Rapport final du président après l'avis du commissaire – Enquête d'intérêt public concernant la mort du détenu Robert Thurston Knipstrom

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Loi sur la Gendarmerie royale du Canada Paragraphe 45.46(3)

Le 9 septembre 2011

Nos de dossier : PC-2007-2427
PC-2007-2624

Contexte

Le 19 novembre 2007, peu avant 15 h, M. Robert Thurston Knipstrom aurait été impliqué dans un délit de fuite à Chilliwack, en Colombie-Britannique. M. Knipstrom a immédiatement quitté les lieux et s'est dirigé vers un centre de location de matériel afin de retourner une déchiqueteuse à bois qu'il avait louée. Pendant qu'il s'y trouvait, il a commencé à se comporter de façon bizarre, y compris monter et descendre l'escalier menant au deuxième étage où travaillait du personnel féminin. Le propriétaire du magasin l'a empêché de monter et a fini par demander à M. Knipstrom de quitter les lieux. M. Knipstrom a continué à se comporter bizarrement et il refusait de quitter les lieux; le gérant du magasin a donc communiqué avec la GRC pour obtenir de l'aide.

Les gendarmes Chad Mufford et Annie Labbe ont été dépêchés sur les lieux et sont arrivés au magasin approximativement 15 minutes après l'appel initial. Après que les agents ont essayé d'engager une conversation avec M. Knipstrom afin d'évaluer la situation, une altercation physique a eu lieu. Les agents ont eu recours à diverses techniques de main et à des armes intermédiaires et à impact, y compris l'aérosol capsique, une arme à impulsionsNote de bas de page 1 (AI) et le bâton. Toutes les tentatives et les techniques employées n'ont eu que peu d'effet sur M. Knipstrom, voire aucun. Ultérieurement, des renforts sont arrivés, et ils ont pu mettre M. Knipstrom au sol. Il a fallu un certain nombre de membres pour le maîtriser et le menotter.

Les premiers intervenants et les services médicaux d'urgence (SMU) ont été dépêchés sur les lieux, et M. Knipstrom a été transporté à l'hôpital de Chilliwack, où il a subi un arrêt cardiaque peu après son arrivée. Les efforts de réanimation du personnel de l'hôpital ont été fructueux, mais M. Knipstrom n'a jamais repris conscience. Il a par la suite été transféré à l'hôpital Surrey Memorial, où il est mort le 24 novembre 2007.

Plainte déposée par le président et enquête d'intérêt public

La Commission des plaintes du public contre la GRC (la Commission) a entrepris des démarches relatives à l'incident le 20 novembre 2007, moment où elle a envoyé un observateur indépendant surveiller l'enquête criminelle menée par la GRC sur les événements qui ont entouré la mort de M. Knipstrom. Le même jour, l'ancien président de la Commission a également déposé une plainte afin d'investiguer sur les deux aspects de l'incident qui relèvent des compétences de la Commission, c'est-à-dire le caractère approprié de l'intervention de la GRC relativement aux plaintes concernant le comportement de M. Knipstrom, ainsi que l'enquête policière sur la mort de ce dernier. La plainte déposée par le président de la Commission a été transmise à la GRC aux fins d'enquête. Le 30 janvier 2009, la GRC n'ayant pas répondu à sa plainte, la Commission a informé le commissaire de la GRC qu'elle considérait qu'il était souhaitable, dans l'intérêt public, qu'elle mène une enquête au sujet de la plainte en vertu du paragraphe 45.43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (Loi sur la GRC). 

Les paramètres officiels de l'enquête de la Commission étaient les suivants :

  1. si les membres de la GRC qui sont intervenus dans le cadre de l'incident, soit du premier contact avec M. Knipstrom jusqu'à ce que le personnel des services médicaux d'urgence le prenne en charge, ont agi conformément aux politiques, aux procédures, aux lignes directrices et aux exigences réglementaires;
  2. si la GRC a mené une enquête adéquate sur l'incident.

Plainte de la BCCLA

Le 27 novembre 2007, l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique (BCCLA) a présenté une plainte à la Commission au sujet du traitement de M.  Knipstrom. Le 18 février 2008, la GRC a envoyé une lettre à la BCCLA indiquant qu'elle mettait fin à l'enquête sur la plainte aux termes des alinéas 45.36(5)a) et c) de la Loi sur la GRC. Le motif invoqué était que l'on voulait [traduction] « éviter de multiplier les procédures » en mentionnant l'enquête criminelle et l'enquête du coroner. Le 11 avril 2008, la BCCLA a demandé un examen de cette décision.

Dans des cas semblables, la Commission n'a pas accepté le raisonnement fourni par la GRC pour justifier sa décision de ne pas faire enquête sur la plainte du public. Néanmoins, l'objet de la plainte déposée par le président et de la présente enquête d'intérêt public transcende la plainte de la BCCLA. En outre, la plainte originale de la BCCLA mentionnait que l'Association estimait qu'une enquête indépendante était justifiée en raison de l'intérêt du public plutôt que ce soit la GRC qui entreprenne une enquête sur une plainte du public. À ce titre, la Commission traitera son rapport intérimaire et le présent rapport final comme une réponse en bonne et due forme à la plainte et à la demande d'examen de la BCCLA, sans égard à la décision de la GRC de mettre fin à son enquête sur la plainte de la BCCLA.

Rapport intérimaire de la Commission

La Commission a présenté son rapport provisoire sur l'enquête d'intérêt public au commissaire de la GRC et au ministre de la Sécurité publique le 25 novembre 2009; dans ce rapport, la Commission a formulé 28 conclusions et 4 recommandations concernant les changements à apporter.

Dans l'ensemble, la Commission a conclu que les membres en cause ont agi de manière raisonnable et que, de manière générale, l'enquête a été menée de manière appropriée. Cependant, la Commission a recensé plusieurs préoccupations relatives à l'enquête; ces préoccupations, déjà soulevées dans de nombreux autres rapports préparés par la Commission, devaient être résolues par la GRC.

L'avis du commissaire de la GRC

Conformément au paragraphe 45.46(2) de la Loi sur la GRC, le commissaire de la GRC doit présenter un avis écrit faisant état de toute nouvelle mesure prise ou prévue à la lumière des conclusions et des recommandations contenues dans le rapport intérimaire.

Le 10 août 2011, la Commission a reçu l'avis du commissaire de la GRC. Le commissaire de la GRC a accepté toutes les conclusions de la Commission, à l'exception de deux d'entre elles, et a admis, en tout ou en partie, trois de ses quatre recommandations.

Le commissaire de la GRC était en désaccord avec la conclusion selon laquelle un représentant des relations fonctionnelles (RRF) n'aurait pas dû être autorisé à rencontrer seul le gendarme Mufford avant qu'il ne présente sa déclaration par obligation de rendre compte, ni le gendarme Mufford ou la gendarme Labbe avant l'arrivée de l'équipe d'enquête. Le commissaire de la GRC n'appuyait pas non plus la recommandation qui découlait de cette conclusion, soit d'« officialiser le rôle du RRF en fournissant une orientation et une politique claires visant à garantir que le RRF connaît les limites de sa participation et les protocoles exigés relativement à une telle présence ». Cependant, tel qu'il est mentionné dans l'avis du commissaire, la GRC a depuis mis en place la Politique sur la responsabilité en matière de rapports (en vigueur depuis le 7 septembre 2010), laquelle, pour l'essentiel, résout ce problème. Le commissaire de la GRC appuyait la seconde recommandation, selon laquelle la GRC était tenue « [de préciser] l'exigence même, le moment auquel y satisfaire et l'usage qui sera fait de la déclaration par obligation de rendre compte que doivent produire les membres »; la Politique sur la responsabilité en matière de rapports de 2010 répond à cette recommandation.

Le commissaire de la GRC était également en désaccord avec la conclusion de la Commission selon laquelle il est inapproprié que les membres en cause soient interrogés par des membres du même grade ou d'un grade inférieur. À son avis, [traduction] « la nécessité d'obtenir à ce moment-là les déclarations des membres en cause relativement à l'incident l'emportait sur toute éventuelle préoccupation liée au fait que l'entrevue soit menée par un membre du même grade ou d'un grade inférieur ». Cependant, je signale que rien n'indique qu'il n'y avait pas de membre de grade supérieur disponible pour mener les entrevues; selon le dossier, de nombreux membres, présents sur les lieux de ce grave incident, avaient au moins un grade supérieur à celui de gendarme. Avant même que l'on sache que M. Knipstrom n'allait pas survivre, l'incident était suffisamment grave pour justifier, d'entrée de jeu, la prise de mesures visant à éviter toute forme de partialité, réelle ou perçue. En outre, je n'accepte pas que le commissaire de la GRC invoque le fait qu'il n'y avait pas de politique en vigueur à l'époque qui aurait imposé que les entrevues de membres en cause soient menées par des membres de grade supérieur; en soi, l'absence d'une politique directement pertinente sur le sujet ne rend pas la conduite appropriée. Néanmoins, je souligne que, depuis, la GRC a mis en œuvre sa Politique relative aux enquêtes ou examens externes afin de tenter de résoudre ces problèmes, ainsi que d'autres. Le commissaire de la GRC était également d'accord, en principe, avec les deux recommandations suivantes de la Commission : que toutes les entrevues menées auprès des membres impliqués dans des incidents graves soient menées par des membres d'un grade supérieur dans les affaires où le modèle de gestion des cas graves n'a pas été utilisé; que tous les interrogatoires des témoins dans le cas d'incidents graves soient menés par une équipe composée de deux membres.

En février et en septembre 2010, soit deux et dix mois, respectivement, après la publication du rapport intérimaire de la Commission, la GRC a mis en place des politiques qui, de manière générale, dissipent les préoccupations de la Commission. Malgré cela, je fais observer que la GRC a mis presque 21 mois à publier sa réponse au rapport intérimaire de la Commission. Selon moi, ce retard n'était ni approprié ni nécessaire, pas plus qu'il n'a été expliqué. Même si la Commission est rassurée et sait que des mesures ont été prises afin de dissiper les préoccupations soulevées dans son rapport, un tel retard dans la communication d'une réponse n'a pas l'heur d'inspirer confiance dans le processus de plaintes du public ni dans la GRC en général.

Les conclusions et les recommandations de la Commission

À la suite de l'enquête qu'elle a menée, la Commission a formulé un certain nombre de conclusions et de recommandations qui, selon elle, pourraient aider la GRC à examiner et à modifier ses politiques et à améliorer la formation qu'elle offre à ses membres pour faire en sorte qu'un événement tragique semblable ne se reproduise pas. Je répète ci-dessous les conclusions et les recommandations de la Commission.

  • Conclusion : Je conclus que les gendarmes Mufford, Labbe et Kardos avaient suivi la formation agréée courante de la GRC sur les options de recours à la force accessibles aux membres dans l'exécution de leurs fonctions.
  • Conclusion : Il était légitime pour les membres d'interagir avec M. Knipstrom, et ils en avaient l'obligation en raison de leurs fonctions.
  • Conclusion : Il n'était pas déraisonnable que les membres utilisent l'aérosol capsique et un bâton de la façon dont ils l'ont fait, et ils ont agi conformément à la politique de la GRC sur le recours à la force.
  • Conclusion : Il était raisonnable que les membres utilisent l'AI lorsque d'autres options de recours à la force (techniques de contrôle à mains fermées, aérosol capsique, bâton) semblaient n'avoir aucun effet sur M. Knipstrom.
  • Conclusion : L'utilisation de l'AI par le gendarme Mufford était raisonnable dans les circonstances.
  • Conclusion : La décision de la gendarme Labbe d'utiliser son AI après que le gendarme Mufford a utilisé son AI était raisonnable dans les circonstances.
  • Conclusion : Les utilisations de l'AI par le gendarme Kardos étaient raisonnables dans les circonstances.
  • Conclusion : Il était raisonnable que les membres concluent que M. Knipstrom ne ressentait pas pleinement les décharges électriques de l'AI, si tant est qu'il les ait ressenties à l'occasion.
  • Conclusion : La décision de la gendarme Labbe d'utiliser à nouveau son AI et de tenter d'utiliser une deuxième cartouche lorsque l'envoi d'autres décharges électriques semblait avoir peu d'effet était raisonnable dans les circonstances.
  • Conclusion : Les gendarmes Mufford, Labbe et Kardos ont employé les options de recours à la force conformément aux politiques de la GRC et aux lois.
  • Conclusion : Dans la mesure où ce sont les membres en question qui ont décidé de maintenir M. Knipstrom en position ventrale après son arrestation, il était raisonnable pour eux de le faire dans les circonstances.
  • Conclusion : Les membres ont obtenu comme il se doit des soins médicaux pour M. Knipstrom.
  • Conclusion : Les membres de la GRC qui sont intervenus au cours des événements mettant en cause M. Knipstrom le 19 novembre 2007, du premier contact jusqu'à ce que le personnel des services médicaux d'urgence le prenne en charge, ont agi conformément à toutes les politiques, les procédures, les lignes directrices et les exigences obligatoires en ce qui concerne l'arrestation et le traitement de personnes détenues.
  • Conclusion : Les lieux ont été sécurisés comme il se doit.
  • Conclusion : Le personnel approprié a été dépêché sur les lieux au moment opportun.
  • Conclusion : Une équipe d'enquête « indépendante » a été constituée rapidement, conformément à la politique de la GRC.
  • Conclusion : L'enquête a été gérée conformément aux principes de gestion des cas graves.
  • Conclusion : Tous les témoins pertinents ont été interrogés.
  • Conclusion : Les enquêteurs ont déployé des efforts raisonnables au moment d'interroger et de recueillir la déclaration des membres en cause.
  • Conclusion : Un RRF n'aurait pas dû être autorisé à rencontrer seul le gendarme Mufford avant qu'il ne présente sa déclaration par obligation de rendre compte, ni le gendarme Mufford ou la gendarme Labbe avant l'arrivée de l'équipe d'enquête.
  • Recommandation : Si le protocole relatif à la présence du RRF doit être maintenu, la GRC doit officialiser le rôle du RRF en fournissant une orientation et une politique claires visant à garantir que le RRF connaît les limites de sa participation et les protocoles exigés relativement à une telle présence.
  • Recommandation : Je réitère ma recommandation formulée dans la décision relative à l'affaire Ian Bush (novembre 2007) et dans la décision relative à l'affaire St. Arnaud (mars 2009) : « [q]ue la GRC élabore une politique où elle précisera l'exigence même, le moment auquel y satisfaire et l'usage qui sera fait de la déclaration par obligation de rendre compte que doivent produire les membres de la GRC. »
  • Conclusion : Il est inapproprié que les membres en cause soient interrogés par des membres du même grade ou d'un grade inférieur dans les affaires où le modèle de gestion des cas graves n'est pas utilisé.
  • Recommandation : Que toutes les entrevues menées auprès des membres impliqués dans des incidents graves soient menées par des membres d'un grade supérieur dans les affaires où le modèle de gestion des cas graves n'est pas utilisé.
  • Recommandation : Que tous les interrogatoires des témoins dans le cas des incidents graves soient menés par une équipe composée de deux membres.
  • Conclusion : Il était inapproprié que le gendarme Kardos soit nommé pour interroger les deux principaux témoins civils, car il a été impliqué dans l'incident et il se trouvait en situation de conflit d'intérêts.
  • Conclusion : La politique de la GRC relative aux essais d'AI en vigueur à la date de l'incident était inadéquate. Toutefois, je suis convaincu du fait que la modification de la politique de la GRC a clarifié les cas où des essais devraient être effectués lorsqu'un incident entraînant la mort est attribuable à l'utilisation d'une AI.
  • Conclusion : La mesure dans laquelle les enquêteurs ont examiné les antécédents de M. Knipstrom et se sont servis de ces renseignements était raisonnable et appropriée dans les circonstances.
  • Conclusion : La mesure dans laquelle les enquêteurs ont examiné le rôle du délire excité dans la mort de M. Knipstrom était raisonnable dans les circonstances.
  • Conclusion : Les communications de la GRC avec le bureau du coroner avant la mort de M. Knipstrom n'étaient pas déraisonnables ni inappropriées dans les circonstances.
  • Conclusion : Il n'y avait pas d'élément de preuve étayant une poursuite, et il était raisonnable que la GRC ne soumette pas de rapport à l'avocat de la Couronne pour examen.
  • Conclusion : Il n'y a pas eu de retard injustifié dans l'enquête de la GRC sur la mort de M. Knipstrom, et l'enquête a été menée à terme rapidement.

Aux termes du paragraphe 45.46(3) de la Loi sur la GRC, le mandat de la Commission dans cette affaire a été rempli.

Le président intérimaire,
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Ian McPhail, c.r.

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