPP a jugé que l'enquête du gendarme Lessard sur M. Belanger de 1989 à 1990 était pertinente et qu'il avait étudié l'affaire avec professionalisme. Il a fait passer une entrevue à autant de victimes présumées et de témoins que possible et a obtenu des déclarations détaillées et complètes. Il a tenté à plusieurs occasions d'accélérer le processus de filtrage des poursuites éventuelles, inscrivant sur l'acte d'accusation « NOTE TIME LIMIT » (prendre note du délai) en rapport avec les prescriptions statutaires que le Code criminel impose concernant les déclarations sommaires de culpabilité.

Toutes les éléments de preuve ont été présentées au procureur de la Couronne avant le 13 février 1990, bien avant le délai de six mois. Le bureau de la Couronne n'a jamais rien fait pour communiquer avec l'enquêteur afin de discuter de la question de la solidité de la preuve. Le seul commentaire de la Couronne a formulé concernant les plaintes était que l'un des plaignants s'était parjuré dans une autre affaire et qu'il n'était pas crédible.

Le gendarme Lockhart était d'avis que l'une des accusations proposées n'aurait pas pu être traitée en raison des prescriptions statutaires. Il a signalé que rien ne pouvait être fait, mais qu'il serait attentif à tout nouvel élément de preuve présenté au sujet de M. Belanger.

Le 4 novembre 1992, la GRC a de nouveau demandé au bureau de la Couronne de revoir le dossier de Belanger, ce qu'il a fait. Dans sa réponse du 23 novembre 1992, le bureau de la Couronne a critiqué l'enquête du gendarme Lessard, particulièrement au sujet de l'entrevue qu'a menée le gendarme Lessard avec M. Belanger.

La CPP exprime une préoccupation quant à l'enquête réalisée par le gendarme McAnany. La documentation fournie à la CPP ne contient aucune référence indiquant qu'une série de photos contenant celle de M. Belanger a été montrée à la victime pour confirmer l'identité de son agresseur.

11. Sommaire des enquêtes McCann

Les enquêtes de la GRC au sujet des allégations portées contre le sergent d'état-major Clifford MacCann se sont déroulées de 1992 à 2003. Ne visant qu'un seul suspect, l'enquête McCann avait une portée plus restreinte que l'enquête relative aux allégations d'abus sexuels et physiques portées contre le personnel de l'École de formation du Nouveau-Brunswick (ÉFNB).

À l'automne 1991, un an après que la GRC a amorcé sa première enquête sur le personnel de l'ÉFNB, des rumeurs et des insinuations ont commencé à circuler au sujet d'un collègue, le sergent d'état-major McCann, chef de détachement du détachement de Riverview. Les rumeurs ont démarré pendant l'enquête de la GRC sur l'ÉFNB; elles étaient issues du fait que le sergent d'état-major McCann obtenait des laissez-passer pour sortir les pensionnaires, tout comme le faisait Karl Toft. Un officier supérieur de la GRC a eu vent des rumeurs et une enquête officielle a été lancée en janvier 1992. La première enquête s'est terminée au début de 1994, environ un an après que le sergent d'état-major McCann eut pris sa retraite en 1993, sans qu'aucune accusation criminelle n'ait été portée contre lui. En outre, les deux enquêtes qui ont suivi, réalisées en 1998 et en 2001, n'ont mené à aucune accusation. Pendant l'enquête qui a débuté en 1998, sept anciens pensionnaires de l'ÉFNB ont fini par affirmer avoir été abusé sexuellement par M. McCann.

Au cours de la première enquête, les enquêteurs de la GRC ont décidé d'inclure le nom du sergent d'état-major McCann dans les entrevues réalisées auprès d'anciens pensionnaires, afin de voir s'ils obtiendraient des réponses à ce sujet, et dans l'affirmative, de quel genre de réponse il s'agirait. Vingt-quatre anciens pensionnaires ont passé une entrevue au sujet du sergent d'état-major McCann, mais aucun n'a donné d'information qui aurait pu permettre de déposer des accusations contre lui. Parmi les sept pensionnaires, quatre avaient déjà dit aux enquêteurs dans le cadre des enquêtes de 1992 à 1994 que le sergent d'état-major McCann n'avait commis aucune agression sexuelle contre eux. L'un d'entre eux avait même témoigné sous serment à ce sujet lors de l'enquête Miller. Un autre ancien pensionnaire a affirmé dans une conversation téléphonique qu'il avait eu une relation avec le sergent d'état-major McCann, mais il a refusé de faire une déclaration officielle ou même maintenir les allégations malgré les tentatives répétées de la GRC en 1992 et 1993. Il a finalement déclaré officiellement en octobre 2002 que M. McCann l'avait agressé sexuellement.

Les enquêteurs de la GRC ont fait passer une entrevue à de nombreux anciens pensionnaires de l'ÉFNB dans le cadre de ses enquêtes. Ils ont toutefois rencontré des difficultés au moment d'obtenir des déclarations auprès des anciens pensionnaires de l'ÉFNB avec lesquels on savait que le sergent d'état-major McCann était sorti grâce aux laissez-passer obtenus. La GRC a également fait passer des entrevues à d'autres policiers et, comme le sergent d'état-major McCann était impliqué dans le hockey mineur, des joueurs et des entraîneurs de hockey. Les témoins ont été choisis selon qu'ils connaissaient le suspect ou ses victimes présumées. Ces contacts ont été établis en vue de corroborer les allégations des anciens pensionnaires. Les enquêteurs de la GRC ont souvent obtenu plus d'une déclaration auprès des anciens pensionnaires.

Bien que la GRC ait obtenu de l'information auprès de plusieurs sources, la plupart de ces renseignements n'ont pu être corroborés. La GRC a néanmoins préparé des dossiers à examiner, lesquels contenaient des entrevues avec des témoins, des notes prises par les agents et d'autres documents relatifs aux accusations d'agression sexuelle portées contre le sergent d'état-major McCann. Elle a soumis ces dossiers à l'avocat de la Couronne, Kevin Connell, aux fins d'examen et de recommandation en août 2002. La GRC poursuivait son enquête tandis que M. Connell examinait les dossiers. En septembre 2002, le sergent d'état-major McCann a été arrêté, interrogé et libéré sans que des accusations ne soient portées contre lui, car la GRC n'a pas été en mesure d'obtenir des aveux de sa part.

Bien que M. McCann ait été arrêté puis relâché, décision qui, selon le sergent d'état-major Dunphy, a été prise à ce moment-là parce que le groupe de travail a été licencié, les enquêteurs de la GRC attendaient toujours la recommandation de la Couronne concernant six des sept dossiers d'information. Les enquêteurs de la GRC ont pris une décision quant au septième cas sans consulter la Couronne parce qu'ils doutaient de la crédibilité de l'ancien pensionnaire. Ils ont également conclu que les actes d'abus présumés étaient d'ordre mineur et que toute accusation possible fondée sur ces actes constituerait une déclaration sommaire de culpabilité puisque l'on avait dépassé la prescription de six mois pour porter une accusation.

M. Connell n'a cependant pu examiner les six dossiers qu'en janvier 2003. C'est ainsi qu'il a recommandé à la GRC qu'elle enquête davantage. La GRC lui a fourni des renseignements additionnels en avril 2003. Après avoir procédé à un examen exhaustif des dossiers, il a répondu par écrit, entre juillet et octobre 2003, indiquant qu'il ne recommanderait pas de porter des accusations au criminel contre M. McCann. M. Connell a fondé sa réponse sur de nombreux facteurs, mais ses principaux motifs concernaient le manque de crédibilité des victimes présumées et la conclusion voulant qu'aucune des accusations ne satisfaisait au critère de la perspective raisonnable d'obtenir une déclaration de culpabilité.

En fin de compte, aucune accusation n'a été déposée contre M. McCann par suite des sept plaintes. Quatre des sept anciens pensionnaires ont depuis déposé une plainte officielle auprès de la Commission des plaintes du public contre la GRC (CPP).

12. Enquête menée par le sergent Doug Lockhart (1992-1993)

Les allégations contre le sergent d'état major Clifford McCann de la GRC, aujourd'hui à la retraite, et au sujet de l'enquête de la GRC qui a suivi sont très importantes. C'est pour cette raison que la CPP a jugé nécessaire d'examiner les activités et les relations du sergent d'état-major McCann avant, pendant et après avoir été posté à la Direction générale de la Division J de la GRC, au Nouveau Brunswick, en septembre 1977, ainsi que l'enquête que la GRC a menée sur lui. Après une brève description de l'historique du service du sergent d'état major McCann et de son engagement auprès des jeunes, le présent chapitre présente une chronologie de l'enquête de la GRC sur les allégations. Il donne également un résumé des entrevues avec les officiers supérieurs de la Division J afin de déterminer l'étendue de leurs connaissances en ce qui concerne l'enquête sur McCann ainsi que leur participation à cette enquête.

La CPP a obtenu les renseignements contenus dans le présent chapitre en étudiant d'abord tout le matériel pertinent et, ensuite, en effectuant des entrevues avec les plaignants qui avaient communiqué avec la CPP et avaient soulevé des allégations contre le sergent d'état major McCann, aujourd'hui à la retraite. Ces entrevues ont été enregistrées sur bandes audio en 2005, à Renous, au Nouveau Brunswick; à Ottawa et à Toronto, en Ontario; à Edmonton, en Alberta; et à Winnipeg, au Manitoba.

12.1 Au sujet du sergent d'état major McCann

12.1.1 Historique de son service

Clifford McCann a joint les rangs de la GRC comme gendarme le 1er avril 1958. Il a passé la plus grande partie des premières années de sa carrière à la Division O (Ontario) et, durant son service à cet endroit, il s'est élevé en grade, passant de caporal à sergent.

En mai 1977, le sergent McCann était le sous-officier responsable (s.-off. resp.) du Groupe d'enquêtes tactiques sur le crime organisé au sein du Service national de renseignement sur la criminalité (SNRC), situé à Toronto. C'est à ce moment qu'il demande une promotion au grade de sergent d'état major, ce qui aurait entraîné une mutation à la Direction générale de la Division J de la GRC à Fredericton, au Nouveau Brunswick. Sa demande est acceptée et, en septembre 1977, le sergent d'état-major McCann arrive à la Direction générale de la Division J où il occupe le poste d'agent de renseignements divisionnaire.

Le sergent d'état major McCann y a travaillé de 1977 à septembre 1987, date à laquelle il a été muté à la Sous-division de Moncton comme chef du détachement de Riverview. Il a occupé ce poste jusqu'à sa mutation à la Direction générale de la Division J en juin 1992, où il est resté jusqu'à sa retraite de la GRC, le 18 avril 1993, après 35 ans de service.

12.1.2 Engagement auprès des jeunes

Le sergent d'état major McCann était activement engagé auprès des jeunes, tant à l'École de formation du Nouveau Brunswick (ÉFNB) que par ses relations avec diverses équipes de hockey pour jeunes. Son engagement auprès des équipes de hockey a commencé en mars 1977, à l'époque où il travaillait à la Division O. Dans un rapport d'entrevue du personnel daté du 14 mars 1977, il est nommé comme gérant d'une équipe de hockey de niveau bantam. Tout au long de sa carrière, beaucoup de rapports d'entrevue de personnel mentionnent son engagement envers la communauté, en particulier auprès des programmes de hockey pour les jeunes.

Entre 1980 et 1985, alors que le sergent d'état major McCann avait un droit de visite illimité auprès des pensionnaires de l'ÉFNB, les parents de certains des garçons n'avaient même pas le droit de voir leurs enfants. Ce n'est qu'après que David Forbes a rapporté l'incident, en 1985, que des mesures de contrôle plus strictes ont été mises en place au sujet des visites auprès des pensionnaires (voir le chapitre 4, « Le gendarme Tom Spink (1990) » pour de plus amples renseignements sur M. Forbes et son rapport de la Force policière de Fredericton (FPF). Il est également évident, d'après les documents de l'ÉFNB, que l'engagement du sergent d'état major McCann auprès des pensionnaires de l'École a beaucoup diminué à ce moment-là. Cependant, les fiches de sortie de l'École indiquent que, entre avril et juillet 1987, le sergent d'état major McCann a emmené John Daley avec permissions de sortie. D'après le matériel auquel la CPP a eu accès, il semble que le sergent d'état major McCann n'ait pas emmené d'autres pensionnaires en dehors de l'École après cette date.

La CPP n'a pas établi de quelle manière le sergent d'état major McCann a commencé à s'engager auprès des pensionnaires de l'ÉFNB et, en particulier, pourquoi on lui a accordé un droit de visite illimité auprès des pensionnaires. Il est possible que ce soit grâce à un programme de police communautaire auquel les membres de la GRC étaient invités à participer auprès des groupes de jeunes. Au cours d'une entrevue avec la CPP, le sergent Cy Doucette, aujourd'hui à la retraite, a expliqué que le programme a été lancé lorsque la Direction générale de la Division J de la GRC était encore située sur le chemin Woodstock (avant 1988).

12.2 Contexte

En octobre 1990, la GRC a reçu plus de renseignements et a rouvert l'enquête sur l'ÉFNB. Dirigée par le sergent Gary McNeill, l'enquête s'est prolongée jusqu'en 1991. Lorsque le sergent McNeill a été muté en novembre 1991, Doug Lockhart, caporal et commandant adjoint de la section relevant de McNeill, a été promu sergent. Il est devenu le s.-off. resp. de la SEG de Fredericton et a officiellement pris la direction de l'enquête sur l'ÉFNB en cours.

La GRC a interrogé plusieurs anciens pensionnaires de l'ÉFNB au sujet d'agressions sexuelles et physiques perpétrées par M. Toft et survenues à l'École, mais en vain. C'est à l'automne 1991 que le nom du sergent d'état major McCann a fait surface dans l'affaire de l'ÉFNB. Les enquêteurs ont d'abord entendu dire que, tout comme Karl Toft, il emmenait des pensionnaires en dehors de l'École avec des permissions de sortie. Le sergent Lockhart a reçu comme directives d'enquêter sur des rumeurs concernant le sergent d'état major McCann en janvier 1992 et il a commencé à faire passer de nouvelles entrevues à d'anciens pensionnaires déjà interrogés par d'autres enquêteurs. Aucune allégation n'a été portée contre le sergent d'état major McCann jusqu'à ce que le gendarme James McAnany interroge Mike Roy au téléphone en décembre 1992. M. Roy a raconté au gendarme McAnany un incident au cours duquel il a permis au sergent d'état major McCann de lui faire faire un acte sexuel après sa sortie de l'ÉFNB. Cependant, on a tenté plusieurs fois, en vain, d'obtenir une déclaration de M. Roy, et, même si les entrevues se poursuivaient, personne d'autre n'a porté plainte contre le sergent d'état major McCann. En décembre 1993, on a clos l'enquête, faute de motifs raisonnables pour porter des accusations au criminel, en gardant à l'esprit qu'il pourrait exister une victime inconnue des enquêteurs.

12.2.1 Le sergent Lockhart prend la direction de l'enquête

Durant des entrevues enregistrées sur bandes audio avec la CPP, qui ont eu lieu les 24 et 25 novembre 2006 à Fredericton, au Nouveau Brunswick, le sergent Lockhart a précisé qu'il ne participait pas entièrement à l'enquête sur l'ÉFNB avant d'être nommé responsable de la SEG, le 18 novembre 1991. Avant cette date, son seul lien avec l'enquête était quand il devait signer les rapports des autres enquêteurs lorsque le sergent McNeill était absent. Au cours de l'été et de l'automne 1991, plusieurs aspects de l'enquête se sont déroulés sans qu'il y ait participé. Par exemple, le caporal Ray Brennan enquêtait encore activement sur M. Toft à l'époque où le sergent Lockhart a été nommé responsable de la SEG, et il a continué d'enquêter jusqu'en mars 1992, lorsque de nouveaux chefs d'accusation ont été portés contre M. Toft.

12.2.2 L'enquête commence

Le 31 janvier 1992, le nom du sergent d'état major McCann est apparu pour la première fois dans un rapport de police. Rédigé par le sergent Lockhart, le rapport de suivi note que le surintendant Ford Matchim, agent de l'administration et du personnel par intérim (agent AP), a demandé au sergent Lockhart d'enquêter sur des rumeurs au sujet du sergent d'état major McCann et les garçons de l'ÉFNB. Le sergent d'état major McCann n'avait jusqu'alors été cité que dans des déclarations d'anciens pensionnaires qui disaient avoir des soupçons quant à la nature du rôle du sergent d'état major McCann auprès des jeunes de l'École. On considérait le sergent d'état major McCann comme faisant partie de l'enquête sur l'ÉFNB puisque c'est durant cette enquête que son nom a été cité. Bien qu'il n'y avait pas d'allégations particulières contre lui à ce moment-là, on l'a jugé comme étant une personne qui, tout comme M. Toft, emmenait les garçons en dehors de l'École.

Dans son rapport, le sergent Lockhart a dressé la liste de 11 anciens pensionnaires de l'ÉFNB à partir des déclarations prises par le caporal Brennan et le gendarme Legge au cours de l'enquête à l'été et à l'automne 1991. En examinant les déclarations, la CPP a trouvé que le sergent McNeill, le caporal Brennan et le gendarme Ken Legge avaient fait passer les entrevues à partir desquelles les noms des 11 anciens pensionnaires avaient été établis. Le sergent Lockhart a choisi ces noms après avoir parlé au caporal Brennan et identifié des victimes potentielles; cependant, d'après les notes des officiers et les déclarations qu'ils ont faites, tous les anciens pensionnaires n'ont pas cité le sergent d'état major McCann. Toutefois, quelques-uns ont d'une certaine façon nommé le sergent d'état major McCann ou ont décrit un « homme » qu'ils croyaient être un membre de la GRC.

La CPP a révisé toutes les déclarations faites par les anciens pensionnaires et a confirmé le fait qu'aucun d'entre eux ne s'est plaint d'abus sexuel de la part du sergent d'état major McCann. Quelques anciens pensionnaires ont mentionné son nom parce qu'il emmenait les garçons en dehors de l'École, et ils pensaient qu'il avait peut-être le même penchant pour les jeunes garçons que M. Toft.

Le sergent Lockhart a inscrit une note à côté du nom d'un ancien pensionnaire, Don Miekle, un des noms qui lui étaient familiers. Dans son rapport, il explique que lorsqu'il était posté à Plaster Rock, au Nouveau Brunswick, de 1984 à 1988, le sergent d'état major McCann avait téléphoné au sujet de M. Miekle. Le sergent d'état major McCann a dit qu'il avait rencontré M. Miekle à l'ÉFNB et voulait avoir des renseignements de base le concernant. Pendant son entrevue avec la CPP, le sergent Lockhart a déclaré que, à l'époque, il n'a pas fait cas de l'appel du sergent d'état major McCann.

12.2.3 Des anciens pensionnaires réinterrogés

Dans son rapport de suivi daté du 12 mars 1992, le sergent Lockhart a de nouveau consigné le nom de 11 anciens pensionnaires de l'ÉFNB qui avaient au départ été interrogés par le sergent McNeill, le gendarme Legge ou le caporal Brennan. Le gendarme McAnany et lui ont de nouveau fait passer une entrevue à neuf de ces personnes pour tenter d'obtenir des déclarations au sujet du sergent d'état major McCann et ils ont pu prendre une déclaration écrite de huit d'entre elles. La présente section donne les détails de ce qui s'est dit et par qui au cours de la première entrevue et de l'entrevue de suivi. Aucun des anciens pensionnaires interrogés n'a fait de déclaration défavorable.

1. Yvon Pilon

Première entrevue, effectuée par le sergent McNeill

Le sergent McNeill a interrogé Yvon Pilon le 5 novembre 1991 au sujet de M. Toft. M. Pilon était pensionnaire à l'ÉFNB de façon intermittente entre 1980 et 1983. Le sergent McNeill a précisé, dans un rapport rédigé à la main, qu'il a posé des questions à M. Pilon au sujet d'agression sexuelle par M. Toft. Ni le sergent McNeill ni M. Pilon n'a mentionné le sergent d'état major McCann, même si M. Pilon se trouvait à l'ÉFNB à l'époque ou le sergent d'état major McCann emmenait des pensionnaires avec permission de sortie.

Nouvelle entrevue, effectuée par le gendarme McAnany

Le gendarme McAnany a fait passer une nouvelle entrevue à M. Pilon le 7 février 1992 au Nouveau Brunswick.

Q. 10 Y a-t-il une autre personne faisant partie du système de justice que vous soupçonniez d'abuser des détenus? Je veux dire, pas nécessairement des gardes, mais peut-être d'autres membres du personnel, des bénévoles, des policiers...?
R. 10 Non.

Q. 12 Durant votre séjour à Kingsclear, avez vous connu un certain Cliff McCann?
R. 12 Non, ça ne me dit rien (après avoir longuement réfléchi).

2. Michel Minto

Première entrevue, effectuée par le gendarme Legge

Le gendarme Legge a fait passer une entrevue à Michel Minto le 28 novembre 1991 durant l'enquête sur Toft parce que M. Pilon avait mentionné M. Minto comme victime potentielle de Toft au cours de son entrevue avec le sergent McNeill. M. Minto était pensionnaire à l'ÉFNB à l'époque où le sergent d'état major McCann y travaillait. Toutefois, ni le gendarme Legge ni M. Minto n'a mentionné le sergent d'état major McCann au cours de l'interrogatoire.

Nouvelle entrevue, effectuée par le gendarme McAnany

Le 7 février 1992, le gendarme McAnany a fait passer une nouvelle entrevue à M. Minto et lui a posé des questions portant particulièrement sur le sergent d'état major McCann.

Q. 17 Y a-t-il une autre personne faisant partie du système de justice qui aurait pu abuser des enfants?
R. 17 Non, ça ne me vient pas à l'esprit.

Q. 18 Connaissez-vous un certain (noirci)?
R. 18 J'ai reconnu le nom de l'époque du pensionnat des garçons, à Kingsclear. Il était conseiller là-bas. Non! Il était membre de la GRC, je dirais en 1982. Je m'en rappelle parce qu'il avait l'habitude d'emmener un des détenus jouer au hockey sur glace. Il s'appelait Phillip Charbonneau. Je ne crois pas me tromper. J'étais jaloux car il l'emmenait en dehors du pensionnat parce qu'il était très bon au hockey.

Q. 19 Savez-vous si ce (noirci) a déjà fait des trucs avec un des enfants qu'il sortait de l'école?
R. 19 Je n'en ai aucune idée. Je n'ai jamais entendu de rumeurs.

Q. 20 Vous rappelez-vous à quoi il ressemblait?
R. 20 Je pense que je ne l'ai jamais vu. Peut-être que oui. Je ne me souviens pas.

3. Don Miekle

Première entrevue, effectuée par le caporal Brennan

Le caporal Brennan a fait passer une entrevue à Don Miekle le 30 septembre 1991 au Nouveau Brunswick au cours de l'enquête Toft. Dans sa déclaration, M. Miekle a décrit en détail ses rencontres avec M. Toft. Il n'a pas mentionné le sergent d'état major McCann et on ne lui a pas posé de question à son sujet.

Nouvelle entrevue, effectuée par le sergent Lockhart

Le sergent Lockhart a fait passer une nouvelle entrevue à M. Miekle le 11 février 1992. Le sergent Lockhart lui a posé des questions portant spécifiquement sur le sergent d'état major McCann, mais encore une fois, aucun abus n'a été signalé.

Q. Je vous ai demandé si vous connaissiez quelqu'un d'autre du nom de Cliff McCann lorsque vous étiez au centre?
R. Oui.

Q. Soit dit en passant, comment l'avez-vous connu?
R. Je l'ai rencontré au Centre ou au foyer de groupe. Il était comme un Grand Frère. Il travaillait soit pour la police de Fredericton ou pour la GRC. Je suis allé chez lui une fois pour un barbecue avec lui et sa famille. Il a un ou deux enfants, je crois.

Q. Alors il vous traitait bien?
R. Oui, oh oui.

4. Ed Badger

Première entrevue, effectuée par le caporal Brennan

Le caporal Brennan a fait passer une entrevue à Ed Badger le 15 novembre 1991 au cours de l'enquête Toft. M. Badger était pensionnaire à l'ÉFNB entre le 12 décembre 1983 et le 14 décembre 1984. Durant son séjour, le sergent d'état major McCann l'a sorti de l'École avec une permission le 29 janvier 1984.

Durant l'entrevue, d'après le rapport écrit du caporal Brennan, M. Badger a mentionné une autre personne qui était considérée comme un « pédé ». Après avoir fait une description de la personne, le caporal Brennan a écrit dans son rapport : « Je crois qu'il parlait de quelqu'un que je connais personnellement, cela n'est pas important ».

Au cours d'un suivi téléphonique avec la CPP, le caporal Brennan a confirmé qu'il devait parler du sergent d'état major McCann, mais qu'il n'avait pas de souvenir précis de la conversation ou du commentaire.

Nouvelle entrevue, effectuée par le gendarme McAnany

Le gendarme McAnany a fait passer une entrevue à M. Badger le 12 février 1992 à Saint John, au Nouveau Brunswick, durant l'enquête sur l'ÉFNB. L'entrevue a été tapée et comprenait trois pages de questions et de réponses.

Q. 7 Y avait-il d'autres personnes à l'établissement ou faisant partie du système de justice qui auraient, selon vous, comme Toft tenté d'abuser des enfants?
R. 7 Pas que je me souvienne.

Q. 8 Est-ce que les noms de Steve Patterson, Cliff McCann et Mike Michaud vous disent quelque chose?
R. 8 Cliff McCann était bénévole là bas, pas vrai? Je croyais qu'il était vieux, chauve, ancien membre de la GRC, pas vrai?

Q. 9 Est-ce que vous soupçonnez l'un d'entre eux d'avoir utilisé les enfants abusés d'eux?
R. 9 Je crois avoir entendu des histoires sur McCann. Quelque chose comme quoi il était comme Karl Toft. Je ne suis vraiment pas certain.

Q. 10 Est-ce que vous vous souvenez à quoi d'autre ce McCann ressemblait?
R. 10 Tout ce qui me vient à l'esprit c'est petit et chauve. Je ne pense pas, je ne suis pas certain, de l'avoir jamais rencontré. Tout ce dont je me souviens, c'est d'une histoire et son nom me vient à l'esprit. La seule fois où j'ai eu une permission de sortie avec quelqu'un d'autre qu'un garde, j'étais avec Brad Lewis, un autre détenu, et ce type plus vieux. Il était grand, pas mal, il n'était pas petit et il n'était pas gros. Nous sommes allés à une partie de hockey. Je ne me souviens de rien d'autre à son sujet. Rien ne s'est passé. Je ne suis jamais sorti avec permission avec lui après cela. Je crois qu'il était bénévole ou quelque chose du genre. S'il avait été garde, je m'en rappellerais.

Q. 11 Vous avez dit, à la Q9/R9 qu'il y avait une histoire disant que ce McCann serait comme Toft. Quelle était cette histoire?
R. 11 Juste une histoire qui circulait.

5. Sylvain Moore

Première entrevue, effectuée par le sergent McNeill

Le sergent McNeill a fait passer une entrevue à Sylvain Moore le 26 février 1991 à Saint John, au Nouveau Brunswick, au cours de l'enquête Toft. Durant l'entrevue, le sergent d'état major McCann n'a pas été cité.

L'enquêteur Tim Kelly et l'agent Randy Reilly, de la FPF, ont fait passer une entrevue à M. Moore le 14 août 1991 au cours de leur enquête indépendante sur M. Toft. On n'a pas mentionné le sergent d'état-major McCann.

Nouvelle entrevue, effectuée par le gendarme McAnany

Le gendarme McAnany a fait passer une entrevue à M. Moore le 12 février 1992, à Saint John, au Nouveau Brunswick. Il a indiqué qu'il avait été pensionnaire à l'ÉFNB durant huit mois en 1984 et 1985. Les entrevues ont porté sur M. Toft et le sergent d'état-major McCann. Le gendarme McAnany a pris une déclaration écrite sous forme de questions et de réponses qui a été tapée par la suite.

Q. 3 Est-ce que les noms de Steve Patterson, Cliff McCann et Mike Michaud vous disent quelque chose?
R. 3 Cliff McCann. Il était un bénévole. Il était membre de la GRC à la Division des stupéfiants, un sergent. J'ai juste entendu des histoires, pas sur lui, mais des histoires provenant d'autres enfants qui disaient aux autres enfants que « c'est pour ça que tu sors avec lui parce que... ».

Q. 4 Êtes-vous déjà sorti avec ce McCann?
R. 4 Oui, quatre ou cinq fois avec permission de sortie, soit seul avec lui ou avec d'autres enfants. On allait voir des parties de hockey. Parfois il allait chercher son fils et nous allions chez lui.

Q. 5 Est-ce que McCann a déjà essayé de vous faire des choses?
R. 5 Non. Et avec personne que je connais non plus. Je connais quelques personnes qui sortaient avec lui avec permission.

Q. 6 Pouvez-vous en nommer quelques-uns?
R. 6 Peter Ross. Je ne me souviens pas de leur nom. Ça fait tellement longtemps. C'est le seul qui me revient tout de suite.

6. Bill Nesbitt

Première entrevue, effectuée par le gendarme Legge

Le gendarme Legge a fait passer une entrevue à Bill Nesbitt le 17 octobre 1991 à Moncton, au Nouveau Brunswick, au cours de l'enquête Toft. Le gendarme Legge a pris une déclaration écrite à la main sous forme de questions et de réponses.

Q. 5 Qu'en est-il des autres gardes ou d'autres rumeurs?
R. 5 Il y avait une gardienne que tout le monde pensait être gouine, mais c'est tout. Il y avait ce type assez maigre. Je crois qu'il portait des lunettes et il emmenait les gars faire du ski nautique et d'autres trucs. Il faisait partie de la GRC, mais je ne me souviens pas de son nom. Je croyais qu'il était pédé, mais il ne m'a jamais emmené nulle part, alors je ne sais pas.

Nouvelle entrevue, effectuée par le sergent Lockhart

Le sergent Lockhart a fait passer une nouvelle entrevue à M. Nesbitt le 12 février 1992 au sujet de M. Toft et du grand type maigre.

Q. Le type maigre que vous pensiez être un membre de la GRC et qui vous donnait l'impression d'être un pédé (homosexuel). Vous rappelez-vous d'un incident qui vous aurait amené à croire qu'il était homosexuel?
R. Non, il emmenait des gars pour des sorties d'une demi-journée ou d'une journée entière. Il était peut-être un Grand Frère, de la GRC, je ne suis pas certain, mais il arrivait et emmenait les gars pour la journée.

Q. Avez-vous entendu les gars qu'il emmenait dire qu'il était homosexuel ou qu'il leur avait fait des avances sexuelles durant les sorties?
R. Non.

Q. Connaissiez-vous certains des enfants assez bien pour qu'ils soient disposés à vous dire qu'il les agressait sexuellement ou qu'il leur faisait des avances sexuelles?
R. Je connaissais la plupart des gars assez bien, mais aucun d'entre eux n'a jamais dit qu'un incident du genre s'était produit.

Q. Alors pourquoi pensiez-vous qu'il était homosexuel, le grand type maigre?
R. Bien, je ne sais pas, il parlait avec Toft quand il venait pour emmener les gars. Il semblait connaître Toft. Je suppose que je me fiais au fait qu'il parlait à Toft et que je savais que Toft était un pédé. Je présume que je trouvais que le gars avait l'air pédé.

Plus tard au cours de l'entrevue, le sergent Lockhart a posé la question suivante à M. Nesbitt

Q. Connaissez-vous James Steward, Cliff McCann ou Charles Luce?
R. Non, je n'ai jamais entendu parlé d'eux.

7. John Daley

Première entrevue, effectuée par le gendarme Legge

Le gendarme Legge a fait passer une entrevue à John Daley le 21 novembre 1991 à Moncton, au Nouveau Brunswick, au cours de l'enquête Toft. La déclaration a été écrite à la main par le gendarme Legge sous forme de questions et de réponses et a été par la suite tapée. M. Daley avait été pensionnaire à l'ÉFNB pendant trois mois en 1981, pendant un mois en 1986 et ensuite pendant six mois en 1987.

Q. Y avait-il d'autres gardes, membres du personnel ou autre desquels on disait, à l'époque, qu'ils abusaient des garçons?
R. Non.

Nouvel interrogatoire, effectué par le sergent Lockhart

Le sergent Lockhart a fait passer une entrevue à M. Daley le 14 février 1992 pour faire suite à celle effectuée par le gendarme Legge. La déclaration a été prise à Moncton, au Nouveau Brunswick, et tapée.

Q. Vous souvenez vous d'un certain (effacé) ou d'un certain (effacé) ou, finalement, d'un homme appelé (effacé) de l'époque où vous étiez au CFJ?
R. Je me souviens de McCann, pas des autres.

Q. Quel était son poste au CFJ?
R. Il était comme un « grand frère », comme un bénévole. Il venait visiter le centre. Il emmenait des personnes à des parties de raquetball ou autre.

Q. Comment vous entendiez vous avec lui?
R. Bien.

Q. Est-ce qu'il vous a emmené souvent avec lui?
R. Environ 5 ou 6 fois, nous avons fait du sport. Nous allions chez lui, regardions la télévision, faisions du ski nautique avec son bateau.

Q. Avez-vous eu des problèmes avec lui, comme vous en aviez eus avec Toft?
R. Non.

Q. Est-ce que vous vous sentiez mal à l'aise avec lui?
R. Non, il a parlé de sexe à quelques reprises, je n'ai pas trop aimé ça. Il me posait des questions sur ma copine, si j'avais des relations sexuelles avec elle, des choses comme ça. Je détournais la question.

8. Russ Vaillancourt

Première entrevue, effectuée par le gendarme Legge

Dans un rapport de suivi daté du 18 octobre 1991, le registre quotidien du gendarme Legge faisait référence à une rencontre entre lui et Russ Vaillancourt au sujet de ce que ce dernier savait sur M. Toft. Le gendarme Legge a indiqué que M. Vaillancourt avait dit que M. Daley, un autre ancien pensionnaire, recevait « beaucoup » de permissions de sortie du sergent d'état major McCann et que M. Vaillancourt avait entendu des rumeurs, mais rien de plus. Plus tard, dans une déclaration sous forme de questions et de réponses prise par le sergent Lockhart, il a été confirmé que le gendarme Legge n'avait pas pris de déclaration officielle de la part de M. Vaillancourt lors de cette rencontre.

Nouvelle entrevue, effectuée par le sergent Lockhart

Le sergent Lockhart a fait passer une entrevue à M. Vaillancourt le 26 février 1992, à Moncton, au Nouveau Brunswick. Dans la déclaration sous forme de questions et de réponses de M. Vaillancourt, le nom du sergent d'état major McCann est cité :

Q. Vous souvenez vous de Paul Johnston, de Harry Smith ou de Cliff McCann qui venaient au Centre de formation des jeunes pendant que vous y étiez?
R. McCann, je crois qu'il était membre de la GRC qui avait l'habitude de venir. J'ai entendu dire par d'autres personnes qu'il était de la GRC. Il emmenait des personnes avec permission de sortie.

Q. Avez-vous entendu dire des choses à son sujet?
R. Non, seulement des soupçons, parce que Toft avait l'habitude d'emmener des enfants avec permission de sortie. McCann le faisait aussi, alors je me posais des questions à son sujet. Je posais des questions aux gars, mais je n'ai jamais rien entendu comme quoi il était comme Toft, qu'il était pédé. McCann ne pouvait qu'emmener les pensionnaires dignes de confiance. [Les pensionnaires qui n'étaient pas considérés comme étant difficiles recevaient la permission de sortir comme récompense.]

Q. Était-il un Grand Frère?
R. Non, je croyais qu'il était seulement de la GRC.

Q. Est-ce que vous connaissez certains des gars qu'il emmenait avec lui?
R. Non, parce que j'étais assez vilain et je n'étais pas dans le même dortoir à cause de cela, je ne faisais pas partie des pensionnaires dignes de confiance.

9. Doug Bender

Première entrevue, effectuée par le caporal Brennan

Le caporal Brennan a communiqué avec Doug Bender le 13 novembre 1991. M. Bender a déclaré qu'il se souvenait à peine du sergent d'état major McCann, même si ce dernier lui avait donné une permission de sortie à trois occasions.

Nouvelle entrevue, effectuée par le gendarme McAnany

Le gendarme McAnany a communiqué avec Doug Bender, la neuvième personne, par téléphone le 6 février 1992; toutefois, il n'a pas fait passer une entrevue écrite à ce moment.

12.2.4 Rencontre avec le sergent d'état major McCann

Le 12 mars 1992, le sergent Lockhart a raconté dans un rapport de suivi qu'il avait rencontré le sergent d'état major McCann au détachement de Riverview. Sans avoir reçu de plainte des anciens pensionnaires, il est curieux que le sergent Lockhart, de son propre chef, ait décidé d'aller voir le sergent d'état major McCann à cette étape de l'enquête. Au minimum, le sergent Lockhart aurait dû interroger les 11 anciens pensionnaires cités dans son rapport de suivi du 31 janvier 1992 avant de rencontrer le sergent d'état major McCann. De plus, lorsqu'il a rencontré le sergent d'état-major McCann, cela aurait dû se passer en présence d'un autre membre, de préférence un grade équivalent ou supérieur à celui du sergent d'état major McCann, afin d'éviter toute inconvenance. C'est pour ces raisons que la CPP a jugé nécessaire d'inclure les extraits suivants du rapport de suivi du sergent Lockhart sur ce qui s'est passé durant la rencontre :

  • discuté avec le s.é.-m. Cliff McCann, qui partait pour Fredericton
  • lui ai parlé des rumeurs et de l'enquête qui a suivi
  • il déclare qu'il n'y a rien là
  • il ne fait partie d'aucun organisme; il a visité le centre de lui même
  • il a gardé un jeune en famille d'accueil
  • il emmenait des enfants chez lui pour des barbecues, du ski nautique - rien de plus, rien de moins
  • il déclare qu'il n'y a rien de vrai dans les rumeurs
  • il a remercié l'auteur [Lockhart] de lui en avoir fait part
  • très calme
  • il déclare qu'il connaît Toft
  • il n'était pas au courant d'abus
  • aucune mise en garde en vertu de la Charte puisqu'on n'a aucune preuve d'acte répréhensible ou d'abus de la part du s.é.-m. McCann après 17 entrevues.

12.2.5 L'enquête sur McCann se poursuit

Après la rencontre avec le sergent d'état major McCann du 12 mars 1992, le sergent Lockhart a continué de faire passer des entrevues aux anciens pensionnaires de l'ÉFNB tout au long de 1992 et de 1993. Le sergent Lockhart et le gendarme McAnany se sont concentrés sur la localisation d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB qui avait reçu des permissions de sortie avec le sergent d'état major McCann. Aucune des personnes interrogées, à l'exception de M. Roy,* qui a refusé de collaborer, n'a déposé de plainte contre le sergent d'état major McCann. En tout, 24 personnes ont été interrogées au sujet du rôle du sergent d'état major McCann auprès de l'ÉFNB, selon une liste que le sergent Lockhart a transmise au surintendant Wayne Wawryk, off. resp. de la sous-division de Fredericton, datée du 12 janvier 1994.

La CPP a examiné les 24 noms cités dans le document et a découvert que deux de ces personnes n'avaient pas été retrouvées, qu'une avait été interrogée au téléphone, mais n'avait pas fait de déclaration écrite et n'avait pas signalé d'abus de la part de M. Toft ni du sergent d'état major McCann. Un autre ancien pensionnaire avait passé une entrevue, mais n'apparaissait pas dans la liste de 24 noms.

*À noter qu'en dehors des insinuations, M. Roy n'a jamais déposé de plainte précise.

12.2.6 Entrevue avec Mike Roy

Le 2 décembre 1992, le gendarme McAnany a discuté avec la mère de Mike Roy. Elle a dit que son fils était peut-être prêt à parler de sa relation avec le sergent d'état major McCann. Le gendarme McAnany a discuté avec M. Roy, qui habitait Toronto, deux fois par téléphone le 7 décembre 1992. Le gendarme McAnany a pris des notes durant la première conversation téléphonique avec M. Roy et a enregistré la deuxième sur bandes audio.

Au cours du premier appel, M. Roy a raconté au gendarme McAnany avoir permis au sergent d'état major McCann d'avoir une relation sexuelle orale avec lui lorsqu'il n'était plus pensionnaire à l'ÉFNB. D'après M. Roy, sa mère a été témoin de l'incident, même si, comme il l'a dit au gendarme McAnany, il l'a nié lorsqu'elle l'a questionné au sujet de ce qu'elle avait vu. « [Q]ue lui aurais-je dit, [o]uais m'man, il me suce la queue ». Ni M. Roy ni aucune autre personne interrogée n'a déclaré de situations où le sergent d'état major abusait des pensionnaires durant leur séjour à l'École.

La CPP croit qu'il est nécessaire de ne pas oublier que l'incident raconté par M. Roy a eu lieu quelque temps après sa sortie de l'ÉFNB. À aucun moment au cours des appels téléphoniques M. Roy a-t-il mentionné avoir été abusé par le sergent d'état major McCann pendant son séjour à l'ÉFNB. Durant le deuxième appel, M. Roy a indiqué vouloir seulement laisser tomber le sujet.

12.2.7 Le sergent d'état major McCann devient suspect

Au cours d'une entrevue avec Legge, aujourd'hui sergent d'état major, qui a tenté de communiquer de nouveau avec M. Roy, la CPP a demandé s'il pensait que le sergent d'état major McCann était suspect ou le moment où le pensait :

Q: Et il était, comme vous avez dit, un fil conducteur tout au long de l'enquête. Pensiez-vous, au moins à l'époque, en janvier quatre-vingt-douze, qu'il était suspect d'une manière ou d'une autre?
R: Janvier quatre-vingt-douze. Vous savez, ça a vraiment été... été la déclaration de Roy pour moi.

Tout en parlant des soupçons qui pesaient sur le sergent d'état major McCann, le sergent d'état major Legge a déclaré :

L'auriez-vous considéré comme un suspect et vous savez que c'était vraiment un soupçon, il n'y a pas de fumée sans feu, vous savez? Mais honnêtement, jusqu'à ce que Roy, et je suis sérieux, c'est tellement clair à mes yeux parce que... Roy a vraiment apporté quelque chose de solide. Jusqu'à ce moment... tout n'était que rumeur et insinuation. Je veux dire que c'est tout ce que c'était.

Durant l'entrevue, le sergent d'état major Legge a précisé que le sergent d'état major McCann n'était pas considéré suspect dans l'enquête sur l'ÉFNB avant décembre 1992, lorsque M. Roy a donné ses commentaires au gendarme McAnany. Il était également clair d'après la documentation examinée par la CPP qu'il n'y avait aucune allégation concernant le sergent d'état major McCann déposée auprès de la GRC par qui que ce soit avant l'appel téléphonique de M. Roy le 7 décembre 1992.

12.2.8 Tentatives de communication avec Mike Roy

Le gendarme McAnany a informé le sergent Lockhart de ses conversations téléphoniques avec M. Roy. Le sergent Lockhart a donc décidé d'envoyer le gendarme Legge à Toronto pour interroger M. Roy. Le gendarme Legge est arrivé à Toronto le 10 décembre 1992, trois jours après l'appel téléphonique et neuf mois après l'entrevue du sergent d'état major McCann par le sergent Lockhart, et il s'est rendu à l'appartement de M. Roy à 12 h. Il a parlé à un des colocataires de M. Roy, qui l'a informé que M. Roy était au tribunal à Hamilton et qu'il devrait être de retour chez lui dans la soirée.

Le gendarme Legge a communiqué avec le sergent Lockhart pour le prévenir du retard. Le sergent Lockhart lui a donné comme directives de demeurer à Toronto jusqu'à ce qu'il ait interrogé M. Roy. Il a donc modifié son vol et sa réservation de voiture afin d'avoir le temps de rencontrer M. Roy.

D'après les notes qu'il a prises dans son calepin le 10 décembre 1992, le gendarme Legge a continué d'appeler M. Roy et a obtenu les résultats suivants : à 18 h, le colocataire à qui il avait parlé la veille lui a dit que M. Roy devait rentrer dans une heure maximum. Une heure plus tard, le même colocataire lui a dit que M. Roy avait appelé et qu'il ne voulait pas discuter de l'affaire. Le gendarme Legge a expliqué au colocataire qu'il avait fait un long voyage et qu'il devait parler à M. Roy directement. Il a téléphoné à l'appartement deux autres fois en soirée et a laissé son numéro de téléphone pour que M. Roy puisse le rappeler.

Le 11 décembre 1992, à 8 h, le gendarme Legge a appelé M. Roy et a encore laissé un message. Il s'est alors rendu chez M. Roy en voiture, où il est arrivé à 9 h 20. Cette fois, il a parlé à l'autre colocataire de M. Roy, qui a dit au gendarme Legge qu'il n'avait pas apprécié de se faire réveiller, que M. Roy avait reçu tous les messages et qu'il ne voulait pas parler à la police.

Le gendarme Legge est retourné à sa chambre d'hôtel sans avoir parlé à M. Roy. Il a communiqué avec le sergent Lockhart à Fredericton et l'a informé de la situation. Ils ont alors convenu que le gendarme Legge retournerait à l'appartement de M. Roy à 13 h et essaierait une autre fois de lui parler.

À 12 h 30, le gendarme Legge a appelé à l'appartement de M. Roy et s'est adressé à un autre colocataire, qui lui a dit que M. Roy avait vu son message et qu'il l'avait froissé et jeté par terre.

Le gendarme Legge a signalé dans ses notes du 11 décembre 1992 que M. Roy l'a rappelé à 13 h et lui a parlé pendant environ 30 minutes. Au cours de cette conversation, M. Roy lui a dit qu'il ne voulait pas vivre cela de nouveau et s'est excusé de lui avoir fait perdre son temps; il a aussi demandé au gendarme Legge de transmettre ses excuses au gendarme McAnany.

12.2.9 Communication avec la mère de Mike Roy

Pendant la réunion de section du 14 décembre 1992, on a décidé de continuer d'essayer de convaincre M. Roy et sa mère de collaborer avec la GRC. Le gendarme Legge a appelé la mère de M. Roy à son domicile et a parlé avec elle durant deux heures. Elle a dit au gendarme Legge qu'elle avait parlé à Mike le dimanche précédent et qu'il planifiait revenir à la maison après Noël et qu'il y avait encore une chance de réussir son concours. Elle a ajouté qu'Mike lui avait révélé avoir eu des relations sexuelles orales avec le sergent d'état major McCann.

Le 4 janvier 1993, le gendarme Legge a communiqué de nouveau avec la mère de M. Roy. Elle a dit qu'elle avait discuté avec Mike durant les Fêtes et qu'il avait dit ne plus vouloir en discuter. Elle a ajouté qu'elle ne voulait pas faire de déclaration à moins que Mike n'en fasse une.

12.2.10 Autres tentatives de communication avec Mike Roy

Le gendarme Legge a tenté de communiquer avec M. Roy par téléphone, mais en vain. Il a essayé une nouvelle fois le 5 janvier 1993, mais n'a pas réussi.

Le gendarme Legge a finalement communiqué avec M. Roy le lendemain. M. Roy a dit être vraiment de bonne humeur et a demandé au gendarme Legge de le rappeler le lundi pour disposer de quelque temps pour réfléchir.

Le lundi 11 janvier 1993, le gendarme Legge a rappelé M. Roy plusieurs fois avant de finalement pouvoir lui parler dans la soirée. M. Roy était très négatif et ne voulait pas s'adresser à la police. Il a avisé le gendarme Legge qu'il ne voulait plus recevoir d'appels de la part de la police. Cela est la dernière fois que le gendarme Legge a communiqué avec une personne en lien avec l'affaire McCann. Il a obtenu une promotion et a été muté à la SEG de Fredericton le 18 janvier 1993.

12.2.11 Entrevues choisies avec des anciens pensionnaires

Des 24 anciens pensionnaires de l'ÉFNB interrogés sur leurs relations avec le sergent d'état major McCann et sur ce qu'ils savent sur lui par le sergent Lockhart et le gendarme McAnany, trois ont déposé une plainte auprès de la CPP au sujet de l'enquête de la GRC sur le sergent d'état major McCann. Afin de mettre l'enquête de la GRC sur le sergent d'état major McCann en contexte, la présente section présente des extraits d'entrevues avec chaque plaignant auprès de la CPP, ainsi que des extraits des entrevues de suivi avec deux des anciens pensionnaires qui ont passé une entrevue en février 1992.

Note: Mike Roy a cité deux des trois anciens pensionnaires, qui ont déposé une plainte officielle auprès de la CPP, comme victimes potentielles du sergent d'état major McCann au cours d'une conversation téléphonique avec le gendarme McAnany en décembre 1992.

1. Don Miekle

Entrevue de suivi, effectuée par le sergent Lockhart

Le sergent Lockhart a fait passer une nouvelle entrevue à M. Miekle le 28 janvier 1993; il avait communiqué avec lui pour la première fois le 11 février 1992. Dans une déclaration écrite à la main prise le même jour, M. Miekle a encore une fois nié avoir été agressé par le sergent d'état major McCann de quelque façon que ce soit.

Q. Vous rappelez-vous que Clifford McCann vous sortait de l'école? Je sais que je vous ai déjà posé cette question lors d'une autre entrevue, mais, pour les besoins du dossier, vous rappelez vous de situations étranges avec lui?
R. Non, il venait au CFJ et nous emmenait en ville, au centre commercial, chez lui pour souper et nous ramenait au CFJ.

Q. Vous a-t-il déjà fait des avances sexuelles d'une manière ou d'une autre?
R. Non, il gardait un demi-paquet de cigarettes dans sa voiture, il nous laissait sortir et fumer parce que nous n'avions pas le droit de fumer à l'intérieur du CFJ, mais il ne demandait jamais rien en échange.

Troisième entrevue, effectuée par le sergent Lockhart

Le sergent Lockhart a discuté de nouveau avec M. Miekle en mars 1993 et a écrit, au sujet de l'interrogatoire, « Don Miekle nie toujours avoir reçu des avances sexuelles de la part de M. X ».

Quatrième interrogatoire, effectué par le sergent Lockhart

Le sergent Lockhart a parlé une autre fois avec M. Miekle le 21 mai 1993 et a écrit dans son rapport de suivi : « Rien de plus au sujet de McCann - soutient toujours qu'il était un type super et qu'il n'a pas reçu d'avances sexuelles ».

2. Jason Brown (plaignant auprès de la CPP)

Le sergent Lockhart a interrogé Jason Brown le 25 février 1993 à Saint John, au Nouveau Brunswick. Dans sa déclaration, M. Brown a dit qu'il avait été deux fois pensionnaire de l'ÉFNB, d'abord pendant environ deux mois en 1982 et ensuite en 1983 pendant quatre ou six mois, lorsqu'il avait quinze ans. La déclaration écrite de la main de M. Brown a été prise et tapée par la suite. D'après la déclaration, il semble que le sergent Lockhart ait eu une conversation avec M. Brown avant de prendre sa déclaration écrite. M. Brown a mentionné David Wright et Phillip Charbonneau, disant qu'ils étaient sortis avec le sergent d'état major McCann.

Le sergent Lockhart a posé des questions portant précisément sur les abus qui étaient survenus à l'école, en particulier si le sergent d'état major McCann lui avait fait des avances ou avait abusé sexuellement de lui. M. Brown a nié que quoi que ce soit de la sorte lui soit arrivé; cependant, il a déclaré que M. Wright avait dit que le sergent d'état major McCann lui avait fait des avances, mais il avait l'impression que c'était après que M. Wright a quitté l'école.

M. Brown a fait des commentaires au sujet de ses impressions à l'égard du sergent d'état major McCann et des inquiétudes de sa mère pour lui. Il a déclaré :

J'ai toujours trouvé Cliff McCann un peu étrange, un peu bizarre. Je l'ai rencontré la deuxième fois que j'étais là-bas. C'était en 1983. Ma mère s'inquiétait toujours de ça, elle me demandait s'il se passait quelque chose, s'il me faisait des choses, parce qu'il venait me chercher, comme je l'ai dit, et m'emmenait chez lui. Je lui ai dit « non » et c'était vrai, après que je suis sorti, s'il était dans la région de Saint John, il passait chez moi. Encore une fois, seulement pour discuter, mais ma mère trouvait cela bizarre.

Plus tard, M. Brown a soulevé des allégations d'abus sexuel contre McCann lorsqu'il était à l'ÉFNB, mais pas avant 2001. Ces allégations sont décrites au chapitre 14, « Le sergent d'état major Dave Dunphy (2001-2003) », du présent rapport.

3. David Wright (plaignant auprès de la CPP)

Dans un rapport de suivi daté du 12 mars 1993, le sergent Lockhart a signalé que David Wright l'a rappelé et que, durant la conversation, il a laissé échapper « Qu'en est-il de Cliff McCann? ». Selon le sergent Lockhart, M. Wright a affirmé que le sergent d'état major McCann avait communiqué avec lui après son départ de l'ÉFNB. M. Wright a déclaré qu'il avait 17 ans à l'époque, et a dit au sergent Lockhart que, bien que cela soit difficile, il leur parlerait. On a alors organisé le voyage à Edmonton, en Alberta, du gendarme McAnany pour y interroger M. Wright .

Le 30 mars 1993, le gendarme McAnany a recontré M. Wright au bureau de son avocat (Casey O'Byrne), situé au centre-ville d'Edmonton. Il a fait passer une entrevue à M. Wright durant plus de trois heures et a enregistré l'entrevue sur bandes audio. Il a également pris une déclaration écrite de 18 pages de M. Wright après la première entrevue.

M. Wright a déclaré s'être rendu à l'ÉFNB le 12 décembre 1982 et y est demeuré jusqu'à sa libération, le 20 juin 1983. Deux semaines après son arrivée, il a rencontré un autre pensionnaire, Phillip Charbonneau. M. Charbonneau a finalement organisé une sortie avec le sergent d'état major McCann pour M. Wright. Il ne se rappelait plus si M. Charbonneau était avec eux cette fois-là. Il a affirmé que le sergent d'état major McCann était membre de la GRC et a fait une description physique de lui. Il n'a mentionné à aucun moment avoir été agressé sexuellement par le sergent d'état major McCann durant son séjour à l'ÉFNB.

M. Wright a décrit, en détail, un incident qui s'est déroulé après son départ de l'ÉFNB, dans un hôtel de Saint John, au Nouveau Brunswick. L'incident, comme il l'a précisé au gendarme McAnany, peut être décrit comme une invitation sexuelle plutôt que comme un abus sexuel à proprement parler. M. Wright a affirmé que cela l'avait rendu mal à l'aise et qu'il avait quitté la chambre d'hôtel avant que la situation ne dégénère.

Q.10 Est-ce que McCann vous a touché d'une autre façon que ce que vous m'avez déjà dit?
R.10 Non.

Q.14 Vous avez dit plus tôt que McCann vous touchait tout le temps. Est-ce qu'il vous a déjà touché à l'aine?
AR.14 Je ne peux pas me rappeler si oui ou non il l'a fait. C'est vraiment ce qui me dérange. Je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Je ne veux pas dire oui s'il ne l'a pas fait. Quelque chose me dit que oui, il l'a fait, mais pour me taquiner.

Q.27 David, en ce qui concerne McCann, vous a-t-il déjà dit quelque chose comme : « N'en parle à personne. » ou « Ce sera entre toi et moi. »?
R.27 Seulement, en ce qui concernait l'alcool. Il disait, en retournant au CFJ, « brosse-toi les dents et va directement au lit ». Il ne m'a jamais menacé ou intimidé. En fait, il était toujours très gentil.

C'est là l'étendue de la déclaration faite au gendarme McAnany. Cependant, le gendarme McAnany a dit à la CPP, au cours d'une entrevue de deux jours, les 9 et 10 janvier 2007, qu'il croyait que M. Wright voulait en dire plus, mais qu'il n'est pas parvenu à l'inciter à divulguer autre chose. Il a déclaré que l'avocat de M. Wright lui disait également de tout expliquer, mais en vain. En décrivant son entrevue avec M. Wright à la CPP, le gendarme McAnany s'est montré très émotif et a affirmé que, encore aujourd'hui, le fait de ne pas avoir pu encourager M. Wright à s'ouvrir le tracassait.

M. Wright a passé une nouvelle entrevue en 1998, où il a déposé des allégations selon lesquelles il avait été agressé sexuellement par le sergent d'état major McCann durant son séjour à l'ÉFNB. Ces allégations sont décrites au chapitre 14.

4. Phillip Charbonneau (plaignant auprès de la CPP)

Le 23 mars 1993, le gendarme McAnany a interrogé Phillip Charbonneau en Colombie-Britannique. Le gendarme a expliqué, dans un rapport de police, qu'il a discuté avec M. Charbonneau pendant plus de cinq heures, que l'entrevue a été enregistrée sur bandes audio et qu'une déclaration écrite a été prise.

Dans sa déclaration, M. Charbonneau a expliqué qu'il était à l'ÉFNB de mars 1982 à avril 1983. Durant cette période, il a connu M. Toft et a décrit les abus sexuels qu'il lui a fait subir. Il a admis connaître le sergent d'état major McCann.

Q. 9 Est-ce que quelqu'un d'autre a abusé de vous lorsque vous étiez à Kingsclear, que ce soit physiquement ou sexuellement?
R. 9 Non.

Q. 10 Phil, avez-vous connu ou connaissez-vous un certain Cliff McCann?
R. 10 Oui.

Q. 11 Lorsque nous discutions un peu plus tôt, vous m'avez dit qu'il était gentil avec vous et qu'il n'a jamais rien demandé en échange, vous m'avez dit « il ne m'a jamais touché », qu'il vous emmenait à des parties de hockey, jouer au racquetball... Honnêtement, est-ce que McCann vous a déjà dit ou fait quelque chose d'inconvenant?
R. 11 Non.

Q. 12 Pourquoi croyez-vous que McCann s'est intéressé à vous?
R. 12 Probablement en raison de ma personnalité. Ma famille est partie en Nouvelle Écosse. Il s'est pris d'affection pour moi. Je suis poli. J'ai pu connaître sa famille. Nous avons gardé le contact.

M. Charbonneau n'a pas déclaré avoir été agressé sexuellement par le sergent d'état major McCann lorsqu'il était à l'ÉFNB durant cette entrevue. Par contre, en 2001, il a déposé des allégations selon lesquelles il aurait été agressé sexuellement par le sergent d'état major McCann lorsqu'il était à l'ÉFNB. Ces allégations sont décrites au chapitre 14.

5. Michel Minto

Entrevue de suivi, effectuée par le gendarme McAnany

Après avoir interrogé Michel Minto pour la première fois le 7 février 1992, le gendarme McAnany l'a questionné de nouveau le 15 octobre 1993 à la suite de son témoignage durant l'enquête Miller. Au cours de cette entrevue, M. Minto a déclaré qu'un garde de l'ÉFNB l'avait agressé. Ni M. Minto ni le gendarme McAnany n'a fait mention du sergent d'état major McCann dans la déclaration écrite.

12.2.12 Autres tentatives de communication avec Mike Roy

D'après les documents et les entrevues effectuées, il est évident que le sergent Lockhart a décidé de garder le contact avec M. Roy malgré la réponse négative des tentatives précédentes de discussion au sujet du sergent d'état major McCann. Il a maintenu ce contact au cas où M. Roy déciderait de faire une déclaration.

Le 17 mai 1993, le sergent Lockhart a envoyé la gendarme Lise Roussel à Toronto afin de tenter encore une fois de convaincre M. Roy de coopérer et de faire une déclaration sur sa relation avec le sergent d'état major McCann. La gendarme Roussel est arrivée à Toronto et a immédiatement appelé M. Roy. La personne qui a répondu au téléphone a dit que M. Roy avait déménagé et lui a donné un nouveau numéro de téléphone. Elle a appelé et a laissé un message puisqu'il n'y avait pas de réponse.

Le 17 mai 1993, à environ 22 h 15, la gendarme Roussel a finalement pu parler à M. Roy, aux termes de nombreux efforts pour entrer en contact avec lui. Il était évident que M. Roy était contrarié. Selon le rapport de suivi, il a demandé de façon catégorique qu'on le laisse tranquille, à tel point qu'il a dit que les tentatives de communication de la gendarme étaient presque du harcèlement policier.

Le 18 mai 1993, la gendarme Roussel a tenté de communiquer avec M. Roy de nouveau. Toutefois, elle n'a pu parler qu'à son colocataire, qui lui a demandé de respecter le désir de M. Roy qu'on le laisse tranquille.

Le 26 mai 1993, durant une réunion de la SEG, le cas de M. Roy a été encore une fois discuté. On a alors convenu qu'on avait consacré assez de temps et d'efforts à essayer d'amener M. Roy à expliquer ce qui s'était passé entre lui et le sergent d'état major McCann.

12.2.13 La fin de l'enquête sur le sergent d'état-major McCann

Pour finaliser l'enquête sur le sergent d'état major McCann, le sergent Lockhart a rédigé un rapport d'enquête (C-237), daté du 23 décembre 1993, dans lequel il a écrit :

En conclusion, il y a peut-être une victime toujours inconnue des enquêteurs. Le sous-officier responsable de la SEG croit que nous avons poussé l'enquête aussi loin que nous le pouvions en gardant à l'esprit que nous n'avons aucun plaignant. Nous ne croyons pas qu'il serait approprié de faire des commentaires sur la sexualité de cette personne, mais nous ne pouvons que conclure que, en ce moment, il n'y a aucun motif raisonnable de porter des chefs d'accusation au criminel de quelque nature que ce soit. À moins de directive contraire, ce dossier est donc classé ci-dessous et considéré comme CLOS.

12.3 Entrevues avec les officiers supérieurs

La CPP a effectué des entrevues avec les officiers supérieurs postés à la Division J et qui ont pu avoir joué un rôle dans l'enquête sur le sergent d'état major McCann afin de déterminer quels officiers supérieurs sont au courant de l'enquête et si suffisamment d'efforts ont été déployés. En raison de leur participation limitée aux activitiés quotidiennes du sergent Lockhart et de son équipe, les souvenirs des officiers supérieurs interrogés peuvent s'être effacés avec le temps et être devenus contradictoires. Malgré leur incapacité à se souvenir de certains événements, tous les officiers supérieurs interrogés ont semblé vouloir participer à l'enquête de la CPP. Néanmoins, l'incapacité à se souvenir de tout et la possibilité d'erreurs soulignent l'importance de la coopération des officiers supérieurs, de la prise de notes précises et de la conservation de dossiers complets au cours d'une enquête au lieu de compter sur notre mémoire ou de faire des suppositions.

12.3.1 Commissaire adjoint à la retraite Ford Matchim

La plupart des officiers supérieurs interrogés par la CPP ont affirmé ne pas être au courant de l'enquêe criminelle sur le sergent d'état major McCann menée par le sergent Lockhart. Le fait qu'une enquête aussi importante que celle-ci ait pu être cachée à autant d'officiers supérieurs est incompréhensible et significatif. Il est logique de penser qu'on devrait se souvenir d'un événement d'envergure tel que l'enquête McCann puisque ce type d'enquête ne se produit pas souvent dans la carrière d'un officier. Par exemple, il est difficile de comprendre pourquoi M. Matchim, ancien surintendant et agent de l'administration et du personnel par intérim, ne pouvait se rappeler avoir demandé au sergent Lockhart d'enquêter sur les rumeurs au sujet du sergent d'état major McCann, s'il l'a réellement fait. Durant une entrevue avec la CPP en septembre 2006, on a présenté à M. Matchim un rapport de suivi daté du 31 janvier 1992, dans lequel le sergent Lockhart avait écrit :

L'agent AP [Administration et Personnel] Ford Matchim m'a demandé de faire un suivi et de vérifier si les allégations selon lesquelles Cliff McCann est impliqué auprès de ces jeunes, tel que suggéré par certaines personnes interrogées par le cap. Ray Brennan, sont fondées .

M. Matchim a réagi en étant très surpris et a dit ne pas se rappeler avoir fait la demande.

R : Alors ouais, je n'ai, ouais, aucun souvenir de ça et je jurerais sur une pile de Bibles que, M. Lockhart, bien que très, très compétent, vous savez, je dirais qu'il me confond avec, avec quelqu'un d'autre. Parce que je, connaissant Cliff McCann comme je le connaissais et connaissant Lockhart comme je le connaissais, je veux dire je ne vois vraiment pas comment on ne peut pas le remarquer et dire hé, hé, hé, qu'est-ce que, vous savez, qu'est-ce que c'est que ça. Et je, je ne... sais rien au sujet de...

Q: Donc vous ne vous en souvenez vraiment pas du tout?
R: Non. Pas du tout. Pas du tout.

M. Matchim était catégorique sur le fait que, s'il avait demandé au sergent Lockhart d'enquêter sur les rumeurs, il en aurait certainement avisé l'officier supérieur du sergent d'état major McCann, qui, à l'époque, était le surintendant Al Rivard. Il a dit qu'il aurait été très inhabituel pour les autres officiers supérieurs d'avoir été « hors du coup » en ce qui concerne des allégations d'abus sexuels par un membre de la GRC. M. Matchim a déclaré que la première fois qu'il a pris conscience que le sergent d'état major McCann était d'une manière ou d'une autre impliqué dans l'ÉFNB était lorsqu'il a vu le reportage de la CBC. Il ne se rappelait pas du tout avoir entendu parler de liens quelconques entre le sergent d'état major McCann et l'ÉFNB lorsqu'il était officier responsable de la Sous-division de Fredericton. Il a de plus affirmé qu'il n'aurait pas appuyé le rapport sur l'entrevue personnelle avec le sergent d'état major McCann d'avril 1992 si celui-ci avait su que des allégations pesaient contre lui.

M. Matchim a précisé qu'il était possible qu'il ne soit pas l'agent AP par intérim en janvier 1992. Il a été muté à Fredericton en 1989 comme off. resp. de la Sous-division de Fredericton et il est parti en novembre 1992 pour être surintendant principal de la Division Dépôt de la GRC à Regina, en Saskatchewan. À partir de cette date jusqu'à sa retraite, en 1997, il n'est pas retourné au Nouveau Brunswick sur le plan opérationnel.

Au cours de l'entrevue du sergent Lockhart avec la CPP, on lui a demandé s'il était possible qu'il ait commis une erreur à l'époque et il a répondu « oh oui, c'est possible, oui ».

Tenter de comprendre le point de vue du commissaire adjoint à la retraite Matchim

Le sergent Lockhart a écrit une note sur les prochaines entrevues liées à l'affaire McCann dans son rapport de suivi du 3 février 1992 : « Le cdt. s.-div. de F'ton [Fredericton] et l'agent AP [Administration et Personnel] sont au courant des progrès de l'enquête ». Si M. Matchim n'était pas l'agent AP en février 1992, et à moins d'occuper un autre poste par intérim ou d'être en congé, il était certainement l'off. resp. de la Sous-division de Fredericton et, par conséquent, il aurait été mis au courant des progrès de l'enquête, tel que d'indique dans le rapport de suivi du sergent Lockhart.

Dans son entrevue avec la CPP, le sergent Lockhart ne pouvait se rappeler qui occupait ces postes le jour où il rédigé son rapport ni à qui il avait fait le point sur l'enquête. La CPP sait que l'agent AP habituel, le surintendant Phil Chartrand, était absent de janvier à mars 1992 et parcourait le Canada pour effectuer des entrevues avec le comité d'avancement. On sait également que le sergent d'état major Roger Parnell, qui était le sous-officier de l'administration à la Sous-division, était off. resp. par intérim de la Sous-division de Fredericton lorsque M. Matchim était absent ou occupait un autre poste par intérim. Le surintendant Chartrand a affirmé, durant son entrevue, que c'était habituellement l'inspecteur Lemay, responsable en second des Services du personnel et des affectations, qui occupait le poste par intérim. Toutefois, il ne pouvait affirmer avec certitude qui l'avait remplacé lorsqu'il était absent en janvier 1992. Le sergent d'état major Parnell ne se souvenait pas du poste qu'il occupait à l'époque, mais il a confirmé qu'il a bien occupé celui d'off. resp. par intérim de la Sous-division de Fredericton de temps à autre.

12.3.2 Surintendant principal à la retraite Al Rivard

Au cours de son entrevue avec la CPP, M. Rivard (surintendant et off. resp. de la Sous-division de Moncton durant l'enquête) a dit qu'il avait appris à connaître le sergent Lockhart au fil des ans et qu'il le considérait comme un excellent enquêteur. En ce qui concerne l'enquête sur le sergent d'état major McCann, M. Rivard a dit qu'il n'en savait rien et qu'il ne se souvenait que du sergent Lockhart lui disant qu'il voulait interroger le sergent d'état major McCann en rapport à l'ÉFNB. Il a expliqué que le commandant divisionnaire, Herman Beaulac, ne mettait pas forcément ses officiers supérieurs au courant de toutes les enquêtes qui se déroulaient dans la division.

On a montré à M. Rivard une copie du rapport de suivi et demandé s'il se souvenait de ce qui s'était dit lors de cette réunion.

Il me semble vaguement, vous savez, que Lockhart m'en aurait parlé et ça s'était – bien, ... deux ans avant mon départ, mais c'est tout... Mais il serait arrivé et – pour moi, si quelqu'un appelle, c'est une question de politesse que d'appeler le commandant divisionnaire et de dire je viens interroger un de vos hommes et, étant donné le lien avec l'autre enquête, oui, certainement.

M. Rivard a admis être au courant de l'enquête sur M. Toft et l'ÉFNB et il a dit qu'il savait que le sergent d'état major était très impliqué auprès des jeunes. Il a dit qu'il avait introduit la police communautaire dans le détachement.

Pas lorsque vous avez ce genre d'allégations, non. Son nom a été mentionné. Voyez-vous, vous devez aussi vous rappeler du fait, que, à l'époque, je poussais notre détachement à faire partie d'un service de police axé sur la collectivité et à s'impliquer auprès des jeunes. Donc pour que le nom d'une personne soit mentionnée par rapport aux jeunes, je veux dire, tous mes sous-officiers ont dû un jour ou l'autre s'engager auprès des scouts ou autre. J'étais le commissaire provincial chez les scouts. Alors nous nous occupions tous des jeunes d'une façon ou d'une autre.

Au cours de son entrevue du 25 novembre 2006, le sergent Lockhart a dit à la CPP qu'il ne se souvenait pas avoir vraiment parlé au surintendant Rivard le 12 mars 1992 avant d'interroger le sergent d'état major McCann, même s'il savait que M. Rivard était l'officier responsable de la Sous-division de Moncton.

Le sergent Lockhart a inscrit une note à côté du nom d'un ancien pensionnaire, Don Miekle, un des noms qui lui étaient familiers. Dans son rapport, il explique que lorsqu'il était posté à Plaster Rock, au Nouveau Brunswick, de 1984 à 1988, le sergent d'état major McCann avait téléphoné au sujet de M. Miekle. Le sergent d'état major McCann a dit qu'il avait rencontré M. Miekle à l'ÉFNB et voulait avoir des renseignements de base le concernant. Pendant son entrevue avec la CPP, le sergent Lockhart a déclaré que, à l'époque, il n'a pas fait cas de l'appel du sergent d'état major McCann.

12.3.3 Ancien commissaire Giuliano Zaccardelli

Giuliano Zaccardelli, qui a joué un rôle important dans l'enquête McCann, a passé une entrevue le 15 janvier 2007 à l'hôtel Lord Elgin, à Ottawa.

M. Zaccardelli a informé la CPP qu'il était en poste à la Division J comme agent de la Police criminelle en novembre 1989 où il est resté jusqu'en mars 1993. Il a expliqué que, en tant qu'agent de la Police criminelle, il était considéré comme le responsable en second relevant du commandant divisionnaire, Herman Beaulac. Il a peut-être vu le sergent d'état major McCann à la Division O lorsqu'ils y étaient tous deux en poste, mais il ne se rappelait pas l'avoir rencontré.

M. Zaccardelli a déclaré à la CPP qu'il a entendu parler des rumeurs sur le sergent d'état major McCann pour la première fois par le sergent Lockhart, mais il n'était pas certain de la date à laquelle cela s'est produit. À son tour, il a parlé des rumeurs au surintendant principal Beaulac.

Mais lorsque j'en ai entendu parler pour la première fois, j'ai fait les deux choses qui me semblaient à faire – qui me semblaient être appropriées, j'ai dit au commandant divisionnaire que nous avions cette allégation. Ensuite, j'ai donné des directives précises à l'enquêteur : vous vous en occupez et vous tirez ça au clair. Faites tout ce que vous pouvez pour découvrir ce qu'il y a là-dessous.

On a demandé à M. Zaccardelli s'il savait si le surintendant principal Beaulac avait mis l'officier responsable de la Sous-division de Moncton, le surintendant Rivard, au courant de l'enquête sur le sergent d'état-major McCann.

Vous savez, ouais, c'est une bonne question. Je crois qu'il aurait dû y avoir une discussion. C'est un avis. C'est sa décision... Je n'ai jamais – Je n'ai jamais, parlé à – Je n'arrive pas à me souvenir de lui avoir parlé... S'il a avisé Al Rivard ou lui en a parlé, je ne sais pas vraiment. Je ne me souviens pas qu'il m'ait dit en avoir parlé à Al Rivard. Je suppose qu'il attendait un mot du côté des opérations à savoir qu'il y avait plus que des allégations, si on pouvait en confirmer une partie avant de faire quoi que ce soit. C'est tout ce que je peux dire. Mais je ne sais pas s'il en a parlé à quelqu'un.

M. Zaccardelli était catégorique sur le fait que, une fois que le nom du sergent d'état major McCann apparaissait, ses instructions étaient que celui ci devait être traité comme n'importe qui d'autre. Il a dit au sergent Lockhart de tirer l'information au clair. Il a expliqué que les renseignements qu'ils recevaient ne pouvaient être considérés comme des accusations ou des plaintes, mais comme beaucoup de sous-entendus et de soupçons sur lesquels on doit enquêter.

La seule fois où j'ai entendu parler de McCann c'était – c'était d'après moi lorsque Dougie Lockhart est venu me voir et m'a dit : « Nous avons cette allégation ». Et je lui ai répondu tout simplement : « Occupez-vous de ça. Il doit être traité comme tout le monde ». Alors nous n'avons jamais séparé le dossier [ÉFNB]... en deux.

12.3.4 Sous-commissaire à la retraite Herman Beaulac

Herman Beaulac était surintendant principal et commandant de la Division J au début de l'enquête. Il a conservé ce poste de surintendant principal jusqu'en avril 1993, lorsqu'il été remplacé par le surintendant principal Roy Berlinquette. M. Beaulac a dit à la CPP qu'il a entendu parler du sergent d'état major McCann pour la première fois en 1985. M. Beaulac était l'off. resp. de la Sous-division de Bathurst lorsque le sergent d'état major McCann travaillait à la Direction générale de la Division J. Il a dit qu'il n'a jamais été mis au courant des rumeurs qui circulaient sur le fait que le sergent d'état major McCann avait été muté de l'Ontario dans la controverse. Il a précisé que le sergent d'état major McCann était discret et ne fréquentait pas beaucoup les autres membres. Il a déclaré que le sergent d'état major McCann ne montrait aucun signe d'inconvenance.

Lorsqu'on lui a posé des questions au sujet de la mutation du sergent d'état major McCann de Riverview, il a répondu qu'il a approuvé la mutation le 17 janvier 1992. Il a déclaré que, au moment de la mutation, il était au courant de l'enquête sur le sergent d'état major McCann, mais qu'il n'y avait rien de concret en matière de plaintes. Il se souvenait d'un certain Mike Roy et que les enquêteurs avaient de la difficulté à l'amener à se manifester et à déposer une plainte solide.

13. Enquête menée par le gendarme Pat Cole (1998-2000)

Le présent chapitre consiste en une description de la deuxième enquête de la GRC sur les plaintes déposées par Brad Lewis et David Wright, tous deux d'anciens pensionnaires de l'École de formation du Nouveau-Brunswick (ÉFNB), contre le sergent d'état-major Clifford McCann, retraité depuis le 18 avril 1993.

13.1 La plainte déposée par M. Lewis

Au moment où Clifford McCann a pris sa retraite de la GRC, le sergent Doug Lockhart enquêtait sur ses relations avec d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB. L'enquête avait débuté en janvier 1992 et a été conclue officiellement en décembre 1993, sans qu'aucune accusation ne soit portée.

Cette deuxième enquête a été lancée à la suite d'une plainte présentée le 19 janvier 1998 au caporal Ken Legge, lors d'un appel téléphonique avec Brad Lewis à Edmonton, en Alberta. Le caporal Legge a transmis l'information au surintendant Michel Seguin, agent de la Police criminelle, et ce dernier a chargé le sergent d'état-major Jacques Ouellette et le sergent Dave Dunphy, qui étaient déjà à Edmonton sur une autre affaire, de communiquer avec M. Lewis. Les officiers ont obtenu une déclaration enregistrée sur bande audio de M. Lewis concernant les actes d'abus sexuel présumés commis par M. McCann.

Ce n'était pas la première fois que M. Lewis était interrogé au sujet de ce qu'il savait des abus commis à l'ÉFNB. Le gendarme James McAnany avait communiqué avec l'ancien pensionnaire (il avait fréquenté l'ÉFNB de 1980 à 1983) le 30 mars 1993. M. Lewis a nié avoir été abusé par quiconque. Cependant, le 5 décembre 1996, M. Lewis a communiqué avec le gendarme McAnany et lui a dit qu'il avait été victime d'abus de la part de Karl Toft. Le gendarme McAnany lui a expliqué que l'enquête avait été conclue plus de deux ans auparavant et l'a informé de la position du procureur général relative au dépôt de nouvelles accusations contre M. Toft. Il a conseillé à M. Lewis de recourir aux services d'un conseiller juridique et lui a fait part des options qui s'offraient à lui, laissant le soin à M. Lewis de décider de ce qu'il souhaitait faire.

Le 18 janvier 1997, la copine de M. Lewis a écrit en son nom une déclaration de sept pages décrivant les actes d'agression sexuelle dont il avait été victime par Karl Toft; elle a ensuite envoyé cette déclaration au gendarme McAnany. M. Lewis a par la suite appelé le gendarme McAnany le 4 février 1997, l'informant qu'il transmettrait la déclaration à la GRC ainsi qu'à son avocat de Fredericton. Le gendarme McAnany a indiqué dans un rapport de suivi, daté du 4 février 1997, que M. Lewis avait déclaré que « Cliff McCann était également "bizarre", "étrange". Mais que rien de déplacé ne s'était produit.... Il ne contenait aucun renseignement sur M. McCann. Déclaration à conserver au dossier ».

Près d'un an plus tard, M. Lewis a téléphoné au caporal Legge et c'est alors que la deuxième enquête sur M. McCann a démarré. Dans la déclaration enregistrée sur bande audio obtenue de M. Lewis le 20 janvier 1998, il a cité cinq autres anciens pensionnaires qui avaient un certain lien avec M. McCann.

Le 30 janvier 1998, M. Lewis a appelé le sergent d'état-major Ouellette pour obtenir un bilan des activités. M. Lewis a été informé qu'il serait avisé au fur et à mesure des progrès réalisés par la GRC dans le cadre de l'enquête. Le 2 février 1998, le sergent d'état-major Ouellette a sorti les anciens dossiers sur M. Lewis et les cinq autres garçons que ce dernier avait cités dans la déclaration qu'il avait faite sur bande audio (Mike Roy, Duncan Henderson, Tim Coburn, David Wright, Phil Charbonneau). Il a chargé le gendarme Pat Cole d'enquêter sur le dossier.

13.1.1 Début de l'enquête

Le 12 février 1998, le gendarme Cole a commencé à vérifier les noms fournis par M. Lewis. Il a d'abord parlé à David Wright, qui lui a dit qu'il soupçonnait M. Lewis de tenter d'accuser quelqu'un pour obtenir de l'argent du gouvernement du Nouveau-Brunswick, à l'instar de son frère. M. Wright a ensuite déclaré au sujet du frère de M. Lewis « qu'en réalité il [Lewis] n'avait été victime d'aucun acte répréhensible ». Il a également affirmé qu'aussitôt la déclaration de M. Lewis prise par l'enquêteur, il a reçu un chèque. Quant à sa propre situation, M. Wright a dit que même s'il avait été agressé, il ne souhaitait rien faire à ce moment-là ne voulant pas être le seul à accuser M. McCann. Il a ajouté qu'il ne voulait pas détruire M. McCann pour ce qu'on lui avait fait.

Le 12 février 1998, le gendarme Cole a retrouvé Duncan Henderson en Colombie-Britannique. M. Henderson a déclaré qu'il n'avait jamais été victime d'abus à l'ÉFNB et que le nom de Clifford McCann ne lui disait rien. Le gendarme Cole a également tenté de retrouver Tim Coburn et Mike Roy, mais en vain. Il a appris que la famille McCann avait adopté M. Coburn auprès de l'ÉFNB et que son nom était Ian Coburn, et non Tim Coburn. Il a également appris à quel endroit se trouvait M. Coburn. Le 13 février 1998, il a contacté la prison où Phillip Charbonneau était incarcéré en Colombie-Britannique et a demandé à l'interroger. L'agent de sécurité préventive à l'établissement (ASPE) l'a avisé que M. Charbonneau n'avait rien à dire à la police au sujet de l'ÉFNB. Il n'a pas réussi à retrouver Mike Roy.

Le 24 août 1998, le gendarme Cole a reçu un courriel du sergent Dave Dunphy l'informant que M. Lewis avait téléphoné et qu'il souhaitait savoir où en était les choses. Lors d'une conversation téléphonique, le 25 août 1998, le gendarme Cole a informé M. Lewis que le délai prescrit pour déposer une accusation était dépassé. Il a inscrit une note dans son calepin indiquant que M. Lewis avait signifié avoir compris et avait demandé que sa déclaration soit envoyée à son avocat puisque ce dernier avait engagé des procédures civiles contre la province et M. McCann.

Le 11 septembre 1998, le gendarme Cole a de nouveau discuté avec M. Lewis. Ils ont parlé de M. Toft et de M. McCann. On avait dit à M. Lewis qu'étant donné la position de la Couronne relative au dépôt de nouvelles accusations contre M. Toft, on ne donnerait pas suite à sa plainte. Le gendarme Cole a dit à M. Lewis qu'il avait parlé à deux avocats de la Couronne au sujet d'une accusation contre M. McCann concernant sa situation d'autorité. Ils ont dit que, comme M. McCann n'agissait pas à titre d'agent de la paix, ils ne donneraient pas suite à ce type d'accusation. Lors de cette conversation, M. Lewis s'est de nouveau informé sur ses choix et a demandé que sa déclaration soit envoyée au bureau de son avocat à Fredericton. Le gendarme Cole a informé le sergent Dunphy de la demande de M. Lewis. Le 30 septembre 1998, la demande de M. Lewis a été exécutée.

Dans un rapport de suivi daté du 14 septembre 1998, le gendarme Cole a indiqué que, lors d'une rencontre préalable à un procès pour meurtre, il a parlé du dossier de M. Lewis aux avocats de la Couronne Jim McAvity et Kelly Winchester. Il a affirmé qu'ils étaient tous deux d'avis que sans corroboration, les éléments de preuve étaient insuffisants pour porter accusation. Il a écrit que les avocats de la Couronne lui avaient conseillé de rencontrer le suspect; si celui-ci refusait de parler, ils ne recommanderaient pas le dépôt d'accusations. Il s'agissait de conversations officieuses. Le gendarme Cole n'a préparé aucun document à présenter au bureau de la Couronne aux fins d'examen.

13.1.2 Entrevue avec M. McCann

La documentation étudiée par la CPP indique que le gendarme Cole a demandé au sergent d'état-major Ouellette d'assumer le premier rôle pour l'entrevue avec M. McCann. L'entrevue a eu lieu le 29 octobre 1998 au domicile de M. McCann, en banlieue de Fredericton.

Le sergent d'état-major Ouellette n'a pas enregistré l'entrevue et n'a pas recueilli de déclaration officielle auprès de M. McCann. Il a résumé l'entrevue comme suit :

1454 Résidence de Cliff McCann, située au [...] avec le gend. Cole
Son épouse, Mary Lou, était présente; a nié toute allégation. Ne se souvient pas de Lewis.
Se souvient de Wright.
1545 Fin de l'entrevue.
1605 Appel de M. McCann indiquant qu'il se souvient de Wright à St. John
Arrêté pour trafic de stupéfiants.
Ne se souvient pas d'avoir visité sa cellule.
Était à St. John avec sa famille pour la fin de semaine.
Vérifiera auprès du jeune Coburn à St. John.

Lors de l'entrevue qu'il a accordée à la CPP, laquelle a été enregistrée sur bande audio, le sergent d'état-major à la retraite Ouellette se rappelait que M. McCann était « très nerveux. Ouais, j'ai pensé un moment qu'il allait craquer. J'ai pensé, bon Dieu, il va finir par nous avouer quelque chose ». Il a dit à la CPP qu'ils n'avaient rien obtenu qu'ils auraient pu présenter à la Couronne. Cependant, ils croyaient que M. McCann était probablement impliqué dans des actes d'abus contre des enfants. Par conséquent, lorsque le gendarme Cole a demandé son aide, il a accepté. Il a ensuite déclaré qu'ils n'avaient pas suffisamment de preuves pour l'arrêter et qu'ils ne pouvaient pas le mettre en détention. Tout ce qu'ils pouvaient faire, c'était de se rendre chez lui pour l'interroger. À propos de l'épouse de M. McCann, il a affirmé qu'elle « n'a pas dit grand-chose. J'étais très surpris. Elle n'a même pas réagi, à rien de ce que j'ai dit. Elle est simplement restée assise là ».

Les notes qu'a prises le gendarme Cole lors de l'entrevue étaient aussi brèves que celles du sergent d'état-major Ouellette. Cependant, pendant l'entrevue qu'il a donnée à la CPP, laquelle a été enregistrée sur bande audio, il a dit qu'il croyait que M. McCann aurait dû être arrêté et interrogé. Il a également affirmé que c'est Mme McCann qui a répondu en grande partie à la place de son mari et qu'il croyait que M. McCann n'aurait pas dû être interrogé dans le confort de son salon.

13.1.3 Clôture de l'enquête

Le 30 octobre 1998, le gendarme Cole a rencontré Ian Coburn, le fils que M. McCann avait adopté auprès de l'ÉFNB. M. Coburn a affirmé qu'il n'avait jamais été victime d'abus, qu'il n'avait jamais été témoin d'abus et qu'il n'avait jamais entendu parler de quelqu'un qui aurait été victime d'abus. Il n'avait que des commentaires positifs à formuler à propos de M. McCann. Il a dit au gendarme Cole que M. Lewis ainsi que David Wright mentaient. Il a demandé si Phil Charbonneau allait être interrogé ; cependant, les notes du gendarme Cole ne sont pas claires quant aux circonstances dans lesquelles il a fait référence à M. Charbonneau ni aux raisons pour lesquelles il aurait mentionné son nom.

Le 13 novembre 1998, il a parlé avec M. Lewis, pour lui dire que M. McCann avait été interrogé et qu'il avait refusé d'admettre quoi que ce soit. Il a écrit que M. Lewis n'était pas entièrement satisfait de la situation et que ce dernier avait affirmé qu'il intenterait une poursuite afin d'obtenir une indemnisation. M. Lewis a demandé si l'entrevue enregistrée sur bande audio qu'il avait accordée à la GRC avait été envoyée au bureau de son avocat.

Dans un rapport de suivi daté du 20 avril 1999, le gendarme Cole a écrit que le dossier McCann avait fait l'objet d'une discussion lors d'une rencontre de la SEG. En conséquence, le sergent d'état-major Ouellette a décidé de préparer un rapport dans le Système d'analyse des liens entre les crimes violents (SALVAC) afin de permettre aux autres agences chargées de l'application de la loi d'accéder au dossier et de le conclure. La décision de clore l'enquête était fondée sur le fait que la Couronne n'était pas prête à aller plus loin et que, de fait, il n'y avait plus rien à faire au sujet de la plainte. Une autre note dans le même rapport, datée du 12 mai 1999, indique ceci : « SALVAC terminé et transmis. Aucune autre mesure à prendre [NFAR] concernant ce dossier ».

Remarque : À l'exception de la discussion officieuse du gendarme Cole, le 14 septembre 1998, la CPP n'a trouvé aucune référence documentaire indiquant que lui ou un autre officier a discuté de la plainte de M. Lewis avec un avocat de la Couronne ou a fourni à celui-ci de l'information à ce sujet.

Le 25 janvier 2000, le gendarme Cole a appelé M. Lewis après que ce dernier et sa copine ont laissé des messages lui demandant de les rappeler. Il a écrit dans son calepin que, lors de cet appel, il a dit à M. Lewis qu'aucune accusation ne serait portée, comme il le lui avait mentionné lors d'une conversation précédente. On l'a informé que l'avocat de M. Lewis avait précisé que, comme il était officier de la GRC, M. McCann pourrait être accusé du fait de sa situation d'autorité. M. Lewis a ajouté que l'émission de journalisme d'enquête de CTV, W-Five, était prête à diffuser un reportage racontant que la GRC avait étouffé l'affaire puisqu'elle enquêtait sur l'un de ses membres au sujet d'une infraction criminelle. En outre, M. Lewis a demandé qu'une copie de sa déclaration lui soit envoyée, puisqu'il avait congédié son avocat.

13.1.4 Brad Lewisconteste

Le 4 février 2000, M. Lewis a communiqué avec le surintendant principal Seguin, l'agent de la Police criminelle, et s'est plaint au sujet de l'enquête sur M. McCann. Il a rappelé le surintendant principal Seguin le jour même. Lors de cette conversation, M. Lewis a dit qu'il avait téléphoné à la CPP, mais qu'on lui avait répondu qu'il n'était pas possible d'examiner des plaintes au sujet d'événements survenus avant 1988. À la suite de ces appels, une rencontre a eu lieu le 7 février 2000, avec l'inspecteur Smith, officier responsable (off. resp.), Services du soutien opérationnel, et le sergent d'état-major Ouellette. Ils ont décidé que l'inspecteur Smith communiquerait avec M. Lewis et reverrait le dossier.

Le 8 février 2000, l'inspecteur Smith a communiqué avec M. Lewis. M. Lewis lui a dit que David Wright et lui n'étaient pas satisfaits du fait que M. McCann n'ait pas été accusé. Il a poursuivi en disant qu'ils avaient tous deux retenu les services d'un avocat et qu'ils étaient en contact avec les gens de l'émission The Fifth Estate, diffusée sur la chaîne CBC. L'inspecteur Smith a assuré M. Lewis qu'il étudierait le dossier et qu'il communiquerait avec lui. Après avoir revu le dossier, l'inspecteur Smith s'est demandé pourquoi aucune accusation n'avait été portée concernant le dossier de M. Lewis. Or, il a demandé au sergent Mac Eaton d'étudier l'enquête dans son ensemble. Il a de nouveau parlé à M. Lewis le 15 février 2000 et le 28 mars 2000, l'a informé de l'examen et lui a présenté un bilan des activités. Il lui a donné le nom de la caporale Paulette Delaney-Smith comme personne-ressource à joindre s'il avait des questions ou des préoccupations.

13.1.5 Examen de l'enquête

Le gendarme Cole a indiqué dans un rapport de suivi daté du 18 février 2000 qu'on lui avait demandé de répondre à plusieurs questions de la part de l'inspecteur Smith. Il s'agissait particulièrement d'expliquer pourquoi il n'avait pas envisagé le dépôt d'une accusation d'exploitation sexuelle en vertu de l'article 153 du Code criminel. Il a répondu en informant l'inspecteur Smith que l'article 153 n'était pas en vigueur au moment où les infractions présumées ont été commises. La seule accusation qui pouvait être portée était une accusation d'agression sexuelle, mais les avocats de la Couronne auxquels il s'était adressé ne souhaitaient pas procéder à un acte d'accusation simplement pour faire plaisir à M. Lewis. Tel que mentionné précédemment, la CPP n'a trouvé aucune remarque relative à sa conversation avec les avocats de la Couronne dans d'autres rapports et calepins.

Le sergent Eaton, gestionnaire du dossier, a étudié l'enquête menée par le gendarme Cole sur M. McCann et a envoyé une note de service au gendarme Cole le 7 mars 2000, dans laquelle il présente en détail certaines lacunes qu'il a relevées dans le cadre de son examen du dossier Lewis. Il a remarqué que :

conformément aux commentaires de l'insp. Smith et à l'examen du rédacteur, il est clair qu'il manque des renseignements essentiels dans ce dossier. On propose que les points suivants soient traités, en vue de présenter les infractions à la Couronne sous forme de fiche de renseignements à l'usage du procureur pour faire approuver les accusations ou autre. La réponse de la Couronne sera transmise par écrit et annexée au dossier.

Pendant l'entrevue enregistrée sur bande audio qu'a accordée le gendarme Cole à la CPP, on lui a posé des questions spécifiques sur la note de service que lui avait envoyée le sergent Eaton.

Ouais, il devrait y avoir un rapport indiquant cela, envoyé à Mac et une copie au – je pense qu'il s'agissait de Bill Smith, l'inspecteur responsable des opérations à l'époque – c'était peut-être juste un courriel.

Il n'existe aucun rapport écrit (p. ex., courriel, note de service, rapport de suivi) qui indique si le gendarme Cole a abordé les questions soulevées par le sergent Eaton dans sa note de service du 7 mars 2000, ou même la façon dont il aurait pu aborder ces questions. Le seul document qui répond à des questions relatives à son enquête est son rapport de suivi daté du 18 février 2000. Cependant, le sergent d'état-major Dunphy indique ceci dans un rapport daté du 6 juin 2001 : « Ces questions [soulevées par M. Smith] ont par la suite été clarifiées par le gend. Cole ».

Le 23 juin 2000, le sergent Eaton a rédigé un document provisoire, lequel présentait les grandes lignes d'un plan visant à élargir l'enquête pour traiter des antécédents d'abus à l'ÉFNB. Trois suspects ont été ciblés pour l'enquête, dont M. McCann. Le plan indiquait les quatre membres qui feraient partie de l'équipe ; le gendarme Cole n'était pas de ceux-là. Pendant son entrevue sur bande audio, le gendarme Cole a déclaré qu'il ne se rappelait pas exactement à quel moment il avait terminé son travail d'enquête sur l'ÉFNB ou M. McCann. Il a continué de rédiger des rapports de temps à autre jusqu'au jour où M. McCann a été arrêté. Le sergent d'état-major Dunphy a officiellement pris l'enquête en charge le 23 octobre 2000.

13.2 La plainte déposée par M. Wright

David Wright a été pensionnaire à l'ÉFNB de décembre 1982 à juin 1983 et a déposé une plainte auprès de la CPP le 19 février 2004. Un ami de son quartier, Phillip Charbonneau, qui était également pensionnaire à l'ÉFNB, lui a présenté le sergent d'état-major McCann. Le nom de M. Wright a d'abord été porté à l'attention de la GRC pendant l'enquête McCann menée par le sergent Doug Lockhart de 1992 à 1993. En mars 1993, le gendarme James McAnany a été dépêché à Edmonton pour obtenir une déclaration de la part de M. Wright. Il n'a pas été en mesure de convaincre M. Wright de fournir des détails sur le sergent d'état-major McCann, même s'il était persuadé qu'autre chose se cachait derrière ce que racontait M. Wright. L'équipe d'enquête était d'avis que M. Wright avait pu être une victime de M. McCann mais qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour accuser M. McCann.

Le nom de M. Wright a refait surface en janvier 1998. M. Lewis a communiqué avec la GRC pour déposer une plainte contre M. McCann et a mentionné le nom de M. Wright ainsi que celui de quatre autres anciens pensionnaires qu'il croyait être des victimes potentielles de M. McCann. Par conséquent, le gendarme Cole a communiqué avec M. Wright le 12 février 1998. Lors de leur conversation, M. Wright a admis qu'il avait été victime d'abus mais a dit qu'il ne voulait pas être le seul à accuser M. McCann. Il a dit au gendarme Cole qu'il ne voulait pas détruire M. McCann à cause de ce qu'on lui avait fait subir. Le jour suivant, le gendarme Cole a reçu un appel de M. Wright, l'informant qu'il était prêt à faire une déclaration écrite. Il a dit que, lorsqu'il a parlé au gendarme McAnany en 1993, il ne lui avait pas tout dit. Il a ajouté que M. McCann était en situation d'autorité. Le gendarme Cole a informé M. Wright que la portée des agressions sexuelles ne justifiait pas le dépôt d'accusations mais qu'il pourrait peut-être faire quelque chose quant à l'allégation relative à la situation d'autorité, la même allégation faite par M. Lewis, qui était représenté par le même avocat que M. Wright.

D'après le rapport de suivi, le gendarme Cole a reçu une lettre le 2 mars 1998 de la part d'un avocat, Casey J. O'Byrne. La lettre, datée du 20 février 1998, a été rédigée au nom de M. Wright; une déclaration manuscrite de quatre pages, rédigée par M. Wright demandant que M. McCann soit accusé d'agression sexuelle y était jointe. Le 2 mars 1998, le gendarme Cole a reçu de la part de M. Wright une autre déclaration manuscrite de quatre pages, dans laquelle il explique en détail d'autres incidents impliquant M. McCann. Le 30 avril 1998, le gendarme Cole a inscrit une note dans le rapport de suivi du 2 mars 1998 indiquant qu'il « n'avait pas pu travailler au dossier depuis la dernière fois. Veuillez repousser la date du journal au 29/6/1998 ».

Le 6 mai 1998, le gendarme Cole a informé M. Wright que, puisque les infractions n'étaient punissables que par voie de déclaration sommaire de culpabilité, aucune accusation n'était justifiée. Il lui a dit que M. McCann serait interrogé. D'après le rapport de suivi du gendarme Cole, M. Wright ne voulait pas que son nom soit utilisé dans une entrevue; s'il fallait l'utiliser, il préférait qu'ils ne parlent pas à M. McCann. M. Wright a demandé que l'on appelle son avocat, M. O'Byrne. Le gendarme Cole a téléphoné et a laissé un message à l'assistant de M. O'Byrne au sujet de l'enquête, demandant que M. O'Byrne le rappelle s'il avait des questions.

Après l'entrevue avec M. McCann, laquelle a eu lieu le 29 octobre 1998, le gendarme Cole, tel qu'il le mentionne dans son calepin en date du 13 novembre 1998, a parlé à M. Wright qui lui a dit qu'il était satisfait des mesures prises relatives au dossier. Le gendarme Cole a ajouté que M. Wright prévoyait poursuivre M. McCann.

Ni l'entrevue avec M. McCann ni l'enquête menée par le gendarme Cole n'ont permis de découvrir suffisamment d'éléments de preuves pour appuyer le dépôt d'accusations.

14. Enquête menée par le sergent d'état-major Dave Dunphy (2001-2003)

14.1 Contexte

Le 23 octobre 2000, le sergent d'état-major Dave Dunphy a été mandaté pour diriger l'équipe qui devait enquêter de nouveau sur les plaintes d'abus physique et sexuel survenus à l'École de formation du Nouveau-Brunswick (ÉFNB) ainsi que sur les plaintes d'abus sexuel contre le sergent d'état-major à la retraite Clifford McCann. M. McCann, retraité de la GRC depuis le 18 avril 1993, avait fait l'objet d'une enquête et avait été interrogé en 1992 et de nouveau en 1998. Aucune des deux enquêtes précédentes n'avaient permis de porter des accusations. La Couronne n'avait pas été consultée du tout lors de l'enquête de 1992 et, selon le gendarme Pat Cole du groupe des crimes graves (GCG) de Fredericton qui était enquêteur, elle n'avait été consultée que verbalement en 1998.

Au cours de l'enquête de 1992, le sergent Doug Lockhart, enquêteur, n'a reçu aucune véritable plainte d'agression sexuelle contre M. McCann, qui était alors sergent d'état-major. Par conséquent, il n'a porté aucune accusation et n'a pas consulté la Couronne au sujet des soupçons concernant M. McCann. Pendant l'enquête de 1998, des plaintes d'agressions sexuelles ont été déposées contre M. McCann; cependant, le gendarme Cole, l'enquêteur attitré, ne croyait pas pouvoir porter d'accusations. Son opinion était en partie fondée sur la nature des abus présumés et sur une conversation qu'il avait eue avec deux avocats de la Couronne qui, dit-il, lui avait mentionné que les preuves étaient insuffisantes pour porter des accusations.

Les principaux plaignants de l'enquête de 1998, les anciens pensionnaires Brad Lewis et David Wright, persistaient, par l'entremise de leur avocat, à tenter de porter des accusations. Par conséquent, une équipe d'enquêteurs a été formée en mai 2001 pour enquêter de nouveau sur toutes les plaintes relatives à l'ÉFNB et à M. McCann. Comme pour une troisième fois la GRC n'a porté aucune accusation contre M. McCann, MM. Lewis et Wright, ainsi que deux autres anciens pensionnaires, Phillip Charbonneau et Jason Brown, ont déposé des plaintes auprès de la Commission des plaintes du public contre la GRC (CPP). MM. Wright, Charbonneau et Lewis ont déposé leurs plaintes le 19 février 2004, alors que M. Brown a déposé la sienne le 5 novembre 2004. La CPP a interrogé les quatre plaignants dans le cadre de son enquête d'intérêt public.

14.2 À propos des plaintes présentées à la CPP

La CPP a reçu des plaintes de cinq hommes relatives à l'enquête de la GRC sur M. McCann. Les plaignants prétendent que l'enquête menée par la GRC sur M. McCann n'était pas suffisante et que la GRC aurait tenté d'étouffer l'affaire pour le protéger. Quatre des cinq plaignants déclarent avoir été victimes d'abus sexuel perpétrés par M. McCann alors qu'ils étaient pensionnaires à l'ÉFNB. Le cinquième plaignant a déposé une plainte en tant que tiers, au nom d'une autre personne, au sujet de l'enquête de la GRC sur les allégations d'agression sexuelle concernant M. McCann.

En août 2002, alors qu'ils terminaient leur enquête, les membres de l'équipe d'enquête du sergent d'état-major Dunphy ont préparé sept dossiers concernant les allégations contre M. McCann, pour les soumettre à un examen par la Couronne. Parmi les sept personnes, toutes d'anciens pensionnaires, on comptait quatre des cinq plaignants ayant porté plainte auprès de la CPP, ainsi que trois anciens pensionnaires qui n'avaient pas déposé de plainte à la CPP mais qui avaient été identifiés par la GRC, dans le cadre de l'enquête de 2000, comme étant des victimes potentielles. Il existe des preuves documentaires, des fiches du registre de sortie et d'autres documents de l'ÉFNB qui prouvent que M. McCann a autorisé la sortie des sept anciens pensionnaires alors qu'ils fréquentaient l'ÉFNB. La CPP a étudié en détail toutes les plaintes sur lesquelles la GRC a enquêté et que la GRC a transmises à la Couronne aux fins d'examen, afin de produire un résumé complet et précis de la façon dont la GRC a mené son enquête.

Kevin Connell, l'avocat de la Couronne chargé de revoir les dossiers, a reçu des dossiers d'information le 20 août 2002. Il a demandé d'enquêter davantage sur les sept dossiers en particulier le 30 janvier 2003, puis a reçu la plupart des renseignements supplémentaires le 4 avril 2003. M. Connell a donné ses recommandations concernant ces dossiers entre juillet et octobre 2003.

14.3 Brad Lewis, plaignant

14.3.1 Décision de ne pas porter d'accusations

Le 20 janvier 1998, à Edmonton en Alberta, les sergents d'état-major Jacques Ouellette et Dave Dunphy ont interrogé Brad Lewis. M. Lewis a fait une déclaration sur bande audio, précisant avoir été abusé sexuellement par M. McCann. Le gendarme Cole a enquêté sur cette affaire et a avisé M. Lewis, le 25 août 1998, qu'aucune accusation ne serait portée. Il a indiqué à M. Lewis que, comme les agressions sexuelles décrites étaient sommaires et que le délai prescrit pour déposer une telle accusation était passé, la Couronne n'accepterait pas de porter d'accusation.

Comme il l'a indiqué dans un rapport de suivi daté du 11 septembre 1998, le gendarme Cole a ensuite dit à M. Lewis qu'il avait parlé à la Couronne de l'allégation, à savoir que M. McCann était un responsable et avait abusé de son autorité; cependant, selon eux, l'accusation ne serait pas « retenue ». Dans un autre rapport de suivi daté du 14 septembre 1998, le gendarme Cole mentionne avoir parlé avec les deux mêmes avocats de la Couronne. Ils ont dit que, comme il n'y avait aucune corroboration, la preuve était insuffisante pour appuyer le dépôt d'une accusation. Le gendarme Cole a mentionné à M. Lewis qu'il interrogerait M. McCann et l'informerait des résultats. L'entrevue a eu lieu le 29 octobre 1998. Le 13 novembre 1998, M. Lewis a été prévenu que M. McCann n'avait avoué aucun méfait et que, par conséquent, aucune accusation ne serait portée contre lui.

Le 25 janvier 2000, le gendarme Cole a rappelé M. Lewis et l'a de nouveau informé qu'aucune accusation ne serait portée contre M. McCann parce que l'agression était de nature mineure (attouchement à la jambe). M. Lewis a affirmé que l'émission de journalisme d'enquête de CTV, W-Five, manifestait un certain intérêt à présenter un reportage sur la GRC et M. McCann. Selon son avocat, la GRC ne devrait pas faire enquête sur l'un de ses propres officiers. M. Lewis a ensuite communiqué avec le surintendant principal Michel Seguin, agent de la Police criminelle pour la Division J, le 4 février 2000. Le surintendant principal Seguin a ensuite affecté l'inspecteur Bill Smith, l'agent responsable des Services du soutien opérationnel (SSO) de la Division J, au suivi de l'affaire. L'inspecteur Smith a communiqué avec M. Lewis le 8 février 2000 et lui a dit que le dossier ferait l'objet d'un examen. Le 28 mars 2000, l'inspecteur Smith s'est adressé de nouveau à M. Lewis. Il l'a informé qu'ils procédaient à un examen complet de l'enquête sur M. McCann.

Le 28 mars 2000, l'inspecteur Smith a informé M. Lewis des progrès de l'examen et lui a mentionné que le GCG étudierait l'enquête sur l'ÉFNB en plus de l'enquête sur M. McCann. Le gendarme Phil Houle a communiqué de nouveau avec M. Lewis le 31 mars 2000 et l'a informé de ce qui était prévu pour les mois à venir.

Le 15 janvier 2001, le sergent d'état-major Dunphy, qui était alors responsable de l'enquête sur l'ÉFNB, a demandé à la GRC, Division K d'Edmonton, de communiquer avec M. Lewis et d'organiser une rencontre afin d'obtenir de sa part une déclaration sous serment enregistrée sur bande audio-vidéo (KGB). Une note de service a ensuite été envoyée, à titre de suivi, au commandant de la Division K, le 16 janvier 2001. Dans cette note, le surintendant principal Payne, agent de la Police criminelle pour la Division J, a affirmé que « M. Lewis... [se fait] de plus en plus entendre au fur et à mesure que le temps s'écoule ». Le 20 février 2001, les agents d'Edmonton ont obtenu une déclaration KGB de la part de M. Lewis.

Le 4 mai 2001, le sergent d'état-major Dunphy a envoyé une note de service à l'inspecteur Smith indiquant qu'il étudierait la plainte que M. Lewis avait déposée contre M. McCann. Le 6 juin 2001, le sergent d'état-major Dunphy a conclu, dans un rapport d'enquête qu'il a classé, qu'aucune accusation ne serait présentée à la Couronne en réponse à la plainte de M. Lewis contre M. McCann. Le sergent d'état-major Dunphy et l'inspecteur Smith ont discuté du contenu du rapport d'enquête le 8 juin 2001. Dans un bordereau d'acheminement daté du 11 juin 2001, l'inspecteur Smith indique qu'il est d'accord avec la conclusion du sergent d'état-major Dunphy :

En fait, nous avons fait plus qu'il n'en fallait en vous demandant de revoir les allégations. Toutefois, je ne crois pas que l'intérêt public serait bien servi si l'on discutait sans fin de la question et, même si nous aimerions informer les plaignants que des accusations seront portées, nous ne pouvons malheureusement pas le faire.

À la suite de la décision de la GRC, le sergent d'état-major Dunphy a discuté avec M. Lewis le 20 juin 2001 afin d'organiser une rencontre en personne pour le mois de juillet, afin de lui expliquer la décision concernant les accusations. M. Lewis a dit au sergent d'état-major Dunphy qu'il n'était pas certain de pouvoir s'engager à se présenter à une rencontre aussi longtemps d'avance puisqu'il n'avait pas d'avocat. Le sergent d'état-major Dunphy lui a répondu qu'il communiquerait avec lui quelques jours avant la rencontre pour voir s'il était possible d'organiser quelque chose. Le 11 juillet 2001, le sergent d'état-major Dunphy a tenté en vain de joindre M. Lewis.

14.3.2 Les travaux d'enquête se poursuivent

Malgré la décision du 11 juin 2001 de clore le dossier Lewis, le gendarme Al Rogers, coordonnateur du dossier, a envoyé un courriel au gendarme Pierre Gervais le 22 août 2001, lui demandant de revoir le dossier. Le sergent d'état-major Dunphy a également rédigé un rapport d'enquête daté de septembre 2001, selon lequel le dossier Lewis en relation avec M. McCann faisait actuellement l'objet d'une enquête.

Le 30 octobre 2001, le sergent d'état-major Dunphy a envoyé une lettre informant M. Lewis des raisons pour lesquelles aucune accusation ne serait portée contre M. McCann. Il a écrit ceci : « L'affaire a été remise entre les mains du procureur de la Couronne de la région qui s'est entendu avec notre enquêteur » sur le fait que l'infraction présumée était de nature sommaire. Dans le cadre de son enquête, la CPP a appris que le sergent d'état-major Dunphy faisait référence à la discussion de 1998 entre le gendarme Cole et les avocats de la couronne Jim McAvity et Kelly Winchester qui, lorsqu'ils ont été interrogés, non seulement n'avaient aucun souvenir du dossier, mais ont affirmé qu'ils n'auraient jamais donné d'avis officiel sans avoir étudié le dossier au préalable.

À nouveau, malgré la lettre datée du 30 octobre 2001 informant M. Lewis de la décision, le gendarme Gervais s'est présenté aux Archives provinciales du Nouveau-Brunswick le 29 novembre 2001 pour vérifier les registres de l'ÉFNB de 1983, parce que selon M. Lewis, c'est à cette époque que M. McCann avait obtenu des laissez-passer pour sortir avec lui. Cependant, le gendarme Gervais n'a trouvé aucun laissez-passer indiquant que M. McCann était sorti de l'établissement avec M. Lewis. Les dossiers de l'ÉFNB indiquent également que du 21 mai au 17 juillet 1983 et du 23 juillet au 25 décembre 1983, M. Lewis n'a eu aucun visiteur. Il importe de noter que le gendarme Gervais vérifiait également les registres d'activité concernant les autres plaignants en plus de ceux sur M. Lewis.

Même si le dossier Lewis semblait clos, la GRC a continué de vérifier les détails au fur et à mesure qu'ils se présentaient. Dans son entrevue avec la CPP, le surintendant principal Bill Smith a mentionné que la GRC ne ferme jamais un dossier définitivement.

14.3.3 Avocat de la couronne

En juillet 2000, le directeur des poursuites pénales a nommé comme personne-ressource pour le dossier McCann l'avocat de la Couronne Connell. Pendant l'enquête, la GRC et M. Connell ont correspondu entre eux régulièrement, par écrit et verbalement. La plupart de la correspondance écrite portait sur des points à préciser. Dans le cas des sept victimes présumées de McCann, M. Connell a demandé que l'on procède à une enquête plus approfondie sur certains renseignements contenus dans les dossiers d'information. Dans l'une de ces lettres, datée du 30 janvier 2003, M. Connell a demandé d'autres renseignements sur les plaintes déposées contre M. McCann, y compris sur la plainte de M. Lewis. La gendarme Kathy Long a répondu le 4 avril 2003, informant M. Connell que l'information relative à la plainte de M. Lewis n'était fournie que pour « les besoins de l'intégrité du dossier », étant donné qu'on avait clos le dossier du fait que l'agression présumée était considérée comme étant de « nature mineure et ne concernait qu'un attouchement », et que M. Lewis savait qu'aucune accusation ne serait portée .

14.3.4 Rapport d'allégation fallacieuse

Le 2 juin 2000, Chantal Gauthier, avocate auprès du procureur général, Direction des services juridiques, a écrit une lettre à la GRC de Fredericton au sujet d'une éventuelle allégation fallacieuse pour indemnité faite par un certain Brad Lewis.

Le 20 juin 2000, on a demandé au sergent Mac Eaton de revoir une plainte provenant de la province du Nouveau-Brunswick concernant des allégations fallacieuses faites par des personnes cherchant à être indemnisées pour les abus dont elles auraient été victimes à l'ÉFNB perpétrés par Karl Toft, l'une de ces allégations étant celle soulevée par M. Lewis. Cependant, le bordereau d'acheminement qu'il a reçu de la gendarme Guylaine Chamberland de la Section des délits commerciaux n'indiquait pas le nom de M. Lewis. La CPP n'a pas pu interroger le sergent Eaton pour obtenir des précisions car il est décédé en mai 2005.

À la suite de cela, le sergent d'état-major Dunphy a communiqué avec le gendarme Noël Cyr le 8 décembre 2003 au sujet de la plainte du Nouveau-Brunswick faite en juin 2000. Le sergent Ray Duguay de la Section des délits commerciaux a transmis la plainte au gendarme Rogers le 15 juin 2004. Le gendarme Rogers a déposé un rapport de suivi daté du 18 juin 2004, dans lequel il fait état d'une conversation qu'il a eue avec le sergent Duguay le 9 juin 2004. Il a également recommandé que l'affaire fasse l'objet d'une enquête par une force policière autre que la GRC et que, comme cette affaire concernait M. Lewis, elle soit étudiée en tant que fraude possible et éventuel méfait public.

Le 21 juin 2004, le sergent d'état-major Dunphy a proposé au surintendant Dan Nugent, agent responsable des SSO – par souci d'impartialité et en raison de la poursuite au civil en cours contre la GRC, intentée par l'avocat de M. Lewis en son nom en novembre 2002 – de demander qu'une enquête sur la question soit entreprise par les services policiers d'Edmonton. Le bordereau d'acheminement envoyé par le sergent d'état-major Dunphy au surintendant Nugent était le dernier document associé à la plainte pour allégations fallacieuses; rien n'indique que la GRC a fait enquête sur la plainte.

14.4 David Wright, plaignant

David Wright a été pensionnaire à l'ÉFNB du 14 décembre 1982 au 13 juin 1983. Les dossiers indiquent que, pendant cette période, M. McCann a obtenu des laissez-passer pour sortir avec lui à 23 reprises. Le nom de M. Wright comme victime potentielle a d'abord été porté à l'attention de la GRC lorsque l'ancien pensionnaire Jason Brown, un autre plaignant à la CPP, a cité son nom en février 1993. À ce moment-là, le sergent Doug Lockhart enquêtait sur les allégations faites contre le personnel de l'ÉFNB. Pendant son entrevue avec le sergent Lockhart, M. Brown a dit que M. Wright lui avait révélé que M. McCann lui avait fait des avances après qu'il a quitté l'ÉFNB et lorsqu'ils étaient dans un hôtel à Saint John.

Le gendarme James McAnany a effectué une entrevue de suivi avec M. Wright le 30 mars 1993. Il était d'avis que M. Wright ne lui avait pas tout dit sur ce qui s'était passé pendant la période où il fréquentait l'ÉFNB. Le 12 octobre 1993, le gendarme McAnany a informé M. Wright qu'aucune accusation ne serait portée en raison de la nature de sa plainte.

Le nom de M. Wright a été soulevé de nouveau lorsque M. Lewis a fait sa déclaration à la GRC le 20 janvier 1998. Le gendarme Cole a mené l'enquête de suivi. C'est en partie à cause de l'obstination de M. Lewis que la GRC a revu les allégations de M. Wright. Comme il l'avait fait dans le cas de M. Lewis, le sergent d'état-major Dunphy a demandé, le 15 janvier 2001, que la Division K d'Edmonton obtienne une déclaration KGB auprès de M. Wright. Le gendarme Kurt Kaiser de la Division K a obtenu une déclaration sur bande audio le 9 février 2001; l'avocat de M. Wright était présent lors de l'enregistrement.

14.4.1 Enquête sur la plainte déposée par M. Wright

Le 1er  mai 2001, l'équipe qui avait été formée pour enquêter sur l'ÉFNB et sur les plaintes contre M. McCann a tenu sa première rencontre officielle. Le 4 mai 2001, le sergent d'état-major Dunphy a écrit une note de service à l'intention de l'inspecteur Smith, l'agent responsable du SSO, l'informant que MM. Wright et Lewis avaient déposé des plaintes contre M. McCann et qu'il enquêterait sur ces plaintes. Le 24 mai 2001, la caporale Paulette Delaney-Smith a parlé à M. Brown qui a mentionné que M. Wright lui avait dit que personne ne s'occupait de sa plainte contre M. McCann.

Le 6 juin 2001, le sergent d'état-major Dunphy a déposé un rapport d'enquête concernant MM. Lewis et Wright. Dans son rapport, il fait référence aux allégations faites contre M. McCann mais ne présente pas en détail les éléments, s'il en est, sur lesquels il a fait enquête. Dans son examen de la documentation pertinente, il semble que le sergent d'état-major Dunphy a revu ce que les autres enquêteurs de la GRC avaient fait au cours des années précédentes. Rien n'indique qu'il ait mené une enquête plus approfondie sur la plainte déposée par M. Wright. Il affirme toutefois qu'un dossier d'information sera soumis à la Couronne afin d'obtenir un avis écrit concernant les accusations fondées sur la plainte de M. Wright contre M. McCann.

Le 13 juillet 2001, le sergent d'état-major Dunphy a rencontré M. Wright et son avocat, M. Casey O'Byrne. Avant la réunion, il a rencontré M. Brown, qui prétend avoir été une victime de M. McCann. Lors de leur rencontre, M. Brown a affirmé que, depuis qu'il avait parlé à la GRC en février 1993, M. Wright lui avait raconté une histoire différente à propos de l'incident présumé survenu à l'hôtel. Il a demandé au sergent d'état-major Dunphy d'informer M. Wright que quelqu'un d'autre était prêt à parler au sujet de M. McCann. Or, au moment de sa rencontre avec le sergent d'état-major Dunphy le 13 juillet 2001, M. Wright a décrit des actes de masturbation mutuelle et a dit que M. McCann lui avait fait une fellation à l'hôtel.

Lors de la rencontre du 13 juillet 2001, le sergent d'état-major Dunphy a expliqué à M. Wright et à son avocat les problèmes de crédibilité soulevés en raison du fait que, lors de l'enquête de 1993, M. Wright n'avait pas donné tous les détails concernant ce qui s'était passé entre lui et M. McCann. Cependant, dans son rapport de suivi daté du 13 juillet 2001, le sergent d'état-major Dunphy a affirmé que les propos de M. Wright du 13 juillet étaient pratiquement les mêmes que ceux livrés en 1998, à l'exception de la description des actes de fellation et de masturbation mutuelle, lesquels n'avaient pas été mentionnés auparavant. Dans un rapport de suivi subséquent, daté du 30 octobre 2001, le gendarme Rogers a écrit que M. Wright avait déclaré que « M. McCann lui avait proféré des menaces "à la blague" alors qu'il était au CFJ, lui disant "ne le dis à personne sinon je te tue" ».

Le 22 août 2001, à titre de coordonnateur du dossier, le gendarme Rogers a envoyé un courriel au gendarme Gervais, lui demandant de revoir le dossier Wright ainsi que d'autres dossiers portant sur les plaintes déposées contre M. McCann. Le sergent d'état-major Dunphy et le gendarme Rogers ont affirmé dans un rapport d'enquête que le dossier Wright, ainsi que ceux de MM. Charbonneau, Brown et Lewis, étaient sous enquête.

Dans un rapport de suivi daté du 30 septembre 2001, la gendarme Long a dressé une liste des choses à faire concernant le dossier Wright, dont obtenir des registres de laissez-passer de l'ÉFNB. Il semble que ce soit la première indication qu'une autre enquête était menée concernant la plainte déposée par M. Wright contre M. McCann. Le 23 octobre 2001, le juge H. Hazen Strange a signé une ordonnance accordant à la GRC l'accès aux dossiers des Archives provinciales. Le 24 octobre 2001, le caporal Clive Vallis s'y est rendu et a obtenu les registres de sortie de M. Wright. C'est à ce moment que la GRC a appris que, de février à juin 1983, M. McCann avait autorisé sur signature la sortie de M. Wright, et ce, à 23 reprises .

Dans une note prise dans son calepin datée du 13 janvier 2002, le sergent d'état-major Dunphy a écrit que l'avocat de la Couronne, M. Connell, souhaitait que le fils biologique de M. McCann soit interrogé au sujet d'un incident survenu dans les douches du YMCA dont M. Wright avait fait mention dans sa déclaration de 1998. Selon M. Wright, M. McCann avait ri de son (Wright) pénis et l'avait saisit en blaguant. Cependant, le sergent d'état-major Dunphy semble avoir pris une décision unilatérale de ne pas interroger le fils de M. McCann parce qu'aucune preuve n'indiquait que celui-ci avait été témoin de quoi que ce soit. La gendarme Long n'était pas d'accord avec cette décision. Dans son entrevue à la CPP, M. Connell a affirmé être d'avis que le fils de M. McCann aurait dû être interrogé. Cependant, il ne s'est pas mêlé de l'enquête.

Le caporal Vallis a poursuivi son enquête sur le lien entre M. Wright et M. McCann en interrogeant d'anciens membres de l'équipe de hockey junior de M. McCann, des officiers de la GRC qui étaient membres du même club de raquetball auquel M. McCann aurait emmené certains des garçons de l'ÉFNB et des agents de probation qui avaient accès au dossier de M. Wright. Son enquête a continué de novembre 2001 à janvier 2002 et s'est terminée par une entrevue avec un agent de probation, le 25 janvier 2002. Pendant l'entrevue, l'agent de probation a affirmé qu'il n'était au courant d'aucun comportement inconvenant de la part de M. McCann à l'endroit des pensionnaires.

Lors de la rencontre, le caporal Vallis a examiné le dossier de probation de M. Wright. Le dossier comportait un commentaire qu'un autre agent de probation avait écrit le 10 mai 1984 : « McCann s'intéresse toujours à David. Et son intérêt va au-delà du cadre de ses fonctions ». Le caporal Vallis a interrogé son agent de probation au sujet de la raison pour laquelle il a écrit le commentaire dans le dossier. Il a répondu qu'il ne pouvait se rappeler, mais qu'il devait avoir été impressionné par l'intérêt que manifestait M. McCann envers M. Wright. Aucune des entrevues menées par le caporal Vallis n'ont permis d'aider la GRC à obtenir des éléments de preuve pour corroborer la plainte de M. Wright.

14.4.2 Conclusion de l'enquête Wright

Quatre courriels envoyés par le gendarme Rogers à l'équipe d'enquête, datés du 5 février 2002, du 12 février 2002, du 18 février 2002 et du 25 février 2002, indiquaient que le dossier Wright était terminé et qu'un dossier d'information serait préparé pour la Couronne. Cependant, même si le dossier Wright semblait achevé, la gendarme Long continuait d'interroger les gens pour connaître ce qu'ils savaient à propos d'événements qui se seraient produits entre M. McCann et M. Wright. L'une de ces entrevues a été réalisée le 24 avril 2002 avec Ian Coburn, de l'ÉFNB, que la famille McCann avait adopté. La CPP a également interrogé M. Coburn le 6 novembre 2005, à son travail à Saint John, au Nouveau-Brunswick. Tout comme dans son entrevue avec la gendarme Long, M. Coburn a parlé dans des termes élogieux de M. McCann et a nié avoir été abusé, et avoir entendu parler d'actes d'abus commis par M. McCann de la part d'autres pensionnaires de l'ÉFNB.

14.4.3 Décision de la Couronne

Après avoir reçu un dossier d'information sur la plainte de M. Wright et sur l'enquête qui a suivi le 20 août 2002, l'avocat de la Couronne, M. Connell, a envoyé une lettre au sergent d'état-major Dunphy le 30 janvier 2003, dans laquelle il demandait qu'on lui envoie d'autres renseignements et qu'une enquête plus approfondie soit menée concernant certains aspects de la plainte de M. Wright. M. Connell souhaitait que six questions soient abordées avant qu'il ne donne ses recommandations. La gendarme Long a révisé la lettre de M. Connell, y a répondu le 4 avril 2003 et a finalisé sa demande le 8 mai 2003.

Le 21 août 2003, M. Connell a envoyé une lettre de sept pages au sergent d'état-major Dunphy, soulignant les raisons pour lesquelles il recommandait qu'aucune accusation ne soit portée contre M. McCann relativement à la plainte de M. Wright. Il a mentionné l'enquête de 1993 menée par le gendarme McAnany et a fait référence à l'entrevue de M. Wright enregistrée sur bande audio le 30 mars 1993, faisant ressortir plusieurs pages particulières de la transcription de la déclaration enregistrée sur bande audio.

Il a évoqué plusieurs déclarations faites par M. Wright lors de l'entrevue, lesquelles comprenaient le commentaire qu'il avait émis en réponse à la question de son avocat, à savoir qu'il disait tout et qu'il ne cachait rien; son opinion de M. McCann alors qu'ils étaient à l'hôtel, à savoir « je sentais qu'il voulait avoir des rapports sexuels avec moi » ; et les pages sur lesquelles M. Wright affirme que M. McCann ne l'a pas agressé sexuellement et où il décrit que ce dernier lui a tapoté les fesses et saisit les « couilles » pour « faire un genre de blague » . Il a aussi fait référence à la déclaration écrite de neuf pages de M. Wright dans laquelle, en réponse à la question de savoir si M. McCann l'avait touché dans la région de l'aine, M. Wright a répondu : « Je ne me rappelle pas s'il l'a fait ou non ».

Dans les allégations de 1998 sur lesquelles le gendarme Cole a fait enquête, M. Connell a relevé des modifications que M. Wright avait apportées à sa première plainte de 1993, y compris le fait que M. Wright avait dit au gendarme Cole qu'il n'avait jamais été victime d'agression sexuelle lorsqu'il fréquentait l'ÉFNB. Il a ensuite fait référence au fait que M. Wright avait changé d'avis lorsqu'il a informé le gendarme Cole qu'il lui enverrait une déclaration, ce qu'il a fait. Comme M. Connell l'a écrit dans sa réponse au sergent d'état-major Dunphy, « étant donné ces nouvelles allégations changeantes, il n'est pas étonnant que le 6 mai 1998, le gendarme Cole ait informé M. Wright qu'il n'était pas justifié de porter d'accusations criminelles ».

M. Connell a traité les plus récentes allégations de M. Wright, soit celles de 2001, en relevant les contradictions et les ajouts par rapport à la première plainte déposée en 1993.

La déclaration indiquant qu'un acte sexuel a eu lieu dans [un hôtel] à Saint John constitue une nouvelle allégation. M. Wright a dit à son ami, Jason Brown, que M. McCann lui avait fait des avances vers le milieu des années [1980]. En 1993, il a dit au caporal McAnany qu'il soupçonnait M. McCann de lui avoir fait des avances homosexuelles. M. Wright a fait les mêmes déclarations, au sujet d'avances homosexuelles, au gendarme Cole ainsi qu'au sergent Hayes en 1998 et en 2001. Il n'a jamais été question d'acte sexuel proprement dit.

Les menaces de mort [sont] un autre élément complètement nouveau. M. Wright, dans sa déclaration dactylographiée du 30 mars 1993 [à la page 9 de la déclaration] a précisé que M. McCann ne l'avait jamais menacé ni intimidé. En 1998, il n'a parlé d'aucune menace au gendarme Cole. En 2001, lorsqu'il a fait sa déclaration sous serment devant le sergent Hayes [à la page 10 de la transcription], il n'a mentionné aucune menace relative à la dernière conversation qu'il avait eue avec M. McCann en 1993.

Au moment de résumer les motifs de sa décision, M. Connell a fait référence à une note de service datée du 4 avril 2003 envoyée par la gendarme Long :

Il a été décidé de ne porter aucune accusation, non pas parce que nous doutons du fait que certains des actes sexuels aient pu être commis, mais en raison du manque de cohérence dont il a fait preuve dans sa divulgation des incidents, de ses différentes déclarations comportant de nombreux détails et dans sa capacité d'être franc à propos des agressions sexuelles présumées, ce qui remet en question sa crédibilité.

M. Connell a conclu son résumé des preuves contre M. McCann, lequel contient sept pages, sur le fondement des allégations de M. Wright :

La crédibilité de M. Wright est très faible. Plusieurs facteurs sont problématiques, notamment son casier judiciaire, le fait qu'il soit alcoolique et toxicomane ainsi que les versions de plus en plus incriminantes qu'il a données des actes d'agression sexuelle présumés. Étant donné les observations qui précèdent, je recommande qu'aucune accusation criminelle ne soit portée contre M. McCann au sujet de ces allégations .

La GRC a pris la décision de ne pas porter d'accusation contre M. McCann en juillet 2001. Lorsqu'il a appris cette décision, M. Wright a fait de nouvelles allégations, que la GRC a étudiées. Cependant, le 4 avril 2003, M. Wright a de nouveau été avisé, cette fois par la gendarme Long, qu'aucune accusation ne serait portée contre M. McCann. Même si la GRC avait décidé de ne pas porter d'accusation contre M. McCann, elle a préparé un dossier d'information qu'elle a soumis à l'avocat de la Couronne, M. Connell, afin d'obtenir son avis.

14.5 Jason Brown, plaignant

Jason Brown a été pensionnaire à l'ÉFNB du 14 avril au 19 juin 1981 et de nouveau du 8 mars au 24 juin 1982. Les documents indiquent que M. McCann a obtenu des laissez-passer pour sortir M. Brown à huit reprises pendant son deuxième séjour à l'ÉFNB.

Le nom de M. Brown a été porté à l'attention de la GRC pour la première fois le 7 décembre 1992. La GRC a communiqué avec lui et l'a interrogé. C'est alors qu'il a nié avoir été abusé par qui que ce soit. Le 7 octobre 1999, M. Brown a assisté à une entrevue préalable (procédure judiciaire au cours de laquelle on prend la déposition sous serment des témoins) relative aux allégations d'actes d'abus commis par M. Toft. Pendant l'interrogatoire, on lui a demandé si quelqu'un d'autre que Karl Toft lui avait permis de sortir de l'ÉFNB avec des laissez-passer; il a mentionné le nom de M. McCann. Cependant, il n'a jamais révélé avoir été abusé par M. McCann; il a plutôt dit que M. McCann l'avait bien traité.

Dans le cadre de l'enquête de la GRC sur les plaintes déposées par Lewis et Wright, les deux hommes ont indiqué que M. McCann avait fait sortir à plusieurs reprises M. Brown en obtenant des laissez-passer. Lorsque l'inspecteur Smith a revu le dossier le 10 février 2000, il a remarqué que M. Brown n'avait pas été joint et a demandé que ce dernier soit interrogé. Le 7 mars 2000, le sergent Eaton a écrit une note de service au gendarme Cole lui demandant si M. Brown avait été interrogé.

Dans un rapport de suivi daté du 15 juin 2000, la gendarme Delaney-Smith a écrit qu'elle avait obtenu de l'information permettant d'identifier M. Brown en tant que victime de M. McCann et qu'elle communiquerait avec la mère de ce dernier pour obtenir d'autres renseignements. Le 23 mai 2001, elle a parlé à Mme Brown, qui lui a dit avoir toujours eu des soupçons sur M. McCann. Mme Brown a précisé qu'elle demanderait à son fils de communiquer avec la caporale Delaney-Smith. Le 24 mai 2001, M. Brown a communiqué avec la caporale Delaney-Smith et lui a dit qu'il suivait une thérapie pour surmonter ce qu'il avait vécu à l'ÉFNB et qu'il la rappellerait bientôt. Après cela, le sergent d'état-major Dunphy a parlé à M. Brown le 28 juin 2001 et une rencontre a été prévue à Saint John. M. Brown a dit qu'il ne voulait pas être interrogé chez lui ni dans les bureaux de la GRC.

Le 6 juillet 2001, le sergent d'état-major Dunphy a écrit dans un rapport de suivi qu'une rencontre préliminaire avait eu lieu avec M. Brown « Il semblait être une personne très crédible, qui avait eu certains démêlés avec la justice par le passé, mais qui, de façon générale, était un père productif et responsable ».

Le sergent d'état-major Dunphy a informé M. Brown pendant leur rencontre que, s'il décidait de parler et que l'information fournie ne concernait que des attouchements mineurs, aucune accusation ne serait portée contre M. McCann. M. Brown lui a répondu qu'il connaissait la différence entre une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité et une infraction punissable par mise en accusation et que « si je décide de vous parler, Cliff McCann ira en prison ».

Le 23 août 2001, le sergent d'état-major Dunphy a enregistré sur bande audio la déclaration de M. Brown, dans laquelle il décrit en détail des actes de masturbation, de fellation et de sodomie survenus à plusieurs occasions. Il a aussi dit clairement qu'il ne voulait pas témoigner mais qu'il le ferait, s'il fallait en arriver là. Après l'entrevue, le gendarme Gervais a obtenu une ordonnance du tribunal le 23 octobre 2001 accordant à la GRC l'accès aux dossiers archivés de M. Brown concernant son séjour à l'ÉFNB. Les dossiers ont été obtenus des Archives provinciales le 25 octobre 2001.

Le caporal Vallis a tenté de corroborer une partie de la déclaration de M. Brown au sujet d'un chèque qu'il a dit avoir reçu après avoir appelé M. McCann pour lui demander de l'argent en 1986 ou 1987. Le chèque qui, aux dires de M. Brown, avait été signé par Mme McCann, avait été fait au montant de 400 ou 500 $. Cependant, le caporal Vallis a appris qu'à ce moment-là, les dossiers bancaires n'étaient conservés que pendant six ou sept ans. M. Brown a aussi affirmé que M. McCann l'avait amené jouer au raquetball. Le caporal Vallis a vérifié auprès de l'ancien propriétaire du club de raquetball (aujourd'hui fermé) et on lui a dit que les dossiers avaient été détruits. Le caporal Vallis a été en mesure de retrouver et d'interroger des membres de la GRC qui jouaient au même club de raquetball que M. McCann, ainsi que plusieurs personnes qui avaient joué au hockey ou qui assumaient un certain rôle dans la gestion de l'équipe de hockey à laquelle M. McCann avait été associé. Il a de plus interrogé d'anciens employés et agents de probation de l'ÉFNB qui connaissaient M. Brown ou qui avaient accès à ses dossiers. Aucune personne interrogée n'a fourni de renseignements permettant de corroborer la plainte de M. Brown.

14.5.1 Décision de la Couronne

L'information recueillie relative à la plainte de M. Brown a été envoyée à l'avocat de la Couronne, M. Connell, le 20 août 2002. En raison d'autres engagements, M. Connell n'a pas été en mesure de revoir la documentation avant janvier 2003. Le 30 janvier 2003, M. Connell a envoyé une demande au sergent d'état-major Dunphy lui demandant d'autres renseignements et plus de précisions concernant la plainte déposée par M. Brown. La gendarme Long a répondu aux demandes de M. Connell le 4 avril 2003 et a finalisé sa demande le 8 septembre 2003.

Le 16 octobre 2003, M. Connell a envoyé une lettre d'opinion de sept pages au sergent d'état-major Dunphy, indiquant « qu'un acquittement est plus probable qu'une condamnation », et que par conséquent, la Couronne ne porterait aucune accusation. Comme dans le cas des autres dossiers étudiés, le principal motif qui sous-tend son opinion était presque entièrement fondé sur la crédibilité des plaignants. Dans le cas de M. Brown, M. Connell a fait référence aux trois occasions où l'on a demandé à M. Brown s'il avait été abusé par quiconque alors qu'il était à l'ÉFNB, questions auxquelles il a répondu par la négative. Il a également mentionné la transcription du témoignage sous serment que M. Brown a fait lors de l'interrogatoire préalable, alors qu'il a dit que M. McCann était « correct ».

Il a fait référence à la déclaration de suivi que le gendarme Rogers a prise le 24 janvier 2002 :

Fait encore plus préjudiciable dans ce cas, c'est que M. Wright, dans une déclaration faite le 30 mars 1993 [pag 25 de la transcription], a informé la police que M. Brown avait nié lors de leur conversation toute agression sexuelle perpétrée par M. McCann contre lui.

M. Connell a également fait des déclarations concernant le fait que M. Brown était alcoolique et toxicomane, fait que, a-t-il noté, la mère de M. Brown a confirmé lors d'une entrevue avec la gendarme Long, et il a ajouté que M. Brown a passé cinq mois dans un centre de désintoxication. Il a fait référence au fait que M. Brown faisait face à une accusation d'homicide involontaire à Fort McMurray en Alberta, crime qu'il aurait commis alors qu'il était sous l'emprise de substances toxiques.

L'alcoolisme et la toxicomanie de M. Brown se sont aggravés au point où il est capable d'enlever la vie à une autre personne. La dégradation cérébrale qu'a causée un tel abus vient mettre en doute sa capacité de se souvenir d'événements et de rationaliser les faits.

M. Connell a affirmé qu'à la lumière de son casier judiciaire et étant donné qu'il est toxicomane et alcoolique, qu'il a déjà nié les incidents, que l'on a relevé des incohérences dans ses déclarations et qu'une accusation d'homicide involontaire est portée contre lui, M. Brown n'est pas suffisamment crédible pour appuyer une poursuite.

14.6 Phillip Charbonneau, plaignant

Phillip Charbonneau a été pensionnaire à l'ÉFNB du 21 avril 1982 au 8 avril 1983. Les dossiers indiquent que, pendant cette période, M. McCann a obtenu des laissez-passer pour sortir avec M. Charbonneau à au moins 57 reprises. L'ancien pensionnaire Michel Minto a été le premier à mentionner le nom de M. Charbonneau lors d'une entrevue avec le gendarme McAnany le 7 février 1992. M. Minto a dit qu'il était jaloux de M. Charbonneau parce qu'il sortait toujours avec M. McCann. Après avoir pris connaissance de cette information, le gendarme McAnany a commencé à faire des recherches sur M. Charbonneau et a découvert qu'il était incarcéré dans un pénitencier fédéral situé en Colombie-Britannique.

Le 23 mars 1993, le gendarme McAnany a interrogé M. Charbonneau au pénitencier. Bien que ce dernier ait décrit avoir été abusé par M. Toft, il a nié que M. McCann avait abusé de lui. Il a affirmé être resté en contact avec M. McCann et lui avoir parlé trois semaines auparavant. Il a donné des détails concernant les actes d'abus dont il avait été victime aux mains de M. Toft, lesquels ont entraîné le dépôt d'accusations contre M. Toft le 22 octobre 1993. Tel qu'on l'indique dans les chapitres précédents, le 29 octobre 1993, le procureur général du Nouveau-Brunswick a suspendu cette accusation, ainsi que 14 autres accusations portées contre M. Toft.

Dans un rapport de suivi daté du 17 décembre 1993, le gendarme Rick Evans a écrit qu'il a reçu des renseignements confidentiels indiquant que M. McCann rendait régulièrement visite à M. Charbonneau pendant qu'il était incarcéré au Pénitencier de [...]. Le 24 janvier 1994, le sergent Lockhart a écrit dans un rapport de suivi « qu'il se passe évidemment quelque chose entre M. McCann et Charbonneau, tel qu'indiqué précédemment dans le présent rapport, mais aucun cas d'abus n'a été signalé et, pour cette raison, le dossier est clos ».

Le nom de M. Charbonneau a continué d'être cité pendant l'enquête de 1998 menée par le gendarme Cole. C'est pourquoi le gendarme Cole a communiqué avec l'Établissement [...] le 13 février 1998 et a demandé aux autorités si M. Charbonneau accepterait de parler à la GRC. Le gendarme Cole a obtenu pour seule réponse que M. Charbonneau n'avait rien à dire à la police. Cependant, à la suite de la plainte déposée par M. Lewis en février 2002, l'inspecteur Smith a obligé M. Charbonneau à se soumettre à une entrevue. En juin 2000, la gendarme Delaney-Smith a parlé à la mère de M. Charbonneau, qui lui a dit que son fils n'avait jamais mentionné avoir été agressé sexuellement à l'ÉFNB. Elle a également confirmé l'intérêt de M. McCann pour son fils et le lien qui les unissait.

Le 9 juin 2000, la gendarme Delaney-Smith a communiqué avec M. Charbonneau. Cette fois, il a dit qu'il avait été victime d'abus sexuel perpétrés par M. McCann alors qu'il était pensionnaire à l'ÉFNB de 1982 à 1983 et également pendant qu'il était incarcéré dans un pénitencier fédéral en Nouvelle-Écosse, de 1983 à 1984. Il a déclaré à la gendarme Delaney-Smith qu'il n'était pas prêt à parler des actes d'abus au moment où le gendarme McAnany l'a interrogé en 1993.

Le 11 janvier 2001, la gendarme Delaney-Smith a discuté avec la mère de M. Charbonneau et a obtenu le numéro de téléphone auquel on pouvait joindre son fils. Elle a écrit que M. Charbonneau comprenait qu'il faut du temps pour mener à bien une enquête et qu'il serait prêt à parler si une rencontre était organisée. Au mois de janvier 2001, la gendarme Long a interrogé les parents de M. Charbonneau. Ils ont tous deux dit qu'ils connaissaient M. McCann. Le père de M. Charbonneau était déjà allé souper au domicile de la famille McCann lorsque M. Charbonneau y vivait, et la mère de M. Charbonneau avait parlé à M. McCann au téléphone à plusieurs reprises. Les parents de M. Charbonneau n'avaient pas vu leur fils depuis quelques années et ils n'étaient pas au courant se ses affirmations selon lesquelles il avait été victime d'abus.

Le 22 janvier 2001, le sergent d'état-major Dunphy a envoyé une demande à l'agent de la Police criminelle de la Division E en Colombie-Britannique pour qu'un officier obtienne une déclaration KGB de la part de M. Charbonneau. Le 21 février 2001, le caporal Denis Durand, du GCG au détachement Mission en Colombie-Britannique, a envoyé un courriel indiquant qu'il rencontrerait M. Charbonneau et qu'il ferait en sorte d'obtenir une déclaration. Le caporal Durand a finalement obtenu une déclaration sous serment enregistrée sur bande audio-vidéo (KGB) le 25 mai 2001. Il a fallu tout ce temps pour obtenir la déclaration en partie parce que les services policiers d'Halifax s'informaient au sujet de M. Charbonneau et de l'enquête sur le meurtre dans lequel celui-ci était impliqué, sans compter que le gendarme Durand partait en congé.

Afin de confirmer l'allégation de M. Charbonneau, à savoir que M. McCann lui avait rendu visite dans plusieurs institutions pénitentiaires, la GRC a communiqué avec l'agent de sécurité préventive à l'établissement (ASPE) de chaque institution. Le 31 janvier 2002, le caporal Vallis a interrogé un agent de correction qui occupait le poste d'ASPE au Pénitencier [...]. Il a confirmé qu'il connaissait M. McCann et que ce dernier rendait visite à M. Charbonneau alors qu'il était incarcéré au Pénitencier [...]. Il a également confirmé que, pendant ces visites, M. McCann demandait à utiliser son bureau, pour lui-même et M. Charbonneau.

Le 14 février 2002, la gendarme Denise Potvin a interrogé un ancien ASPE qui travaillait à l'Établissement [...]. Il a confirmé que M. McCann était autorisé à faire sortir M. Charbonneau s'il détenait un laissez-passer. Les laissez-passer devaient toutefois être approuvés par le Comité d'autorisation des permissions de sortir. Il a indiqué que M. McCann était probablement en mesure d'obtenir une telle autorisation par une recommandation au Comité, sur le fondement qu'il était un officier de la GRC. Il a également confirmé que M. McCann aurait obtenu l'autorisation de sortir M. Charbonneau sans escorte parce qu'il était policier.

14.6.1 Sommaire de l'enquête

En 2001, alors que la GRC menait une enquête sur le sergent d'état-major McCann, M. Charbonneau était incarcéré. Le sergent d'état-major Dunphy ainsi que M. Connell ont tous deux indiqué dans leurs rapports respectifs, datés du 6 juin 2001 et du 18 juillet 2003, que M. Charbonneau serait prêt à coopérer à condition qu'il soit transféré dans un autre établissement.

Dans un rapport d'enquête daté du 6 juin 2001, le sergent d'état-major Dunphy a présenté un résumé des efforts que la GRC a déployés pour entrer en contact avec M. Charbonneau et l'interroger. « Puisqu'à une occasion il [M. Charbonneau] a affirmé qu'il ne pourrait pas nous parler pendant qu'il était à l'Établissement [...] et qu'il tentait d'obtenir un transfert, ce qui lui permettrait ensuite de coopérer avec nous ». Il a également écrit que « aucune information importante n'a été obtenue auprès de M. Charbonneau et je crois que sa crédibilité pourrait soulever de sérieux doutes ». Soit M. Charbonneau refusait de parler avec les membres de la GRC du détachement de Mission, soit il était frappé d'une mesure disciplinaire. Il a également écrit que M. Charbonneau ne ferait une déclaration que s'il était transféré dans un autre établissement. Il est important de noter que dans sa déclaration KGB, M. Charbonneau a fourni des détails précis concernant les agressions sexuelles ainsi que les heures et les lieux approximatifs, et que certains détails ont par la suite été corroborés par d'autres membres de l'équipe d'enquête.

Les conclusions du sergent d'état-major Dunphy concernant M. Charbonneau semblent prématurées. Le 15 juin 2001, le caporal Durand, l'officier qui a recueilli la déclaration de M. Charbonneau, a envoyé un courriel au gendarme Rogers indiquant qu'il avait rempli la transcription et qu'il l'enverrait le plus tôt possible. Les membres de la GRC de la Division J ont reçu la déclaration KGB ainsi que les rapports de suivi du caporal Durand le 21 juin 2001.

Volonté de coopérer

La séquence chronologique suivante traduit clairement la volonté de M. Charbonneau de coopérer et à aucun moment on ne mentionne qu'il a refusé de faire une déclaration, comme l'ont écrit dans leurs rapports respectifs le sergent d'état-major Dunphy et M. Connell. Les officiers mentionnés ci-dessous n'ont jamais décrit M. Charbonneau comme étant non-coopératif.

L'officier de la GRC qui a interrogé M. Charbonneau le 25 mai 2001 et qui a obtenu un enregistrement audio et vidéo de sa déclaration (KGB) est le caporal Durand de la Section des enquêtes générales (SEG) du détachement de Mission. Le 21 juin 2001, il a envoyé à la SEG de Fredericton une copie de la transcription de l'entrevue, la déclaration KGB, le préambule du KGB signé, ainsi qu'un rapport de suivi de 13  pages. Le sergent d'état-major Dunphy et son équipe ont reçu l'ensemble des documents le 4 juillet 2001.

Le caporal Durand a pris des dispositions pour communiquer avec M. Charbonneau le 21 février 2001 à 10 h 27, moment où il a pris les notes suivantes dans son rapport :

  • ... Il est toujours prêt à faire une déclaration sous serment, enregistrée sur bande audio-vidéo.
  • ... Actuellement, il a volontairement demandé à être en détention protégée dans l'établissement à sécurité moyenne [...] en raison de certains problèmes de compatibilité avec d'autres détenus (apparemment des conséquences d'un témoignage devant la Couronne dans le cadre d'une enquête sur un homicide en Nouvelle-Écosse).
  • ... Le fait de fournir la déclaration demandée à l'établissement l'inquiète, étant donné la situation actuelle; cependant, il est d'avis qu'une fois transféré, il serait plus facile pour lui de sortir et de faire sa déclaration.

Le caporal Durand a découvert que des mesures étaient en cours pour faire transférer M. Charbonneau mais que cela nécessiterait peut-être quelques semaines; d'ici là, « Charbonneau demeure volontairement au "trou" à [...] ».

Le 5 avril 2001, le caporal Durand est de nouveau retourné à l'établissement, où on l'a emmené dans une salle d'isolement pour parler avec M. Charbonneau d'une autre affaire impliquant sa sour. En raison de la nature urgente de l'affaire et du fait qu'aucune date définitive n'avait été fixée pour son transfert, le caporal Durand a indiqué dans son rapport : « M. Charbonneau, sans y réfléchir plus longuement, a dit qu'à condition que l'escorte de la [GRC] [vers le détachement] ne gêne pas son transfert, il accepterait de se soumettre aux entrevues au détachement de Mission ».

Avant de prendre les dispositions nécessaires pour l'enregistrement de l'entrevue au détachement de la GRC, à Mission en Colombie-Britannique, M. Charbonneau a été transféré à l'Établissement [...] où il était également prêt à se soumettre à l'entrevue. Par conséquent, il a été interrogé le 25 mai 2001.

Le sergent d'état-major Dunphy ainsi que M. Connell ont tous deux fait référence au fait que M. Charbonneau souhaitait un transfert avant de faire une déclaration. Cependant, d'après le rapport du caporal Durand, cela n'était pas exact. Dans sa lettre du 13 novembre 2003, le sergent d'état-major Dunphy a décrit M. Charbonneau comme une personne ne désirant pas faire de déclaration à moins d'être transféré dans un autre établissement. D'après les rapports rédigés par le caporal Durand, ces conclusions concernant le transfert de M. Charbonneau étaient inexactes. Elles supposent que M. Charbonneau attendait quelque chose en échange de sa déclaration, en l'occurrence, un transfert. Il est évident et manifeste que, d'après les rapports du caporal Durand, il s'agit d'une fausse hypothèse.

14.6.2 L'enquête se poursuit

Malgré les remarques du sergent d'état-major Dunphy le 6 juin 2001, l'enquête sur la plainte de M. Charbonneau s'est poursuivie. L'accent est mis sur la corroboration de ses allégations. Le caporal Vallis et les gendarmes Gervais et Long y ont consacré leur temps au cours des quelques mois qui ont suivi. Ils ont obtenu une ordonnance du tribunal afin d'accéder aux dossiers de M. Charbonneau concernant la période au cours de laquelle il était pensionnaire à l'ÉFNB, ainsi que tout dossier provenant d'autres établissements où il a été incarcéré. Des efforts ont été consentis pour interroger d'anciens membres de l'équipe de hockey à laquelle était associée M. McCann, de même que des entraîneurs, des gérants et des officiers de la GRC qui étaient membres du même club de raquetball où jouait M. McCann. Une deuxième entrevue a été organisée avec M. Charbonneau le 1er  mai 2002. M. Charbonneau avait été accusé officiellement de meurtre au premier degré le 28 février 2002 et il était à Halifax pour répondre de cette accusation. Le 14 avril 2003, la gendarme Long a appris que M. Charbonneau avait plaidé coupable à une infraction réduite, et qu'il avait été condamné à une peine d'emprisonnement de cinq ans.

Mme McCann a été interrogée par la caporale Delaney-Smith le 11 septembre 2002 et a reconnu que M. Charbonneau avait demeuré avec eux, dans leur domicile, pendant quelques semaines, mais qu'il avait dû être renvoyé parce que sa fille savait que M. Charbonneau était impliqué dans des affaires de drogues. Aucun des enfants de la famille McCann n'a été interrogé parce que le sergent d'état-major Dunphy a refusé d'autoriser les entrevues. Mme McCann a également affirmé avoir peur de M. Charbonneau.

La gendarme Long a préparé un dossier d'information pour M. Connell concernant la plainte déposée par M. Charbonneau, qu'elle lui a remis le 22 août 2002. Le 30 janvier 2003, M. Connell a envoyé une lettre au sergent d'état-major Dunphy demandant que certains travaux de suivi soient effectués sur tous les fichiers, y compris celui de M. Charbonneau. La gendarme Long a assuré le suivi et a répondu à M. Connell le 4 avril 2003.

Le 23 mai 2003, après que la gendarme Long lui a dit qu'elle ne travaillerait plus sur le dossier, M. Connell a envoyé une télécopie au sergent d'état-major Dunphy lui demandant de charger un enquêteur de le rencontrer. Selon la documentation pertinente, il semble que l'on ait demandé à la caporale Delaney-Smith d'aider la Couronne à cette étape-là, puisqu'elle avait obtenu les formulaires de consentement signés de M. Charbonneau et qu'elle avait remis à M. Connell de l'information concernant les allées et venues de M. Charbonneau.

Le 18 juillet 2003, M. Connell a envoyé une lettre d'opinion au sergent d'état-major Dunphy soulignant les raisons pour lesquelles il avait décidé de ne pas porter accusation contre M. McCann. Le 13 novembre 2003, le sergent d'état-major Dunphy a envoyé une lettre à M. Charbonneau l'informant de la décision de la Couronne et du fait que son dossier était clos.

14.6.3 Décision de la Couronne

M. Connell a étudié les dossiers d'information qu'il a reçus le 20 août 2002, ainsi que la documentation de suivi qu'il a reçue le 4 avril 2003. Comme dans le cas de toutes les autres victimes présumées de M. McCann, M. Connell en est venu à « la conclusion qu'un acquittement était plus probable qu'une condamnation ». Ses motifs sont présentés en détail dans un rapport de huit page, lequel fait référence à la première enquête de 1993 au cours de laquelle le gendarme McAnany a interrogé M. Charbonneau à l'Établissement [...] en Colombie-Britannique. D'après M. Connell, M. Charbonneau a, durant son entrevue, « exprimé clairement que M. McCann n'avait pas abusé de lui ». M. Connell a également mentionné que le gendarme McAnany avait déclaré que M. Charbonneau semblait « honnête et très bien de sa personne ».

M. Connell a rappelé que l'on a téléphoné à M. Charbonneau en 1998 et qu'à ce moment, il a refusé d'être interrogé et a dit qu'il n'avait rien à dire au sujet de l'ÉFNB. Le 9 juin 2000, après avoir parlé à sa mère, M. Charbonneau a dit à la police que M. McCann l'avait agressé sexuellement. Des ententes ont été prises pour que le caporal Durand du GCG de Mission en Colombie-Britannique interroge M. Charbonneau le 21 février 2001. À nouveau, M. Charbonneau a dit au caporal Durand qu'il avait été victime d'abus sexuels perpétrés par M. McCann. M. Connell a ensuite fait référence à une conversation que le caporal Durand aurait eue avec M. Charbonneau le 5 avril 2001, au cours de laquelle ce dernier aurait dit qu'il voulait être transféré de l'Établissement [...], vers un établissement à sécurité moyenne, avant de faire une déclaration.

M. Connell a identifié cinq allégations faites par M. Charbonneau :

  • Dans sa première déclaration, recueillie par la caporale Delaney-Smith le 9 juin 2000, il a prétendu avoir été victime d'abus sexuels perpétrés par M. McCann alors qu'il était pensionnaire à l'ÉFNB et également lorsqu'il était un prisonnier adulte à l'Établissement [...].
  • Dans sa deuxième déclaration, il a informé le caporal Durand le 20 février 2001 que, lorsqu'il a appris que M. McCann avait fait d'autres victimes, il sentait que c'était le moment de parler. M. Connell a répété que M. Charbonneau avait dit qu'il ne ferait une déclaration qu'une fois transféré dans un autre établissement.
  • Sa troisième déclaration a été enregistrée sur bande audio-vidéo par le caporal Durand le 25 mai 2001. M. Connell a de nouveau noté que la déclaration KGB a été prise après que M. Charbonneau a été transféré dans un autre établissement, comme il le souhaitait. M. Connell a relevé d'autres actes qui, selon M. Charbonneau, se seraient produits, et a souligné que M. Charbonneau les a décrits plus en détail que dans les deux déclarations précédentes.
  • Sa quatrième déclaration a été recueillie par les gendarmes Potvin et Long le 1er mai 2002. M. Connell a souligné des détails dans cette déclaration qui diffèrent de ceux des déclarations précédentes.
  • Sa cinquième déclaration, que M. Connell identifie comme étant l'avis de poursuite (présentation d'un avis indiquant qu'une poursuite civile est intentée) contre M. McCann daté du 14 novembre 2002, présente en détail des versions d'événements qui diffèrent de ses allégations précédentes.

La version que donne M. Charbonneau des allégations devient de plus en plus forte, du fait qu'il ajoute des faits à chaque nouvelle révélation. L'avocat de la défense remarquait rapidement ces versions changeantes, mettant en doute les motifs de M. Charbonneau, à savoir pourquoi il se présentait maintenant devant les tribunaux pour faire en sorte que justice soit rendue.

M. Connell a également décrit en détail la place de M. Charbonneau au sein du domicile de la famille McCann. Il a fait référence à l'avis de poursuite de M. Charbonneau, daté du 14 novembre 2002

Pendant qu'il résidait au domicile du prévenu McCann, chaque soir vers 23 h, ce dernier le forçait à faire et à recevoir des fellations, à se masturber et à le masturber .

M. Connell a ensuite fait référence à la déclaration de M. Charbonneau du 25 mai 2001, dans laquelle il ne fait allusion à aucun acte de fellation commis alors qu'il vivait au domicile de la famille McCann. Il mentionne une déclaration recueillie par le gendarme McAnany le 23 mars 1993, dans laquelle M. Charbonneau affirme avoir lui-même mis en péril sa situation en buvant excessivement et en faisant trop la fête. Il a choisi de retourner à l'ÉFNB après avoir refusé d'accepter une punition. Toujours dans son évaluation de M. Charbonneau, M. Connell a ensuite affirmé que Tom Richards, le surintendant qui travaillait à l'ÉFNB de 1979 à 1987, « avait catalogué M. Charbonneau comme étant un psychopathe habile, impitoyable et manipulateur ».

M. Connell a décrit en détail le casier judiciaire de M. Charbonneau :

M. Charbonneau a passé la majeure partie de sa vie en prison. Il est violent et il prendra sans doute les grands moyens pour arriver à ses fins. Après avoir étudié son dossier et sa récente condamnation, aucun juge ni jury ne pourrait considérer que M. Charbonneau est une personne recommandable et honnête ».

M. Connell a relevé plusieurs éléments qui mettent en doute la crédibilité de M. Charbonneau, s'appuyant sur les extraits des diverses transcriptions ainsi que sur une déclaration faite par un autre ancien pensionnaire qui, selon M. Connell, n'était pas plus crédible.

Ses recommandations du 18 juillet 2003 étaient qu'il n'existe aucune possibilité raisonnable qu'il y ait condamnation en raison du casier judiciaire de M. Charbonneau, de son comportement manipulateur, du fait qu'il a nié tout acte d'abus sexuel en 1993, de ses versions changeantes et des contradictions évidentes. Il a conclu que « M. Charbonneau n'est pas suffisamment crédible pour justifier une poursuite ».

14.7 Trois autres victimes présumées

Les trois anciens pensionnaires suivants n'ont pas déposé de plainte à la CPP contre la GRC, mais ils ont été identifiés et ont fait des allégations contre M. McCann pendant l'enquête du sergent d'état-major Dunphy et de son équipe.

14.7.1 Mike Roy

Mike Roy a été pensionnaire à l'ÉFNB du 13 mai 1982 au 27 août 1982, de nouveau du 4 décembre 1982 au 23 novembre 1983, et une troisième fois du 23 novembre 1983 au 26 janvier 1984. Les dossiers indiquent que M. McCann a fait sortir M. Roy grâce à des laissez-passer à 24 reprises entre le 14 juillet 1982 et le 10 février 1984. M. Roy a d'abord été identifié dans le cadre de l'enquête sur M. Toft menée de 1992 à 1993 et a été interrogé au sujet de ses contacts avec M. McCann. Les efforts qu'a déployés la GRC pour obtenir une déclaration de M. Roy relative à M. McCann sont présentés en détail au chapitre 12 « Enquête menée par le sergent Doug Lockhart (1992-1993) ». M. Roy a refusé de coopérer avec la GRC en 1992 et en 1993.

Le nom de M. Roy a été cité pendant l'enquête Miller lorsque, le 9 septembre 1994, M. Toft a déclaré sous serment qu'il avait eu des relations sexuelles avec lui. Cependant, ce n'est que le 15 juillet 1996 que M. Roy a signé un affidavit déclarant que M. Toft avait abusé de lui sexuellement alors qu'il était pensionnaire à l'ÉFNB. M. Roy a produit une déclaration devant son avocat le 29 août 1996 concernant les actes d'abus commis à son endroit par M. Toft et le 5 février 1997 il a assisté à une entrevue préalable concernant lesdits actes d'abus. Après cela, M. Roy a signé une autorisation le 21 novembre 1997 pour une somme d'argent payée par la province du Nouveau-Brunswick en compensation pour les actes d'abus dont il a été victime à l'ÉFNB.

Le nom de M. Roy a été cité le 20 janvier 1998 dans une déclaration faite par un autre ancien pensionnaire, Brad Lewis, en tant que victime potentielle de M. McCann. À la suite de la déclaration de M. Lewis, d'autres anciens pensionnaires ont été contactés. David Wright a produit une déclaration manuscrite le 2 mars 1998 indiquant qu'Mike Roy lui avait dit que MM. McCann et Toft avaient eu des relations sexuelles orales avec lui.

Dans un rapport de suivi daté du 15 juin 2000, la caporale Delaney-Smith a écrit que le numéro de téléphone figurant au dossier de M. Roy n'était pas complet et qu'elle tenterait d'obtenir le bon numéro. Elle a également écrit que l'information obtenue auprès d'un autre ancien pensionnaire de l'ÉFNB corroborait l'allégation voulant que M. McCann se soit adonné à des activités sexuelles avec les pensionnaires. Elle a également écrit que M. Roy avait toujours soutenu que rien ne s'était passé et qu'il n'avait pas été très coopératif par le passé.

Le 4 juin 2001, le gendarme Rogers a revu le dossier de M. Roy et a écrit ce qui suit :

À la lumière des... efforts déployés par les enquêteurs pour obtenir une déclaration de M. Roy au sujet du CFJ, je ne vois pas en quoi nous avons le droit de continuer à convaincre cet homme alors qu'il a exprimé très clairement qu'il souhaite mettre cette histoire derrière lui. Nous devons respecter sa décision et passer à autre chose .

Le 22 août 2001, le gendarme Rogers a envoyé un courriel aux membres de l'équipe d'enquête pour déléguer diverses tâches. Il a affecté le gendarme Gervais à l'examen des dossiers concernant M. McCann, y compris le dossier Roy. Il a également fait une note, à côté du nom de M. Roy : « Ce dossier est actuellement clos, mais il ne serait pas inutile d'y jeter un oil » . À la suite de ce courriel, le 24 septembre 2001, le sergent d'état-major Dunphy et le gendarme Rogers ont soumis un bilan sur le dossier de l'ÉFNB, indiquant que l'on tenterait de prendre contact avec M. Roy indirectement, par l'entremise de sa mère, afin de voir s'il serait prêt à contribuer à l'enquête.

Dans un rapport de suivi daté du 12 octobre 2001, la gendarme Potvin, chargé de participer à l'examen des dossiers, a observé qu'en 1993, la famille de M. Roy croyait que ce dernier accepterait peut-être davantage de parler à une officière qu'à un officier. Par conséquent, on a demandé à la gendarme Potvin d'assurer le suivi de l'affaire. Le 10 décembre 2001, la gendarme Potvin a préparé une ordonnance afin d'accéder aux dossiers de l'ÉFNB concernant M. Roy; elle a exécuté l'ordonnance aux Archives provinciales le 12 décembre 2001. La gendarme Potvin n'a a pas été en mesure de retrouver la mère de M. Roy et, en raison d'autres engagements relatifs à une enquête à Moncton, le caporal Vallis a été chargé de la retrouver et de lui remettre une lettre de la part la gendarme Potvin.

Le 23 janvier 2002, le caporal Vallis l'a retrouvée et, lors de la conversation qu'ils ont eue ensemble, elle a dit au caporal Vallis qu'elle avait surpris son fils à faire une fellation à M. McCann, dans une voiture garée dans la rue, à quelques maisons de chez eux. Elle ne voulait pas faire de déclaration avant d'avoir parlé à son fils. Le caporal Vallis a pris les dispositions nécessaires pour lui donner le temps de parler à son fils et ensuite communiquer avec elle.

Le caporal Vallis et la gendarme Long ont obtenu une déclaration enregistrée sur bande audio de la mère de M. Roy le 6 mars 2002. Elle a décrit la fois où elle prétend avoir surpris son fils en train de faire une fellation à M. McCann dans une voiture. Elle était certaine de ce qu'elle avait vu et elle a dit qu'elle avait fait voir la réalité en face à son fils à ce sujet dès qu'il est entré à la maison. Elle a également affirmé avoir dit à son fils de dire à M. McCann de ne plus revenir.

Après plusieurs tentatives, la gendarme Long a réussi à communiquer avec M. Roy le 18 septembre 2002 et il a accepté de parler de M. McCann. Elle a rencontré M. Roy le 3 octobre 2002 et a obtenu de sa part une déclaration enregistrée sur bande audio. Le 6 novembre 2002, la gendarme Long a remis à M. Connell une copie de la déclaration transcrite, ainsi que les bandes audio de l'interrogatoire de M. McCann; M. Connell lui a dit avoir déjà commencé à revoir le dossier.

Le 30 janvier 2003, M. Connell a envoyé une demande au sergent d'état-major Dunphy soulignant 12 questions concernant les points sur lesquels il souhaitait obtenir plus de précisions. La gendarme Long a assuré le suivi de ses demandes et lui a répondu le 4 avril 2003. Dans le cadre de ce suivi, elle a interrogé de nouveau M. Roy le 20 mars 2003 et a remis des copies de l'entrevue à M. Connell.

La caporale Delaney-Smith a été chargée d'assurer le suivi des demandes de M. Connell après que la gendarme Long a pris sa retraite.

Décision de la Couronne

M. Connell a revu la documentation qui lui a été remise par la gendarme Long et il en est arrivé à la conclusion qu'un acquittement était plus probable qu'une condamnation en ce qui concerne le cas de M. Roy. Il a présenté en détail ses motifs, dans une lettre d'opinion de neuf pages datée du 21 octobre 2003. Il a fait référence aux enquêtes de 1992 et 1993 sur M. McCann et aux vaines tentatives des gendarmes McAnany, Ken Legge et Lise Roussel pour parler à M. Roy. « M. Roy n'a pas coopéré ».

Il a longuement fait référence aux allégations de 1997, alors que M. Roy avait témoigné des actes d'abus dont il avait été victime au cours de sa vie, pas seulement à l'ÉFNB. M. Connell a mentionné son témoignage lors d'une audience à Etobicoke en Ontario, le 5 février 1997, relative à la demande d'indemnisation faite par M. Roy. Pendant l'audience, M. Roy a déclaré que huit personnes différentes avaient abusé de lui sexuellement, y compris M. Toft, et même son avocat, mais il n'a jamais mentionné M. McCann. « Le fait que M. Roy n'ait pas fait mention de cette allégation d'abus sexuel contre M. McCann à l'audience vient fortement miner sa crédibilité ».

M. Connell a commenté en détail la confusion entourant les souvenirs de M. Roy relative aux deux actes sexuels qu'il a admis avoir commis avec M. McCann. Il a également mentionné des divergences dans les propos de sa mère au sujet du moment où elle a appris la situation et ce qu'elle avait vu concernant son fils et M. McCann.

La récente déclaration de Mme Clifton est très problématique. En 1992, elle n'a pas dit au gendarme McAnany qu'elle avait été témoin d'une activité sexuelle entre M. McCann et M. Roy. Lors de sa conversation avec le gendarme McAnany, on a appris que ce n'est qu'en 1992 que son fils lui a révélé les activités de M.McCann. Le 7 décembre 1992, M. Roy a informé le gendarme McAnany que sa mère les avait vus une fois et que lorsque celle-ci lui a fait voir la réalité en face, il a simplement nié l'affaire; .... Dans sa déclaration du 23 octobre 2002, M. Roy a déclaré [à la page 22 de la transcription] « elle me dit maintenant qu'elle a vu ce qui s'est passé. Et qu'elle savait ce qui se passait et je me suis fâché, genre, pourquoi putain ne m'as-tu pas amené là à ce moment-là, pourquoi tu n'as rien dit ». La crédibilité de Mme Clifton est sérieusement compromise ici. Bien qu'il y ait eu une certaine confrontation entre la mère et le fils dans les années 1980, ils se contredisent. Ce n'est qu'en 1992 qu'elle a appris ce qui se passait entre M. McCann et son fils, lorsqu'ils se sont parlé au téléphone. Elle avait de toute évidence oublié sa conversation du 14 décembre 1992 avec le gendarme McAnany.

Il a également fait référence à la toxicomanie avouée de M. Roy, soulignant que ce dernier avait participé à des programmes de désintoxication à Minneapolis et en Floride concernant sa dépendance à la cocaïne. Il a souligné la description que M. Roy a lui-même faite de sa vie à l'époque : « C'est le brouillard ici ». M. Connell a conclu que le casier judiciaire de M. Roy, combiné avec son alcoolisme et sa toxicomanie, en font un témoin très peu crédible. M. Connell a recommandé qu'aucune accusation criminelle ne soit portée contre M. McCann.

14.7.2 Douglas Parsons

Douglas Parsons a été pensionnaire à l'ÉFNB à cinq reprises : du 25 novembre 1980 au 26 juin 1981; du 8 octobre 1981 au 18 juin 1982; du 20 septembre 1982 au 23 juin 1983; du 30 juillet 1983 au 29 juillet 1984; et du 25 mars 1985 au 1er  juillet 1985. Les dossiers indiquent que M. McCann a fait sortir M. Parsons en obtenant des laissez-passer à cinq reprises, entre le 21 août 1983 et le 10 mars 1984.

Plusieurs autres anciens pensionnaires ont mentionné M. Parsons comme étant une victime potentielle de M. Toft. Le gendarme Joe Peel de la GRC, détachement de London, a obtenu une déclaration de sa part le 9 octobre 1991. À ce moment-là, il a nié tout acte d'abus perpétrés par M. Toft. Cependant, le partenaire de chambre de M. Parsons a dit au gendarme Peel qu'une fois M. Toft l'avait agressé sexuellement. Ni le gendarme Peel ni M. Parsons n'ont fait mention de M. McCann.

Le 18 décembre 1992, le gendarme Evans a étudié le dossier et a recommandé que M. Parsons soit interrogé, étant donné que M. McCann avait fait sortir M. Parsons à cinq reprises. Le 20 mai 1993, le sergent Lockhart a noté dans un rapport que la première déclaration de M. Parsons était faussée et qu'il fallait l'interroger de nouveau. Cependant, ce n'est que le 18 janvier 1994 que le sergent Lockhart a découvert que sa demande d'interroger M. Parsons n'avait pas été exécutée; il a donc envoyé une demande au gendarme Peel afin que l'entrevue soit effectuée . Le gendarme Peel a recueilli la déclaration de M. Parsons, en présence de son frère, le 21 janvier 1994.

Le 2 novembre 2001, alors que la gendarme Potvin étudiait les dossiers McCann, elle a écrit que M. Parsons « devrait être interrogé de nouveau dans un contexte plus intime ». La documentation indique que le caporal Vallis a tenté de retrouver M. Parsons en février 2002. On l'a finalement retrouvé à Woodstock en Ontario. Le caporal Vallis a communiqué avec le détachement de Woodstock de la GRC et a demandé qu'une déclaration soit obtenue auprès de M. Parsons. Le 5 mars 2002, le caporal Vallis a reçu un courriel du gendarme Renzo Carniato l'informant qu'une déclaration avait été recueillie le 4 mars 2002. Cette fois, M. Parsons avait admis avoir été agressé sexuellement par M. McCann.

Le 18 mars 2002, la gendarme Long a reçu un appel de M. Parsons, qui lui offrait son entière collaboration; cependant, il ne savait pas s'il pouvait donner beaucoup plus de détails puisqu'il avait travaillé très fort pour oublier son passé. Il avait quitté le Nouveau-Brunswick en raison de ce qu'il avait vécu à l'ÉFNB. La gendarme long a écrit ceci dans un rapport de suivi : « Il semblait très sincère mais troublé, et il était articulé ». Le 26 mars 2002, la gendarme Long a parlé avec deux anciens employés de l'ÉFNB qui étaient devenus policiers : le gendarme Boyd Merrill de la GRC et l'agent Randy Reilly de la Force policière de Fredericton. Ils ont tous deux admis qu'ils connaissaient très bien M. Parsons. Le gendarme Merrill a déclaré que si « Douglas a dit qu'il a été victime d'abus, il dit sans aucun doute la vérité ». L'agent Reilly a confirmé ce que le gendarme Merrill a dit au sujet de M. Parsons.

Le 13 avril 2002, le caporal Vallis a obtenu une déclaration enregistrée sur bande audio de M. Parsons, en présence de sa copine, qui a également fourni une déclaration affirmant que M. Parsons lui avait parlé des abus dont il avait été victime aux mains de M. McCann en décembre 1988. Dans sa déclaration, M. Parsons a dit qu'il ne se souvenait pas d'avoir parlé des abus à d'autres personnes que sa copine. mais comme le caporal Vallis s'apprêtait à partir, M. Parsons s'est rappelé avoir parlé à un médecin à l'hôpital. Il a également dit qu'il permettrait à la GRC d'accéder à ses dossiers médicaux. Le caporal Vallis a envoyé un courriel au gendarme Carniato pour s'assurer que ce médecin était bel et bien un membre de l'effectif de l'hôpital qu'avait mentionné M. Parsons. Il a reçu une confirmation le 25 avril 2002, indiquant que le médecin travaillait au département de psychiatrie. Cependant, après cette date, aucun document n'indique quelles mesures ont été prises pour obtenir l'autorisation d'accéder aux dossiers médicaux de M. Parsons.

Le 20 août 2002, la gendarme Long a remis à M. Connell un dossier à examiner. Les enquêteurs ont reçu sa réponse le 30 janvier 2003; il demandait des précisions sur quatre questions relatives au dossier de M. Parsons. La gendarme Long a été chargée d'assurer le suivi des demandes de M. Connell. Elle a répondu à ses demandes d'information le 4 avril 2003, et lui a fourni, entre autres, les dossiers médicaux de M. Parsons. Elle a dit qu'elle n'avait pas réussi à obtenir le consentement de M. Parsons et qu'elle ne croyait pas pourvoir l'obtenir prochainement. M. Parsons avait précisé à la gendarme Long qu'il ne retournerait pas au Nouveau-Brunswick pour témoigner devant le tribunal et qu'il hésitait à divulguer les actes d'abus sexuel dont il aurait été victime.

Décision de la Couronne

M. Connell a revu la documentation envoyée le 20 août 2002, ainsi que les documents de suivi envoyés par la gendarme Long le 4 avril 2003. Il a répondu par une lettre d'opinion de cinq pages, datée du 18 juillet 2003, dans laquelle il a conclu « qu'un acquittement était plus probable qu'une condamnation » et il a recommandé qu'aucune accusation criminelle ne soit portée contre M. McCann.

Les motifs de sa décision, à savoir la recommandation qu'aucune accusation ne soit portée contre M. McCann à la suite des allégations de M. Parsons, étaient fondés sur le fait que M. Parsons avait nié, en 1994, tout acte répréhensible de la part de M. McCann et sur l'absence de corroboration concernant les allégations d'agression sexuelle. « Le fait qu'il a fraudé l'aide sociale, son casier judiciaire, son alcoolisme et sa dépendance à la cocaïne, le fait qu'il a hésité à coopérer, le flou dont il a fait preuve quant aux agressions présumées et les incohérences relatives à ces allégations soulèvent des problèmes ».

Il a également fait référence à une évaluation psychologique réalisée le 9 mars 1983 par un psychologue, alors que M. Parsons était âgé de 14 ans.

Soit à cause d'un manque de structure et de soutien affectif, soit à cause d'un épisode traumatisant, Mme Syliba a observé que M. Parsons : (page 2 de l'évaluation) « hésitait à interagir sur le plan social, le rendant ainsi inaccessible aux autres, renforçant son comportement inadapté et pouvant entraîner des épisodes de dépression » – et plus tard – « le besoin d'exprimer sa virilité et tous les conflits entre l'expression et le contrôle des pulsions sexuelles entraînent des sentiments ambivalents qui ne sont pas explorés. Ces conflits deviennent des menaces et peuvent entraîner la perte du contrôle de soi ».

Ces observations ont été faites avant les sorties de M. Parsons avec M. McCann, entre le 21 août 1983 et le 10 mars 1984. L'alcoolisme et la dépendance à la cocaïne de M. Parsons ne peuvent qu'aggraver les préoccupations que Mme Syliba a soulevées il y a tant d'années. Il semble fort probable que M. Parsons ne voudra pas, et ne pourra pas, se présenter devant le tribunal.

M. Connell a également indiqué qu'aucun jury n'apprécierait le casier judiciaire de M. Parsons et que « la crédibilité de M. Parsons était très mince ».

Le sergent d'état-major Dunphy a informé M. Parsons, par voie d'une lettre datée du 13 novembre 2003, que le dossier était clos et qu'aucune accusation ne serait portée contre M. McCann.

14.7.3 Christopher Fanshaw (anciennement Ryan)

Christopher Ryan a été pensionnaire à l'ÉFNB du 7 octobre 1983 au 30 juin 1984. Les dossiers indiquent que M. McCann l'a fait sortir à l'aide de laissez-passer à neuf reprises, entre le 20 février 1984 et le 3 juin 1984. Il a changé son nom de famille pour Fanshaw en 1986 pour des raisons personnelles, et c'est ainsi qu'il est nommé aux présentes.

Le nom de M. Fanshaw a été cité alors que la Force policière de Fredericton (FPF) enquêtait sur l'ÉFNB et M. Toft en 1991. Il a été interrogé le 3 juillet 1991 alors qu'il était détenu à la prison de York Country au Nouveau-Brunswick et il a nié tout abus perpétrés par M. Toft. Les deux agents chargés de l'enquête étaient d'avis qu'il ne disait pas la vérité.

Le caporal Ray Brennan a identifié M. Fanshaw en tant que victime potentielle dans un rapport daté du 2 août 1991. Son nom figurait parmi celui de 54 victimes potentielles identifiées par la GRC dans le cadre de son enquête de 1991. Le caporal Brennan a indiqué que la Force policière de Fredericton avait interrogé M. Fanshaw et qu'il avait nié tout acte d'abus perpétré par M. Toft. Un autre ancien pensionnaire a mentionné le nom de M. Fanshaw pendant une entrevue avec le gendarme McAnany le 12 février 1992.

Le 14 décembre 1995, M. Fanshaw a écrit une lettre à la GRC (adressée « à qui de droit ») alléguant avoir été victime d'abus sexuel de la part de M. Toft alors qu'il était pensionnaire à l'ÉFNB. Le 5 janvier 1996, M. Fanshaw a reçu une lettre de son avocat, lui demandant de signer les copies des formulaires d'autorisation d'accès aux dossiers médicaux en appui de sa réclamation contre le gouvernement. Le 22 mai 1997, M. Fanshaw a reçu un règlement de la province relatif à la réclamation qu'il avait déposée contre la province du Nouveau-Brunswick concernant les actes d'abus dont il avait été victime à l'ÉFNB.

Le 17 janvier 2002, une employée civile qui connaissait M. McCann a informé la gendarme Long qu'elle se rappelait avoir vu M. McCann dans l'ancien édifice de la Direction générale de la GRC sur le chemin Woodstock, avec un jeune homme du nom de Christopher Ryan. L'employée connaissait la mère du garçon et savait où elle travaillait. Par conséquent, le caporal Vallis a parlé avec M. Fanshaw, lequel a confirmé que M. McCann l'avait fait sortir mais qu'il ne l'appréciait pas et qu'il a cessé de l'accompagner après un certain temps. M. Fanshaw a dit au caporal Vallis que M. McCann le touchait sur une région intime de son corps et que lorsqu'il se changeait au YMCA, il le regardait dans le vestiaire. M. Fanshaw a dit qu'il communiquerait avec son avocat avant de décider de fournir une déclaration. L'avocat de M. Fanshaw a appelé le caporal Vallis et a confirmé ce que M. Ryan avait dit au sujet de M. McCann, mais il a ajouté qu'à ce moment-là, M. Fanshaw ne souhaitait pas faire de déclaration. L'avocat a informé le caporal Vallis qu'il parlerait à son client de nouveau pour voir s'il accepterait de coopérer.

Le 29 janvier 2002, l'avocat de M. Fanshaw a dit au caporal Vallis que son client n'acceptait pas de coopérer avec la police à ce moment-là. À la suite de l'appel téléphonique, le caporal Vallis a indiqué que le dossier était clos.

Le 19 février 2002, M. Fanshaw a communiqué avec la GRC et a parlé à la gendarme Potvin. Il l'a informée qu'il souhaitait fournir une déclaration concernant M. McCann, mais lui a précisé qu'il ne voulait pas que son nom soit associé aux poursuites civiles intentées par Phillip Charbonneau et David Wright. Les gendarmes Potvin et Long se sont rendues à la résidence de M. Fanshaw et ont recueilli sa déclaration au sujet de M. McCann. Dans sa déclaration, il a dit que M. McCann l'avait emmené à l'ancienne Direction générale de la GRC, dans une cellule où se trouvait un lit pliant, et l'a agressé sexuellement, lui faisant une fellation. « Lorsqu'il a eu terminé, il l'a menacé de n'en parler à personne sinon il s'assurerait qu'il se retrouverait en prison lorsqu'il serait plus vieux ».

Le 6 mars 2002, la gendarme Long a interrogé la mère de M. Fanshaw. Elle a affirmé que son fils n'avait jamais dit avoir été abusé par M. McCann, seulement par M. Toft. Elle a dit qu'elle ne connaissait pas M. McCann, mais qu'elle savait que des gens qui travaillaient ou qui faisaient du bénévolat à l'ÉFNB avaient fait sortir son fils en obtenant des laissez-passer. Elle a décrit un changement chez son fils après sa libération de l'ÉFNB. Il détestait toute figure d'autorité masculine, y compris les professeurs et les policiers. Lors de visites à l'hôpital, il refusait que les préposés masculins s'approchent de lui. Elle a dit qu'il a alors commencé à consommer de l'alcool et des drogues et à s'attirer des ennuis.

Les gendarmes Long et Potvin se sont attaqué à l'affaire en obtenant les dossiers de l'ÉFNB, un formulaire d'autorisation auprès d'un thérapeute qui traitait M. Fanshaw ainsi que la déclaration d'une employée qui avait mentionné le nom de M. Fanshaw à la gendarme Long en janvier 2002.

Décision de la Couronne

Le 20 août 2002, la gendarme Long a remis à M. Connell un dossier à examiner concernant M. Fanshaw. M. Connell a envoyé sa réponse au sergent d'état-major Dunphy le 30 janvier 2003, demandant à obtenir des renseignements supplémentaires concernant quatre questions relatives à M. Fanshaw. La gendarme Long a envoyé une réponse le 4 avril 2003; la caporale Delaney-Smith a envoyé une réponse à d'autres demandes le 18 juillet 2003.

M. Connell a revu la documentation qu'on lui avait envoyée et a présenté son opinion détaillée le 18 septembre 2003, en concluant « qu'un acquittement était plus probable qu'une condamnation » et qu'il recommandait qu'aucune accusation criminelle ne soit portée contre M. McCann.

M. Connell a fait référence à l'allégation de M. Fanshaw, à savoir qu'il avait été emmené dans une cellule de l'édifice de la Direction générale et que c'est là que M. McCann l'avait agressé sexuellement. Il a ajouté qu'un rapport avait été préparé par la gendarme Long, lequel indiquait que l'édifice avait été rénové après le départ de la GRC et que les membres de la GRC et les employés qui y travaillaient ne se souvenaient d'aucun bloc cellulaire. Il a également fait référence à un employé qui se souvenait vaguement d'une petite pièce où il y avait un genre de lit pliant. « Il n'existe aucun élément de preuve indiquant qu'il y avait une cellule ou un bloc cellulaire dans l'édifice ». M. Connell a également affirmé « que toute preuve indiquant qu'il existait une pièce qui aurait pu ressembler à une cellule a été détruite ».

M. Connell a fait référence à l'allégation sur M. Toft qu'a faite M. Fanshaw dans une déclaration sous serment, le 25 avril 1996, dans laquelle il affirme que M. Toft a abusé de lui alors qu'ils étaient en camping. M. Connell a déclaré : « Il s'agit de la seule fois où Christopher Ryan a été victime d'abus pendant son séjour à Kingsclear ».

Concernant l'allégation de M. Fanshaw, à savoir qu'il a discuté des actes d'abus de la part de M. McCann avec une psychologue à Saint John, M. Connell a souligné que la psychologue a affirmé avoir discuté de M. Toft mais qu'aucune mention n'a été faite de M. McCann. Elle a également rédigé un rapport sur M. Fanshaw en 1988, affirmant que « l'on estimait les capacités intellectuelles de M. Ryan comme se situant dans la moyenne inférieure. Son profil MPI indique qu'il s'agit d'une personne qui exagère ses problèmes, peut-être pour en tirer certains avantages personnels ».

M. Connell s'est également appuyé sur d'autres évaluations psychologiques de M. Fanshaw. En octobre 1988, on a procédé à une analyse de dépendance, laquelle a permis de déterminer que M. Fanshaw dépendait fortement de l'alcool et de drogues; en novembre de la même année, on a diagnostiqué chez lui « un trouble de la personnalité de type antisocial ». En décembre 1982, un autre psychologue l'a évalué, disant qu'il était atteint « d'un handicap mental mineur » alors qu'un orthophoniste l'ayant observé a affirmé que M. Fanshaw « ne pouvait pas se souvenir de plus de quatre chiffres consécutifs et de cinq mots à la fois non reliés ».

M. Connell a conclu que, d'après son casier judiciaire, sa dépendance à l'alcool et aux drogues et la plainte semblable qu'il a déposée contre M. Toft, et au vu de la preuve contradictoire présentée par le psychologue, tous ces éléments venant miner la valeur de ses affirmations contre M. McCann, « sa crédibilité est très faible ».

14.8 Enquête McCann de 2001 à 2003

14.8.1 Mandat d'arrestation concernant le sergent d'état-major McCann

Le juge H. Hazen Strange a signé un mandat d'arrestation (mandat Feeney) le 10 septembre 2002, lequel avait été préparé par la gendarme Long, afin d'autoriser l'entrée dans la résidence de M. McCann pour l'arrêter. Cependant, le mandat d'arrestation n'a jamais été exécuté parce que M. McCann n'était pas chez lui; il a été arrêté plus tard, sur un terrain de golf, sans mandat.

14.8.2 Mandat de perquisition concernant la résidence McCann

Le gendarme Long a préparé une Dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition afin d'entrer dans la résidence de M. McCann et d'y faire une fouille, document qui a ensuite été remis à M. Connell aux fins d'approbation. À ce moment-là, le processus d'obtention des mandats de perquisition nécessitait que la police présente d'abord le mandat de perquisition à la Couronne pour le faire approuver, avant de le soumettre au juge. Pendant leur entrevue avec la CPP, ni le sergent d'état-major retraité Dunphy ni la gendarme retraitée Long ne se rappelait si M. Connell avait reçu cette information. Cependant, pendant son entrevue avec la CPP, M. Connell avait été en mesure de préparer des notes au sujet du mandat de perquisition.

M. Connell a dit à la CPP que la gendarme Long lui avait remis le mandat afin qu'il l'étudie et que, le 9 septembre 2002, il l'avait rencontrée pour l'informer qu'il n'autoriserait pas la soumission du mandat au juge. Il a expliqué qu'il ne voyait aucun lien entre les actes criminels présumés pour lesquels M. McCann faisait l'objet d'une enquête et sa résidence. Il a également affirmé que la gendarme Long lui avait dit qu'ils cherchaient des preuves liées à la pornographie, bien qu'ils n'enquêtaient pas sur lui pour un motif de possession d'objets de pornographie.

M. Connell a affirmé qu'il a ultérieurement reçu un appel du surintendant Glenn Woods, analyste des enquêtes criminelles et officier responsable (off. resp.) du Groupe des sciences du comportement à Ottawa. Le surintendant Woods a fourni un affidavit qui a été annexé à la demande de mandat de perquisition. Il expliquait que la GRC cherchait des preuves accessoires dans le domicile afin de démontrer une préférence pour les activités sexuelles avec des adolescents.

M. Connell a dit à la CPP qu'il a vérifié auprès de trois autres avocats de la Couronne, à savoir William Corby, Hillary Drain et Cameron Gunn, qui ont tous convenu qu'il n'existe aucun motif légal pour appuyer l'octroi d'un mandat de perquisition. Il a également affirmé que rien n'empêchait la GRC de présenter la Dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition devant un juge, sans son approbation.

Le sergent d'état-major retraité Dunphy a dit à la CPP qu'il était d'usage de lui présenter toutes les Dénonciations en vue d'obtenir un mandat de perquisition et d'obtenir son approbation avant de les présenter à la Couronne. Il se rappelait qu'il y avait une certaine controverse ou discussion au sujet de la Dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition pour fouiller la résidence de M. McCann et qu'il ne croyait pas que leurs motifs étaient suffisants pour présenter le document à la Couronne. Le sergent d'état-major Dunphy n'était pas certain que la Dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition ait dépassé l'étape d'ébauche.

Je ne crois pas que la documentation a été envoyée à Kevin parce que je pense que l'on en a discuté et je crois que nous n'avions aucun motif... Je ne crois pas que nous soyons allés plus loin que l'ébauche... de la Dénonciation. Parce que je ne crois pas... que les motifs étaient valides.

Même si au moment de l'arrestation de M. McCann la politique du Nouveau-Brunswick relative aux mandats de perquisition voulait que la police exige l'approbation de la Dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition par la Couronne avant d'aller devant le juge, la police était autorisée à se présenter devant un juge indépendamment de toute politique de la Couronne. Dans le cadre de cette enquête, la GRC s'est appuyée exclusivement sur la Couronne pour prendre une décision pour elle concernant un aspect important de l'enquête criminelle, sans discussion préalable.

14.8.3 Arrestation de Clifford McCann

Clifford McCann a été arrêté le 11 septembre 2002. La GRC avait prévu l'arrêter à son domicile, en banlieue de Fredericton au Nouveau-Brunswick, et avait obtenu le mandat autorisant les officiers à entrer dans son domicile et à l'arrêter. Lorsque les officiers sont arrivés à la résidence de M. McCann, Mme McCann leur a dit que M. McCann était parti jouer au terrain de golf de Mactaquac. Les officiers ont transmis cette information au sergent d'état-major Dunphy, qui leur a dit de se rendre au terrain de golf et de l'arrêter. Cette mesure a été menée à bien par les gendarmes Rogers, Cole et Long.

La caporale Delaney-Smith, qui était allée au domicile de M. McCann avec les autres officiers, était restée avec Mme McCann pendant environ trois heures, pour lui expliquer la situation. Ni la documentation fournie à la CPP par la GRC, ni les notes de la caporale Delaney-Smith n'indiquent qu'elle a tenté d'obtenir la permission de Mme McCann de fouiller la demeure et, de fait, le domicile n'a pas été fouillé. Comme la caporale Delaney-Smith n'a pas accepté d'être interrogée, sur les conseils de son avocat, M. William Gilmour, la CPP n'a pas pu préciser les questions entourant sa participation à l'arrestation de M. McCann.

M. McCann a été conduit au bureau du district d'Oromocto, où le sergent Mike St. Onge, le polygraphiste de la GRC, l'a interrogé. L'entrevue a duré plusieurs heures et, selon le sergent St. Onge, M. McCann n'a ni admis ni nié avoir commis un acte répréhensible. M. McCann a ensuite été libéré sans qu'aucune accusation n'ait été portée contre lui. D'après le sergent d'état-major Dunphy, c'est lui qui a décidé de libérer M. McCann. Comme il l'a expliqué dans son entrevue avec la CPP, comme M. McCann n'a rien admis, il ne croyait pas qu'il y avait des motifs raisonnables et probables de porter des accusations. Lorsqu'on l'a interrogé sur le moment où l'arrestation a été exécutée et les résultats possibles, il a affirmé :

Nous étions pas mal au bout... de notre rouleau en ce qui concerne l'enquête. Les membres étaient transférés dans des unités permanentes. Ils n'étaient avec nous que sur une base temporaire... il y avait fort probablement des contraintes de temps... pour cela comme pour toute autre chose. Je présume que nous avions... d'autres priorités et homicides et ce genre de chose.... aussi, on essayait de... placer tout le monde dans une plage horaire. Ah, St. Onge, c'est... un gars exceptionnellement occupé.... quand a-t-il, quand cela conviendrait-il, ou quand pourrions-nous nous y mettre, je présume que ce sont tous des énoncés.

Q. Le jour où vous avez arrêté M. McCann... étiez-vous d'avis que, ce jour-là,... vous aviez suffisamment d'éléments de preuve pour l'accuser?
R. Non. Non.

Q. Donc il n'y avait aucune décision... préconçue voulant qu'à la fin de cette entrevue, il serait accusé.
R. Non. Ah certainement qu'une telle décision aurait été prise si nous avions pu obtenir de lui une confession. Certainement.

Q. Mais même sans une confession, ne croyiez-vous pas que vous en aviez assez?
R. Non.

On a envoyé les dossiers à examiner le 20 août 2002, et le 11 septembre 2002, M. McCann a été arrêté. M. Connell a répondu auxdits dossiers le 30 janvier 2003, demandant qu'une enquête plus approfondie soit réalisée concernant certaines questions relatives à six des sept victimes présumées. Il a reçu la plupart des renseignements supplémentaires le 4 avril 2003. Après avoir revu l'information, il a envoyé sa recommandation de ne pas porter d'accusation sur le fondement des allégations faites par les six victimes présumées à l'été et à l'automne 2003. Le dossier ayant été confié à M. Connell dès le début, il y a lieu de se demander pourquoi M. McCann a été arrêté avant que la recommandation de M. Connell n'ait été reçue.

14.8.4 Profil du comportement de M. McCann

Avant l'arrestation de M. McCann, la gendarme Long a envoyé une trousse de documentation au Groupe des sciences du comportement à Ottawa, afin de recueillir plus de renseignements sur le type d'individu qu'était M. McCann concernant les infractions présumées. Le 12 juin 2002, le surintendant Glenn Woods, expert en agressions sexuelles et en homicides motivés sexuellement, et le caporal Pierre Nezan, établisseur de profils criminels suppléant, a envoyé un profil détaillé de M. McCann. Dans le profil, on trouve certaines techniques d'interrogation que l'on recommande d'utiliser si M. McCann est arrêté.

Le surintendant Woods a préparé un affidavit à utiliser pour obtenir un mandat de perquisition concernant la résidence de M. McCann. D'après les documents que la gendarme Long lui a envoyés, il a présenté l'opinion suivante concernant M. McCann, en appui d'un mandat de perquisition.

[Un] collectionneur de pornographie infantile et il a une préférence sexuelle pour les adolescents, que l'on appelle un hébophile, sur le fondement de ce qui suit :

Mon expérience et ma formation m'ont appris que les pédophiles respectent souvent des rituels, en ce sens qu'ils conservent ou collectionnent divers articles qui révèlent à la fois leurs activités sexuelles criminelles et non-criminelles. On considère ces articles comme des documents accessoires et, bien qu'ils ne permettent pas d'associer directement une personne à un crime particulier, ils peuvent fournir aux autorités des renseignements et des éclaircissements quant aux préférences sexuelles, aux intérêts et aux loisirs d'une personne .

Au moment de décrire le type d'articles pouvant être recueillis et leur classification, le surintendant Woods a décrit des lieux de cachette possibles qu'un « pédophile » pourrait utiliser pour dissimuler son « matériel accessoire ». À son avis, M. McCann serait considéré comme un « collectionneur isolé ».

Le collectionneur isolé obtiendra souvent les mêmes articles que le collectionneur inavoué, mais il commettra également des agressions sexuelles sur des enfants. Ce sujet collectionnera souvent des photos de ses victimes.

Le surintendant Woods a décrit les types de cachettes suivantes :

Que pour les raisons énoncées dans le présent affidavit, Clifford McCANN aura en sa possession d'autres articles de pornographie infantile ou documents accessoires, des preuves convaincantes de ses fantasmes impliquant de jeunes adolescents, et que les endroits où sont cachés ou rangés ces types de collection dépendent du lieu où vit l'individu. S'il vit seul ou avec des gens qui connaissent son intérêt pour la pornographie infantile et l'érotisme, la collection aura tendance à être moins dissimulée. S'il vit avec d'autres membres de sa famille qui ne sont pas au courant de ses intérêts, la collection sera généralement cachée derrière de faux panneaux, dans des conduits de ventilation, sous l'isolation du grenier, etc. De façon générale, la collection se trouve dans la résidence du sujet, afin qu'il puisse y avoir accès facilement et rapidement, mais elle peut aussi être cachée dans un endroit sur lequel le collectionneur exerce un contrôle, comme une voiture, un coffre, un bâtiment extérieur ou un casier de rangement loué. Dans le cas des gens qui démontrent un intérêt pour l'informatique ou une capacité à utiliser un ordinateur et qui ont accès à Internet, il est probable que leurs collections se trouvent sur le disque dur de leur ordinateur ou sur des supports média.

Le caporal Nezan a proposé des techniques d'interrogation adaptées au profil créé pour M. McCann :

  1. Un interrogateur à la fois, puisqu'il est plus difficile pour quelqu'un de se confier à deux personnes.
  2. Un anglophone d'expérience, de préférence du même grade que M. McCann.
  3. La relation doit s'établir entre « un officier de l'ancienne école » et « un officier de l'ancienne école », faisant preuve d'un respect mutuel.
  4. Créer un sentiment de compréhension et adopter une démarche objective.

On a également proposé que sa famille soit interrogée après son arrestation. Dans son entrevue avec la CPP, la gendarme retraitée Long a dit qu'elle souhaitait interroger les enfants, mais que le sergent d'état-major Dunphy ne les avait pas autorisés à le faire.

Pendant son entrevue avec la CPP, le sergent St. Onge a affirmé que le sergent d'état-major Dunphy devait démarrer l'interrogatoire, mais qu'à la dernière minute, il a décidé de ne pas le faire et, par conséquent, il a pris l'affaire en main. La CPP a demandé au sergent d'état-major Dunphy pourquoi les techniques qui avaient été recommandées n'avaient pas été utilisées :

Je ne sais pas ce que nous avons considéré comme particulier ou non, pour quels éléments nous avons pris des précautions ou non,... nous avons essayé de le traiter ni mieux ni moins bien qu'un autre. ... non, je ne crois pas qu'il y avait des choses du genre voilà, évidemment... bien vous alliez faire le... vous allez procéder à l'arrestation pour cette raison, et vous ferez cela, pour cette raison et... n'importe quoi d'autre. Je ne sais pas. ... je suppose que j'ai oublié le..., cette suggestion.... c'est possible.... il est possible que je n'en aie pas tenu compte. Je l'ignore. ...

Il semble que les suggestions faites par le Groupe des sciences du comportement n'ont pas été utilisées dans toute la mesure du possible.

15. Controverses concernant les enquêtes portant sur McCann

Ce chapitre signale cinq incidents précis qui ont eu lieu au cours de l'instruction des deux enquêtes menées par la GRC au sujet des allégations portées contre le sergent d'état-major Clifford McCann. La façon dont la GRC s'est comportée lors de ces incidents est liée aux conclusions qui seront tirées au sujet des allégations de dissimulation et de la tenue d'une enquête inadéquate concernant les plaintes déposées contre le sergent d'état-major McCann.

Dans le cadre de l'examen de ces incidents, la CPP a essayé de retrouver et de faire passer une entrevue à toutes les personnes impliquées, y compris les membres de la GRC qui étaient affectés au détachement de Riverview avant, pendant ou peu après l'instruction de l'enquête menée par la GRC au sujet du sergent d'état-major McCann. La CPP a fait passer une entrevue au procureur adjoint de la Couronne qui a institué les poursuites sur la tentative de meurtre (décrite au paragraphe 15.3), ainsi qu'à un officier supérieur, neuf sous officiers, dix sept gendarmes, trois membres civils et à la victime. Le caporal Dan Arnett, sous-officier à la retraite, a refusé de passer une entrevue en dépit des demandes répétées. Deux membres de la GRC, des anciens sous officiers à la retraite, ont accepté de passer une entrevue à condition qu'elle ne soit pas enregistrée sur bande sonore. Un gendarme en service a également accepté de passer une entrevue et refusé qu'elle soit enregistrée.

15.1 Enquête portant sur McCann

La CPP a examiné les cinq incidents suivants qui sont survenus au cours de l'instruction des enquêtes menées par la GRC au sujet du sergent d'état-major McCann.

  1. La mutation du sergent d'état-major McCann du détachement de Riverview à la direction générale de la Division J, à Fredericton, en juin 1992..
  2. La disparition des photographies saisies dans la résidence d'une victime de la tentative de meurtre perpétrée à Riverview (Nouveau Brunswick), le 1er mars 1990. L'affaire a fait l'objet d'une enquête par des membres de la GRC appartenant au détachement de Riverview dont le sergent d'état-major McCann était le commandant de septembre 1987 à juin 1992. Certaines photographies dépeignent prétendument des activités sexuelles impliquant des membres d'une équipe de hockey. Une personne ayant passé une entrevue a prétendu que le sergent d'état-major McCann figurerait sur une de ces photos.
  3. Lorsque le sergent Doug Lockhart procédait à l'instruction de l'enquête portant sur le sergent d'état-major McCann, en 1993, une rumeur courait selon laquelle on avait surpris le sergent d'état-major McCann dans les toilettes d'une patinoire de hockey, dans une situation compromettante avec un jeune joueur de hockey.
  4. Une rencontre entre le sergent Lockhart et le sergent d'état-major McCann, ayant eu lieu le 12 mars 1992.
  5. L'entrevue que le gendarme Pat Cole et le sergent d'état major Jacques Ouellette ont fait passer à M. McCann dans sa résidence, le 29 octobre 1998.

15.2 La mutation du sergent d'état-major McCann

Compte tenu du fait que le sergent d'état-major McCann a été muté du détachement de Riverview à la direction générale de la Division J de la GRC, à Fredericton, juste au moment où l'on procédait à l'enquête criminelle de l'ÉFNB, la CPP a décidé d'examiner de plus près les circonstances entourant le déroulement du processus de mutation. L'examen en question comporte des entrevues d'officiers supérieurs ayant participé au processus décisionnel, ainsi qu'un examen approfondi des documents versés dans le dossier de service du sergent d'état-major McCann.

15.2.1 Sa réputation au sein de la Division O (Ontario)

Dans le rapport d'entrevue du personnel daté du 15 décembre 1971, l'inspecteur d'état major G.A. Scott déclare que le caporal McCann, qui était responsable du Service national de renseignement sur la criminalité (SNRC) situé à Hamilton (Ontario) et faisant partie de la Division O, éprouvait des difficultés avec l'officier responsable de la brigade des mours de la police municipale de Hamilton. Il explique plus loin que ces problèmes étaient consignés au dossier, mais que ces difficultés n'avaient pas eu de répercussions graves sur le travail de McCann.

La CPP a réussi à communiquer avec Ray Vassalo, un ancien collègue de M. McCann dans la Division O. M. Vassalo a déclaré qu'il avait été choqué par les allégations concernant l'ÉFNB qu'il avait entendues sur M. McCann et qu'il n'arrivait pas à les croire. Un des anciens superviseurs de M. McCann dans la Division O, le sergent d'état major à la retraite Peter Pallister, a également été consterné lorsqu'il a appris ces allégations.

La CPP a essayé de localiser des membres à la retraite de la brigade des mours de la police municipale de Hamilton ayant travaillé dans les années 1970, mais a appris que les deux officiers de cette brigade qui auraient été les plus susceptibles de participer aux recherches étaient déjà décédés.

L'examen du dossier d'état de service de M. McCann ne révèle aucune raison factuelle de soupçonner que ce dernier ait été impliqué dans des activités douteuses. Avant que M. McCann ne bénéficie de sa promotion et de sa mutation, son commandant dans la Division O, le commissaire adjoint H.P. Tadeson, a déclaré ainsi : « Je vais regretter les services du serg. McCANN, mais je ne m'opposerai pas à sa mutation promotionnelle s'il n'est pas possible de trouver, dans une autre division, un meilleur candidat pour le poste disponible dans la Division J. » D'autres officiers supérieurs de la Division O ont fait des commentaires semblables dans le même rapport d'entrevue du personnel.

Cependant, la gendarme Kathy Long (aujourd'hui à la retraite), au cours d'une entrevue avec la CPP, a reconnu avoir entendu des rumeurs, lorsqu'elle travaillait dans la Division J, selon lesquelles le sergent d'état-major McCann avait quitté l'Ontario « en état de disgrâce ». C'est la première fois que la CPP a eu connaissance de la rumeur. La gendarme ne se souvenait plus de la personne qui la lui avait soufflée, ni à quel moment, ni des circonstances dans lesquelles elle l'avait entendue.

La CPP a examiné tous les documents et les transcriptions pertinents au sujet de cette rumeur, mais n'a pas été en mesure de trouver d'autres preuves pour corroborer son existence ou d'autres renseignements pour confirmer que cette rumeur ait joué un rôle important dans le cadre des allégations concernant Kingsclear.

15.2.2 Du Détachement de Riverview jusqu'à la direction générale

La première mention de la mutation du sergent d'état-major McCann à la direction générale de la Division J de la GRC figure dans un document daté du 3 janvier 1992 et préparé par l'inspecteur Peter J. Miller, officier du Service du personnel et des affectations de la Division J. Voici une des recommandations inscrites dans ce document : « que le sergent d'état-major MCCANN soit muté hors de Riverview au cours du printemps/de l'été 1992 ... », signée par le surintendant Al Rivard, officier responsable de la Sous division de Moncton, le 15 janvier 1992, ainsi que par le commandant de la Division J, le surintendant principal Herman Beaulac, le 17 janvier 1992.

Et l'on constate que, dans le formulaire de mutation (le formulaire de mutation A22A), signé par le sergent d'état-major McCann et par le surintendant Rivard, la case correspondant au lieu de mutation a été « effacée » avec du liquide correcteur. D'après le formulaire de mutation, il avait été décidé au départ que le sergent d'état-major McCann serait muté au poste de rédacteur auprès de la Police criminelle, où il travaillerait sous la direction de l'officier responsable de la Police criminelle, le surintendant Giuliano Zaccardelli.

Pour déterminer si la modification apportée au formulaire de mutation avait une signification particulière, la CPP a fait passer des entrevues à trois officiers à la retraite qui ont travaillé au Service du personnel et des affectations lorsque le sergent d'état-major McCann a été muté au détachement de Riverview et lorsqu'il a été muté de Riverview à un autre lieu de travail. La CPP a également parlé avec l'ancien commissaire Zaccardelli sur le rôle qu'il avait joué, surtout en ce qui concerne les remarques que le surintendant Rivard a fait à la gendarme Long au sujet de deux réunions qu'il avait eues avec l'ancien commissaire pour discuter du sergent d'état-major McCann.

15.2.3 Ancien commissaire Giuliano Zaccardelli

La CPP a discuté avec M. Zaccardelli au sujet de la mutation du sergent d'état-major McCann, et plus particulièrement sur la procédure ayant été suivie et sur la question de savoir si l'officier de la Police criminelle a eu la possibilité de s'exprimer sur la question. M. Zaccardelli a expliqué que si le sergent d'état-major McCann avait relevé directement de lui, il aurait été doté de l'autorité pour recommander sa mutation. Cependant, il aurait quand même été tenu d'agir par l'intermédiaire du Service du personnel et des affectations et de communiquer les raisons de la mutation au commandant de ce service, puisque uniquement ce bureau a l'autorité pour autoriser les mutations.

Et, en ce qui concerne sa mutation, je n'étais pas au courant. Je n'ai pas participé à cette procédure. On ne m'a pas demandé mon avis à ce sujet. Mais ce n'est pas le cas, ce serait la procédure normale parce que je n'y ai pas participé, vous savez, clairement, soit Rivard ou le Service du personnel et le commandant s'en sont probablement occupés. Je n'ai rien à voir avec cela. Ils ne sont jamais venus me voir, pour me dire : « Vous savez, que pouvons nous faire avec cet homme après ces allégations. » On n'a pas mentionné d'allégations. Il est évident que le commandant était au courant et, vous savez, alors je suis surpris du fait que, si Al Rivard dit qu'il n'était pas au courant ou qu'il n'en avait pas été informé, cela signifie, clairement quelqu'un le savait, quelqu'un d'un grade supérieur le savait .

On a porté à l'attention de M. Zaccardelli l'existence d'un rapport de suivi daté du 20 mars 2002, dans lequel la gendarme Kathy Long a inscrit que le surintendant Rivard lui avait dit que les notes qu'il avait prises dans son calepin indiquaient qu'il avait eu deux conversations avec le surintendant Zaccardelli au sujet de M. McCann en mai 1992. M. Zaccardelli a indiqué à la CPP qu'il ne se rappelait pas du tout que le surintendant Rivard l'ait approché pour lui parler de problèmes concernant le sergent d'état-major McCann. Il a expliqué que le surintendant Rivard estimait qu'il (Rivard) aurait dû être nommé officier de la Police criminelle et que, par conséquent, à moins que son commandement ne l'eût obligé à entrer en contact direct avec l'officier de la Police criminelle, il essayait de l'éviter. Il a également trouvé cela étrange que la gendarme Long ait dit qu'il avait rencontré le surintendant Rivard, parce qu'il ne se souvenait pas du tout d'une telle rencontre. Il a dit que s'il avait rencontré le surintendant Rivard au sujet de l'enquête concernant le sergent d'état-major McCann, il s'en souviendrait sûrement. Pour expliquer le rapport de suivi de la gendarme Long, il déclare ainsi :

concernant ... la note d'information provenant de Kathy Long. Vous savez, je n'ai aucune idée de quoi il s'agit. N'oubliez pas ce que je vous ai dit, il était responsable du détachement de Riverview. Il relevait du surintendant Rivard. Ce que je --- vous savez, parce qu'il ne nous donne pas de détails ici. Clairement, à mon avis, Rivard est contrarié. J'ai eu l'impression que Rivard était contrarié à cause de la manière dont McCann dirigeait le détachement. Voilà ce qui l'a énervé et, lorsqu'il a dit qu'il avait eu une conversation avec moi, il ne pouvait s'agir de ce qu'il pouvait faire à son égard concernant sa direction du détachement, parce que je ne disposais d'aucune autorité en ce sens.

Je n'avais pas l'autorité pour intervenir auprès du Service du personnel au sujet de la mutation des gens. Je veux dire que, je pouvais faire des recommandations, etc. parce que, dans le cadre de l'organisation, il était tenu d'aller, parce qu'il était responsable de McCann, il était tenu de consulter le commandant et puis, de parler à l'officier responsable du Service de personnel sur la question de savoir s'il devait être renvoyé ou non. Il est évident qu'il n'était pas très heureux de sa présence ici. Voilà ce que je veux dire, parce qu'il a réussi, en fait, les gars de deuxième rang sont ceux qui s'occupent de tout. Mais, alors ça c'est tout, mais je peux vous dire qu'il n'y a jamais rien eu, je ne me souviens pas du tout d'avoir tenu une conversation avec Al Rivard dans laquelle il m'aurait dit « Je suis inquiet au sujet de McCann » et il est évident qu'il aurait pu être préoccupé par beaucoup de choses.

Mais si nous examinons les deux possibilités, d'abord « Je veux le faire muter parce qu'il n'est pas un bon gestionnaire. » Je ne me souviens pas du tout de cela et il ne m'a certainement jamais dit quelque chose comme « Ce gars est un suspect possible » ou « Je suis inquiet par son comportement envers les enfants » parce que ça je m'en serais, encore une fois, absolument je m'en serais souvenu et j'aurais certainement ordonné qu'on prenne des mesures ... Absolument, cela n'a jamais eu lieu, mais je crois savoir maintenant à quoi il fait référence, de quoi il parle. Et il n'y a jamais eu de suivi. Je n'ai jamais vu de document qu'Al Rivard m'aurait envoyé à ce sujet. Le commandant, Herman Beaulac, ne m'a jamais appelé pour me dire « Écoute, nous avons un problème. Qu'est ce que tu as fait à ce sujet? » N'oubliez pas, parce que c'est seulement — si vous remarquez, dans l'échange de correspondance, le problème des allégations concernant sa conduite à l'égard de certains pensionnaires figure dans les lettres envoyées à Herman Beaulac de ma part et pas le contraire. Alors, il est évident qu'il n'a probablement reçu aucune information de la part d'Al Rivard. Je n'ai rien reçu de la part de l'officier du Service du personnel, l'officier des ressources humaines qui venait parfois me voir pour me dire « Écoute, nous avons un problème. Où penses tu que nous pourrions le muter? » Rien de cela ne m'est jamais arrivé. J'étais tellement surpris lorsque j'ai vu ça et je ne sais pas ce que Al Rivard cherche à faire.

15.2.4 Inspecteur à la retraite Ken Kerr

La CPP a communiqué avec plusieurs officiers du Service du personnel et des affectations qui sont à la retraite, au sujet du document de mutation et du déroulement du processus de mutation des officiers. Ils nous ont expliqué à quoi servait le document, qui y avait accès et de qui relevait la décision définitive concernant la mutation de chaque officier.

Ken Kerr, dont le nom figure dans les rapports d'entrevues du personnel portant sur le sergent d'état-major McCann, a passé une entrevue le 9 mai 2006, à Fredericton (Nouveau-Brunswick). Il dit qu'il se souvient du sergent d'état-major McCann, mais seulement parce qu'il participait au processus d'entrevues du personnel qui était effectué tous les trois à cinq ans, pour tous les membres. Il se rappelle avoir dû convaincre le sergent d'état-major McCann d'accepter sa mutation au détachement de Riverview en 1987, laquelle avait été décidée, selon lui, après une vérification du Bureau des enquêtes criminelles. La vérification, une procédure de routine auprès des services de police, avait indiqué les personnes ayant occupé certains postes trop longtemps.

Il a expliqué que la décision définitive de chaque mutation relève du Service du personnel et des affectations et que les officiers responsables des sous divisions n'ont pas l'autorité pour modifier le lieu de mutation accordé aux membres. L'inspecteur Kerr a mentionné que, si l'officier responsable de la sous division ou toute autre personne avait soulevé des inquiétudes, son service aurait alors tenu compte de ces préoccupations et aurait pris une décision en conséquence. Il a également dit que seul le Service du personnel et des affectations pouvait apporter des modifications au formulaire de mutation (A22A).

Après lui avoir montré le formulaire de mutation du sergent d'état-major McCann et la case du lieu de mutation ayant été modifiée, M. Kerr a précisé que, de temps en temps, il pouvait se produire des changements de ce genre, mais il a insisté pour dire que ce changement avait sûrement été effectué par quelqu'un qui travaille auprès du Service du personnel et des affectations, lequel relève directement du commandant. Il a ajouté que, normalement, on aurait dû remplir un nouveau formulaire de mutation (A22A). Comme il a pris sa retraite en 1988, il n'a pas du tout participé au processus de mutation du sergent d'état-major McCann à la direction générale de la Division J en 1992.

15.2.5 Sergent d'état-major à la retraite Larry Cochrane

La CPP a fait passer une entrevue à Larry Cochrane le 9 mai 2006 à Fredericton (Nouveau Brunswick). Il travaillait au Service du personnel et des affectations lorsque le sergent d'état-major McCann était en service et on lui a posé les mêmes questions concernant le formulaire de mutation. Ses explications corroborent celles de l'inspecteur Kerr.

On a montré à M. Cochrane le formulaire de mutation du sergent d'état-major McCann. Il a indiqué que ce n'était pas inhabituel de changer le lieu de mutation, mais que la manière dont le document du sergent d'état-major McCann avait été modifié « n'était pas normale » et que « non, ça n'arrive pas tous les jours. Je veux dire que vous avez affaire à quelque chose de plutôt grave lorsqu'il est question de mutations. Mais disons que ce n'est pas normal. »

Il a dit qu'il travaillait au Service du personnel et des affectations lorsque le sergent d'état-major McCann a été muté, mais il ne se souvient pas de cette mutation en particulier. Il a été catégorique sur le fait que seul le Service du personnel et des affectations détient le pouvoir de modifier le lieu de mutation, et non pas le sergent d'état-major McCann, ni le surintendant Rivard.

15.2.6 Commissaire adjoint Peter Miller

Dans une entrevue organisée par la CPP et enregistrée sur bande sonore, Peter Miller a confirmé qu'il avait participé à la mutation du sergent d'état-major McCann à la direction générale de la Division J en 1992. Il se rappelle que, lorsqu'il est arrivé à la direction générale de la Division J en qualité d'officier adjoint au Service du personnel et des affectations, à l'automne 1989, le commandant Denis Farrell l'a chargé d'effectuer une vérification de tous les postes de sergent d'état-major de la Division J afin de transférer les titulaires de ces postes et de les remplacer. Il a dit que le sergent d'état-major McCann a été muté du détachement de Riverview à la direction générale de Fredericton parce qu'il faisait partie des dix membres dont les postes avaient été signalés et qui devaient être mutés à un autre poste. Il a précisé que, lorsqu'il travaillait au Service du personnel et des affectations, il n'a jamais été informé du fait que le sergent d'état-major McCann ait déjà fait l'objet d'une enquête criminelle.

15.3 La disparition des photographies

Le 1er mars 1990, un homme de 42 ans qui rentrait chez lui en voiture, après avoir passé la soirée à Moncton (Nouveau-Brunswick), a traversé une zone connue pour être fréquentée par des homosexuels. Il s'est arrêté sur la rue Main, à Moncton, pour faire monter une personne de sexe masculin qu'il avait déjà rencontrée et qu'il pensait seule. Lorsqu'il s'est arrêté pour faire monter l'individu en question, une autre personne de sexe masculin a surgi des buissons situés à proximité et les deux hommes sont montés dans sa voiture.

Les deux hommes voulaient qu'il les conduise dans un endroit isolé. Cependant, le trio a fini par se rendre à la résidence du conducteur à Riverview où les hommes ont essayé de le tuer. Il était environ 23 h 30. La victime de la tentative de meurtre a réussi à s'échapper chez un voisin d'où il a téléphoné à la GRC. Les gendarmes Pat Hill et Luc Thibault du détachement de la GRC à Riverview sont allés sur les lieux.

Peu après, la police municipale de Moncton a arrêté deux personnes de sexe masculin, approchant la vingtaine, puis les a inculpées de plusieurs crimes, y compris de tentative de meurtre. D'après les documents judiciaires obtenus auprès des avocats du bureau du Procureur général du Nouveau-Brunswick de Fredericton, les deux inculpés ont finalement présenté des plaidoyers de culpabilité à des accusations moins graves, dont des voies de fait graves.

Au cours d'une entrevue avec l'enquêteur de la GRC, le gendarme Robert Rochon, la victime de la tentative de meurtre a reconnu qu'il s'était arrêté pour faire monter le jeune homme qui semblait être tout seul dans le but d'avoir des relations sexuelles avec lui. Il n'a admis son orientation sexuelle qu'après que le gendarme Rochon lui a montré des photographies Polaroid à caractère sexuel qui avaient été saisies chez lui. Bien que cet incident ne soit pas directement lié à l'ÉFNB, la CPP s'est penchée sur cette enquête parce que les photographies en question ont disparu alors qu'on prétendait que sur l'une d'entre elles figurerait le sergent d'état-major McCann.

15.3.1 L'enquête menée par la CPP

L'incident sur la disparition des photographies s'est manifesté en 1992, lorsque le sergent Lockhart menait une enquête sur le sergent d'état-major McCann. La GRC avait saisi plusieurs photographies Polaroid à caractère sexuel dans la résidence de la victime de la tentative de meurtre, au cours de l'enquête instruite en 1990. Le caporal Claude Tremblay, du détachement de Riverview, a déclaré que le sergent d'état-major McCann figurerait sur l'une des photos ayant été saisies. Ces photographies ont disparu peu de temps après et, à ce jour, personne n'est en mesure d'expliquer leur disparition.

Les gendarmes Pat Hill, Luc Thibault et Roger Cameron, ainsi que le caporal Dan Arnett, le superviseur de quart, se sont rendus sur le site où a eu lieu la tentative de meurtre. Le lendemain de la tentative de meurtre, le caporal Arnett a nommé le gendarme Rochon enquêteur responsable de cette affaire. La description des photographies diffère selon les personnes qui ont passé une entrevue. Certains ont vu des photos de jeunes joueurs de hockey nus et d'autres, des photos explicites de jeunes hommes dans diverses positions sexuelles. Un seul officier a déclaré avoir vu une photo du sergent d'état-major McCann posant avec trois jeunes hommes plus ou moins déshabillés et il est certain qu'ils avaient entre 17 et 19 ans. Tous les autres officiers ayant passé une entrevue qui ont admis avoir vu les photographies ont déclaré que les jeunes hommes semblaient avoir entre 16 et 17 ans. La seule autre exception est le sergent d'état-major Bill Burrows qui a dit que leur âge se situait plutôt entre 13 et 15 ans.

La CPP a fait passer des entrevues à 31 personnes qui ont travaillé au détachement de Riverview avant, pendant et après la tenue de l'enquête sur la tentative de meurtre, ainsi qu'à l'avocat de la Couronne chargé de poursuivre les deux jeunes inculpés. La CPP a fait passer des entrevues à des officiers ayant été sélectionnés parce qu'ils détenaient certains renseignements au sujet des photographies en question. La CPP estime que ces résumés sont les documents les plus pertinents pour déterminer la validité et l'ampleur des allégations selon lesquelles on a essayé de camoufler et de protéger le sergent d'état-major McCann, et pour déterminer la conformité des enquêtes menées par la GRC.

1. Entrevue du caporal Pat Hill (le 24 juillet 2006)

Le caporal Pat Hill a passé une entrevue auprès de la CPP, à Montréal (Québec). À cette époque, il travaillait au détachement de Riverview en qualité de gendarme et il se souvenait qu'il s'était rendu sur la scène à environ 23 h 30. Il avait travaillé durant le quart de l'après midi et il se rappelait que l'incident était arrivé vers la fin de son quart de travail. Il ne se rappelait pas s'il était allé sur les lieux du crime avec le gendarme Thibault ou s'ils avaient pris chacun un véhicule, mais il se rappelait que le gendarme Thibault se trouvait sur les lieux. Il a déclaré que, une fois sur la scène, il s'est rendu compte qu'il s'agissait d'un incident beaucoup plus grave qu'il ne le pensait au départ et qu'il a demandé à être assisté par des officiers plus expérimentés. Le gendarme Roger Cameron s'est rendu sur la scène pour aider ses collègues. Le caporal Hill ne se souvenait pas si le caporal Arnett était là, mais il se rappelait que le caporal Arnett était le superviseur de quart ce soir là.

Le caporal Hill se souvenait d'avoir fouillé la maison pour chercher des suspects et d'avoir vu la photographie d'un jeune homme allongé sur un lit en sous vêtement bleu et qui était en érection. Il se souvenait d'avoir vu plus d'une photo, mais aucune photo où apparaissait le sergent d'état-major McCann.

2. Entrevue du gendarme Luc Thibault (le 27 juin 2006)

Le gendarme Luc Thibault a passé une entrevue auprès de la CPP à Fredericton (Nouveau-Brunswick). Il se souvenait de la tentative de meurtre et il a déclaré que, d'aussi loin qu'il se souvienne, il s'était rendu sur les lieux accompagné du caporal Hill et il a fouillé la maison pour chercher des suspects. Puis, il s'est rappelé que, lorsqu'il fouillait la chambre à coucher principale, il a vu la photographie d'un homme nu sur un lit ou sofa. Il ne se souvenait pas si quelqu'un lui avait montré la photo ou s'il l'avait trouvée tout seul. Il a dit que par la suite, il avait entendu des rumeurs selon lesquelles il y avait plusieurs photos, mais que pour sa part il n'en avait vu qu'une seule. Il ne se rappelait pas si le caporal Arnett se trouvait sur la scène ou s'il avait vu des photographies, plus tard, sur le bureau du caporal Arnett.

Le gendarme Thibeault a déclaré n'avoir vu aucune photo du sergent d'état-major McCann.

3. Entrevue du sergent Roger Cameron (le 17 juillet 2006)

Le sergent Roger Cameron a passé une entrevue auprès de la CPP à la l'administration centrale de la commission située à Ottawa (Ontario). Il a été affecté au détachement de Riverview en qualité de gendarme, à partir de l'automne 1989 jusqu'au mois de février 1991. Il a déclaré que, avant d'être muté au détachement de Riverview, il ne connaissait le sergent d'état-major McCann que de nom.

Le sergent Cameron a déclaré que le 1er mars 1990, il devait travailler pendant le quart de l'après midi, de 16 h à minuit. Et il se souvenait d'avoir été appelé sur les lieux de la tentative de meurtre parce qu'il était l'officier supérieur affecté à ce quart de travail. Il a dit que le caporal Arnett était le superviseur de quart et que ce dernier avait travaillé ce soir là, mais il ne se rappelait pas si le caporal était allé sur place ce soir là.

Le sergent Cameron ne se souvenait pas d'avoir vu des photographies sur la scène. Cependant, lorsqu'il est retourné sur les lieux le lendemain, accompagné par le gendarme Rochon qui avait été désigné en qualité d'enquêteur responsable, il s'est rappelé avoir vu des photos Polaroid. Il a dit que sur les photos figurait l'homme ayant été victime de la tentative de meurtre, lequel posait nu. Il a ajouté que selon lui cet homme s'était pris en photo en face d'un miroir. Il a mentionné qu'il n'avait pas souvenir de photographies de jeunes hommes ou femmes, ni du sergent d'état-major McCann.

Le sergent Cameron a dit à la CPP qu'il ne se souvenait pas d'avoir vu les photographies sur le bureau d'un membre du détachement, ni d'avoir entendu des rumeurs selon lesquelles le sergent d'état-major McCann figurait sur l'une de ces photos. Bien qu'il ait assisté à l'enquête préliminaire des deux jeunes hommes inculpés pour tentative de meurtre, il n'a aucun souvenir de la présence du sergent d'état-major McCann pendant l'enquête préliminaire.

4. Entrevue du sergent à la retraite Cy Doucette (le 16 mars 2006)

Cy Doucette a passé une entrevue auprès de la CPP à Fredericton (Nouveau-Brunswick). La CPP n'a pas enregistré cette entrevue sur bande sonore, à la demande de M. Doucette. Cependant, on a pris des notes de la conversation.

M. Doucette a déclaré avoir été muté au détachement de Riverview en 1984 où il est resté en poste jusqu'en juillet 1991. Le sergent d'état-major McCann était responsable du détachement lorsque M. Doucette a été muté ailleurs. Il a dit qu'il avait rencontré le sergent d'état-major McCann plusieurs années avant d'être muté au détachement de Riverview, lorsque tous les deux travaillaient dans l'ancienne direction générale de la Division J situé sur le chemin Woodstock.

M. Doucette a déclaré à la CPP que, lorsqu'il travaillait à la direction générale de la Division J de la GRC, il a mis en place une initiative de police communautaire à laquelle participait l'ÉFNB. Cette initiative policière, autorisée par le commandant de la Division J et par le surintendant de l'École, encourageait les officiers à participer à des programmes sportifs au sein de la communauté. Il s'est rappelé qu'une fois, le sergent d'état-major McCann lui avait dit qu'il allait chercher des garçons à l'ÉFNB, mais il avait oublié en quelle année cette situation avait eu lieu. Cependant, à cause de l'initiative policière qui était en place au sein de la communauté, aucune pensée négative ne lui avait traversé l'esprit.

Lorsqu'il était posté à Riverview, M. Doucette était commandant adjoint et trois caporaux relevaient de lui. Il pense qu'il s'agit de Bill Trewin, Dan Arnett et Rolly McNeil. Il n'est pas sûr, cependant, de l'ordre dans lequel ils ont travaillé dans ce détachement.

Au départ, il était conservateur des pièces à conviction et responsable du local sous douane où l'on conserve ces pièces. Il croyait, cependant, que peu avant 1990, le sergent d'état-major McCann, en sa qualité de commandant, avait réattribué la responsabilité du local sous douane au caporal Arnett. Il était absolument certain de n'être pas responsable de ce local lors de l'instruction de l'enquête concernant la tentative de meurtre.

Il se souvenait d'avoir vu une photo Polaroid d'un joueur de hockey nu en érection. Puis, sous la pression, il a ajouté que le sergent d'état-major McCann, le sous officier responsable, a regardé les photos et lui a probablement dit qu'il s'agissait d'un joueur de hockey. Il ne se souvenait pas de la manière ou du moment où cette discussion avait eu lieu. Il a dit n'avoir vu aucune photo du sergent d'état-major McCann.

Il a décrit la procédure de consigne des pièces à conviction et il a dit que, outre la personne responsable du local sous douane, la seule autre personne qui détenait probablement une clé de ce local était le commandant du détachement, en l'occurrence, le sergent d'état-major McCann.

Il a dit que, lorsqu'il travaillait au détachement de Riverview, il a entendu parler du sergent d'état-major McCann mais qu'il n'a pas connaissance personnellement des faits qui auraient pu l'aider à confirmer ou à infirmer ces rumeurs. Il a indiqué que le sergent d'état-major McCann avait accordé un intérêt particulier aux dossiers d'agression sexuelle. Il a soutenu ne rien savoir de ce qui aurait pu advenir de ces photos.

5. Deuxième entrevue du sergent à la retraite Cy Doucette (le 1er août 2006)

Lorsque la CPP a fait passer à M. Doucette sa première entrevue, on croyait que le dossier concernant la tentative de meurtre avait été détruit. Voilà pourquoi la CPP n'a pas vérifié certains aspects de son entrevue. Cependant, lorsqu'on a appris que le dossier n'avait pas été détruit et que la CPP a demandé et examiné le dossier, on a fait passer à M. Doucette une deuxième entrevue pour clarifier certaines de ses réponses.

La CPP a fait passer une deuxième entrevue à M. Doucette le 1er août 2006, pour le mettre à l'épreuve et pour déterminer qui était le conservateur des pièces à conviction au moment de l'instruction de l'enquête sur la tentative de meurtre en mars 1990. Après qu'on lui a montré des listes de pièces à conviction qu'il avait signées en qualité de conservateur des pièces à conviction, M. Doucette a dit qu'il s'était clairement trompé lorsqu'il avait déclaré la première fois qu'un des caporaux avait été chargé de cette tâche.

Après avoir reconnu sa signature sur les formulaires des pièces à conviction, M. Doucette a essayé de décrire, d'après ses souvenirs, la procédure qu'il avait suivie pour consigner les pièces à conviction. ll a dit à la CPP qu'il ne se rappelait pas s'il mettait la clé du local sous douane dans la chambre forte située dans le bureau du sergent d'état-major ou s'il la gardait sur lui, dans son porte clés personnel. Il a précisé que personne, en dehors du conservateur du local sous douane, n'avait accès à cette chambre. Il ne se rappelait pas si le sergent d'état-major McCann possédait ou non un double de la clé. Il a dit, cependant, que d'habitude, il y avait une autre clé dans le bureau du commandant du détachement, poste occupé à cette époque par le sergent d'état-major McCann.

Il a été catégorique sur le fait qu'il avait vu une seule photo Polaroid montrant un homme nu en érection. Il a dit penser que c'était le lendemain de la tentative de meurtre. Il se souvenait de l'avoir vue sur un bureau situé dans le « bullpen », c. à d. le bureau où les gendarmes s'acquittent de leurs tâches bureaucratiques. Il ne se souvient pas de l'avoir revue.

6. Entrevue du sergent d'état-major à la retraite Bill Burrows (le 15 mars 2006)

Bill Burrows a passé une entrevue auprès de la CPP le 15 mars 2006 à Moncton (Nouveau-Brunswick). Il a déclaré que de novembre 1988 jusqu'au 17 septembre 1990, il était sous officier dans la partie sud de la sous division de Moncton, laquelle comprenait le détachement de Riverview. Une de ses responsabilités était d'effectuer des vérifications annuelles de tous les détachements se trouvant dans la partie sud de la sous division pour assurer leur efficacité opérationnelle. Il a occupé ce poste jusqu'au moment de sa mutation à un nouveau poste en qualité de sous officier dans la sous division de Moncton, en septembre 1990.

Il se souvenait que, peu avant sa mutation en septembre 1990, alors qu'il était assis au bureau du sergent d'état-major McCann, au détachement de Riverview, en train d'effectuer une vérification, il a vu par hasard trois photographies, des photos Polaroid possiblement. Il a dit que les jeunes hommes qui figuraient sur les photos étaient en sous vêtements et qu'ils étaient âgés entre 13 et 15 ans. Il ne se rappelait pas si les photos étaient dans le tiroir du bureau du sergent d'état-major McCann ou si elles étaient dans un dossier qu'il était en train de vérifier au cours de sa visite.

Alors qu'il était en train de regarder les photos, le sergent d'état-major McCann est entré dans le bureau. Et lorsqu'il lui a posé des questions sur ces photos, le sergent d'état-major McCann a répondu qu'elles n'auraient pas dû se trouver là et il les a emportées. Il ne se souvient pas d'avoir entendu parler de la tentative de meurtre ni d'avoir vérifié un dossier concernant une tentative de meurtre au détachement de Riverview.

Puis, on a demandé à M. Burrows d'identifier une déposition écrite qu'il a donnée aux gendarmes Kathy Long et Denise Potvin, le 13 mars 2002, au sujet de ce qu'il savait sur les photos disparues. Il a dit qu'il n'avait pas rédigé la déposition, mais qu'il l'avait lue et signée au moment de l'entrevue. Il a dit à la CPP qu'il avait entendu parler de l'orientation sexuelle du sergent d'état-major McCann, mais qu'il avait refusé d'en discuter, parce qu'il n'accorde pas d'importance aux rumeurs. Il a dit ne rien savoir de particulier au sujet des rapports existant entre le sergent d'état-major McCann et l'ÉFNB ou le hockey mineur.

Il a souligné que le surintendant Rivard ne l'informait pas de tous les événements qui avaient lieu au sein de la division et que, pendant qu'il occupait le poste de sous officier de la sous division, à aucun moment on ne l'avait mis au courant de l'instruction d'une enquête criminelle concernant le sergent d'état-major McCann. Il a dit que sa mutation au détachement de Riverview pour remplacer le sergent d'état-major McCann, en juin 1992, l'avait vraiment surpris.

7. Deuxième entrevue du sergent d'état-major à la retraite Bill Burrows (le 1er août 2006)

M. Burrows a passé une deuxième entrevue le 1er août 2006. On lui a demandé de vérifier les dates des postes qu'il a occupés. Il a donc présenté une liste de tous les postes qu'il a occupés depuis 1984, jusqu'à sa retraite, le 10 octobre 1994.

Il a confirmé que le 17 septembre 1990, le sergent d'état-major Mason Johnston l'a remplacé en qualité de sous officier de la section, dans la partie sud de la sous division de Moncton, laquelle comprenait le détachement de Riverview.

On l'a questionné de nouveau à propos de la déposition qu'il a faite aux gendarmes Long et Potvin, le 13 mars 2002, dans laquelle il a déclaré que le sergent d'état-major Johnston lui avait dit qu'il était en train de mener une enquête concernant le sergent d'état-major McCann. Lorsqu'on lui a demandé de confirmer le fait que le sergent d'état-major Johnston avait mentionné l'enquête en question, il a déclaré : « C'est ce qu'il a dit. » Il a ajouté qu'il ne connaissait aucun détail de l'enquête.

La CPP lui a montré une note et lui a posé des questions sur cette note figurant sur le calepin de la gendarme Long, datée du 5 avril 2002, et ayant été inscrite à la suite d'une réunion de l'équipe, au sujet d'une conversation entre le sergent d'état-major Dave Dunphy et le sergent d'état-major Johnston. D'après les notes de la gendarme Long, il semble que le sergent d'état-major Johnston avait dit au sergent d'état-major Dunphy que le sergent d'état-major Burrows lui avait demandé d'instruire une enquête au sujet du sergent d'état-major McCann. M. Burrows a dit qu'il ne se rappelait pas avoir déjà demandé au sergent d'état-major Johnston, ou à qui que ce soit d'autre, d'instruire une enquête au sujet du sergent d'état-major McCann concernant des allégations de méfaits.

Il a dit qu'il n'a pas vu de photos du sergent d'état-major McCann accompagné de jeunes hommes.

8. Entrevue du sergent d'état-major à la retraite Mason Johnston (le 14 mars 2006)

Mason Johnston a passé une entrevue auprès de la CPP le 14 mars 2006 à Moncton (Nouveau-Brunswick) et a accepté qu'elle soit enregistrée sur bande sonore. Il a dit qu'il communiquait fréquemment avec le sergent d'état-major McCann et qu'il le connaissait très bien, mais uniquement du point de vue professionnel. M. Johnston a expliqué que, de 1980 à 1982, il était responsable de la Section des enquêtes générales (SEG) et de la Section antidrogue, ainsi que d'autres enquêtes criminelles. En raison du poste que le sergent d'état-major McCann occupait à cette époque, M. Johnston travaillait en étroite collaboration avec lui.

Il a déclaré que, lorsque le sergent d'état-major McCann a été muté dans la région de Riverview et de Moncton, tout le monde était au courant qu'il fréquentait les jeunes de l'ÉFNB et des joueurs de hockey mineur. Il n'a pas entendu parler du sergent d'état-major McCann; cependant, il trouvait cela étrange que ce dernier passe autant de temps avec les jeunes de l'école. Il a dit à la CPP qu'il avait observé, à de nombreuses occasions, que le sergent d'état-major McCann était dans son bureau avec des jeunes hommes.

Il n'y avait aucun doute à ce sujet, lorsqu'on voyage avec un enfant tout le temps et, je présume, qu'il dormait là bas au Beauséjour qui était — quelqu'un avait dit « Oui, ils ont une chambre là bas et Cliff reste avec eux » et cetera, et cetera, mais personne n'a rien dit.

M. Johnston a dit qu'il ne connaissait personne qui ait soupçonné que des gestes de caractère criminel aient été posés.

Lorsqu'on lui a demandé si le sergent d'état-major Burrows l'avait enjoint de mener une enquête sur le sergent d'état-major McCann, il a dit qu'il n'avait jamais mené d'enquête au sujet du sergent d'état-major McCann. Il a expliqué qu'en tant que sous officier de section, il avait la responsabilité d'effectuer les vérifications annuelles des détachements se trouvant dans la partie sud de la division, y compris le détachement de Riverview. Dans ce détachement, il se souvient d'avoir effectué la vérification d'un autre dossier, mais celui ci n'avait aucun rapport avec cette affaire.

En réponse à la question concernant la mutation du sergent d'état-major McCann, il a dit que le surintendant Rivard était probablement responsable de la mutation du sergent d'état-major Burrows au détachement de Riverview, pour remplacer le sergent d'état-major McCann. Il se souvient que le sergent d'état-major Burrows n'était pas très heureux d'avoir été muté.

9. Deuxième entrevue du sergent d'état-major à la retraite Mason Johnston (le 3 août 2006)

M. Johnston a passé une deuxième entrevue à la suite des nouveaux renseignements qui sont survenus dans le cadre des autres entrevues. La CPP souhaitait clarifier certaines questions et lorsqu'elle a communiqué avec M. Johnston, ce dernier a accepté de nous rencontrer de nouveau.

On lui a posé des questions au sujet de la note qui figure dans le calepin de la gendarme Long, datée du 5 avril 2002, laquelle mentionne qu'il avait dit au sergent d'état-major Dunphy que le sergent d'état-major Burrows l'avait envoyé au détachement de Riverview pour enquêter sur le sergent d'état-major McCann. Après avoir lu la note inscrite dans le calepin de la gendarme Long, il a répondu « cela n'est jamais arrivé, le seul dossier sur lequel j'ai travaillé était celui de l'affaire Menard. » Il a soutenu qu'il n'avait jamais participé à une enquête concernant le sergent d'état-major McCann.

Il a dit qu'il ne se souvenait pas d'avoir discuté avec le surintendant Rivard au sujet du sergent d'état-major McCann ou d'avoir assisté à des réunions dans lesquelles on avait parlé du sergent d'état-major McCann. Il s'est rappelé qu'une fois, le sergent Lockhart était allé dans son bureau pour lui poser des questions au sujet du sergent d'état-major McCann et de l'ÉFNB. Cependant, à ce moment, il ne savait pas qu'il y avait une enquête en cours sur le sergent d'état-major McCann.

On lui a posé des questions à propos de l'enquête sur la tentative de meurtre et, au début, il a indiqué qu'il ne connaissait personne de ce nom. Mais, lorsqu'on lui a donné plus de détails, il a indiqué se rappeler que la victime de la tentative de meurtre avait un lien avec le hockey, mais pas des détails de l'enquête.

10. Entrevue du surintendant à la retraite Robert Rochon (le 28 juin 2006)

Robert Rochon a passé une entrevue le 28 juin 2006 à son bureau au ministère des Pêches et des Océans à Moncton (Nouveau-Brunswick). M. Rochon était affecté au détachement de Riverview au moment où a eu lieu la tentative de meurtre. Il se souvient d'avoir été sur les lieux le jour suivant, avec l'agent d'identification, le caporal Phil Legacy (décédé). Il a dit avoir trouvé et saisi des photographies qui étaient dans la chambre à coucher de la victime. Il a décrit les photos comme étant floues et il a dit qu'elles représentaient un homme devant un miroir qui prenait des photographies de lui même. Il a pensé qu'il s'agissait d'une photo de la victime et il a dit ne pas avoir vu de photos du sergent d'état-major McCann.

Peu de temps après avoir saisi les photos et être retourné au détachement, alors qu'il parlait au caporal Arnett, le sergent d'état-major McCann lui a demandé s'il pouvait voir les photographies qui avaient été saisies. Le sergent d'état-major McCann a signalé un jeune homme qui figurait sur une des photos et il a indiqué qu'il le connaissait, qu'il s'agissait d'un joueur de hockey. M. Rochon a précisé que c'est la dernière fois qu'il a eu une conversation avec le sergent d'état-major McCann au sujet des photos. Il n'a pas été en mesure de dire à la CPP avec certitude ce qui était advenu des photos, mais il dit qu'il avait l'intention de les utiliser comme pièces à conviction et qu'il aurait dû y avoir un rapport dans le dossier.

M. Rochon a été muté à la Division Dépôt de la GRC en juin 1990 et n'a plus participé à ce dossier avant de quitter le détachement de Riverview. Il a dit à la CPP que, lorsqu'il était affecté au Dépôt de la GRC, il a reçu un appel téléphonique du sergent Lockhart qui lui a posé des questions sur les photographies. Il est allé chercher, chez lui, le calepin qu'il avait rempli pendant la période de mars 1990, l'a rapporté à son bureau au Dépôt et il a rappelé le sergent Lockhart pour lui dire qu'il n'avait aucune note concernant les photos.

On a communiqué avec lui dans le cadre de la nouvelle enquête menée en 2001 au sujet de l'ÉFNB et de M. McCann, par l'entremise de la gendarme Denise Potvin, plusieurs années plus tard, mais il n'a pas réussi à retrouver son calepin. Il a dit qu'il présumait l'avoir égaré lors de son affectation à la Division Dépôt de la GRC. Il a dit que le sergent d'état-major McCann ne figurait sur aucune des photos qu'il avait saisies.

11. Deuxième entrevue du surintendant à la retraite Robert Rochon (le 3 août 2006)

Ce n'est que lorsque la CPP a fait passer une entrevue à la gestionnaire civile de la section des dossiers de la Division J que la CPP a pris connaissance du fait que lorsqu'un incident est classé comme étant une tentative de meurtre, il est par la suite archivé à Ottawa. À la demande de la CPP, elle a donc vérifié les archives d'Ottawa et transmis une copie du dossier complet.

À la réception du dossier de tentative, la CPP l'a examiné et a constaté que les photos n'avaient jamais été versées au dossier en qualité de pièces à conviction, comme M. Rochon l'avait indiqué. Par conséquent, on a fixé une deuxième entrevue avec M. Rochon, le 3 août 2006.

Au cours de la deuxième entrevue, la CPP a demandé à M. Rochon d'examiner le dossier, page par page. Après s'être exécuté, il était à court de mots pour essayer d'expliquer pourquoi les photos n'avaient pas été versées au dossier. Il a dit qu'il ne se souvenait absolument pas de ce qui était arrivé aux photographies. Il a insisté pour dire qu'il avait effectivement saisi les photographies et qu'il les avait mentionnées lorsqu'il a fait passer une entrevue à la victime.

Il a raconté de nouveau la manière dont le sergent Lockhart lui avait demandé de vérifier et de voir s'il avait, dans ses notes, des renseignements concernant les photos de la tentative de meurtre. Comme il l'a dit lors de sa première entrevue, lorsqu'il a apporté le calepin de sa résidence à son bureau au Dépôt, il a rappelé le sergent Lockhart pour lui préciser qu'il n'y avait rien dans ses notes au sujet des photos. Il pense que c'est à ce moment-là qu'il a dû perdre son calepin.

On lui a demandé s'il y avait une photo où figurait le visage du sergent d'état-major McCann, mais il a répondu qu'il n'avait vu aucune photo avec le visage du sergent d'état-major McCann, ni d'aucune autre personne qu'il connaissait. Il a déclaré également qu'il n'a jamais entendu qui que ce soit parler d'une photo montrant le sergent d'état-major McCann, ni entendu de rumeur sur une telle photo.

12. Entrevue du sergent à la retraite Bill Trewin (le 5 septembre 2006)

Bill Trewin a passé une entrevue auprès de la CPP le 5 septembre 2006 à Moncton (Nouveau-Brunswick). Au cours de son entrevue, M. Trewin a informé la CPP qu'il avait pris sa retraite en 1997, après 25 ans de service auprès de la GRC. Il a également déclaré à la CPP qu'on lui avait récemment diagnostiqué la maladie de Parkinson et il a dit que, dans une certaine mesure, cette maladie avait affaibli sa mémoire.

Il a remercié la CPP pour le colis de documents qu'on lui a envoyé et il a ajouté que cela l'a aidé à se concentrer sur l'information qu'il a donnée aux gendarmes Kathy Long et Denise Potvin au cours de la première enquête menée en 2000. Il a dit avoir été affecté au détachement de Riverview en mars 1990 et que ses souvenirs de l'incident de tentative de meurtre sont vagues parce qu'il n'a pas travaillé directement sur ce dossier.

On lui a demandé s'il avait entendu parler de photos qui avaient disparu du dossier portant sur la tentative de meurtre. Il a répondu n'avoir jamais entendu parler de photos disparues lorsqu'il était à Riverview. Il a dit que s'il avait vu des photos du sergent d'état-major McCann avec des garçons nus, il l'aurait rapporté à son superviseur immédiat, le sergent Doucette.

D'après ses souvenirs, tout au long de son affectation au détachement de Riverview, le sergent Doucette était le conservateur du local sous douane et personne d'autre n'était autorisé à y entrer sans être accompagné du sergent Doucette.

13. Entrevue du caporal Claude Tremblay (le 15 juin 2006)

Le caporal Claude Tremblay a passé une entrevue auprès de la CPP le 15 juin 2006. Il dit avoir été muté au détachement de Riverview en décembre 1989, mais n'avoir commencé qu'en janvier 1990. Son affectation a duré jusqu'en 1995. Il ne se rappelait plus si M. McCann était le sergent d'état-major de Riverview lorsqu'il est arrivé, mais il a déclaré qu'il pensait que le sergent d'état-major McCann était à Riverview la plus grande partie du temps.

Le caporal Tremblay s'est rappelé que le sergent Doucette, ainsi que les caporaux Arnett et McNeill, étaient à Riverview au cours de son affectation. Il a décrit le sergent d'état-major McCann comme étant une personne physiquement très affectueuse, une figure paternelle.

Lorsqu'on lui a posé des questions sur l'incident de tentative de meurtre, il a dit qu'il se souvenait de l'incident, mais pas d'avoir été sur les lieux. Il n'a pas eu connaissance de l'appel d'origine avant d'avoir lu les documents pour préparer son entrevue. Il s'est rappelé que, lorsqu'il est allé au travail le lendemain de l'incident de tentative de meurtre, il s'est rendu compte que quelque chose de grave s'était produit pendant la nuit, parce que le caporal Arnett avait été appelé sur les lieux.

On lui a montré la copie d'un rapport de suivi de la gendarme Long, daté du 10 janvier 2002, et qui porte sur une entrevue qu'il a passée avec elle. Après avoir lu le rapport en question, il a déclaré que celui-ci était exact. Cependant, il ne savait pas si, conformément à ce qu'elle y décrit, on avait effectivement dressé une liste des pièces à conviction, puisqu'il n'a pas du tout travaillé sur ce dossier. On lui a demandé de donner des précisions sur une déclaration dans laquelle il avait dit n'avoir pas vu les photographies. Il a répondu qu'il n'avait vu qu'une seule photo où figuraient les lieux présumés de la tentative de meurtre et que c'est le caporal Arnett qui avait l'ensemble des photographies en sa possession.

On lui a donné une copie de la déclaration qu'il a déposée devant la gendarme Long, le 6 mars 2002. Après avoir revu sa déclaration, il a dit que son contenu était exact, pour autant qu'il s'en souvienne. Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer une note inscrite sur le rapport, dans laquelle il est présumé avoir dit à cette dernière qu'il estimait qu'il y avait environ 20 photographies, il a exprimé son désaccord et il a dit se souvenir qu'il lui avait mentionné qu'il pouvait y avoir 5, 10, 15 ou 20 photos et que visiblement elle n'avait inscrit que le chiffre 20.

Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer les circonstances dans lesquelles il avait vu la photo dans laquelle figuraient le visage et l'épaule du sergent d'état-major McCann, il a répondu qu'il était seul dans le « bullpen » en face du bureau du caporal Arnett, le lendemain de l'incident. Il a dit qu'il avait vu le caporal Arnett entrer dans le détachement avec un paquet de photographies à la main, mais qu'il ne savait pas à cette époque et il ne sait toujours pas où le caporal Arnett avait obtenu les photos. Il est entré dans le bureau du caporal Arnett et il a vu les photos sur son bureau, puis il a pris une des photos et a pu voir la tête et les épaules du sergent d'état-major McCann, qui étaient clairement visibles dans la partie inférieure gauche de la photo. Il a souligné qu'il lui semblait que le sergent d'état-major McCann « riait comme un fou » sur la photo.

Il a ajouté que le caporal Arnett lui a dit de « garder le silence à ce sujet, pour le moment ». Il n'a pas eu l'impression que ces mots étaient prononcés dans le but de camoufler l'affaire; il a simplement eu le sentiment que les sous officiers allaient faire une enquête à ce sujet. Il a déclaré qu'il ignorait, à cette époque comme aujourd'hui, ce qui était advenu des photos et il a ajouté qu'il n'a plus jamais discuté de cette photo avec qui que ce soit.

Il a décrit la photo qu'il a vue sur le bureau du caporal Arnett comme étant une photo Polaroid où figurent quatre hommes. Un des hommes était couché sur un lit, en train de se masturber; un autre était assis du côté gauche du lit et un autre était debout, du côté gauche. La tête et les épaules du sergent d'état-major McCann figuraient sur la partie inférieure gauche de la Polaroid, comme s'il avait essayé de se placer en face de la caméra à la dernière minute. Il a dit que l'arrière plan était probablement une chambre de motel.

Il déclaré qu'il n'était au courant d'aucune enquête concernant le sergent d'état-major McCann avant que la gendarme Long communique avec lui en janvier 2002. Il a vu le documentaire de la CBC au sujet du sergent d'état-major McCann après avoir parlé à la gendarme Long. Il a ajouté ne pas avoir été surpris d'entendre parler du sergent d'état-major McCann.

14. Entrevue du gendarme à la retraite Yves Dorais (le 2 mars 2006)

Yves Dorais a passé une entrevue auprès de la CPP le 2 mars 2006 chez lui, à Grand-Sault (Nouveau-Brunswick). M. Dorais a pris sa retraite de la GRC en 2003, après avoir servi pendant 26 ans, la plupart du temps au Nouveau-Brunswick.

M. Dorais a déclaré qu'il a été muté au détachement de Riverview en 1988 et qu'il y est resté jusqu'en 1992. Il y a une chose qu'il a remarquée au sujet du sergent d'état-major McCann : ce dernier ne s'intéressait qu'aux dossiers d'agression sexuelle concernant des victimes de sexe masculin. Il a souligné qu'environ six mois après que le sergent d'état-major McCann est arrivé au détachement de Riverview, le gendarme Cameron et lui sont arrivés à la conclusion que le sergent d'état-major McCann était homosexuel. Ils ont, tous les deux, entrepris de vérifier les dossiers d'agression sexuelle du détachement et ils ont découvert que le sergent d'état-major McCann ne révisait que ceux qui portaient sur des victimes de sexe masculin.

Il a parlé à la CPP au sujet d'un dossier sur lequel il avait enquêté, au sujet d'une victime qui s'appelle Mario Menard, et auquel le sergent d'état-major McCann avait porté une attention particulière. Il se souvient d'avoir été voir l'avocat de la Couronne dans le dossier Menard. Ils sont tous les deux arrivés à la conclusion que M. Menard avait participé de son propre gré à l'acte de fellation. Voilà pourquoi on n'a pas déposé d'inculpations. Après sa réunion avec l'avocat de la Couronne, le sergent d'état-major McCann est passé le voir et voulait savoir s'il était possible de déposer d'autres accusations. D'après M. Dorais, ils n'ont pas été en mesure de dégager d'autres accusations applicables à ce dossier.

M. Dorais a dit qu'il était au courant de l'existence du dossier de tentative de meurtre, mais qu'il n'y avait pas participé personnellement. Il se souvient d'avoir entendu parler des photos, mais il n'en a vu aucune. Il a mentionné qu'à un moment donné, il a appris que quelques photos du dossier de tentative de meurtre avaient disparu et il se souvient d'avoir participé, avec d'autres officiers, à des recherches dans le détachement pour les retrouver. À sa connaissance, les photos disparues n'ont jamais été retrouvées. Il a précisé ne pas se souvenir des personnes qui avaient participé aux recherches avec lui.

Il a ajouté qu'il n'était pas au courant du fait que le sergent d'état-major McCann fréquentait des garçons de l'ÉFNB. Il a dit qu'il avait été invité à des réceptions organisées dans la résidence du sergent d'état-major McCann dans le passé, mais qu'il n'a pas remarqué de choses bizarres en ces occasions.

15. Entrevue du gendarme à la retraite Gerry Lebel (le 5 août 2006)

Gerry Lebel a passé une entrevue auprès de la CPP le 5 août 2006. Il a dit à la CPP qu'on l'avait été obligé à prendre sa retraite en janvier 2006 et qu'il n'était pas du tout satisfait à l'égard de la GRC. Il a déclaré avoir été affecté au détachement de Riverview le 28 mai 1990. Il est resté à Riverview jusqu'au 25 janvier 1992, puis il a été muté au détachement de Hillsborough. Il se souvient qu'au cours de son affectation à Riverview, il a travaillé avec des sous officiers, notamment le sergent Doucette et les caporaux Arnett et Trewin.

Bien que l'enquête concernant la tentative de meurtre ait été menée avant son arrivée au détachement de Riverview, il se souvient d'avoir entendu parler de la disparition de photos. Il a dit qu'il n'a jamais vu ces photographies et qu'il n'a jamais entendu quoi que ce soit sur la possibilité que le sergent d'état-major McCann ait figuré sur une de ces photos.

On lui a demandé de lire un rapport de suivi du sergent Lockhart, daté du 12 mars 1993, et qui dit que : « Le gendarme Lebel a vu les photographies et il a dit que les jeunes étaient Nus et en érection et que l'un des jeunes portait un short (sous vêtement). » Il a dit que le sergent Lockhart l'a probablement mal compris, parce qu'il n'a aucun souvenir d'avoir vu des photographies.

Il se souvenait d'avoir passé une entrevue menée par le caporal Clive Vallis à Plaster Rock, le 4 mars 2002. Il pensait que le caporal Vallis était une femme, et même après avoir appris qu'il s'agissait d'un homme, il était encore certain que l'entrevue qu'il a passée ce jour précis avait été tenue par une agente de la GRC.

On lui a montré une note dans le calepin du caporal Vallis, dans laquelle il est écrit que le gendarme Lebel avait surveillé le sergent d'état-major McCann, sur le chemin Trites, à Riverview, dans un véhicule, en compagnie d'un jeune homme et que, lorsqu'il avait été en présence du sergent d'état-major McCann, ce dernier lui avait dit qu'il s'agissait d'un informateur. M. Lebel a déclaré au cours de la même entrevue qu'il s'agissait de la troisième fois qu'il surprenait le sergent d'état-major McCann dans cette zone, en compagnie de jeunes hommes dans son véhicule. Il a dit qu'en ce qui concernait les deux autres fois, il était dans un terrain de golf situé près du chemin Trites. Les trois fois, le sergent d'état-major McCann a dit au gendarme Lebel qu'il était en train de faire passer des entrevues à des informateurs. M. Lebel n'a jamais parlé à qui quiconque au sujet des deux autres incidents.

Dans ses notes du 11 mars 2002, le caporal Al Rogers cite des propos de M. Lebel disant que les photos du dossier d'enquête de la tentative de meurtre représentaient des actes de sexe oral. Tout en lisant ses déclarations, il a continué de nier avoir vu ces photos et a insisté sur le fait qu'aucune déclaration ni information qu'il avait fournie ne mentionnait des actes de sexe oral.

Le fait que M. Lebel n'ait pas réussi à se souvenir précisément des événements pourrait donner certains indices sur sa crédibilité.

16. Entrevue du surintendant à la retraite Al Rivard (le 11 avril 2006)

Al Rivard a passé une entrevue auprès de la CPP le 11 avril 2006 à l'administration centrale de la CPP à Ottawa. M. Rivard à pris sa retraite de la GRC en 1999. En 1988, M. Rivard, un inspecteur affecté à Calgary (Alberta), a été muté à la Sous division de Moncton et promu au grade de surintendant. Il a déclaré à la CPP qu'il ne connaissait pas le sergent d'état-major McCann avant d'être muté à la Division J et qu'il se rappelait que le sergent d'état-major McCann était le commandant du détachement de Riverview.

On lui a demandé s'il se souvenait d'une affaire de tentative de meurtre survenue à Riverview en mars 1990. Il se souvenait de l'incident et que ce dossier traitait d'homosexualité. On lui a demandé si on l'avait mis au courant du fait qu'il manquait des pièces à conviction dans le dossier de l'enquête. « Pas que je me souvienne, parce que c'était une de mes priorités quand je faisais mon inspection annuelle des pièces, parce que d'habitude ça causait des problèmes. »

Il a expliqué que, lorsque des incidents graves se produisaient dans sa division, on faisait appel à lui ou à un des sous officiers de sa section, on informait l'officier concerné de la situation et on le tenait au courant au fur et à mesure que l'enquête avançait. Normalement, on leur remettait des comptes-rendus au cours des réunions quotidiennes du matin, par la voie de notes d'information destinées au commandant ou à l'officier responsable de la Police criminelle. Les sous officiers de la section étaient chargés de s'assurer que les comptes-rendus de l'évolution des enquêtes étaient remis.

On a présenté au surintendant Rivard un aperçu des circonstances entourant la disparition des pièces, pour essayer de lui rafraîchir la mémoire. Lorsqu'on lui a demandé s'il avait entendu quelque chose à ce sujet, il a répondu :

Non, parce qu'il y aurait eu – il y aurait eu un autre rapport criminel à ce sujet. Si j'en avais entendu parler, ils auraient été tenus de retrouver ça, mais il est clair que l'affaire n'a jamais dépassé le détachement, parce que si le sous officier de la section en avait entendu parler, il me l'aurait dit ou il l'aurait rapporté d'une façon ou d'une autre .

Pour répondre à une série de questions concernant l'allégation selon laquelle le sergent d'état-major Johnston a été envoyé au détachement de Riverview pour enquêter sur des rumeurs concernant le sergent d'état-major McCann, il a déclaré :

Je me demande si – vous voyez, Mason était connu en tant qu'enquêteur à cette époque. Je me demande si on n'avait pas prêté brièvement ses services à Fredericton. Peut être que si vous vous adressez à Doug Lockhart vous pourrez savoir si Mason a participé au groupe de travail pendant un certain temps.

Lorsqu'on lui a dit que la CPP savait que le sergent d'état-major Johnston ne faisait pas officiellement partie de l'équipe d'enquête de l'an 2000, il a dit « Alors je ne comprends pas pourquoi Bill dit que Mason était là pour enquêter à son sujet. Je ne comprends vraiment pas. »

Il est clair que M. Rivard n'était pas au courant de la présumée enquête menée par le sergent d'état-major Johnston au sujet du sergent d'état-major McCann.

17. Entrevue de la victime de la tentative de meurtre (le 2 août 2006)

La victime de la tentative de meurtre a passé une entrevue auprès de la CPP le 2 août 2006 à Moncton (Nouveau-Brunswick). Il a mentionné à la CPP que sa relation avec le sergent d'état-major McCann était associée au hockey. Il a dit qu'il pensait avoir rencontré le sergent d'état-major McCann pour la première fois durant la saison de hockey 1984-1985. Il croyait que le sergent d'état-major McCann était le directeur général d'une équipe de la même ligue dans laquelle il était entraîneur à cette époque. Il a indiqué que l'âge des joueurs dans les ligues mineures varie entre 17 et 19 ans.

Il a soutenu tout au long de l'entrevue que sa relation avec le sergent d'état-major McCann se limitait strictement au hockey et que la seule fois où il lui a parlé d'un autre sujet, c'était après l'incident du 1er mars 1990. Il était allé voir le sergent d'état-major McCann dans son bureau parce qu'il craignait que sa carrière sportive soit compromise si on dévoilait son homosexualité dans la presse à la suite de la tentative de meurtre perpétrée contre lui. Sa vie privée n'avait rien à voir avec le hockey ni les autres joueurs; il a également précisé au sergent d'état-major McCann qu'il n'avait jamais eu aucun type de rapport avec quelque joueur que ce soit.

Il se rappelait que le sergent d'état-major McCann avait été très compréhensif, mais qu'il avait été étonné de voir que le sergent d'état-major McCann s'était présenté à l'audience devant le tribunal. Il a dit à la CPP qu'il n'avait jamais soupçonné le sergent d'état-major McCann de quoi que ce soit et qu'il avait été surpris lorsqu'on a avancé les accusations concernant le sergent d'état-major McCann et l'ÉFNB.

Il a ajouté que, lorsque la police lui a fait passer une entrevue après la tentative de meurtre, il n'avait pas l'intention de leur donner la raison pour laquelle il avait fait monter dans sa voiture les jeunes hommes qui l'ont attaqué. Cependant, lorsque l'officier lui a montré les photos qu'ils ont trouvées dans sa résidence, il a admis la véritable raison pour laquelle il avait voulu faire monter ce jeune homme en particulier.

Lorsqu'on lui a posé des questions au sujet des photos Polaroid, il a admis les avoir prises. Il a déclaré qu'il avait profité de quelques garçons de son équipe de hockey au cours d'une soirée qu'il avait organisée chez lui après une partie. Quelques garçons étaient ivres et avaient perdu connaissance. C'est à ce moment qu'il a profité de leur état d'ébriété et qu'il a pris des photos Polaroid des jeunes gens en sous vêtements.

Ils adorent leur bière. C'est là que j'ai profité de la situation, vous savez? ... avec deux ou trois, mais quant à avoir des rapports sexuels avec eux ou des attouchements ... ce n'est pas mon genre.

Après l'avoir nié, il a finalement déclaré que dans certaines photos, les garçons étaient peut être nus. Il n'était pas fier de ce qu'il avait fait et il a continué d'insister sur le fait qu'il n'avait jamais dépassé les bornes avec des joueurs de hockey, parce que le hockey représentait toute sa vie. Lorsqu'on lui a posé des questions sur la présumée photo avec le sergent d'état-major McCann, il a été catégorique sur le fait que cette photographie n'existait pas et qu'il n'avait pas eu de relations avec le sergent d'état-major McCann dans sa vie privée. Il a dit que les photos qu'on avait trouvées dans sa valise avaient été rapportées chez lui.

... parce que si jamais je m'étais fait prendre, bien, cela aurait ruiné... moi, ... j'aime trop ce sport pour ça. ... il fallait qu'ils aient perdu connaissance complètement pour que je les prenne en photo. Sinon, je n'aurais jamais fait cela.

Il se souvient d'avoir récupéré des pièces après le procès, mais il ne se rappelle pas vraiment si les photos en faisaient partie. Aussitôt qu'il est rentré chez lui avec la boîte de pièces, il a détruit toutes les preuves à caractère sexuel. Lorsque la CPP a examiné le dossier de tentative de meurtre, on a retrouvé des formulaires constatant que certaines pièces y figurant lui avaient été remises. Ces formulaires portaient sa signature. Cependant, comme on l'a découvert au cours de l'entrevue du surintendant à la retraite Rochon, aucun document concernant les pièces à conviction ne mentionnait les photos en question.

La victime de la tentative de meurtre n'avait pas l'obligation de rencontrer la CPP. Cependant, quand nous avons communiqué avec lui, il n'a pas hésité à nous accorder une entrevue. Les représentants de la CPP l'ont trouvé direct, sincère et honnête au sujet de son passé et de sa situation actuelle. Il se consacre toujours au hockey et il maintient qu'il ne ferait jamais quoi que ce soit pour compromettre sa position au sein de sa communauté sportive.

La CPP est convaincue, sur le fondement de la preuve, que la victime de la tentative de meurtre n'a aucune raison de protéger le sergent d'état-major McCann du fait qu'il aurait pu figurer sur une des photographies saisies par la GRC dans sa résidence, le 1er mars 1990. Il existe des preuves de l'existence des photos Polaroid et du fait qu'elles ont été saisies par la GRC. Plusieurs officiers avouent avoir vu certaines photos et un seul officier dit avoir vu le sergent d'état-major McCann sur l'une d'elles. La victime a nié que le sergent d'état-major McCann figurait sur une des photos. Il a avoué qu'il a pris les Polaroid lui même au cours d'une soirée qu'il a organisée chez lui pour son équipe. Le caporal Arnett à la retraite, qui a refusé de passer une entrevue auprès de la CPP, est peut être la seule personne en mesure de faire la lumière sur les contradictions de la preuve concernant les photographies et leur disparition.

15.4 Rumeurs sur des comportements compromettants

Le troisième incident porte sur la rumeur selon laquelle le sergent d'état-major McCann a été surpris dans une situation compromettante avec un jeune joueur de hockey dans une salle de bain de la patinoire de hockey. Selon le gendarme à la retraite Lebel qui dit avoir rapporté cette affaire au caporal Arnett, ce présumé incident serait survenu au cours de la saison de hockey 1991 ou 1992, entre les mois d'octobre et de mars. Lorsqu'il a passé son entrevue auprès de la CPP le 5 août 2006, M. Lebel n'a pas réussi à se souvenir du nom de l'officier qui lui avait parlé de l'incident. Il a mentionné, cependant, qu'il avait donné le nom de cet officier au caporal Arnett lorsqu'il lui avait fait rapport de l'affaire.

15.4.1 Enquête menée par la CPP

La CPP a fait passer une entrevue aux membres suivants pour déterminer si la GRC a enquêté sur la rumeur de manière efficace et s'il existe des preuves de dissimulation.

1. Entrevue du caporal Pat Hill (le 24 juillet 2006)

On a demandé au caporal Pat Hill s'il avait eu vent du présumé incident dans lequel le sergent d'état-major McCann a été surpris dans les toilettes d'une patinoire de hockey avec un jeune joueur dans une situation compromettante. Il a déclaré n'avoir jamais eu connaissance d'un tel incident et il a ajouté qu'il n'aurait pas oublié une allégation de ce genre.

2. Entrevue du gendarme Luc Thibault (le 27 juin 2006)

La CPP a demandé au gendarme Luc Thibault s'il avait connaissance ou s'il avait déjà été témoin d'un incident dans lequel le sergent d'état-major McCann se trouvait dans une situation compromettante avec un jeune joueur de hockey dans une salle de bain. Il a dit qu'il n'avait jamais eu vent d'un tel incident.

Il a déclaré à la CPP qu'il avait entendu beaucoup de blagues au sujet du sergent d'état-major McCann et il se souvenait d'un incident au cours duquel le sergent d'état-major McCann lui aurait dit qu'il avait de beaux yeux bleus. Le sergent d'état-major McCann lui aurait dit ces mots devant d'autres officiers et, à partir de ce jour, on aurait fait des blagues à ce sujet.

3. Entrevue du sergent Roger Cameron (le 17 juillet 2006)

Le sergent Roger Cameron se rappelle que les caporaux Trewin et Arnett lui ont dit qu'ils avaient reçu une plainte concernant le sergent d'état-major McCann, déposée par le père d'un jeune joueur de hockey. Il semble que le père du garçon ait surpris le sergent d'état-major McCann et son jeune fils dans une situation compromettante dans une salle de bain de la patinoire de hockey. Le sergent Cameron se rappelait que les deux caporaux Trewin et Arnett étaient très contrariés par la situation parce que le père du garçon ne voulait pas qu'on enquête sur l'affaire. Le père du garçon ne voulait pas que son fils ait à subir cette expérience.

Répondant à un courriel de la CPP, daté du 14 février 2007, au sujet de l'âge approximatif du garçon, le sergent Cameron a déclaré : « Je ne peux pas déterminer l'âge exact du garçon en cause. J'imagine qu'il avait 16 ou peut être 17 ans. Je me rappelle uniquement qu'il avait sans aucun doute moins de 18 ans. »

4. Entrevue du sergent à la retraite Bill Trewin (le 5 septembre 2006)

On a montré à M. Trewin un courriel daté du 18 juin 2002 envoyé par le sergent Cameron au gendarme Potvin. Dans ce courriel, le sergent Cameron déclare que les caporaux Trewin et Arnett lui ont fait part d'une allégation selon laquelle le sergent d'état-major McCann aurait été surpris dans les toilettes d'une patinoire de hockey avec un jeune garçon. Les deux caporaux étaient contrariés parce que le père du garçon concerné ne souhaitait pas poursuivre l'affaire. M. Trewin a déclaré qu'il ne se souvenait pas de cet incident et que, normalement, il s'en souviendrait, particulièrement si son directeur avait été impliqué.

5. Entrevue du gendarme à la retraite Gerry Lebel (le 5 août 2006)

Lorsqu'on a posé des questions à M. Lebel au sujet de l'incident des toilettes, on lui a montré une déclaration datée du 4 mars 2002. Il a immédiatement dit que la signature qui figurait au bas de la déclaration était la sienne, mais qu'il ne s'agissait pas de son écriture. Cette déclaration porte sur de présumés propos attribués au gendarme Lebel au sujet de l'incident dans lequel le sergent d'état-major McCann aurait été surpris dans une salle de bain avec un joueur de hockey. On lui a demandé de lire la déclaration et lorsqu'il s'est exécuté, il a dit qu'il se souvenait de cette entrevue et que, d'aussi loin qu'il s'en souvienne, cette déclaration était exacte.

M. Lebel a expliqué qu'un autre membre de la GRC lui avait raconté l'incident des toilettes concernant le sergent d'état-major McCann. Il ne se souvenait pas de l'identité de la personne qui le lui avait raconté, mais il pense que cela aurait pu être le caporal Hill ou le gendarme Thibault, parce que tous les deux jouaient au hockey. D'aussi loin qu'il s'en souvienne, cet incident avait eu lieu entre octobre 1991 et mars 1992, pendant la saison de hockey, mais il n'est pas certain de l'année. Il a rapporté l'incident au caporal Arnett et il se rappelait que ce dernier lui avait dit qu'il se pencherait sur l'affaire. Mais, le fait que le caporal Arnett n'ait pas pris de notes, ni ne lui ait demandé une déposition officielle lui a donné l'impression qu'on n'allait prendre aucune mesure dans ce dossier. Il a déclaré avoir donné au caporal Arnett le nom de la personne qui avait été témoin de l'incident, au moment où il lui a rapporté l'incident. Cependant, il n'avait aucune note au sujet de sa conversation avec le caporal Arnett et il ne se souvenait plus du nom de la personne.

Le présumé incident dans les toilettes, comme celui des photographies, ne peut être corroboré. Le gendarme Lebel qui prétend que quelqu'un lui aurait raconté l'incident et qu'il l'a rapporté au caporal Arnett ne se souvient plus de la personne qui le lui en a parlé et ne dispose d'aucun document à l'appui de sa déclaration. D'un autre côté, le sergent Cameron a déclaré que ce sont les caporaux Arnett et Trewin qui lui ont fait part de cette allégation. Rien n'indique que ces officiers mentent. Cependant, M. Trewin ne se souvient pas de cette allégation et le caporal à la retraite Arnett refuse de parler à la CPP.

15.5 La rencontre Lockhart / McCann

Le sergent Lockhart a rencontré le sergent d'état-major McCann le 12 mars 1992 au détachement de Riverview, avant de terminer de faire passer des entrevues à 11 anciens pensionnaires cités dans son rapport de suivi du 31 janvier 1992, en dépit du fait qu'aucun des anciens pensionnaires auxquels il a fait passer une entrevue n'a déposé de plainte. La manière dont la rencontre a eu lieu donne l'impression qu'elle a été organisée dans le but d'offrir au sergent d'état-major McCann un traitement spécial et le prévenir pour qu'il soit en mesure de faire face aux rumeurs et à l'enquête. Comme la plupart des membres de la GRC ayant passé une entrevue, le sergent Lockhart n'a pas pris de notes détaillées pour étayer son rapport de suivi. Il s'agit d'une situation pouvant être provoquée par le manque de rapports exacts et fiables. La description que le sergent Lockhart donne de sa rencontre avec le sergent d'état-major McCann est moins que satisfaisante, particulièrement pour un enquêteur aussi expérimenté que le sergent Lockhart.

15.5.1 Enquête menée par la CPP

Après avoir effectué un examen de la documentation pertinente, la CPP a confirmé que plusieurs officiers de la GRC ont fait passer des entrevues à 17 anciens pensionnaires, avant que n'ait lieu la rencontre entre le sergent d'état-major McCann et le sergent Lockhart, confirmant ainsi les notes que cet officier a inscrites dans son rapport de suivi du 12 mars 1992. Cependant, après avoir examiné attentivement tous les rapports, la CPP a constaté que six des anciens pensionnaires ayant passé des entrevues ont résidé à l'ÉFNB avant l'arrivée du sergent d'état-major McCann à la Division J, en septembre 1977. Par conséquent, seulement neuf des 17 anciens pensionnaires ayant passé une entrevue résidaient vraiment à l'ÉFNB lorsque le sergent d'état-major McCann était à la direction générale de la Division J.

La CPP a passé beaucoup de temps à questionner le sergent Lockhart au cours de l'entrevue (les 24 et 25 novembre 2006) pour essayer de déterminer la raison pour laquelle il avait tenu une entrevue avec le sergent d'état-major McCann le 12 mars 1992. Le sergent Lockhart a expliqué que :

Nous n'avons jamais traité ce gars d'une manière différente des autres membres ... J'étais très strict à ce sujet : il faut garder l'esprit ouvert et j'avais l'habitude d'insister tout le temps sur ce point et dire que ... « Je veux que vous meniez tous une enquête impartiale. Lorsque nous aurons la certitude et seulement lorsque nous aurons la certitude de disposer de motifs raisonnables et probables nous permettant de déposer une inculpation » ... mais si nous estimons qu'il n'y a pas de motifs raisonnables et probables de déposer des accusations, nous n'allons pas le faire, parce qu'en fin de compte, que ce soit Doug Lockhart, Mike Dunn ou qui que ce soit qui y aille, lorsque tu te présentes devant le juge et que tu poses ta main sur la Bible et que tu dis « J'ai des motifs raisonnables et probables de croire que Cliff McCann a abusé sexuellement des enfants de l'ÉFNB » ... ça montre à quel point les enquêtes de la SEG sont sérieuses.

À la demande de la CPP, le sergent Lockhart a réexaminé, page par page, le rapport de suivi du 12 mars 1992 et il a expliqué son état d'esprit au moment de la réunion. Voici ce que le sergent Lockhart a dit au sujet du compte-rendu de sa rencontre avec le sergent d'état-major McCann qu'il a présenté à l'officier responsable de la Sous division de Moncton, lequel a déclaré à la CPP ne pas être au courant de l'enquête :

Je me souviens être allé à la Sous division de Moncton et avoir parlé - je me souviens d'avoir parlé à Mason Johnston et, si c'était Al Rivard, ça s'est probablement déroulé très vite. Vous voyez, Tom Robertson était mon patron. C'était le sous officier responsable. Il s'agit, bien sûr, de la Sous division de Fredericton. L'officer Al Rivard était responsable de la Sous division de Moncton ... Et dire que j'ai parlé directement à Al Rivard - bien, si je disais ici que j'ai remis un compte rendu au commandant et que je lui ai dit que j'étais venu au détachement pour faire passer une entrevue à quelqu'un, alors j'ai probablement parlé avec lui, oui.

Ses souvenirs d'avoir parlé au surintendant Rivard sont vagues et il ne se souvient pas s'il a discuté, ou non, avec ce dernier, quoique en tant que commandant, le surintendant Rivard a dû être informé :

Effectivement, Al Rivard dans son bureau ou ailleurs, j'imagine que ... non, je ne peux vraiment pas me rappeler si je me suis assis pour parler personnellement avec Al Rivard. Je me souviens d'avoir parlé personnellement avec Mason Johnston et j'imagine que Mason a dû parler au commandant. Je ne peux rien vous assurer. Je sais que je ne me suis pas assis en face du commandant, mais de Mason.

Le sergent Lockhart était déterminé à expliquer la raison pour laquelle il avait fait passer une entrevue au sergent d'état-major McCann et, à un moment donné, il était d'accord avec la CPP sur la manière dont tout cela aurait pu être interprété.

CPP: Alors il dit – d'après vous, il dit « Remerciez l'auteur de lui avoir dit. »

Sergent Lockhart: Ça ne semble pas très correct, n'est ce pas?

CPP: Non.
Sergent Lockhart: Bon, tout ce que je peux vous dire, Mike – tout ce que je peux vous dire c'est que c'était il y a 14 ans. Je ne suis jamais allé l'avertir qu'il faisait l'objet d'une enquête, ni rien.

Le sergent Lockhart a dit à la CPP qu'il n'a jamais considéré le sergent d'état-major McCann comme étant un suspect, puisqu'ils ne disposaient d'aucune allégation directement contre lui, mais seulement d'insinuations et de soupçons. Il a soutenu qu'il voulait uniquement mettre le sergent d'état-major McCann au courant qu'on faisait enquête sur les rumeurs et qu'on ne lui accorderait pas de traitement de faveur.

Il a dit que s'il avait estimé que le sergent d'état-major McCann était suspect, alors leur réunion aurait été différente : il aurait été accompagné par un autre agent et ils auraient tenu la réunion dans un autre endroit que le détachement de Riverview pour le questionner. Il s'est montré ferme à ce sujet et il a dit que les gens devraient se fier à ses propos.

15.6 L'entrevue de McCann effectuée par le gendarme Cole et le sergent d'état-major Ouellette

Le gendarme Cole et le sergent d'état-major Ouellette ont interviewé M. McCann chez lui, près de Fredericton, le 29 octobre 1998. L'entrevue a duré environ 45 minutes.

Au cours de l'entrevue tenue par la CPP que les officiers ont passée séparément, ceux-ci se sont contredits l'un et l'autre en décrivant le déroulement de l'entrevue de M. McCann. Le gendarme Cole a déclaré que Mme McCann a parlé pendant presque toute l'entrevue et qu'il a eu le sentiment que M. McCann aurait dû être arrêté et amené au poste pour y être questionné. Le sergent d'état-major à la retraite Ouellette, quant à lui, a déclaré que Mme McCann a gardé le silence tout au long de l'entrevue et qu'il a estimé ne pas disposer de suffisamment de preuves pour arrêter M. McCann.

L'entrevue de M. McCann a été effectuée d'une manière irrégulière. Le gendarme Cole avait demandé au sergent d'état-major Ouellette de diriger l'entrevue. Aucun des deux officiers n'a pris des notes précises au cours de l'entrevue et il semble qu'ils n'avaient pas dressé une liste de questions.

16. Résultats de l'enquête Kingsclear

La CPP a consacré 22 mois à son enquête sur la façon dont la GRC a traité les allégations d'agressions sexuelles et physiques à l'ÉFNB. Le cadre de référence de l'enquête d'intérêt public Kingsclear a été établi pour déterminer la structure et la portée de l'enquête. Dans le cadre de référence, le terme « dissimulation » est défini de la manière suivante :

le mépris intentionnel ou irréfléchi de la preuve ayant pour effet, ou pouvant avoir pour effet, de perturber ou de vicier des dispositifs internes ou externes de reddition de comptes. Selon la définition établie, il n'y a pas « dissimulation » si les éléments de preuve établissent uniquement ou simplement que les enquêteurs de la GRC ont fait preuve de négligence, d'insouciance, de paresse ou de manque d'intérêt.

16.1 Sommaire des conclusions

Après avoir examiné les faits et vérifié les éléments de preuve, en vertu de son cadre de référence, la CPP est convaincue qu'il n'existe pas de preuves concrètes que des membres de la GRC ont tenté de dissimuler les actes criminels présumés du sergent d'état-major à la retraite Clifford McCann ou les agressions sexuelles et physiques d'anciens membres du personnel de garde et de surveillance de l'ÉFNB. Cependant, la CPP a constaté qu'il y avait eu des lacunes dans les enquêtes criminelles de la GRC sur le personnel de l'ÉFNB et le sergent d'état-major Clifford McCann et que certaines d'entre elles étaient suffisamment graves pour faire croire à la dissimulation.

16.2 Perception de la population

La perception de la population a été influencée par les rumeurs et le peu de renseignements disponibles pendant presque les 15 années qu'a duré l'enquête sur l'ancien sergent d'état-major McCann et le personnel de l'ÉFNB. La population n'a pas eu accès aux renseignements qui étaient disponibles à la CPP. Grâce à son enquête, la CPP a obtenu et validé des renseignements qui ont permis de répondre à certaines questions de la population au cours des années et d'expliquer les nombreuses idées fausses.

Par exemple, pendant son enquête, la CPP a appris que la GRC était si déterminée à déposer des accusations contre Karl Toft qu'elle était prête à engager son propre procureur si la Couronne refusait de le faire et elle a même averti le directeur provincial des poursuites pénales de son intention. En fin de compte, le directeur a décidé de déposer 15 nouveaux chefs d'accusation contre M. Toft en octobre 1993. Cependant, le procureur général du Nouveau-Brunswick a décidé de surseoir aux procédures une semaine plus tard.

La CPP a découvert que les efforts déployés par la GRC dans le cadre de ses enquêtes étaient peu connus de la population. Par exemple, certains anciens pensionnaires qui avaient déposé des plaintes auprès de la CPP ignoraient que Weldon (Bud) Raymond avait été accusé d'infractions criminelles et acquitté à la suite de deux procès distincts composés d'un juge et d'un jury, et que Hector Duguay avait été accusé et reconnu coupable. Un autre plaignant de la CPP ignorait que, pendant son enquête, la GRC avait arrêté M. McCann et l'avait interrogé pendant plusieurs heures.

Les plaignants et les membres de leur famille qui ont été interrogés ne comprenaient pas bien la procédure de filtrage pré-inculpation ou même ne savaient pas que le Nouveau-Brunswick avait mis en place une telle procédure. La politique de la Couronne est d'examiner toutes les accusations et de les accepter. Un autre facteur a influé sur le scepticisme de la population concernant les enquêtes de la GRC et sur leurs résultats. Avant de recommander qui de la police ou la GRC doit déposer des accusations, l'avocat de la Couronne examine l'importance de la preuve, la gravité des accusations, la crédibilité de la victime présumée à la barre des témoins et la volonté de la victime présumée de témoigner. À moins que l'avocat de la Couronne juge qu'une « accusation est plus probable qu'un acquittement », il ne recommandera pas que des accusations soient déposées.

16.3 Difficultés rencontrées dans le cours des enquêtes de la GRC

Les enquêtes sur les agressions sexuelles, surtout celles qui concernent des préadolescents et des adolescents, sont différentes de toute autre enquête criminelle. Dans ce type d'enquêtes, les enquêteurs doivent utiliser des approches différentes pour obtenir des renseignements de la part des présumées victimes. C'est ce qu'a fait la GRC pendant ses enquêtes sur l'ÉFNB et le sergent d'état-major McCann.

La majorité des anciens pensionnaires étaient peu enclins à collaborer, ce qui a constitué un obstacle important pour les enquêteurs. Étant donné que la plupart des victimes ne s'étaient pas manifestées de leur propre chef, la GRC a dû solliciter leur collaboration, ce qui a ajouté à la durée et à la complexité de l'enquête. Le temps qui passe, le traumatisme vécu par les victimes et l'effet de ces deux facteurs sur la capacité des témoins potentiels de se souvenir avec précision des faits et d'être crédibles sont des obstacles importants de toute enquête historique, surtout celles sur les agressions sexuelles.

Au début, la GRC a eu de la difficulté à accéder aux dossiers de l'ÉFNB conservés aux Archives provinciales du Nouveau-Brunswick. Après avoir demandé un avis juridique, le gouvernement provincial a jugé que l'article 45.2 de la Loi sur les jeunes contrevenants, qui était en vigueur au moment des enquêtes de la GRC, interdisait la divulgation de tout renseignement sur les pensionnaires passés et présents de l'ÉFNB. Par conséquent, la GRC a passé beaucoup de temps à traiter avec l'avocat de la Couronne, à remplir des affidavits et à se présenter devant le tribunal. Même si les enquêteurs de la GRC ont finalement réussi à accéder aux dossiers, on a limité le nombre d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB sur lesquels ils pouvaient recueillir des renseignements à chacune de leur visite. De plus, étant donné que les ordonnances judiciaires comportaient le nom du suspect sur lequel ils désiraient obtenir des renseignements, la GRC devait obtenir une nouvelle ordonnance judiciaire pour chaque nouveau suspect, ce qui a provoqué d'autres retards.

16.4 Conclusions concernant les enquêtes de l'ÉFNB

Peu d'enquêtes sont parfaites, s'il en est, et les enquêtes de la GRC sur l'ÉFNB et M. McCann ne font pas exception. La CPP a relevé plusieurs lacunes qui peuvent être attribuables à des questions de personnalité, aux ressources de la GRC et au fait que d'autres enquêtes importantes se déroulaient à la même époque au Nouveau-Brunswick. Ces lacunes peuvent aussi être attribuées en partie au manque de diligence raisonnable de certains membres et officiers supérieurs de la GRC. De plus, au lieu de mener une seule enquête, la GRC a procédé à une série d'enquêtes sur des allégations identiques pendant 15 ans.

16.4.1 Première conclusion

La diligence raisonnable dont les officiers supérieurs de la GRC ont fait preuve dans le cadre de cette enquête était insuffisante.

Analyse

L'enquête de 1992 sur le sergent d'état-major McCann est un bon exemple du manque de diligence dont ont fait preuve les officiers supérieurs. L'une des plus importantes lacunes de l'enquête était la participation adéquate insuffisante des officiers supérieurs de la Division J, en particulier le manque apparent de connaissances précises ou générales sur l'enquête. Les seuls officiers qui ont admis être au courant de l'enquête sur le sergent d'état-major McCann étaient le commandant et surintendant principal Herman Beaulac et l'officier de la Police criminelle, le surintendant Giuliano Zaccardelli. L'officier de la Dotation et Personnel, l'inspecteur Peter Miller, qui a d'abord demandé la mutation du sergent d'état-major McCann en janvier 1992, et le surintendant Al Rivard, qui était le supérieur immédiat du sergent d'état-major McCann, ont indiqué qu'ils ignoraient à l'époque qu'une enquête criminelle était menée sur les activités du sergent d'état-major McCann.

Plusieurs officiers à la retraite (tous d'anciens officiers d'Administration et Personnel [A & P]) ont indiqué à la CPP qu'un dossier d'enquête interne est généralement ouvert au début d'une enquête criminelle sur un membre. Une fois l'enquête criminelle terminée, le commandant, habituellement de concert avec l'officier de la Dotation et Personnel, décide s'il est nécessaire ou non de procéder à une enquête interne. Si aucune accusation criminelle n'est portée et qu'il est décidé qu'une enquête interne doit être menée, le dossier doit être examiné pour déterminer si le Code de déontologie a été enfreint et si des mesures disciplinaires internes doivent être prises. Cependant, la CPP n'a reçu aucun document indiquant qu'un dossier interne sur le sergent d'état-major McCann, qui a pris sa retraite en avril 1993, avait déjà été ouvert. Le fait que d'autres enquêtes criminelles aient été menées plus tard sans enquête interne ou, au moins, qu'un dossier soit ouvert, démontre le manque de participation des officiers supérieurs.

Au cours des premières années, la priorité accordée à l'enquête sur l'ÉFNB par les officiers supérieurs était inégale. Par exemple, durant leur entrevue respective avec la CPP, l'ancien commissaire Zaccardelli et le commissaire adjoint à la retraite Ford Matchim, l'officier responsable (surintendant) de la sous-division de Fredericton pendant cette période, n'ont pas la même évaluation de la priorité accordée à l'enquête. M. Zaccardelli a maintenu que l'enquête a toujours été d'une priorité absolue et que cela se reflétait dans les directives qu'il a données à M. Matchim. Cependant, M. Matchim a indiqué qu'aux dires des enquêteurs sur le terrain, il s'agissait d'une enquête comme une autre, même si les officiers supérieurs, comme il les a appelés, avaient un avis différent. Il a de plus maintenu qu'il s'agissait d'une enquête comme une autre sur la liste des nombreuses enquêtes menées par la Section des enquêtes générales (SEG) de la sous-division de Fredericton à l'époque, ce qui indique que la haute direction ne participait pas à l'enquête comme elle aurait dû.

Le manque de diligence raisonnable à laquelle on pourrait s'attendre dans une enquête importante a pu avoir des répercussions sur d'autres points que la CPP a jugé problématiques, notamment les ressources en personnel, les relations avec la Couronne, la prise de notes, la rédaction de rapports et les documents, de même que la communication avec la population. Les répercussions de ces points qui ont freiné les enquêtes auraient pu être atténuées si la haute direction avait compris l'importance de ces allégations et qu'elle s'était investie suffisamment en fonction de leur nature délicate.

16.4.2 Deuxième conclusion

Les ressources en personnel destinées aux enquêtes étaient insuffisantes.

Analyse

Pendant son enquête, la CPP a entendu parler des préoccupations sur le manque de ressources humaines de la GRC. Ces préoccupations ont été soulevées à tous les niveaux, y compris par les officiers supérieurs de la Division J. Ce manque de ressources était évident dans les premières années de l'enquête d'autant plus que des officiers en particulier et non des équipes ont été assignés à l'enquête. De manière générale, les officiers ne travaillaient pas en groupe ou ne faisaient pas partie d'une équipe d'enquête, ce qui les exposait à divers problèmes, comme des retards ou un travail d'enquête inconsistant lorsqu'un officier était affecté à une autre enquête ou à une autre division.

Le manque de ressources suffisantes a aussi influé sur la répartition de la charge de travail. Les membres affectés à l'enquête ont dû continuer à travailler sur les dossiers qui leur étaient assignés tout en concentrant leur attention sur les cas urgents, notamment l'affaire de la pêche au homard à Burnt Church et l'affaire du meurtre de Bischoff. Divers officiers ont indiqué à la CPP qu'après s'être concentrés sur des questions plus urgentes, ils retournaient travailler à l'enquête sur l'ÉFNB.

Bon nombre d'officiers ont travaillé à l'enquête de manière intermittente pendant presque les 15 années qu'elle a duré. Les membres étaient affectés à l'enquête pendant quelques mois avant d'être transférés à un autre poste, ce qui se traduisait par des lacunes dans les enquêtes. Lorsqu'un nouveau membre se joignait à l'équipe, il devait se familiariser avec l'enquête. Une telle situation peut constituer un défi lorsqu'il s'agit de mener une enquête minutieuse et opportune. C'est au commandant de la Division J de se charger des problèmes liés aux ressources en personnel.

16.4.3 Troisième conclusion

Le respect accordé au bureau de la Couronne dans le dépôt des accusations a influé sur le dénouement de l'enquête McCann et la perception qu'en a eu la population.

Analyse

Comme l'indique le juge LeBel de la Cour suprême du Canada dans R. c. Regan [2002], 1 R.C.S. 297, dans le système de justice pénale canadien, la police est chargée de mener les enquêtes et c'est elle qui décide des accusations qui seront portées. Le Nouveau-Brunswick est l'une des trois provinces canadiennes dont la procédure en place exige que la police consulte l'avocat de la Couronne pour procéder à une évaluation pré-inculpation en vue de déterminer si le résultat d'un procès leur sera favorable. La majorité des officiers de la GRC interrogés croyaient à tort qu'ils ne pouvaient pas déposer d'accusations criminelles sans une recommandation positive de la part de la Couronne.

Même s'il est reconnu que la collaboration et la consultation entre la police et l'avocat de la Couronne est essentielle à la bonne administration de la justice, il ne faut pas oublier que la police a le droit d'enquêter et de porter des accusations sans entraves de la part de la Couronne, tout comme les procureurs ont le droit de surseoir aux procédures, de les retirer ou de les annuler, une fois que des accusations ont été déposées par la police. Cette distinction est faite dans le Public Prosecutions Operations Manual (27 juillet 1999) du Nouveau-Brunswick que la CPP a reçu en août 2005.

Les divers avocats de la Couronne qui ont participé aux enquêtes de la GRC au cours de la dernière décennie ont déclaré à la CPP qu'ils ne disent pas aux services policiers comment et sur quoi enquêter. Ils ne font que des recommandations sur les accusations qui devraient être déposées. Les avocats de la Couronne reconnaissent que, même s'ils recommandent de ne pas déposer d'accusations, les services policiers peuvent le faire s'ils le désirent et le procureur général n'a pas l'autorité pour y surseoir.

Pour la CPP, il est évident que les policiers de la GRC de la Division J ne comprennent pas les responsabilités ultimes qu'exerce la police en ce qui concerne le dépôt d'accusations criminelles. Cette perception erronée posait suffisamment de problèmes au surintendant Zaccardelli, alors qu'il était officier de la Police criminelle dans la Division J, pour qu'il tente de clarifier la situation en répondant à une note de service du caporal Clive Vallis par la voie d'un bordereau d'acheminement daté du 13 février 1991 :

Lorsque nous parlons de déposer des accusations, nous devrions toujours indiquer que... nous déterminerons si des accusations seront déposées après avoir examiné les éléments de preuve. La Couronne est souvent consultée, mais uniquement pour obtenir son opinion. Trop de membres croient que c'est la Couronne qui décide des accusations qui seront portées. Certains ne veulent pas avoir la responsabilité de décider. Ils se défilent et laissent la Couronne décider. Pour la Police criminelle, les membres doivent comprendre qu'ils prendront une décision après avoir consulté leurs superviseurs, les s.-off. de la section, le cmdt s.-div., etc.

Dans leurs entrevues avec la CPP, l'avocat de la Couronne et les membres qui ont été affectés à la Division J ont indiqué que les relations entre la Couronne et les services de police ont été étroites, professionnelles et cordiales. La CPP n'a pas trouvé d'exemple indiquant que la Couronne avait été mécontente des dossiers ou des rapports de la GRC. La procédure de filtrage pré-inculpation a été mise en place dans la province il y a plusieurs années. Les enquêteurs interrogés ont indiqué qu'ils se fiaient dans une large mesure à la Couronne pour obtenir son avis sur des affaires sur lesquelles ils enquêtaient. La GRC a rarement déposé des accusations après avoir reçu une recommandation de la Couronne de ne pas le faire.

16.4.4 Quatrième conclusion

La prise de notes, la rédaction de rapports et la documentation par certains membres de la GRC étaient insuffisantes.

Analyse

La piètre qualité des notes prises par certains membres de la GRC à des moments cruciaux de l'enquête est un grave problème. La CPP a constaté que la façon dont les notes ont été prises et leur intégralité variaient beaucoup selon les officiers. À une extrême, il y a les officiers qui documentent toutes les actions prises dans divers rapports, et à l'autre, il y a ceux qui prennent très peu de notes, ou pas du tout, et qui les consignent uniquement dans un rapport de suivi ou dans un rapport d'enquête.

Exemples
  • À la conclusion de l'enquête, l'agent Tom Spink s'est adressé verbalement à l'avocate de la Couronne Hilary Drain quant à la pertinence de déposer des accusations contre M. Toft. Le seul document que la CPP a reçu au sujet de cette rencontre a été un rapport de suivi qui résume brièvement la décision. La CPP ne peut pas confirmer si les parties ont discuté des constatations et des conclusions ou d'autres choses, par exemple des allégations concernant la FPF et l'ÉFNB contenues dans la lettre du procureur général du 7 février 1990. Le gendarme Spink n'a pas préparé de documents avant sa rencontre avec Mme Drain. Après avoir parlé à Mme Drain et au gendarme Spink, il semble, en fait, qu'ils aient eu une seule discussion et qu'aucun document n'ait été échangé. Le gendarme Spink a dit à la CPP qu'il avait consulté son superviseur et ses pairs avant de rencontrer Mme Drain. Cependant, il n'existe aucun document pour appuyer sa version des faits.
  • L'entrevue du sergent d'état-major McCann par le sergent Doug Lockhart, qui a eu lieu le 12 mars 1992, est mal documentée. Il n'existe aucun document qui décrive les questions posées ou qui indique si le sergent Lockhart avait informé ses supérieurs avant ou après l'entrevue, et ce qui avait été dit.
  • La deuxième entrevue du sergent d'état-major McCann qui s'est déroulée le 29 octobre 1998 n'a pas été enregistrée et aucune déclaration n'a été prise. À la suite de l'entrevue, les officiers, le gendarme Pat Cole et le sergent d'état-major Jacques Ouellette, ont préparé de très brefs sommaires qui indiquent qu'ils se sont rendus au domicile du sergent d'état-major McCann et qui mentionnent les noms des personnes qui y étaient à ce moment-là. Il est troublant que deux policiers expérimentés n'aient pas consigné avec précision ce qui s'est passé pendant l'entrevue et ce qui a été discuté.
  • Le 14 septembre 1998, le gendarme Cole a parlé aux avocats de la Couronne Jim McAvity et Kelly Winchester au sujet du dossier d'un plaignant. Selon le gendarme Cole, il n'avait pas préparé de document à soumettre aux avocats de la Couronne aux fins d'examen. L'importance de la conversation est devenue évidente quelques années plus tard lorsque le sergent d'état-major Dunphy a dû décider s'il devait obtenir une décision écrite de l'avocat de la Couronne concernant des accusations potentielles contre le sergent d'état-major McCann. Dans sa réponse finale au plaignant, le sergent d'état-major Dunphy a indiqué qu'il fondait sa décision sur la version de la conversation du gendarme Cole dans laquelle il a affirmé que les deux avocats de la Couronne ont indiqué qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour déposer des accusations. La CPP a interrogé M. McAvity et Mme Winchester et ni l'un ni l'autre n'était en mesure de se rappeler la version des événements du gendarme Cole. Les deux ont précisé qu'ils n'auraient pas formulé un avis officiel sur une question si sérieuse sans avoir été informés au préalable.

16.5 Conclusions propres à l'enquête sur McCann

Il est évident pour la CPP que le traitement accordé à M. McCann lors des entrevues de 1992 et de 1998 diffère de celui qu'aurait reçu un témoin civil. En fait, étant donné que les deux entrevues étaient clairement insuffisantes, il est compréhensible que la population présume que M. McCann a reçu un traitement de faveur. Les lacunes peuvent être exagérées lorsqu'elles sont examinées sous l'angle de la population quand la GRC enquête sur l'un des siens. Les rumeurs concernant les photos manquantes (il est présumé que le sergent d'état-major McCann y figurait avec trois jeunes hommes plus ou moins déshabillés), l'incident présumé dans les toilettes de la patinoire et les spéculations entourant sa mutation en 1992 (le moment de sa mutation et la façon dont il a été traité ont été mis en doute) ont eu des effets importants sur la perception de la population concernant l'impartialité de l'enquête de la GRC.

La CPP n'a pas trouvé de preuves concrètes pour suggérer qu'il y a eu dissimulation des allégations contre le sergent d'état-major McCann. Cependant, les rumeurs et les insinuations qui circulaient à la Division J, pendant qu'il y était sous-officier, auraient dû attirer l'attention de tous les officiers, surtout le commandant, pour traiter l'enquête avec le plus grand soin.

16.5.1 Première conclusion

Il n'existe pas d'éléments de preuve crédibles selon lesquels les photos auraient été détruites délibérément pour protéger le sergent d'état-major McCann.

Analyse

La CPP a conclu que le caporal à la retraite Dan Arnett est la seule personne en mesure de clarifier la situation concernant les photos manquantes et les rumeurs sur l'incident impliquant le sergent d'état-major McCann qui serait survenu dans les toilettes. Le caporal Arnett était la personne à consulter dans le détachement à cette époque. Il était le superviseur de service le 1er mars 1990, la nuit de la tentative de meurtre au cours de laquelle plusieurs photos ont été saisies au domicile de la victime. Il était aussi l'un des officiers qui s'est rendu sur place, selon certains des membres interrogés. Le caporal Claude Tremblay, qui était gendarme à l'époque de l'enquête sur la tentative de meurtre, a affirmé le lendemain matin de l'incident qu'il avait vu le caporal Arnett en possession de photos Polaroid qui auraient été prises sur les lieux du crime.

Il y a beaucoup d'aspects troublants entourant cette affaire. Par exemple, selon un rapport du caporal Clive Vallis, le dossier original de la GRC sur cette affaire aurait été détruit. Par conséquent, les officiers affectés à l'équipe d'enquête n'auraient pas pu le consulter. Ce n'est que lorsque que la CPP a interrogé la commis aux documents, Elaine Parker Brown, le 12 juin 2006, qu'elle a appris que les dossiers de « tentative de meurtre » ne sont jamais éliminés. Ils sont plutôt archivés à Ottawa. Par la suite, la CPP a demandé et obtenu copie du dossier. Elle l'a examiné et a découvert qu'il n'y avait pas de formulaire de pièces à conviction indiquant que des photos Polaroid avaient été découvertes à la résidence de la victime. Il n'y avait pas non plus une copie des notes prises par les officiers concernés.

La CPP a interrogé 31 personnes qui ont travaillé au détachement de Riverview avant, pendant et après l'enquête sur la tentative de meurtre en mars 1990, notamment le procureur de la Couronne adjoint chargé de poursuivre les deux adolescents accusés du crime.

Comme pour toute enquête, surtout dans le cas d'une enquête qui a duré 15 ans, les témoins se souviennent des événements avec plus ou moins de précision. Il existe beaucoup d'éléments de preuve qui indiquent que le sergent d'état-major McCann a eu des relations avec de jeunes garçons à l'ÉFNB et dans des programmes de hockey mineur. Cependant, à l'époque, il n'y avait aucun élément de preuve qui aurait permis de déposer des accusations criminelles contre le sergent d'état-major McCann et il n'y a pas de renseignements qui confirment que les photos ont été détruites, égarées ou rendues à la victime. La CPP n'a pas été en mesure de déterminer si les photos avaient une valeur probante. En revanche, la CPP sait qu'il n'existe pas de rapport de pièces à conviction pour consigner les pièces saisies en ce qui concerne les photos dans l'affaire de la tentative de meurtre.

Le caporal Tremblay a été le seul officier à affirmer qu'il avait vu une photo du sergent d'état-major McCann en compagnie de trois autres hommes en possession du caporal Arnett. Il était catégorique sur le fait qu'il avait vu la photo en janvier 2002 et en mars 2002, lorsqu'il a fait une déclaration écrite et il était tout aussi insistant en 2006 lorsqu'il a été interrogé par la CPP. Lors de son entrevue à la CPP enregistrée sur bande sonore, le caporal Tremblay a indiqué que ce que faisait le sergent d'état-major McCann sur la photo ne regardait que lui, étant donné que les jeunes hommes sur la photo semblaient avoir l'âge requis pour consentir. La plupart des personnes interrogées ont fait des estimations similaires, suggérant que les jeunes hommes sur la photo étaient âgés entre 17 et 19 ans.

La CPP s'est penchée sur l'enquête sur la tentative de meurtre et sur les rumeurs selon lesquelles le sergent d'état-major McCann était sur l'une des photos trouvées au domicile de la victime. Le premier point à relever est le fait que la tentative de meurtre s'est produite le 1er mars 1990, alors que l'enquête sur le sergent d'état-major McCann n'a débuté que le 31 janvier 1992. Il n'y avait pas d'éléments de preuve qui auraient pu indiquer aux enquêteurs de la GRC qui enquêtaient sur la tentative de meurtre la possibilité que le sergent d'état-major McCann était impliqué dans des activités criminelles ou qu'il avait commis des actes répréhensibles avec des jeunes garçons de l'ÉFNB ou d'ailleurs. Cependant, certains membres trouvaient étrange qu'il passe autant de temps à l'ÉFNB. Par exemple, un sergent d'état-major à la retraite a indiqué à la CPP qu'il avait dit au sergent d'état-major McCann dans les années 1980 qu'il ne croyait pas qu'il était sage pour lui de passer autant de temps à l'ÉFNB, mais il a aussi affirmé qu'il n'avait jamais pensé que le sergent d'état-major McCann était impliqué dans quoi que ce soit d'inconvenant.

Dans le cadre de son enquête, la CPP a confirmé que la GRC avait saisi sans mandat plusieurs photos dans la résidence de la victime de la tentative de meurtre. La majorité des personnes interrogées qui ont vu les photos ont des souvenirs différents quant à l'âge des jeunes, au fait qu'ils étaient plus ou moins déshabillés et aux actes qu'on y voyait. La CPP a aussi confirmé que les photos sont manquantes. Leur disparition demeure un mystère. Peut-être ont-elles été retournées à la victime avec d'autres effets personnels saisis au cours de l'enquête. Pendant l'entrevue avec la CPP, la victime de la tentative de meurtre a fait allusion aux photos Polaroid que la GRC avait saisies à son domicile. Cependant, il ne se rappelait plus si elles lui avaient été rendues. Il était catégorique sur le fait que M. McCann n'apparaissait sur aucune des photos saisies à sa résidence et à indiqué à la CPP que lui-même, la victime, s'était pris en photo.

16.5.2 Deuxième conclusion

Il n'y a pas d'éléments de preuve crédibles de dissimulation concernant le présumé incident dans les toilettes.

Analyse

Pendant l'enquête de 1992, le sergent Lockhart a été mis au courant d'un incident ou d'incidents au cours desquels le sergent d'état-major McCann aurait été surpris dans les toilettes en compagnie d'un jeune joueur de hockey. Le sergent Lockhart ne pouvait pas confirmer la véracité de cette rumeur. Les membres concernés ont indiqué qu'ils ne savaient rien sur l'affaire ou qu'ils étaient incapables de se souvenir des détails l'entourant.

La rumeur circulait au détachement de Riverview. Cette rumeur aurait été portée à l'attention du caporal Arnett par l'un de ses subalternes. Cette personne a été interrogée et a confirmé avoir entendu la rumeur et en avoir parlé au caporal Arnett, qui à l'époque était son superviseur. Le subalterne ignorait si des mesures avaient été prises par la suite.

Un autre membre du détachement de Riverview a informé la CPP lors d'une entrevue que les caporaux Dan Arnett et Bill Trewin lui avaient dit qu'un père s'était plaint à eux d'avoir surpris le sergent d'état-major McCann dans les toilettes avec son fils à la fin de 1991 ou au début de 1992. Les caporaux Arnett et Trewin étaient contrariés, car le père ne désirait pas que l'affaire aille plus loin. La CPP a interrogé le caporal à la retraite Trewin qui a dit ne rien savoir au sujet d'un présumé incident qui se serait déroulé dans les toilettes impliquant le sergent d'état-major McCann et qu'il ne se souvenait pas d'avoir discuté d'une telle affaire avec un autre membre.

Une version différente du présumé incident circulait dans le détachement : un des deux membres qui jouaient au hockey avec le sergent d'état-major McCann aurait été témoin de l'incident. Pendant leurs entrevues avec la CPP, les deux membres ont nié avoir eu connaissance de l'incident et que si cela avait été le cas, ils l'auraient rapporté.

La CPP n'a pas trouvé d'éléments de preuve qu'un tel incident impliquant le sergent d'état-major McCann se soit produit, comme le veulent les rumeurs. Personne ne semble avoir été témoin d'un tel événement et lorsqu'ils ont été interrogés par la CPP, les officiers qui auraient pu détenir des renseignements ne s'en souvenaient pas et ont nié avoir eu des renseignements à ce sujet à quelque moment que ce soit.

16.5.3 Troisième conclusion

Il n'existe pas d'éléments de preuve selon lequel il y avait un motif inavoué concernant la mutation du sergent d'état-major McCann.

Analyse

Grâce à l'examen des documents et aux entrevues menées auprès de membres de la GRC, la CPP a déterminé que l'enquête générale sur l'ÉFNB avait débuté en février 1990. C'est à l'automne 1991 que le nom du sergent d'état-major McCann a commencé à être associé à M. Toft. Il a été admissible pour une mutation le 4 janvier 1992, qui a été approuvée par son supérieur immédiat, le surintendant Rivard, le 15 janvier 1992 et signée par le commandant, le surintendant en chef Herman Beaulac, le 17 janvier 1992. L'enquête criminelle de la GRC sur le sergent d'état-major McCann a commencé le 31 janvier 1992. Cette mutation s'est produite au moment où l'enquête débutait sur les allégations contre le sergent d'état-major McCann.

La CPP a appris que la modification qui avait été faite à la case du lieu de mutation du formulaire de mutation (A22A) est inhabituelle, même si cela se produit de temps à autre. D'après les éléments de preuve, notamment les entrevues menées auprès du personnel du Service du personnel et des affectations, il semble que la mutation du sergent d'état-major McCann du détachement de Riverview à la direction générale de la Division J en juin 1992 aurait été une affaire de routine. Cependant, dans une deuxième entrevue du commissaire adjoint à la retraite Herman Beaulac par la CPP qui s'est tenue le 3 avril 2007, il a indiqué que le sergent d'état-major McCann avait peut-être été muté en raison de l'enquête criminelle qui était en cours, même s'il n'avait pas de preuves concrètes pour soutenir ce qu'il avançait.

La CPP ne peut pas déterminer si le document de mutation du sergent d'état-major McCann avait été délibérément modifié de manière à influer sur son affectation au bureau de la Police criminelle ou s'il avait été rédigé dans le cadre d'un examen administratif. La mutation du sergent d'état-major McCann à la direction générale de la Division J à Fredericton a eu pour effet d'entraver son interaction avec la population à partir de sa mutation en juin 1992 jusqu'au moment où il a pris sa retraite en avril 1993. C'est pendant cette période que la première enquête criminelle relative aux allégations contre lui a été menée.

16.5.4 Quatrième conclusion

Les entrevues du sergent d'état-major McCann effectuées en mars 1992 et en octobre 1998 étaient insatisfaisantes.

Analyse
Première entrevue

De l'avis des enquêteurs de la CPP, la rencontre du 12 mars 1992 entre le sergent Lockhart et le sergent d'état-major McCann était prématurée. Au minimum, les 11 anciens pensionnaires qui ont affirmé avoir eu des contacts avec le sergent d'état-major McCann auraient dû être interrogés et toutes les avenues auraient dû être explorées avant que le sergent d'état-major McCann soit confronté.

La CPP a relevé les problèmes suivants en ce qui concerne l'entrevue du sergent d'état-major McCann par le sergent Lockhart. Il est légitime de remettre en question les motifs de l'officier :

  • Toutes les victimes potentielles n'ont pas été interrogées avant la rencontre avec le sergent d'état-major McCann.
  • L'entrevue a été effectuée par un seul officier, qui était d'un grade inférieur à celui du suspect potentiel/de la personne d'intérêt.
  • L'officier n'a pas enregistré l'entrevue sur bande sonore et n'a pas pris de notes; de plus, il n'a pas rédigé de rapport détaillé sur la discussion qui a eu lieu.
  • La rencontre avec le sergent d'état-major McCann s'est tenue dans son bureau, ce qui n'était pas un endroit approprié.
  • Il n'y a pas eu de séance d'information avec les membres de l'équipe ou les officiers supérieurs avant ou après la rencontre.

En se fondant sur son examen de tous les rapports de suivi pertinents, des déclarations des témoins et des calepins des officiers, de même que sur l'entrevue avec l'officier concerné, la CPP juge que la rencontre était prématurée et inappropriée. Il est possible que le choix du moment de la rencontre et le fait que le sergent Lockhart ne pouvait déposer des accusations à l'époque ait pu donner l'occasion à celui-ci de détruire des éléments de preuve potentiellement préjudiciables, notamment des photos ou des journaux intimes qui auraient pu être en sa possession. À la suite de la rencontre et après avoir été mis au courant des allégations, le sergent d'état-major McCann aurait pu avoir l'occasion de communiquer avec d'anciens pensionnaires pour les avertir de ne pas se manifester. (Il existe une dénonciation selon laquelle le sergent d'état-major McCann a communiqué avec deux anciens pensionnaires quelque temps après sa rencontre avec le sergent Lockhart.)

Qu'il s'agisse d'un suspect, d'une personne d'intérêt ou mêmed' un témoin, une entrevue de ce genre doit être bien orchestrée. Cependant, le fait que le sergent Lockhart a continué son enquête sur le sergent d'état-major McCann après l'entrevue du 12 mars 1992 amène la CPP à conclure qu'il n'a pas rencontré le sergent d'état-major McCann pour le prévenir. Il a indiqué à la CPP que même s'il n'avait pas d'éléments de preuve qui lui permettaient de croire les rumeurs concernant le sergent d'état-major McCann, il voulait qu'il sache que ces rumeurs faisaient l'objet d'une enquête.

La CPP sait, grâce à son examen du matériel pertinent, que des agents de la GRC ont tenté à plusieurs reprises, mais en vain, de convaincre une victime potentielle du sergent d'état-major McCann de se manifester et de donner une déclaration écrite après l'entrevue avec le sergent d'état-major McCann. Ils ont même tenté d'obtenir l'aide de la mère de la victime présumée qui a fini par admettre qu'elle avait vu son fils et le sergent d'état-major McCann se livrer à un acte sexuel dans son autopatrouille. À l'époque, elle avait refusé de faire une déclaration sans le consentement de son fils.

Deuxième entrevue

Le sergent d'état-major à la retraite McCann a fait de nouveau l'objet d'une enquête en 1998 après qu'une plainte a été déposée auprès de l'officier de la Police criminelle dans la Division J. Une fois que l'équipe a décidé que l'enquête avait atteint le stade où M. McCann devait être interrogé, le gendarme Cole, l'enquêteur principal, a demandé l'aide du sergent d'état-major Ouellette, qui était responsable du Groupe des crimes graves, pour interroger le sergent d'état-major McCann. L'entrevue s'est déroulée le 29 octobre 1998.

L'entrevue a duré moins d'une heure et a eu lieu dans le salon de M. McCann, en présence de son épouse. L'entrevue n'a pas été enregistrée, même si les deux officiers ont dit plus tard à la CPP qu'ils le considéraient comme un suspect. Plutôt que de questionner M. McCann au détachement et de prendre officiellement sa déclaration, la GRC a accordé une permission que n'ont habituellement pas les suspects. Les officiers n'ont pas pris de notes détaillées ou rédigé de rapport sur ce qui s'était dit pendant l'entrevue. Pendant leurs entrevues avec la CPP, le sergent d'état-major Ouellette et le gendarme Cole ont donné des versions contradictoires de leur visite au domicile de M. McCann. Selon le gendarme Cole, c'est Mme McCann qui parlait le plus et le sergent d'état-major Ouellette qui dirigeait l'entrevue. Cependant, le sergent d'état-major Ouellette a affirmé que c'est le gendarme Cole qui a dirigé l'entrevue et que Mme McCann a peu parlé.

La CPP est d'avis que l'entrevue n'a pas été menée correctement. Les entrevues ont été effectuées par des membres expérimentés qui auraient dû observer les procédures établies lorsqu'ils traitent avec des suspects. Le manque de stratégie d'entrevue, de notes détaillées et de rapports, combiné avec l'endroit où s'est tenue l'entrevue, posent problème et laisse l'impression que les officiers procédaient de manière machinale et ne prenaient pas l'enquête au sérieux. Ce manque de professionnalisme ne fait qu'ajouter aux préoccupations de la population au sujet de la GRC qui fait enquête sur ses propres membres.

16.5.5 Cinquième conclusion

Le sergent d'état-major Dunphy n'a pas fait preuve de diligence raisonnable en omettant de mettre en place les recommandations de son équipe, l'établisseur de profils en sciences du comportement et l'avocat de la Couronne en vue de l'arrestation et de l'interrogation de M. McCann.

Analyse

Après avoir discuté avec tous les membres de l'équipe d'enquête dirigée par le sergent d'état-major Dunphy, il était évident que deux processus de pensée étaient en jeu pendant l'enquête. Les gendarmes Kathy Long et Denise Potvin ont échangé leur avis avec la CPP en expliquant que chaque fois qu'une question controversée était soulevée, par exemple, l'entrevue de la famille de M. McCann, le sergent d'état-major Dunphy n'a pas pris de risque et s'est retiré. Certains membres interrogés ont indiqué qu'il était clair depuis le début que le sergent d'état-major Dunphy désirait que l'affaire fasse l'objet d'une enquête complète et que des accusations soient portées contre M. McCann. Cependant, ils ont été surpris de son comportement lorsqu'est venu le temps de procéder à certaines entrevues.

Examples
  • L'avocat de la Couronne Connell et la gendarme Long voulaient interroger les enfants de M. McCann. L'un des plaignants a indiqué que le fils de M. McCann était présent lors d'un incident qui s'est produit à un club de loisirs, mais il n'était pas certain que le fils ait été témoin de ce qui s'était passé. Cette question aurait dû être posée au fils de M. McCann; même la Couronne a demandé qu'il soit interrogé, mais cela n'a jamais été fait.
  • De plus, la suggestion que toute la famille soit interrogée en même temps ou peu de temps après l'arrestation a été faite par le surintendant Woods du Groupe des sciences du comportement. Cette suggestion, comme bien d'autres, a été rejetée par le sergent d'état-major Dunphy. Lorsqu'il a été interrogé par la CPP, M. Dunphy a indiqué qu'il ne désirait pas divulguer d'éléments de preuve pendant l'enquête. Cependant, lorsqu'on a creusé la question pendant son entrevue, Mme Long a précisé qu'il était davantage préoccupé par l'éventualité d'une poursuite civile.
  • Le sergent d'état-major Dunphy a refusé qu'une entrevue soit organisée avec l'organisme dans lequel les McCann faisaient du bénévolat à l'époque. Pendant l'enquête, il a été découvert que M. McCann et son épouse étaient bénévoles dans un centre communautaire et que M. McCann s'intéressait à un garçon de 13 ans en particulier. Encore une fois, les gendarmes Long et Potvin croyaient qu'il fallait communiquer avec l'organisme pour au moins l'informer des allégations contre M. McCann. Les gendarmes Long et Potvin désiraient avertir le centre et interroger la famille de ce garçon. Lorsqu'ils ont parlé de leurs intentions au sergent d'état-major Dunphy, il a refusé de leur accorder cette permission. Les gendarmes Long et Potvin ont décidé de désobéir au sergent d'état-major Dunphy et de procéder aux entrevues et de prévenir l'organisme.
  • Un autre officier, le gendarme Pierre Gervais, était si inquiet du fait que M. McCann passe du temps avec ce garçon au centre communautaire qu'il le surveillait sporadiquement pour savoir ce qu'il faisait lorsqu'il était en sa compagnie. Le sergent d'état-major Dunphy n'a pas autorisé que des ressources soient consacrées à une surveillance à temps plein, mais il était au courant de ce que faisait le gendarme Gervais et n'est pas intervenu dans cet aspect de l'enquête.
  • Le sergent d'état-major Dunphy semblait refuser de tenir compte des recommandations et des suggestions de l'établisseur de profils concernant l'arrestation et l'interrogation de M. McCann. L'idée d'obtenir un profil du Groupe des sciences du comportement de la GRC a été attribuée à la gendarme Long, qui a fourni les renseignements nécessaires pour que le rapport soit établi. Les recommandations relatives à l'arrestation du sergent d'état-major McCann concernaient le grade des officiers qui ont procédé à son arrestation, les suggestions sur la façon de mener les entrevues et le rôle que devraient jouer certains officiers. La recommandation que le sergent d'état-major McCann soit interrogé par un membre de grade égal ou supérieur a été ignorée. Selon le sergent Mike St. Onge, le sergent d'état-major Dunphy devait procéder à l'entrevue, mais à la dernière minute, les plans ont été modifiés et c'est le sergent St. Onge qui a fait passer l'entrevue.

Pendant son entrevue avec la CPP, le sergent d'état-major à la retraite Dunphy a déclaré que le rapport de l'établisseur de profils était un outil et qu'il ne se souvenait pas de ce qui avait été utilisé lors de l'interrogation de M. McCann.

Selon la CPP, rien n'indique que le résultat final aurait été différent si les recommandations des membres de l'équipe ou du Groupe des sciences du comportement avaient été suivies. Cependant, suivre les suggestions ou aller un peu plus loin aurait effacé toute insinuation que l'enquête était insuffisante ou qu'il y avait dissimulation. Le sergent d'état-major Dunphy a manqué de diligence raisonnable, surtout par rapport à ses enquêteurs.

16.6 Conclusions sur les allégations des plaignants de la CPP

La CPP a reçu 11 allégations, dont deux étaient identiques et, par conséquent, elles ne seront pas répétées ici. Les allégations sont présentées ci-dessous, de même que les conclusions de la CPP concernant chacune des allégations. La réponse à chacune des allégations doit être examinée conjointement avec le présent rapport, y compris les conclusions sur des questions précises et qui concernent les enquêtes de la GRC sur M. McCann.

16.6.1 Première allégation

Dave Dunphy, le sergent d'état-major de la GRC, a trompé, méprisé, injurié M. Shore et lui a menti et a crié après lui lors de conversations téléphoniques.

Analyse

Pendant les entrevues avec la CPP, les membres de la GRC ont fait part de leurs préoccupations concernant leurs interactions avec Gregory Shore et les effets négatifs de ses interruptions sur l'enquête. Par la suite, la caporale Paulette Delaney-Smith a été nommée officière de liaison de la GRC avec M. Shore. Pour une analyse détaillée, reportez-vous au chapitre 10 du Rapport de l'enquête Kingsclear, « Enquête menée par le sergent d'état-major Dave Dunphy 2000-2003 ».

Conclusion

La CPP juge que les allégations selon lesquelles le sergent d'état-major Dunphy « a méprisé, injurié M. Shore et lui a crié après lors de conversations téléphoniques » sont probablement fondées.

La CPP n'a pas trouvé d'éléments de preuve pour appuyer les allégations selon lesquelles le sergent d'état-major Dunphy « a trompé » M. Shore et lui « a menti ».

16.6.2 Deuxième allégation

Malgré tous les éléments de preuve présentés au sergent d'état-major Dave Dunphy ou au groupe de travail de la GRC concernant les plaintes d'agressions sexuelles contre des membres du personnel et des détenus du Centre de Kingsclear et le sergent d'état-major de la GRC Clifford McCann, aucune accusation n'a été portée.

Analyse

La CPP fait référence aux éléments de preuve du coordonnateur de dossier, le gendarme Al Rogers, concernant les plaintes qui ont fait l'objet d'enquêtes par la GRC et la façon dont ces enquêtes ont été menées. Les éléments de preuve décrivent les efforts déployés par les enquêteurs pour trouver et interroger les victimes présumées. Il y a eu très peu de nouvelles plaintes formulées qui ont été portées à l'attention de la GRC. En plus de ce qui a été mentionné à maintes reprises dans le rapport, le gendarme Rogers a confirmé que l'enquête de la GRC sur de nombreuses fiches de renseignements a mené au dépôt d'accusations liées uniquement aux allégations faites par M. Shore et trois autres victimes.

Conclusion

La CPP constate que des dossiers d'information complets ont été préparés par la GRC concernant six des sept infractions présumées. En 2002, l'avocat de la Couronne Connell a écrit des lettres indiquant qu'il ne recommandait pas que des accusations soient déposées contre MM. Toft, Raymond et McCann.

16.6.3 Troisième allégation

Des membres inconnus de la GRC ont participé à une opération de dissimulation d'actes criminels présumés de membres du personnel et de détenus du Centre de formation pour jeunes de Kingsclear, ainsi que du sergent d'état-major Clifford McCann.

Analyse

La CPP a interrogé 150 témoins, certains plus d'une fois de manière à obtenir des éclaircissements et à corroborer les événements et les éléments de preuve. Pendant l'examen du matériel pertinent, la CPP a découvert qu'en octobre 1993, la GRC a demandé avec insistance à la Couronne de déposer de nouvelles accusations contre M. Toft et a même considéré la possibilité d'engager son propre procureur lorsqu'elle a appris que la Couronne avait refusé ses dossiers d'information. Les enquêteurs ont aussi préparé des dossiers d'information en rapport avec les accusations sur d'autres membres du personnel de l'ÉFNB que l'avocat de la Couronne a rejetées. Dans le cas du sergent d'état-major McCann, la GRC a préparé et déposé en 2003 des dossiers d'enquête pour les faire examiner par l'avocat de la Couronne. Après un examen long et détaillé, l'avocat de la Couronne a recommandé de ne pas déposer d'accusations criminelles contre le sergent d'état-major McCann.

Conclusion

La CPP juge qu'il n'y pas d'éléments de preuve indiquant que les membres de la GRC interrogés ont participé à une opération de dissimulation au sens de la définition du cadre de référence. En fait, la CPP a découvert que la GRC a exercé des pressions sur la Couronne pour déposer de nouvelles accusations contre M. Toft, et qu'elle a examiné la possibilité d'embaucher son propre avocat pour engager les poursuites.

16.6.4 Quatrième allégation

Le commissaire Zaccardelli de la GRC, qui était l'officier responsable de la Police criminelle au Nouveau-Brunswick au début des années 1990, savait que le sergent d'état-major McCann abusait sexuellement de garçons et n'a rien fait pour que cela cesse.

Analyse

Le sergent Lockhart a informé le surintendant Zaccardelli des allégations contre le sergent d'état-major McCann en janvier 1992. Pendant son entrevue avec la CPP, M. Zaccardelli a indiqué qu'il a dit au sergent Lockhart de bien vérifier les allégations et de traiter le sergent d'état-major McCann comme tout autre suspect. Le sergent Lockhart a confirmé dans son entrevue avec CPP que le surintendant Zaccardelli lui avait donné ces directives. Il a aussi indiqué qu'il tenait le surintendant Zaccardelli au courant de ses progrès dans l'enquête McCann. Cependant, lorsqu'on leur a posé des questions à propos de l'entrevue du sergent Lockhart avec le sergent d'état-major McCann, ni l'un ni l'autre ne peut dire avec certitude qu'ils en ont discuté. M. Zaccardelli se rappelle qu'on lui a dit qu'aucun des plaignants ne détenait de preuves directes à présenter et qu'il n'y avait en fait aucune plainte. M. Zaccardelli et le sergent Lockhart ont insisté pour dire qu'ils auraient déposé des accusations contre le sergent d'état-major McCann si des éléments de preuve avaient existé.

Conclusion

La CPP juge que M. Zaccardelli était au courant des allégations et les éléments de preuve confirment qu'il a pris les mesures qui s'imposent pour s'assurer qu'une enquête soit menée.

16.6.5 Cinquième allégation

a) Dave Dunphy, sergent d'état-major de la GRC a violé la Loi sur la GRC à de nombreuses reprises.

Analyse

Dans le but de valider les allégations selon lesquelles le sergent d'état-major Dunphy aurait violé la Loi sur la GRC et en l'absence de toute allégation spécifique concernant l'article violé, la CPP a examiné à nouveau les interactions entre M. Shore et le sergent d'état-major Dunphy. La CPP s'est penchée sur la conduite du sergent d'état-major Dunphy de même que celle de tous les membres de la GRC qui ont participé à ces enquêtes, en ce qui concerne la façon dont il s'est acquitté de sa tâche ou des fonctions en vertu de la Loi sur la GRC.

Conclusion

La CPP juge que le sergent d'état-major Dunphy a manqué de professionnalisme à l'égard de M. Shore, car il l'aurait injurié et méprisé et lui aurait crié après.

b) Dave Dunphy, sergent d'état-major de la GRC, a commis des actes criminels, a interféré dans des enquêtes de la police criminelle et a conspiré pour modifier le dénouement de ces enquêtes.

Analyse

La CPP a procédé à 150 entrevues et lu et résumé plus de 50 000 pages de documents pour déterminer si cette accusation contre le sergent d'état-major Dunphy pouvait être corroborée.

Conclusion

La CPP n'a pas découvert d'élément de preuve pour corroborer cette allégation.

16.6.6 Sixième allégation

Que l'enquête sur les allégations d'agressions sexuelles présumées formulées par les plaignants et d'autres personnes a été mal menée et que, par conséquent, des accusations contre le sergent d'état-major Clifford McCann n'ont pas été déposées.*

Analyse

La première entrevue du sergent d'état-major McCann était prématurée et la deuxième entrevue a été effectuée à son domicile en présence de son épouse. Dans les deux cas, la documentation des entrevues était insuffisante.

Conclusions

La CPP juge que les entrevues du sergent d'état-major McCann effectuées par les officiers de la GRC étaient insatisfaisantes.

La CPP considère qu'il y a eu manque de diligence de la part du sergent d'état-major Dunphy.

Analyse

Il y a plusieurs facteurs qui ont influé, le plus important d'entre eux étant la décision de l'avocat de la Couronne de ne pas porter d'accusations. La CPP conclut que la GRC avait l'intention de porter des accusations criminelles : M. McCann a été arrêté, détenu au bloc cellulaire et, par la suite, a été interrogé pendant plusieurs heures. La GRC a soumis sept documents d'information à l'avocat de la Couronne qui les a tous rejetés.

Conclusion

La CPP juge que même si certains aspects des enquêtes étaient insuffisants et insatisfaisants, ceux-ci n'ont eu aucune incidence sur le fait que des accusations n'ont pas été portées contre le sergent d'état-major McCann.

* Un autre plaignant a déposé une allégation identique.

16.6.7 Septième allégation

Que des membres inconnus de la GRC ont tenté de dissimuler les actes criminels présumés commis par le sergent d'état-major McCann à partir de 1988 jusqu'à la fin de sa carrière de policier (lorsqu'il a pris sa retraite).*

Analyse

De nombreux membres de la GRC et employés de l'ÉFNB savaient que le sergent d'état-major McCann était très engagé auprès des pensionnaires de l'ÉFNB avant que les rumeurs commencent à circuler à son sujet à l'automne 1991. Cependant, il n'y pas d'éléments de preuve pour appuyer les allégations selon lesquelles la GRC aurait dissimulé les activités du sergent d'état-major McCann pendant que des enquêtes sur celles-ci étaient en cours.

Certains membres de la GRC qui ont été interrogés par la CPP ont indiqué qu'ils n'étaient pas surpris lorsqu'ils ont entendu parler des rumeurs, mais d'autres ont affirmé qu'ils avaient été consternés. Tous les membres qui ont dit avoir des soupçons ont affirmé qu'ils n'avaient aucune raison de croire que des actes criminels s'étaient produits.

Conclusion

La CPP juge qu'il n'existe pas d'éléments de preuve concrets selon lesquels les membres de la GRC qui ont été interrogés ont participé à une opération de dissimulation liée aux enquêtes de la GRC sur les allégations contre le sergent d'état-major McCann.

* Un autre plaignant a déposé une allégation identique.

16.6.8 Huitième allégation

Que des membres inconnus de la GRC avaient mal mené une enquête sur les activités criminelles présumées par des membres du Centre de formation pour jeunes de Kingsclear et d'autres personnes.

Analyse

Le fait que certains membres n'aient pas pris de notes et que d'autres aient pris des notes de mauvaise qualité a pu influer sur la tenue de l'enquête lorsqu'il fallait assurer un suivi ou que les renseignements de base n'étaient pas disponibles, compréhensibles ou exacts. De plus, la piètre qualité des notes prises a influé sur la perception de la CPP concernant l'engagement des officiers qui menaient l'enquête. Ce n'est qu'une fois les entrevues menées que la CPP a été en mesure de confirmer que l'engagement des officiers ne posait pas problème.

Depuis presque le début, tous savaient que l'enquête était de nature délicate et importante et qu'il était possible qu'elle prenne de l'ampleur. Cependant, elle n'avait jamais reçu toutes les ressources nécessaires. La direction aurait dû y porter plus d'attention et les officiers supérieurs auraient dû fournir davantage de directives et de ressources. En dehors de quelques exceptions, les officiers supérieurs ont commencé à participer à l'enquête une fois qu'elle a retenu l'attention des médias, que les plaignants ont communiqué directement avec eux ou que les représentants gouvernementaux se sont informés des progrès réalisés. Ce ne sont là que quelques exemples des lacunes de l'enquête.

Conclusion

La CPP juge que les enquêtes menées par certains membres de la GRC sur des activités criminelles présumées par le personnel de l'ÉFNB et d'autres personnes ont été mal menées.

16.6.9 Neuvième allégation

Que des membres inconnus de la GRC n'ont pas fait enquête de manière satisfaisante sur ses allégations [celles de Daniel Trottier] d'agressions sexuelles et, par conséquent, ils n'ont pas porté d'accusation contre quatre membres du personnel du Centre de formation pour jeunes de Kingsclear, Karl Toft, Derrick Shaw, Ray Wilson et Andrew Duke.

Analyse

Des documents d'information ont été préparés sur plusieurs membres du personnel de l'ÉFNB, notamment sur M. Toft qui a plaidé coupable et a été condamné à 13 ans de prison. La Couronne n'a pas recommandé que d'autres accusations soient portées contre M. Toft, en raison de sa décision précédente sur le principe de totalité en matière de détermination de la peine.

Les critères utilisés par la GRC et l'avocat de la Couronne pour décider de porter ou non des accusations contre d'autres membres du personnel de l'ÉFNB, qui étaient impliqués dans l'affaire et qui par la suite ont fait l'objet d'une enquête de la GRC, comprenaient le manque de crédibilité des plaignants et des témoins, le manque de corroboration des allégations, la gravité des agressions présumées (sexuelles ou physiques) et la catégorie à laquelle appartiennent les accusations criminelles, c.-à-d. infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité ou acte criminel.

Dans la plupart des cas, la Couronne n'a pas recommandé que des accusations soient portées en se fondant sur les critères susmentionnés. Dans quelques cas, la GRC a choisi de ne pas suivre les procédures sans un examen de l'avocat de la Couronne qui se fonde sur le type d'allégations, le manque d'éléments de corroboration en relation avec les allégations et l'incapacité de la GRC de prouver les éléments d'un acte criminel.

La CPP n'a pas de remarques à formuler concernant les trois derniers suspects nommés par M. Trottier, étant donné qu'ils ne sont pas membres du personnel de l'ÉFNB. La GRC a déféré l'une des allégations à la FPF, étant donné que la présumée agression a eu lieu à Fredericton. Une autre était considérée comme une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité et il était impossible de porter des accusations, car il y avait prescription. La plainte de M. Trottier contre le dernier suspect portait sur des insinuations sexuelles et comme il n'y avait pas eu d'attouchements, il était impossible de porter des accusations.

L'autre plainte formulée par M. Trottier à la GRC en relation avec le sergent d'état-major McCann a été acheminée à la FPF étant donné que la présumée infraction s'était produite à Fredericton.

Conclusion

Selon la CPP, il existait des lacunes dans l'enquête sur l'ÉFNB; cependant, la CPP juge qu'elles n'ont pas entravé la possibilité de porter d'autres accusations criminelles contre M. Toft ou d'autres membres du personnel de l'ÉFNB.

17. Recommandations de la Commission des plaintes du public contre la GRC

17.1 Première recommandation

La CPP recommande que le commissaire et les commandants de la GRC fassent en sorte qu'un mécanisme soit en place pour définir les enquêtes délicates et de grande envergure.

17.2 Deuxième recommandation

La CPP recommande que des mécanismes de réponse et de responsabilité appropriés soient en place au niveau des officiers supérieurs pour surveiller constamment les progrès de toute enquête de nature délicate ou de grande envergure et assurer la transparence et l'impartialité à la population.

Pour la CPP, il est évident que la GRC a été confrontée à des problèmes lors de ses enquêtes sur les allégations contre le personnel de l'ÉFNB et le sergent d'état-major Clifford McCann, en partie en raison du manque de participation des officiers supérieurs. Les enquêtes de la GRC sur l'ÉFNB ont débuté à la suite d'une demande écrite du procureur général du Nouveau-Brunswick au commandant (cmdt.) de la Division J. Ces enquêtes ont été menées peu après celles sur l'affaire de Mount Cashel qui a grandement retenu l'attention des médias et soulevé l'indignation de la population. Les similitudes entre les deux enquêtes ont rapidement été observées et les officiers supérieurs auraient dû être plus vigilants au début et encore plus par la suite. Voici des exemples des lacunes et des obstacles qu'a créé le manque de participation des officiers supérieurs aux enquêtes :

  • Un manque de ressources : La plupart des officiers interrogés par la CPP ont indiqué qu'il s'agissait là d'un problème systématique non seulement dans le cadre de cette enquête, mais pour toutes les enquêtes auxquelles participe la Division J. Même si les officiers supérieurs se sont plaints du manque de ressources, il n'est pas évident que leur engagement était suffisant pour se rendre compte à quel point le manque de personnel pourrait s'en ressentir.
  • Un manque de direction : Cet obstacle est particulièrement évident dans la confusion liée au cadre de référence de la première enquête menée par le gendarme Tom Spink. La confusion de l'officier, et dans une moindre mesure, de ses supérieurs, peut être une indication des répercussions du manque de direction appropriée.
  • Un manque de documents clairs et précis aux fins de consignation interne et de partage des renseignements avec des intervenants externes, par exemple l'avocat de la Couronne : Cette situation a peut-être été causée par le fait que les officiers supérieurs n'ont pas suivi les progrès de cette enquête de grande envergure et de nature délicate, surtout au tout début.
  • Les lacunes de deux entrevues du sergent d'état-major McCann : Les officiers supérieurs n'ont pas été informés des entrevues avec le sergent d'état-major McCann à l'avance et n'ont pas été informés de leur contenu après qu'elles ont eu lieu. Cette situation peut être partiellement attribuée à la participation insuffisante des officiers supérieurs, qui devraient prévoir la rédaction de rapports à des étapes importantes des enquêtes de grande envergure.

17.3 Troisième recommandation

La CPP recommande qu'une évaluation et un suivi soient effectués pour déterminer les besoins actuels de la Division J de la GRC en matière de ressources pour veiller à ce que toute enquête de nature délicate et de grande envergure soit menée sans interruption, en temps opportun et de manière professionnelle.

Sauf quelques exceptions, tous les officiers se sont plaints du manque de ressources pendant les enquêtes. Les officiers qui ont participé à l'enquête de 2003 ont passé la même remarque. Un manque de ressources n'est pas chose rare pendant une enquête de police moyenne. Cependant, on a demandé aux officiers d'apporter leur aide de temps à autre à l'enquête sur l'ÉFNB à partir de leur détachement et on a souvent demandé aux officiers qui travaillaient à l'enquête sur l'ÉFNB d'apporter leur aide à d'autres questions importantes. Les plans proposés sur l'enquête de l'ÉFNB à la fin de 2000 ont été revus à la baisse de manière importante ou complètement abandonnés.

Même s'il semble que le manque de ressources a eu peu d'effet sur le résultat des enquêtes, cette situation a rendu leur gestion plus difficile. Par exemple :

  • la consultation avec l'avocat de la Couronne et les officiers supérieurs, de même que la documentation, aurait pu être traités de manière plus professionnelle s'il y avait eu davantage de ressources pour alléger la charge de travail des enquêteurs et faciliter le travail d'administration et de gestion;
  • l'enquête aurait progressé plus rapidement si des ressources additionnelles avaient été disponibles. Les officiers devaient consacrer du temps d'enquête pour travailler à d'autres incidents ou événements jugés plus urgents par les officiers supérieurs, surtout au début de l'enquête;
  • la lenteur des enquêtes a pu contribuer à laisser croire à la population qu'il y avait dissimulation.

17.4 Quatrième recommandation

La CPP recommande que le commandant et les officiers supérieurs de la GRC qui se trouvent dans une province où le filtrage de pré-inculpation doit être effectué s'assurent que les membres comprennent bien leur rôle et celui de la Couronne dans l'administration de la justice de manière à conserver leur indépendance.

Il est évident qu'il y a des incohérences dans la façon dont les accusations ont été déposées. Certains officiers, comme l'inspecteur Mike Connolly, s'opposaient à la décision de la Couronne de ne pas déposer d'accusations et se sont élevés contre celle-ci. D'autres s'y sont opposés, mais n'ont rien fait, par exemple dans le cas d'une demande incomplète concernant la Dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition. Ces incohérences, de même que les déclarations faites par deux officiers supérieurs concernant la confusion entre les rôles de la Couronne et ceux de la police, donnent à penser que ces rôles et responsabilités étaient flous, peut-être plus souvent que nécessaire. De plus, la majorité des membres de la GRC interrogés par la CPP croyaient qu'ils ne pouvaient déposer des accusations criminelles sans que la Couronne approuve d'abord la décision.

Le principe de l'indépendance policière a été affirmé dans le cas relativement récent de R. c. Regan [2002], 1 R.C.S. 297. À la page 23 de la décision, le juge LeBel, pour la majorité, en examinant le besoin d'une séparation entre le rôle de la police et celui de la Couronne, cite la Royal Commission on the Donald Marshall, Jr., Prosecution, vol. 1, Findings and Recommendations (1989) :

[D]ans notre système, la fonction policière-la fonction d'enquête et d'application de la loi-est distincte de la fonction de poursuivant. Nous croyons que le maintien d'une ligne de démarcation entre ces deux fonctions est essentiel à la bonne administration de la justice.

Le juge LeBel a aussi ajouté que

[l]a ligne de démarcation nette signifie apparemment que l'ultime responsabilité de décider quelles accusations doivent être portées incombe à la police, et non au ministère public. Ce principe peut encore valoir après que le ministère public ait procédé à sa propre évaluation pré-inculpation, lorsque les deux organes du système de justice pénale ne s'entendent pas sur l'opportunité de porter des accusations.

Même s'il est reconnu que la collaboration et la consultation entre la police et le bureau du procureur général est essentielle pour une bonne administration de la justice, il ne faut pas oublier que la police a le droit d'enquêter et de porter des accusations sans entraves de la part de la Couronne, tout comme les procureurs ont le droit de surseoir aux procédures, de les retirer ou de les annuler, une fois que des accusations ont été déposées par la police.

17.5 Cinquième recommandation

La CPP recommande que la GRC examine, modifie et applique la politique sur le calepin de l'enquêteur et toutes les politiques liées à la prise de notes et à la rédaction de rapports et s'assure que tous les officiers s'y plient et qu'ils reçoivent constamment la formation nécessaire, en vertu des directives.

17.6 Sixième recommandation

La CPP recommande que la GRC examine la politique sur la conservation des calepins utilisée par les autres services de police de manière à connaître les meilleures pratiques adoptées dans tout le pays, surtout en ce qui concerne les calepins des officiers qui prennent leur retraite, qui sont mutés ou qui démissionnent de leur propre chef.

17.7 Septième recommandation

La CPP recommande que les problèmes liés à la prise de notes, à la documentation et la rédaction de rapports soient abordés de diverses façons, entre autres, par la formation, la révision des politiques et la surveillance interne.

Pendant toute la durée des enquêtes de la GRC, la prise de notes, la rédaction de rapports et la documentation représentaient des problèmes systémiques, tout comme la mauvaise application de politiques plutôt vagues. Par conséquent, on notait de graves inégalités dans la qualité et l'intégralité des notes et des rapports. Les répercussions des rapports ou des calepins incomplets ou qui comportent des lacunes sont si importantes que l'administration de la justice a pu être entravée. Étant donné qu'il existe de nombreux exemples de notes ou de rapports mal préparés au cours des enquêtes, il s'agit d'un problème qui ne peut être ignoré.

La politique de la GRC en matière de conservation des calepins a été modifiée au fil du temps. En 1990, cette politique donnait un aperçu, mais manquait de précisions sur le contenu, la conservation et la destruction des calepins. En 1997, une modification importante à cette politique a été apportée, décourageant l'utilisation des calepins, sauf dans des « circonstances exceptionnelles ». Les membres devaient consigner les notes relatives aux enquêtes directement dans les rapports de suivi. Ils étaient également responsables d'assurer la sécurité, la conservation et la destruction de leurs calepins, mais on ne leur indiquait pas la manière de procéder. En 2000, on a assisté à un retour de presque toutes les mesures en place avant 1997. Les versions de la politique qui ont suivi, y compris la plus récente, entrée en vigueur en 2006, ont été élargies pour préciser le contenu des calepins, leur utilisation au sein d'une équipe et dans le cadre d'enquêtes de grande envergure, et fournir des directives sur leur conservation et leur destruction. Les calepins doivent maintenant être conservés pendant au moins deux ans dans certains cas, même s'il incombe toujours au membre de conserver et d'entreposer ces calepins en lieu sûr. Par exemple, la section 6.2 de la partie 25.2, intitulée Calepin de l'enquêteur, indique que : « Les calepins doivent être conservés et entreposés en lieu sûr par chaque membre et ne doivent être détruits qu'avec l'autorisation du chef compétent. » Cette politique ne contient rien au sujet des membres qui prennent leur retraite, qui sont mutés ou qui démissionnent.

La politique actuelle ne traite pas des problèmes liés à l'obtention des notes d'un membre. Étant donné que le contrôle des calepins est assuré par les membres et non par l'organisme, les tribunaux, la GRC et la CPP pourraient avoir de la difficulté à y accéder si le besoin se manifestait.

Au Canada, la plupart des services de police sont plus rigoureux que la GRC en ce qui concerne la conservation des calepins. Ils exigent de leurs membres qu'ils remettent leurs calepins au moment de prendre leur retraite. Certains exigent même que les officiers remettent leurs calepins avant d'être mutés. D'autres services de police vont jusqu'à demander à leurs officiers de remettre leurs calepins, qui sont examinés par un superviseur, avant d'en recevoir un nouveau. De cette façon, les services s'assurent que les calepins sont utilisés et conservés de manière appropriée.

Le conservation et l'entreposage des calepins des membres de la GRC est un problème important. La politique sur le calepin de l'enquêteur doit être modifiée et appliquée pour régler ce problème. Il est crucial que cela soit fait, non seulement pour assurer une surveillance, mais plus important encore, dans le cas des affaires non résolues qui sont rouvertes. Les calepins sont remis par la GRC et devraient demeurer la propriété de la GRC lorsqu'un membre en remplit un, ou si ce membre démissionne, prend sa retraite ou est muté à une autre division. La plus récente politique sur les calepins doit être plus rigoureuse et plus précise.

17.8 Huitième recommandation

La CPP recommande que toute enquête sur des allégations qui ont des répercussions sur la confiance de la population dans la GRC devrait être confiée à un autre service de police, ou au moins à une équipe de membres de la GRC d'une autre région ou d'une autre province possédant l'expérience nécessaire et qui ne connaît pas le membre qui fait l'objet de l'enquête, pour limiter la perception de parti pris et maintenir la confiance de la population dans la GRC.

Une enquête criminelle sur des allégations concernant un membre de la GRC est une enquête de nature délicate et de premier plan et une priorité absolue devrait lui être accordée. Comme tout autre service de police, la GRC ne peut divulguer que certains renseignements, ce qui ne fait qu'ajouter aux spéculations sur l'affaire qui n'est pas traitée aussi sérieusement qu'elle le devrait.

En plus de gérer ces enquêtes de manière juste, impartiale, efficace et en temps opportun, l'équipe d'enquête doit aussi s'occuper des relations avec les médias, et plus important encore, avec la collectivité concernée. Comme le démontre les diverses enquêtes de la GRC sur l'ÉFNB et le sergent d'état-major McCann, cela n'est pas chose facile. Même si la population ne comprend pas les rouages des enquêtes policières, les services policiers doivent s'assurer que celle-ci comprend les mesures prises par la GRC. Cet objectif peut être atteint en affectant l'enquête à d'autres services policiers ou, au moins, à une équipe de la GRC d'un autre territoire.

17.9 Neuvième recommandation

La CPP recommande que la GRC améliore ses stratégies en matière de communication interne et externe pour intégrer les communications actives par l'entremise des technologies modernes aux enquêtes de nature délicate ou de grande envergure et montrer à la population que la GRC fait réellement preuve de transparence et de responsabilité.

La CPP ignore si la GRC avait une stratégie de communication destinée au grand public pour les enquêtes de l'ÉFNB, mis à part les quelques communiqués de presse publiés en réponse aux articles parus dans les médias. Même si la GRC continue de communiquer avec les plaignants et de satisfaire à leur demande, la CPP n'a pas trouvé de documents autres que quelques communiqués de presse qui tenaient compte des préoccupations générales de la population. La CPP n'a pas découvert si la GRC avait mis en place une stratégie pour communiquer des renseignements avec la population au sujet de ses enquêtes sur l'ÉFNB et le sergent d'état-major McCann. La politique actuelle de la GRC, intitulée Services de communication, ne fournit pas de directives précises sur les rôles et les responsabilités de chacun dans les communications avec la population dans le cas des enquêtes de grande envergure et de premier plan. Même dans la section qui porte sur l'importance d'être proactive avec les médias de l'ouvrage La GRC et les médias : le guide du porte-parole, il n'y a pas de directives sur la façon de gérer les attentes de la population pendant une enquête de cette taille et de cette nature.

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