Rapport sur le harcèlement en milieu de travail à la GRC

Sommaire

La Gendarmerie royale du Canada est aux prises avec des problèmes de harcèlement, d'intimidation et de harcèlement sexuel au travail depuis des décennies. Des examens indépendants, des sondages, des reportages dans les médias et des poursuites en justice ont tous levé le voile sur la façon dont ces problèmes graves et répandus minent les milieux de travail de la GRC, ainsi que sur les dommages qui en résultent. On ne compte pourtant plus les solutions qui ont été proposées. Au cours de la dernière décennie seulement, la GRC et sa culture organisationnelle ont fait l'objet de plus d'une quinzaine d'examens, qui ont donné lieu à un éventail ahurissant de plus de deux cents recommandations de réforme, dont seul un faible nombre a été mis en œuvre, malheureusement.

Réalisé par la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC (la « Commission ») à la demande du ministre de la Sécurité publique, le présent examen confirme que le harcèlement au travail représente toujours un grave problème à la GRC. Qui plus est, la Commission a constaté que, bien que les hauts dirigeants de la GRC aient déployé des efforts en vue de prévenir le harcèlement – particulièrement à l'échelon des divisions – ces initiatives se sont avérées de portée limitée et de nature ponctuelle et n'ont pas reçu l'appui nécessaire de la Direction générale. De plus, la GRC n'a pas mis en œuvre adéquatement les recommandations formulées par la Commission dans son Rapport d'enquête d'intérêt public sur le harcèlement en milieu de travail au sein de la Gendarmerie royale du Canada de 2013, recommandations qui visaient à éliminer le harcèlement et à favoriser l'établissement de milieux de travail respectueux.

Au cours des dernières décennies, la haute direction de la GRC a ainsi fait la démonstration de son incapacité à procéder elle-même aux réformes systémiques nécessaires pour changer la culture de l'organisation. La situation est en partie attribuable au fait que les grands enjeux existants ont tendance à être occultés par l'attention particulière qui est accordée au harcèlement. Celui-ci constitue bien sûr un réel problème à la GRC, mais il est également devenu un concept fourre-tout que les membres et les employés de la GRC évoquent pour exprimer une vaste gamme de préoccupations qui découlent d'une culture organisationnelle dysfonctionnelle. À terme, seul un changement de la structure de gouvernance de la GRC aura pour effet d'amorcer la transformation culturelle requise pour éliminer les facteurs qui favorisent le harcèlement, l'intimidation, l'abus de pouvoir et le harcèlement sexuel au sein de la GRC. Comme le recommandaient les rapports précédents, ces mesures devraient à tout le moins inclure la nomination de spécialistes civils à des postes administratifs clés de niveau supérieur, ainsi que la restructuration de la GRC afin d'accroître la surveillance civile et la reddition de comptes.

Une culture du dysfonctionnement

Le dysfonctionnement organisationnel de la GRC est bien documenté, et la présente enquête de la Commission a confirmé la persistance des problèmes d'intimidation et de harcèlement au travail. Notamment, la vaste majorité des plaintes soumises à la GRC en vertu de ses nouvelles politiques sur le harcèlement (2014), et dont les membres et les employés ont fait mention à la Commission, ont trait à des allégations d'abus de pouvoir et d'intimidation de la part de superviseurs ou de personnes occupant un poste de gestion à l'encontre de subalternes. Bien que les plaintes de harcèlement aient révélé peu de cas allégués de harcèlement sexuel, la Commission est loin de conclure que le phénomène n'existe pas. Au contraire, il est probable que les incidents de ce type ne soient pas suffisamment signalés et que, lorsqu'ils le sont, les plaintes connexes soient soumises au processus disciplinaire dans le cadre d'une enquête relevant du Code de déontologie ou d'accusations criminelles, et qu'elles ne soient donc pas prises en compte dans les plaintes soumises en vertu des politiques sur le harcèlement de la GRC.

La Commission est en outre préoccupée par les témoignages faisant état de représailles exercées contre des subalternes. Plus particulièrement, il semble que les membres de la GRC soient nombreux à estimer que les réformes apportées à la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada en 2014 et la mise en place d'un nouveau processus disciplinaire dans les cas de manquements au Code de déontologie les ont rendus encore plus vulnérables au harcèlement des superviseurs. En effet, certains membres affirment, par exemple, que les manquements au Code de déontologie sont utilisés comme moyen de cibler des membres et de les intimider, en particulier s'ils ont soulevé des préoccupations relatives au harcèlement.

De tels cas de représailles et d'abus de pouvoir entraînent non seulement des préjudices pour la personne visée, mais peuvent également compromettre l'intégrité des enquêtes en cours, l'efficience des opérations et l'efficacité de l'organisation dans son ensemble. Le harcèlement peut, par exemple, avoir des répercussions bien réelles sur la santé des membres, ce qui pourrait les amener à prendre un congé de maladie de longue durée. À terme, cela risque d'exacerber les problèmes de pénurie chronique de personnel auxquels la GRC est confrontée.

Résistance au changement

Au cours des dernières années, la GRC a mis de l'avant une gamme d'initiatives visant à minimiser les conflits en milieu de travail. Ces initiatives ont eu des retombées positives, plus particulièrement à l'échelon divisionnaire, notamment la création de mécanismes d'alerte précoce et d'unités spéciales chargées de la prévention du harcèlement.

Toutefois, ces initiatives se sont trop souvent avérées de portée limitée et de nature ponctuelle, chevillées aux objectifs particuliers de chaque commandant divisionnaire. La Direction générale de la GRC n'a consacré que peu d'énergie à la surveillance des initiatives des divisions, à l'évaluation de leur efficacité ou à la diffusion des pratiques exemplaires. De même, bien que la GRC ait publié un plan d'action intitulé Égalité entre les sexes et respect, aucun cadre supérieur de la Direction générale n'est responsable de l'initiative ni tenu de s'assurer qu'elle atteint ses objectifs et d'en rendre compte.

Par conséquent, bien que la GRC évoque souvent toute une panoplie d'initiatives pour prouver qu'elle s'est efforcée d'instaurer des changements, la Commission est d'avis que ces initiatives sont bien loin du type de réformes systémiques qui s'imposent pour que de réels effets se fassent sentir. Cette succession de programmes à court terme a plutôt eu pour effet, parmi les membres et les employés de la GRC, d'amoindrir la conviction que de véritables changements se concrétiseront un jour.

Cette incapacité à mettre en œuvre des réformes est enracinée dans certaines caractéristiques clés de la structure organisationnelle et de la culture de la GRC. La première de ces caractéristiques est le manque manifeste d'engagement, de la part de plusieurs générations de hauts dirigeants de la GRC, à entreprendre les changements systémiques à grande échelle qui s'imposent. Un tel constat n'a toutefois rien d'étonnant quand on sait que ces hauts dirigeants sont presque tous d'anciens agents en uniforme qui ont gravi les échelons et qui sont profondément imprégnés de la culture de l'organisation. Contrairement à d'autres organisations policières, la GRC nomme principalement des membres en uniforme, plutôt que des spécialistes civils, aux postes administratifs de niveau supérieur (p. ex., ressources humaines et relations de travail). Souvent, les agents qui occupent de telles fonctions ne possèdent pas l'expertise spécialisée qui serait considérée comme un critère préalable fondamental dans la plupart des autres organisations. Il en résulte que la GRC est privée des compétences et du regard neuf que les spécialistes civils peuvent fournir.

Ensuite, la GRC a échoué à créer une culture du leadership. Bien qu'elle compte probablement de nombreux chefs de file exemplaires, la GRC ne contribue guère à promouvoir une culture du leadership auprès de l'ensemble de ses gestionnaires, superviseurs et cadres de direction. Contrairement aux Forces armées canadiennes, la GRC ne dispose pas d'un corps d'officiers professionnels. Les superviseurs et les gestionnaires ne se voient offrir que très peu de possibilités de perfectionnement en matière de leadership, et cette formation n'est pas obligatoire. Une telle insuffisance de formation en leadership constitue probablement l'un des facteurs qui contribuent aux problèmes d'abus de pouvoir décrits précédemment.

Enfin, la GRC ne fait pas l'objet d'une surveillance civile rigoureuse, laquelle est pourtant nécessaire pour garantir une réforme durable. Une telle surveillance pourrait prendre diverses formes. Par exemple, le ministre de la Sécurité publique pourrait mettre en œuvre un modèle de leadership à deux voies qui établirait une démarcation similaire à celle qu'on observe entre le ministère de la Défense nationale (qui est responsable des questions d'administration et de la surveillance financière) et le chef d'état-major de la Défense (qui est responsable de toutes les questions opérationnelles concernant les militaires). Le ministre pourrait aussi envisager la possibilité de répartir la responsabilité de la GRC entre un commissaire civil et un chef de service en uniforme, une mesure qui s'inspire du modèle appliqué par le service de police de New York. Une autre solution consisterait à créer un conseil civil de gestion qui formulerait des orientations générales pour la GRC et améliorerait la reddition de comptes au public. Ces trois modèles permettraient d'accroître la responsabilisation de la GRC en y apportant les éléments clés que sont la surveillance civile et l'expertise spécialisée.

Qui plus est, la création d'un bureau de l'ombudsman de la GRC et/ou la syndicalisation des membres en uniforme pourraient fournir des mécanismes supplémentaires de règlement des différends en milieu de travail, ainsi que du soutien professionnel aux membres de la GRC, ce qui permettrait d'atténuer certaines des causes du harcèlement au travail. La Commission estime toutefois qu'il s'agit de solutions partielles.

Politiques sur le harcèlement : obstacles au règlement

En novembre 2014, la GRC a mis en œuvre de nouvelles politiques et procédures concernant les enquêtes et le règlement des plaintes de harcèlement. Ces nouvelles règles représentent une amélioration par rapport aux politiques précédentes, mais il reste tout de même d'importants problèmes à régler, qui pourraient faire en sorte qu'un nombre excessif de plaintes de harcèlement soient jugées sans fondement. Quelques-uns de ces problèmes sont attribuables à une formation inadéquate, y compris la formation en ligne, qui peut être bricolée un peu trop rapidement.

L'une des principales difficultés a trait au fait que la définition du harcèlement est exagérément étroite, ce qui entraîne vraisemblablement le rejet de plaintes pourtant fondées. En outre, les politiques sont excessivement complexes et difficiles à comprendre, et les membres qui ne sont pas actifs à pied d'œuvre n'y ont pas toujours accès. De plus, ces politiques accordent trop d'importance à la responsabilité qui incombe aux plaignants de confronter directement leurs harceleurs et à l'obligation des superviseurs et gestionnaires de signaler les cas de harcèlement.

Enquêtes sur les plaintes de harcèlement et prise de décisions

L'examen attentif de tous les dossiers de harcèlement au travail présentés en vertu des nouvelles politiques de la GRC auquel la Commission a procédé soulève d'importantes préoccupations quant à la qualité des processus d'enquête et de prise de décisions. Par exemple, la Commission a constaté que la pratique de la GRC qui consiste à mener une enquête sur toutes les plaintes (soumises dans les délais prescrits par la politique) peut aggraver les conflits en milieu de travail et provoquer des retards dans l'identification des enquêteurs disponibles. De plus, l'affectation de membres en uniforme à des fonctions d'enquête risque d'entraîner des conflits d'intérêts, surtout du fait que ces membres ne sont pas indépendants de la chaîne de commandement. Les enquêtes administratives internes sur les cas de harcèlement nécessitent en outre un éventail de compétences différent de celui qui est requis pour mener des enquêtes criminelles.

Par ailleurs, les politiques sur le harcèlement de la GRC exigent des commandants divisionnaires qui rendent les décisions relatives aux plaintes qu'ils évaluent la crédibilité des plaignants, des défendeurs et de tout éventuel témoin sans toutefois rencontrer ces personnes, ce qui introduit une part d'arbitraire dans le processus décisionnel.

Il arrive en outre régulièrement que les décideurs n'appliquent pas les critères juridiques appropriés lorsqu'ils évaluent les plaintes de harcèlement, créant parfois un seuil artificiellement élevé pour en arriver à une conclusion de harcèlement. Le phénomène résulte probablement du fait que les commandants divisionnaires ne reçoivent presque aucune formation sur la prise de décisions relatives aux plaintes de harcèlement.

Conclusion

Le harcèlement, l'intimidation et le harcèlement sexuel en milieu de travail peuvent causer de lourds préjudices aux membres et aux employés de la GRC qui en sont victimes, compromettant parfois leur carrière et entraînant de graves problèmes physiques et émotionnels. Le harcèlement peut également nuire à l'efficacité opérationnelle de la GRC, notamment en exacerbant les problèmes chroniques de manque de personnel. De plus en plus, ces problèmes se répercutent aussi sur la confiance de la population canadienne, qui se demande si les difficultés internes de la GRC « débordent à l'extérieur » et se répercutent sur la façon dont l'organisation traite les membres du public.

Malgré le grand nombre d'examens externes, et les nombreuses poursuites en matière civile, la GRC a échoué à éliminer le problème du harcèlement. Et la longue liste d'initiatives ponctuelles mises en œuvre au fil des années n'a eu pour effet, dans bien des cas, que de miner davantage la confiance des membres et des employés de la GRC. De telles initiatives à la pièce n'arriveront jamais à résoudre à la source les problèmes liés aux conflits en milieu de travail, lesquels s'enracinent dans la culture organisationnelle dysfonctionnelle, le manque de leadership efficace et les difficultés fondamentales inhérentes à la structure de l'organisation.

La Commission est d'avis que la GRC n'a ni la volonté ni la capacité d'apporter les changements nécessaires pour régler les problèmes qui grugent ses milieux de travail. Il incombe maintenant au gouvernement fédéral d'effectuer des changements en profondeur en modernisant et en transférant des aspects clés de la surveillance et de la gestion administrative de la GRC à des civils. Bien que la haute direction de la GRC ne soit pas relevée de la responsabilité de déployer des efforts plus soutenus et significatifs pour endiguer le harcèlement au travail à l'avenir, seules des réformes fondamentales de la gouvernance de la GRC pourront donner lieu à des changements durables.

Conclusions et recommandations de la Commission

Conclusions

La Commission énonce les conclusions suivantes :

Conclusion no 1 : L'abus de pouvoir demeure un problème de taille à la GRC. De tels comportements nuisent non seulement aux personnes visées, mais compromettent également l'intégrité des enquêtes, l'efficience des opérations et l'efficacité de l'organisation dans son ensemble.

Conclusion no 2 : La GRC a échoué à mettre en place les mesures exhaustives et soutenues qui sont nécessaires pour résoudre le problème du harcèlement au sein de la Gendarmerie. Des programmes ont bel et bien été créés à l'échelon des divisions, mais ils étaient de portée limitée et de nature ponctuelle. Qui plus est, la Direction générale n'a déployé aucun effort pour surveiller l'efficacité de ces programmes, diffuser les pratiques exemplaires ou institutionnaliser les réformes.

Conclusion no 3 : Étant donné le piètre rendement de la GRC en matière de mise en œuvre de changements, une surveillance civile rigoureuse et un solide leadership du gouvernement sont essentiels pour garantir une réforme durable.

Conclusion no 4 : La multiplicité des facteurs décrits dans la définition du harcèlement, combinée aux orientations établies dans le Guide de la GRC, crée un contexte qui risque d'amener les décideurs à tenir compte de facteurs non pertinents, ce qui pourrait entraîner le rejet de plaintes pourtant fondées.

Conclusion no 5 : Dans sa forme actuelle, le Bureau de coordination des plaintes de harcèlement joue un rôle utile, quoique limité.

Conclusion no 6 : La pratique consistant à ne pas examiner au préalable les plaintes de harcèlement risque d'aggraver les conflits en milieu de travail.

Conclusion no 7 : La séparation des rôles et des responsabilités des enquêteurs et des décideurs désignés relativement aux plaintes de harcèlement n'est pas appropriée, et cette séparation introduit une part d'arbitraire dans le processus décisionnel.

Conclusion no 8 : Il arrive régulièrement que les décideurs appliquent de mauvais critères juridiques et tiennent compte de facteurs non pertinents et défavorables. Ces erreurs portent presque toujours atteinte aux plaignants et peuvent faire en sorte que les plaintes soient jugées sans fondement.

Conclusion no 9 : La formation des décideurs demeure inadéquate.

Recommandations

Recommandation 1 : Que le ministre ordonne à la GRC de professionnaliser certains éléments de sa structure organisationnelle en recrutant des spécialistes civils qui assumeront des rôles non liés aux opérations, y compris aux échelons supérieurs des secteurs des ressources humaines et des relations de travail.

Recommandation 2 : Que la GRC favorise l'établissement d'une culture du leadership en imposant des critères d'avancement professionnel qui tiennent compte des compétences en gestion, ainsi qu'en mettant en place des programmes de perfectionnement en leadership rigoureux et obligatoires, y compris des cours de niveau universitaire appropriés, à l'intention de tous les superviseurs, gestionnaires et cadres de direction en poste et récemment nommés.

Recommandation 3 : Que le ministre de la Sécurité publique prenne des mesures immédiates pour amorcer un changement culturel au sein de la GRC en modernisant sa structure de gouvernance de manière à y ajouter des fonctions de gouvernance ou de surveillance civile et à améliorer la reddition de comptes.

Recommandation 4 : Que la GRC adopte une définition simplifiée du harcèlement dans le cadre de ses politiques, conformément à l'approche appliquée par le Tribunal canadien des droits de la personne et d'autres instances au Canada, de manière à faciliter les enquêtes et le règlement des plaintes de harcèlement valides.

Recommandation 5 : Que la GRC élabore des documents de politique sur le harcèlement simplifiés et rédigés en langage clair, et qu'elle mette ces documents à disposition sur son site Web externe.

Recommandation 6 : Que la GRC commence à offrir périodiquement des séances de formation en personne sur le harcèlement animées par des spécialistes formés et compétents. Une formation spécialisée continue devrait également être obligatoire pour tous les superviseurs, gestionnaires et cadres de direction en poste et récemment nommés.

Recommandation 7 : Que la GRC révise ses politiques et procédures relatives au harcèlement de manière à allouer aux commandants divisionnaires le pouvoir discrétionnaire de soumettre les plaintes à un examen préliminaire visant à déterminer si elles constituent des cas prima facie de harcèlement en appliquant une définition simplifiée et suffisamment large du harcèlement.

Recommandation 8 : Que la GRC se dote d'enquêteurs administratifs (qui ne sont pas des membres en uniforme) qualifiés, compétents, spécialisés et indépendants de la chaîne de commandement qui seront chargés de mener les enquêtes sur les plaintes de harcèlement.

Recommandation 9 : Que la GRC modifie ses politiques et procédures relatives au harcèlement de manière à exiger de l'enquêteur qu'il tire des constats quant aux questions de crédibilité et au respect ou à la violation des politiques sur le harcèlement, et qu'il en rende compte au décideur; ainsi qu'à exiger du décideur qu'il détermine s'il convient ou non d'accepter les constats de l'enquêteur et qu'il décide si des mesures correctives ou disciplinaires s'imposent.

Recommandation 10 : Que la GRC veille à ce que les commandants divisionnaires suivent une formation continue donnée en classe et portant sur la prise de décisions, plus particulièrement en ce qui a trait à l'évaluation des plaintes de harcèlement au travail, y compris les critères juridiques appropriés à appliquer et les stéréotypes relatifs au comportement des victimes de harcèlement.

1. Introduction

Au cours des dernières décennies, la Gendarmerie royale du Canada a vu sa réputation être ternie par une suite apparemment interminable d'affaires de harcèlement, de harcèlement sexuel et d'intimidation en milieu de travail. Ces problèmes ont été longuement documentés dans le cadre d'examens externes, de sondages, de reportages dans les médias et de poursuites en justice. Les plus hauts dirigeants de l'organisation ont eux-mêmes reconnu la nature endémique du phénomène de l'intimidation et du harcèlement, ainsi que la nécessité de changer la culture organisationnelle de la GRC. Réalisé par la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes (la « Commission ») à la demande du ministre de la Sécurité publique, le présent examen confirme la persistance de tels problèmes au sein de la GRC.

En dépit des difficultés connues, la GRC s'est montrée lente à effectuer des changements. Bien que les cadres supérieurs aient élaboré toute une panoplie de « plans d'action » et d'« initiatives », l'expérience quotidienne de bon nombre de membres et d'employés de la GRC a peu changé concrètement, ce qui a eu pour effet de miner un peu plus leur confiance envers l'organisation.

La Commission est d'avis qu'il y a trois raisons à cette situation. Tout d'abord, le phénomène a été défini de manière beaucoup trop étroite. Le harcèlement constitue bien sûr un réel problème à la GRC, mais il est également devenu un concept fourre-tout que les membres et les employés évoquent pour exprimer une vaste gamme de préoccupations qui découlent d'une culture organisationnelle dysfonctionnelle. Ces lacunes culturelles sont elles-mêmes intimement liées à certaines des caractéristiques structurelles de l'organisation. Par conséquent, s'il est vrai que la GRC doit s'attaquer au harcèlement, sa démarche ne peut pas ignorer les graves problèmes systémiques que pose sa structure organisationnelle. Mettre l'accent seulement sur le harcèlement ne permettra donc jamais de résoudre efficacement ces problèmes en y apportant des solutions significatives et durables.

Tout d'abord, le phénomène a été défini de manière beaucoup trop étroite. Le harcèlement constitue bien sûr un réel problème à la GRC, mais il est également devenu un concept fourre-tout que les membres et les employés évoquent pour exprimer une vaste gamme de préoccupations qui découlent d'une culture organisationnelle dysfonctionnelle.

Ensuite, on constate un manque de leadership efficace. Au fil des années, les hauts dirigeants de la GRC ont démontré leur incapacité et leur réticence à apporter les modifications organisationnelles nécessaires pour amorcer le changement culturel qui s'impose. Certains dirigeants s'efforcent en toute bonne foi d'éliminer le harcèlement en milieu de travail, mais ils sont souvent trop profondément imprégnés de la culture de l'organisation, en plus d'être protégés par la nature hiérarchique de la chaîne de commandement, pour être en mesure de percevoir le problème ou de le résoudre de façon significative. Qui plus est, les gestionnaires et les superviseurs de la GRC n'ont pas reçu – et ne sont pas tenus de suivre – le genre de formation ou de cours de qualification sur le leadership requis d'une force de police professionnelle. Résultat : de nombreux gestionnaires et superviseurs ne disposent pas des compétences essentielles en matière de gestion, et l'organisation échoue à créer une culture du leadership. C'est ce qui ressort tout particulièrement des nombreuses plaintes d'abus de pouvoir soumises par des membres et des employés de la GRC, ainsi que du recours à la crainte et à l'intimidation par les gestionnaires et les superviseurs.

Enfin, la structure de gouvernance de la GRC elle-même pose problème. La Commission estime qu'il ne fait maintenant plus de doute que la GRC ne sera pas en mesure de mettre elle-même en place les changements nécessaires pour transformer sa culture dysfonctionnelle. La raison en est que les problèmes d'intimidation et de harcèlement sont intimement liés à certaines caractéristiques de la structure organisationnelle de la GRC. La gouvernance doit donc être modifiée, et ce changement doit être effectué de l'extérieur.

Le présent rapport fait état des conclusions de la Commission quant au bien-fondé, à la pertinence et à l'adéquation des politiques et des procédures relatives au harcèlement en milieu de travail de la GRC, en plus de déterminer si ces politiques et procédures sont appliquées efficacement dans le cadre du traitement des plaintes de harcèlement. Ce rapport se penche en outre sur la mesure dans laquelle la GRC a mis en œuvre les recommandations formulées par la Commission dans son Rapport d'enquête d'intérêt public sur le harcèlement en milieu de travail au sein de la Gendarmerie royale du Canada de 2013. Il analyse également dans quelle mesure la culture organisationnelle contribue aux problèmes de harcèlement et d'intimidation en milieu de travail à la GRC.

2. Mandat et méthodologie

Le 4 février 2016, l'honorable Ralph Goodale, ministre de la Sécurité publique, a demandé à la Commission d'entreprendre un examen complet des politiques et des procédures relatives au harcèlement en milieu de travail de la GRC, et plus précisément, d'étudier et d'examiner la mise en œuvre des recommandations issues du Rapport d'enquête d'intérêt public sur le harcèlement en milieu de travail au sein de la Gendarmerie royale du Canada de 2013. En réponse à la demande du ministre, la Commission a procédé à un examen :

  • du bien-fondé, de la pertinence et de l'adéquation des politiques et des procédures relatives au harcèlement en milieu de travail de la GRC, ainsi que de la mesure dans laquelle ces politiques et procédures sont appliquées efficacement dans le cadre du traitement des plaintes de harcèlement;
  • de l'état d'avancement de la mise en œuvre du plan d'action de la GRC intitulé Égalité entre les sexes et respect et de l'efficacité de ces mesures pour remédier au harcèlement et aux conflits en milieu de travail;
  • de la mesure dans laquelle l'organisation a efficacement mis en œuvre les recommandations formulées par la Commission dans son Rapport d'enquête d'intérêt public sur le harcèlement en milieu de travail au sein de la Gendarmerie royale du Canada de 2013;
  • de la mesure dans laquelle la culture de la GRC contribue aux problèmes de harcèlement en milieu de travail, le cas échéant.

La Commission n'a rendu aucune décision relativement aux plaintes particulières de harcèlement.

2.1 Processus de recherche des faits

Outre les politiques, les lois et les règlements qui régissent le traitement des plaintes de harcèlement à la GRC, ainsi que les pratiques exemplaires et la jurisprudence actuelle, la Commission a examiné tous les dossiers de harcèlement au travail soumis à la GRC, soit un total de 264 cas, au cours de la période du 13 février 2013 au 4 février 2016Note de bas de page 1. Une attention particulière a été accordée aux soixante-neuf plaintes de harcèlement présentées depuis l'entrée en vigueur des modifications à la Loi sur la Gendarmerie royale du CanadaNote de bas de page 2 (la « Loi sur la GRC ») et l'adoption, par la GRC, de nouvelles politiques sur le harcèlement en novembre 2014.

Avec la coopération de la GRC, la Commission a interviewé vingt-cinq employés qui œuvrent directement à la prévention du harcèlement en milieu de travail, à la réalisation des enquêtes et au règlement des plaintes, y compris des conseillers divisionnaires en harcèlement et des employés du Bureau de coordination des plaintes de harcèlement de la Direction générale, du Programme de gestion informelle des conflits et du Programme de prévention de la violence en milieu de travail. La Commission a en outre interrogé six commandants divisionnairesNote de bas de page 3 et l'agent de la responsabilité professionnelle de la GRC. La Commission a également visité la Division Dépôt de la GRC, où elle a rencontré des membres de la chaîne de commandement et était disponible pour des rencontres confidentielles avec des cadets. Enfin, la Commission a aussi rencontré des intervenants, dont des représentants syndicauxNote de bas de page 4 et le Comité externe d'examen de la GRC.

Par ailleurs, la Commission a sollicité les commentaires des membres et employés actuels et anciens de la GRCNote de bas de page 5. Au total, 155 entrevues confidentielles ont été menées dans presque toutes les divisionsNote de bas de page 6. La Commission a également reçu des observations écrites de membres et d'employés de la GRC. La Commission ne considère pas que les points de vue exprimés dans le cadre de ces entrevues et observations représentent les opinions de l'ensemble des membres et employés de la GRC, mais il est tout de même significatif que certaines préoccupations aient été exprimées à maintes reprises par différentes personnes. Dans bien des cas, ces mêmes préoccupations ont aussi été soulevées dans des dossiers de harcèlement et concordent avec les facteurs cernés dans les examens et rapports précédents dont la GRC a fait l'objet. Les entrevues ont permis à la Commission de consolider sa perception selon laquelle le harcèlement au travail existe toujours à la GRC, en plus de fournir d'importants renseignements sur les points de vue des membres et des employés.

À la lumière des entrevues confidentielles menées avec des membres et employés de la GRC, ainsi que des entrevues effectuées auprès d'employés et de cadres supérieurs qui assument la responsabilité administrative du traitement des plaintes de harcèlement, la Commission a la certitude qu'elle a été en mesure d'obtenir les opinions franches d'un vaste éventail de personnes, opinions qui ont éclairé les conclusions présentées ici.

Ayant en outre demandé à la GRC de lui fournir de l'information et de la documentation, la Commission estime que le matériel qui lui a été remis était suffisant pour permettre la réalisation d'un examen exhaustif.

Enfin, la Commission a consulté des spécialistes des enquêtes sur les cas de harcèlement, de la jurisprudence en matière des droits de la personne et de harcèlement, ainsi que de la culture organisationnelle et de la gouvernance des organisations policières et militairesNote de bas de page 7. La Commission a également tenu compte des constats et des recommandations issus des nombreux examens et rapports réalisés ces dernières années au sujet du harcèlement et de l'inconduite sexuelle à la GRC. De manière à éviter le plus possible tout éventuel recoupement, la Commission a consulté Sheila Fraser au sujet de l'examen qu'elle effectue parallèlement en lien avec quatre poursuites civiles intentées contre la GRC relativement à des allégations de harcèlement sexuel.

3. Une culture du dysfonctionnement

Au cours des dernières décennies, on ne compte plus les rapports, les examens internes et externes, les études et les sondages qui se sont penchés sur la GRC et qui ont formulé des recommandations de réforme organisationnelle. La Commission est d'avis que ce nombre astronomique de rapports est le reflet de trois éléments importants. Premièrement, les problèmes associés à la structure organisationnelle de la GRC, y compris ceux qui ont directement trait au harcèlement et à l'intimidation au travail, existent depuis fort longtemps. Deuxièmement, la détermination des causes fondamentales de ce dysfonctionnement organisationnel, ainsi que d'éventuelles solutions, a fait l'objet d'une réflexion et d'un examen rigoureux. Troisièmement, malgré le temps, l'énergie et l'expertise qui ont été consacrés à la résolution de ces problèmes, la GRC et ses hauts dirigeants résistent à tout changement significatif.

De façon générale, la documentation met en lumière la mesure dans laquelle les problèmes de harcèlement sont symptomatiques d'une organisation dysfonctionnelle et du mécontentement généralisé de ses membres et employés. Le harcèlement est devenu un concept fourre-tout que les membres évoquent pour lever le voile non seulement sur des problèmes omniprésents tels que l'intimidation et l'abus de pouvoir, mais également sur un vaste éventail de décisions de gestion, notamment en ce qui a trait à la gestion du rendement, aux promotions, aux mutations et à la discipline.

La Commission ne peut fermer les yeux sur la multitude de rapports publiés précédemment, mais il ne serait ni pertinent ni utile qu'elle reprenne le rigoureux travail qui a déjà été effectué dans le cadre de ces examens antérieurs. Constituant plutôt un important cadre contextuel pour le présent examen, ces rapports nécessitent davantage d'analyse.

3.1 Une histoire documentée du dysfonctionnement organisationnel

Les efforts visant à moderniser la GRC de façon à la rendre plus représentative des gens qu'elle dessert remontent à la fin des années 1960, au moment de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au CanadaNote de bas de page 8, qui a mené à l'arrivée des premières cadettes à la Division Dépôt en 1974. Dans les années 1980 et 1990, de nouveaux dialogues et de nouvelles initiatives visant à changer la culture de la GRC ont vu le jour, en partie sous l'impulsion de la GRC elle-même et des sondages auprès de la fonction publique qui ont révélé d'importantes préoccupations concernant le harcèlement en milieu de travailNote de bas de page 9.

Un rapport publié par le Conference Board du Canada en septembre 2000 a documenté cette précédente décennie de changement. Intitulé Repositionnement pour l'avenir : Étude de cas sur l'expérience du changement à la Gendarmerie, 1989-2000, ce rapport souligne les efforts déployés par la GRC pour adopter un nouveau modèle de service de police tout en composant avec des changements organisationnels et culturels. Tel qu'il est mentionné dans ce rapport :

Les gens sont au cœur même de la capacité d'une organisation à s'acquitter de son mandat. Et la capacité et la volonté de ces gens à exécuter leur mandat dépendent, elles, du contexte au sein duquel ils œuvrent, c'est-à-dire les structures et les processus, la culture et le climat de travail, ainsi que la vision et les valeurs qui, ensemble, constituent l'expérience vécue au travail. Dans tout cela, le leadership est d'une importance cruciale, tant au sommet que dans l'ensemble de l'organisationNote de bas de page 10 [traduction].

Le nouveau millénaire a donné naissance à davantage d'examens et de rapports sur la culture organisationnelle de la GRC, qui ont tous formulé d'importantes recommandations de réforme. En 2007, le Rapport de l'enquêteur indépendant sur les allégations concernant les régimes de retraite et d'assurances de la GRC a soulevé de nouvelles préoccupations relatives à la culture et à la gouvernance de la GRC, étant passé à l'histoire pour avoir affirmé que « rien ne va plus » au sein de l'organisation. Le Groupe de travail sur la gouvernance et le changement culturel à la GRC a été mis sur pied la même année. Intitulé Rétablir la confiance (et communément appelé le « rapport Brown »), le rapport du Groupe de travail a dévoilé, entre autres préoccupations, l'existence de problèmes relatifs aux cadres de gouvernance et de responsabilisation, à la gestion des ressources humaines, à la discipline, au recrutement, à l'évaluation du rendement et au système d'avancement professionnel de la GRC.

Le rapport Brown mentionnait d'ailleurs qu'« il existe une culture de peur et d'intimidation à la GRC, et que des personnes occupant un poste de commandement usent de leur pouvoir pour intimider les autres »Note de bas de page 11.

Parmi les quarante-neuf recommandations formulées par le Groupe de travail, la plus notable est la création, au sein de la GRC, d'un conseil de gestion qui serait chargé de l'intendance de l'organisation et de l'administration de la GRC. La recommandation définitive du Groupe de travail préconisait la mise sur pied immédiate d'un conseil de mise en œuvre qui conseillerait le gouvernement et la GRC et rendrait compte des progrès réalisés.

Afin d'aider la GRC à mettre en œuvre les recommandations du Groupe de travail, on a demandé à la professeure Linda Duxbury de rédiger un rapport indépendant décrivant le milieu de travail et la culture de la GRC. Intitulé La GRC hier, aujourd'hui et demain : Rapport indépendant sur le milieu de travail à la Gendarmerie royale du Canada, le rapport de la professeure Duxbury présentait soixante-quinze recommandations s'articulant autour de changements fondamentaux. Ces recommandations avaient trait à des enjeux tels que la gestion des ressources humaines, l'apprentissage et le perfectionnement, la gestion du rendement, le processus d'avancement professionnel, la charge de travail, le respect et la confiance, le bien-être des employés, la gestion et le leadership, ainsi que la culture organisationnelleNote de bas de page 12.

Par la suite, le Conseil de mise en œuvre de la réforme à la GRC a été mis sur pied en 2008 pour veiller « à ce que la GRC mette en œuvre les réformes nécessaires pour moderniser son organisation et ses opérations, de façon à bien se positionner pour relever les défis de l'avenir »Note de bas de page 13. De 2008 à 2010, le Conseil a publié cinq rapports dans lesquels il brossait un portrait détaillé des défis et des réussites de la GRC, ainsi que des nombreux projets mis de l'avant en réaction aux constats et aux recommandations du Groupe de travail.

Malgré tous ces efforts, plusieurs affaires de harcèlement sexuel à fort retentissement ont secoué la GRC en 2011, qui a ainsi fait l'objet d'une intense attention médiatique. En novembre, la GRC a nommé un nouveau commissaire qui s'est engagé à « transformer la culture de la GRC en tablant sur la responsabilisation, le leadership et la résolution des allégations de harcèlement et d'intimidation dans [l']organisation »Note de bas de page 14. Parallèlement, la Commission a amorcé une enquête d'intérêt public sur le phénomène du harcèlement en milieu de travail à la GRC. Intitulé Rapport d'enquête d'intérêt public sur le harcèlement en milieu de travail au sein de la Gendarmerie royale du Canada (le « rapport de 2013 de la Commission »), ce rapport a été publié en février 2013 et formulait onze recommandations destinées à éliminer le harcèlement au travail. Les efforts que la GRC a déployés pour mettre en œuvre les recommandations de 2013 de la Commission sont examinés dans le présent rapport, en plus d'être énumérés à l'annexe A.

Entre-temps en Colombie-Britannique, la GRC a entrepris, en 2012, de procéder à des consultations sur le harcèlement fondé sur le sexe. Le rapport qui en a résulté – Rapport sommaire sur les consultations concernant le harcèlement fondé sur le sexe et les milieux de travail respectueuxNote de bas de page 15 – soutenait que les problèmes liés au manque de confiance et de transparence, ainsi que la piètre qualité de la supervision constituaient les principaux obstacles à un milieu de travail sain. Ce rapport recommandait de mettre en œuvre quatre principes directeurs destinés à améliorer le système de règlement des plaintes de harcèlement, de même que plusieurs initiatives visant à améliorer la formation, l'accès à l'information et l'indépendance du système.

En 2013, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a publié un rapport intitulé Des questions de conduite : La Gendarmerie royale du Canada doit transformer sa cultureNote de bas de page 16. Ce rapport formulait treize recommandations visant à établir un milieu de travail plus respectueux et à résoudre les problèmes chroniques de harcèlement. Entre autres recommandations, le rapport préconisait que la GRC amorce une transformation culturelle et mette entièrement en œuvre les recommandations que la Commission a présentées dans son rapport de 2013, et que le gouvernement envisage de doter la GRC d'un ombudsmanNote de bas de page 17.

Toujours en 2013, la GRC a procédé à un sondage sur le climat professionnel dans le but de consolider la culture professionnelle de l'organisation en fonction de la rétroaction des employés. Les résultats portaient à croire à l'existence d'un niveau alarmant de méfiance au sein des membres et des employés de la GRC, ainsi que d'un manque de confiance à l'égard de la haute directionNote de bas de page 18.

En 2014, le Conseil des femmes de l'Association des anciens de la GRC a publié un rapport intitulé Addressing a Crisis in Leadership, dans lequel il concluait notamment qu'à la source des problèmes qui accablent la GRC se trouvent « le manque de formation normalisée et efficace sur le leadership pour les cadres de direction; l'application incohérente des règles internes de discipline et des peines connexes dans les cas de harcèlement; le manque de confiance qui règne à l'interne, résultat de décennies d'indifférence organisationnelle à l'égard des préoccupations des membres; ainsi que l'incapacité de se pencher sur les taux d'abandon inacceptables parmi les membres de sexe féminin »Note de bas de page 19 [traduction]. Le rapport mettait en relief les problèmes critiques de leadership au sein de la GRC, soutenant que :

[...] la majorité des cadres de la GRC n'ont pas compris l'ampleur des dommages que le harcèlement entraîne, non seulement pour les personnes, mais pour toute l'organisation. [L]a tempête médiatique qui a fait rage en novembre 2011 à la suite des accusations de harcèlement sexuel était en réalité une blessure que l'organisation s'est infligée elle-même pendant des décennies de négligence concernant l'enjeu global du leadershipNote de bas de page 20 [traduction].

Ce rapport proposait quatre recommandations, exhortant notamment le ministre de la Sécurité publique à prendre des mesures immédiates pour amorcer un changement de culture et préconisant la création d'un bureau de l'ombudsmanNote de bas de page 21.

En décembre 2014, l'honorable Judy Sgro, députée, et l'honorable Grant Mitchell, sénateur, ont publié le rapport Rêves brisés : Le harcèlement et le mécontentement systématique à la Gendarmerie royale du CanadaNote de bas de page 22. Contenant treize recommandations, ce rapport faisait globalement état de problèmes relatifs à la surveillance et à la culture de la GRC, à la défense des intérêts des membres, au leadership, à la santé mentale et aux ressources humainesNote de bas de page 23. Le sénateur Mitchell et Mme Sgro recommandaient également la création d'une fonction d'ombudsman, ainsi que d'un processus externe et exécutoire de résolution des problèmes et de règlement des griefs qui serait indépendant de la chaîne de commandement divisionnaireNote de bas de page 24.

Le rapport le plus récent a été rendu public par la GRC le 14 juillet 2016. Intitulé Rapport sur les allégations de harcèlement et d'inconduite sexuelle au sein du Groupe de la formation aux explosifs du Collège canadien de police de la GRCNote de bas de page 25, ce document se voulait une réponse aux révélations faites en février 2016 au sujet des cas allégués de harcèlement et d'inconduite sexuelle qui ont secoué le Groupe de la formation aux explosifs. Le rapport présentait vingt-huit recommandations portant, entre autres enjeux, sur la gouvernance, la gestion des ressources humaines, la reddition de comptes et les pratiques de communication à la GRCNote de bas de page 26.

Toujours en juillet 2016, le ministre de la Sécurité publique a nommé Sheila Fraser au poste de conseillère spéciale au ministre afin d'examiner la manière dont la GRC a traité quatre poursuites au civil pour harcèlement. Le rapport de Mme Fraser devrait paraître au printemps 2017.

Manifestement, le dysfonctionnement organisationnel au sein de la GRC est abondamment documenté.

Les constats présentés dans ces divers rapports affichent de nombreux points en commun, faisant notamment état :

  • d'une culture organisationnelle caractérisée par la crainte et l'intimidation;
  • d'une structure organisationnelle incapable de favoriser la confiance ou de créer un milieu de travail sain;
  • d'une haute direction qui résiste à tout changement réel, qui est incapable de s'engager en ce sens et qui n'est pas en mesure d'amorcer un tel changement.

3.2 Persistance du problème de harcèlement

L'enquête de la Commission a confirmé la persistance des problèmes d'intimidation et de harcèlement en milieu de travail qui ont été mis en lumière dans les rapports et sondages précédents. Ces constats confirment en outre que certaines caractéristiques problématiques de la culture et de la structure organisationnelle de la GRC existent toujours, ce qui fait de l'organisation un terreau particulièrement fertile pour le harcèlement et l'intimidation au travail.

Notamment, la vaste majorité des plaintes soumises à la GRC en vertu de ses nouvelles politiques sur le harcèlement ont trait à des allégations d'abus de pouvoir et d'intimidation de la part de superviseurs ou de personnes occupant un poste de gestion à l'encontre de subalternes. Les entrevues menées avec les membres et les employés ont révélé une tendance similaire relativement aux plaintes, ce qui n'est pas étonnant étant donné la « culture d'abus de pouvoir » qui entache l'organisation, de l'aveu même du commissaire de la GRCNote de bas de page 27. L'agent de la responsabilité professionnelle de la GRC a fait preuve de la même franchise à l'égard de la Commission, reconnaissant que l'intimidation et l'abus de pouvoir constituent deux enjeux de taille auxquels la GRC doit s'attaquer.

Les plaintes typiques examinées par la Commission portaient sur des allégations selon lesquelles un superviseur ou un gestionnaire a ciblé un subalterne en manifestant les comportements suivants :

  • tenir des propos injurieux, tels que « tu ne vaux rien », « tu n'es pas un vrai membre », « ton temps n'est pas aussi précieux que le mien », « tu es une perte totale », « tu es inutile », « personne ne t'aime ici » et « personne ne veut travailler avec toi »;
  • refuser d'allouer des ressources (comme une voiture de police) qui avaient pourtant été accordées à d'autres dans des circonstances similaires afin de cibler une personne en particulier;
  • muter un membre en guise de mesure punitive ou pour créer un poste vacant qui sera offert à un autre membre qui a la faveur;
  • se liguer contre un membre ou l'isoler;
  • refuser un congé à un membre alors qu'un tel congé a déjà été accordé à d'autres membres qui l'avaient demandé à des fins similaires;
  • dénigrer des membres en public;
  • remettre en question les actions d'une personne, même lorsqu'elles ont été approuvées par un superviseur;
  • inclure des commentaires inadéquats et non professionnels dans les rapports de police, parfois dans le but de miner la crédibilité du membre lors d'enquêtes ultérieures;
  • pénétrer dans la résidence d'un membre sans en avoir le pouvoir ou sans motif légal;
  • se rendre de façon répétitive à la résidence d'un membre qui est en congé de maladie;
  • appliquer le Code de déontologie de manière sélective, par exemple en imposant des mesures disciplinaires à un membre qui a utilisé des jurons, alors que ce comportement est courant dans le milieu de travail;
  • refuser de remettre à un membre un insigne de membre retraité ou une attestation d'états de service;
  • refuser de reconnaître publiquement l'apport d'un membre alors que d'autres membres qui n'ont que peu contribué à l'enquête ont bénéficié d'une telle reconnaissance;
  • ordonner à un membre d'attribuer à un autre membre une mauvaise note à son évaluation du rendement alors que ce n'est pas justifié;
  • modifier une description de travail ou de qualifications de façon à l'adapter à un candidat particulier ou promettre un poste à un ami avant que le concours ait lieu.

La Commission reconnaît, comme les politiques sur le harcèlement de la GRC l'établissent clairement, que le fait, pour un superviseur, de gérer la conduite d'un employé ne constitue pas du harcèlementNote de bas de page 28. Par exemple, exiger des employés qu'ils se conforment aux politiques établies du milieu de travail, imposer des mesures disciplinaires à des employés qui ont eu une mauvaise conduite ou gérer le rendement d'un employé sont généralement considérés comme des façons appropriées, pour les superviseurs, d'exercer leur autorité et ne constituent donc pas du harcèlement, dans la mesure où cette autorité est exercée de façon raisonnable. Sans faire quelque constatation de faits que ce soit relativement à des plaintes particulières, les types de comportements que les membres et les employés ont décrits à la Commission, ou qui sont relatés dans les dossiers de plaintes de harcèlement examinés, donnent à penser que dans bien des cas, les superviseurs exercent leur pouvoir de gestion de façon déraisonnable et dans le but d'intimider.

Conclusion no 1 : L'abus de pouvoir demeure un problème considérable au sein de la GRC. De tels comportements nuisent non seulement à la personne ciblée, mais compromettent également l'intégrité des enquêtes, l'efficience des opérations et l'efficacité de l'organisation dans son ensemble.

Même si les plaintes de harcèlement examinées par la Commission ne comprenaient qu'un faible nombre de cas allégués de harcèlement sexuelNote de bas de page 29, il ne fait aucun doute que le phénomène constitue un grave problème au sein de l'organisation. En effet, l'importance du problème se reflète dans les excuses que, dans un geste historique, le commissaire de la GRC a présentées aux membres et employés de sexe féminin le 6 octobre 2016, ainsi que dans le règlement de deux recours collectifs intentés par des femmes membres et employées de la GRC. Les événements qui ont récemment secoué le Collège canadien de police indiquent eux aussi que le harcèlement sexuel continue de représenter un problème, du moins dans certains secteurs de l'organisationNote de bas de page 30.

Il est cependant difficile de mesurer l'ampleur du phénomène à la GRC. D'une part, certains des membres et employés que la Commission a interviewés ont affirmé que l'organisation prend la question du harcèlement sexuel beaucoup plus au sérieux que dans le passé, ce qui a peut-être entraîné une diminution des plaintes de harcèlement. D'autre part, c'est un fait établi que le harcèlement sexuel est trop peu dénoncé dans la plupart des milieux de travail. Étant donné la nature hiérarchisée de l'organisation, il est fort probable que le sous-signalement représente un problème particulier à la GRC. Par ailleurs, il semble que les allégations de ce type soient souvent soumises au processus disciplinaire dans le cadre d'une enquête relevant du Code de déontologie ou d'accusations criminelles, plutôt que d'être traitées aux termes des politiques sur le harcèlement. Qui plus est, on peut raisonnablement supposer que certaines personnes ont tout simplement choisi d'exercer des recours juridiques externes au lieu de soumettre une plainte en vertu des politiques internes de la GRC.

La Commission en conclut donc que le faible nombre de plaintes officielles de harcèlement sexuel soumises par des membres et des employés de la GRC ne peut être interprété comme une indication que le harcèlement sexuel ne constitue plus un problème grave.

3.3 Crainte des représailles

Les examens antérieurs ont mis en lumière les préoccupations soulevées par la crainte des représailles. Selon une étude réalisée à la Division « E » (Colombie-Britannique) par exemple, « les collègues qui entendent souvent parler de représailles envers les personnes victimes de harcèlement qui portent plainte peuvent se sentir impuissants à régler le problème [du harcèlement] »Note de bas de page 31. En effet, plusieurs membres et employés de la GRC qui se sont confiés à la Commission craignaient d'être ciblés après avoir fait part de leurs soucis à propos du milieu de travail. Certains membres ont même signalé des cas de représailles qui ont porté atteinte non seulement à la sécurité du membre visé, mais également à l'intégrité de l'enquête :

Je me suis défendu, et par la suite, mon formateur m'a laissé seul sans renfort lors de plusieurs interventions dangereuses impliquant des armes à feu, ainsi que sur des lieux de crime.

Pendant mon service [...], j'ai appris qu'il arrive couramment que des membres « insubordonnés » soient laissés seuls lors d'interventions. J'en ai discuté avec une autre membre, et j'ai découvert que ça lui était aussi arrivé à plusieurs occasions. Son officier responsable l'a même déjà conduite au milieu de nulle part pour la menacer d'un triste sort si elle « ne rentrait pas dans le rang » [traduction].

Fait à mentionner, un membre haut gradé interviewé par la Commission a révélé que les plaintes de harcèlement donnent souvent lieu à des représailles, même à l'échelon des cadres supérieurs :

À titre de membre actif et, plus particulièrement, de cadre supérieur [échelon], je suis très heureux que [cet examen] ait lieu. Moi-même et plusieurs autres cadres supérieurs [échelons supérieurs] sommes extrêmement mécontents de l'organisation. L'intimidation est omniprésente et sans aucune limite à ce niveau-ci. La transparence et l'équité n'existent tout simplement pas, mais la crainte des menaces et des représailles à l'encontre de quiconque dénonce la situation est, elle, bien réelle à ces échelons [traduction].

La Commission considère que les représailles sont un phénomène très grave qui, s'il est avéré, constitue un abus de pouvoir manifeste.

La Commission constate que les politiques sur le harcèlement de la GRC prévoient des procédures relatives au traitement des plaintes de représailles. Ces procédures ne s'appliquent toutefois que dans les cas où un employé fait l'objet de représailles après avoir soumis une plainte officielle de harcèlement. Or, à l'heure actuelle, il n'existe aucune procédure visant à protéger les membres et les employés qui sont victimes de représailles après avoir fait état de façon non officielle de préoccupations relatives à des conflits ou à des problèmes en milieu de travail. Il s'agit donc là d'une lacune de taille, et c'est pourquoi la Commission conclut que sa recommandation de 2013 – à savoir, que la GRC crée une procédure de traitement des plaintes de représailles – n'a été que partiellement mise en œuvre au sein de l'organisationNote de bas de page 32.

En outre, la crainte des représailles empêche vraisemblablement les membres et les employés de la GRC d'exprimer leurs préoccupations légitimes quant au fonctionnement de l'organisation. Par exemple, bon nombre des membres et employés qui se sont confiés à la Commission ont affirmé qu'ils ne dénonceraient pas les incidents dont ils seraient victimes. Comme l'un d'eux l'a expliqué :

Beaucoup de gens à qui j'ai parlé et qui vivaient des situations similaires d'intimidation ont gardé le silence et n'ont pas tenté de régler le problème par des moyens non officiels ou en déposant une plainte de harcèlement. Ils attendent que la situation se résorbe, tentent de se faire muter dans une autre unité ou essaient simplement de se faire oublier afin de ne pas être ciblés [traduction].

Une autre personne a expliqué en ces termes la décision de ne pas signaler les incidents de harcèlement :

J'ai peur qu'on m'impose injustement une suspension sans solde en guise de mesure disciplinaire, qu'on m'accuse d'avoir enfreint le Code de déontologie ou d'être mis à l'écart de la Gendarmerie et de perdre mon emploi et de compromettre ma carrière - tout ça, parce que j'ai osé dénoncer ce que j'avais subi [traduction].

Enfin, la Commission constate avec inquiétude que les membres de la GRC semblent être nombreux à estimer que les réformes apportées à la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada en 2014 les ont rendus encore plus vulnérables au harcèlement des superviseurs. Entre autres modifications importantes, la nouvelle Loi permet en effet de désigner des superviseurs immédiats ou des cadres intermédiaires à titre d'autorités disciplinaires chargées de rendre des décisions dans les cas où il est allégué qu'un membre a enfreint le Code de déontologie, sans qu'il soit nécessaire de suivre un long processus disciplinaire officiel. Selon la GRC :

Il s'agit d'un régime de discipline progressive, qui mise sur des mesures simples, correctives et éducatives plutôt que sur des mesures punitives. Depuis que ces modifications législatives ont pris effet, la norme applicable aux dossiers d'inconduite consiste à tenir une rencontre entre le membre visé et son gestionnaire pour décider en privé des mesures disciplinaires à imposer. Ce n'est que dans les cas où l'on demande le congédiement du membre que le dossier est renvoyé à un comité de déontologie et que les audiences connexes sont rendues publiquesNote de bas de page 33.

Il est possible, toutefois, que cette rapidité d'exécution ait été instaurée aux dépens de la transparence, comme en témoigne le fait que les autorités disciplinaires ne soient pas tenues de consigner des comptes rendus détaillés du déroulement des rencontres. En effet, la formation destinée aux autorités disciplinaires indique précisément que les enregistrements sonores et vidéos ne devraient pas être conservésNote de bas de page 34, une pratique « opaque » qui a suscité des critiquesNote de bas de page 35. Par exemple, le Comité externe d'examen de la GRC a constaté que le fait de ne pas tenir de registres détaillés entraîne des complications lors de tout éventuel examen en appel ultérieur en raison de l'absence de toute trace des observations du membre ou des discussions tenues lors de la rencontre disciplinaireNote de bas de page 36.

À terme, bien que le processus relevant du Code de déontologie semble avoir été conçu pour allouer aux superviseurs un pouvoir discrétionnaire accru afin qu'ils puissent traiter les infractions mineures à un échelon inférieur, plus rapidement et de manière non officielle – ce qui accroît ainsi la responsabilisation et la latitude voulue pour imposer des mesures correctives –, la façon dont ce processus a été mis en œuvre à la GRC a eu pour effet d'aggraver le manque de transparence des procédures disciplinaires, ce qui exacerbe le sentiment de vulnérabilité des membres.

Bon nombre des membres qui se sont adressés à la Commission ont, par exemple, affirmé que les révisions apportées à la Loi sur la GRC accordent aux personnes qui occupent des postes de direction beaucoup trop de marge de manœuvre pour déclencher des enquêtes sur des manquements allégués au Code de déontologie et que le processus disciplinaire, ou la perspective d'un tel processus, est utilisé pour cibler et intimider les membres. Ces perceptions suscitent de vives inquiétudes à la Commission. Que les choses soient claires : la Commission ne dresse aucune conclusion quant à la question de savoir si le processus relevant du Code de déontologie est effectivement utilisé à des fins inadéquates, mais il semble que certains membres de la GRC partagent la perception assez répandue selon laquelle ils feront les frais du pouvoir arbitraire exercé par leurs superviseurs dans le cadre des enquêtes relevant du Code de déontologie s'ils osent lever le voile sur le harcèlement ou d'autres problèmes au sein de l'organisation. L'effet de dissuasion qui en résulte est considérable.

Cette perception fait en sorte qu'il est encore plus difficile pour les superviseurs de gérer les membres dans les situations où le déclenchement du processus relevant du Code de déontologie est bel et bien indiqué. La Commission a en effet entendu bon nombre de membres occupant des postes de supervision affirmer que, même lorsqu'ils ont des motifs valables de procéder à une enquête ou d'imposer des mesures disciplinaires à un membre qui a eu une mauvaise conduite, ils se montrent extrêmement prudents, car ils craignent d'être accusés de harcèlement.

Par conséquent, la Commission recommande fortement que le processus disciplinaire relevant du Code de déontologie, y compris les pratiques de tenue de dossiers, fasse l'objet d'un rigoureux examen.

3.4 Répercussions du harcèlement

On connaît bien les effets négatifs du harcèlement et de l'intimidation en milieu de travail sur les employés. Notamment, « frustration, colère, démoralisation, impuissance, anxiété, épuisement, irritabilité, stress, troubles du sommeil, manque de confiance en soi, perte d'estime de soi, dépression, état de stress post-traumatique, difficultés de concentration, peur et symptômes psychosomatiques »Note de bas de page 37 [traduction] font partie des effets que subissent les victimes de harcèlement.

De telles expériences peuvent avoir des répercussions bien concrètes sur la santé des membres. Comme l'explique un psychologue de la police :

Pendant des décennies, les cadres supérieurs n'ont eu à rendre de comptes à personne. Ils ont ainsi créé un milieu de travail toxique où le niveau de stress des employés est élevé et où règne une culture de la peur. Cela a un effet dévastateur sur le moral de la GRC. […] Mais que peuvent-ils faire? Ils prennent un congé de maladie, que les membres de la GRC appellent « congé de folie »Note de bas de page 38 [traduction].

De l'avis de la Commission, il ne fait aucun doute que les préjudices subis par les membres et employés de la GRC qui sont victimes d'intimidation et de harcèlement au travail sont considérables dans bien des cas, et mettent même un terme à des carrières dans certains cas.

En fait, plusieurs membres ont mentionné à la Commission que le harcèlement, l'intimidation et le stress qui en résulte sont les principales raisons pour lesquelles ils ont pris un congé de maladie. Comme un membre l'a décrit :

Ma première affectation était [...] dans une petite ville en […], où j'ai été témoin de harcèlement au travail et aussi été la cible de harcèlement, comme bien des membres du détachement. C'était à un point tel que certains étaient en congé de maladie lié au stress et que les autres qui continuaient à travailler se sont fait prescrire des antidépresseurs pour arriver à supporter l'intimidation, le harcèlement et la tyrannie du sous-officier. [...] Les choses se sont tellement envenimées que j'ai pensé sérieusement à démissionner et à postuler auprès d'un service de police municipal. J'observe encore du harcèlement et de l'intimidation et je vois les membres qui sont impuissants, n'ayant aucun moyen de changer les choses, à part de souffrir en silence, de prendre un congé de maladie lié au stress ou de prendre des antidépresseurs [traduction].

Au contraire, d'autres membres ont le sentiment qu'ils ont été « forcés » de partir en congé de maladie après avoir signalé un cas de harcèlement et reçu l'étiquette de « fauteur de troubles ». Par exemple, un membre a relaté qu'il avait présenté une plainte de harcèlement et qu'on l'avait ensuite envoyé subir une évaluation de santé mentale au cours de laquelle il a été caractérisé comme étant « dépassé par son travail ».

La Commission a demandé à la GRC de lui fournir des données relatives au nombre de membres qui ont pris un congé de maladie pour des raisons de harcèlement ou de stress lié au travail, mais elle a appris que la GRC ne consigne pas de telles données. C'est pourquoi la Commission n'est pas en mesure de corroborer la perception selon laquelle le harcèlement est l'une des premières causes d'invalidité liée au milieu de travail. La Commission constate cependant que l'ensemble de la recherche sur le harcèlement au travail confirme que les organisations aux prises avec des problèmes d'intimidation « doivent composer avec des taux accrus d'absentéisme et de roulement de personnel, ainsi qu'avec une diminution du rendement et de la productivité des employés »Note de bas de page 39 [traduction]. Il semble donc raisonnable de conclure que l'intimidation et le harcèlement au travail, en plus des problèmes connus de recrutement et de manque de personnel, ont vraisemblablement une incidence sur la capacité opérationnelle de la GendarmerieNote de bas de page 40.

En fait, le commissaire de la GRC a récemment témoigné devant le Sénat au sujet du lien entre les conflits en milieu de travail, la santé mentale et les absences liées à l'invalidité. Commentant les progrès réalisés relativement à ces questions, il a affirmé que « des éléments comme le nombre de plaintes découlant de l'insatisfaction au travail, des congés de maladie et autres absences sont les divers indicateurs [de progrès] que nous pourrions avoir au menu. Le coût des pensions de santé mentale augmente et les demandes liées à l'ESPT se multiplient. Ces chiffres en disent long »Note de bas de page 41.

Par conséquent, le lien entre le manque chronique de personnel à la GRC et le nombre de membres en congé de maladie en raison du harcèlement au travail devrait faire l'objet d'un examen approfondi par la GRC. Afin de mieux encadrer un tel examen, la GRC devrait surveiller le nombre de membres en congé de maladie et d'employés en congé d'invalidité ou lié au stress en raison du harcèlement ou d'un conflit en milieu de travailNote de bas de page 42.

3.5 Conclusion

On ne peut douter de la nécessité d'apporter des changements systémiques substantiels en vue de résoudre les problèmes chroniques d'intimidation et de harcèlement au travail. Comme la Commission l'a déjà déterminé, les problèmes et leurs éventuelles solutions ont été définis dans plus d'une quinzaine de rapports au cours de la dernière décennie.

Ce qui ressort de l'éventail ahurissant de recommandations formulées dans ces rapports, plus de deux cents au total, c'est que le nœud du problème ne réside pas dans la détermination des facteurs qui contribuent au harcèlement en milieu de travail ou des stratégies de réforme. Au contraire, le problème a toujours été, et continue d'être la mise en œuvre et le maintien en place d'une stratégie efficace de changement à long terme.

4. Résistance au changement

Comme en témoigne sans équivoque la longue liste de rapports et d'examens sur les problèmes qui affligent les milieux de travail de la GRC, celle-ci a maintes et maintes fois été exhortée à se pencher sérieusement sur le harcèlement, le harcèlement sexuel et l'intimidation au travail et, de façon plus générale, sur sa culture organisationnelle dysfonctionnelle. La réponse de la GRC a été de mettre de l'avant une suite d'initiatives visant à minimiser les conflits en milieu de travail. La Commission reconnaît que les efforts déployés ont eu quelques débouchés positifs, surtout à l'échelon des divisions. Toutefois, ils se sont trop souvent avérés de portée limitée et de nature ponctuelle, chevillés aux objectifs particuliers de chaque commandant divisionnaire. La Direction générale n'a pas surveillé ces initiatives de manière efficace et n'a consacré aucune énergie à institutionnaliser les initiatives couronnées de succès. La Commission est d'avis que cette incapacité à surveiller efficacement et à officialiser les programmes relatifs au harcèlement est le reflet de problèmes profondément enracinés au cœur même de la haute direction de la GRC, qui a maintes fois échoué à faire preuve de la capacité ou de la volonté nécessaire pour apporter les changements systémiques qui s'imposent. La Commission en conclut donc que tout changement réel nécessite une profonde remise en question de la gouvernance de la GRC.

4.1 Approche ponctuelle en matière de prévention du harcèlement

Au cours des cinq dernières années, la haute direction de la GRC a mis en œuvre une gamme d'initiatives à court terme visant à éliminer le harcèlement et le dysfonctionnement en milieu de travail. Malheureusement, comme les lignes qui suivent le relatent, ces initiatives n'ont fait l'objet que de peu de mesures de suivi ou de reddition de comptes. Il en a résulté toute une panoplie d'études et de stratégies que la GRC évoque pour prouver qu'elle s'est efforcée d'instaurer des changements, mais qui sont bien loin du type de réformes systémiques qui s'imposent pour que de réels effets se fassent sentir. Cette succession de programmes à court terme a plutôt eu pour effet, parmi les membres et les employés de la GRC, d'amoindrir la conviction que de véritables changements se concrétiseront un jour.

La Commission estime que cette approche réactive « axée sur les opérations » en matière de changement en milieu de travail reflète en partie le fait que les postes de haute direction de l'organisation sont presque tous occupés par des agents en uniforme qui ont été formés à exécuter des opérations imposées du sommet et qui sont habitués à fonctionner de cette façon. Il s'agit bien sûr là d'une approche fort efficace dans les situations où on doit répondre à des besoins urgents ou critiques de sécurité publique, lorsqu'une intervention doit être exécutée rapidement et sans remise en cause. Toutefois, une telle approche « axée sur les opérations » est souvent incompatible avec le type d'engagement continu requis pour réaliser un changement de culture, étant donné la façon dont la nature hiérarchisée des organisations de sécurité tend à donner lieu à « une mise en œuvre rapide et parcimonieuse des réformes »Note de bas de page 43 [traduction].

Le plan d'action Égalité entre les sexes et respect de la GRC est un exemple éloquent. Publié en 2013 principalement en réaction à de nombreuses allégations de harcèlement sexuel, ce plan d'action a pour but de changer la culture et la composition de la GRC : « nos objectifs sont simples : régler le passé, moderniser la gestion d'aujourd'hui et préparer l'avenir »Note de bas de page 44.

Pour y arriver, le plan d'action Égalité entre les sexes et respect définit trente-sept mesures destinées à amorcer un changement, ainsi que des indicateurs et des jalons permettant de surveiller les progrès. Le document fait également état de huit points d'intervention visant à éliminer le harcèlement et à établir des milieux de travail respectueux, notamment :

  • exercer les nouveaux pouvoirs pour imposer la responsabilisation et permettre le règlement rapide des problèmes en milieu de travail;
  • recourir aux comités consultatifs à l'échelle nationale et provinciale pour discuter des problèmes des employés;
  • établir des programmes pour le respect en milieu de travail dans tout le pays.

Le commissaire de la GRC s'est d'ailleurs engagé à rendre compte à l'interne des progrès réalisés relativement à ces interventions tous les 180 jours afin de garantir la transparence et la responsabilisation. À la connaissance de la Commission toutefois, il semble qu'un seul bilan ait été présenté jusqu'ici, au printemps 2014Note de bas de page 45.

En outre, la Commission a appris que le plan d'action Égalité entre les sexes et respect est toujours en cours d'exécution, mais qu'aucun membre de la Direction générale de la GRC ne paraît responsable de l'initiativeNote de bas de page 46. Il semble donc qu'aucun cadre supérieur ne soit chargé de veiller à ce que les trente-sept recommandations soient mises en œuvre ou qu'elles atteignent les résultats escomptés.

Qui plus est, en vertu du plan d'action, toutes les divisions sont tenues de mettre sur pied des comités consultatifs tenant lieu de tribune de discussion sur les enjeux qui touchent les employés. Toutefois, seules huit des quinze divisions semblent s'être dotées de comités fonctionnelsNote de bas de page 47. Le plan d'action prévoit l'établissement de programmes pour le respect en milieu de travail dans tout le pays, mais la GRC n'a pas confirmé que chacune de ses divisions a mis en œuvre de tels programmes ou que ceux-ci sont en cours d'exécution. De plus, la Direction générale ne fournit aucune directive aux divisions sur la façon dont ces programmes devraient être administrés. De même, la Direction générale ne soumet les programmes élaborés à l'initiative des divisions à aucun examen visant à en évaluer le bien-fondé ou l'efficacité. Il en résulte donc, au sein des divisions et de la Direction générale, un manque de responsabilisation quant à l'efficacité des programmes pour le respect en milieu de travail.

À la lumière de l'information dont la Commission dispose, le plan d'action Égalité entre les sexes et respect semble avoir tourné court, et la GRC est depuis passée à d'autres initiatives, sans se demander vraiment si les mesures précédemment cernées ont été mises en œuvre, si elles favorisent un changement significatif ou si elles ont plutôt aggravé les problèmes qu'elles visaient à régler.

Le Plan stratégique en matière d'éthique professionnelle de la GRC semble aussi avoir été marqué par des difficultés similaires. Initiative d'une durée de trois ans s'étant échelonnée de 2013 à 2015, ce Plan a été mis en place en réaction au sondage sur le climat professionnel, qui a révélé que les employés de la GRC n'ont pas la conviction que les cadres supérieurs traitent les manquements à l'éthique de manière appropriée, font preuve de respect, prennent des décisions justes ou sont tenus de rendre des comptesNote de bas de page 48. Bien que le Plan exige que les divisions présentent des rapports trimestriels à la Direction générale et rendent compte de façon détaillée des initiatives et des programmes qui ont été mis en œuvre, il semble qu'aucun cadre supérieur de la Direction générale n'ait été chargé de procéder à une analyse des mesures prises par les divisions. Par conséquent, même si certaines divisions prennent effectivement des mesures pour éliminer le harcèlement en milieu de travail, la Direction générale n'exerce aucune surveillance visant à déterminer si ces mesures sont efficaces, à tenir les divisions responsables ou à diffuser les pratiques exemplaires. La Commission estime donc qu'une telle absence de leadership à l'échelle nationale reflète le manque de volonté concrète d'amorcer des changements significatifs dans l'ensemble de la Gendarmerie.

La GRC a créé le Bureau de coordination des plaintes de harcèlement en 2014, répondant ainsi partiellement à la recommandation formulée par la Commission en 2013Note de bas de page 49. Le rôle de ce Bureau est toutefois de nature strictement administrative, sa fonction consistant principalement à coordonner le traitement des plaintes de harcèlement et à assurer le suivi des décisions connexes. Le Bureau n'a pas le mandat de prévenir le harcèlement, une responsabilité qui incombe aux divisions, et n'assure aucun leadership à cet égardNote de bas de page 50.

La Commission constate que plusieurs divisions ont élaboré des mesures visant à favoriser un milieu de travail respectueux. La Division « K » (Alberta), par exemple, a conçu une vidéo sur le respect au travail dans laquelle des membres et des employés de la Division mettent en scène des cas typiques de conflit en milieu de travail, faisant la démonstration des conduites appropriées et de celles qui sont répréhensibles en milieu de travail. Cette vidéo sert d'amorce aux discussions, qui sont le plus souvent encadrées par un conseiller en matière de respect au travail. En outre, la commandante divisionnaire tient des téléconférences mensuelles avec les conseillers en matière de respect au travail, en plus d'avoir créé un poste à temps plein de coordonnateur du respect au travail doté par un employé de la fonction publique, de manière à garantir la continuité.

À la Division « H » (Nouvelle-Écosse), le commandant divisionnaire a ajouté deux journées de plus au calendrier du programme national de formation sur la gestion des conflits de la GRC, au cours duquel les gestionnaires passent en revue des scénarios qui les aident à mieux comprendre comment résoudre les conflits au travail avant qu'ils ne s'enveniment. La Division « H » a en outre accordé la priorité à la prestation de formation portant sur des enjeux tels que la santé mentale, les préjugés sexistes et les collectivités des Premières Nations. De plus, la Division « H » a adopté une approche « axée sur l'équilibre », en vertu de laquelle un gendarme se rend dans les détachements et les unités afin de prendre connaissance des préoccupations des membres et des employés (p. ex., compétences, fonctions, leadership ou type de gestion), ce qui permet aux cadres supérieurs d'être mieux informés de la réalité au sein de la Division.

Pourtant, même dans les cas où les divisions ont mis de l'avant des initiatives couronnées de succès, la GRC n'a fourni aucune des ressources nécessaires pour un changement durable. En 2012 par exemple, la Division « E » (Colombie-Britannique) a créé un programme pour le respect en milieu de travail qui est réparti entre quatre équipes ou unités, soit les sous-officiers et conseillers responsables du respect en milieu de travail, l'unité de prévention du harcèlement, le programme de gestion informelle des conflits et le programme national d'intervention précoce. Les sous-officiers et conseillers responsables du respect en milieu de travail fournissent des conseils et du soutien aux employés, aux superviseurs et aux gestionnaires à propos de la résolution la plus précoce possible des conflits au travail. Plus particulièrement, l'équipe du programme pour le respect en milieu de travail contribue à cerner les ressources, les outils et les services disponibles pour régler les incidents de harcèlement ou d'intimidation, en plus de collaborer avec les districts et détachements à l'élaboration d'un plan d'action personnalisé visant à résoudre leurs difficultés particulières. Le programme prévoit en outre plusieurs initiatives destinées à faciliter le signalement des conflits en milieu de travail avant qu'ils ne dégénèrent en manquements à la déontologie, et les milieux de travail jugés problématiques font l'objet d'évaluations et d'examens plus poussés en matière de respect au travail.

De plus en plus, les superviseurs et les gestionnaires de la Division « E » semblent se tourner vers ce programme, qui tient lieu de porte-voix quant aux options en matière de résolution des problèmes ou de gestion du rendement au travail. La Commission estime qu'il s'agit là de signes caractéristiques d'un programme qui permet effectivement de prévenir le harcèlement en milieu de travail.

Au cours de son entrevue avec la Commission, la sous-officière responsable du programme pour le respect en milieu de travail a affirmé que le programme a connu un certain succès. Plus précisément, le programme reçoit un nombre croissant d'appels provenant de superviseurs qui souhaitent obtenir des directives sur la façon de gérer des conflits en milieu de travail avant qu'ils ne se transforment en harcèlement manifeste. De plus en plus, les superviseurs et les gestionnaires de la Division « E » semblent se tourner vers ce programme, qui tient lieu de porte-voix quant aux options en matière de résolution des problèmes ou de gestion du rendement au travail. La Commission estime qu'il s'agit là de signes caractéristiques d'un programme qui permet effectivement de prévenir le harcèlement en milieu de travail.

En 2014 pourtant – et en dépit du lancement du plan d'action Égalité entre les sexes et respect l'année précédente, ainsi que du succès manifeste du programme –, la Division « E » s'est vu retirer les fonds fédéraux totalisant 1,3 million de dollars qui soutenaient cette initiative. La Division a donc dû réduire la taille de l'équipe chargée du programme pour le respect au travail, qui est passé de vingt-trois membres formés à temps plein à moins de dix personnes.

Autre exemple : la GRC a récemment nommé un nouveau champion de l'égalité entre les sexes et de la diversité chargé d'examiner la culture, la diversité et l'inclusivité, ainsi que le recrutement, la mobilisation et le maintien en poste des employés au sein de l'organisation. Malgré l'envergure et la complexité du rôle, la commissaire adjointe qui y a été affectée ne semble pas avoir bénéficié de quelque ressource en personnel que ce soitNote de bas de page 51.

Compte tenu de cette tendance à se contenter d'initiatives timides et ponctuelles ne disposant pas de ressources suffisantes, ainsi que du manque de suivi et de responsabilisation, la Commission est réellement préoccupée par le fait que la GRC envisage le changement organisationnel comme un produit livrable à court terme qu'elle peut « rayer de la liste » et oublier, peu importe que les initiatives aient atteint leurs objectifs ou non.

C'est pourquoi la Commission conclut que la GRC n'a pas réussi à mettre en œuvre sa recommandation de 2013, qui exhortait l'organisation à élaborer une méthode exhaustive de suivi continu et d'évaluation visant à s'assurer que les initiatives donnent les résultats escomptésNote de bas de page 52.

Essentiellement, comme l'affirme le rapport du Conseil des femmes de l'Association des anciens de la GRC, « malgré tous les rapports internes publiés par la GRC et les plans d'action demeurés lettre morte, bien peu de choses ont changé à la GRC au cours des dernières décennies »Note de bas de page 53 [traduction].

Bon nombre des membres et employés qui se sont adressés à la Commission ont affirmé être convaincus que la GRC ne souhaite que parler de changement et que les efforts en ce sens ne sont qu'une mise en scène constituée de vœux pieux. Les personnes interviewées ont en effet soutenu qu'il y a eu beaucoup trop d'examens et d'études, qui n'ont mené à rien de concret, et que la GRC demeure constamment en mode réactif, se montrant rarement proactive. Comme l'a décrit l'une de ces personnes, « la GRC excelle à tenir de beaux discours, mais échoue lamentablement à joindre le geste à la parole » [traduction]. Un autre membre « […] espère que les choses s'amélioreront, mais [a] plutôt l'impression que la GRC se contente d'agir machinalement de manière à faire croire qu'elle se penche réellement sur les problèmes » [traduction].

La Commission est d'avis que de telles réactions indiquent non seulement que de nombreux membres et employés ne croient plus la GRC capable d'éliminer efficacement le harcèlement, mais également que la tendance de la haute direction à mettre de l'avant des initiatives ou des plans d'action à court terme (plus particulièrement en réaction à des gros titres embarrassants) mine la confiance des membres et des employés quant au réel désir de changement au sein de l'organisation. Il en résulte que toute nouvelle initiative ne récolte vraisemblablement que de faibles appuis parmi les membres et les employés, y compris chez ceux qui occupent des postes de gestion et qui sont chargés de mettre ces initiatives en œuvre.

Conclusion no 2 : La GRC a échoué à mettre en place les mesures exhaustives et soutenues qui sont nécessaires pour résoudre le problème du harcèlement au sein de la Gendarmerie. Des programmes ont bel et bien été créés à l'échelon des divisions, mais ils étaient de portée limitée et de nature ponctuelle. Qui plus est, la Direction générale n'a déployé aucun effort pour surveiller l'efficacité de ces programmes, diffuser les pratiques exemplaires ou institutionnaliser les réformes.

4.2 Échec du leadership

Étant donné son origine paramilitaire, son histoire et sa structure, la GRC est une organisation particulièrement hiérarchisée qui accorde une grande importance au rang, ce qui a donné naissance à une culture d'obéissance au commandement supérieur et de contrôle descendant exercé par les hauts dirigeants. Ceux-ci jouent donc un rôle de premier plan au sein de l'organisation, y compris au chapitre de l'acceptation ou du refus de tout changement culturel. « Il s'agit toujours d'une question de leadership »Note de bas de page 54 [traduction], comme l'a affirmé le lieutenant-général à la retraite Andrew Leslie lorsqu'il a témoigné devant le Sénat à propos des difficultés inhérentes au changement de culture organisationnelle.

La Commission est d'avis que la culture du leadership au sein de la GRC souffre de deux maux qui l'empêchent de résoudre efficacement les problèmes de harcèlement et d'intimidation au travail : l'absence de leadership aux échelons supérieurs et l'incapacité à favoriser l'établissement d'une culture du leadership au sein de l'organisation.

4.2.1 Absence de leadership aux échelons supérieurs

Tout d'abord, comme mentionné précédemment, on constate un manque manifeste de volonté, de la part de plusieurs générations de hauts dirigeants de la GRC, à entreprendre les changements systémiques à grande échelle qui s'imposent. Or, ces hauts dirigeants sont presque tous d'anciens agents en uniforme qui ont gravi les échelons, ce qui signifie non seulement qu'ils ont bénéficié de la structure organisationnelle qui doit être réformée, mais également qu'ils sont vraisemblablement « profondément imprégnés des normes institutionnelles monolithiques de l'organisation »Note de bas de page 55 [traduction]. Comme l'un des membres le résume :

La GRC se plaît à charger des cadres intermédiaires (qui aspirent à devenir des cadres supérieurs) de cerner les problèmes, alors que ce sont eux et leurs supérieurs qui sont manifestement à l'origine de ces problèmes. Quand on veut réformer une organisation et sa culture problématique, on n'en confie pas la tâche à ceux qui ont adopté cette culture et qui en ont bénéficié [traduction].

Étant ainsi profondément ancrés dans la culture institutionnelle de l'organisationNote de bas de page 56, les hauts dirigeants peuvent donc s'avérer incapables d'effectuer des changements fondamentaux ou réticents à le faire.

Qui plus est, en raison de la structure hiérarchique hermétique de la GRC, les cadres supérieurs sont trop souvent totalement coupés de l'expérience vécue par ceux qui œuvrent en première ligne. Comme le Groupe de travail sur la gouvernance et le changement culturel à la GRC l'affirmait, « [l]a haute direction n'est donc pas en mesure de s'attaquer aux problèmes qui surgissent parce qu'elle n'est pas informée de la situation; les personnes ne veulent pas leur présenter de mauvaises nouvelles »Note de bas de page 57. Par conséquent, même si les hauts dirigeants souhaitaient réellement modifier la culture de la GRC, ils seraient probablement beaucoup trop isolés de la réalité quotidienne des milieux de travail de l'organisation pour être efficaces. La chaîne de commandement peut ainsi avoir pour effet de déformer la perception de nombreux cadres supérieurs et nuire aux efforts qu'ils déploient pour changer la culture organisationnelle de la GRC.

Par ailleurs, le système d'avancement professionnel de la GRC, qui privilégie les agents en uniforme, fait en sorte que les cadres supérieurs sont formés à adopter un état d'esprit axé sur les fonctions policières opérationnelles et ne disposent souvent pas de l'expertise suffisante en matière de ressources humaines pour composer de manière appropriée avec la mécanique délicate et complexe des relations de travail. Contrairement à d'autres organisations policières ou aux Forces armées canadiennes – qui embauchent des spécialistes civils pour gérer les ressources humaines, entre autres tâches –, la GRC continue d'affecter des membres en uniforme à ce type de postes, sans égard à leur capacité à s'acquitter des tâches et fonctions connexes.

Malheureusement, il est fréquent que les agents qui remplissent de tels rôles n'aient pas l'expertise et les compétences spécialisées qui seraient considérées comme un critère préalable fondamental dans la plupart des autres organisations. Le rapport Brown a décrit la pléthore de problèmes que cette situation engendre : « Nous avons entendu parler de systèmes fondamentaux de gestion des ressources humaines qui n'ont pas fonctionné depuis des années; d'heures supplémentaires obligatoires non rémunérées; de systèmes de mesures disciplinaires et de griefs qui ne fonctionnent pas; d'un système d'avancement professionnel n'ayant que peu ou pas de crédibilité; bref, d'un constat parfois embarrassant à l'égard des personnes desservies »Note de bas de page 58 [traduction]. La GRC se trouve ainsi privée de l'apport d'une valeur considérable, ainsi que du point de vue différent des spécialistes civils.

Un réel changement structurel et organisationnel doit donc faire l'objet d'un examen attentif. À cet égard, la Commission trouve particulièrement pertinents les propos de l'inspecteur général du département de la Sécurité intérieure des États-Unis :

Aucun organisme gouvernemental, aussi dysfonctionnel soit-il, ne change de son propre chef. [...] C'est un processus pénible qu'aucun organisme n'entreprend volontairement. Au sein de la bureaucratie, le changement est le résultat de trois choses : un incident dramatique, suivi d'un examen rigoureux des programmes et des activités de l'organisme, puis d'un engagement envers le changement de la part de la directionNote de bas de page 59 [traduction].

Recommandation 1 : Que le ministre ordonne à la GRC de professionnaliser certains éléments de sa structure organisationnelle en recrutant des spécialistes civils qui assumeront des rôles non liés aux opérations, y compris aux échelons supérieurs des secteurs des ressources humaines et des relations de travail.

4.2.2. Incapacité de créer une culture du leadership

La Commission est particulièrement préoccupée par la présomption implicite dans le processus d'avancement de la GRC que les membres peuvent exercer l'autorité avec compétence et professionnalisme parce qu'ils occupent un certain rang, et non parce qu'ils ont suivi une formation spéciale en gestion ou en leadership qui leur donne les compétences voulues pour s'acquitter d'une série de responsabilités précise. Une commandante divisionnaire a d'ailleurs confié à la Commission que de nombreux gestionnaires et superviseurs ont dit qu'ils auraient aimé suivre la formation avant d'être promus.

Contrairement à l'armée, la GRC ne dispose pas d'un corps d'officiers professionnelsNote de bas de page 60. Les officiers brevetés sont plutôt recrutés parmi les agents. Les gestionnaires et les superviseurs se voient offrir un cours en leadership ainsi qu'un bref cours pour cadre supérieur, mais aucune de ces formations n'est obligatoire pour obtenir une promotion ou un grade supérieur. D'ailleurs, aucune scolarité particulière n'est exigée; la qualification minimale des nouveaux cadets – un diplôme d'études secondaires et l'absence de casier judiciaire – est suffisante.

La Commission croit que l'insuffisance de la formation en leadership est un facteur qui contribue aux problèmes d'abus de pouvoir décrits précédemment. Comme on l'explique à la Section 3, les plaintes pour harcèlement examinées par la Commission indiquent que, dans bien des cas, les gestionnaires et les superviseurs ne possédaient pas les compétences de base pour exercer leur autorité d'une manière professionnelle. De plus, selon une impression répandue chez les personnes interviewées, le processus de promotion ne fait qu'exacerber le problème du harcèlement au travail parce qu'il récompense l'autopromotion plutôt que les aptitudes en leadership, le rendement, les compétences et les connaissances.

Dans les Forces armées canadiennes, en revanche, chaque officier doit suivre une instruction professionnelle militaire qui inclut des cours de niveau universitaire sur la société et les institutions canadiennes, le leadership, l'histoire et la psychologie. Cette formation obligatoire permet aux dirigeants militaires non seulement d'acquérir de solides compétences, mais aussi de comprendre les normes et les valeurs générales de la société qu'ils serventNote de bas de page 61.

Un investissement précoce et permanent dans le perfectionnement en leadership et en gestion aidera les superviseurs, les gestionnaires et les cadres de direction à savoir en quoi consiste l'exercice approprié du pouvoir de supervision, à comprendre leurs rôles et responsabilités à l'égard du maintien d'un milieu de travail respectueux et à acquérir les compétences nécessaires pour gérer les conflits en milieu de travail avant qu'ils ne dégénèrent.

Recommandation 2 : Que la GRC favorise l'établissement d'une culture du leadership en imposant des critères d'avancement professionnel qui tiennent compte des compétences en gestion, ainsi qu'en mettant en place des programmes de perfectionnement en leadership rigoureux et obligatoires, y compris des cours de niveau universitaire appropriés, à l'intention de tous les superviseurs, gestionnaires et cadres de direction en poste et récemment nommés.

4.2.3. Conclusion sur le leadership

Essentiellement, les mesures visant l'amélioration du leadership au sein de l'organisation seront déterminantes pour amorcer un changement de culture. Les dirigeants jouent un rôle essentiel dans la transmission et le maintien de la culture organisationnelle. La haute direction instaure la stratégie organisationnelle, donne le ton par l'exemple et favorise l'acceptation du changement dans l'organisation. Les cadres intermédiaires et les supérieurs directs interprètent les stratégies, les politiques et les pratiques de l'organisation et récompensent les bons comportements par l'avancement et l'accès à la formation. Enfin, les superviseurs immédiats donnent le ton en ce qui concerne les comportements acceptables, et ils peuvent condamner ou perpétuer les comportements négatifs comme le harcèlement et l'abus de pouvoirNote de bas de page 62.

La Commission croit que la GRC compte probablement de nombreux dirigeants exemplaires. Cela dit, l'organisation ne contribue guère à promouvoir une culture du leadership auprès de l'ensemble de ses gestionnaires, superviseurs et cadres de direction. De plus, sans la reconnaissance de la différence entre les compétences en leadership et les compétences en matière policière, cette carence de leadership subsistera.

4.3 Changement de gouvernance

Les organisations militaires et policières se considèrent souvent comme en marge de la société et investies d'une mission spéciale. C'est pour cette raison qu'elles valorisent énormément leur autogestion et leur autonomie institutionnelle. Or, même parmi les corps policiers, la structure redditionnelle de la GRC est une anomalie : à l'échelle nationale, la direction ne relève d'aucun organe consultatif, alors qu'elle est responsable des services de police dans l'ensemble du Canada.

Cela dit, la GRC n'est pas un état en soi, et elle doit se conformer aux mêmes obligations légales que les autres employeurs fédéraux pour prévenir le harcèlement, l'intimidation et le harcèlement sexuel en milieu de travail. La GRC a pourtant eu bien des occasions de prendre les mesures qui s'imposent à cet égard.

Cependant, après chaque scandale de harcèlement qui a étalé au grand jour sa culture organisationnelle dysfonctionnelle, la GRC s'est contentée de se serrer les coudes. S'il y a une leçon à tirer de la dernière décennie, de la quinzaine de rapports et des centaines de recommandations en faveur d'une réforme, c'est que la GRC est incapable de procéder elle-même aux réformes systémiques nécessaires.

Essentiellement, cette réforme exige un changement structurel à la GRC imposé de l'extérieur. Il faut notamment modifier le modèle de gouvernance de la GRC pour y introduire un leadership ou une surveillance civile concrète et des mécanismes de reddition de comptes plus rigoureux dans les éléments clés de l'organisation. Comme l'ont fait observer certains hauts dirigeants des Forces armées canadiennes au sujet du travail exigé pour amorcer un changement culturel dans les Forces armées, « l'armée ne se serait pas relevée sans une surveillance externe indépendante et constante qui est exercée par le gouvernement et des civils respectés nommés pour garantir sa réussite » [traduction]Note de bas de page 63.

Conclusion no 3 : Étant donné le piètre rendement de la GRC en matière de mise en œuvre de changements, une surveillance civile rigoureuse et un solide leadership du gouvernement sont essentiels pour garantir une réforme durable.

Le gouvernement du Canada et la GRC doivent s'engager à prendre des mesures immédiates, concrètes et durables pour restructurer la GRC de manière à améliorer la reddition de comptes à ses membres et employés et aux collectivités qu'elle sert.

Recommandation 3 : Que le ministre de la Sécurité publique prenne des mesures immédiates pour amorcer un changement culturel au sein de la GRC en modernisant sa structure de gouvernance de manière à y ajouter des fonctions de gouvernance ou de surveillance civile et à améliorer la reddition de comptes.

Le ministre pourrait envisager plusieurs modèles différents, notamment les suivants :

A) Leadership à deux voies – le modèle MDN/FAC

Ce modèle s'inspire de la bifurcation entre le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes. Dans ce modèle, le sous-ministre de la Défense et le chef d'état-major de la Défense ont chacun des responsabilités particulières.

Le sous-ministre est responsable des questions d'administration et de la surveillance financière, y compris les aspects suivantsNote de bas de page 64 :

  • Conseils en matière de politiques auprès du ministre
  • Gestion du Ministère
  • Administration des comptes
  • Coordination interministérielle
  • Relations internationales en matière de défense
  • Renouvellement de la fonction publique
  • Relations fédérales-provinciales
  • Gestion du portefeuille

Le chef d'état-major de la Défense, en revanche, est responsable de toutes les questions opérationnellesNote de bas de page 65 :

  • Responsable du commandement, du contrôle et de l'administration des Forces armées canadiennes (FAC)
  • Conseiller auprès du ministre sur les questions relatives aux FAC
  • Rend des comptes au ministre sur la conduite des activités des FAC ainsi que la disponibilité opérationnelle et la capacité d'honorer les engagements et les obligations miliaires
  • Conseiller militaire principal du gouvernement du Canada

La GRC est soumise aux mêmes exigences, lois et règlements que le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes, et elle pourrait prendre modèle sur ce partage du travail entre les responsabilités opérationnelles et administratives.

B) Commissaire civil – modèle du service de police de la ville de New York (NYPD)

La GRC a sensiblement la même taille que le New York Police Department (le NYPD), mais celui-ci est dirigé par un commissaire civil épaulé par de nombreux sous-commissaires, des civils eux aussi. En outre, le chef du service – le membre en uniforme le plus haut gradé – est responsable en premier lieu des opérationsNote de bas de page 66. Fait à souligner, le commissaire possède toujours une vaste expérience des services policiersNote de bas de page 67, mais il n'est pas un membre assermenté.

Ce modèle aurait pour avantage d'améliorer la reddition de comptes au public grâce à l'arrivée d'un commissaire civil, soutenu par des spécialistes civils (les sous-commissaires) et relevant du ministre de la Sécurité publique. La GRC conserverait son indépendance opérationnelle à titre de corps de police autonome, et la direction des questions opérationnelles serait confiée à un cadre supérieur en uniforme.

C) Conseil civil de gestion

Un conseil civil de gestion peut formuler des orientations générales pour un service de police et améliorer la reddition de comptes au public. Recommandé pour la première fois à la GRC dans le Rapport Brown de 2007 et réitéré à la suite de nombreux examens de la GRC, ce modèle est par ailleurs fortement préconisé par l'Association canadienne des commissions de policeNote de bas de page 68.

Le juge John W. Morden a également souligné l'utilité d'un tel conseil dans son rapport sur la conduite du service de police de Toronto pendant le sommet du G20 :

Les conseils de police sont les intermédiaires entre la police et la population. Ils jouent un rôle de vecteur d'information, en permettant au sentiment populaire d'être entendu par les forces de l'ordre et, essentiellement, en assurant l'arbitrage entre les intérêts pour déterminer le contenu des politiques qui guident les interventions de la police. Lorsque le conseil de police s'acquitte de ces fonctions, la légitimité qui est si importante pour assurer les services de police par consensus plutôt que par contrainte est conservée. Avec une structure de gouvernance efficace, les décisions et les mesures prises par la police reflètent les valeurs de la collectivitéNote de bas de page 69 [traduction].

Un conseil civil de gestion assurerait la direction des principaux aspects de l'administration de la GRC, dont la gestion des ressources humaines, l'établissement du budget et la gestion financière. Toutefois, compte tenu du caractère unique du mandat de la GRC, notamment les services de police fournis sous contrat dans certaines villes et provinces, ce conseil devrait garder à l'esprit les partenaires contractuels. Cela dit, les problèmes potentiels ne sont pas insurmontables, et ce modèle de gouvernance ne devrait donc pas être rejeté comme étant irréalisable.

Le ministre peut s'inspirer d'une foule de modèles pour améliorer la structure de gouvernance actuelle de la GRC. Le plus important, comme on le souligne dans des rapports antérieurs, est d'adopter des mécanismes plus rigoureux de reddition de comptes en transférant des aspects clés de l'organisation à des civils.

4.4 Autres formes de soutien

La Commission a déjà recommandé que la GRC mette en œuvre un mécanisme externe d'examen des décisions en matière de harcèlement, en dehors de la chaîne de commandementNote de bas de page 70. D'autres rapports, dont celui de Mme Sgro et du sénateur Mitchell (2014), du Comité permanent du Sénat (2013) et du Conseil des femmes de l'Association des anciens de la GRC (2014), préconisaient également la création d'un bureau de l'ombudsman de la GRC. La Commission appuie cette recommandation.

Dans le cadre de son examen, la Commission a entendu de nombreux membres et employés qui ont décrit les problèmes auxquels ils ont été confrontés en essayant de naviguer dans le processus excessivement complexe et laborieux de traitement des plaintes en matière de harcèlement. La peur de représailles, l'intimidation et le recours abusif au processus disciplinaire figurent parmi les raisons invoquées par les personnes interviewées pour expliquer le fait qu'elles n'ont pas déposé de plainte officielle pour harcèlement au travail. Comme l'explique un membre, « le processus de règlement de plaintes de harcèlement à la GRC ne convient pas aux natures sensibles » [traduction].

Un bureau de l'ombudsman de la GRC doté du mandat approprié aurait les outils nécessaires pour s'attaquer à ces problèmes. Il faudrait donc examiner la possibilité de créer un bureau de l'ombudsman de la GRC qui servirait de source directe d'information, d'aiguillage et d'éducation pour les membres et les employés et qui aiderait ceux-ci à naviguer dans le processus de règlement des plaintes et les processus connexes de grief et d'appel, en plus de s'occuper de l'examen et des enquêtes relativement aux plaintes de représailles.

De plus, la Commission est au courant des débats actuels sur la syndicalisation de la GRC à la suite du jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Association de la police montée de l'Ontario c Canada (Procureur général)Note de bas de page 71. La syndicalisation des membres pourrait fournir des mécanismes supplémentaires de règlement des différends en milieu de travail, selon la portée des droits de négociation collective, ainsi que du soutien professionnel et une représentation juridique, au besoin.

La Commission est d'avis que la création d'un bureau de l'ombudsman de la GRC et la syndicalisation des membres pourraient fournir des mécanismes supplémentaires de soutien et de règlement des différends, ce qui permettrait d'atténuer les problèmes de harcèlement. La Commission estime toutefois qu'il ne s'agit pas là de solutions complètes aux problèmes du harcèlement et de l'intimidation qui entachent l'organisation.

4.5 Conclusion

La Commission estime que la GRC n'a ni la volonté ni la capacité d'apporter les changements nécessaires pour s'attaquer à sa culture dysfonctionnelle. Le résultat sera le statu quo. En conséquence, le ministre de la Sécurité publique doit prendre les mesures nécessaires pour amorcer un changement institutionnel.

5. Politiques sur le harcèlement : obstacles au règlement

Les changements structurels et la surveillance civile sont indispensables pour améliorer la culture organisationnelle de la GRC, mais il faut aussi procéder à une réforme des politiques et des procédures internes sur le harcèlement. En novembre 2014, la GRC a adopté de nouvelles politiques et procédures concernant les enquêtes et le règlement des plaintes de harcèlement à la suite des modifications apportées à la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. Elles sont énoncées dans la politique de la GRC, Enquête et règlement des plaintes de harcèlementNote de bas de page 72 (« Politique sur le harcèlement), et le Guide national – Enquête et règlement des plaintes de harcèlementNote de bas de page 73 (« Guide ») (désignés collectivement sous le terme « politiques sur le harcèlement »).

Ainsi, les nouvelles politiques sur le harcèlement ne font qu'exacerber la méfiance exprimée par les membres et les employés de la GRC à l'égard de l'organisation.

Les nouvelles politiques sur le harcèlement expriment clairement la tolérance zéro adoptée par la GRC envers le harcèlement en milieu de travail. Il reste tout de même d'importants problèmes à régler en ce qui concerne la pertinence et le caractère adéquat de ces politiques et leur mise en œuvre. Le processus qui en résulte n'est pas efficace, et un nombre excessif de plaintes de harcèlement sont jugées sans fondement. Ainsi, les nouvelles politiques sur le harcèlement ne font qu'exacerber la méfiance exprimée par les membres et les employés de la GRC à l'égard de l'organisation.

5.1 Cadre légal et réglementaire

La GRC est soumise à d'importantes obligations légales; elle doit prévenir le harcèlement et l'intimidation au travail et gérer ces incidents. Aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, par exemple, la GRC doit fournir un lieu de travail exempt de toute discrimination fondée sur les motifs de distinction illicite, comme le sexe, la race, l'orientation sexuelle et la déficienceNote de bas de page 74. Le Code canadien du travail va plus loin et fait obligation à la GRC de fournir aux employés un milieu de travail sécuritaire, sain et exempt de harcèlement sexuel et de violenceNote de bas de page 75, de concevoir et de mettre en place des mécanismes de contrôle systématiques afin de prévenir et réprimer la violence dans le lieu de travailNote de bas de page 76, d'aider les employés qui ont été exposés à la violence dans le lieu de travailNote de bas de page 77 et d'« affecter le temps et les ressources nécessaires » à la gestion des facteurs qui contribuent à la violence dans le lieu de travail, notamment l'intimidation, les taquineries et les comportements injurieux ou agressifsNote de bas de page 78.

Par ailleurs, la GRC doit respecter les politiques et les directives applicables du Conseil du Trésor du Canada sur le harcèlementNote de bas de page 79. La Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement du Conseil du Trésor, par exemple, exige que le commissaire de la GRC crée les conditions propices à un milieu de travail respectueux et gère les cas potentiels de harcèlementNote de bas de page 80.

Enfin, une jurisprudence importante et bien établie définit toute une série de critères juridiques relatifs à la tenue des enquêtes administratives sur le harcèlement au travail et l'arbitrage de ces plaintes. Il s'agit d'une source supplémentaire de règles contraignantes pour les décideurs de la GRC.

Par conséquent, des obligations strictes sont imposées à la GRC :

  • Prévenir l'intimidation et le harcèlement en milieu de travail;
  • Fournir aux membres et employés touchés un mécanisme confidentiel et efficace concernant les enquêtes et le règlement des plaintes afin de gérer les incidents;
  • Apporter une aide aux membres et employés victimes de harcèlement.

Ces tâches sont loin d'être faciles, et elles nécessitent des politiques claires et efficaces. La Commission estime que la GRC ne respecte toujours pas ces obligations.

5.2 Définition exagérément étroite

La définition de « harcèlement » fournie dans les politiques sur le harcèlement de la GRC est identique à celle de la politique sur le harcèlement du Conseil du TrésorNote de bas de page 81 :

2.8. Harcèlement : tout comportement inapproprié et offensant d'une personne à l'égard d'une autre personne dans le milieu de travail, y compris lors d'une activité ou dans un endroit liés au travail et pour lequel la personne savait ou aurait dû savoir qu'il pouvait offenser ou blesser l'autre. Il peut s'agir d'un acte, d'un commentaire ou d'un geste inadmissible qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne et tout acte d'intimidation ou de menace. Cette définition comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (c'est-à-dire fondé sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la déficience et l'état de personne graciée).

2.8.1. le harcèlement correspond normalement à une série d'incidents, mais peut être constitué d'un seul incident grave ayant des conséquences à long terme sur une personneNote de bas de page 82.

Cette définition définit donc six critères qui doivent être remplis pour que le comportement soit considéré comme du harcèlement :

  1. Le comportement doit être inapproprié;
  2. Le comportement doit être dirigé contre une autre personne;
  3. Le comportement doit être offensant ou susceptible de causer un préjudice à cette autre personne;
  4. L'auteur du comportement savait ou aurait dû savoir qu'il pouvait offenser ou blesser l'autre;
  5. Il y a eu une série d'incidents ou un seul incident ayant des conséquences graves à long terme sur une personne;
  6. Les incidents se sont produits en milieu de travail, y compris dans les lieux liés au travail.

Plus particulièrement, le Guide de la GRC précise que « [p]our établir une conclusion de harcèlement, chacun de ces éléments doit être présent. Si un des éléments ne peut être prouvé, il n'y aura vraisemblablement pas de conclusion de harcèlementNote de bas de page 83 » [c'est l'auteur qui souligne].

Bien que la définition de harcèlement du Conseil du Trésor soit intégrée dans les politiques sur le harcèlement de la fonction publique fédérale, la Commission craint que, dans le contexte de la GRC, cette définition ne fasse obstacle à la conclusion de harcèlement. Pris collectivement et appliqués rigoureusement, comme l'exige le Guide de la GRC, ces six éléments créent une définition exagérément étroite qui ne cadre pas avec la définition plus vaste adoptée par la plupart des législatures et des arbitres en matière de droits de la personne, y compris le Tribunal canadien des droits de la personneNote de bas de page 84. Elle décrit généralement le harcèlement en milieu de travail comme des mots ou des comportementsNote de bas de page 85 dont l'auteur savait ou aurait dû savoir raisonnablement qu'ils seraient inopportuns, et précise qu'il doit y avoir un lien direct avec le milieu de travailNote de bas de page 86. Selon cette approche élargie du harcèlement au travail, seulement deux conditions doivent être remplies :

  1. La personne savait ou aurait dû savoir que ses propos ou ses comportements seraient mal reçus;
  2. Il doit y avoir un lien direct avec le milieu de travail.

Aux yeux de la Commission, la définition du harcèlement adoptée dans la Politique sur le harcèlement de la GRC crée des obstacles inutiles à une conclusion de harcèlement. Par exemple, selon la définition de la GRC, le comportement doit être à la fois « inapproprié » et « offensant » pour l'autre personne, tandis que la définition plus vaste exige seulement que le comportement soit inopportun (selon une norme objective). Que le comportement soit « inapproprié » ou non n'est pas pertinent pour conclure au harcèlement; la seule question qui compte est de savoir si le comportement serait mal reçu par une personne raisonnable à la place du plaignant.

De même, la définition de la GRC précise que le comportement doit être « dirigé » contre une autre personne. Encore une fois, cela crée une exigence inutile dans l'esprit de certains décideurs de la GRC, qui pensent que le comportement doit viser personnellement une autre personne pour qu'on puisse conclure au harcèlement. La preuve que le comportement visait personnellement une personne en particulier peut, évidemment, permettre de constater qu'il y a eu harcèlement. Cependant, la Commission estime que cela ne devrait pas devenir une exigence autonome, puisqu'elle fait disparaître la responsabilité de la GRC de s'attaquer aux types plus généralisés de comportement harcelant qui peuvent contribuer à la création d'un milieu de travail dysfonctionnelNote de bas de page 87.

Qui plus est, la Commission reconnaît que si le harcèlement fait généralement intervenir une série d'incidents répétés, un seul incident peut constituer du harcèlement s'il est suffisamment flagrant. Toutefois, la Commission estime qu'il n'est pas nécessaire de démontrer que ce seul incident a eu des « conséquences graves à long terme » pour conclure au harcèlement. Cette exigence impose un fardeau de la preuve supplémentaire inutile au plaignant. Les conséquences graves peuvent servir à démontrer que l'incident était sérieux, mais elles ne constituent pas un élément nécessaire du critère de harcèlementNote de bas de page 88.

Conclusion no 4 : La multiplicité des facteurs décrits dans la définition du harcèlement, combinée aux orientations établies dans le Guide de la GRC, crée un contexte qui risque d'amener les décideurs à tenir compte de facteurs non pertinents, ce qui pourrait entraîner le rejet de plaintes pourtant fondées.

La définition du harcèlement du Conseil du Trésor a été interprétée de manière beaucoup trop étroite et rigide par les décideurs de la GRC, ce qui a entraîné le rejet de plaintes potentiellement fondées.

Cette préoccupation de la Commission a été confirmée par l'examen des dossiers de plaintes de harcèlement. Par exemple, dans un cas de harcèlement sexuel présumé, la plaignante n'a pas expressément indiqué qu'elle avait été offensée ou subi des conséquences graves, mais plutôt qu'elle avait été offensée et irritée; le décideur a donc conclu que les six critères du harcèlement n'étaient pas remplis et que la plainte était sans fondement. Dans un autre cas, le harcèlement présumé a eu lieu à l'extérieur du bureau, lors d'un repas réunissant uniquement des membres et des employés de la GRC. Le décideur a conclu que l'incident n'avait pas eu lieu « au travail » et que la plainte n'était pas fondée.

Ces interprétations arbitraires des éléments du harcèlement et le respect scrupuleux des six critères renforcent les craintes de la Commission que la définition du harcèlement du Conseil du Trésor a été interprétée de manière beaucoup trop étroite et rigide par les décideurs de la GRC, ce qui a entraîné le rejet de plaintes potentiellement fondées.

En particulier, plusieurs commandants divisionnaires entendus par la Commission ont exprimé leur inquiétude du fait que la définition de harcèlement est difficile à satisfaire, et que le processus de règlement des plaintes de harcèlement est trop contraignant et rigide.

Recommandation 4 : Que la GRC adopte une définition simplifiée du harcèlement dans le cadre de ses politiques et procédures, conformément à l'approche appliquée par le Tribunal canadien des droits de la personne et d'autres instances au Canada, de manière à faciliter les enquêtes et le règlement des plaintes de harcèlement valides.

5.3 Obstacles du processus de règlement des plaintes de harcèlement

Les entrevues menées avec des membres et des employés de la GRC, y compris des conseillers divisionnaires en harcèlement et des membres du personnel du Bureau de coordination des plaintes de harcèlement, ainsi que l'examen des dossiers de plaintes de harcèlement, ont révélé de graves problèmes dans le processus de présentation des plaintes de harcèlement, qui empêchent probablement des plaintes fondées d'être entendues.

D'abord et avant tout, la Commission constate que les politiques sur le harcèlement de la GRC sont excessivement complexes et difficiles à comprendre. La grande majorité des personnes interviewées ont dit qu'elles ne comprenaient pas bien les politiques et les procédures de règlement des plaintes de harcèlement de la GRC. Cela n'a rien d'étonnant, compte tenu de la multitude de textes juridiques et réglementaires qu'il faut lire pour connaître les politiques et les procédures applicablesNote de bas de page 89. Il est hautement improbable qu'un membre ou employé vivant un stress causé par l'intimidation ou le harcèlement subis au travail soit en mesure de naviguer facilement dans cet ensemble de documents.

Autre fait préoccupant, plusieurs personnes interviewées ont affirmé que les membres en congé de maladie ou suspendus n'ont pas accès aux politiques sur le harcèlement de la GRC, puisque ces documents sont accessibles uniquement sur l'intranet de la GRC. Plusieurs membres ont aussi déclaré qu'ils avaient demandé à consulter ces politiques pendant leur congé, mais que leur demande a été refusée. La Commission note que le Bureau de coordination des plaintes de harcèlement soutient qu'il met la totalité des politiques pertinentes et des formulaires de plainte à la disposition des plaignants, même quand ils ne sont pas actifs à pied d'œuvre, et qu'il peut aider les plaignants à s'y retrouver dans le processus. Néanmoins, il est clair que beaucoup de membres et d'employés de la GRC ont de la difficulté à comprendre ces politiques et, dans certains cas, à les obtenir. La Commission croit que les membres et les employés de la GRC doivent avoir accès aux politiques qui régissent leur travail et que ces documents devraient être simplifiés, rédigés en langage clair et facilement accessibles.

Recommandation 5 : Que la GRC élabore des documents de politique sur le harcèlement simplifiés et rédigés en langage clair, et qu'elle mette ces documents à disposition sur son site Web externe.

5.4 Importance du règlement informel

La Politique sur le harcèlement de la GRC insiste sur le fait que le plaignant doit confronter le harceleur à propos des comportements inopportuns dès que possible après l'incidentNote de bas de page 90. La Commission convient qu'il n'est pas toujours indiqué de traiter les incidents mineurs au moyen du processus officiel et que le règlement informel peut être une solution constructive. Cela dit, il est souvent inapproprié de demander au plaignant de confronter son harceleur. Cela est particulièrement vrai dans une organisation hiérarchique et paramilitaire comme la GRC. Comme la juge Marie Deschamps le fait remarquer dans son examen sur l'inconduite sexuelle et le harcèlement sexuel dans les Forces armées canadiennes, « imposer à la victime la responsabilité de faire face à la personne qui la harcèle ne donne pas de bons résultats étant donné la rigidité des relations de pouvoirs et de la hiérarchie dans le contexte militaireNote de bas de page 91 ». La juge Deschamps a constaté que la politique de règlement rapide et informel était inefficace et qu'elle dissuadait les victimes de porter plainteNote de bas de page 92.

Même lorsque le comportement allégué ne semble pas particulièrement grave, les plaignants peuvent avoir peur d'exprimer leurs préoccupations ouvertement ou craindre que cette confrontation n'aggrave une relation de travail déjà difficile, y compris en faisant du plaignant une nouvelle cibleNote de bas de page 93.

Les conseillers divisionnaires en harcèlement et le personnel du Bureau de coordination des plaintes de harcèlement qui ont été entendus par la Commission ont également confirmé que la majorité des plaignants refusaient de participer au règlement informel parce que, au moment où la plainte officielle est déposée, il est généralement trop tard pour la médiation et la résolution informelle.

En résumé, la Commission souligne que le règlement informel ne devrait être présenté qu'à titre d'« option » offerte dans le cadre de la politique, et qu'il ne devrait pas y avoir d'attente spécifique de confrontation du harceleur présumé par le plaignant.

5.5 Obligation de prévention et obligation de signalement

La Politique sur le harcèlement de la GRC donne obligation aux membres et aux employés de la GRC de signaler tout comportement pouvant constituer du harcèlementNote de bas de page 94. Cette « obligation de signalement » avait vraisemblablement pour objectif de faire clairement comprendre aux membres et aux employés de la GRC, y compris ceux de la chaîne de commandement, que les incidents de harcèlement ne peuvent être occultés. Il s'agit d'un objectif louable et important.

La Commission craint toutefois que de nombreuses personnes occupant des postes de gestion ou de supervision pensent que leur seule obligation est de signaler un incident de harcèlement ou d'informer le plaignant qu'il doit signaler l'incident en formulant une plainte. Cette approche néglige l'autre obligation des gestionnaires et des superviseurs établie dans la Politique sur le harcèlement, à savoir, de s'occuper de manière proactive de toute situation qui semble constituer du harcèlement ou qui risque d'entraîner du harcèlementNote de bas de page 95. Autrement dit, au lieu d'utiliser la panoplie complète d'outils à leur disposition pour prévenir et gérer le harcèlement (comme l'encadrement, le mentorat, la gestion du rendement ou les techniques de règlement des différends), la plupart des gestionnaires et des superviseurs se contentent d'encourager le plaignant à porter plainte ou d'exercer sur lui une pression pour qu'il le fasse. Résultat, le problème ne relève plus de la responsabilité du superviseur ou du gestionnaire, mais plutôt de l'enquêteur et du décideur affectés à la plainte.

Compte tenu de ce qui précède, la Commission conclut que sa recommandation de 2013 précisant que la politique de la GRC devrait s'appliquer également aux éléments précurseurs d'une situation de harcèlement n'a été que partiellement mise en œuvreNote de bas de page 96. La Politique sur le harcèlement de la GRC contient un certain nombre de dispositions exigeant des gestionnaires et des superviseurs qu'ils s'occupent des conflits naissants en milieu de travail. La GRC a également créé un programme de gestion informelle des conflits qui fournit de l'information, des conseils et des ressources aux employés à propos de la résolution des conflits au travail. Cependant, un certain nombre des conseillers divisionnaires en harcèlement et le Bureau de coordination des plaintes de harcèlement ont dit à la Commission que les superviseurs et les gestionnaires n'ont pas les compétences nécessaires pour gérer les conflits au travail.

Par ailleurs, certains membres et employés interviewés par la Commission ont affirmé que lorsqu'ils ont demandé une aide informelle concernant un problème de harcèlement ou d'intimidation, on a exercé sur eux une pression afin qu'ils déposent une plainte contre leur gré. Ils se sont alors retrouvés « pris au piège » dans une suite d'événements sur lesquels ils estimaient n'avoir aucune influence, et cette situation les a lourdement affectés sur le plan professionnel et personnel.

La Commission constate que la GRC se soucie davantage de clore les plaintes – par le lancement d'une enquête et la prise d'une décision – que de résoudre les conflits au travail. Cette approche manque de vision et reflète une organisation qui, souvent, se soucie plus de cocher des cases que de promouvoir le bien-être au travail.

Par conséquent, la Commission conclut que sa recommandation de 2013 a été appliquée sur la forme, mais pas sur la fonction. L'incapacité des superviseurs et des gestionnaires à gérer efficacement les conflits au travail confirme l'opinion de la Commission selon laquelle la GRC souffre d'une grave carence en leadership qui nécessite un investissement considérable dans la formation et le perfectionnement des dirigeants.

5.6 Formation inadéquate

Les membres et les employés de la GRC doivent tous suivre la formation relative aux politiques sur le harcèlement. Cependant, cette formation n'est généralement suivie qu'une fois et aucun cours de recyclage n'est exigé. De plus, malgré l'adoption des changements apportés en 2014 aux politiques sur le harcèlement, il semble qu'un grand nombre de membres et d'employés n'ont pas été tenus de suivre une formation actualisée. Par exemple, un certain nombre de personnes interviewées par la Commission ont déclaré qu'ils n'avaient reçu aucune information à propos des modifications apportées à la Loi sur la GRC ou aux politiques sur le harcèlement.

Qui plus est, le nouveau cours sur le milieu de travail respectueux est suivi en ligne, et la Commission estime qu'il est largement inefficace. Même si la GRC déclare un taux d'achèvement de 98 %, il est peu probable que 98 % des membres et des employés de la GRC accordent à la formation toute l'attention qu'elle mérite. Des personnes interviewées ont candidement déclaré qu'elles étaient allées directement à la fin du module pour passer l'examen. Dans certains détachements, le membre subalterne était chargé de passer l'examen pour tous les autres. Et dans un autre cas, les réponses étaient imprimées et collées sur un poste de travail, à la vue de tous. Des personnes interviewées qui ont suivi le cours ont dit qu'il était « inutile », « aride », « simpliste », « sans intérêt » et « non pertinent », en plus d'être « une perte de temps ».

La Commission conclut donc que même si la GRC a mis en œuvre sa recommandation de 2013 visant le module en ligne qui traite des conflits en milieu de travail, dont le harcèlementNote de bas de page 97, la méthode utilisée pour offrir cette formation présente de sérieuses lacunes. Pour éviter que ces problèmes ne se reproduisent et pour garantir l'efficacité de la formation, la Commission recommande que la formation future soit donnée en classe une fois par année, lors de séances en équipe, à tous les membres et les employés, y compris les superviseurs, les gestionnaires et les cadres de direction.

De même, bien que les programmes de perfectionnement destinés aux superviseurs, aux gestionnaires et aux cadres supérieurs de la GRC comptent des modules sur les conflits et le harcèlement au travail, ils ne sont pas obligatoires à l'heure actuelle pour les personnes qui occupent des postes de gestionNote de bas de page 98. La Commission conclut donc que sa recommandation de 2013 selon laquelle tous les superviseurs et les gestionnaires devraient être tenus de suivre une formation sur le harcèlement et les conflits en milieu de travail n'a pas été mise en œuvreNote de bas de page 99. Cela est particulièrement problématique compte tenu du fait que, selon des conseillers en harcèlement et le Bureau de coordination des plaintes de harcèlement, les superviseurs et les gestionnaires n'ont pas les compétences pratiques nécessaires pour gérer l'incivilité, les conflits au travail et le harcèlement.

La formation sur le milieu de travail respectueux constitue un défi pour de nombreuses organisations. Elle est généralement sous-financée et donnée de manière inadéquate et, souvent, largement ridiculisée tant par les employés que par la direction. Néanmoins, cette formation demeure un élément essentiel pour s'attaquer aux conflits au travail et promouvoir une culture du leadership au sein de la GRC.

Recommandation 6 : Que la GRC commence à offrir périodiquement des séances de formation en personne sur le harcèlement animées par des spécialistes formés et compétents. Une formation spécialisée continue devrait également être obligatoire pour tous les superviseurs, gestionnaires et cadres de direction en poste et récemment nommés.

5.7 Bureau de coordination des plaintes de harcèlement

En 2014, la GRC a créé le Bureau de coordination des plaintes de harcèlement (le « Bureau »), donnant suite en partie à la recommandation faite par la Commission en 2013 relativement à la surveillance et à la coordination des décisions relatives aux plaintes de harcèlementNote de bas de page 100.

Le Bureau de coordination des plaintes de harcèlement est indépendant de la chaîne de commandement divisionnaire, mais il ne fait que surveiller le calendrier des plaintes et fournir de l'information et des conseils aux conseillers divisionnaires en harcèlement. Il ne coordonne pas les enquêtes et ne vérifie pas la pertinence ou la qualité des enquêtes et des décisions relatives aux plaintes de harcèlement. En outre, il renvoie toutes les plaintes à la division concernée aux fins d'enquête et de résolution. La Commission conclut donc que cette recommandation n'a été que partiellement mise en œuvre.

Qui plus est, même si le Bureau assure un suivi des données sur le traitement des plaintes de harcèlement, il ne consigne pas les données relatives aux enquêtes, à moins qu'une plainte officielle soit déposée. La GRC rate donc une excellente occasion de recueillir de l'information sur les conflits et le harcèlement au travail, y compris sur la nature et la fréquence des incidents et les circonstances dans lesquelles ils se produisent, même en l'absence de plainte officielle. La politique de la GRC crée également plusieurs exigences en matière de rapports, notamment sur le nombre et le type de plaintes de harcèlement ainsi que leur issue, les mesures prises pour rétablir le bien-être au travail et les appels. Pourtant, le Bureau de coordination des plaintes de harcèlement n'a pas fourni de copies de ces rapports annuels, ni de rapports statistiques. Donc, même si la GRC a créé un système de gestion des cas permettant de recueillir les données pertinentes, il est très difficile d'évaluer l'efficacité des mesures prises en l'absence d'analyses et de rapports sur les données. La Commission conclut que sa recommandation de 2013 – à savoir, que la GRC suive et communique les données nationales sur les conflits au travail – n'a été que partiellement mise en œuvreNote de bas de page 101.

Enfin, la Commission fait observer que la Directive sur le processus de traitement des plaintes de harcèlement du Conseil du Trésor exige de la GRC qu'elle rétablisse le bien-être dans le milieu de travail après un incident de harcèlement ou un conflit au travailNote de bas de page 102. La Politique sur le harcèlement de la GRC réitère effectivement cette obligationNote de bas de page 103, mais dans la pratique, le Bureau de coordination des plaintes de harcèlement ne recueille pas systématiquement de telles données. En outre, personne n'est chargé d'assurer un suivi auprès des personnes touchées pour voir si la plainte de harcèlement ou le conflit au travail a été résolu de façon satisfaisante. Même si certains commandants divisionnaires affirment qu'ils font un suivi auprès des groupes touchés par un conflit de travail, ces mesures ne font pas l'objet d'un suivi systématique. En conséquence, la GRC n'a aucune façon d'évaluer l'efficacité de ses propres mesures.

Conclusion no 5 : Dans sa forme actuelle, le Bureau de coordination des plaintes de harcèlement joue un rôle utile, quoique limité.

Ce rôle devrait être élargi de manière à inclure une fonction de surveillance et d'examen permettant de s'assurer du caractère adéquat des enquêtes et des décisions, ainsi que de rendre publiquement compte des types de plaintes et de leur issue dans le but d'accroître la transparence.

5.8 « Division Dépôt »

Enfin, la Commission fait remarquer que les cadets inscrits à l'École de la GRC – la « Division Dépôt » – ne sont pas visés par la Politique sur le harcèlement à l'heure actuelle puisqu'ils ne sont pas des employés de la GRC. Des cadres supérieurs de la Division Dépôt qui ont été interviewés par la Commission ont affirmé que la pratique consiste à traiter les cadets comme si la politique s'appliquait à eux. Cependant, compte tenu du rôle formatif que la Division Dépôt peut jouer dans la socialisation des membres de la GRC, la Commission estime qu'il faudrait pallier cette lacune. La Politique sur le harcèlement devrait s'appliquer aux cadets de la GRC. Sinon, la Division Dépôt devrait adopter une politique parallèle.

5.9 Conclusion

Si la GRC veut réellement s'attaquer au harcèlement, elle doit avoir des politiques claires et facilement accessibles par la totalité des membres et des employés. La formation doit être menée sérieusement et avec les ressources nécessaires. Selon la Commission, il s'agit des éléments de base pour s'attaquer au harcèlement et à l'intimidation au sein de la GRC. En fin de compte, toutefois, l'efficacité des politiques de la GRC relatives aux enquêtes et aux plaintes de harcèlement est subordonnée à la qualité de leur mise en œuvre.

6. Enquêtes sur les plaintes de harcèlement et prise de décisions

À la demande de la Commission, la GRC lui a remis tous les dossiers de harcèlement au travail qui ont fait l'objet d'une enquête complète pendant une période de trois ans – à savoir, du 13 février 2013 au 4 février 2016. L'examen visait à évaluer le bien-fondé, l'efficacité et le caractère adéquat de la mise en œuvre des politiques sur le harcèlement.

Seulement trois des soixante-neuf plaintes individuelles de harcèlement déposées en vertu de la nouvelle politique de la GRC ont donné lieu à une conclusion de harcèlement (ce sont les plaintes que la GRC considère comme « fondées »). La Commission estime que ce taux est terriblement bas et qu'il suscite de sérieuses préoccupations quant à la qualité du processus d'enquête et de prise de décisions et à son incidence sur le règlement des plaintes fondées.

6.1 Traitement des plaintes

Soixante-neuf des deux cent soixante-quatre plaintes de harcèlement reçues par la Commission ont été déposées après l'adoption des nouvelles politiques sur le harcèlement le 28 novembre 2014. Sur ces 69 dossiers :

  • Douze plaintes ont été rejetées parce qu'elles dépassaient le délai de un an prescrit par la politique;
  • Douze plaintes ont été rejetées dans des circonstances exceptionnelles et au motif qu'elles étaient frivoles;
  • Une plainte a été retirée par le plaignant avant le début de l'enquête;
  • Six plaintes ont été retirées par le plaignant après le début de l'enquête, mais avant la décision finale;
  • Trente-huit plaintes ont fait l'objet d'une enquête et d'une décision finale, et trois d'entre elles ont donné lieu à une conclusion de harcèlement.

La Commission note qu'un nombre important de plaintes de harcèlement ont été retirées ou rejetées avant la fin de l'enquête. Compte tenu du faible taux de signalement du harcèlement, il est préoccupant de constater que, sur la petite minorité d'employés qui ont choisi de porter plainte, un grand nombre de plaintes ne sont pas réglées. En particulier, le fait que six plaintes ont été retirées pendant l'enquête devrait être un signe que le processus d'enquête proprement dit dissuade peut-être certains plaignants de donner suite à des plaintes potentiellement fondées.

La plainte de harcèlement type est d'abord reçue par le Bureau de coordination des plaintes de harcèlement. Le Bureau procède à l'évaluation initiale de la plainte pour s'assurer qu'elle est la plus complète possibleNote de bas de page 104 avant de la transmettre à la division pour examen. Le commandant divisionnaire (appelé « décideur » dans la politique) examine la plainte, puis rend une décision ou ordonne la tenue d'une enquête. Le dossier est alors confié à un enquêteur en matière de harcèlement – ou, souvent, à deux enquêteurs. Les enquêteurs examinent les documents pertinents, recueillent les déclarations des témoins et rédigent un rapport d'enquête final qui sera soumis à l'examen du décideurNote de bas de page 105. Il incombe ensuite au décideur de déterminer s'il y a eu harcèlement ou non et de produire une décision écrite qui énonce les motifs de sa décision, y compris les constatations ayant trait à la crédibilité des personnes concernéesNote de bas de page 106. Si un membre en uniforme commet du harcèlement, il enfreint le Code de déontologie. Un processus relevant du Code de déontologie est alors amorcéNote de bas de page 107.

6.2 Examen préalable des plaintes

Le rapport de 2013 de la Commission soulignait qu'un grand nombre de plaintes de harcèlement étaient exclues de façon arbitraire et ne faisaient jamais l'objet d'une enquête. Par conséquent, en 2014, l'étape de l'« examen préalable » a été retirée du processus relatif aux plaintes de harcèlement. Malheureusement, il semble que la GRC soit tombée dans l'excès contraire, en adoptant une pratique qui consiste à mener une enquête sur toutes les plaintes soumises dans le délai prescrit de un anNote de bas de page 108, qu'elles correspondent ou non à la définition de harcèlement.

Conclusion no 6 : La pratique consistant à ne pas examiner au préalable les plaintes de harcèlement risque d'aggraver les conflits en milieu de travail.

Le Bureau de coordination des plaintes de harcèlement affirme que, à la suite de l'élimination de l'examen préalable, le nombre d'enquêtes a augmenté de façon spectaculaire, ce qui provoque des retards dans la détermination des enquêteurs disponiblesNote de bas de page 109.

Un aspect encore plus préoccupant a trait au fait que certains commandants divisionnaires et conseillers divisionnaires en harcèlement affirment qu'ils doivent faire enquête sur toutes les plaintes, même s'il est clair qu'elles ne constituent pas du harcèlement, et que cette pratique a des répercussions défavorables sur le milieu de travail. Par exemple, un commandant divisionnaire a confié qu'un certain nombre des plaintes qu'il a examinées ne remplissaient manifestement pas les critères du harcèlement, mais qu'elles reflétaient peut-être un conflit sous-jacent en milieu travail, et qu'on savait d'emblée qu'elles seraient rejetées. Néanmoins, on a automatiquement ordonné des enquêtes. À la fin de ces enquêtes, la situation s'était dégradée, engendrant un conflit supplémentaire et résultant, dans certains cas, dans le départ en congé de maladie de l'une ou l'autre des parties.

La Commission partage ces préoccupations, en notant les problèmes de stress, les retards et les stigmates déclarés par les membres et les employés de la GRC qui ont participé au processus de règlement des plaintes de harcèlement comme défendeurs ou comme plaignants.

Les plaintes de harcèlement devraient être soumises à un examen préliminaire visant à déterminer si elles constituent des cas prima facie de harcèlement avant de faire l'objet d'une enquête.

Cela ne veut pas dire qu'une plainte « rejetée » à cette étape doit être ignorée; les commandants divisionnaires devraient gérer de manière proactive les conflits de travail naissants en assurant un suivi de ces plaintes, s'il y a lieu. Le plaignant doit également être informé des raisons pour lesquelles l'enquête n'est pas tenue et des autres mécanismes de règlement des plaintes. Enfin, comme on l'explique ci-dessous, les commandants divisionnaires doivent suivre une formation rigoureuse sur la définition du harcèlement afin qu'elle ne soit pas interprétée de façon trop étroite ou rigide, ce qui entraîne le rejet de plaintes pourtant fondées à l'étape préliminaire.

Recommandation 7 : Que la GRC révise ses politiques et procédures relatives au harcèlement de manière à allouer aux commandants divisionnaires le pouvoir discrétionnaire de soumettre les plaintes à un examen préliminaire visant à déterminer si elles constituent des cas prima facie de harcèlement en appliquant une définition simplifiée et suffisamment large du harcèlement.

6.3 Insuffisances du processus d'enquête

La Commission est encore plus préoccupée par la pertinence et le caractère adéquat des enquêtes elles-mêmes.

Certains membres ont en effet déclaré à la Commission qu'ils avaient été « interrogés » à propos de la véracité de leur plainte et traités davantage comme des criminels que des victimes de harcèlement. Les entrevues menées avec des intervenants, des membres et des employés ont également révélé une méfiance généralisée à l'égard des enquêtes internes sur les plaintes de harcèlement menées par des membres de la GRC. La Commission s'inquiète également de la pratique qui consiste à affecter des membres assermentés à des fonctions d'enquête. Les enquêtes administratives internes sur le harcèlement sont différentes des enquêtes criminelles, et elles nécessitent une approche et des compétences différentes de celles qui sont requises pour mener des enquêtes criminelles. Sans une formation adéquate, les membres de la GRC spécialisés dans les enquêtes criminelles risquent d'utiliser ces techniques, alors qu'elles ne conviennent pas aux enquêtes sur le harcèlement.

Avec l'affectation de membres assermentés aux enquêtes sur des affaires internes en milieu de travail, il est aussi plus probable que l'enquêteur connaisse une ou plusieurs parties concernées. Cela risque de créer une apparence de conflit d'intérêts. Une préoccupation récurrente des membres entendus par la Commission était le manque d'impartialité des enquêteurs.

Les entrevues que la Commission a réalisées avec des membres et des employés ont révélé une foule de problèmes additionnels concernant la qualité des enquêtes. Les objections types comprennent les suivantes : l'enquêteur rencontre seulement les témoins du défendeur ou seulement les témoins du plaignant; les enquêteurs ne posent pas de questions de clarification ou alors posent des questions insidieuses; l'information pertinente a été délibérément minimisée ou mal représentée; les déclarations n'étaient pas représentatives des propos réellement tenus; des défendeurs ont été autorisés à discuter de leurs déclarations entre eux avant de fournir une réponse; l'enquêteur a fait appel à d'autres membres et officiers qui n'avaient aucun rôle à jouer dans le processus et qui ont exprimé une opinion sur les allégations. Des membres et des employés ont dit à maintes reprises que les enquêtes étaient ponctuelles, menées de manière peu professionnelle et souvent partiales.

Une autre préoccupation a trait à la disponibilité limitée des enquêteurs. La Commission reconnaît que les délais relatifs aux enquêtes et au règlement des plaintes de harcèlement se sont généralement améliorés depuis l'adoption de la nouvelle politique, et que sa recommandation de 2013 – à savoir, que la GRC mette en œuvre un calendrier pour le traitement des plaintes de harcèlement – a été mise en œuvre de manière efficaceNote de bas de page 110. Toutefois, selon plusieurs conseillers en harcèlement entendus par la Commission, le fait que les enquêteurs assurent cette fonction à temps partiel et qu'ils mènent les enquêtes « sur le coin de leur bureau » engendre d'importants problèmes. Les enquêteurs doivent notamment concilier ces enquêtes et leurs tâches régulières, ce qui entraîne des retards injustifiés. De même, la pratique régulière qui consiste à affecter deux enquêteurs à une enquête entraîne souvent des délais, car les deux enquêteurs doivent alors coordonner des horaires déjà surchargés.

Les problèmes nombreux et récurrents signalés à la Commission font craindre que les enquêtes sur le harcèlement soient considérées comme ayant de graves lacunes, bien en dessous des normes d'enquête appropriées.

La Commission conclut donc que la GRC n'a pas mis en œuvre adéquatement sa recommandation de 2013 selon laquelle la GRC devrait élaborer des normes d'enquête clairement définies en ce qui a trait aux enquêtes sur le harcèlementNote de bas de page 111. Certes, les normes d'enquête décrites dans le Guide national – Enquête et règlement des plaintes de harcèlement constituent une amélioration considérable, mais l'examen de la Commission a révélé des problèmes procéduraux ayant trait à la qualité des enquêtes et de la prise de décisions.

Par ailleurs, la recommandation formulée par la Commission en 2013 selon laquelle les enquêteurs en matière de harcèlement devraient suivre une formation spécialisée obligatoire n'a pas été adéquatement mise en œuvre elle non plusNote de bas de page 112. La GRC a confirmé que la formation était obligatoire. Toutefois, le cours de recyclage ne l'est pas, et l'examen a montré que de nombreux enquêteurs n'avaient pas suivi la formation révisée ou mise à jour depuis l'adoption de la nouvelle politique sur le harcèlementNote de bas de page 113. Cela est particulièrement problématique, puisque les enquêteurs en matière de harcèlement ne mènent parfois pas d'enquête avant plusieurs mois ou années après leur formationNote de bas de page 114. Le Bureau de coordination des plaintes de harcèlement signale également que plusieurs divisions ont eu de la difficulté à trouver, attirer et maintenir en poste des enquêteurs en matière de harcèlement, et que plusieurs divisions ne savaient pas quelle était la formation exigéeNote de bas de page 115. Un grand nombre des problèmes décrits par les personnes interviewées relativement à la qualité des enquêtes sont probablement imputables à l'absence de formation adéquate.

Ces problèmes minent la confiance des membres et des employés de la GRC envers l'intégrité du processus de règlement des plaintes de harcèlement, créant la perception selon laquelle la GRC ne veut pas s'attaquer concrètement au harcèlement. Comme un membre l'a expliqué, les enquêtes constituent la vie quotidienne de la GRC, alors pourquoi sommes-nous si médiocres quand il s'agit de nos membres? [traduction]

Recommandation 8 : Que la GRC se dote d'enquêteurs administratifs (qui ne sont pas des membres en uniforme) qualifiés, compétents, spécialisés et indépendants de la chaîne de commandement qui seront chargés de mener les enquêtes sur les plaintes de harcèlement.

6.4 Séparation des rôles des enquêteurs et des décideurs

La Politique sur le harcèlement de la GRC interdit explicitement aux enquêteurs en matière de harcèlement d'analyser l'information recueillie dans le cadre de l'enquête, d'évaluer la crédibilité du plaignant, du défendeur ou des témoins qu'ils rencontrent ou de faire une interprétation des faits quant à la conclusion de harcèlementNote de bas de page 116. Les enquêteurs doivent plutôt fournir un rapport d'enquête final ne contenant pas d'opinion au décideur (le commandant divisionnaire), qui prendra une décision sur la base du dossier d'enquête.

La Commission estime que cela crée une situation intenable en exigeant que le décideur rende une décision sur la crédibilité des personnes impliquées sans toutefois les rencontrer ou les observer. Les tribunaux canadiens ont affirmé à maintes reprises que l'évaluation de la crédibilité exige que le décideur entende et observe les témoins. Comme l'indique la Cour suprême du Canada, « [a]pprécier la crédibilité ne relève pas de la science exacte. Il est très difficile […] de décrire avec précision l'enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l'observation et de l'audition des témoins, ainsi que des efforts de conciliation des différentes versions des faits »Note de bas de page 117.

Selon la Politique sur le harcèlement, le rôle des décideurs est d'évaluer la crédibilité et la fiabilité des parties et d'évaluer des preuves contradictoiresNote de bas de page 118. Ces évaluations sont déterminantes pour la décision.

En exigeant des décideurs qu'ils évaluent la crédibilité des parties sans toutefois rencontrer ces personnes ou bénéficier de l'analyse de l'enquêteur qui a mené les entrevues, la politique introduit une part d'arbitraire dans le processus décisionnel.

En particulier, un certain nombre de commandants divisionnaires entendus par la Commission ont également déploré le fait qu'ils ne pouvaient pas parler directement avec les personnes impliquées et décrit le processus décisionnel comme étant essentiellement un exercice « sur papier ». Un commandant divisionnaire a dit que malgré les limites imposées dans la politique, il parle régulièrement avec les plaignants et les défendeurs et rencontre les enquêteurs pour obtenir plus de renseignements avant de rendre sa décision.

Conclusion no 7 : La séparation des rôles et des responsabilités des enquêteurs et des décideurs désignés relativement aux plaintes de harcèlement n'est pas appropriée, et cette séparation introduit une part d'arbitraire dans le processus décisionnel.

Recommandation 9 : Que la GRC modifie ses politiques et procédures relatives au harcèlement de manière à exiger de l'enquêteur qu'il tire des constats quant aux questions de crédibilité et au respect ou à la violation des politiques sur le harcèlement, et qu'il en rende compte au décideur; ainsi qu'à exiger du décideur qu'il détermine s'il convient ou non d'accepter les constats de l'enquêteur et qu'il décide si des mesures correctives ou disciplinaires s'imposent.

6.5 Insuffisances de la prise de décisions

La Commission a cerné plusieurs problèmes graves concernant les critères appliqués par les décideurs lorsqu'ils évaluent des plaintes de harcèlement. Comme on le mentionne précédemment, les décideurs appliquent généralement les six critères énoncés dans la définition de harcèlement d'une manière excessivement rigide et tenant compte de facteurs non pertinents.

De plus, l'examen des dossiers de harcèlement par la Commission a révélé qu'il arrive régulièrement que les décideurs appliquent de mauvais critères juridiques dans leurs analyses, et ces erreurs portent presque toujours atteinte aux plaignants. Il en résulte des décisions souvent juridiquement incohérentes.

Par exemple, la plupart des décisions commencent par une déclaration selon laquelle le fardeau de la preuve incombe au plaignant, selon le principe voulant que celui qui allègue un fait doit le prouver et que le plaignant doit démontrer prima facie que le harcèlement a eu lieu selon la prépondérance des probabilités. Or, dans une enquête interne de harcèlement au travail, le plaignant n'est pas tenu d'étayer sa plainte. C'est plutôt l'employeur qui doit mener une enquête impartiale et complète et déterminer, selon la prépondérance des probabilités, s'il y a eu harcèlementNote de bas de page 119. Contrairement au cadre décisionnel officiel (comme un tribunal des droits de la personne), où le plaignant doit démontrer que le harcèlement a eu lieu, ni le plaignant ni le défendeur n'ont le fardeau de la preuve dans une enquête interne de harcèlementNote de bas de page 120. Cela s'explique par le fait que la responsabilité de l'employeur de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement oblige l'employeur à faire enquête sur les plaintes de harcèlement, mais n'oblige pas le plaignant à prouver le harcèlementNote de bas de page 121.

En amalgamant le critère juridique des procédures décisionnelles accusatoires et l'enquête interne sur le harcèlement, les décideurs de la GRC déplacent de manière inappropriée le fardeau de la preuve sur les plaignants. Il en résulte un seuil arbitrairement élevé pour en arriver à une conclusion de harcèlement. Ce phénomène engendre probablement le rejet de plaintes pourtant fondées.

Par ailleurs, même si les décisions font invariablement état de l'application de la norme de la prépondérance des probabilités, la Commission a constaté que, dans la grande majorité des dossiers, rien n'indiquait que cette analyse avait bel et bien été réalisée par le décideur. Alors que la Politique sur le harcèlement exige des décideurs qu'ils énoncent leurs motifs de décisionNote de bas de page 122, il n'y avait presque jamais de piste de raisonnement pouvant expliquer comment le décideur était parvenu à sa conclusion. Cela enfreint la politique de la GRC et constitue aussi probablement une violation des principes de la justice naturelle. Comme l'a fait remarquer le Comité externe d'examen de la GRC dans un dossier de déontologie, les « déclarations » des décideurs selon lesquelles les allégations étaient établies ne constituaient pas des « motifs », parce que les déclarations « n'étaient accompagnées d'aucune justification ni d'aucune explication ». Le Comité externe d'examen a conclu que le défaut de donner des motifs contrevenait à la politique de la GRC, et qu'il « violait les principes d'équité procédurale, rendait les décisions manifestement déraisonnables » et empêchait le commissaire d'examiner les appels comme il se doitNote de bas de page 123. La Commission abonde dans le même sens que le Comité externe d'examen dans le contexte de la prise de décisions sur les plaintes de harcèlement.

De même, lorsque le défendeur était un membre en uniforme, les décideurs de la GRC ont souvent regroupé les analyses juridiques pour déterminer si le harcèlement a eu lieu avec l'analyse juridique requise pour établir s'il y a eu violation du Code de déontologie. Selon la politique de la GRC, toutefois, ces deux processus sont séparés et distinctsNote de bas de page 124. La Commission a constaté dans plusieurs dossiers qu'elle a examinés que les décideurs n'avaient pas rendu de décision quant au harcèlement, mais qu'ils s'étaient plutôt directement employés à déterminer s'il y avait eu violation du Code de déontologie. Cette pratique est non seulement contraire à la Politique sur le harcèlement, mais elle crée aussi un relèvement du seuil prima facie à atteindre pour en arriver à une conclusion de violation du Code de déontologie, avec le critère de la prépondérance des probabilités qui devrait aussi être appliqué dans l'évaluation du harcèlement. Dans ces cas, la Commission a constaté que l'analyse juridique appliquée par les décideurs était imprécise et incohérente.

Par ailleurs, il est arrivé régulièrement que les décideurs omettent d'appliquer le critère de la personne raisonnable incorporé dans la définition du harcèlementNote de bas de page 125, et qu'ils concluent de façon erronée que puisque le défendeur n'avait pas « l'intention » d'offenser ou de blesser le plaignant, il n'y a pas eu de harcèlement. Il est tout aussi problématique de constater que les décideurs ont régulièrement tenu compte de la réaction subjective du plaignant pour déterminer si ce dernier semblait offensé ou blessé. Cette façon de faire ne correspond pas à la jurisprudence sur le harcèlement et repose sur des stéréotypes de la réaction que les gens devraient ou ne devraient pas avoir face au harcèlement.

Enfin, les décideurs ont échoué à maintes reprises à appliquer le bon critère pour évaluer la crédibilité du plaignant, du défendeur ou des témoinsNote de bas de page 126. Comme on le mentionne précédemment, cela pose un problème d'autant plus grand que l'issue de nombreux cas de harcèlement sexuel repose sur la crédibilité des diverses personnes impliquées.

La Commission a relevé de nombreux problèmes importants concernant le processus décisionnel utilisé par la GRC.

Conclusion no 8 : Il arrive régulièrement que les décideurs appliquent de mauvais critères juridiques et tiennent compte de facteurs non pertinents et défavorables. Ces erreurs portent presque toujours atteinte aux plaignants et peuvent faire en sorte que de nombreuses plaintes soient jugées sans fondement.

6.6 Formation des décideurs

Les entrevues menées par la Commission avec des commandants divisionnaires et des conseillers en harcèlement ont révélé une véritable volonté de gérer adéquatement les plaintes de harcèlement au travail. La Commission conclut que le problème n'est pas attribuable aux décideurs individuels ou à leurs conseillers. Les difficultés suggèrent plutôt des problèmes structurels dans la politique et les procédures sur le harcèlement et sont imputables à une formation inadéquate.

Les commandants divisionnaires suivent une formation sur le processus d'enquête relevant du Code de déontologie, mais ils ne suivent pas de formation spécialisée sur la prise de décisions relatives aux plaintes de harcèlementNote de bas de page 127. En particulier, la formation ne compte que deux diapositives sur le harcèlement qui portent essentiellement sur le recoupement du harcèlement avec le processus relevant du Code de déontologieNote de bas de page 128. En outre, même si une nouvelle formation est en cours d'élaboration à la GRC, ce cours ne mentionne que vaguement les rôles et les responsabilités des dirigeants relativement au processus de règlement des plaintes de harcèlement, et il apporte bien peu d'aide aux décideurs sur la façon de prendre une décision à savoir si une allégation de harcèlement est étayée.

Conclusion no 9 : La formation des décideurs demeure inadéquate.

Recommandation 10 : Que la GRC veille à ce que les commandants divisionnaires suivent une formation continue donnée en classe et portant sur la prise de décisions, plus particulièrement en ce qui a trait à l'évaluation des plaintes de harcèlement au travail, y compris les critères juridiques appropriés à appliquer et les stéréotypes relatifs au comportement des victimes de harcèlement.

6.7 Politique sur les appels inadéquate

La Commission reconnaît que la GRC a créé un nouveau mécanisme d'appel pour les plaintes de harcèlement au Comité externe d'examen de la GRC, mais la décision finale relève toujours du commissaire de la GRC. En conséquence, contrairement aux employés de la fonction publique qui ont le droit d'interjeter appel d'une décision rendue dans une plainte de harcèlement conformément à la procédure établie dans leur convention collective (ce qui comprend l'arbitrage par un tiers indépendant), les membres de la GRC n'ont toujours pas accès à un organe d'appel impartial et indépendant. Qui plus est, les membres de la GRC ne reçoivent pas d'aide professionnelle et ne bénéficient pas du soutien que pourrait leur apporter un syndicat. Plusieurs membres interviewés par la Commission ont dit qu'ils avaient dû verser des honoraires substantiels pour obtenir les services d'un avocat dans des procédures de grief. La Commission en conclut que sa recommandation de 2013 – à savoir, que la GRC mette en œuvre un mécanisme externe d'examen des décisions en matière de harcèlement – n'a été que partiellement mise en œuvreNote de bas de page 129.

La Commission estime que le droit d'appel devrait toujours être inscrit clairement sur toutes les décisions, au même titre que les délais de dépôt de l'appel et les autres renseignements pertinents.

6.8 Conclusion

La Commission conclut que le processus relatif aux enquêtes sur les plaintes de harcèlement et à la prise de décisions comporte de graves lacunes. Qui plus est, le modèle actuel de la GRC nécessite une révision exhaustive. Il faut notamment allouer un pouvoir accru en matière d'examen préliminaire, confier un rôle plus grand aux enquêteurs chevronnés et indépendants et offrir une formation plus rigoureuse aux décideurs. Ces réformes sont essentielles pour rétablir la confiance des employés et des membres de la GRC dans le fait que l'organisation prend leurs plaintes au sérieux, et elles limitent le risque de dommages supplémentaires dans le milieu de travail.

7. Conclusion

Il y a de nombreuses raisons de s'inquiéter des problèmes de harcèlement au travail, de harcèlement sexuel et d'intimidation à la GRC. D'abord et avant tout, ces comportements peuvent causer de lourds préjudices aux membres et aux employés de la GRC qui en sont victimes. Le harcèlement – qui s'étale souvent sur des mois ou des années – peut également entraîner des conséquences graves sur la vie professionnelle et avoir des répercussions bien réelles sur la santé émotionnelle et physique. De plus, ces problèmes peuvent se répercuter sur l'efficacité opérationnelle de la GRC. Des membres ont affirmé à la Commission que le harcèlement et le comportement abusif de superviseurs avaient compromis des enquêtes criminelles, et il semble aussi que le harcèlement au travail exacerbe les problèmes de pénurie chronique de personnel auxquels la GRC est confrontée.

Qui plus est, la nature flagrante de ces comportements mine la confiance de la population canadienne envers la GRC. Comme l'a récemment souligné un groupe des Premières Nations, l'ampleur des inconduites sexuelles internes à la GRC fait craindre que ces comportements « débordent à l'extérieur » des rangs la GRC et se répercutent sur la façon dont l'organisation traite les membres du publicNote de bas de page 130. Le harcèlement au travail entraîne donc des coûts élevés pour la GRC, ses membres et ses employés, ainsi que pour la population en général. Pourtant, malgré ces problèmes graves et chroniques, la GRC a échoué à prendre les mesures qui s'imposent pour amorcer un changement réel et systémique. Cette situation est en partie attribuable au fait que la focalisation sur le harcèlement occulte le véritable problème qui afflige la GRC : le harcèlement est simplement devenu un concept que les membres et les employés évoquent pour exprimer leurs préoccupations plus vastes à propos de la culture institutionnelle de la GRC.

Depuis de nombreuses années, les dirigeants successifs de la GRC ont pris des mesures pour s'attaquer au harcèlement au travail. Notamment, un certain nombre de divisions ont adopté des programmes pour gérer des conflits en milieu de travail rapidement, avant qu'ils ne se transforment en harcèlement manifeste. Ces efforts sont louables, certes, mais ils n'ont pas donné lieu à une réforme systémique. Cela résulte en partie de l'absence de leadership à la Direction générale de la GRC, qui a échoué à assurer le suivi des initiatives des divisions, à évaluer leur efficacité et à communiquer les pratiques exemplaires.

Les efforts visant à changer la culture de la GRC grâce à des programmes ou à des plans d'action ponctuels sont donc insuffisants. Les promesses additionnelles de « sévir » contre les harceleurs ne donneront pas de résultats importants non plus. Comme le faisait remarquer la Commission dans son rapport de 2013 :

Un simple engagement à éradiquer la turpitude morale, sous toutes ses formes, ne saurait toucher adéquatement les nombreuses dimensions de ce problème complexe, dont la plus importante est de modifier la perception de nombreux employés et de certains groupes de la population selon laquelle l'organisation est complice relativement au problème et, par conséquent, incapable de le régler de manière adéquate.

La Commission a plutôt conclu – faisant écho aux recommandations des examens menés par des experts avant elle – que seules des réformes de la gouvernance de la GRC pourront donner lieu à des changements réels ou durables.

Il incombe maintenant au gouvernement d'effectuer des changements en profondeur en modernisant et en transférant les aspects clés de la surveillance et de la gestion administrative de la GRC à des civils. Cela dit, la GRC n'est pas relevée de la responsabilité de rectifier le tir. La Commission a mis en évidence dans le présent rapport les changements fondamentaux que la haute direction de la GRC doit apporter pour résoudre les problèmes du harcèlement et de l'intimidation.

La transformation culturelle de la GRC ne sera pas instaurée de manière fragmentaire. Les recommandations de la Commission reposent sur l'opinion fondamentale qu'un changement concret exige un engagement soutenu du ministre de la Sécurité publique et de la haute direction de la GRC, y compris la mise en place des changements nécessaires à la gouvernance de la GRC.

Le président intérimaire,
_________________________________
Ian McPhail, c.r.

Annexe A

Recommandations de 2013 de la Commission

Recommandation no 1 : Que la GRC mette en œuvre un système de collecte de données compilées systématiquement et comparables à l'échelle nationale en matière de conflits en milieu de travail et de production de rapports à ce sujet.

La Commission constate que cette recommandation n'a été que partiellement mise en œuvre.

Recommandation no 2 : Que la GRC établisse une fonction centralisée de surveillance et de coordination du mécanisme de règlement des plaintes de harcèlement, située à la Direction générale de la GRC et relevant directement d'un cadre supérieur, à l'extérieur de la chaîne de commandement divisionnaire.

La Commission constate que cette recommandation n'a été que partiellement mise en œuvre.

Recommandation no 3 : La fonction centralisée de coordination devrait aussi être responsable de la réception des plaintes relatives à des représailles, dont la procédure devrait être clairement définie dans la politique applicable.

La Commission constate que cette recommandation n'a été que partiellement mise en œuvre.

Recommandation no 4 : Qu'un mécanisme externe d'examen des décisions en matière de harcèlement soit mis en œuvre.

La Commission constate que cette recommandation n'a été que partiellement mise en œuvre.

Recommandation no 5 : Que la politique de la GRC, en ce qui a trait à la promotion d'un milieu de travail respectueux, soit définie de sorte qu'elle s'applique également aux éléments précurseurs d'une situation de harcèlement, comme un conflit en milieu de travail, afin qu'on puisse avoir accès à ses mécanismes de règlement de conflits dès le début.

La Commission constate que cette recommandation n'a été que partiellement mise en œuvre.

Recommandation no 6 : Que les enquêteurs chargés des plaintes en matière de harcèlement suivent une formation obligatoire spécialisée relative à la conduite d'enquêtes sur des conflits ou des cas de harcèlement en milieu de travail avant d'être chargés de ce type d'enquête.

La Commission constate que cette recommandation n'a pas été adéquatement mise en œuvre.

Recommandation no 7 : Que la GRC élabore des normes d'enquête clairement définies, plus particulièrement en ce qui a trait aux enquêtes sur le harcèlement et les conflits en milieu de travail.

La Commission constate que cette recommandation n'a pas été adéquatement mise en œuvre.

Recommandation no 8 : Que la GRC mette en œuvre un calendrier pour le traitement des plaintes de harcèlement, y compris pour l'obtention d'un règlement rapide.

La Commission constate que cette recommandation n'a pas été adéquatement mise en œuvre.

Recommandation no 9 : Qu'à leur nomination, tous les superviseurs et gestionnaires soient tenus de suivre un programme de formation pertinent sur le harcèlement et les conflits en milieu de travail, et ce, dans une période définie suivant leur entrée en fonctions.

La Commission constate que cette recommandation n'a pas été mise en œuvre.

Recommandation no 10 : Que le well de formation en ligne qui traite des conflits en milieu de travail, y compris le harcèlement, soit régulièrement offert.

La Commission constate que cette recommandation a été mise en œuvre, bien que de façon très restreinte.

Recommandation no 11 : Que la GRC élabore une méthode d'évaluation exhaustive afin de s'assurer que les changements produisent les effets désirés et qu'on fasse régulièrement part au public des résultats d'une telle évaluation.

La Commission constate que cette recommandation n'a pas été mise en œuvre.

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